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BEST PRACTICES REVUES ET CORRIGÉES t L’ABC, méthode pour calculer le coût complet d’une activité informatique Par Christophe Legrenzi, chercheur et consultant international, expert associé de Best Practices Systèmes d’information La fonction informatique entre indubitablement dans sa phase de maturité. En cela, les responsables informatiques ne sont plus attendus uniquement sur le plan de la technicité et de la maîtrise de ce qui est devenu en peu d’années le nouvel outil de production de nos économies modernes, mais aussi sur le plan de la gestion et de la maîtrise des coûts. P our prendre des décisions aussi importantes que l’externalisation, l’amélioration des processus ou encore la refacturation de leurs prestations, les entreprises doivent connaître de manière précise et chiffrée le coût de leurs différents produits et services. Cela nécessite de comprendre comment des coûts traditionnellement considérés comme indirects se répartissent réellement lors des activités de fonctionnement ou d’investissement. Certes, les grands domaines sont connus car ils relèvent souvent d’un centre de responsabilité qui possède son propre budget comme l’exploitation, les services utilisateurs ou encore les études et projets. Ce sont les activités qui sont soit englobées dans un centre de coûts, soit transversales et pas connues comme le coût d’une sauvegarde, d’une installation d’un PC ou encore le coût d’impression. C’est précisément pour répondre à ce type de besoin que les prémices de la méthode ABC ont vu le jour, développées au départ pour le secteur industriel. 1. PRÉSENTATION DE L A BEST PRACTICE L’Activity Based Costing, souvent abrégé en ABC, est un modèle d’analyse des coûts qui consiste à identifier les différentes activités au sein d’une organisation et à assigner les coûts de ces activités aux produits et services. Avec les méthodes comptables traditionnelles, un nombre important de dépenses passent directement dans les coûts indirects. Ces modèles ont montré leurs limites avec l’essor de l’automatisation et la hausse des coûts indirects. En effet, ils ne permettent pas de distinguer les différences de coût de revient réel entre produits. Une carence liée à une utilisation plus ou moins importante des ressources de production. Ainsi, un produit qui consomme plus de ressources humaines de production ou qui utilise plus de temps machine n’est pas forcément identifié avec les comptabilités classiques. L’ABC s’oppose au TCO (Total Cost of Ownership), qui vise à estimer le coût d’un objet (cf. Best Practices Revues et Corrigées sur le TCO à paraître dans un prochain numéro), alors que l’ABC t Best Practices - Systèmes d’Information - N° 71 - cherche à connaître le coût de l’activité. On dira que le TCO appréhende les éléments plus statiques de l’organisation alors que l’ABC touche les aspects plus dynamiques. En cela, les deux méthodes sont parfaitement complémentaires et ne doivent pas être opposées. Bien au contraire, elles doivent être utilisées conjointement. Ce que n’arrivera pas à appréhender le TCO, l’ABC le permettra et vice-versa. Le TCO s’emploie lorsque le montant des coûts fixes est dominant, alors que l’ABC s’utilise lorsque les coûts variables sont plus importants. Le modèle ABC est basé sur la comptabilité mise au point par George J. Staubus pour le secteur industriel américain au cours des années 1970 et 1980 : Activity Costing and Input Output Accouting. En 1986, le Consortium for Advanced Manufacturing International (CAM-I) publie Cost Management in Today’s Advanced Manufacturing Environment: The CAM-I Conceptual Design, posant les premières bases du modèle ABC. Il faut attendre l’ouvrage de Robert S. Kaplan et W. Bruns, Accounting and Management: A Field Study Perspective (1987), pour en voir une première définition claire. C’est pour cela que l’on attribue souvent la paternité de l’ABC à Robert Kaplan qui est aussi avec David Norton à l’origine de la Balanced Scorecard (voir Best Practices n° 40, 15 février 2010). Le modèle ABC a ensuite été décrit plus en détail par Peter F. Drucker, dans son livre Management Challenges of the 21st Century (1999). Ce dernier pointera notamment une distinction de taille entre ABC et les méthodes comptables traditionnelles : là où ces dernières se concentrent sur le coût de faire quelque chose, l’Activity Based Costing prend également en compte le coût de ne pas faire quelque chose, comme le coût lié à l’attente d’une pièce requise. Grâce à tous ces travaux, ABC a pris son essor au cours des années 1990, s’étendant dans d’autres secteurs que l’industrie : le secteur financier et le secteur public s’avèrent particulièrement intéressés par le modèle. Aujourd’hui, on peut citer par exemple le corps des Marines des États-Unis ou la police britannique parmi les utilisateurs du modèle. Pour expliquer ce qu’est ABC, il faut rappeler que les comptabilités reposent fondamentalement sur deux dimensions : 5 septembre 2011 BEST PRACTICES REVUES ET CORRIGÉES t Le centre de responsabilité à l’origine de la dépense. Cela permet de répondre à la question « Qui ? » a généré la dépense. t La nature comptable de la dépense. Il s’agit ici de savoir ce qui a été dépensé et de répondre ainsi à la question du « Quoi ? ». Ainsi lorsqu’une facture arrive, on impute un centre de responsabilité et une nature comptable souvent issue du plan comptable de l’entreprise, lui-même en phase avec le plan comptable national. Ces deux dimensions ont longtemps été suffisantes pour appréhender les coûts de revient. Par exemple, quand une usine fabriquait un produit donné, il suffisait de définir un centre de responsabilité « Production » et d’imputer l’ensemble des dépenses, y compris les salaires, pour connaître à la fin de l’année le coût de l’activité production. En faisant de même pour le « Commercial » et l’ « Administratif », on était en mesure de connaître le coût réel de ces trois activités. Qui plus est, on pouvait détailler les composantes du coût de production par nature de dépenses : les salaires, les machines, les matières premières, l’énergie, etc. En fonction du nombre d’unités du produit fabriquées chaque année, on était capable, en divisant le coût de la production par ce volume, de connaître le coût unitaire d’un produit. En fonction du prix de vente, on identifiait la rentabilité brute. Comme nous l’avons vu, ce modèle a atteint ses limites quand on a commencé à fabriquer différents produits en utilisant les mêmes machines et les mêmes personnes. Sans s’en rendre compte et en diversifiant les productions, on a progressivement perdu la connaissance du coût de revient produit par produit. C’est là que l’ABC intervient en rajoutant fondamentalement une dimension à nos comptabilités traditionnelles : celle de l’activité. Celle-ci permet de prendre en comptele « Pourquoi ? » ou « Pour quoi ? » de la dépense, à ce qui donne un niveau de granularité plus fin que celui que l’on obtient par l’imputation à un centre de responsabilité, tout en pouvantaussi s’avérer transversal. Or, aujourd’hui, en particulier dans les activités tertiaires, peu d’entreprises connaissent le coût de leur secrétariat ou encore du dernier reporting que la direction générale leur a demandé. Tout simplement parce qu’en reprenant ce dernier exemple, chaque chef de département de l’entreprise aura investi quelques heures ou journées de travail pour y répondre mais que personne ne saura au final combien l’opération aura coûté. Ainsi, ce reporting n’aura pas de coût ou un coût faible pour les dirigeants l’ayant demandé. Pourtant, la valeur de ce reporting ne justifie peutêtre pas le coût réellement investi. Mais comment le savoir si 5 septembre 2011 - personne ne le connaît ? C’est bien toute la raison d’être de l’ABC que d’arriver à appréhender les coûts de telles activités. Au lieu d’assigner de manière arbitraire des pourcentages aux coûts, ABC cherche à identifier les relations de cause à effet qui interviennent réellement lors des processus de production, de commercialisation ou d’administration. L’un des prérequis pour sa mise en place est donc de disposer d’une cartographie détaillée et à jour de ses processus. Si l’entreprise n’en possède pas, il faut alors convenir d’une première liste de processus qui représentent l’activité. Cette liste pourra évoluer au cours du temps et être détaillée. La seule difficulté est que si la liste change, il est alors difficile de suivre l’évolution des coûts et d’effectuer des comparaisons pertinentes année après année. L’ABC implique forcément la gestion des temps. Cela signifie que chaque employé devra heure après heure, jour après jour, assigner ses temps de travail sur les activités qui auront été définies au préalable. La différence entre ABC et les méthodes traditionnelles de calcul des coûts est que les sources sont assignées à des inducteurs de ressources et non directement à des produits. On parle en anglais de « cost drivers ». Le « cost driver », ou « inducteur de coûts », est la grandeur qui fait varier proportionnellement le coût. Il peut y en avoir plusieurs pour une activité. De plus, ces inducteurs de ressources sont attribués à des activités, qui sont elles-mêmes allouées à des inducteurs d’activités (événements qui déclenchent l’activité) et finalement aux produits ou aux services. Il s’agit donc d’identifier le coût de chacune des activités de l’entreprise, qu’il s’agisse des activités liées aux processus de production ou aux processus d’organisation et d’administration. 2. REGARD CRITIQUE Le principal intérêt d’une méthode comme ABC est de permettre aux entreprises de mieux estimer le coût individuel réel de chaque produit ou service, afin d’éliminer ceux qui s’avèrent peu profitables et de diminuer le coût de ceux qui sont trop chers. Les organisations peuvent ainsi contrôler et piloter de manière pertinente leurs coûts, fixer les prix en disposant d’une base factuelle précise sur le coût de revient, identifier les dépenses inutiles ou encore mieux allouer leurs ressources pour concentrer les efforts sur les produits profitables. ABC, notamment au travers de son extension ABM (Activity Based Management), permet également de construire un certain nombre d’indicateurs de performance sur les différentes activités de l’entreprise, indicateurs qui peuvent ensuite être utilisés pour évaluer et améliorer les différents processus. N° 71 - Best Practices - Systèmes d’Information t BEST PRACTICES REVUES ET CORRIGÉES Enfin, le modèle permet de rendre plus visible des coûts auparavant considérés comme indirects, en les incluant dans les coûts des produits. La méthode a également ses limites : même avec ABC, il est parfois difficile d’assigner certains coûts globaux ou mutualisés aux différents produits et services, comme le salaire des dirigeants. Ces coûts entrent dans une catégorie à part et ne sont en général pas réassignés. Parmi les autres inconvénients, ABC est généralement considérée comme une méthode relativement coûteuse. Chaque employé doit saisir ses temps de travail. De même, chaque facture qui arrive doit être imputée sur une, voire plusieurs dimensions supplémentaires en fonction des points de vue que l’on recherche. De fait, elle est peu utilisée dans les PME, pour lesquelles des équivalents plus simples se développent, comme le Feature Costing de J.A. Brimson. Année après année, avec la pertinence des informations apportées par la méthode, les managers ont tendance à rajouter des activités à suivre, voire des catégories et points de vue différents. La conséquence est une complexification de la méthode qui fait qu’au-delà d’un certain nombre d’activités, le modèle dégénère. En l’occurrence, le mieux devient l’ennemi du bien. Il faut savoir rester pragmatique et préférer suivre 20 % des activités qui génèrent 80 % des coûts. Car c’est bien dans les 80 % d’activités qui ne représentent que 20% des coûts que l’on va se perdre. Enfin, plus récemment, le succès des méthodes de Lean Management est venu bousculer les tenants d’ABC. En effet, les méthodes comptables basées sur le Lean Management (cf. Best Practices Revues et Corrigées : Le Lean Six Sigma, à paraître dans un prochain numéro) cherchent à optimiser au maximum les coûts en simplifiant les productions, réduisant de ce fait le besoin d’effectuer des allocations complexes. 3. QUE FAIRE ? QUELQUES PISTES DE SOLUTIONS t ressources humaines ; t frais généraux ou frais divers. Nous pouvons aussi raisonner par activité, c’est-à-dire par tâche réalisée. C’est en cela que l’ABC peut s’avérer fort utile. À ce niveau, différentes possibilités s’offrent à nous. Une idée intéressante est de suivre le cycle de vie de l’actif ou du service, de l’acquisition au remplacement, en passant par la maintenance. Nous proposons les sept catégories suivantes : t achat/acquisition ; t adaptation/paramétrage ; t exploitation et administration ; t maintenance ; t assistance ; t formation ; t recyclage. Toujours par activité, nous pouvons adopter ici les processus du référentiel Itil (cf. Best Practices Revues et Corrigées : Itil) qui serait sans doute mieux adapté et que nous recommandons pour commencer. Pour compléter le modèle, il ne manque plus qu’à allouer ses coûts par destination. Cela signifie représenter les coûts par résultat ou finalité. En fait, par destination, on comprend plus communément de répartir ses ressources et activités par : t client, organisation ou département (le bénéficiaire des activités/services) ; t service rendu, proche de la notion projets/activités (problèmes résolus, acquisitions matérielles, nouvelles solutions applicatives mises en œuvre, etc.) ; t activité métier, thème ou grande problématique de l’entreprise (réduction de coûts, innovation, etc.). L’idéal est de combiner les trois dimensions : t par nature, ce qui symbolise la dimension « statique » par type de ressource ; t par activité, ce qui représente la dimension « dynamique » par nature de travaux ; t par destination, ce qui présente la « finalité », voire les « résultats ». Habituellement, on présente ses budgets et ses dépenses par nature, c’est-à-dire selon le type de ressources utilisées. Généralement, on considère pour la fonction informatique les natures/ressources suivantes : t matériels ; t logiciels ; t télécommunications ; t services externes ; Nous sommes là dans une démarche « systémique » : « input » (nature), « process » (activité) et « output » (destination). La méthode ABC peut donc être utilisée de deux manières : en l’institutionnalisant officiellement comme nous l’avons vu ci-dessus, ou ponctuellement, sur un domaine précis, pour appréhender le coût d’une activité en particulier. C’est cette dernière approche que nous recommandons afin de se familiariser avec la méthode. t t 5 septembre 2011 Best Practices - Systèmes d’Information - N° 71 -