Les Français et le travail entre nécessité et valeurs

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Les Français et le travail entre nécessité et valeurs
REVUE DE LA FÉDÉRATION INTERNATIONALE DES PROFESSEURS DE FRANÇAIS
le français dans le monde
// ÉPOQUE //
Nahal Tajadod, romancière
entre Téhéran et Paris
N° 385 JANVIER-FÉVRIER 2013
4 fiches pédagogiques dans ce numéro
Langue française sans
frontières aux Francophonies
en Limousin
// DOSSIER //
DOSSIER : Les Français et le travail, entre nécessité et valeurs
Les Français et le travail
entre nécessité et valeurs
// MÉTIER //
FranceMobil s’invite
dans les écoles
allemandes
depuis 10 ans
// MÉMO //
FIPF
www.fdlm.org
15 €
-
ISSN 0015-9395
ISBN 9782090370782
N°385
JANVIER-FÉVRIER 2013
Le français langue
de spécialité
pour l’Europe
en Bulgarie
Adolescences congolaises selon Henri Lopes
« Strip-Tease » : la Belgique mise à nu
numéro 385
Sommaire
ÉPOQUE
6. Portrait
Le français dans le monde sur Internet : http://www.fdlm.org
Métier / Savoir-faire
Les fiches pédagogiques à télécharger
Non, le laboratoire
de langues n’est
pas mort !
●
Graphe : choisir
●
Festival : La langue française
sans frontières
●
Économie : La France pousse
les feux de la compétitivité
●
Poésie : Avenue du Maine
●
Clés : La notion de lexique
●
Nouvelle : La cafetière
●
Test et jeux
Nahal Tajadod ou le jeu de la vérité
8. Festival
Langue française sans frontières
10. Économie
34
La France pousse les feux de la compétitivité
fiches pédagogiques
à télécharger sur :
www.fdlm.org
12. Regard
« En apprenant, l’enfant se confronte à ses limites »
Dossier
14. Tendance
Les Français et le travail
Qu’est-ce qu’on lui offre ?
entre nécessité et valeurs
15. Sport
Les mille et une voies
« Les Français placent le travail en tête de leurs valeurs » ..........48
Travailler, pour quoi faire ?........................................................50
Politiques managériales et inconfort des salariés......................52
Mon métier, ma passion ............................................................54
16. Portrait de francophone
Xinghao Chen, le français en vadrouille
46
MÉTIER
20. L’actu
22. Focus
« L’approche historique permet un recul réflexif
sur les technologies »
FICHES PÉDAGOGIQUES
Pages 69 à 76
34. Savoir-faire
Non, le laboratoire de langues n’est pas mort !
24. Mot à mot
Dites-moi Professeur…
36. Reportage
INTERLUDES
4. Graphe
Apprendre le français, un jeu d’enfants !
Choisir
38. Innovation
18. Poésie
À l’écoute du club des professionnels du FLE
Max Jacob : « Avenue du Maine »
40. Ressources
42. Nouvelle
Dessine-moi une idée
Théophile Gautier : « La cafetière »
26. Clés
La notion de lexique (1)
28. Enquête
Formation FLE : quel diplôme choisir ?
30. Expérience
Enseigner le thème de l’Europe en classe de
langue
32. Entretien
Couverture : © mizʼenpage - Shutterstock
« L’obsession d’être compris par tous »
56. BD
MÉMO
58. À écouter
60. À lire
64. À voir
Comment changer le monde ?
66. Test et jeux
Les superstitions
Le français dans le monde, revue de la Fédération internationale des professeurs de français - www.fipf.org, éditée par CLE International – 9 bis, rue Abel–Hovelacque – 75013 Paris
Tél. : 33 (0) 1 72 36 30 67 – Fax. 33 (0) 1 45 87 43 18 – Service abonnements : 33 (0) 1 40 94 22 22 – Fax. 33 (0) 1 40 94 22 32 – Directeur de la publication Jean-Pierre Cuq (FIPF)
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Pascale de Schuyter Hualpa (Alliance française), Raymond Gevaert (FIPF), Michèle Jacobs-Hermès (TV5), Xavier North (DGLFLF), Soungalo Ouedraogo (OIF), Jacques Pécheur (Institut français),
Nadine Prost (MEN), Fabienne Lallement (FIPF), Vicky Sommet (RFI), Jean-Luc Wollensack (CLE International).
Le français dans le monde // n° 385 // janvier-février 2013
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Le français dans le monde // n° 385 // janvier-février 2013
Le français dans le monde en 2013
L’année 2013 qui débute apporte son lot de nouveautés
au Français dans le monde.
De nouvelles fiches pédagogiques
Comme vous le constaterez dans ce numéro (p. 69 à 76), les fiches pédagogiques
retrouvent une place de choix dans les pages de la revue. Même si des fiches ont
toujours été présentes, et le resteront, sur le site fdlm.org, vous en retrouverez
désormais quatre supplémentaires dans chaque numéro. Des séquences pédagogiques réalisées par des professeurs de français : envoyez-nous vos fiches, elles
seront peut-être publiées dans un prochain numéro du Français dans le monde.
La revue étant faite par des professeurs de français pour des professeurs de français, n’hésitez pas non plus à partager vos expériences en classe et vos trouvailles
didactiques dans des articles qui prendront place dans la partie « Métier ».
Pour nous envoyer ces propositions de fiches ou d’articles (d’une longueur
de 6 000 signes, espaces compris), une seule adresse : [email protected].
Les abonnements numériques
Vous découvrirez courant janvier 2013 une offre d’abonnement inédite sur le
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ou numérique, à vous de choisir votre Français dans le monde.
Bonne année 2013 en français avec Le français dans le monde !
Sébastien Langevin - Rédacteur en chef
interlude //
« Choisir ! c’est l’éclair de l’intelligence.
Hésitez-vous?… tout est dit, vous vous trompez. »
Honoré de Balzac, L’Illustre Gaudissart
CHOISIR
« La vérité, c’est une agonie qui n’en finit pas.
La vérité de ce monde, c’est la mort. Il faut
choisir, mourir ou mentir. »
Céline, Voyage au bout de la nuit
La fiche pédagogique
à télécharger sur :
www.fdlm.org A 2
« Choisis tes ennemis ;
mais laisse les amis
te choisir. »
© Image Source/Corbis
André Gide, Conseils
au jeune écrivain
« On doit choisir entre
s’écouter parler
et se faire entendre. »
Frédéric Dard, Les Pensées de San-Antonio
Le « plus » audio sur
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espace abonnés
4
Le français dans le monde // n° 385 // janvier-février 2013
« Le jardinier peut décider de
ce qui convient aux carottes,
mais nul ne peut choisir le bien
des autres à leur place. »
Jean-Paul Sartre, Le Diable et le bon Dieu
« La chance de notre génération,
c’est qu’on peut choisir qui on
va aimer toute sa vie. Ou toute
l’année. Ça dépend des couples. »
Faïza Guène, Kiffe kiffe demain
« Choisir le dialogue, cela
veut dire aussi éviter les
deux extrêmes que sont
le monologue et la guerre.»
« Les coupables, il vaut mieux
les choisir que les chercher. »
Tzvetan Todorov, Nous et les autres
Marcel Pagnol, Topaze
Le français dans le monde // n° 385 // janvier-février 2013
5
époque // Portrait
Nahal Tajadod
ou le jeu de la vérité
Iranienne d’origine et
Parisienne d’adoption, Nahal
Tajadod a choisi le mode
romanesque pour dénoncer
sans complaisance les abus du
régime islamiste. Saisissant
de vérité sur la condition faite
aux femmes en Iran, son
dernier livre, Elle joue,
a paru cet automne.
Texte par Sophie Patois
Photos par Stéphane Beaujean
I
nstallée à Paris depuis trentecinq ans, Nahal Tajadod revendique à juste titre une
double culture. Jusqu’à présent elle navigue entre la capitale française et Téhéran. « J’ai la
chance de pouvoir quitter l’Iran, mais
jusqu’à quand ?», s’inquiète-t-elle.
Persane et belle, assurément, elle
confie : « Je ne peux pas me départager… Je sais qu’ici on me présente
comme l’Iranienne tandis qu’en Iran,
je suis la francophone qui vit en France
et écrit en français… » Née à Téhéran
en 1960, dans une famille francophone et érudite (son père a traduit
Victor Hugo en persan, sa mère était
« Je suis convaincue que
c’est grâce à l’éducation
et aux femmes que l’Iran
va s’en sortir. »
6
une spécialiste de Roumi, le grand
poète perse), Nahal Tajadod suit naturellement la voie de la connaissance. En 1977, elle entre aux
« langues O’ » à Paris, où elle étudie le
chinois. « J’ai reçu une formation académique, souligne-t-elle. J’ai un doctorat en chinois et j’ai longuement travaillé sur les rapports entre l’Iran et la
Chine, c’est-à-dire pour résumer sur
toutes les religions non chinoises introduites en Chine par les Iraniens,
comme le zoroastrisme et le manichéisme. » Elle publie alors de studieux ouvrages, à l’image de Mani, le
Bouddha de lumière, catéchisme manichéen chinois, à destination d’un
public confidentiel.
Heureusement, Nahal Tajadod
écoute les conseils de sa mère, spécialiste des langues préislamiques.
Celle-ci l’incite à écrire une biographie de Roumi, très peu connu en
France. Elle opte pour une version romancée et démarre ainsi, avec la publication en 2004 de Roumi le brûlé
Nahal Tajadod en 5 dates
25 février 1960 : Naissance à Téhéran
(Iran).
1977 : Arrivée à Paris. Institut national des
langues et civilisations orientales (Inalco).
1993 : Traduction avec Mahin Tajadod et
Jean-Claude Carrière du Livre de Chams
de Tabriz, de Mawlânâ Djalal al-Din Rumi.
2007 : Passeport à l’iranienne. Reçoit
la grande médaille de la francophonie.
2012 : Elle joue.
Le français dans le monde // n° 385 // janvier-février 2013
grand-mère s’est immolée” ! J’ai
voulu en savoir plus et je lui ai proposé
de travailler ensemble à partir de son
histoire. Je ne voulais ni d’une biographie, ni d’un entretien. Je ne savais pas
si cela fonctionnerait. Je craignais
aussi de nous mettre en danger. »
Jouant, comme Sheyda son héroïne
(largement inspirée de Golshifteh),
avec le réel et l’imaginaire, Nahal Tajadod trace non seulement un portrait de femme peu ordinaire, mais
soulève aussi à sa façon le voile de
toutes les femmes iraniennes. « Il faut
savoir, s’exclame avec fougue la romancière, qu’il y a 70 % de femmes
dans les universités iraniennes. On
compte seize réalisatrices dans le cinéma, cinq cents éditrices… À cause de
la situation économique, de l’embargo
et de la dévaluation de la monnaie, les
femmes sont obligées de travailler. Je
suis persuadée qu’une femme qui travaille et gagne son argent ne peut pas
être soumise. Même dans les milieux
traditionnels, il y a des féministes. Je
suis convaincue que c’est grâce à l’éducation et aux femmes que l’Iran va s’en
sortir. »
une carrière plus médiatique… Car,
à sa grande surprise, La biographie
romancée du grand mystique séduit
et, traduite en persan, devient un vrai
best-seller en Iran ! « Je n’en revenais
pas. Là-bas, vous trouvez au moins
deux cents ouvrages sur Roumi… »
Passeport pour le succès
Dans la foulée, l’éditeur Laurent Laffont lui commande un livre sur l’Iran
contemporain. « J’avais pris beaucoup
de notes sur les blogs qui devenaient à
la mode et qui fleurissaient un peu partout. J’avais dans l’esprit d’en faire un
livre. Et puis, lors d’un séjour à Téhéran, j’ai eu cette histoire de passeport à
renouveler que je n’arrivais pas à obtenir, je faisais rire tout le monde en racontant mes péripéties et les démêlés
kafkaïens auxquels j’étais confrontée… J’ai fini par l’écrire et c’est devenu
Passeport à l’iranienne, qui a plu tout
de suite à mon éditeur et a conquis le
public. » Dès lors, libérée du carcan
« académique » comme elle dit joli-
ment, la romancière qui sommeillait
en elle s’éveille et saisit avec Debout
sur la terre (publié en 2010), l’histoire de son pays natal marqué par la
révolution de 1979 (arrivée de Khomeiny et établissement du régime islamiste). Sa mère, disparue lors de
l’écriture de Roumi le brûlé, y figure
en première place sous les traits de
l’héroïne Ensiyeh. Mais témoigner et
transmettre ce qui l’attache à sa terre
d’origine va bien au-delà d’une affaire de famille, comme le montre
son dernier ouvrage, Elle joue, plus
gravement ancré dans l’Iran d’aujourd’hui.
La rencontre avec Golshifteh Farahani, comédienne internationalement connue, exilée en France, est à
l’origine de ce livre. « Elle incarne une
génération qui est née sous la révolution et n’a connu que le régime islamiste. Je l’ai rencontrée à Paris, elle a
m’a intriguée. Tout à coup, en plein milieu d’une conversation anodine, elle
prononçait une phrase comme “Ma
Le français dans le monde // n° 385 // janvier-février 2013
Le jeu de la vérité
Plaidoyer pour la liberté de création,
pour le jeu, vital et essentiel, de la comédienne et de l’artiste en général,
Elle joue permet à son auteur de
s’amuser à mettre en perspective
« Témoigner et
transmettre ce qui
l’attache à sa terre
d’origine va bien au-delà
d’une histoire de famille. »
l’Iran de sa jeunesse, vécu en minijupe et sans foulard. Et décrit une nation qui, malgré la censure, ne peut
empêcher la modernité de transpirer
à chaque coin de rue.
Sans dogmatisme et avec une authentique empathie pour ses compatriotes, Nahal Tajadod offre ainsi une
vision véritable de son pays d’origine,
sévère mais juste. Un écho plus intime aussi, entre deux femmes d’une
même trempe, mère et fille liées par
une force similaire. « Sheyda pourtant me rappelle ma mère, écrit Nahal
Tajadod dans le roman. Elle a l’âge
d’être ma fille, elle pourrait aussi être
ma mère. Son combat est le sien : une
femme dans un monde d’hommes.
Jusqu’à l’âge de treize ans, ma mère
était habillée en soldat, en chef de
tribu, par décision paternelle. (…)
Toute sa vie, elle garda dans son attitude une force particulière, une vigueur, une virulence qui la différenciait de toutes les autres femmes. »
Jeu de miroir, transmission, héritage ? Nahal Tajadod, par ce récit authentique et singulier, se distingue,
elle aussi, sans conteste. ■
7
époque // Festival
Lecture de Lambeaux
d’Anarchipel, du Comorien
Anssoufouddine Mohamed.
© Sarah Nuyten
Langue française
sans frontières
© Sarah Nuyten
La 29 e édition du festival des
Francophonies en Limousin
s’est tenue du 27 septembre
au 6 octobre 2012 à Limoges.
Dix jours de manifestations
artistiques multiculturelles,
autour d’une thématique :
la langue française.
8
Salia Sanou
Par Sarah Nuyten
N
’était pas loin le temps
où le quartier grouillait
de vie et d’allégresse… »
Sous un petit chapiteau de style baroque,
plein de couleurs et de miroirs, la lecture de Lambeaux d’Anarchipel commence. La nouvelle, écrite par le cardiologue et auteur comorien
Anssoufouddine Mohamed, parle de
la vie des habitants d’Anjouan, aux
Comores, mais aussi de la maladie.
Avec lenteur, une comédienne déclame le texte, très littéraire. En fond,
une musique tantôt africaine et enjouée, tantôt angoissante. « Pourquoi
penses-tu encore à nous en ces temps de
sauve-qui-peut collectif ? Va-t’en tou-
bib ! » À la fin de la lecture, l’auteur
prend la parole pour répondre aux
questions, devant une petite cinquantaine de personnes. Beaucoup sont
des habitués des Francophonies.
Parmi eux, Christine, ancienne comédienne et metteur en scène : « Ces lectures, c’est ce que je préfère dans le festival, explique-t-elle. On est tout proche
de l’écrivain et du comédien, c’est très intime. Et contrairement à une pièce de
théâtre, une grande place est laissée à
« La francophonie, c’est
la richesse d’une langue
vivante déclinée en langues
multiples, une langue
à plusieurs visages. »
La fiche pédagogique
à télécharger sur :
www.fdlm.org B1
l’imaginaire de chacun. » Pour les auteurs comme Anssoufouddine aussi,
ces lectures sont une source de satisfaction. « Cela donne vie à mes mots. Je
trouve que c’est une forme bien adaptée
aux textes que j’écris, juge l’écrivain comorien. Plus globalement, participer
aux Francophonies en Limousin offre
une visibilité à mon travail d’auteur.
C’est une chance. »
Lectures, pièces de théâtre, débats,
spectacles de danse, expositions de
photographies, concerts… Le tout
gravitant autour de la question du
français. « La langue a toujours été au
cœur de ce festival, raconte Nadine
Chausse, responsable de la Maison
des auteurs (voir encadré). La francophonie, c’est la richesse d’une langue vivante déclinée en langues multiples, une
Le français dans le monde // n° 385 // janvier-février 2013
© Sarah Nuyten
langue à plusieurs visages, à plusieurs
odeurs, à plusieurs histoires aussi. Ici,
on cherche à l’interroger, à tester ses possibilités et ses limites. » Ainsi, pendant
dix jours, sont rassemblés des artistes
venus du monde entier : Québec, Belgique, Madagascar, Cameroun,
Suisse, Congo, Algérie, Burkina Faso,
Togo, Canada ou encore GuinéeConakry.
Le photographe malgache Pierrot Men devant l'un
des clichés de son exposition « 47 portraits d'insurgés ».
Le partage comme maître-mot
Côté public, le festival accueille chaque
année environ 20 000 visiteurs, à Limoges et dans une quinzaine d’autres
villes et villages de la région. « On a décentralisé l’événement, afin que celui-ci
soit accessible au plus grand nombre,explique Marie-Agnès Sevestre, la directrice du festival. Au départ, il est vrai
que le festival est intimement lié aux let-
« À Limoges, on
décloisonne les territoires.
On se retrouve ensemble,
d’où qu’on vienne, et on
partage. »
tres, notamment parce que la Maison
des auteurs en est le réacteur nucléaire.
Nous proposons des performances très
pointues, comme par exemple les lectures, mais il y a aussi des spectacles accessibles au grand public, dans plusieurs
domaines artistiques. Le principal, c’est
d’avoir une curiosité pour la création au
sens large. »
Les Francophonies en Limousin visent
à être une plateforme d’échange entre
Au-delà des frontières, spectacle créé par
le Burkinabé Salia Sanou
© Marc Ginot
les artistes, le public et surtout les
langues. Car aux yeux de Marie-Agnès
Sevestre, la francophonie est « une manière d’entendre les autres langues là où
le français est parlé. » Ainsi, certains
spectacles sont bilingues : « Mis à part
en France, il y a toujours une langue maternelle autre que le français dans les
pays qui le parlent. C’est aussi ce frottement entre les langues qui est au cœur
du festival. » Un partage entre les
idiomes, mais aussi entre les artistes.
diens, de metteurs en scène ou encore
d’universitaires – étudie les projets en janvier, mai et octobre, puis opère une sélection. La Maison des auteurs a ainsi vu passer entre ses murs plus de cent-cinquante
auteurs francophones venus d’Afrique,
d’Amérique du Nord, du Proche-Orient, d’Europe ou de l’océan Indien. La Maison des
auteurs est directement rattachée au festival des Francophonies. Elle en est une
source d’inspiration essentielle, mais représente aussi un vivier d’auteurs, puisque
chaque année, certains des écrivains en résidence participent au festival.
« C’est un cadeau »
Dans une salle obscure de l’opérathéâtre de Limoges, cinq danseurs
avancent par saccades, se déhanchent, virevoltent. Avec eux sur
scène, un musicien, une comédienne
et un funambule. Et en toile de fond,
une image projetée qui évolue, travaillée en direct par un plasticien.
L’homme qui a créé et orchestre ce
spectacle intitulé Au-delà des frontières s’appelle Salia Sanou. À la fois
danseur et chorégraphe, il vient du
Burkina Faso et c’est un des chouchous des Francophonies. « Il existe
une très belle relation d’amour entre ce
La Maison des auteurs
Depuis 1988, les Francophonies en Limousin accueillent toute l’année des auteurs de
langue française en résidence d’écriture.
Pour une durée de un à trois mois, ceux-ci
sont hébergés dans la Maison des auteurs,
une bâtisse située en plein centre-ville de Limoges, dans un jardin qui jouxte les bureaux du festival. Cette structure se veut à
la fois lieu de résidence, d’initiative et de
création littéraires, mais aussi de repérage.
Chaque année, la Maison des auteurs reçoit un grand nombre de textes, envoyés
des quatre coins du monde. Un comité de
lecture – composé d’écrivains, de comé-
© Marc Ginot
Le français dans le monde // n° 385 // janvier-février 2013
festival et moi, explique-t-il. La plupart de mes créations sont passés par
ici, et c’est un vrai cadeau pour l’artiste
que je suis. »
Dans son dernier spectacle, le chorégraphe cherche à illustrer le concept
de frontière. Frontière physique,
mais aussi frontière psychologique :
« C’est une séparation nette entre les
pays et les gens. Elle est liée à la géographie, mais également aux différences de cultures, de pays, de couleur
de peau. » Pour gommer ces frontières, il y a l’art de la scène, comme
ici, où les genres se mélangent. Et il y
a aussi la francophonie : « À Limoges,
on décloisonne les territoires, souffle
Salia. On se retrouve tous ensemble,
d’où qu’on vienne, et on partage. »
L’an prochain, les Francophonies fêteront leurs trente ans. Trente ans de regards croisés et d’échanges, désormais bien au-delà des mots. ■
9
époque // économie
© Lemasson/Globepix
Le Premier ministre Jean-Marc Ayrault
en visite à l’Institut de recherche technologique
Jules-Verne, près de Nantes, en octobre dernier.
La fiche pédagogique
à télécharger sur :
www.fdlm.org B1
Le gouvernement français
peut bien donner des gages de
bonne conduite économique,
ils ne sont pas encore
suffisants. Tel est du moins
l’avis de l’OCDE, qui a épinglé,
le 27 novembre dernier,
la politique économique
de la France.
La France pousse
is
© Marijan Murat/dpa/Corb
les feux de la compétitivité
Par Marie-Christine Simonet
S
i l’on en croit l’organisation internationale, le
«pacte de compétitivité »
rendu public le 6 novembre 2012 par le Premier
ministre Jean-Marc Ayrault est une
«étape importante » mais encore insuffisante au regard des mesures
structurelles jugées nécessaires pour
sortir de la récession.
22 septembre 2012 : François Hollande et Angela
Merkel lors de la commémoration des 50 ans du
traité de l’Élysée conclu entre la France et
l’Allemagne.
10
Coût du travail et déficit
En gros, il faudrait faire des coupes
claires dans la dépense publique et
s’attaquer aux 35 heures. « Même si les
travailleurs sont très productifs en
France, par heure travaillée, ils ne travaillent pas assez par rapport aux autres
pays de l’OCDE ! », estime le chef économiste de l’OCDE, Pier Carlo Padoan.
Car, pour cette institution acquise au
libéralisme économique, la productivité est la clé de la compétitivité, dont
la perte entraîne une décote économique difficile à rattraper. De fait, on
indique de source officielle qu’on travaille en France environ 1 585 heures
par personne et par an pour une
moyenne mondiale de 1 902 heures.
En outre, le coût du travail serait bien
trop élevé dans l’Hexagone. En avril
2012, l’office européen de statistiques
Eurostat a publié une enquête soulignant qu’en Allemagne, le coût horaire de la main-d’œuvre était de 30,1
euros, contre 34,2 euros en France.
« On travaille en France
environ 1 585 heures
par personne et par an
pour une moyenne mondiale de 1 902 heures. »
Sachant que, entre 2001 et 2011, le
coût horaire s’est accru de 19,4 %
outre-Rhin et de 39,2 % en France
(voir tableau ci-dessus).
Le français dans le monde // n° 385 // janvier-février 2013
en bref
© Ikon Images/Corbis
Sortie de récession pour la zone euro en 2013 mais avec
une croissance au point mort (+ 0,1 %) et
un chômage approchant les 12 %, un niveau record. La croissance chinoise a été
de 7,5 % en 2012.
C’est ce qui expliquerait en grande partie que, dans un contexte de conjoncture mondiale dégradée, la France ait
enregistré un déficit extérieur record de
73 milliards d’euros en 2011 (2 % du
PIB), une croissance faible et une hausse
drastique des demandeurs d’emploi.
Parallèlement, la part du pays dans le
commerce mondial ne cesse de s’effriter depuis le début de la décennie : ses
exportations représentaient 6,3 % du
total mondial en 1990, 4,7 % en 2000
et seulement 3,3 % en 2011. À titre
d’exemple, l’Allemagne a connu une
évolution inverse, avec 8,4 % de parts
du marché global en 2011 (+2% par
rapport à 2000). Selon le Trésor français, le nombre d’entreprises exportatrices peine à décoller des 90000
(données 2010), contre 364000 en Allemagne et 184000 en Italie.
miques et sociaux avec la dernière impatience... et beaucoup de méfiance
par l’agence de notation. « Le bilan
passé des gouvernements (français,
ndlr) depuis vingt ans sur la mise en
œuvre effective des mesures est médiocre », assure-t-elle.
La plus emblématique des mesures censées revigorer la compétitivité de la
France est un crédit d’impôts octroyé aux
Premier pas
Et voilà que la note souveraine de la
France vient d’être dégradée par
l’agence de notation Moody’s, de AAA
à AA1. Dans ces conditions, c’est peu
dire que le « pacte de compétitivité »
lancé par le gouvernement était attendu par tous les acteurs éconoLe français dans le monde // n° 385 // janvier-février 2013
entreprises, s’élevant à 10 milliards
d’euros en 2013, puis à 5 milliards chacune des deux années suivantes, de
sorte que le crédit atteindra 20 milliards d’euros à partir de 2015. Appliqué sur les salaires allant de 1 à 2,5
Smic (1 425 à 3 562 euros), il représenterait alors pour ces rémunérations
6 % du coût du travail. Dans la ligne de
mire gouvernementale, le renouveau
industriel français et une embellie sur
le front de l’emploi.
L’OCDE estime que ce pacte de compétitivité va dans le bon sens, mais
qu’il n’est qu’un premier pas. Il faut
aller plus loin et pour cela, « réformer
la fiscalité française en baissant les
charges sociales » préconise l’organisation. De même, « la dépense publique doit être réduite ».
Si elle confirme la prédiction de croissance en 2013 des autorités françaises, soit 0,3 % (avec un taux de
chômage de 10,7 % contre 9,9 % en
2012), elle juge trop ambitieux les
objectifs gouvernementaux de réduction de 3 % des déficits « dans les
circonstances défavorables actuelles ».
L’OCDE prévoit un déficit de 3,4 % du
PIB en 2013 et de 2,9 % en 2014. ■
Les États-Unis deviendront le 1er producteur mondial de pétrole vers 2020, et exportateur net de brut vers 2030, suite à
l’essor des hydrocarbures non conventionnels, prédit l’AIE.
© Shutterstock
Un diamant historique exceptionnel de 76,02 carats, l’Archiduc
Joseph, a battu
plusieurs records
mondiaux de prix.
Il a été vendu en novembre aux enchères par
Christie’s pour 21,47 millions de dollars.
406 milliards de dollars. Tel est le montant
attendu par la Banque mondiale des transferts d’argent des migrants vers les pays
en développement en 2012. C’est une
hausse de 6,5 % sur 2011.
Dubaï va construire un complexe touristique et commercial au beau milieu du désert. Il comprendra un hôtel de luxe et un
parc d’attraction. Le calendrier n’a pas encore été précisé.
11
© Shutterstock
Nombre de pays africains ont posé les fondements d’une croissance durable, estime l’Intitute of International Finance (IFF).
Depuis 2007, la croissance de l’Afrique
sud-saharienne est de 4,7 % par an.
époque // Regard
Pour aider les élèves en
difficulté à l’école,
il faut libérer un désir
d’apprendre souvent entravé,
nous explique Martine
Menès, auteur de
L’Enfant et le savoir.
« En apprenant,
l’enfant se confronte à ses limites »
© Astrid di Crollalanza
Propos recueillis par Alice Tillier
Longtemps psychothérapeuthe
en centre médico-psycho-pédagogique, Martine Menès est psychanalyste, membre de l’École
de psychanalyse des forums du
champ lacanien.
12
La préface de Serge Boimare
recommande votre livre, L’Enfant
et le savoir, aux enseignants qui,
face à l’échec scolaire, finissent
par douter de leurs compétences
pédagogiques.
Est-ce pour les enseignants que
vous l’avez écrit ?
Martine Menès : Plus qu’aux seuls
enseignants, le livre s’adresse à tous
ceux qui travaillent avec des enfants
et qui s’intéressent à la question du
rapport au savoir. Car le débat médiatique développé à l’heure actuelle
contre la psychanalyse a entraîné du
côté du public une forte méconnaissance et une grave incompréhen-
sion. Les facteurs qui relèvent de l’inconscient sont aujourd’hui mis de
côté au profit d’approches neurologiques ou cognitivistes. On a tendance à réduire l’enfant à un ensemble de troubles : troubles du comportement, dysorthographie, dyslexie,
etc. Les méthodes comportementalistes n’abordent que les points de
difficultés, là où nous regardons le
sujet dans sa globalité.
« Les facteurs qui relèvent
de l’inconscient sont
aujourd’hui mis de côté
au profit d’approches
neurologiques ou
cognitives. »
Le sous-titre de votre livre pose
la question : « D’où vient le désir
d’apprendre ? »
Il n’est donc pas inné ?
M. M. : Le désir de savoir vient du
désir tout court, qui, lui, est inné. Le
nourrisson vient au monde avec un
désir, une appétence à appréhender
ce qui l’entoure. Les bébés regardent,
attrapent, saisissent le monde. Le
désir de connaître existe d’emblée. Il
s’organise peu à peu en désir de savoir. L’enfant commence par intérioriser les expériences qu’il vit. Puis
vers l’âge de deux-trois ans, il va s’intéresser à ce qui n’est pas perceptible. C’est à cette période qu’il peut
commencer à avoir des peurs – du
noir, de rester seul… Il réalise que la
Le français dans le monde // n° 385 // janvier-février 2013
© JLP/Jose L. Pelaez/Corbis
compte rendu
Comprendre les blocages
Inhibition, angoisse, doute, mais aussi
psychose, autisme, paranoïa : autant de
troubles qui peuvent se manifester chez
les enfants dans le cadre de l’école et
qui traduisent des blocages dans l’apprentissage. Pour mieux les comprendre, la psychanalyste Martine Menès invite à regarder de plus près la question
du rapport au savoir et du désir d’apprendre, qui s’enracine dans la plus petite enfance : nécessité vitale pour le
nourrisson, l’apprentissage se tourne
vie a un début et donc une fin. Dans
cette phase « métaphysique », l’enfant s’interroge sur l’existence, la
mort, la sexualité. Cette explosion de
curiosité existentielle se termine, à
6-7 ans, par ce qu’on appelle à juste
titre l’âge de raison, avec une grande
poussée de refoulement, car il est
difficile de vivre si l’on a constamment l’angoisse de la mort. Et c’est à
cet âge-là que l’école propose l’accès
à des connaissances universelles :
« Apprendre suppose de ne
pas savoir. Il faut accepter
un manque, quelque chose
de l’ordre de la défaillance.
En apprenant, on se
confronte à ses limites. »
l’enfant s’est suffisamment autonomisé par rapport à ses préoccupations dans sa famille pour pouvoir
s’intéresser à autre chose.
extrait
« L’enfant commence à parler sans avoir
besoin d’explication sur le fonctionnement de sa langue (la syntaxe), sans en
connaître les règles de fonctionnement
(la grammaire) et pas davantage le sens
des mots d’usage qu’il devine peu à peu
selon le contexte, dans la répétition de
leur apparition et de l’acte qui l’accompagne. Il vérifie par essais et erreurs la
pertinence des associations qu’il fait.
Les mots s’apprennent non comme
dans une encyclopédie ou un dictionnaire, mais dans l’interaction avec les
autres. Ce premier apprentissage par intégration est rendu possible parce qu’il
est alimenté par le désir de faire comme
le parent, de maîtriser l’échange, de
pouvoir demander. L’enfant attrape le
mot entendu, l’articule, le reproduit à
l’occasion, jusqu’à obtenir la confirmation de son sens… ou la révélation de la
confusion qu’il a faite.
Ce qui est compris dans l’intimité du
foyer ne le sera pas à l’extérieur. Il faut
donc que le bébé abandonne l’usage
métonymique de la langue, typique des
débuts du langage, mais nécessitant la
‘‘traduction’’ des proches pour être compris par tout le monde. »
Martine Menès, L’Enfant et le savoir. D’où vient le
désir d’apprendre ?, Seuil, 2012, p. 139-140.
Le français dans le monde // n° 385 // janvier-février 2013
progressivement vers la sphère intellectuelle. À travers de nombreux exemples
tirés du vécu de patients qu’elle a accompagnés, ainsi que des passages littéraires particulièrement éclairants
(L’Élégance du hérisson de Muriel Barbery, La Pluie d’été de Marguerite Duras),
Martine Menès met en relief certains renoncements au savoir qui peuvent dérouter enseignants ou parents, pour
mieux aider les enfants à dépasser leurs
blocages. ■ A. T.
Avec, comme préalable à tous
ces apprentissages, la langue
maternelle apprise à la maison…
M. M. : La langue est en effet le support de tous les apprentissages. Mais
en réalité, la langue maternelle ne
s’apprend pas. L’enfant l’attrape,
la langue entre en lui, sous forme de
sons, et le bébé met ces sons les uns
à la suite des autres. Ce qu’on a entendu entre 0 et 3 ans constitue un
bagage inconscient : certains rêvent
dans une langue étrangère qu’ils
n’ont jamais apprise, tout simplement
parce qu’ils ont eu une nounou qui
leur a parlé dans cette langue ! L’apprentissage de l’écriture permet dans
un second temps de découper cette
chaîne musicale en mots.
réflexion sur le sens de ce que l’on
fait, qui est nécessaire pour faire
siennes les connaissances.
Pourquoi est-il parfois difficile
d’apprendre ?
M. M : Apprendre suppose de ne pas
savoir. Il faut accepter un manque,
quelque chose de l’ordre de la défaillance. En apprenant, on se confronte
à ses limites. Un certain nombre de
jeunes, plus aujourd’hui peut-être
dans un contexte culturel où la
consommation est devenue une valeur, sont au contraire dans la toutepuissance. Or le désir, l’illusion de
toute-puissance va à l’encontre de la
Le désir de savoir a-t-il
impérativement besoin d’être
stimulé ?
M. M. : Bien sûr il faut que l’environnement fasse un minimum de propositions. Mais si rien de grave ne vient
entraver le désir, l’enfant va tout seul
vers le savoir. À l’heure actuelle, on a
tendance à tomber dans un excès : les
enfants sont sur-stimulés, gavés de savoir. Pour laisser la place à la naissance d’une envie de faire, de créer, il
faut un peu d’espace pour l’ennui. ■
Ce désir de toute-puissance est-il
de plus en plus répandu ?
M. M : C’est difficile à dire, la question
ne se posait pas en ces termes il y a
cinquante ans, beaucoup d’enfants
s’arrêtaient au certificat d’études.
Mais il est vrai que les structures familiales ont été mises à mal, avec ce
qui soutenait la transmission des interdits : la fonction paternelle au sens
large, incluant les maîtres. À la place
se sont multipliés les petits maîtres,
les grands frères, les gourous de
toutes sortes, qui encouragent à tout
sauf au sens critique.
13
© Daniel Smith/Corbis
époque // Tendance
Qu’est-ce
qu’on lui offre ?
M
Au temps du cadeau
commun : commode certes
mais peut-être un peu trop
commun…
14
Par Jean-Jacques Paubel
ariage, anniversaire de mariage, anniversaire tout court
(surtout les dizaines symboliques), méga teuf
comme on dit maintenant... difficile
d’échapper au cadeau commun.
Surtout que le mode d’emploi est
très simple : un proche envoyé en
éclaireur va s’enquérir auprès de la,
du ou des récipiendaires de ce qui
leur ferait plaisir entre la petite escapade en amoureux, le barbecue
sophistiqué, l’intégrale de la Saison
n+1 de la série x, y ou z, sans oublier l’objet improbable qui laissera
chacun interdit devant ce qu’il révèle d’insondable chez le, la ou les
intéressés… Et voilà, c’est parti : ne
reste plus qu’à faire circuler l’information, à récupérer chèques et espèces (les cartes de crédit ne sont
pas autorisées) et le jour dit à déposer le tout dans une boîte à chaussures transformée pour la circonstance en chalet suisse.
Ça c’est pour la version disons artisanale du cadeau commun. Car force
est de constater que jouer les collecteurs de fonds pour un cadeau commun est rarement une partie de plaisir. Relances auprès des donateurs
potentiels, calculs à gogo, récupération de chèques, pièces et billets,
perte de temps voire d’argent sont
généralement au programme. Or si
l’on ouvre aujourd’hui la page de
Google à l’entrée cadeau commun,
on tombe tout de suite sur une série
de sites de Leetchi.com (tout le
monde ne peut pas s’appeler Orange
ou Apple) à Bankeez.com en passant
par cadeaucommun.com qui vous
offre facilités, conseils pour, je cite,
« collecter de l’argent facilement en
toute occasion ». Et au cas où vous
manqueriez d’imagination sur les
occasions, ces sites ne manquent pas
d’en dresser la liste : « anniversaire,
cotisations, dons, mariage, naissance, pot de départ, vacances » et
même « cadeau commun », en
quelque sorte le cadeau commun
pour le cadeau commun… Là, la
boucle est bouclée.
Simple et flexible
Mais pourquoi cet engouement pour
le cadeau commun ? Sur ce point, il
faut s’en remettre à l’explication de
l’économiste Todd Kaplan : « Le cadeau commun présente une série
d’avantages : la coordination (vous
évitez les doublons), une meilleure information sur ce que souhaite la personne, plus de moyens. Mais ce que
veulent les gens en vous donnant un
cadeau, c’est envoyer un signal : à quel
point ils vous connaissent, la valeur
qu’ils accordent à votre relation… »
Car il s’agit bien d’une nouvelle économie qui ne pouvait échapper à Internet et au commerce en ligne. Ce
que vendent ces sites, c’est de la souplesse. « Nous avons voulu proposer
une solution très simple et extrêmement flexible », expliquent Raphaël
Compagnion et Pierre Larivière,
créateurs de Bankeez.com. La plateforme lancée par ces deux ex-financiers de Lehman Brothers permet en
effet de multiples utilisations, depuis
le simple remboursement entre particuliers à la cagnotte à financer pour
un achat commun en passant par les
souscriptions permettant par exemple à une association de collecter des
cotisations.
On est décidément bien loin de la recherche attentive qui au bout du
compte, dans l’acte d’offrir, signait
un pacte de reconnaissance et de
complicité partagée. Reste en ces
temps de frénésie compulsive propre
à la période des fêtes de Noël à méditer le conseil – qui est aussi le titre
de son livre – de cet autre économiste, Joel Waldfogel, « Why you
shouldn’t buy presents for the holidays », autrement dit : « Pourquoi
vous ne devriez pas offrir de cadeaux
pour les fêtes »… ■
Le français dans le monde // n° 385 // janvier-février 2013
époque // sport
© DR
Les mille
et une voies
Il devait célébrer les 30 ans de La Vie
au bout des doigts, le documentaire
qui l’a révélé. Le grimpeur Patrick
Edlinger est mort le 16 novembre
dernier, à l’âge de 52 ans.
D
Par Clément Balta
ans une œuvre de fiction lorsque
la fin de l’histoire ne coïncide pas
avec la résolution de l’intrigue, ce
qui est souvent le cas des séries à
suspense, les Anglo-Saxons parlent de cliffhanger. Littéralement, ce mot signifie
« qui est suspendu à la falaise ».
La vie de Patrick Edlinger recoupait cette double
définition. Sa passion de l’escalade libre – le fameux « solo », à mains nues et sans matériel ni
soutien – le plaçait tout à la fois au bord de l’abîme
et dans une suspension perpétuelle, une quête
toujours inachevée des sommets. « Ce qui est intéressant dans le solo, c’est le fait que ta vie soit en danger, assurait-il. (…) L’escalade ce n’est pas un sport,
c’est un mode de vie. J’y trouve tous les besoins qu’on
peut avoir en tant qu’être humain. »
En 1982 un court film-documentaire de Jean-Paul
Janssen, La Vie au bout des doigts, lui est consacré.
Certains ont peut-être encore en mémoire ce
corps fin et sculpté, ne tenant qu’à un auriculaire
agrippé nonchalamment à la pierre, lien minuscule entre la montagne et le vide. On découvre
alors ce fou grimpant aux allures de baba-cool,
sorte de Borg des pitons, bandeau rouge sur crinière dorée qui lui vaudra le surnom d’« Ange
blond ». Un ange passe, donc.
Hagiographie
Edlinger est le héros et la voix off du film, égrenant
sa philosophie au gré des ascensions. « Ce qui est
pour moi le plus important en escalade, c’est aussi la
façon dont tu passes. L’intérêt c’est d’essayer d’être le
plus esthétique, le plus harmonieux possible. C’est
une expression corporelle au même titre que la
danse, sauf que la chorégraphie éditée par les prises
est un opéra vertical. » Formule poétique qui
évoque l’un de ses frères de paroi, Patrick BerLe français dans le monde // n° 385 // janvier-février 2013
« Je souhaite à tous les êtres, quelle que
soit leur activité, de la vivre pleinement en
homme libre », dit P. Edlinger en préface de
la bio qui lui est consacrée.
hault, disparu après une chute en 2004, et inventeur du concept de « danse-escalade ». Mais Opéra
vertical est aussi le titre de l’autre réalisation de
Janssen qui a participé à forger la légende. « Patrick affirmait des valeurs inhabituelles pour
l’époque, raconte ce dernier. La beauté de la nature,
la joie du risque, l’esprit du vertige. Il n’a fallu que
ces quelques images pour que le mythe s’installe. »
Depuis une chute en 1995, l’escalade n’était plus
une activité exclusive. Il avait ouvert un gîte dans
le Verdon, non loin de ces falaises calcaires qu’il
avait si intimement hantées. Mais rien n’avait pu
remplacer l’ivresse des hauteurs. « C’est le basculement des gens de l’extrême lorsqu’ils reviennent sur
terre. Ils ont vécu des choses tellement pleines, des
émotions si pures que l’angoisse de ne plus les revivre
est forte », explique Gilles Chapaz, qui préparait un
film sur la vie du grimpeur.
Une biographie doit également paraître avant
l’été. L’auteur, Jean-Michel Asselin, insiste sur le
pionner. « C’est grâce à lui qu’aujourd’hui il y a des
milliers de pratiquants. Il a révolutionné l’escalade
sur le plan mondial en rendant populaire un sport
qui était alors très confidentiel. » Patrick Edlinger a
ouvert la voie, on ne saurait mieux dire. De multiples voies. Happant au passage un flot d’aficionados fascinés par cette soif des grands espaces,
cette sérénité vertigineuse à fleur de roche. Autant
de points de suspension apportés au cliffhanger. ■
infos en +
La Vie au bout des doigts :
http://www.youtube.com/watch?v=NDcaPJXQAFE
Opéra vertical :
http://www.passiongrimpe.com/viewvideo/134/inconnu.html
15
époque // Portrait de francophone (6/6)
Accompagnant un groupe de Français au Tibet,
devant le palais du Potala, à Lhassa.
Xinghao Chen,
le français en vadrouille
Responsable du département
francophone d’une agence
de voyage chinoise,
le Shanghaien Xinghao
Chen a fait du français son
visa pour l’emploi.
Texte et photos par Barbara Guicheteau
L
a Chine, pays de tous les
records... Sur ce territoire
grand comme dix-sept fois
la France et riche d’une
multitude de dialectes, la
notion de langue étrangère est toute
relative. Au quotidien, le Shanghaien
Xinghao Chen, responsable d’une
agence de voyage, jongle ainsi avec
pas moins de quatre langues, domestiques et internationales.
« Son poste actuel,
il le doit à sa maîtrise
parfaite de la langue
de Molière. »
16
Le mandarin tout d’abord (ou putonghua en pinyin1), standard officiel de Fuzhou à Harbin, en passant
par Pékin. Son dialecte natal ensuite,
le shanghaien, de rigueur en famille.
L’anglais, incontournable pour qui
travaille dans le secteur du tourisme.
Et enfin, le français, sa botte secrète.
Son poste actuel, il le doit en effet à
sa maîtrise parfaite de la langue de
Molière. En charge de Mosaic
voyages, le département francophone de l’agence Shanghai East
Travel, il traite directement avec ses
clients expatriés, originaires de
l’Hexagone, mais aussi de Suisse, de
Belgique ou encore du Québec.
À l’occasion, il les escorte même en
expédition, à Shanghai, en Chine et
au-delà, dans toute l’Asie. Tibet, Vietnam, Birmanie, Cambodge… peu
importe la destination. Pour Xinghao Chen (Alain de son prénom
français), « l’essentiel est de sortir des
sentiers battus du tourisme ».
Bagage culturel
En globe-trotter averti, il prend donc
soin d’éviter les lieux communs. Une démarche qu’il attribue pour partie à son
séjour en France, de 2001 à 2004. « J’y
ai découvert le plaisir de voyager, de gratter derrière la photo souvenir ». Au passage, il intègre un certain nombre de valeurs propres aux Français. Un bagage
culturel qui lui permet aujourd’hui de
saisir rapidement la demande de ses
clients, voire d’anticiper leurs besoins.
Le français dans le monde // n° 385 // janvier-février 2013
À Shanghai, chacun loue d’ailleurs
son professionnalisme, légitimé par
un partenariat durable avec le Cercle
francophone, association de référence de la communauté expatriée.
« Chaque nationalité a ses habitudes
en voyage », sourit-il. Et en l’occurrence, « les Français aiment bien prendre leur temps, aller au fond des
choses. Pas question de les bousculer ».
Trois ans en France
En 2001, quand il débarque à Lyon,
Xinghao Chen est loin de se douter de
ce qui l’attend. La France, il n’en
connaît que les clichés d’usage. « Aujourd’hui encore, les Chinois l’associent
au chic, à l’élégance, au romantisme. »
Une réputation séduisante pour un
étudiant de 22 ans. D’autant que « les
frais de scolarité et de logement restent
abordables pour un petit budget ».
Sa première année, il la consacre à
l’apprentissage de la langue au sein
d’un institut privé. Un mauvais souvenir : « Nous restions entre Chinois,
avec un programme très cadré. » Trop
en tout cas pour le jeune homme,
qui rêve de sortir de sa communauté. Dont acte la deuxième année.
Sur les bancs de l’Alliance française
de Lyon, il rencontre des étudiants
originaires du monde entier, découvre la culture de son pays d’accueil et
améliore sa pratique du français, notamment à l’oral. « Pour un Chinois, le
premier obstacle est la prononciation.
Une fois celle-ci acquise, tout roule. »
L’écrit lui résiste un peu plus longtemps, pour cause « de règles de conjugaison et de grammaire parfois complexes ». Ses bêtes noires ? Sans
hésiter, « le subjonctif et les verbes irréguliers ». En compensation, certains
rituels lui facilitent la tâche : « le dimanche, j’allais faire un tour sur le
marché pour acheter un saucisson et
un livre d’occasion », étranger de préférence, mais en version française.
À force de lecture et de travail, le
Shanghaien intègre la faculté d’économie de Lyon II, à la rentrée 2003.
Déjà titulaire en Chine d’un bac +4
en import-export, il y valide en un an
une maîtrise, mention assez bien. Et
de confier, rétrospectivement : « Mes
trois années passées en France restent
les plus riches de ma vie. »
L’aventure touristique
De retour en Chine, fin 2004, Xinghao Chen souhaite valoriser son ex-
Le français dans le monde // n° 385 // janvier-février 2013
périence lyonnaise en intégrant une
entreprise francophone. Sa première
candidature est la bonne : quelques
semaines après ses retrouvailles avec
son pays natal, il rejoint l’équipe du
Sofitel à Shanghai.
Mais l’hôtellerie se révèle rapidement un peu trop routinière pour le
jeune diplômé, avide de décou-
« Professionnellement,
je fais office de trait
d’union entre les
cultures francophones
et asiatiques. »
vertes. Une proposition d’une
agence de voyage tombe alors à pic.
En 2005, il se lance dans l’aventure
touristique, en tant que spécialiste
de la langue française. Huit ans plus
tard, il est toujours fidèle au poste.
Les restructurations de la maison
n’ont pas eu raison de sa motivation.
Au contraire. Au sein du navire East
Travel, le département francophone
jouit aujourd’hui d’une certaine autonomie, avec un nom propre – Mosaic Voyages – et une offre de services ad hoc. Autonomie justifiée par
le nombre de Français établis à
Shanghai, près de 16 000 selon une
estimation du consulat général, « ce
qui en fait la première concentration
de ressortissants en Asie ».
En témoin privilégié, Xinghao Chen
ne se lasse pas d’étudier les mœurs de
ses contemporains. « Professionnellement, je fais office de trait d’union entre
les cultures francophones et asiatiques.
C’est un poste d’observation passionnant ! » Ce recul lui a permis de
constater l’évolution considérable de
ses compatriotes : « La Chine change
très vite. » Trop vite ? « Je me sens chinois à 100 % et j’adore mon quotidien à
toute vitesse à Shanghai, mais je n’élude
pas le fait de repartir un jour vivre à
l’étranger. » De tous les territoires francophones, le Québec a sa préférence,
question de « qualité de vie » pour sa famille. Père d’un petit garçon de deux
ans, Xinghao Chen aimerait lui enseigner le français. Sa femme s’y est déjà
mise. Et de faire le vœu suivant : « Qui
sait, un jour, on parlera peut-être français en famille ? » ■
1. Le pinyin est le système de transcription des
sinogrammes en caractères latins.
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