La fabrique du soin... en psychiatrie

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La fabrique du soin... en psychiatrie
La fabrique du soin... en psychiatrie
Michel Couïll
Landerneau
A un moment où le système de soins de l'hôpital général, c'est-à-dire la médecine somatique,
est quasiment à l'oeuvre dans les services de psychiatrie (je pense aux dossiers de soins, au
projet de soins individualisé, à l'évaluation quantitative des actes, aux transmissions, aux
techniques de "communication", aux ordinateurs, à la disparition des infirmiers de secteur
psychiatrique, la disparition des internes en psychiatrie, à la pénurie de médecins psychiatres,
au tronc commun de la formation infirmière, etc...), le thème de cette onzième journée
nationale de psychothérapie institutionnelle raisonne fort dans l'esprit des "acteurs en
psychiatrie" qui ont toujours essayé de parler de leur pratique avec plus au moins de bonheur .
Mais à dire que la spécialité psychiatrique est trop vaste, trop variée, trop abstraite, et qu'on ne
peut pas parler de ce qu'on fait, de comment on travaille et avec quels outils, il me semble
qu'on "fait" le jeu d'un Etat qui tend de plus en plus à ignorer la folie en prêtant au social la
difficile question des soins psychiatriques. il n'est qu’à voir récemment la relégation de
l'autisme au stade de handicap (avec cette notion d'incurabilité) pour s'en convaincre. Certes,
la psychiatrie a toujours été la dernière roue de la charrette-santé, mais aujourd'hui ce n'est
même plus ça : on ne parle plus en effet que des chômeurs, des sans-papiers, des clochards (à
qui l'on veut interdire l'accès des villes), des rmistes, des sans travail, des pauvres, et il faut en
parler, mais alors les fous ? On n'en parle plus, ils sont relégués au delà de tout ça, ou bien
noyés parmi ces derniers ? Il n'empêche que la folie existe encore, et qu'il faut bien la prendre
en compte.
Le thème de cette journée m'a interrogé : "la fabrique du soin", notamment lorsque au cours
d'une réunion de service quelqu'un a utilisé le terme de "production de soin" au lieu de
"fabrique" : lapsus. Alors je me suis dit, « qu'est-ce qu'on produit en effet comme soin en
psychiatrie ? » (produire, fabriquer, dans le sens de créer).
Le "modèle de soin" de l'hôpital général, c'est-à-dire l'approche somatique de la souffrance
psychique a toujours "navigué" plus ou moins dans les secteurs de psychiatrie. Aujourd'hui
c'est clair, il est là, depuis 20 ans ou plus qu'il essaie de s'incruster bon an mal an, je pense à
un vieil hôpital, un asile de psychiatrie, où il existait 4 secteurs adultes et un inter-secteur de
psychiatrie infantile, annexé par la suite à un hôpital général ; se dégageant petit à petit du
schéma de la neuropsychiatrie (après des années), des pratiques différentes du modèle
hospitalisation classique, se font jour, par le biais précisément de la création d'une association
en santé mentale. Elle a permis la prise en compte par la psychiatrie de la gestion des ateliers
d'ergothérapie, des foyers-cantines, puis des appartements et globalement de la sociothérapie
(ces activités restaient auparavant sous le contrôle de l'administration toute puissante). Les
équipes soignantes commençaient du coup à s'intéresser de plus près à ces activités, sentant
bien que ça avait à voir avec le traitement de la souffrance psychique : (inclure des médiations
dans la relation soignant-soignés, apparaissait comme complètement nécessaire aux infirmiers
qui s'occupaient de cette association psychiatrique).
Les médecins psychiatres restaient souvent distants dans cette affaire. en tout cas les soignants
pressentaient bien que ces activités variées via l'associatif avaient à voir avec les soins en
psychiatrie. Quelques "expériences" intéressantes sur l'impulsion de quelques internes de
passage et en mal de thèse allaient dans ce sens, l'espace d'un printemps...
Malgré ses diverses tentatives, la prégnance du modèle de soins "hôpital général" restait
dominateur, avec des notions comme le « bon sens », la « bonne volonté », la « vocation », y
compris à l'association maintenue dans un style de patronage et fonctionnant en inter-secteur
(déjà !). Je passe...
Un jour, au travers de réunions de groupe, les gens, les soignants d'un secteur se sont mis à
"panser" autrement, indépendamment de leur statut !
Pourquoi, comment, que s'est-il passé à ce moment là ?
On a souvent dit dans des écrits sur cette nouvelle pratique, que le changement était lié à
l'arrivée et donc à la "présence", mais aussi aux références théoriques autres, d'un nouveau
médecin-chef de secteur ?
Ça ne m'a jamais paru "suffisant" de dire cela. j'ai essayé de réfléchir à ce qui s'était modifié
alors, au fil du temps, sur des années, au travers de réunions de groupes, de stages, etc...
regroupant soignants et soignés de ce secteur dans la réflexion, et il me semble, qu'en
référence à un des séminaires de J. Lacan sur les quatre discours, où il parle de production (au
sens économique de Karl Marx) que la conséquence de cette mise en commun des idées, des
biens, des réflexions d'une équipe soignante pluri-disciplinaire, qui prenait en compte tout
d'abord la vie quotidienne de l'asile, pour aller plus loin ensuite, tout en tenant compte de ce
qui existait déjà (de l'histoire du coin, des gens du coin), entraînait la production d'un autre
discours, eut égard également à une certaine manière de ne pas répondre systématiquement à
la demande des soignants, de la part du médecin-chef contrairement à ses prédécesseurs
quelque peu paternalistes.
En effet, les questionnements de l'équipe soignante sont ramenés au collectif sous forme d'un
autre questionnement, et il s'en suit pour une part, une réflexion autre qui va induire une autre
pratique.
La production d'un autre discours, c'est ça qui permet un changement, changement qui n'est
possible que si à la fois on tient compte de l'ambiance, des possibilités de circuler, de parler,
indépendamment de son statut, etc...
Donc c'est bien la production d'un autre discours, dans le sens où « il n'y a des faits que de
faits de discours » (Jacques Lacan) qui modifie quelque chose ; si ce discours là (le discours
analytique) peut "circuler", "entre mêlé" dans le discours du quotidien (le discours
hystérique), du discours universitaire (s'appuyant sur le savoir scientifique et la connaissance),
du discours du maître (les reliquats de séminaire ou de certains stages) ; si ce discours-là (le
discours analytique) "prend corps", il s'ensuit une autre pratique. il existe alors là une
"dialectique" entre théorie et pratique, l'une "se nourrissant" de l'autre, et toujours à
recommencer. Dès lors il y a du sens, et on sort du faire pour faire, de l'activisme... il existe
alors une analyse de ce qui se passe et on en tient compte.
Concrètement, les réunions, la mise en commun des ressentis, des pensées, des discours, ont
permis, ont autorisé les infirmiers, les aides-soignants, à parler, à raconter leur pratique (il faut
permettre qu'une "surface de paroles" existe entre les différents acteurs). ils ont pu prendre la
parole, et du même coup, ils l'ont "donnée", permise, autorisée aussi aux autres, c'est à dire
aux gens en soins, qui à leur tour osent parler, et parfois sont écoutés. tout ces discours
apportent "de l'eau au moulin". Il n'y a plus qu'à "interpréter" ensuite les discours, les faits ; là
c'est encore une autre histoire, mais il y a "matière à". interpréter en tenant compte de toutes
sortes de paramètres, le milieu, les gens, la famille, etc... qu'est-ce qui a joué, qu'est-ce qui a
changé, est-ce qu'on est dans un phénomène de répétition, où sont les résistances, etc.
« Interpréter » ça veut dire « traduire ». C'est là le travail essentiel de la fonction soignante.
Le terme « thérapeutique » veut en effet dire « traduire », au sens premier du terme.
Pour revenir à l'hôpital général, en tant qu'il est complètement différent, il me semble que le
soin ici est préétabli, de sorte que pour un problème donné, il va exister deux ou trois
protocoles de soins qui vont être proposés et qui sont inscrits d'avance.
Par exemple : « Mal à la cheville », c'est le signe premier, auscultation, douleur enflure
--> radio --> diagnostic : entorse --> soins, pommade antalgique ou et bandage ; fracture :
immobilisation plâtre, surveillance, contrôle. Une fois le diagnostic établi, le protocole suit en
tant qu'il est prévu dans la tête des soignants. ce sera toujours quasiment dans ce schéma-là
indépendamment des spécialités aussi "pointues" soient elles.
En psychiatrie c'est différent, et c'est sans doute pour cela que le médecin généraliste, ou
l'hôpital général recourt à la psychiatrie quand les causes somatiques ont été éliminées et que
la douleur, ou tout au moins une certaine souffrance, persiste.
Le soin n'est pas établi à l'avance, et les schémas "éducatifs", la bonne morale, la vocation, la
pédagogie... n'ont plus cours. En tout cas, ça ne marche pas. Ce qui n'empêche pas d'y avoir
recours sous des formes adaptée. On sait bien par exemple que la pédagogie Freinet avec
l'implication concrète des enfants réputés difficiles, dans les "techniques éducatives" donne
des résultats intéressants (techniques d'imprimerie, groupes de parole ; raconter, écrire, parler
de son vécu...). Une autre approche de l'autisme et des enfants délinquants nous a été raconté
de façon intéressante par Fernand Oury et Fernand Deligny, entre autres.
Mais revenons à ce problème de cheville douloureuse : qu'est-ce qu'on va faire de cette
souffrance ici ? De quelle demande de soins s'agit-il, de quel sorte de symptôme ?
On peut dire : « C'est du cinéma »... (ce qui sera déjà un indice...)
On peut différer, traiter la demande... « De quoi est-il question en réalité", s'agit-il de la
cheville ? tout en respectant ce symptôme car c'est quand même la façon que le patient a
trouvé, "à son corps défendant", pour s'exprimer. Petit à petit on ira au-delà, en écoutant le
patient, en l'observant dans sa vie quotidienne, en tenant compte des discours variés de ses
proches, de son employeur, de son histoire, de son passé, du milieu... Petit à petit, on voit à
qui on a affaire ; une certaine structure de personnalité émerge. Il y a déjà alors tout un travail
de fait. On essaie de donner sens au symptôme avec la participation du patient. C'est surtout
lui qui élabore, qui résiste, répète, revient, arrête... (ce n'est pas du gâteau).
Déjà dans une "relation duelle" dans la situation du cabinet d'un psychothérapeute c'est
difficile ; il faut que le psychothérapeute ne soit pas trop "encombré" lui-même par ses
"propres salades", et sachant alors « qu'il n'ira pas plus loin que là où il en est lui même », il
va permettre à l'autre de travailler, d'élaborer sur ses souffrances au fur et à mesure en
"dépassant" ses résistances.
Dans l'équipe de soin au sens large, pour qu'elle devienne "collectif" c'est un peu ce schéma-là
qui peut se passer sachant que les psychotiques et notamment les schizophrènes l'attendront
toujours là où il est "encombré" : ça pose là déjà certaines limites, mais relatives si plusieurs
soignants sont partie prenante de la prise en charge de madame untel.
La pratique psychiatrique met en dialectique le besoin, la demande, le désir, le sujet de
l'inconscient ; elle implique aussi de mettre en discussion le rôle, le statut, la fonction et les
compétences de chacun. Préciser un diagnostic, traiter la demande, voir à qui on a affaire.
Par exemple, tenir compte de "l'impression première" : « Tiens, celui-là, il me fait penser à
machin, il me rappelle un autre... etc. »
Au niveau du visage il y a parfois des réminiscences, un regard, un trait... on en parle, on
élabore ensemble un diagnostic et, en tenant compte de la personnalité, on peut émettre des
hypothèses de possibilités de soins, c'est-à-dire une pratique qui découle du discours entendu
et interprété, fonction aussi de l'entourage, des aléas de la vie quotidienne, et "entreprendre"
une prise en charge ; des contrats peuvent se tenter, toujours à renouveler, au travers d'une
relation privilégiée qui s'instaure. C'est à partir de cela que ça commence... mais ‘faut pas
oublier la cheville : c'est l'articulation...
Pour illustrer concrètement ces points de repère :
Jeanine est hospitalisée dans le vieil asile dont j'ai parlé, depuis une dizaine d'années. Elle a
presque 30 ans, elle est très coquette et a su conquérir le confiance des soignants de son
pavillon de sorte qu'on la laisse aller en ville seule, faire des courses... pour le personnel, elle
en profite pour s'acheter de beaux vêtements ; elle a une garde-robe à faire pâlir plus d'une
infirmière.
Elle est « autonome » comme on dit ; elle est bien vue, a priori on se demande ce qu'elle fait
dans ce service ? Est-elle malade ?
Elle est à l'ordre du jour des premières réunions du pavillon où l'on parle d'acheter le journal
et d'aller à plusieurs en ville... il faudra plusieurs discussions pour se rendre compte que
Jeanine est réellement malade, tellement elle semble bien adaptée... à la vie réglée du pavillon
et aux personnels qui y travaillent. ‘Faut dire qu'elle est plutôt douée pour connaître les
histoires de chacun, et sûrement qu'elle en connaît plus sur les soignants que l'inverse. C’est
vrai aussi qu'elle ne semble pas souffrir en dehors de quelques périodes de constipation,
diarrhées ; une boulimie de gâteaux, pâtisserie de temps à autre, l'achat fréquent de vêtements
neufs. Elle représente un peu le pavillon à elle toute seule ; un pavillon comptant une
soixantaine de femmes, délirantes, paranoïaques, psychoses alcooliques, entre 25 et 60 ans.
Un pavillon dit « de chroniques », qui rivalise avec le pavillon d'admission, et ignore le
quartier d'agitées, le service des "petites idiotes", et celui des personnes âgées, un autre de
grabataires. L'ensemble constitue pourtant un même secteur !
Si tout paraît tranquille, et les patientes parfaitement adaptées au milieu asilaire il y existe
quand même une hiérarchie subtile : les chef-ménage, les chef-vaisselle, celles qui ont le droit
d'aller en ville, celles qui dirigent, les "grandes gueules", celles qui ne disent rien, tout cela
fonctionne tant bien que mal, noyé dans une sédimentation certaine. Le cloisonnement est
manifeste. On ne se connaît pas d'un pavillon à l'autre, chacun doit rester chez soi.
C'est par le biais des représentants de l'association inter-secteur que l'idée de vivre en
appartement se fait jour. Jeanine est intéressée. On en parle, on réfléchit à sa demande, on
reprend son histoire, on devine un peu sa personnalité psychopathologique enkystée, entre les
joints jaunis des pierres enfumées du pavillon où un malade se charge de ramasser les briquets
et les allumettes le soir, une autre les couteaux. la mixité n'est pas de mise. L'idée d'un
appartement pour Jeanine permet de remettre en cause tout un système de relations de type
fusionnelle qu'on a laissé s'instaurer, du fait de sa pathologie avec quelques soignants. Le
"vecteur" appartement soulève l'enthousiasme et l'opposition d'autres soignants. Un an se
passe et Jeanine finit par sous-louer un appartement en ville via l'association.
On découvre alors une autre personne incapable d'investir ce nouveau lieu ! En effet, les
dimensions délirantes reprennent : elle a peur d'être attaquée sur le chemin de l'appart, elle est
tracassée par les bruits des tuyauteries, elle craint les fuites de gaz, elle pense qu'on la
surveille... en une année elle ydort seulement quelques nuits... l'appartement reste vide, elle
n'y apporte pas grand chose, peu de vêtements ! Qu'elle continue cependant à acheter de
manière impressionnante. Dans la journée, elle préfère rester à l'hôpital dans les ateliers. elle
se remet à "plafonner", elle délire avec la télévision et les speakerines, elle se dit amoureuse
de certains soignants, d'un nouveau médecin, etc...
Le "support appartement" éclaire l'équipe sur la psychopathologie de Jeanine... « Ma foi, elle
est bien malade »... et dire qu'on a failli baisser son traitement médicamenteux du fait qu'elle
allait vivre dehors ! Le suivi en consultation régulière permet à Jeanine d'exprimer ses
angoisses, ses craintes, ses délires. on arrêtera ce projet avec son accord, en lui proposant 2
ans plus tard de s'installer avec d'autres (hommes-femmes) quatre ou cinq résidents dans une
maison communautaire, gérée par le club thérapeutique sous contrôle de l'association intersecteur. Entre-temps la mixité des équipes et des soignés s'est réalisée à la faveur de
l'installation d'un poulailler, objet de projection extraordinaire pour l'ensemble des gens quant
à ce problème nouveau ! Le fonctionnement en commun lui convient mieux. Elle s'investit
dans les tâches ménagères menées de façon obsessionnelle. Elle exerce son pouvoir sur les
autres résidents et les soignants, mais ça reste "dilué" sur plusieurs personnes. Les réunions de
vie commune régulières permettent de parler des problèmes, de la souffrance de chacun ; on
s'aperçoit que Jeanine ne peut pas beaucoup faire autrement. Quand c'est insupportable, et
même avant, la sonnette est tirée par un soignant ou un résident et on la ré hospitalise avec
son accord. Puis elle reprend pied dans l'appartement.
L'appartement n'est pas le seul lieu qu'elle investit, dans la journée elle vient volontiers en
"hôpital de jour" dans les ateliers tricot, poterie. Elle s'investit aussi au secrétariat du club qui
gère entre autre la maison communautaire. Elle passe ainsi 3 années dans la maison
communautaire baptisée "l'alouette". De concert, l'équipe rencontre aussi sa famille pour avoir
son aval d'une tentative de vie en société à l'extérieur et on peut reparler de son histoire.
Jeanine s'investit par ailleurs et en même temps dans des séjours thérapeutiques en Angleterre,
à Paris, aux châteaux de la Loire, etc... Ses symptômes s'estompent, dilués sur les différents
lieux d'investissement et le collectif soignant.
Quelques temps avant le départ du secteur 13 de l'hôpital de morlaix vers landerneau, elle
trouvera avec l'aide de l'équipe un appartement à elle en ville, qu'elle investit mieux cette fois.
L'équipe passe le relais au secteur voisin car Jeanine est devenue morlaisienne, bien
qu'originaire de Brest. Au fil du temps elle a noué des relations avec le secours catholique où
elle rend service, avec la maison des jeunes ou elle va seule aux cours de gymnastique. De
temps à autre elle passe un petit bonjour dans les couloirs de son ancien secteur en partance.
Çà tiendra quelques années. quinze ans ont passé.
Plus tard une occlusion intestinale aura raison de sa souffrance. Jeanine était toujours sujette à
des constipations...
Pour "fabriquer", il est nécessaire d'utiliser quelques outils adéquats ; l'association, les
réunions, les différentes formules d'habitation s'avèrent nécessaires dans la prise en charge de
Jeanine. Une Jeanine, qui était, comme beaucoup d'autres, en attente de soins.
Les ateliers, le club thérapeutique, les séjours thérapeutiques, les appartements associatifs,
communautaires, les réunions, les groupes etc... sont autant de moyens utiles à "traiter" la
souffrance psychique en évitant le piège fusionnel. L'investissement est multiple, démultiplié
en différents lieux et différentes personnes avec qui peuvent se tisser, se nouer un maximum
de relations enfin possibles pour qu'elle se retrouve un tant soit peu dans l'existence. Une
existence par souvent impossible autrement, et cela, malgré les apparences.
Remarques :
Si à l'hôpital général, il existe des conditions nécessaires au bon déroulement d'une
intervention chirurgicale par exemple, à savoir des conditions d'asepsie, des techniques
particulières, la présence d'un panseur compétent, d'une équipe qui connaîtra les instruments
adéquats, d'un espace d'intervention stérile, etc... En psychiatrie, il en est de même. La prise
en charge de Jeanine nécessite tout un ensemble d'outils, d'opérateurs, de compétences, de
"béquilles" pour que ça tienne. Une prise en charge collective est nécessaire. Les fonctions
comme l'accueil, la continuité des soins, sont fondamentales. Elle est impliquée dans la
recherche des appartements ; habiter l'appartement c'est se reconstruire elle-même un tant soit
peu ; la nécessité de plusieurs lieux est fondamentale pour quelqu'un qualifié « d'être nulle
part », c'est-à-dire éclatée, dissociée en bribes et morceaux. Sur les différentes scènes du soin,
on peut repérer ce qui se passe avec Jeanine. Le respect de ses symptômes, de ses résistances,
la qualité d'un "transfert multiréférenciel", c'est-à-dire les relations qu'elle a nouées avec les
soignants qui comptent pour elle, lui permettent de tenir. On fait un bout de chemin avec elle.
Il y a quelque chose là de l'ordre d'un engagement vis-à-vis d'elle et elle le sent, le sait bien.
La dimension de la durée est aussi essentielle. Quinze ans...
C'est étonnant quand même, comment la médecine a su tenir compte des inventions
fondamentales de Pasteur quant à la découverte des microbes et de l'asepsie, et comment on a
vite oublié, déformé ou récupéré les principes que l'homme est "régi" par un inconscient dans
le sens où Freud et d'autres en ont parlé.
Il y a sans doute un facteur qui intervient quelque part là-dedans, la résistance, résistance à
l'analyse... au sens le plus banal du terme, et il faut bien faire avec.
Le plus curieux, quand même, c'est peut-être que les mêmes qui résistent, ont recours un jour
ou l'autre à cette démarche d'analyse...
Quand ils ne savent plus que faire.
Qu'ils soient journalistes, hommes politiques ou médecins..