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ETUDE SUR LES SEPULTURES MILITAIRES FRANCAISES AU VIETNAM
Vendredi 30 octobre 1987 deux ministres ont accueilli à Roissy 1e 26.700ème (1) cercueil
rapatrié d'Indochine en treize mois. C'est dire l’importance et 1'actualité d'une étude sur les
sépultures militaires françaises au Vietnam.
Replacée dans un cadre juridique daté de 1920 et dans 1e contexte historique d’accords
diplomatiques non exécutés, 1a politique française en ce domaine fait preuve d'une originalité
et d'une continuité dignes d'intérêt.
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La notion de "Mort pour 1a France", entraînant un devoir de reconnaissance de 1a part de
1’Etat, a été définie par 1a loi du 2 juillet 1915. Son premier domaine d'application fut 1a
guerre 1914-1918, sans effet rétroactif antérieur à 1a déclaration de guerre du 2 août 1914.
Le ministère des Anciens Combattants, institué par décret du 17 janvier 1920 sous 1e nom de
ministère des pensions, a reçu mission de veiller à 1a sépulture des morts pour 1a France.
C'est 1ui qui a conçu et conduit 1a politique des nécropoles nationales ; sur les principaux
champs de batai1le, de grands cimetières ont rassemblé 1es combattants tombés pour 1a
défense du sol environnant. Bien que prévue par 1a 1oi, 1a restitution des corps aux fami11es
n'a été demandée que par 30% de celles-ci.
Né de 1a première guerre mondiale, ce régime a été transposé à 1a deuxième. Toutefois, un
plus grand nombre de familles (5O%) ont réclamé 1a restitution des corps, et 1e
gouvernement a décidé 1e rapatriement de tous 1es morts tombés en Allemagne.
.L'ouverture plus grande aux familles - en fait sinon en droit, puisque 1a 1oi 1'a toujours
prévue – s’est accentuée pour les morts d'Extrême Orient. La majorité (80%) des morts
métropolitains identifiés provisoirement inhumés en Indochine ont été ramenés en France et
rendus à leurs proches, soit dans 1'année de leur décès soit au plus tard en 1976.
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Quels morts demeuraient donc en Indochine ?
De toutes 1es époques, des militai.res dont 1es parents avaient agi selon 1a tradition
missionnaire: que reposent en paix dans ce pays qu'ils ont aimé ceux qui ont donné leur vie
pour lui - et, bien sûr, 1es missionnaires.
Puis les catégories suivantes:
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des militaires morts avant 1939, qui auraient souvent mérité 1a mention "mort pour 1a
France" si e11e avait été définie plus tôt, et que leur famille n'avait pas rapatriés à ses
frais,
1es morts des batailles perdues, des territoires évacués à 1a hâte, des camps de
prisonniers, tous ceux que leurs camarades n’avaient pas pu ramener à leur base à dos
d'homme,
1es morts sans fami11e, militaires et civils,
(1) Ce nombre est malheureusement approximatif, car i1 intègre 1es restes de plusieurs
milliers de combattants non identifiés provenant d'ossuaires collectifs.
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1es disparus, qui ont été déc1arés morts à 1a date 1éga1e de cessation des hostilités
(1er octobre 1947 pour 1a deuxième guerre mondiale en Asie, 1er octobre 1957 pour 1e
conflit récent).
Te11e était 1a situation en 1954
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La convention de Genève du 27 juillet 1929 imposait aux belligérants l’organisation d'un
service des sépultures "en vue de rendre possible des exhumations éventuelles et d'assurer
l’identification des cadavres".
Les accords du 20 juillet 1954 à Genève et du 1er février 1955 à Quynh-Khê sur 1a cessation
des hostilités au Vietnam donnaient à chaque armée 1e droit de rechercher 1es corps des
militaires tombés sur 1e territoire cédé à 1a partie adverse ; 1es dépouilles exhumées
pouvaient être rapatriées ou regroupées sur p1ace, aux frais des gouvernements intéressés.
Mais 1'évolution politique a compromis 1'exécution des traités. Hostile au référendum prévu
pour 1956, le Sud-Vietnam a refusé de signer 1'accord de Genève. De ce fait i1 a pu interdire
son territoire aux officiers du Nord-Vietnam qui prétendaient sillonner 1es campagnes en
tenue militaire, pour rechercher 1es tombes vietminh dans chaque village et surtout pour y
diffuser leur propagande.
Par mesure de rétorsion, dénonçant 1a responsabilité de 1a France dans la non-application des
accords au sud,1e Nord-Vietnam a réduit 1a liberté de circulation de 1a mission française au
nord et, pendant un temps (1961-1966), 1ui a même retiré son agrément.
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Dans ce cadre historique, quelles furent les réalisations ?
Au Tonkin, 1e regroupement des morts aboutit à l’installation d'une nécropole provisoire à
Ba-Huyên, près de Bac-Ninh. Les opérations initiales furent conduites par 1a dé1égation
française, qui limitait son action au transfert des morts pour 1a France. A partir de 1961 el1es
furent poursuivies par l'armée 1ocale, qui entreprit 1a mise à 1'écart de tous ceux qu'e11e
considérait comme ses anciens adversaires : Français de métropole et de 1'Union Française
(Indochinois compris), civils et militaires, morts pour 1a France ou non, inhumés dans tous les
cimetières au nord du 17 para1lè1e. Les trois cimetières franco-vietnamiens de Hanoi avaient
été évacués en priorité dès 1960.
Manifestement 1e but était de cantonner 1a présence française, même au stade de la mort,
dans une enclave isolée. La construction, financée par 1a France, d'un édifice qui aurait
protégé des intempéries 1es cercueils déposés à même 1a terre, ne put voir 1e jour. Les morts
indochinois de l’armée française n'auraient pas été autorisés par le pouvoir 1ocal à y suivre
leurs camarades de combat ; 1a France refusa cette ségrégation.
Au Sud-Vietnam, avant son départ, 1'armée française effectua e11e-même 1e regroupement
des morts pour 1a France non réc1amés par leur fami11e. Ainsi fut érigée 1a nécropole
militaire de Tân-Son-Nhut, près de 1'aéroport de Saigon, tandis que subsistaient les cimetières
franco-vietnamiens de Saigon, du Cap Saint Jacques, de Qui-Nhon, de Tourane et de Hué.
En 1983 1es nouvelles autorités locales arguèrent de nécessités d'urbanisme pour supprimer
les deux cimetières franco-vietnamiens de Saigon: 1e cimetière municipal de Massiges et 1e
cimetière des religieux de Lang-Cha-Ca, où 1es missionnaires étaient enterrés autour du
mausolée de Monseigneur Pigneau de Béhaine. Elles exigèrent en outre 1'évacuation des
cimetières de Tân-Son-Nhut et du Cap Saint Jacques.
Paral1è1ement, au nord comme au sud, 1'armée popu1aire, chargée du monopole de
l'entretien des tombes, haussait ses exigences financières d’une année sur l’autre sans jamais
atteindre un résultat satisfaisant.
Le gouvernement français se réso1ut donc à rapatrier tous 1es morts de Tân-Son-Nhut, du
Cap Saint Jacques et de Ba-Huyên, ainsi qu'à étudier 1e retour des militaires des autres
cimetières. Engagés en mars 1981, 1es pourparlers aboutirent à un accord de principe en mai
1984 puis à un accord financier en juillet 1986. Une convention fut signée le 1er août 1986.
Echelonnée s du 1er octobre 1986 au 1er novembre 1987, 1es opérations d'exhumation, de mise
en reliquaire et d'acheminement se sont dérou1ées dans l'honneur et 1a sérénité. Sur place une
commission mixte a contrô1é 1'action du personnel d'exécution vietnamien. Un appareil d'Air
Vietnam a assuré le transfert de Hanoi à Saigon, 1es avions bihebdomadaires d'Air France 1e
trajet Saigon - Paris, des camions militaires le transport de Paris à Fréjus.
Le ministre des Anciens Combattants et le secrétaire d’Etat aux Affaires Etrangères se sont
rendus au Vietnam du 5 au 9 octobre 1986 pour assister au départ du premier convoi de TânSon-Nhut. Le Premier Ministre et le Gouvernement ont salué les dix premiers cercueils à leur
arrivée à Roissy le 10 octobre. Le Président de 1a République a présidé le 11 octobre une
grand'messe et une prise d’armes solennelles aux Invalides en 1'honneur des morts
d’Indochine.
Le 30 octobre 1987, ministre des Anciens Combattants et secrétaire d’Etat aux Affaires
Etrangères sont revenus à Roissy s’incliner devant 1e dernier cercueil du Tonkin.
En 1986 sont rentrés 7640 morts du Sud-Vietnam, en 1987 ce furent 19060 morts du NordVietnam. Une nécropole nationale sera édifiée à Fréjus en 1988 pour 1es accueillir, à
proximité du mémorial des combattants d'Indochine érigé par souscription privée en 1983.
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Si 1a nécropole nationale de Fréjus est destinée à abriter 20.000 combattants de 1'Union
Française morts pour 1a France (métropolitains, 1égionnaires européens, nord-africains,
africains, malgaches et indochinois), un certain nombre de leurs frères d'armes ont été ou
seront rendus à leur famille. 11000 sont rentrés dans les années suivant leur mort, 800 ont été
embarqués par 1a dé1égation française à Hanoi lors du regroupement à Ba-Huyên, 200
rejoindront leurs proches en 1988. Car 1e transfert à Ba-Huyên et le retour en France ont
provoqué 1a réflexion des parents qui souhaitaient pour leur soldat un repos au sein de la
population qu'i1 avait protégée. La situation s'étant modifiée, certains ont demandé 1a
restitution du corps.
Juridiquement, d'ailleurs, 1e déplacement d'un cimetière rouvre 1e droit à restitution si celuici est forclos. Mais, afin de lever toute équivoque à cet égard, 1e Gouvernement va définir,
par un décret prochain, un nouveau dê1ai de dix-huit mois pour 1es restitutions.
Parallèlement, des reconnaissances seront entreprises en 1988 dans les cimetières francovietnamiens qui subsistent au Centre-Vietnam (Hué, Tourane, Qui-Nhon), afin d'étudier le
(1) Ce nombre est malheureusement approximatif, car i1 intègre 1es restes de plusieurs
milliers de combattants non identifiés provenant d'ossuaires collectifs.
rapatriement des militaires qui s'y trouvent encore après le regroupement des morts pour 1a
France à Tân-Son-Nhut en 1955. L'Armée française ayant évacué 1'Annam un an plus tôt que
1a Cochinchine, un retour sur 1es lieux s’impose comme un ultime devoir.
Certains, malheureusement, ne reviendront jamais :1es disparus, dont 1a trace n’est conservée
que par 1a mémoire, et tous ceux qui font maintenant corps avec 1a terre qu’ils ont défendue,
à Diên-Biên-Phu, à An-Khê, ou sur 1aque11e i1s ont souffert atrocement, dans les camps de
déportation. Le Gouvernement a décidé de graver leur nom sur un mur du souvenir à 1a
nécropole de Fréjus.
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"La guerre d’Indochine, ce fut notre guerre" - a dit 1e Cardinal Lustiger dans 1'ég1ise des
Invalides 1e 11 octobre 1986 - "Ce n'était pas 1a victoire qui était d'abord cherchée, mais 1e
triomphe de 1a justice et 1e service véritable des peup1es, tout à l’honneur d’une France
digne de ce nom".
Et 1e même jour, dans1a cour d'honneur des Invalides, 1e Président Mitterrand a conclu ainsi
son discours : "Au nom de 1a République et de 1a Nation française, j’affirme que nos
combattants d'Indochine méritent 1a reconnaissance de 1a Patrie".
Généra1 Guy SIMON
Président National de l’ANAI

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