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Séninaire international sur la gestion de la transition en République démocratique du Congo
Expériences africaines du recours à la Commission Vérité et réconciliation
Leçon à tirer pour la République Démocratique du Congo
Monsieur le Professeur Dr. Philippe Biyoya Makutu
1.
Introduction
La gestion de l’après guerre d’agression en RDC en termes de paix exigera certainement des autorités
de la transition un réel sens de justice et surtout une vraie capacité de panser toutes sortes de
blessures et de plaies dûes aux affres d’un tel contexte. L’idée de mettre en place une Commission
Vérité Réconciliation procéderait de cette nécessité.
La nature particulièrement délicate d’une telle entreprise oblige à regarder, en les repensant, les
expériences des autres peuples et des autres nations africaines ayant fait pareillement à la RDC
l’expérience de la désintégration nationale.
2.
Expériences africaines de réconciliation nationale
La question de la réconciliation nationale occupe une place de choix dans les politiques de
reconstruction ou de construction nationale post-indépendance. Une demie douzaine d’Etats africains
ont fait la douloureuse expérience de la désintégration nationale du fait des guerres civiles dues aux
frustrations, aux haines, aux ségrégations raciales ou encore à l’injustice et à l’arbitraire.
La grande fédération du Nigeria connut très tôt la vague de déstabilisation politique qui aboutit à une
guerre civile de trois ans entre le Biafra et le reste du Nigeria ; le Cameroun, le Tchad, la République
Sud-africaine et récemment la Côte d’Ivoire, l’Angola, la Somalie, le Congo Brazzaville ont tous
expérimenté les affres de la guerre civile. Celle-ci serait la preuve institutionnelle de l’endommagement
du tissu social relationnel.
Dans certains des cas, le gouvernement central était en bute à un ou plusieurs groupes de populations
se considérant comme les victimes de l’arbitraire et/ou de la domination d’un autre groupe contrôlant
le pouvoir d’Etat. Les Ibos du Nigeria qui pesaient pourtant très lourd dans la balance nationale au
point de vue économique et militaire furent cependant l’objet de discriminations, de persécutions et de
massacres.
Alors que la révolte des nigérians orientaux, les Ibos, passait aux yeux du Gouvernement pour une
rébellion ou encore une sécession qu’il fallait mâter à tout prix, le Président- Poète Léopold Sédar
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Senghor, l’immortel, eut ce sage propos : « une nation ne se forme plus à coups de canons ni de
bombes. La seule conquête qui soit efficace ici, est celle des cœurs… la reconquête militaire du Biafra
ne pourrait, à elle seule, résoudre le problème de la restauration du Nigeria « comme nation »1 Tout
au contraire, la nation est une commune volonté de vie commune. Et la guerre est un rapport entre les
nations au service d’une politique de paix.
Et comme pour le paraphraser, Abibakar Tawafa balewa, ancien Premier Ministre du Nigeria déclara :
« l’avenir de ce vaste pays, le Nigeria, dépend essentiellement des efforts que nous accomplirons pour
nous aider nous-mêmes ».2
Nous aider nous même à résoudre nos problèmes et nos conflits, c’est le conseil que donne la
technique de la Réconciliation Nationale.
Au Cameroun où le Nord et le Sud ont été éprouvés par les relents séparatistes et autonomistes, la
Fédération de la République Unie du Cameroun l’aura été au prix des efforts en vue d’un autre avenir
de paix. Au Tchad où le Nord infiniment minoritaire imposait sa domination au Sud majoritaire et
chrétien dans un contexte caractérisé par l’expansionnisme islamiste et hégémonique libyen, les
tchadiens apprirent à travers réunions et conférences jusqu’à la Conférence Nationale, le prix à payer
de l’unité Nationale par la vertu du dialogue.
Plus près de nous, l’Angola était partitionné autour d’une guerre civile aux motivations politico
idéologico tribales ou ethniques. La mort par balles de Jonas Savimbi a permis de mettre fin à la guerre
civile. Il reste à présent à faire revivre la nation angolaise par la restauration de la fraternité angolo
angolaise. L’expérience angolaise est en train de prendre date la réconciliation des frères ennemis étant
devenue plus qu’une réalité. En Somalie, au Soudan, au Rwanda et au Burundi, l’impasse prendrait le
dessus dans certains cas.
Car, partout où la logique de paix priorise le canon et les bombes, les Etats s’effondrent et les nations
disparaissent. Et partout où la réconciliation est conditionnée à l’exigence de la justice ou à
l’expérience de règlements des comptes, l’option est à la guerre et à désintégration.
La République Sud-africaine, nation émergente en Afrique, est passée à deux doigts de l’effondrement
et du chaos tellement sa gouvernance avait été ethnicisée. La ségrégation raciale était plus qu’une
bombe où un volcan en activité. La Commission vérité et réconciliation aurait servi à cet effet
d’exorcisme collectif. Les haines, les mépris, les massacres, la lutte armée, les persécutions faisaient
de la République SudAfricaine une nation sans âme.
Cette expérience Sud-Africaine serait la première du genre en tant que modalité institutionnelle de
consolidation de la paix. L’Apartheid avait été aboli, Mandela le martyr de la ségrégation et des
persécutions des noirs avait été libéré, la lutte armée avait été désamorcée et l’ANC avait gagné les
1
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Lire Raph Uwechue, L’avenir du Biafra, une solution nigériane, Jeune Afrique édition, 1969, p.146.
Ibidem
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premières élections démocratiques et transparentes. Mandela et la majorité noire étaient au pouvoir et
avaient le devoir de sécuriser et de protéger la nation. La gouvernance de Madiba Nelson Mandela
avait pour principal défi de se montrer capable, de se hausser au niveau national, car autrement englué
dans les querelles du clocher du particularisme culturel ou des volontés revanchardes, une telle
incapacité aurait brisé l’unité nationale et ouvert la porte à la guerre civile, et à la ruine du pays.
L’aspiration à la paix avait besoin d’une réflexion profonde sur le remède. Et comme l’écrivait Raph
Uwechue3, « pour déboucher sur une paix stable et durable, il faudrait que le gâchis dont nous faisons
l’expérience ne laisse ni vainqueur ni vaincu. Qu’il laisse au contraire l’unique souvenir d’une
douloureuse épreuve de force, fondamentalement inévitable, d’une explosion jaillie de plusieurs années
d’affrontement entre des intérêts opposés bien que non intrinsèquement incompatibles ».
L’expérience du Forum ivoirien de la réconciliation limitée aux principaux leaders politiques du pays est
une version réduite de la Commission vérité et Réconciliation Sud-africaine. Elle aura eu l’inconvénient
et la limite d’un exercice forcé, peu sincère puisque participant de la politique spectacle du simple jeu
de relations publiques. La crise actuelle de la Côte d’Ivoire partitionnée ainsi que la difficulté de mise
en œuvre des accords de Marcoussis (France) au sujet de la formation d’un Gouvernement de
réconciliation nationale en seraient une meilleure illustration.
Ces quelques détails nous introduisent au cœur de la question de notre Séminaire atelier, qui est de
savoir à quelles conditions la réussite en RDC d’une Commission Vérité et Réconciliation est elle
possible.
3.
Leçons pour la Commission Vérité Réconciliation en RDC
L’initiative congolaise de réconciliation institutionnelle ne peut à ce jour se ressourcer que dans
l’expérience Sud-africaine post-apartheid. C’est pourquoi, il importe de rappeler ses quelques
caractéristiques saillantes.
Il faudra peut être rappeler ici que l’expérience sud-africaine avait pour idée de base de tirer profit du
pouvoir de guérison du pardon de la vérité pour cicatriser les plaies du passé. Le pardon avait pour
signification dans cet exercice le refus de la haine, le désir de ne pas confondre la perte subie et la
punition qu’elle paraît devoir entraîner.
Conscients de la force de l’excuse, lorsque celle-ci est sincère, et sûr, du rôle crucial qu’elle peut jouer
dans la cicatrisation des blessures affectives et dans la réparation du tissu relationnel, l’exorcisme
collectif sud-africain avait la réconciliation pour objectif ultime. Il ne suffisait pas de résoudre le
problème à l’origine de la querelle : la confiscation du pouvoir à la majorité noire ; il fallait, plus et
encore, reconstruire le tissu communautaire, cette précieuse trame dont tout dépend.
L’institution de la Commission Vérité et Réconciliation en Afrique du Sud post-apartheid est donc à
situer dans le cadre de la politique de construction nationale4 qui vit l’ANC entrer en pourparlers
3
4
ibidem, p61
Dans la recherche de meilleurs moyens de résolution du conflit sud africain d’abord racial et puis ethnique avec les
violences de Inkata des Zoulous, l’ANC a eu à approcher ce parti ethnique pour construire la paix et la consolider.
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politiques avec Inkata de Butrelezi. Le Président Mandela mit en place une Commission Vérité et
Réconciliation avec pour principales missions5 :
1)
2)
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de recueillir les témoignages ;
d’enquêter sur les crimes de l’Apartheid ;
d’accorder l’amnistie aux coupables qui reconnaîtraient avoir participé ; aux atrocités ;
de faire des recommandations pour le dédommagement des victimes.
Dans cette affaire, le Président Mandela agissait comme le raccommodeur, le réparateur du tissu
relationnel endommagé car un conflit ne peut être considéré comme pleinement résolu, dit-on, aussi
longtemps que le tissu relationnel endommagé n’a pas été réparé.
Comme on doit l’avoir remarqué, peut être, l’institution de la Commission Vérité et Réconciliation en
Afrique du sud au même titre que les efforts de paix des Nigérians, des Tchadiens ou encore des
Camerounais, tenait son succès de son insertion dans la logique de la résolution non pas par la
négociation mais par le dialogue.
Celui-ci (dialogue), contrairement à la médiation et à la négociation, n’a pas pour but la recherche d’un
compromis ou l’imposition d’une norme mais plutôt la restauration de la fraternité.6
Le dialogue en tant que technique de résolution des conflits a pour but de créer des nouvelles
capacités politiques et humaines de résolution des problèmes. Par résolution des problèmes, il faut
entendre une situation dans laquelle tous les intéressés- si respectables ou si déviants, si meurtriers
ou si humains, si forts ou si peu intéressés, si puissants ou si faibles soient ils, nouent des relations,
qui, aussi étroites ou distendues soient elles, sont par essence sans peur ni faveur et en plaine
connaissance de la situation et de ses caractéristiques structurelles, acceptables pour tous, selon leurs
préférences personnelles.7 Ces liens doivent traduire une connaissance parfaite de la situation de
manière à éviter le danger d’une violence structurelle qui ferait des esclaves heureux de leur sort.
Le dialogue ne concerne pas des partenaires en quête de satisfaction d’intérêts matériels immédiats
ou à court terme mais ceux qui refusent de voir continuer la destruction du tissu relationnel ou de la
régression de leur nation, ceux qui veulent modifier la fraternité en empruntant des voies qui créent de
nouvelles surfaces de collaboration et de respect mutuels.8
Ce qui suppose une autre approche de la paix autre que la traditionnelle « qui veut la paix prépare la
guerre », l’objectif étant la construction de la confiance et de la sécurité mutuelles.
5
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8
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Lire William, URY, Comment négocier la paix. Du conflit à la Coopération chez soi, au travail et dans le monde,
Nouveaux horizons, 1999, p161.
Ibidem.
AJR.GROOM , Pas de compromis. La résolution de problèmes dans une perspective théorique in ; L’étude des
Conflits internationaux, Revue Internationale des Sciences Sociales, n°127, p83
Harold H. Saunders, A public peace process, sustained dialogue to transform racial and ethic conflicts, New-York,
p81.
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Appliquée à la situation qui prévalait en RSA sous le régime de l’Apartheid, le succès de la Commission
Vérité et Réconciliation tenait à ce que tous les sud –africains pouvaient avoir en commun : leur
croyance en Dieu et en son intervention dans le gestion de la cité. En effet, l’apartheid comme la lutte
armée des uns et des autres se ressourçaient dans la foi chrétienne.
Cette identification chrétienne permit à Mandela et à Dekclerc de travailler ensemble à transformer le
conflit en coopération. Par ailleurs, l’Afrique du Sud était une nation construite, développée et
relativement prospère pour les noirs et pour les blancs. Et comme celle-ci courait le risque d’être
détruite par la haine raciale, personne ne le voulut. Le pouvoir noir avait besoin de gouverner la nation
sud-africaine et non les bantoustans. Il fallait que les noirs autrefois victimes de la ségrégation raciale
prouvent au monde qu’ils étaient capables de conserver et développer l’Afrique du Sud.
L’enjeu dans ce cas était sociétaire et non personnel ou encore étatique. C’est la société sud-africaine
et sa permanence qui constituaient le principal enjeu de la procédure de réconciliation.
Cette démarche sud-africaine serait somme toute d’une autre nature que celle que voudront
expérimenter les Congolais.
L’intention congolaise d’une Commission Vérité et Réconciliation ne semble pas le fait d’un impératif
de gouvernement et ne jouit pas du bénéfice d’un raccommodeur. Car, c’est la Commission elle-même
qui servirait de réparateur, Commission où le critère de participation pourrait être la compétence
normative, la représentation ou équilibre régional, et non la technique de résolution des conflits. Or,
nous l’avons dit plus ci haut, la résolution des problèmes procède d’un réalisme empirique. Ce qui est
particulier en RDC c’est que personne ne s’engagerait à ouvrir le parapluie et à le maintenir ouvert sur
tous les congolais. L’expérience congolaise souffre de l’absence d’un raccommodeur. La Commission
Vérité et Réconciliation en RDC serait en plus l’œuvre d’un gouvernement de transition.
Par ailleurs, la conception de la paix congolaise manquerait d’un corps de doctrine. La paix congolaise
ne bénéficie pas d’une doctrine qui éclaire et soutienne la démarche ou les procédures. Celle-ci
pourrait être énoncée en termes de solidarité compassionnelle. Solidaires avec nos frères ennemis face
à l’agression, mais compatissants quant aux responsabilités civiles ou pénales.
La résolution du DIC (Dialogue Inter congolais de Sun City) qui recommande d’instituer une
Commission Vérité et Réconciliation lie la réconciliation nationale à l’instauration d’un nouvel ordre
politique en RDC, en même temps qu’elle est ressentie comme la nécessité de tourner la page sombre
de notre histoire, et que le peuple congolais longtemps privé de justice réclamerait l’institution d’un
tribunal pénal international pour juger les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité et autres
violations massives des droits de la personne. Si un tribunal pénal international sur la RDC était créée,
on peut bien se demander ce qui resterait comme compétence de la Commission Vérité et
Réconciliation, et à quoi celle-ci pourrait elle servir encore dès lors que tous rechercheraient la rigueur
de la loi et le triomphe de la justice pénale. Par ici, par là, l’expression congolaise de la paix par la
réconciliation ne se préoccuperait que très peu des exigences de cette technique de résolution des
conflits notamment de la nécessité de créer au préalable un climat favorable au dialogue, de
développer la capacité d’écoute du plaignant en lui montrant qu’il a été entendu, et d’encourager
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l’offenseur à présenter des excuses. Cette disposition d’esprit serait contraire à l’esprit réconciliateur
sud-africain. La Commission vérité et réconciliation « CVR » devrait avoir une compétence générale
sans entrave à la justice qui, elle, devrait attendre le bon moment. La justice en temps normal a pour
but de cimenter la solidarité et la cohésion nationale. Il fut évité d’instrumentaliser la justice aux fins de
la volonté d’exclusion.
Le raccommodage s’occupe à abattre avant tout le mur psychologique de défiance et d’hostilité qui
se dresse parfois entre les parties, infranchissable et plus solide qu’un mur de pierres.
La réconciliation est à l’opposé de la vengeance. La réconciliation exige une véritable pédagogie du
pardon, tâche ardue qui exige une rigoureuse maîtrise de soi, un contrôle permanent de nos instincts
les plus profonds, la capacité de retenir sa langue et le ferme refus de se laisser aller à la bassesse de
sentiments propres à notre époque. Le pardon ne signifie pas l’oubli de l’offense, ni l’absolution.9 Le
pardon pose le problème de type d’homme, de type de peuple ; et de type d’exercice de la
responsabilité aussi bien du gardien que du défenseur de l’humanité de l’homme.
En conclusion, pour qu’elle donne des résultats comparables à ceux de la Commission Sud-africaine,
la Commission vérité et réconciliation Congolaise ne devrait ni se transformer en appareil judiciaire ni
privilégier la logique judiciaire. Elle ferait son travail de raccommodage du tissu social relationnel de
manière à permettre aux juridictions de faire au temps convenable leur travail. La justice est le socle
sur lequel se construisent et se maintiennent la cohésion des personnes et la solidarité nationale. Il faut
d’abord que vive la société pour que la justice s’exerce.
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William URY, Op.Cit ; Lire aussi Mr Louise Diamond &Ambassadeur John McDonald, Multitrack Diplomacy. A system
approach to peace, 1996.
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