3 questions à - Tendance Droit

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3 questions à - Tendance Droit
INFORMATIONS PROFESSIONNELLES
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COMMISSAIRE DE JUSTICE
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« Avec l’ordonnance “Commissaire de justice”, la profession préserve son héritage historique et se projette dans le 21e siècle »
3 questions à Patrick Sannino, président de la Chambre nationale
des huissiers de justice
Le 2 juin dernier paraissait l’ordonnance n° 2016-728 relative au statut de commissaire de justice, qui regroupera, au
1er juillet 2022, les huissiers de justice et les commissaires-priseurs judiciaires.
À l’occasion des 32e Journées de Paris, organisées les 8 et 9 décembre par la Chambre nationale des huissiers de justice
à l’hôtel The Westin autour du thème « Innovation et Mutation », P. Sannino, son président, nous présente le travail de
mise en place progressive de cette nouvelle profession (V. ég. Procédures 2016, entretien 1).
Comment se dessine l’avenir
de la profession ?
Il est intimement lié à l’application
de la loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, dont le volet « commissaire de justice » (L. n° 2015-990,
6 août 2015, art. 61) est bien sûr
l’un des éléments les plus importants pour nous, mais pas le seul.
Au début du processus lancé le
10 juillet 2014 par la conférence
de presse d’Arnaud Montebourg,
la profession d’huissier de justice
était fortement menacée dans
son existence même (JCP G 2014,
act. 1002 ; act. 1167). Nous avons
su faire valoir les principes qui
fondent notre utilité sociale et juridique et réussi, au fil des mois,
à éviter les dangers les plus mortifères (extension de compétence
au niveau national, financiarisation des études, suppression de
la signification, liberté d’installation totale). Aujourd’hui, nous
sommes engagés dans la mise en
œuvre concrète de la réforme, qui
a intéressé plusieurs points essentiels de notre activité (tarif, structures d’exercice, compétence territoriale, modalités d’installation).
Tout cela pour dire que les bouleversements apportés par cette
loi sont nombreux et profonds. Je
citerai un seul exemple : l’extension à la cour d’appel, à partir du
1er janvier 2017, de la compétence
des études pour l’exercice des activités monopolistiques (L. n° 2015990, art. 54 ; Ord. n° 45-2592, art. 3,
al. 1er, mod.).
Dans ce contexte difficile, l’ordonnance relative au statut du commissaire de justice (Ord. n° 2016728, 2 juin 2016 : JO 3 juin 2016 ;
Act. proc. coll. 2016, n° 13, repère
176 ; JCP G 2016, p. 1108) est la
preuve que les huissiers de justice
ont su préserver leur héritage historique, mais également se projeter dans le 21e siècle, dans un
projet d’avenir, celui du rapprochement avec les commissairespriseurs judiciaires dans notre
nouvelle profession.
Le projet « commissaire de justice » est, comme le législateur
l’a voulu, un projet en devenir,
qui passera par des phases successives. Pourtant, au-delà de ces
étapes, dont il ne faut pas sousestimer l’importance, l’objectif est
clair : les nouveaux commissaires
de justice seront des officiers publics et ministériels (et c’est une
bonne nouvelle, à une époque
où pourtant on disait ce statut
condamné à disparaître) qui réuniront les meilleures compétences
de ces deux professions. Leurs
compétences seront particulièrement larges, qu’il s’agisse des
activités réservées ou exercées
concurremment avec d’autres professions. N’oublions pas non plus
que la nouvelle profession permet
de consolider le rôle des professionnels de l’exécution dans l’espace européen, à un moment où
le vent de la dérégulation n’a pas
cessé de souffler.
Alors comment résumer l’avenir de
la nouvelle profession par rapport
à l’ordonnance ? Je dirais qu’elle
sera une profession d’excellence,
polyvalente, proche du monde
économique et inscrite dans la digitalisation des métiers du droit.
Que prévoit l’ordonnance
en matière de formation
des futurs commissaires de
justice ?
C’est un point très important de
LA SEMAINE JURIDIQUE - ÉDITION GÉNÉRALE - N° 49 - 5 DÉCEMBRE 2016
la réforme. La formation est envisagée sous deux aspects.
D’une part, la formation des professionnels en exercice afin qu’ils
deviennent « qualifiés commissaires de justice ». Cette obligation
de formation devra être accomplie avant 2026, mais pour des raisons évidentes liées à la possibilité
d’exercer la totalité des missions
de la nouvelle profession, elle se
mettra en place beaucoup plus rapidement, dès 2017. Nous travaillons d’ailleurs d’ores et déjà avec
la Chambre nationale des commissaires-priseurs judiciaires sur
un projet que nous souhaitons partagé entre nos deux professions.
D’autre part, nous n’oublions pas
la formation initiale. C’est un chantier essentiel et assez impressionnant, car il s’agit d’imaginer une
nouvelle formation qui devra
permettre à la première promotion des commissaires de justice
d’être prête au second semestre
de 2022. Il s’agit d’un processus
très complexe, mais exaltant car
il s’agira de concevoir un nouveau
parcours pédagogique qui permettra aux commissaires de justice d’assurer la totalité des missions aujourd’hui mises en œuvre
par les huissiers et les commissaires-priseurs judiciaires.
Ce sera un passage essentiel de la
réforme auquel nous sommes particulièrement attachés, car il s’agira concrètement de construire la
profession de demain.
À l’aube de leur mue en
commissaires de justice, quel
message souhaitez-vous
adresser à vos confrères ?
Le message est évidemment optimiste, sans sous-estimer les défis très complexes qui nous at-
tendent. La Chambre nationale
reste mobilisée pour accompagner cette réforme auprès de tous
les huissiers de justice, dont nous
partageons les inquiétudes. C’est
d’ailleurs la raison pour laquelle
nous avons souhaité consacrer les
32es journées de Paris au thème
« Innovation et Mutation ».
Nous sommes totalement entrés
dans une période de mutation,
car jamais par le passé les professions réglementées n’avaient dû
autant se remettre en question.
Les enjeux dépassent d’ailleurs
la loi « Croissance et activité » : je
pense à l’évolution de l’organisation territoriale, à la dérégulation
internationale et européenne, à
l’impact des nouvelles technologies. Nous devons affronter les
conséquences de ces évolutions,
lourdes : l’aménagement du territoire, les évolutions des structures
d’exercice, le numérique.
Mais muter ne veut évidemment
pas dire disparaître ou subir passivement les évolutions. Bien au
contraire. Nous sommes une profession qui a placé l’innovation au
cœur de son action (JCP G 2015,
prat. 1375). Je pense bien sûr au
numérique, mais pas simplement.
Innover signifie regarder avec optimisme l’avenir, sans sous-estimer
les difficultés, mais en essayant de
les comprendre pour les surmonter, et les transformer en atouts.
C’est en ce sens que la création
d’une nouvelle profession est une
marque évidente de cette volonté
d’innovation que nous souhaitons
permanente.
Propos recueillis par MarieGabrielle Condamy, éditeur,
JurisClasseur Encyclopédie des
huissiers de justice
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