l`accompagnement a l`entree en fonction

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LA PROFESSIONNALISATION DES ENSEIGNANTS DE L’EDUCATION DE BASE : LES RECRUTEMENTS SANS FORMATION INITIALE
Séminaire international : 11-15 juin 2007
L’accompagnement à l’entrée en fonction - Patrick RAYOU
L’ACCOMPAGNEMENT A L’ENTREE EN FONCTION
Patrick RAYOU
Paris 8. ESSI-ESCOL
Les travaux que je conduis s’intéressent à des enseignants qui ont reçu une formation initiale
et ne s’inscrivent donc pas précisément dans le cadre de ce séminaire. Ils en recoupent cependant la
problématique dans la mesure où ils s’intéressent à un accompagnement après la certification, mis en
place de manière expérimentale dans quelques Iufm (Instituts universitaires de formation des maîtres)
et désormais préconisé par le nouveau cahier des charges de la formation des enseignants.
1. La montée des politiques d'accompagnement
1.1. L’évolution des métiers de l'humain
La montée des politiques d’accompagnement qui sert de toile de fond à ce processus ne
concerne pas les seuls enseignants. Elle s’adresse en effet à ce qu’on appelle aujourd’hui les « métiers
de l’humain », dans lesquels il s’agit, traditionnellement d’agir sur autrui, mais dans un contexte de
« déclin du programme institutionnel » qui ne prescrit plus précisément aux acteurs ce qu’ils doivent
faire pour se comporter conformément à leur statut et à leur rôle (Dubet 2002). De plus en, plus
obligés de puiser dans leurs ressources éthiques pour faire face aux situations complexes qu’ils
rencontrent, ces professionnels ont un besoin plus important qu’auparavant d’une confrontation avec
l’expérience d’autres professionnels qui prend souvent la forme du compagnonnage (Paquet, Altet,
Charlier, Perrenoud, 1996).
1.2. De l’hétérogénéité scolaire à l’expertise professionnelle
Pour les enseignants, cette nécessité s’enracine dans la complexification récente de leurs
missions. Du fait de l’ouverture des segments supérieurs du système éducatif à des élèves issus de
catégories populaires et/ou de l’immigration, leurs tâches sont à la fois plus nombreuses et moins
délimitées. Il s’agit pour eux en effet d’accueillir et de faire réussir la majeure partie d’une classe
d’âge, de la socialiser aux valeurs de la laïcité, de former des citoyens, de dégager une élite, de se
substituer à d’autres institutions, la famille notamment, qui peinent désormais à prescrire normes et
valeurs. L’enseignant est de plus en plus sommé d’être un expert, capable de reproblématiser en
situation des savoirs académiques, mais aussi pédagogiques, didactiques, transversaux qui l’aident à
faire son travail. Le modèle de la transmission, traditionnellement en vigueur dans leur formation, cède
progressivement la place à celui de l’alternance entre situations d’activité et moments de réflexivité
destinés à élaborer des savoirs d’action.
2. Le double écueil de l'alternance
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Bien que consistant, ce modèle de formation par alternance fait l’objet de sévères critiques de la part
des stagiaires qui y sont soumis. Trop souvent en effet les moments de théorie à l’Iufm se juxtaposent
à des moments de pratique sur le terrain sans que soit suffisamment organisée la circulation entre les
deux.
2.1. Formateurs « du haut », formateurs « du bas »
Un des griefs récurrents des formés est que les formateurs de l’Iufm, dégagés d’une partie au
moins de leur activité d’enseignants, voire de la totalité pour certains, ont perdu le contact avec les
réalités du terrain et n’ont plus la légitimité nécessaire pour leur apprendre leur métier. En revanche,
les tuteurs, les conseiller pédagogiques ou les enseignants des établissements de stage, crédibles parce
qu’on peut les voir agir au quotidien avec les élèves, sont pour eux les « vrais » formateurs même s’ils
n’en ont pas les attributs institutionnels. Les terrains de formation et d’exercice sont aussi des
territoires propices à des conflits de légitimité.
2.2. Savoirs « du haut » et savoirs « du bas »
De la même manière, les savoirs dispensés par ces deux groupes d’acteurs n’ont pas, selon
eux, la même valeur. Les premiers continuent à apporter des savoirs académiques semblables à ceux
qui étaient nécessaires pour réussir le concours de recrutement mais qui ne suffisent pas à assurer une
« gestion de classe » efficace. Lorsqu’ils dispensent des savoirs professionnels, le degré de généralité
et d’abstraction de ces derniers leur semble trop grand, trop éloigné des contraintes auxquelles sont
particulièrement confrontés les jeunes enseignants souvent voués aux établissements les plus difficiles.
Les seconds, en revanche, acceptant davantage de transmettre des recettes, les « ficelles du métier »,
sont plus proches de leurs préoccupations.
3.Le projet d’« Entrée dans le métier »
3.1. Une philosophie
L’Iufm de Créteil a été expérimental pour une poursuite de formation des néo-titulaires
pendant l’année qui suit leur certification. Un de nos constats était que les résistances des stagiaires à
la formation venaient de ce qu’ils s’estimaient infantilisés par celle-ci. Recrutés après l’obtention d’un
concours sélectif, ils admettent mal en effet de redevenir élèves pendant la formation dite
professionnelle. C’est pourquoi l’année qui suit leur titularisation paraît particulièrement propice à
l’apport de savoirs qui aident à enseigner. Débarrassés de l’hypothèque de l’examen terminal, ils
acceptent davantage d’échanger avec des formateurs qui ne seront plus des évaluateurs.
Il nous a semblé également que, lorsque nous leur permettions d’observer des enseignants
« chevronnés », le résultat pouvait être contraire à nos attentes : ils peuvent se convaincre qu’ils ne
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seront jamais les professeurs « modèles » qu’on leur donne à voir, dont ils pensent parfois qu’ils ont
un « don » pédagogique qui leur fait à eux-mêmes défaut.
Nous avons tenté de faire de cette année de formation prolongée un accompagnement au plus
près des jeunes collègues (souvent dans leur établissement ou dans des établissements proches), en
développant notamment des modalités de formation entre pairs suivies à distance par l’Iufm. Avec des
différences très sensibles par rapport aux expériences relatées par nombre de participants à ce
séminaire, il s’agissait cependant de s’appuyer sur les compétences des jeunes enseignants au lieu de
prétendre les créer de toutes pièces, de renoncer à la figure d’experts tous puissants pour développer
chez des capacités d’expertise.
3.2. Un dispositif
Le dispositif “Entrée dans le métier” a été co-piloté par le Rectorat et IUFM de Créteil. Il a
permis à des néo-titulaires de bénéficier de 2 heures d’aménagement de service consacrées à participer
à des regroupements locaux animés par un coordonnateur de site. La formation proposait un module
disciplinaire obligatoire, une formation choisie dans le plan académique de formation continue et un
module optionnel d’analyse de pratique ou d’observation auquel il vient d’être fait allusion.
Ce dispositif expérimental a été accompagné par une recherche destinée à tester les hypothèses
faites sur ce genre d’accompagnement et à créer, avec les formateurs régulièrement réunis en
séminaire, des outils d’analyse des situations créées afin des les moduler et, éventuellement, de les
mobiliser dans des situations de formation plus ordinaires (Gelin, Rayou et Ria 2007).
Il nous a semblé que cette façon de redéfinir les modalités institutionnelles de la formation
faisait apparaître quelques « bougés » dans le rapport qu’entretenaient avec elle, l’année précédente,
les jeunes enseignants.
3.3. Des « bougés »
Un premier changement de regard concerne la temporalité et les lieux de la formation. Ce
dispositif rompt en effet partiellement avec la conception, classique en France, selon laquelle les
années de formation doivent, le plus rapidement possible donner à ceux auxquels elle s’adresse, le
viatique suffisant pour toute une carrière. C’est ce sentiment de l’urgence qui concourt à faire de la
deuxième année d’Iufm une année généralement vécue comme « infaisable » tant pour les formateurs
que pour les formés. « Entrer dans le métier » voudrait ainsi induire un processus spiralaire qui fait
qu’il n’y a aucune raison de cesser de se former à partir du moment où on fait soi-même profession de
former les autres. De la même manière, les tensions entre le centre formateur et la périphérie des
terrains de stage ou de prise du premier emploi a paru s’apaiser. Les néo-titulaires prennent l’habitude
de regarder leur établissement comme un site de formation où viennent les formateurs, au lieu d’être
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un lieu d’exercice qu’ils doivent se quitter pour se former dans un institut qu’ils ne parviennent pas à
habiter.
Un deuxième changement concerne leur statut. Lorsqu’ils sont placés, en particulier, en
situation de co-observation entre pairs, les néo-titulaires sont plus enclins à admettre et à formuler des
critiques qui leur paraissent constructives parce que tournées vers l’amélioration de la pratique et pas
susceptibles d’alourdir le dossier de leur évaluation terminale. Nous avons vu de jeunes praticiens
accepter de leurs pairs des remarques et des conseils, souvent fondés, qu’ils n’auraient
vraisemblablement pas admis de la part de formateurs ou d’inspecteurs. La situation institutionnelle
ainsi créée tendait à en faire des professionnels acceptant des critiques de leurs gestes qu’ils ne
prenaient pas nécessairement pour des critiques de leurs personnes.
Le troisième « bougé » remarquable concerne la manière différente de regarder les disciplines
d’enseignement de leurs autres collègues et, par conséquent, la leur. Ils pouvaient en effet aller voir
leurs propres élèves dans d’autres disciplines ou d’autres élèves dans la leur et effectuer ainsi des
variations qui prenaient en compte les exigences de chaque matière ainsi que les styles pédagogiques.
Cette expérience assez rare en formation a, de leur propre aveu, suscité chez nombre d’entre eux des
réflexions et des proses de conscience sur ce qu’il y a de générique et de spécifique dans l’acte
d’enseigner.
Ces manières nouvelles d’accompagner les néo-titulaires sont, nous le supposons de nature à
créer du « genre professionnel » chez les enseignants, grâce
des controverses sur le métier qui
nécessitent des échanges authentiques au sein d’un collectif de travail (Clot 2007).
3.4. Un nouveau regard professionnel
La pratique ordinaire de la classe rend difficile la perception de phénomènes qui la structurent
cependant et dont la typicalité (et donc la possibilité de mieux les maîtriser) apparaît mieux grâce aux
regards croisés qu’autorise l’accompagnement par les pairs dans la co-observation. Nous avons dégagé
trois types de regards qui, du plus spécifique au plus générique, utilisent la présence réelle ou
intériorisée d’autrui pour percevoir des difficultés récurrentes de l’exercice professionnel et esquisser
des solutions.
Le premier, que nous nommons « Avec mes yeux », consiste dans l’assimilation d’un geste
observé chez l'autre en fonction d'une préoccupation antérieure à la co-observation. Blandine emprunte
ainsi à Nadia sa manière d’enrôler les élèves par la voix. Elle trouve en effet que sa façon de verbaliser
ce qu’elle fait ou va faire permet de tendre au long du cours un fil rouge qu’elle même peine à tisser.
L’observation immédiate de gestes visiblement efficaces rend plausible l’assimilation de ce geste. Elle
produit un effet semblable à celui que peut procurer l'observation d'un enseignant chevronné, mais qui
se trouve facilité par la proximité sans se réduire à la complicité. Les risques inhérents à une telle
formation sont cependant réels car une confrontation à d’autres professionnels, à d’autres situations
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serait nécessaire pour opérer la décontextualisation et la recontextualisation inhérentes à la mise à
l’épreuve des techniques pédagogiques.
Le second, « Entre quatre yeux », permet de voir et de se voir par les yeux de l'autre et
d’accepter que cela change son activité et interroge sa propre identité. Fabien suggère ainsi à Nadia de
ne pas interroger un élève qui a réussi le devoir dont on fait la correction : cela n'apporte ni à lui-même
ni aux autres même si, grâce à cela, le cours avance apparemment plus vite. Cette remarque donne
lieu à une confrontation des points de vue qui dépasse généralement la complaisance sans pour autant
aller jusqu’à l’affrontement. Le changement de regard sur soi est facilité par la proximité entre pairs,
les expériences communes, l'introduction du point de vue des élèves. Il aide à proposer d'autres
possibles, à accepter ou refuser la modification ou la conversion suggérées. Mais il ne prémunit pas
des possibles humiliations, des risques de préservation de la face et de conservatisme. Il peut susciter
des stratégies d'évitement, des dénis correspondant à ce qui s'observe dans des situations de conseil
pédagogique classique. Il peut aussi mettre en cause la norme professionnelle collective.
Le troisième, « Avec quatre yeux », permet de voir encore plus loin, plus large, plus générique
sur des préoccupations que l'on découvre communes. Avec lui, Flavie et Blandine s'autorisent par
exemple à s'affranchir de la norme du "warming up" diffusée par l’inspection pédagogique de leur
discipline, qui recommande une sorte de « tour de chauffe » des élèves à partir d’échanges verbaux
banals liés à la vie dans la classe. Ces deux néo-titulaires tombent d’accord sur le caractère inadapté de
cette préconisation aux types d’élèves agités de leur collège et décident qu’elles peuvent s’autoriser à
ne pas la suivre. Elles identifient ainsi des "points noirs" de la pratique comme typiques et pas
seulement liés à leur style pédagogique. Elles envisagent qu'ils puissent être traités par des gestes
professionnels et s’adressent ainsi, par-delà le contexte d’exercice, à un « sur-destinataire »,
l’enseignant « lambda » virtuellement concerné par ce type de réévaluation, en situation, de la
formation reçue. Cette élaboration d'habitus professionnels de controverse peut, elle aussi, prêter à des
dérives comme la ré-assurance entre pairs, la construction de "solipsismes collectifs" ou de ruptures
intergénérationnelles.
Conclusion
Cette recherche se poursuit, notamment auprès des tout nouveaux « professeurs référents » des
réseaux Ambition Réussite par lesquels a récemment été reconfiguré en France1 l’enseignement dans
les zones d’éducation prioritaire. Ce dispositif prend acte en effet de la nécessité accrue
d’accompagner les élèves aussi bien que les jeunes enseignants dans des parcours devenus
problématiques pour les uns et pour les autres (Rayou et van Zanten 2004). Dans tous ces cas, ces
nouveaux formateurs sont amenés à prendre en compte, plus qu’auparavant, les acquis comme les
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Journal Officiel du 28/12/2006
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lacunes de ceux auxquels ils s’adressent. La conception de la formation initiale comme continue des
enseignants peut bénéficier de ces expériences pour mettre en place des types d’accompagnement à la
fois exigeants et respectueux des caractéristiques des formés. Toute extrapolation hâtive en manière
éducative est à proscrire, mais gageons qu’il y a, dans ces évolutions, des aspects mobilisables dans les
contextes que connaissent les participants à ce séminaire. Réciproquement, la manière dont ceux-ci
s’appuient sur les connaissances et compétences de ceux qu’ils recrutent comme enseignants sans
avoir pu leur donner une formation initiale peut nous aider nous-mêmes à nous intéresser davantage à
la réception, par les stagiaires, de savoirs dont la cohérence et la pertinence académiques ne
garantissent pas qu’ils seront mobilisés. Une rencontre comme celle d’aujourd’hui devrait également
faire réfléchir sur le fait que, malgré les différences des contextes éducatifs des pays représentés,
quelque chose comme un air du temps, propagé par les phénomènes de mondialisation, pénètre tous
les systèmes scolaires et nous appelle à mutualiser davantage nos analyses.
•
Bibliographie
Clot Y. « De l’analyse des pratiques au développement des métiers », Education et didactique, n°1,
vol 1, 2007. P. 83-93.
Dubet F., Le déclin de l’institution, Paris: Seuil, 2002.
Gelin D., Rayou P., Ria L., Devenir enseignant. Parcours et formation., Paris : Armand Colin « 128 »,
2007.
Paquet L., Altet M., Charlier É. et Perrenoud Ph., Former des enseignants professionnels.
Bruxelles-Paris : De Boeck, 1996
Rayou P. et van Zanten A. Enquête sur les nouveaux enseignants. Changeront-ils l’école ?, Paris :
Bayard 2004.
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