Tchad

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Tchad
Tchad
Claude Maillard
Le berceau de l’humanité
Conséquence d’une situation extrêmement instable, le Tchad peine à s’ouvrir au tourisme.
Pourtant, ses paysages à la beauté insoupçonnée sont parmi les plus beaux d’Afrique. Une
destination à envisager avec précaution mais qui enthousiasmera les aventuriers…
Enclavé entre la Libye au nord, le Niger et le Nigeria à l’ouest, le Cameroun et la République
centrafricaine au sud et le Soudan à l’ouest, le Tchad est un point de passage entre l’Afrique du
Nord et l’Afrique subsaharienne. Cinquième plus vaste pays du continent, il est l’un des berceaux
de l’humanité, là où les archéologues ont découvert de nombreux ossements parmi les plus
anciens, dont ceux de l’hominidé Toumaï.
Dans le passé, plusieurs royaumes sahéliens se sont succédé sur ces terres. Au début du XXe
siècle, le Tchad devient une colonie de l’Afrique Equatoriale Française. Il acquiert l’indépendance
en 1960 et depuis les affrontements pour le pouvoir ne cessent de se multiplier. Le pays connaît
la dictature de Hissène Habré entre 1982 et 1990. Idriss Déby Itno s’empare ensuite du
commandement par la force. En 2008, des rebelles entrent dans la capitale N’Djamena et
tentent de le renverser. Mais, avec l’aide de la France et le soutien de la communauté
internationale, il réussit à conserver son fauteuil de président de la République et gouverne
actuellement toujours le pays.
Malgré des ressources naturelles et pétrolifères considérables, le Tchad reste un des pays les
plus pauvres du monde. Plus de 80% des habitants sont des ruraux qui survivent grâce à
l’agriculture, à l’élevage et, plus surprenant pour un pays désertique, grâce à la pêche ! En
effet, le lac Tchad aux eaux très poissonneuses, qui fut jadis l’un des plus grands lacs du
monde, fournit aujourd’hui une activité à plus de 150000 personnes.
Abel et Toumaï
Deux découvertes paléontologiques majeures dans le désert ont contribué à considérer le Tchad
comme le berceau de l’humanité. Avec l’Ethiopie et le Kenya, c’est l’un des endroits où l’on a
retrouvé les plus anciens hominidés.
Mais si les ossements de Lucy, mis à jour en 1974 dans la vallée éthiopienne de l’Aouach,
datent d’environ 3,2 millions d’années, le crâne de Toumaï découvert en 2001 daterait lui de
quelque 7 millions d’années ! Trouvé dans le désert tchadien du Djourab, Toumaï est un primate
qui représente la première lignée de l’espèce humaine. C’est le plus vieil ancêtre de l’homme.
Quelques années auparavant, une équipe de chercheurs avaient déjà dégagé du sable les
restes d’Abel, le premier australopithèque âgé entre 3 et 3,5 millions d’années. Le nom de
« Toumaï » a été attribué à cet hominidé par les plus hautes autorités tchadiennes. Ce nom, qui
signifie « espoir de vie » en langue goran, est donné dans le désert du Djourab aux enfants qui
naissent juste avant la saison sèche.
C’est en direction de ce désert du Djourab, cap plein nord, que notre périple va débuter après
une visite approfondie de N’Djamena et de ses alentours. Construite au confluent des fleuves
Chari et Logone, la capitale est située en face de la ville camerounaise de Kousseri distante
seulement d’une dizaine de kilomètres.
N’Djamena a été fondée sur la rive droite du Chari en 1900 sur l’emplacement d’un petit village
kotoko (peuple d’Afrique centrale surtout présent au Cameroun) par Emile Gentil. En souvenir du
commandant François-Joseph-Amédée Lamy tué au combat, l’officier de marine, explorateur et
administrateur colonial français lui donna alors le nom de Fort-Lamy. Et ce n’est seulement
qu’en 1973 que François Tombalbaye, le premier président de la République du Tchad, baptisa
la ville N’Djamena du nom d’un village arabe voisin signifiant « le lieu où l’on se repose ».
N’Djamena, au cœur du Sahel
Lorsque l’association « Terre de Partages » (www.terredepartages.com) me proposa de
participer à son expédition au Tchad, je ne mis pas longtemps à réfléchir avant d’accepter, tant
cette destination me faisait rêver depuis toujours. Mais jusqu’au dernier moment notre départ a
été incertain en raison des attaques meurtrières menées par la secte islamiste de Boko Haram
au Cameroun et au Nigeria limitrophes.
Retardée par le long détour que le Boeing 737 de la Turkish Airlines a dû faire pour contourner
l’espace aérien libyen formellement déconseillé d’emprunter, notre arrivée à N’Djamena se fera
tard dans la nuit. La première image du Tchad sera celle d’un fonctionnaire en blouse blanche
qui vérifiera sur mon carnet de vaccinations que figure bien le sésame obligatoire, celui contre la
fièvre jaune. Dans la foulée, petit contrôle de la température afin de lutter contre la progression
du virus Ebola et nous retrouvons Issouf Elli Moussami, l’organisateur du Festival International
des Cultures Sahariennes, qui nous accueille chaleureusement à la sortie de l’aéroport. Nous
aurons le privilège d’assister à cette manifestation qui se déroulera à Fada, à l’autre bout du
pays, près de la frontière avec le Soudan, un peu plus tard.
Quelques heures de sommeil, une bonne douche (froide), une tasse de thé, et nous voilà partis
à la découverte de la capitale tchadienne peuplée d’un million d’habitants. Notre première visite
sera pour Toumaï qui nous attend au musée national parmi moult objets retraçant l’histoire
locale. Mais bien vite notre attention se portera vers un téléviseur installé dans une salle et qui
diffuse en boucle des images de l’attaque perpétrée pendant la nuit par Boko Haram au Tchad,
à seulement quelques kilomètres de là. Rapidement refoulés par l’armée tchadienne, les
assaillants auront néanmoins le temps d’incendier le village de Bagoua et de tuer plusieurs
villageois, dont le chef du canton.
Au volant de son antique taxi Toyota jaune, Hamadou se faufile tant bien que mal au milieu
d’une circulation anarchique pour nous conduire à l’orphelinat « Fondation d’Amour pour la
Formation des Enfants en Détresse » construit près du fleuve frontière avec le Cameroun. Petit
détour chez Jean-Baptiste, responsable d’une librairie chrétienne (qui officie également comme
pasteur) et sa charmante épouse Solange qui se feront une joie de nous recevoir afin de
partager la spécialité nationale, la « boule ». Sorte de polenta, elle est réalisée à base de mil, de
sorgho, de riz ou d’autres céréales et généralement accompagnée de sauces à la viande, au
poisson ou au gombo, variété de haricot gluant. Tous deux connaissent bien l’orphelinat où
vivent une quarantaine d’enfants qui sont également scolarisés sur place.
L’établissement assure aussi une formation professionnelle de qualité et gère la réinsertion
sociale d’adolescents. Malgré leur détresse, petits et grands semblent heureux et nous font la
fête à notre arrivée. Vêtements, livres, fournitures scolaires et victuailles seront distribués et
dans le futur, une collaboration plus soutenue avec l’association « Terre de Partages » est
envisageable.
A contrecœur nous devons nous séparer des enfants : promis, nous reviendrons. Nous
retrouvons la vie grouillante des rues de N’Djamena, la Place de la Nation (construite à coup de
milliards de francs CFA pour célébrer le cinquantenaire de l’indépendance du Tchad !), le marché
artisanal, la cathédrale Notre-Dame de la Paix…
Nous rejoignons notre guide Oussmane, nos chauffeurs Hassan et Choua ainsi que notre
cuisinier Abdoulaye qui s’affairent auprès de nos 4X4 Land Cruiser. Demain, l’expédition vers le
massif de l’Ennedi, situé à plus de 1200 km de là, va commencer…
L’Ennedi, un éden au Sahara
L’Ennedi se mérite ! Grand comme la Suisse, le massif situé au Nord-Est du Tchad est en effet à
plus de 1200 kilomètres de N’Djamena et demande quatre journées de pistes défoncées pour y
parvenir.
Capitale du Tchad, N’Djamena est également une région divisée en dix arrondissements
municipaux administrés par un statut particulier. Munis de notre ordre de mission établi par le
Ministère tchadien du Tourisme, obligatoire pour se rendre dans l’Ennedi, nous quittons la ville.
Slalomant entre les nids de poule, au milieu d’une circulation chaotique, nous progressons vers
la région de Hadjer-Lamis proche du lac Tchad. Très vite le bitume laisse place à une piste
poussiéreuse tracée à travers le Sahel.
Nous traversons la région de Barh El Gazel où nous sommes confrontés à un petit souci
mécanique qui nous impose un arrêt à Moussoro. L’accueil y est plutôt hostile, l’étranger n’étant
pas le bienvenu ! La nuit tombe et nous devons pourtant bivouaquer dans les environs. Nous
resterons sur nos gardes…
Au fil des kilomètres, de rares villages surgissent à l’horizon, implantés là où l’on trouve de
l’eau. Un désert de sable uniformément plat a remplacé la steppe et ses acacias où, en dépit de
leurs longues épines acérées, il fait bon s’y reposer à l’ombre. Ici, la température dépasse les
50°C, boire est fondamental et les puits sont pris d’assaut. Une grosse effervescence règne
autour des cavités qui renferment le précieux liquide à une centaine de mètres de profondeur.
Depuis la nuit des temps c’est le même rituel. Sagement regroupés, les troupeaux patientent
pendant que les hommes, au moyen d’outres, puisent l’eau avant de la déverser dans des
abreuvoirs. Suivant l’animal, le tarif varie de 200 francs CFA pour un zébu, la moitié pour un
dromadaire… à gratuit pour un âne. La prochaine étape aura pour nom Kalaït, appelée dans le
passé Oum-Chalouba, cité peuplée de nomades Gaidats et Borogats, véritables guerriers
sahéliens du désert tchadien. En 1987, la région a été meurtrie par plusieurs mois de
bombardements opposant les forces françaises à l’armée libyenne au cours de la fameuse
Opération Epervier. Nous avons atteint l’Ennedi, deuxième plus grande région du Tchad, mais
sommes encore loin, très loin de notre but.
Paysages d’une beauté sauvage à couper le souffle
L’Ennedi ne se décrit pas. Il se vit intensément ! Les amateurs de sensations fortes ne seront
pas déçus par le dépaysement total qu’offre cette région frontalière avec le Soudan. Quasiment
hermétique au tourisme, elle a su garder tout de son authenticité. Ce vaste et magnifique massif
recèle des trésors géologiques et archéologiques innombrables. Composé de tassilis de grès
sculptés selon les caprices des vents et des anciens oueds, l’Ennedi est inlassablement
parcouru par les nomades, qui mènent d’une guelta à l’autre leurs troupeaux de dromadaires et
de chèvres brouter l’herbe jaune poussant à la moindre goutte de pluie. Ces bergers perpétuent
une tradition plurimillénaire de pastoralisme, gravée et peinte sur les parois des grottes, à
l’époque où ici les pâturages étaient gras et verts… et aujourd’hui disparus suite à
l’assèchement du climat.
Parmi ces trésors, les lacs d’Ounianga qui sont inscrits au Patrimoine mondial de l’UNESCO
depuis 2013. Le site, situé dans la dépression de Mourdi proche du Tibesti, abrite dix-huit lacs
répartis dans deux zones distantes d’une soixantaine de kilomètres. Deux journées de 4X4 à
travers les dunes du Sahara sont encore nécessaires pour pouvoir profiter de ces écrins de
verdure surprenants dans cet environnement désertique chaud et hyperaride où les
précipitations sont inférieures à 2mm par an.
Un vent de sable s’est levé et la nuit a été froide. Réveillés par les hurlements aigus d’une
meute de chacals, nous nous apprêtons à repartir quand notre guide Oussmane nous prévient
que des mines, vestiges des différentes guerres, sont disséminées un peu partout et qu’il vaut
mieux ne pas trop s’éloigner de la piste : rassurant !
A mi-chemin, au détour d’un cordon de dunes, surgit le cirque de Teguedeï qui abrite un lac
entouré d’une palmeraie. Réputée dans toute la région, l’oasis de Teguedeï regroupe les deux
richesses du désert, les palmiers dattiers et le sel. De tout temps elles ont fait l’objet d’intenses
trafics caravaniers et de ce fait contribué à préserver le lien social entre toutes les petites
communautés nomades disséminées dans ce désert. Récolté par les femmes, le sel, très pur,
d’un blanc éclatant, est réservé à la consommation alimentaire. Il n’y a pas si longtemps, il valait
son poids en or et encore aujourd’hui il sert de monnaie d’échange.
Ounianga, oasis de fraîcheur
Le nom d’Ounianga vient de la tribu des Ounia, d’anciens esclaves chargés d’exploiter les
salines et les palmeraies de la région pour le compte de leurs maîtres. A leur émancipation,
empressés de suivre le mode de vie nomade, ils ont déserté les lieux où ils ne reviennent qu’en
été pour la cueillette des dattes.
Essentiellement alimentés par la nappe phréatique fossile, créée lorsque le climat de la zone
n’était pas désertique, et qui affleure à cet endroit, les lacs d’Ounianga forment un paysage tout
à fait exceptionnel de plus de 60 000 hectares au milieu du Sahara.
Divisés en deux groupes (Ounianga Sérir et Ounianga Kébir), ces lacs aux eaux salées,
hypersalées ou douces, constituent une mosaïque de couleurs diverses, bleu nuit, vert jade et
rouge pourpre entourés par des palmeraies, des dunes ou des formations gréseuses très
spectaculaires.
Du haut de la falaise où nous avons dressé notre campement, la vue sur le lac Elimé, le plus
vaste du Sahara, est grandiose. Très typique avec ses trois îles déchiquetées qui se mirent dans
ses eaux limpides, il constitue l’un des quatorze lacs Ounianga Sérir. Sur le rivage, dans le
village où s’éparpillent, en forme de barques renversées, quelques cases constituées de nattes
tressées, Ayouma s’occupe d’un jardin extraordinaire et totalement inattendu dans un désert.
Grâce à un ingénieux système d’irrigation, il y cultive en quantité les meilleures aubergines,
tomates et pastèques de toute la région, fort utile et indispensable pour nourrir ses 2 femmes et
ses 12 enfants !
Coupé en deux parties, l’une aux eaux d’un vert intense, l’autre d’un rouge violacé, le lac Katam
fait partie des quatre lacs Ounianga Kébir. Très salé, il produit une écume blanche qui tapisse
ses berges couvertes d’un beau sable orange, qui s’envole au moindre souffle. Un vrai régal
pour les photographes…
Pressés par le Festival International des Cultures Sahariennes qui s’ouvre à Fada, 300
kilomètres plus au Sud, nous devons quitter à regret ces oasis de fraîcheur pour retrouver la
fournaise du désert. Les abords de la piste sont jonchés d’épaves de blindés calcinés, de
canons et d’obus de mortiers. Difficile d’imaginer que ces lieux emplis de sérénité furent le
théâtre, il n’y a pas si longtemps, de violents combats !
Le soleil se couche à l’horizon, c’est l’heure où les cathédrales de roches aux formes étranges,
étonnantes et envoûtantes se parent de leurs plus belles teintes dorées. C’est le moment
d’installer le bivouac parmi des outils de pierre (bifaces, bolas, choppers, meules, grattoirs),
fragments de bracelets… éparpillés sur le sol et datant du Paléolithique (40 000 à 2 millions
d’années), témoignant que nous ne sommes pas les premiers à passer la nuit dans ces lieux
magiques !
Au pays des Toubous
Malgré de violentes rafales de vent, la nuit a été bonne et réparatrice, et c’est par un sprint
effréné avec des gazelles Dorca qui détalent devant nous, à près de 60 km/h, que va débuter la
journée.
L’Ennedi est un désert, certes mais habité : la présence de savanes, d’oueds arborés et de
sources cachées a permis le maintien d’une société pastorale semi-nomade. Appelés localement
Teda ou Daza, ces fiers bergers ont gardé un tempérament indépendant qui les rend sourcilleux
vis-à-vis des étrangers pénétrant sur leur territoire. Ils se disent puissants et respectés car ils
appartiennent à la même tribu que le président Idriss Déby Itno originaire de Fada. Ils font partie
des Toubou, groupe ethnique considéré comme l’un des plus anciens vivant actuellement au
Sahara. Guerriers et pasteurs au même titre que les autres peuples sahariens, ces nomades
redoutés de leurs voisins (Touareg, Peul, Kanouri, Boudouma, Bideyat, Zaghawa…) doivent
leur réputation à leur légendaire capacité d’adaptation et de survie dans l’environnement
particulièrement aride de la région. Dotés d’une résistance hors du commun, capables de
couvrir à pied des distances considérables, ils vivent pour la plupart dans la moitié
septentrionale du Tchad, mais également, en petites communautés, au Niger, en Libye et au
Soudan.
Festival International des Cultures Sahariennes.
Chef-lieu de la région de l’Ennedi, Fada est une petite oasis tranquille, nichée dans une
palmeraie verdoyante qui survit grâce à la présence d’une garnison de militaires. L’architecture
caractéristique du style soudanien de ses habitations en terre, sa place vide et immense ainsi
que ses larges allées de sable bordées de palmiers dégagent une atmosphère de ville fantôme.
C’est pourtant là, loin de tout, que s’est déroulé pour la seconde fois le Festival International
des Cultures Sahariennes. Cet événement permet aux différentes tribus de nomades éparpillées
dans le désert de se rencontrer, d’échanger dans un esprit de respect, de partager leurs savoirfaire et aussi de se confronter dans diverses manifestations sportives et culturelles. Cela donne
également l’occasion aux très rares touristes présents sur place de découvrir les coutumes de
ces peuplades qui, pour l’occasion, ont revêtu leurs plus belles tenues, typiques, parfois
surprenantes et de façon générale très colorées. Au programme de ces cinq jours de festivités,
chants, danses, contes et légendes nomades, concours gastronomique, courses de dromadaires
et marathon remporté par le champion national Valentin Betoudji, très sympathique et attachant
coureur.
Une tempête de sable s’est levée, le ciel s’obscurcit, le soleil se voile … il est temps de quitter
Fada pour retrouver la quiétude du désert, l’un des plus beaux au monde.
Guelta d’Archeï, une oasis dans un océan de sable
Quelque part dans l’Ennedi, labyrinthe minéral à l’écart du monde connu, se dissimule un trésor,
une source exceptionnelle et unique à des centaines de kilomètres à la ronde. Ce petit paradis
caché, c’est l’un des endroits les plus méconnus du Sahara, l’un des plus inaccessibles, l’un des
plus envoûtants. C’est le point d’orgue de notre Aventure. Ce lieu, c’est la Guelta d’Archéï.
Tous les matins, dès l’aube, la même scène biblique se joue ici, au pied de gigantesques
murailles de grès qui semblent la protéger de toute menace extérieure. Depuis le haut de la
falaise la vue sur cet endroit magique est des plus remarquables. Cent mètres en dessous, des
centaines de dromadaires s’abreuvent et se baignent, tout en blatérant. Leurs cris résonnent
entre les rochers, donnant au tableau encore plus d’émotions. Ici, l’eau est présente toute
l’année, comme par miracle. En pleine saison sèche, quand les puits du désert sont taris, la
source d’Archéï est la seule chance, le seul espoir pour tous ceux qui ont soif. Encore plus
énigmatique que cette eau qui surgit inexplicablement en plein milieu du Sahara, des crocodiles
sortis tout droit du Jurassique vivent totalement isolés dans cet endroit. Théodore Monod, le
plus grand explorateur saharien du XXe siècle, avait attesté la présence de ces véritables
fossiles vivants lors de sa venue ici. Il y a des milliers d’années, l’eau s’est retirée du Sahara,
emportant avec elle vers le Nil tous les crocodiles, sauf quelques spécimens. Ils ne sont plus que
sept aujourd’hui, les seuls crocodiles sahariens qui existent encore, trop peu nombreux
désormais pour assurer la continuité de l’espèce. Craintifs et inoffensifs, ces sauriens ont su
s’adapter à un régime alimentaire réduit, se contentant de quelques petits poissons et des
excréments des dromadaires. Du bas, au niveau de l’eau, le spectacle est tout aussi saisissant.
C’est là que, regroupée au pied de la falaise, une famille venue tout spécialement de N’Djamena
pour renouer avec leurs ancêtres natifs du village d’Archéï nous accueille chaleureusement.
Après le thé de bienvenue et un agréable moment passé auprès d’elle, il nous sera impossible
de la quitter sans accepter un présent, un mouton qui améliorera notre quotidien des jours à
venir.
Musées de la préhistoire à ciel ouvert
L’Ennedi regorge de sites de peintures rupestres qui témoignent de la vie des nomades. Les
artistes utilisaient une palette de couleurs variant de l’ocre (obtenu à partir de poudre de grès)
au blanc du kaolin, mélangées avec un fixateur à base de gomme arabique et de caséine de lait.
Proche de la Guelta d’Archéï, derrière une dune, une cavité perchée dans un piton rocheux attire
notre attention. C’est la grotte de Manda Guéli, l’un des plus beaux sites de la région, qui abrite
des peintures rupestres de la période cameline datant du IVe millénaire avant J.-C. Des hommes,
dont des cavaliers armés, des femmes, des enfants et également des dromadaires et des bovins
sont représentés sur les parois. Quelques kilomètres plus au sud, près de la monumentale arche
de l’Eléphant, une profonde galerie formée de plusieurs grottes s’enfonce dans le rocher de
Terkeï jusqu’à le traverser. Dans l’une d’entre elles, le plafond est tapissé d’une étonnante
vache géante attestant que dans un passé pas si lointain, l’Ennedi était une terre plus tempérée,
moins hostile à la vie. On estime en effet la date des peintures de Terkeï à seulement 2000 à
500 ans avant J.-C.
Il faut bien nous rendre à l’évidence, notre périple dans l’Ennedi va sur sa fin. Bientôt, la piste
qui mène à Abéché, deuxième plus grande ville du Tchad, va se transformer en une route
asphaltée, la seule du pays, qui rejoint N’Djamena au Soudan. Mais 800 kilomètres nous
séparent encore de la capitale tchadienne. Qualifiée par certains de « porte de l’Orient »,
Abéché, capitale de la région du Quaddaï, n’est qu’à quelques encablures de la province
occidentale soudanaise du Darfour. Riche de son passé précolonial, elle est depuis les années
1960 le principal épicentre des secousses qui n’ont cessé d’affecter le Tchad. Même la crise du
Darfour ne l’a pas épargnée. Aujourd’hui, la ville est surtout un lieu qui essaie de trouver ses
marques entre les organisations humanitaires et la vie universitaire. Parmi les échoppes de bric
et de broc qui bordent une avenue terreuse, le restaurant « L’ombre d’Afrique » tombe à point
nommé pour nous refaire une petite santé après 17 jours de bivouac. Un miroir placé à l’entrée
nous renvoie une image que nous n’avions pas vue depuis bien longtemps : celle des membres
de l’expédition « Terre de Partages », crasseux, éreintés, amaigris … mais les yeux remplis de
beaux clichés, de beaux souvenirs, de belles rencontres emmagasinés tout au long du parcours.