Nutrition, vieillissement et os : ostéoporose

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Nutrition, vieillissement et os : ostéoporose
48ème JAND
25 janvier 2008
Nutrition, vieillissement et os : ostéoporose
Véronique COXAM
Equipe Alimentation Squelette Métabolismes, U3MINRA Theix, 63122 Saint Genès-Champanelle
Résumé
En raison de son incidence importante et des coûts engendrés tant sur le plan économique que
social/éthique, l’ostéoporose (affection chronique résultant d’une réduction du contenu minéral de
l’os et d’une altération liée à l’âge de l’architecture trabéculaire qui engendrent une fragilisation du
squelette) constitue un problème majeur de santé publique.
Comme pour les autres expressions de la sénescence, s’il existe indiscutablement un déterminisme
génétique du capital osseux, il est admis que les facteurs environnementaux exercent aussi un
impact non négligeable. Ainsi, la prise de conscience du rôle protecteur exercé par l’alimentation a
vu l’émergence du concept de nutrition préventive selon lequel, compte tenu de son implication dans
l’acquisition du capital osseux et sa conservation ultérieure, il est évident que des recommandations
nutritionnelles adaptées permettraient d’ouvrir la voie d’une véritable prévention, palliant alors
l'inadéquation de la prophylaxie basée sur l’hormonothérapie substitutive et optimiserait toute
thérapeutique médicamenteuse. Ce concept explique que les études écologiques aient ainsi pu
mettre en évidence une disparité géographique de l’incidence des fractures pouvant être corrélée
avec la typologie alimentaire.
En fait, l’os exprime les mêmes besoins nutritionnels que les autres tissus, non seulement au point
de vue énergétique, mais également en terme de macro- et micronutriments. Les bases de la
prévention nutritionnelle de l’ostéoporose reposent donc sur des règles simples d’équilibre et de
diversification alimentaire, qui intègrent, non seulement les produits laitiers, mais également les
autres classes d’aliments. En effet, si la contribution majeure du calcium n’est plus à démontrer (le
squelette est effectivement caractérisé par sa dureté qui résulte de la calcification de la trame
organique extracellulaire), une alimentation riche en calcium n’est pas systématiquement un gage
de consolidation osseuse car ce minéral est un nutriment de type « seuil ou plateau ». La prévention
nutritionnelle de l’ostéoporose associant classiquement calcithérapie et supplémentation en
vitamine D doit donc évoluer vers de nouveaux concepts qui, outre le respect de l’adéquation aux
besoins liés à chaque stade physiologique, intègrent le potentiel exercé par certains nutriments et
microconstituants.
De façon pragmatique, il faut être particulièrement vigilent à l’adéquation des apports avec les
besoins en éléments constitutifs du squelette (protéines, calcium associé à la vitamine D), mais
aussi fournir les micronutriments protecteurs, en raison de leurs propriétés anti-oxydantes/antiinflammatoires (vitamines C, E, B, caroténoïdes, polyphénols, acides gras (veiller au ratio
omégas 3 / omégas 6) ou autres (vitamine K, oligoéléments…). C’est pourquoi l’éducation
nutritionnelle se doit de considérer tous les aliments, même si le niveau de preuve atteint dans
certains domaines reste encore insuffisant. En outre, il est fondamental d’appliquer ces principes
tout au long de la vie, puisque l’ostéoporose peut être considérée comme une pathologie infantile
dont la prophylaxie serait basée aussi bien sur une optimisation de la masse osseuse maximale
acquise avant l’âge de 30 ans, que sur un ralentissement de la perte au cours du vieillissement (les
deux phases critiques pour la qualité du squelette).
Parmi les manifestations de la sénescence, l’atteinte de l’appareil locomoteur est particulièrement
invalidante. En effet, l’apparition d’une ostéoporose (princiale pathologie osseuse) accélère
considérablement l’entrée en dépendance, puisque seulement 25% des patients maintiennent leur
qualité de vie. En outre, une surmortalité de 30% est même enregistrée consécutivement à une
fracture de la hanche.
En fait, chez la femme caucasienne âgée de 50 ans, le risque cumulé sur les années restant à vivre de
développer le syndrome atteint 40%, contre 13% chez l’homme. Au-delà de 80 ans, 70% des personnes
sont ostéoporotiques. Or, selon les études prospectives disponibles, ces données devraient être
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aggravées considérablement d’ici 50 ans, en raison de l’augmentation de la longévité, mais aussi de
la détérioration de l’hygiène de vie. Par conséquent, ces différentes considérations, ainsi que la
demande sociale du maintien d’une bonne santé et la nécessaire stabilisation des dépenses de santé
ont conduit à considérer l’ostéoporose comme un problème majeur de santé publique (1).
La prophylaxie classiquement prescrite pour la prévention de la pathologie était basée sur l’hormonothérapie substitutive. Or, des études récentes mettent en évidence des effets indésirables, associés à
des risques pour la santé, qui ont généré une abstention thérapeutique. C’est pourquoi, les
professionnels de santé recommandent le développement de stratégies alternatives de prise en
charge. En fait, les recherches dans le domaine de l’alimentation, à l’origine de l’émergence du concept
de nutrition préventive, permettent actuellement d’envisager la mise en place d’une réelle prévention
nutritionnelle de cette pathologie à l’échelle populationnelle (2).
L'alimentation intervient effectivement dans les processus patho-dégénératifs pour les favoriser ou,
au contraire, les retarder. Elle peut agir très précocément, mais aussi à des stades plus avancés de la
pathogenèse, en exacerbant les déséquilibres physiologiques ou en les réduisant. Elle peut également
intervenir lorsque la maladie est déclarée. De fait, les altérations physiologiques observées au cours
du vieillissement, ainsi que l’évolution des contraintes environnementales contribuent à perturber le
statut nutritionnel en modifiant les apports, la biodisponibilité et le devenir des micronutriments. De
plus, une intervention précoce doit être envisagée, puisque l’acquisition de la masse osseuse maximale
avant l’âge de 30 ans constitue une phase critique pour la qualité du squelette, au même titre que la
maîtrise du processus d’ostéopénie au cours du vieillissement. Par conséquent, pour chaque individu,
la caractéristique d’un vieillissement réussi est basée sur l’adaptation de son comportement individuel
à son évolution physiologique constatée. L'objectif à atteindre est donc de sensibiliser l’être humain à
mieux gérer sa santé par l'alimentation et l'hygiène de vie. Toutefois, on peut comprendre que le
consommateur ait une vision peu claire des règles d’une bonne alimentation, compte tenu de la
diversité des messages reçus, parfois contradictoires.
L’étiologie des phénomènes de perte osseuse liée au vieillissement étant multifactorielle, la prévention
de l’ostéoporose (associant classiquement calcithérapie et supplémentation en vitamine D) doit évoluer
vers de nouveaux concepts qui, outre le respect de l’adéquation aux besoins liés à chaque stade
physiologique, intègrent le potentiel exercé par certains nutriments et microconstituants.
Les recommandations viseront donc à assurer un statut adéquat en éléments constitutifs tels que les
protéines (élaboration de la trame organique) ou le calcium (minéralisation du canevas collagénique),
et à dispenser des nutriments / micro-nutriments protecteurs, tout en respectant les grands équilibres
(en l’occurrence, il convient de limiter les régimes hyperprotéiques, ainsi que toute surcharge sodée,
qui peuvent générer une acidose métabolique se traduisant par une fuite urinaire de calcium ; le bilan
calcique étant tributaire non seulement des apports, mais aussi des pertes, généralement non
maîtrisées par la seule supplémentation minérale, puisque l’absorption est plafonnée) (3).
ETIOLOGIE DU PROCESSUS D’OSTÉOPÉNIE
L’os est un tissu conjonctif calcifié constitué d’une matrice protéique, sur laquelle se déposent des
cristaux d’hydroxyapatite (phosphate de calcium), la combinaison adéquate d’éléments organiques
(collagène, cellules osseuses) et inorganiques (phase minérale) permettant à cette structure d’être
durable et résistante, sans devenir cassante. Ainsi toute carence en protéines et calcium biodisponible
s’avére très délétère pour le squelette.
Néanmoins, le principal déterminant de la perte osseuse est la modification de l’imprégnation
hormonale de l’organisme engendrée par l’arrêt du fonctionnement des gonades, lors de la ménopause
(4). En fait, les hormones sexuelles ralentissent le remodelage et maintiennent un équilibre entre les
activités de formation et de résorption, en limitant le recrutement des précurseurs ostéoclastiques et
l’activité des cellules matures (phénomène d’apoptose). Elles sont également susceptibles d’induire
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la formation, la différenciation, la prolifération et l’activation des ostéoblastes impliqués dans
l’accrétion. A ces processus, il faut ajouter une modulation supplémentaire du métabolisme
squelettique, via le développement d’une inflammation chronique et d’un stress oxydant (5), qui se
traduisent par une composante vasculaire et cellulaire qui coexistent, à laquelle sont associés des
phénomènes de destruction tissulaire et de réparation. Il est effectivement largement admis que le
déclin de la fonction ovarienne lors de la ménopause engendre une synthèse de cytokines
inflammatoires (en cas d’hysterectomie, une élévation du GM-CSF (Granulocyte Macrophage
Stimulating Factor), ainsi que de l’IL1 (interleukine 1) et du TNFα (Tumor Necrosis Factor) est
démontrée, respectivement une et deux semaine(s) après le retrait chirurgical des ovaires et une
hormonothérapie substitutive permet de corriger ces perturbations (6)). Ce phénomène est exacerbé
avec l’avancée en âge : les concentrations en IL6 triplent chez la femme entre 24 et 87 ans (7). En fait,
la coexistence sur un même site, c'est-à-dire dans la cavité médullaire, des systèmes hématopoïétique
et osseux explique de telles interactions. Le terme « ostéoimmunologie » a d’ailleurs été récemment
proposé, afin de prendre en considération le dialogue entre le squelette et le système immunitaire (8).
IL1, IL6, TNF, GM-CSF, M-CSF sont, ainsi, de puissants stimuli de la résorption ossseuse. Ceci explique
que les variations des cytokines inflammatoires, à la ménopause, sont corrélées à des perturbations
des paramètres de résorption.
D’autre part, il existe une relation très étroite entre inflammation et stress oxydant car les cytokines
pro-inflammatoires sont, en fait, succeptibles d’induire la production phagocytaire d’espèces
oxygénées radicalaires. C’est pourquoi la carence hormonale engendre également une perturbation
des défenses anti-radicalaires, qui se traduit par une augmentation des taux de H2O2, une péroxydation
lipidique, ainsi qu’une réduction des enzymes anti-oxydantes. Or, les radicaux libres sont toxiques
pour les ostéoblastes (9) (inhibition du processus de différenciation à partir de préostéoblastes
(MC3T3-E1)), alors qu’ils activent les ostéoclastes (10). Il en résulte une altération de l’activité de
formation associée à une résorption accélérée.
Enfin, autres éléments à considérer, car éventuellement impliqués dans l’apparition d’une ostéopénie
(dans certaines conditions), sont les situations d’acidose modérée, chronique, qui peuvent survenir au
cours du vieillissement (les capacités rénales d’excrétion d’acidité diminuent avec l’âge) et/ou à cause
de l’ingestion de régimes acidifiants. Le squelette contient effectivement une réserve massive de base,
qui est disponible pour tamponner les ions H+, si le rein et les poumons ne sont plus en mesure de
maintenir l’équilibre acido-basique dans des limites étroites. Sur un plan nutritionnel, l’acidose
métabolique latente (AML) résulte essentiellement d’un déséquilibre entre la production d’ions sulfate
(consécutive au catabolisme des acides aminés soufrés) et les capacités alcalinisantes de l’organisme.
La résorption ostéoclastique est stimulée directement par les ions H+, une réduction de quelques
centièmes d’unités pH entraînant un doublement de la formation de puits de résorption. L’acidose
affecte aussi la fonction ostéoblastique de façon défavorable (inhibition in vitro de la minéralisation à
pH 6,9). Toutefois, l’apport alimentaire de sels organiques de potassium (citrate, malate),
essentiellement par les fruits et légumes, permet de générer du bicarbonate de K et d’épargner les
constituants des os et des muscles dans la lutte contre l’acidose (11,12).
RECOMMANDATIONS NUTRITIONELLES
Fournir des éléments constitutifs en quantité adéquate
Les protéines sont fondamentales pour le tissu osseux : outre un rôle structural (matrice collagénique),
elles interviennent dans différents processus de reconnaissance et/ou d'interaction avec d'autres
molécules (notamment dans la régulation du dépôt minéral). Il est néanmoins difficile de déterminer
précisément le niveau d'apport optimal pour l'homéostasie squelettique, et ce en fonction de l'âge. Il
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est cependant évident qu’un excès, aussi bien qu'une carence protéique, soit capable de provoquer un
déséquilibre de la balance calcique, si des mesures idoines ne sont pas engagées dans les meilleurs
délais. Ainsi, suivant une première série d’allégations avancées, des apports inadéquats en protéines
sont préjudiables pour le fonctionnement de l’axe somatotrope, et sont notamment associés à une
altération des concentrations plasmatiques en IGF1, facteur de croissance fondamental pour le
fonctionnement ostéoblastique. A l’opposé, d’autres scientifiques argumentent qu’un excès peut
déséquilibrer la balance calcique, puisque le niveau de consommation de protéines est un déterminant
majeur de la fuite de calcium, en raison de l’acidose métabolique latente générée. En fait, il est évident
qu’une malnutrition survenant au cours de l'enfance et l'adolescence s'accompagne d'un retard de
croissance et d'une diminution de la masse osseuse (13,14). Chez l’adulte, les données sont moins
consensuelles. A l'autre extrême de la vie, une consommation insuffisante (avec une absorption
calcique naturellement diminuée du fait de l'âge), d’ailleurs souvent associée à l’apparition d’une
sarcopénie, est responsable d’une fragilité osseuse, et donc d’une accélération de l'atteinte du seuil
pathologique (15).
D’autre part, le calcium est l’élément déterminant de la qualité du squelette parce qu’il lui confère
ses propriétés de rigidité. Le concept du rôle majeur du calcium biodisponible est solidement établi.
L’optimisation du statut calcique doit effectivement être assurée par la couverture des besoins définis
par les apports nutritionnels conseillés (ANC), mais aussi par une meilleure gestion des pertes qui
peuvent éventuellement résulter d’un déséquilibre alimentaire. Les principales sources de calcium
sont d'origine alimentaire. Le lait et les produits laitiers servent en général de référence pour la
biodisponibilité du minéral. Toutefois, les eaux de boissons, les fruits, les légumes et les céréales
peuvent contribuer secondairement aux apports. Toute calcithérapie doit être associée à une
prescription de vitamine D qui intervient dans le mécanisme de transport actif du minéral à travers la
paroi entérocytaire. Les aliments pourvoyeurs de vitamine D sont les huiles de poissons et les
poissons gras.
Même si une supplémentation calcique n’est pas forcément un gage de majoration du capital osseux,
toute carence est extrêment délétère. Or, selon l’enquête française de Pottier de Courcy (16), il existe
trois groupes définis comme étant à risque : les adolescentes, les femmes âgées de plus de 55 ans et
les personnes de plus de 80 ans vivant en institution, chez qui les niveaux de consommation
quotidienne ne dépassent pas respectivement 0,7 ANC, 0,6 ANC et 0,4 ANC. De même, une
hypovitaminose D est présente chez 40 à 70% des sujets âgés hospitalisés en moyen et long séjours
et chez 40% des femmes âgées vivant à domicile (17). Il ressort, en effet, de l’étude NHANES III portant
sur 3251 femmes caucasiennes, qu’un défaut de consommation de produits laitiers pendant l’enfance
est associé à une réduction significative du contenu minéral et de la taille du squelette avant 50 ans
et, après 50 ans, à une augmentation importante du risque fracturaire (18). Si la non consommation
de produits laitiers intervient plus tardivement, les conséquences sont moins dramatiques. En
revanche, chez le sujet âgé, le bénéfice d’une calcithérapie, associée à une supplémentation en
vitamine D est réel (19).
Fournir des nutriments protecteurs
Notre alimentation peut éventuellement fournir des microconstituants dotés de propriétés
oestrogéniques tels que les phyto-oestrogènes qui sont des composés végétaux (particulièrement
concentrés dans le soja) qui expriment des activités hormonales. Ces molécules ouvrent des
perspectives intéressantes pour la prise en charge de la femme ménopausée, dans un objectif de
prévention de l’ostéoporose. La mise en évidence d’une distribution géographique mondiale
différentielle de l’incidence de l’ostéoporose est à l’origine de l’hypothèse du rôle protecteur des phytooestrogènes, puisque la forte consommation de produits dérivés du soja dans les pays asiatiques (où
la pathologie est peu représentée) a été incriminée, entre autres, pour expliquer cette disparité. En fait,
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les études d’observation conduites chez la femme ménopausée asiatique confirment l’effet protecteur
de ces molécules. Toutefois, ces résultats ne sont pas applicables aux populations caucasiennes,
probablement en raison de différences en termes de dose ou de fenêtre/durée d’exposition. En fait,
selon les études interventionnelles disponibles, la modulation des marqueurs du remodelage osseux
par une supplémentation à court terme est controversée. A l’inverse, l’impact osseux d’une stratégie
à plus long terme est plus consensuel, à condition de se situer en ménopause précoce. Nénmoins,
l’AFSSA déclare qu’il est prématuré de conclure sur les effets des phyto-oestrogènes en terme de
prévention de l’ostéoporose car aucune donnée relative à l’impact de ces molécules sur le risque
fracturaire (critère ultime de la qualité du squelette) n’est actuellement publiée (20). De plus, avant
toute recommandation, il est indispensable de vérifier l’innocuité de ces molécules.
D’autre part, certains nutriments peuvent exercer des propriétés anti-oxydantes et anti-inflammatoires
(ils sont d‘ailleurs incriminés dans les effets bénéfiques du régime méditerranéen). La manipulation
de l’équilibre redox est effectivement possible par la consommation de vitamines, de certains minéraux
et éléments traces, ainsi que de polyphénols qui expriment des fonctions anti-oxydantes. En effet, une
investigation clinique conduite chez 1100 femmes âgées de 60 ans et plus indique que les défenses
anti-radicalaires (définies par la mesure des concentrations en vitamine C, vitamine A et la glutathion
peroxydase) sont diminuées chez les femmes ostéoporotiques, par rapport à leurs homologues en
bonne santé (21).
Pourtant, les résultats de l’étude WHI (Women’s Health Initiave) (22) ne démontrent pas de relation
évidente entre les apports nutritionnels en vitamine C (ou vitamines A et E, ou encore sélénium) et la
densité minérale osseuse de femmes ménopausées. Il est vrai que cette population était caractérisée
par une alimentation spontanée relativement saine et probablement quasi optimale. Néanmoins, ces
données sont démenties par d’autres investigations qui vérifient le rôle ostéoprotecteur de la vitamine
C dans certaines conditions (faibles apports calciques, tabagisme) (23, 24 (étude épidémiologique
NHANES)). De plus, dans une étude récente chez 66 651 femmes âgées de 40 à 76 ans, une
consommation importante de vitamine C (>67 mg/j) et E (>6,2 mg/j) permettait de réduire
significativement un le risque fracturaire (25). L’approche in vitro suggère que l’acide ascorbique est
nécessaire à la lignée ostéoblastique, les données relatives au processus de résorption étant plus
conflictuelles En ce qui concerne la vitamine E, d’un point de vue mécanistique, elle intervient
efficacement dans la cascade de l’acide arachidonique en inhibant la synthèse de prostaglandines et
de thromboxane impliqués dans les processus inflammatoires et dans la genèse de l’ostéoporose. Elle
est également très fortement impliquée dans le piégeage des radicaux libres et limiterait la
péroxydation lipidique au niveau osseux ou cartilagineux.
Les vitamines du groupe B démontrent aussi un potentiel ostéoprotecteur intéressant.
Les polyphénols (impliqués dans la stratégie défensive de la plante) suscitent également un intérêt
croissant de la part des nutritionistes, des industriels de l’agroalimentaire et des consommateurs.
Une des raisons principales est la reconnaissance de leur implication probable dans la prévention de
diverses pathologies associées au stress oxydant. Toutefois, si les vertus de ces composés sont
admises pour la cible cardiovasculaire et cancer, leur impact sur le métabolisme osseux n’a été que
très peu étudié. Les premiers travaux ayant mis en évidence un effet ostéoprotecteur des polyphénols
ont été réalisés dans le cadre d’une expérimentation sur un modèle animal d’ostéoporose postménopausique, à savoir la rate ovariectomisée (26). Ces effets phénotypiques résultent d’une inhibition
de la différenciation ostéoclastique, via la modulation de facteurs transcriptionnels tels que NFκB et
AP-1. Des résultats analogues ont été obtenus avec l’hespéridine, une flavanone présente dans les
agrumes, principalement dans la peau d’orange, ou l’oleuropéine issue des produits de l’olivier. Les
pruneaux (riches en composés phénoliques) ont également démontré des vertus intéressantes pour
le squelette. A l’heure actuelle, les seules données cliniques disponibles dans ce domaine concernent
la consommation de thé (27).
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Par ailleurs, bien que le concept d’intégrer les lipides dans la régulation de la physiologie osseuse
reste marginal, il ne faut pas oublier que ce sont des précurseurs de la synthèse des prostaglandines
et qu’ils peuvent aussi moduler le statut oxydant et, par conséquent, jouer un rôle important dans la
physiologie osseuse, mais aussi en inhibant la différenciation ostoblastique, en induisant la
différenciation ostéoclastique et en stimulant l’adipogenèse au niveau des cellules médullaires (28, 29).
L’étude Rancho Bernado démontre qu’un ratio ω6 / ω3 élevé contribue à une déminéralisation de la
hanche dans les deux sexes (30, 31).
Enfin, parmi les nutriments protecteurs, il ne faut pas oublier la vitamine K, indenspensable à la
fonctionnalité (γ-carboxylation) de l’ostéocalcine, protéine non collagénique majeure du tissu osseux,
impliquée dans les processus de minéralisation. Cockayne et al. (32) ont ainsi développé une métaanalyse, basée sur des études d’intervention de plus de 6 mois, afin d’évaluer l’impact de la
consommation de vitamine K sur le risque fracturaire. Sur les trente essais cliniques publiés, 7 ont
fourni des données relatives au risque de fracture et démontrent l’efficacité de la ménaquinone sur les
populations asiatiques.
Conclusion
Les dernières avancées scientifiques dans le domaine de la nutrition préventive ont permis la prise de
conscience du potentiel de certains aliments vis-à-vis du capital osseux. Toute stratégie de prévention
basée sur l'alimentation visera à pallier aux éventuelles carences et conseillera des nutriments
protecteurs. Il est donc important pour toute prise en charge nutritionnelle de l’ostéoporose de ne pas
restreindre les recommandations aux seuls produits laitiers mais de considérer le régime alimentaire
dans sa globalité (même si le niveau de preuve de l’efficacité des différents éléments n’atteint celui de
la composante calcique). Le nutritioniste conseillera donc une alimentation équilibrée et diversifiée.
V. Coxam
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