Le reboisement à partir de plantes exotiques peut perturber la

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Le reboisement à partir de plantes exotiques peut perturber la
Fiche n°296 - Mai 2008
w
Le reboisement à partir de plantes exotiques
peut perturber la fertilité des sols tropicaux
’après le Centre international de référence
et d’information sur le sol
(Isric), le surpâturage et
la déforestation conjugués auraient, en l’espace
d’un demi-siècle, appauvri 12,8 millions de km2
de terres émergées en
perturbant notamment le
fonctionnement des cycles
biogéochimiques
régissant la fertilité des sols.
La croissance élevée de
la population mondiale et
l’expansion des surfaces
agricoles cultivées, contribuent à l’accélération du
phénomène. Pour tenter
de freiner son expansion,
de nombreux programmes
de reboisement, mettant à
profit des essences d’arbres à croissance rapide,
ont été entrepris dans les
zones tropicales et méditerranéennes. Alors que
ces initiatives permettent
d’améliorer de manière efficace la production de biomasse d’un écosystème,
leur impact sur les caractéristiques microbiennes du
sol, garantissant sa fertilité, reste peu connu. Un
programme de recherche
conduit récemment par une
équipe de l’IRD et ses partenaires1 permet désormais
de mieux cerner l’influence
de ces essences exotiques
sur la biodiversité des communautés de champignons
mycorhiziens et de bactéries rhizobiums du sol.
Sous certaines conditions
climatiques, les plantations
d’arbres exotiques seraient
également à l’origine d’une
diminution rapide et importante de la diversité de
la microflore du sol provoquant une altération significative de sa fertilité.
©IRD / Esther Katz
D
En Afrique, la croissance rapide de l’eucalyptus est mise à contribution pour produire notamment de la pâte à papier.
Dans de nombreuses régions du globe,
l’impact de l’homme sur son environnement s’est considérablement accru
aux cours du siècle dernier. La croissance élevée de la population mondiale
et l’expansion des surfaces agricoles
cultivées associées aux modifications climatiques (périodes de sécheresse plus
longues, pluies irrégulières) induites par
le réchauffement global de la planète,
ont contribué à l’accélération du phénomène de désertification. D’après le Centre international de référence et d’information sur le sol (Isric), en l’espace d’un
demi-siècle, 12,8 millions de km2 de sols
auraient ainsi vu leur fertilité diminuer.
Pour limiter ce phénomène qui affecte
plus particulièrement les zones intertropicale et méditerranéenne, de nombreux
programmes de reboisement mettant à
contribution des essences forestières
à croissance rapide (eucalyptus, pins
exotiques, acacias australiens…) ont
été entrepris dès le milieu des années
soixante-dix. En établissant des symbioses bactériennes et mycorhiziennes, ces
arbres disposent des adaptations nécessaires pour croître sur les milieux très ingrats appauvris en minéraux. Alors que
leur efficacité à produire de la biomasse
végétale dans des conditions environnementales difficiles ou leur utilité comme
brise-vent limitant le phénomène d’érosion n’est plus à prouver, on sait encore
très peu de choses de leur impact potentiel sur la biodiversité génétique et
fonctionnelle des microorganismes du
sol. Un programme de recherche mené
depuis 2005 au Sénégal et au Burkina
Faso par une équipe de l’IRD et ses partenaires1 permet désormais de mieux
comprendre l’influence de plantes exotiques sur la structure et la biodiversité
de ces communautés de champignons
et de bactéries. Au Burkina Faso, les
scientifiques ont pu montrer, dans des
conditions expérimentales contrôlées,
que le développement d’E. camaldulensis, l’espèce d’eucalyptus la plus plantée
dans le monde, en dehors de son aire
d’origine, réduisait significativement la
diversité des communautés de champignons mycorhiziens indispensables au
bon fonctionnement de l’écosystème.
Cet effet négatif a également été mis en
évidence dans le sol d’une plantation sénégalaise d’Acacia holosericea où, quelques mois à peine après son introduc-
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CONTACT :
ROBIN DUPONNOIS
Directeur de recherche IRD
Laboratoire commun de
Microbiologie IRD-ISRAUCAD
Adresse : IRD Bel-Air
Route des hydrocarbures
BP 1386
Dakar
Sénégal
Tel : + 221 (0)33 849 33 22
[email protected]
RÉFÉRENCES :
REMIGI, P., FAYE, A., KANE, A.,
DERUAZ, M., THIOULOUSE, J.,
CISSOKO, M., PRIN, Y., GALIANA,
A., DREYFUS, B. & DUPONNOIS,
R.,The exotic legume tree
species Acacia holosericea alters microbial soil
functionalities and the
structure of the arbuscular
mycorrhizal
community,
Applied and Environmental
Microbiology, 2008, Vol. 74,
N° 5, p.1485-1493.
Doi : 10.1128/AEM.02427-07
KISA, M., SANON, A., THIOUJ., ASSIGBETSE, K.,
SYLLA, S., SPICHIGER, R.,
DIENG, L., BERTHELIN, J., PRIN,
Y., GALIANA, A., LEPAGE, M. &
DUPONNOIS, R., Arbuscular
mycorrhizal
symbiosis
can counterbalance the
negative influence of the
exotic tree species Eucalyptus camaldulensis on
the structure and functioning of soil microbial communities in a sahelian soil,
FEMS Microbiology Ecology,
2007, 62 (1),
p. 32-44.
Doi : 10.1111/j.15746941.2007.00363.x
LOUSE,
tion, les caractéristiques microbiennes
du sol ont été totalement transformées.
Cette essence à croissance rapide a en
effet sélectionné certaines espèces de
champignons mycorhiziens et de bactéries du genre Rhizobium, aboutissant à
une réduction de la diversité spécifique
de ces peuplements d’organismes symbiotiques. Alors que la distribution des
espèces de champignons mycorhiziens
était équilibrée dans le sol prélevé aux
alentours de la plantation d’A. holosericea, le décompte de spores fongiques
issues du sol de la plantation a révélé la
prédominance d’une espèce et donc un
déséquilibre profond dans la composition de la communauté de champignons
mycorhiziens. Sachant que la productivité d’un écosystème végétal est étroitement dépendante de la diversité mycorhizienne d’un sol, l’acacia australien
risque de créer un nouvel écosystème
dont les caractéristiques physiques,
chimiques et biologiques ne seront pas
nécessairement favorables à la recolonisation du milieu par les espèces natives.
L’étude a également pu démontrer que
les milieux conditionnés par cette essence étaient peu résistants aux stress
hydrique et thermique. Dans un contexte
de changement climatique global, de tels
milieux pourraient donc voir leur activité
microbienne chuter fortement et perdre
ainsi leur capacité à assurer le développement de la couverture végétale.
Les conclusions de l’étude menée au
Sénégal dans un environnement bien
précis, ne peuvent toutefois être généralisées à l’ensemble des sols tropicaux.
En effet, en étudiant une autre plantation
d’A. holosericea située au Burkina Faso,
les chercheurs ont cette fois-ci constaté
une augmentation de la diversité fonctionnelle de la microflore. Ces résultats,
en contradiction avec les précédents,
devraient amener les organismes impliqués dans la gestion des ressources
naturelles à envisager l’introduction
d’essences exotiques au cas par cas,
en tenant compte non seulement des
impacts potentiels de l’espèce végétale
que l’on souhaite introduire, mais également de la nature des sols qu’elles
viendront coloniser. Alors que cette pratique peut donner des résultats très satisfaisants, comme l’augmentation de la
richesse spécifique de milieux fortement
dégradés, tels que les anciens sites
d’exploitations minières, elle peut aussi
bouleverser durablement la structuration des communautés microbiennes
qui garantissent la fertilité d’un sol.
Rédaction DIC – Grégory Fléchet
1. Ces recherches ont été menées
avec le concours de chercheurs du
Département de biologie végétale
de l’université Cheikh Anta Diop de
Dakar (Sénégal) et du laboratoire
Sol-Plante-Eau de l’Institut de l’environnement et des recherches
agricoles (Inera) de Ouagadougou
(Burkina Faso).
MOTS CLÉS :
Sol, milieu tropical, diversité
microbienne, espèce exotique
RELATIONS AVEC LES
MÉDIAS :
GAËLLE COURCOUX
+33 (0)1 48 03 75 19
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INDIGO,
PHOTOTHÈQUE DE
L’IRD :
© IRD / Robin Duponnois
Fiche n°296 - Mai 2008
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+33 (0)1 48 03 78 99
Plantation expérimentale d’acacias située 15 km à l’ouest de Kaolack (Sénégal).
Grégory Fléchet, coordinateur
Délégation à l’information et à la communication
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