féroce amour - Femme Majuscule
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féroce amour - Femme Majuscule
portrait féroce amour des bêtes Marie-Claude Bomsel Impossible de ne pas la reconnaître, quand elle vient à notre rencontre : crinière de lionne, œil rieur, un tantinet espiègle, il y a dans sa démarche quelque chose de félin, à croire qu’à observer les animaux depuis tant d’années, elle a fini par en adopter des attitudes. Voilà plus de vingt ans qu’elle est l’âme de la ménagerie du Jardin des plantes, où elle est connue pour son caractère, ses coups de gueule autant que ses fous rires mais, surtout, pour son professionnalisme et sa parfaite connaissance du monde animal ; une passion qui remonte à son enfance versaillaise. Son père est issu d’un milieu strict, très bourgeois ; sa mère elle, vient d’un exact opposé : fille d’instituteurs laïcs, « très laïcs insiste-t-elle, presque anarchistes » et divorcée de surcroît. La petite En compagnie des grands singes, fauves et pandas, elle a réalisé sa vocation. C’est au jardin des plantes, royaume parisien de la faune et de la flore sauvages, que nous l’avons rencontrée. Par Catherine Rouillé-Pasquali Photos Bruno Charoy / Pasco pour Femme Majuscule Marie-Claude grandit donc dans un joyeux charivari de valeurs. « Ma mère nous emmenait en forêt, avec mon frère et ma sœur ; on faisait des feux de bois, on dormait à même le sol en observant dame Nature, dans un grand élan de romantisme. » Et, déjà, elle s’entoure d’animaux. « Ma chambre, c’était l’arche de Noé. Des tourterelles, une chouette qui hululait la nuit, des hamsters, traqués par les chats… Lorsque, à l’école, on m’a demandé ce que je voulais faire de ma vie, j’ai répondu “vétérinaire”. “Mais, mademoiselle, a répondu le conseiller d’orientation, plus habitué à préparer de futures bonnes épouses, c’est impossible, c’est un métier salissant, certainement pas fait pour les filles !” Depuis, le métier s’est féminisé, mais à l’époque, nous n’étions qu’une poignée. » N o16 ✦ s e p t e m b r e - o c t o b r e 2013 ✽ FemmeMajuscule 73 portrait Ses études terminées, MarieClaude devient l’assistante d’un vétérinaire en milieu rural. Dans les fermes où elle l’accompagne, cachée sous sa blouse, les cheveux noués sous un chapeau, les agriculteurs trouvent cet assistant un peu efféminé… Ce qui ne les empêche pas de l’inviter à boire un coup jusqu’au jour où, sa voiture en ayant fait les frais, le vétérinaire les prie d’arrêter : « C’est une fille, elle ne tient pas l’alcool. » Puis elle se marie et suit son époux en Centrafrique. Elle se réjouit de l’aventure qui semble correspondre enfin à son rêve de nature. « Je croyais que tout allait être merveilleux, que les singes allaient dire “Bonjour MarieClaude”, que les lions accepteraient de ne plus manger les gazelles, racontet‑elle avec humour. Mais j’ai dû voir trois bêtes en six mois, parce qu’en pleine brousse, on ne voit rien ! » Elle travaille six mois avec des éleveurs peuls et commence à faire son trou, à aimer les campements, dont elle garde un souvenir extraordinaires. Las, c’est l’ère Bokassa et l’empereur décide d’expulser les étrangers… elle est contrainte de plier bagage. Retour en France. « M’occuper de chiens et de chats, ce n’était pas mon truc. Je voulais être en contact avec les animaux « Globalement, je suis horrifiée par ce que je vois, par les conditions désastreuses réservées à la faune sauvage » sauvages. » Elle intègre le zoo de Vincennes, puis la ménagerie du Jardin des plantes, « là où je souhaitais être depuis toujours. J’étais MarieAntoinette aux champs dans ce lieu qui me faisait penser au Trianon, que j’adorais enfant ». Son nouveau domaine se niche au cœur du Muséum d’histoire naturelle, où elle rencontre des chercheurs de haute volée. « À cette époque, les zoos n’étaient pas organisés comme aujourd’hui. Tout se faisait de manière empirique. On n’avait aucune pratique du monde animal, en dehors des animaux domestiques. On a appris à se servir des fusils anesthésiques pour pratiquer les soins, dispenser les antibiotiques, les antiparasites… Avec un collègue, nous avons monté le réseau européen des zoos, à l’origine des plans internationaux actuels d’élevage. On a mis en place des codes de bonne pratique dans cet univers qui a désormais radicalement évolué : les personnels se sont formés à la santé animale, à la nutrition, à la sécurité, les animaux portent des puces électroniques… » Elle part chercher des animaux dans d’autres zoos et organise des échanges. « Je me suis baladée avec des rhinocéros au cœur de l’Europe, avec des cerfs qui vivaient au fin fond de grands parcs en Angleterre ! Pour mieux les comprendre, je suis allée observer les animaux dans leur milieu naturel et j’ai beaucoup voyagé. » Elle constitue ce que l’on nomme des « collections », c’est-à-dire qu’elle choisit des espèces qui ont leur raison d’être dans des lieux qui s’y prêtent. « Il y avait des ours à la ménagerie, des gorilles, il y avait même un éléphant, mais l’espace dont ils disposaient était inadapté. On a donc fait venir des orangs-outans, parce qu’ils vivent en hauteur, des petits pandas… » À ce propos, elle évoque avec émotion ces moments qui ont marqué son existence. « Je suis allée en Chine chercher le premier panda, il avait été offert à Georges Pompidou. Je me vois encore, seule femme dans des dîners officiels de l’ère maoïste… » Puis est arrivée Nénette, la « grande histoire de ma vie », une orang-outan qu’elle a accueillie toute petite, avec son frère Toto. « Je me vois encore ouvrir la cage en provenance d’Indonésie et découvrir deux bébés roux qui devaient avoir 3 ou 4 ans. Ils ont sauté dans mes bras. Le lien s’est créé, indéfectible. Quand j’entrais dans la cage, ce qui est totalement interdit désormais, Nénette me soulevait pour regarder de plus près ce que je lui apportais. Quant à Toto, en grandissant, il s’est dit que je pourrais être sa deuxième femme, ce qui a donné lieu à des moments cocasses ! » [Rires.] À les observer, elle dit comprendre à quel point nous relevons du monde animal. « Quand on lit dans leur regard, que l’on comprend leurs réflexions, leurs calculs, on s’interroge sur le droit à les garder en captivité, on rêve de les remettre en liberté, mais hélas dans un milieu qui ne les attend pas. » En effet, les zoos sont devenus pour la plupart d’entre eux des espaces préservés. La nature n’est plus ce qu’elle était, dégradée par les humains. La biodiversité s’est amoindrie au profit de modèles économiques. « C’est le cas en Chine, où la surconsommation massive fait loi, au Brésil qui détruit sa forêt pour y installer des cultures intensives… En France, l’écologie est virtuelle. Elle ne vaut que pour des plans énergétiques élaborés à des fins économiques. Encore que, dans notre pays, on préserve une certaine nature : les ours sont réintroduits, les loups réapparaissent. Mais globalement, je suis horrifiée par ce que je vois, par les conditions désastreuses réservées à la faune sauvage. » Marie-Claude a passé sa vie avec les animaux, s’est donnée corps et âme à leur cause, au détriment, souvent, Marie-Claude a tissé un lien tout particulier avec les orangs-outans. de sa vie personnelle. « Il y avait des gardes le week-end, on était appelé la nuit, c’était très compliqué à gérer. » Elle a divorcé, avec deux enfants en bas âge. Mais le fait d’être une femme dans ce monde d’hommes ne l’a jamais gênée. « J’ai au contraire joué parfois avec ma féminité, utilisé le côté “faible femme” pour mieux me faire aider. Une fois que l’on est acceptée, respectée pour ses compétences, on peut parfaitement diriger des équipes, même dans ce milieu. » Quand on lui demande comment elle voit la suite de l’histoire (l’heure de la retraite sonnera bientôt), elle répond Biographie Docteur-vétérinaire, professeure et spécialiste d’éthologie au Muséum national d’histoire naturelle, une institution plus que bicentenaire, cette femme au parcours détonant est aussi chroniqueuse animalière sur France 2, dans l’émission, C’est au programme. Elle est également auteure de livres aux titres évocateurs : La Vie rêvée des bêtes – elles ne sont pas ce que vous croyez et Le Dépit du gorille amoureux et autres effets de la passion dans le monde animal. que, paradoxalement, elle ne connaît pas bien la faune française et se retirera dans sa maison des bords de Loire. « Lorsque j’y vais, j’emporte des tas de livres, j’étudie la biodiversité locale, j’associe mes petits-enfants à mes recherches. Ils m’appellent Mamy Mouche ! » Le seul lien qu’elle tient à préserver, c’est la présidence de l’Institut Jane Goodall (1). « Cette femme a été un modèle pour moi, elle est partie seule, dans les années 1970, vivre avec les chimpanzés. » Même retraitée, on est sûr que la Daktari française ne restera pas longtemps loin de nos amies les bêtes ! ✦ 1. Organisation non gouvernementale pour la protection de la biodiversité, l’aide au développement durable et l’éducation à l’environnement des plus jeunes. Elle a été fondée en 2004 par Jane Goodall, primatologue, éthologue et anthropologue britannique, défenseure du monde animal. N o16 ✦ s e p t e m b r e - o c t o b r e 2013 ✽ FemmeMajuscule 75