2015-7-europe-fluviale-tourisme - Université Paris 4 Sorbonne

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2015-7-europe-fluviale-tourisme - Université Paris 4 Sorbonne
Le tourisme et les transports publics fluviaux
1. Grands gabarits.................................................................................................................................1
1.1 Un y européen.......................................................................................................................1
1.2 Un oligopole..........................................................................................................................2
2. Petits gabarits, bateaux promenade et excursions journalières.........................................................3
2.1 Une activité spécifique..........................................................................................................3
2.2 Les Iles Britanniques.............................................................................................................5
2.3 Le Canal du Midi..................................................................................................................7
2.4 La Suisse...............................................................................................................................8
3. Paysages et slow tourism..................................................................................................................9
3.1 La contemplation et le tourisme à terre.................................................................................9
3.2 L’action des collectivités régionales et locales....................................................................11
3.3 Les bateaubus......................................................................................................................11
Ouvrages cités (chapitre précédent inclus)......................................................................13
1. Grands gabarits
Dès les années 1820, la machine à vapeur avait permis de sillonner les fleuves puissants mais
malcommodes de l’Europe centrale. La première ligne régulière reliait Cologne et Mayence sur le
Rhin en 1827. En 1913, la flotte de la seule KD (Köln – Düsseldorf) comptait 32 unités et
transportait 2 millions de passagers.
Sur le Danube, où l'unité politique était assurée avec l'Empire Austro-hongrois jusqu'en 1918, la
première société de transport fluvial de bateaux à vapeur avait vu le jour en 1829. En 1880, la
DDSG viennoise était probablement devenue la plus grande société de transport fluvial au monde.
Son expansion avait été permise grâce à de puissants aménagements sur le Danube, notamment
avec la création du canal de Vienne et la correction des gorges des Portes de Fer entre la Serbie et la
Roumanie d’aujourd’hui. Elle comptait alors plus de 200 bateaux à vapeur, possédait son propre
chantier naval et sa mine de charbon, ainsi que ses sites d’escale ; elle éditait ses propres timbres
pour le courrier qu’elle transportait. Si la concurrence des chemins de fer puis de la route a été
impitoyable, l’activité fluviale de transport de voyageurs et de touristes a néanmoins vivoté.
1.1 Un « Y » européen
Aujourd'hui, le centre de gravité de l’activité se situe dans la région de Francfort-sur-le-Main ;
trois branches y convergent, sur le Rhin depuis Amsterdam et depuis Strasbourg, sur le Danube
depuis Budapest ; ouvert en 1992, le canal du Rhin-Main-Danube joue un rôle essentiel en
connectant les deux grands fleuves européens. On a donc une forme de réseau en « Y », à laquelle
on ajoute quelques sections en impasse (comme la Seine).
Les investisseurs et les compétences se localisent d’abord dans les métropoles de la Hollande et
de la Suisse alémanique, ainsi qu’aux Etats-Unis et, pour les loueurs, dans la région de Londres. Cet
ensemble polynucléaire et structuré par de grands axes connaît une forte diversité des activités :
croisiéristes, loueurs, propriétaires de résidences flottantes, acteurs urbains, « monuments naturels »
et parcs régionaux… A partir de ce territoire central, l’activité bourgeonne sur des axes secondaires
comme le Mittellandkanal, l’Elbe, le Danube balkanique. Ou bien, elle prospère dans des noyaux
physiquement mal connectés ou déconnectés du réseau principal en Suède, Finlande, Mazurie,
1
Angleterre, Ecosse, Irlande, Vénétie, France, Andalousie, Portugal… Dans une perspective de
croissance, il semblerait logique de voir se constituer un « X rhénan », pour reprendre l’expression
d’Étienne Juillard (1970) ; outre la liaison Amsterdam – Mer Noire, un autre axe pourrait se
construire entre Hambourg et Marseille, à condition de disposer d’une traversée à grand gabarit du
Grand Est français.
Helsinki
Stockholm
Boston
Los Angeles
New York
Atlanta
Göteborg
Inverness
Copenhague
Les sièges sociaux :
Stralsund
Hambourg
croisiéristes
Londres
40 à
20 à
10 à
5
1 ou
Düsseldorf
Cologne
Le Havre
Paris
Dresde
loueurs
Nuremberg
Rouen
Prague
Cochem
Strasbourg
Joigny
120
entreprises
internationales
Berlin
Amsterdam
Les villes-portes :
nombre d’entrées
recensées (environ)
Gdansk
Passau
Bâle
Vienne
Budapest
Chalon-sur-Saône
50
30
15
Tulcea
Bucarest
Venise
Lyon
Roussse
Montpellier
2
Avignon
Arles
Martigues
Porto
Lisbonne
0
500 km
Séville
RW 2005
1.2 Un oligopole
La flotte de paquebots à grand gabarit comptait 30 unités en 1970, 60 en 1990 et il est question
de 310 unités pour 2020. Une bonne trentaine de sociétés s’intéressent au tourisme de masse. Outre
les nouveaux arrivants, les opérateurs historiques combinent les lignes régulières et les croisières.
Certains consortiums ont intégré les croisières fluviales dans le panel de leurs activités, d’autres
sont devenus des entreprises touristiques diversifiées en partant de la croisière fluviale. Une
quinzaine de sociétés préfèrent les niches de marché, soit sur le réseau à grand gabarit avec des
navires de grand luxe ou « historiques », soit sur des péniches rénovées à petit gabarit. Des artisans
ont développé des entreprises familiales avec succès. Le nombre de clients ne cesse d’augmenter.
Selon RiverAdvice, ils étaient 307.000 en 1997 et 944.000 en 2004 (dont 19% d’Allemands, 9%
d’Anglais et 14% d’Etatsuniens). Agé de plus de 55 ans et financièrement à l’aise, le client-type est
un habitué des voyages. En 2005, on recense 177 bateaux de passagers offrant au total 23.616 lits
(avec la Russie et l’Ukraine). 44 paquebots fluviaux battent pavillon suisse, 40 sont allemands, 36
néerlandais, 30 français et 27 d’entre eux hissent un autre pavillon.
Les cinq principaux croisiéristes
Nom
Nationalité
Viking River
Cruise (ex KD)
Consortium scandinave et
néerlandais, Bâle, Suisse
CroisiEurope
Strasbourg, France
Scylla
Bâle, Suisse
Navires en Europe :
nombre, mise en
service, longueur
- 8 navires
- 1991 à 2004
- 110 à 140 mètres
- 25 navires
- 1991 à 2006
- 82 à 110 mètres
- 12 navires
2
Remarques générales
1er croisiériste fluvial au
monde
1er croisiériste fluvial en
Europe
Un bateau-hôtel fixe dans le
Peter Deilmann
Neustadt, Holstein,
Allemagne
Lüftner Cruises
Innsbruck, Autriche
- 1974 à 2005
- 82 à110 mètres
- 9 navires
- 1983 à 2004
- 83 à 110 mètres
- 6 navires
- 1997 à 2005
- 110 mètres
port de Bâle
Croisières de haute mer dans le
grand Nord
Autocariste en 1948
A Strasbourg, Gérard Schmitter (+2012), à l’origine restaurateur au bord du Rhin, a créé la
société CroisiEurope en 1975 devenue depuis le premier opérateur en Europe. Sa flotte est
standardisée et construite par un seul et même chantier, SA Meuse et Sambre (à Beez-sur-Meuse,
près de Namur), qui a livré 21 navires entre 1996 et 2005, à raison de 35.000 heures de travail par
unité. Puis l’aménagement final est réalisé sur le chantier strasbourgeois de CroisiEurope, où, par
bateau, 25 entreprises travaillent pendant 28.000 heures ; le MS Europe, lancé en 2006, a généré un
chiffre d’affaires local de 8 millions d’euros. Le fondateur de l’entreprise s’appuie sur ses quatre
enfants et ses 900 employés. En 2004, CroisiEurope a transporté 155.000 passagers avec 24
bateaux. Outre les destinations classiques du Rhin, de l’Elbe et du Danube, la société pratique des
incursions maritimes entre le Guadalquivir et le Guadiana (le fleuve-frontière entre l’Andalousie et
l’Algarve), ainsi qu’entre Venise et le Pô. Depuis 2007, sa nouvelle filiale Croisimer effectue des
croisières exclusivement maritimes, en Croatie pour commencer.
Les dessertes et le réseau Croisieurope
Copenhague
Rügen
Stralsund
Groningue
Oldenburg
Szczecin
Berlin
Amsterdam
Hanovre
Honfleur
Coblence
Rüdesheim
Francfort
Trêves
Giverny
Rouen
Paris
Strasbourg
Chalon-sur-Saône
Lyon
Tain-L’Hermitage
Heidelberg
Brisach
Magdebourg
Nuremberg
Ratisbonne
Tokaj
Passau Vienne
Bratislava
Linz Melk
Budapest
Pecs
Padoue Venise
Vérone
Crémone
Ferrare
Novi Sad
Tisza Füred
Szeged
Delta
du Danube
Tulcea
Bucarest
Roussé
Belgrade
Ivanovo
Avignon
Douro
Porto
Martigues
Regua
Salamanque
Alcoutim
Guadiana
Vila Real
Cadix
Cordoue
Séville
Guadalquivir
Raymond Woessner, UdS
0
Gibraltar
Section naviguée
Ville-siège
Ville-porte
Europe des 27, données pour
2006
Ville-étape
500 km
Espace touristique
avec principales
excursions en autocar
(Copenhague : ferry)
2. Petits gabarits, bateaux promenade et excursions journalières
2.1 Une activité spécifique
On peut diviser l'activité en quatre segments : les lignes régulières ; les tours ; les excursions
événementielles ; les transports à la demande 1. En outre,il devient de plus en plus fréquent de
pouvoir acheter un billet combiné, associant le bateau à une autre activité. L'essentiel de l'activité
se déroule en été et la campagne se prépare l'hiver précédent.
1
Voir Observation du Marché 2012-2, Bulletin de la Commission Centrale de la Navigation sur le Rhin,
Strasbourg, 50 p.
3
Un bateau à un pont pour 80 passagers coûte 1,5 million d'euros ; à deux ponts pour 350
passagers, environ 7 millions. Le marché se développe lentement mais sûrement : en France, 8
millions de passagers en 2002 ; Bateaux Parisiens (les Bateaux Mouches, marque déposée) contrôle
40% du marché parisien avec 280 salariés, de nombreux intermittents et 3,5 millions de passagers
par an. Aux Pays-Bas, Amsterdam réalise à peu près la moitié de l'activité du pays. En Allemagne,
Hambourg, Berlin et Dresde apparaissent aux premiers rangs.
Aperçu dans quatre pays
Pays
Bateaux
Places offertes
Passagers en 2011
Entreprises
Allemagne
820
168525
inconnu
300
France
421
49100
11 millions
237
Pays-Bas
300
inconnu
6,6 millions
inconnu
Suisse
6
inconnu
100000
2
Source : Observation du Marché 2012-2, Bulletin de la Commission Centrale de la Navigation sur
le Rhin, Strasbourg, 50 p., cf. p. 12.
Écluses et gabarits
Écluses
Longueur
Largeur
Tirant d’eau
Tirant d’air
Gabarit
Canal du Midi
(1682)
29,2 m.
5,5 m.
1,6 m.
2 à 2,6 m.
120 tonnes
Angleterre
XVIIIe siècle
12, 18 ou 22 m.
2,08 m.
narrowboat
Freycinet
(1878-1879)
38,5 m.
6 m.
2 m.
3,7 m.
350 tonnes
Rhin en Alsace (19321979)
185 ou 270 m.
12, 23 ou 24 m.
4 m.
7 m. (Strasbourg)
3.200 tonnes
Des sites techniques attractifs
Lieu
Fonséranes (Béziers),
canal du Midi.
Date
1682
Motala, Göta Kanal, le
« ruban bleu suédois ».
Elblag, canal d’Elblag, en
Mazurie, (ex-Prusse
Orientale), Pologne.
Foxton, Grand Union
canal, Angleterre.
Briare, entre Loire et
Seine.
Saint-Louis Arzwiller,
canal de la Marne-auRhin, Lorraine / Alsace.
Ronquières, Belgique.
Strépy-Yhieu, canal du
Centre, Wallonie.
Falkirk Wheel, entre le
Forth Clyde canal et
1810/
1832
1844/
1881
1810/
1928
1896
1968
1968
2002
2004
Particularités techniques
Escalier d’eau. Dénivelé de 20
mètres. 8 écluses à l’origine, 6
aujourd’hui.
Escalier d’eau.
Dénivelé de 99,52 m., bateaux de
60 t., funiculaires de 350 à 550
mètres de long.
Ascenseur à bateaux.
Remarques
Le site le plus fréquenté
du Canal du Midi.
Le cœur du dispositif
fluvial suédois.
« Région des 1000
Lacs ».
230.000 visiteurs / an.
Pont-canal métallique de 662,69
mètres par G. Eiffel.
Plan incliné. Remplace 17
écluses ; dénivelé de 44,55 m.
300.000 visiteurs / an.
Plan incliné.
Ascenseur à grand gabarit, 73
mètres de haut.
Ascenseur à bateaux. 35 mètres
de dénivelé, deux bacs de 600
40.000 visiteurs/an.
60.000 visiteurs
(2004).
450.000 visiteurs
(2004).
4
140.000 visiteurs / an.
l’Union canal, Ecosse.
tonnes.
Le Gotha Kanal à Trollhätttan. Ex-usine automobile Saab sur la droite. RW 2012.
2.2 Les Iles Britanniques
La curiosité technique et scientifique a été l’un des moteurs des mobilités des Britanniques.
Ainsi, vers 1750, Francis Egerton, futur duc de Bridgewater, visite le Canal du Midi lors de son
« grand tour » d’Europe (Cotte, 2003). Observateur minutieux des techniques et des ouvrages, il fait
ensuite construire le premier canal britannique d’importance en 1765 dans le but de transporter du
charbon. La « canal mania » se développe rapidement. A son apogée, lors de « l’âge d’or » de 1770
à 1830, le réseau compte 4.000 miles de canaux. Une population forte de plus de 100.000 bateliers,
sortes de nomades de la première révolution industrielle, vit alors en famille sur l’eau. Les péniches
sont des narrowboats larges de 208 cm seulement et longs de 22 mètres au maximum ; certaines
écluses sont limitées à 18, voire à 12 mètres de long. Les Britanniques exportent leur savoir-faire
vers la Suède en particulier. L’ingénieur Thomas Telford a préparé le terrain aux canaux de Göta et
de Trollhäten réalisés par Balthazar von Platen qui, depuis 1832, relient Göteborg à Stockholm via
les lacs en 390 km. Mais, tout comme en Grande-Bretagne, le chemin de fer a y rapidement ruiné la
voie d’eau. A présent, la Grande-Bretagne et l’Irlande apparaissent comme une référence en matière
de patrimoine industriel. L’Etat (British Waterways), les associations (comme Inland Waterways
Association) et les particuliers y structurent l’activité. De même, en Irlande, le système ShannonErne a été rouvert en 1994 lorsque l’Etat y a créé Waterways Ireland dans le seul but de développer
le tourisme fluvial.
Hier comme aujourd’hui, trois groupes d’activités apparaissent remarquables.
- La navigation de plaisance. Tout comme au XIXe siècle, les narrowboats sont décorés de
manière extravagante mais à présent on les construit en acier et ils sont propulsés par un moteur
diesel. L’heure de la renaissance a sonné pour eux dès les années 1960, notamment sous l’impulsion
de « Tom » Rolt, à la fois ingénieur en mécanique et écrivain prolifique. Vivant sur une péniche, il
tenait le secrétariat de la Inland Waterways Association et il a également fait revivre un chemin de
fer touristique. Aujourd’hui, British Waterways gère 3.220 km de voies navigables, toutes dédiées
au tourisme. En 2004, on y dénombre 48.000 navires licenciés, dont la plupart sont des
narrowboats, et encore 5.000 autres navires non-licenciés qui circulent sur des voies d’eau privées.
- Le patrimoine industriel. Comme les premières mines et manufactures sont antérieures au
chemin de fer, beaucoup de canaux desservent les sites les plus anciens. De remarquables travaux
de conservation concernent les installations industrielles disséminées dans les îles britanniques. Sur
5
la Severn, le site d’Ironbridge (Shropshire) est inscrit au Patrimoine mondial de l’UNESCO depuis
1986. Il s’agit du pont en fonte le plus ancien au monde (1781), avec un métal produit à
Coalbrookdale dès 1708. Thomas Telford, un ingénieur du bâtiment d’origine écossaise, dirigeait
les travaux publics du Shropshire ; utilisant la pierre, le brique et la fonte, il a conçu des routes,
différents docks et canaux en Angleterre et en Ecosse (dont le Caledonian Canal) et, comme on l’a
vu plus haut, en Suède. A présent, autour de l’Ironbridge, sept musées (musée du fer, haut-fourneau
de Darby, musée de la Gorge et centre d’accueil, musée de la porcelaine, musée de plein air, musée
de la pipe en terre) ponctuent un parcours de 5 km de long que l’on peut effectuer à pied ou en
bateau.
- L’aviron comme sport. En amont du Pont de Londres sur la Tamise, les watermen organisent la
première course d’aviron en 1716, la « Doggett's Coat and Badge » qui continue à se tenir chaque
été. La première confrontation entre les universités d’Oxford et de Cambridge a lieu en 1829 à
Henley, sur la Tamise. En 1882, les clubs sportifs se fédèrent dans l'Amateur Rowing Association
(ARA). L’amateurisme est alors explicitement défini et l’argent est interdit. Les travailleurs manuels
sont exclus jusqu’en 1890, puis la philosophie change et l’aviron devient « un sport pour tous ».
Aux Jeux Olympiques de Londres en 1908, les Anglais raflent quatre médailles d’or. Des expatriés
britanniques répandent l’aviron ailleurs en Europe et dans le monde. Aujourd’hui, l’Angleterre
compte 500 clubs forts de 18.000 membres. On dénombre 250 compétitions annuelles au sein de
l’ARA, de la Scottish Amateur Rowing Association (SARA) et de la Welsh Amateur Rowing
Association (WARA).
Dans les Iles Britanniques même, le tourisme fluvial repose sur un jeu d’acteurs robuste. Il est
devenu un phénomène de mode. Après avoir été rénovées, les infrastructures continuent à
progresser sous la responsabilité de British Waterways (ou de Waterways Ireland). Les entreprises
se sont rapidement connectées sur les Etats-Unis et sur la France, les premiers offrant une clientèle
importante, la seconde un réseau de canaux à petit gabarit correctement entretenu. Sur le Canal du
Midi et sur le réseau Freycinet (Tableau 2), en construisant de nouvelles unités ou bien en rénovant
de vieilles péniches promises au déchirement, les Britanniques ont investi la place, sur l’eau comme
sur la terre ferme. Ils développent de nouveaux produits, comme de petites stations touristiques
construites autour d’un port fluvial, avec des marinas et divers services. Ils entendent poursuivre sur
cette voie en s’intéressant aux canaux historiques en général. L’association Inland Waterways
International et les partenaires du projet européen TERRA-VEV (Voies d'Eau Vivantes) ont
développé un projet, « Un fil bleu pour l’Europe de demain », qui consiste à relier Limmerick
(Irlande) à Kiev (Ukraine) via l’Angleterre et la plaine germano-polonaise. De même, les machines
anciennes (infrastructures diverses, unités de navigation) peuvent être rénovées, échappant ainsi à la
destruction. La modernité architecturale peut, elle aussi, être convoquée, comme à Falkirk Wheel.
6
Stratford upon Avon. NB le gabarit des écluses et les dimensions des narrow boats. RW 2005.
Ironbridge, sur la Severn. RW 2005.
2.3 Le Canal du Midi
Lorsqu’il avait conçu le Canal du Midi, Pierre-Paul Riquet (1609?-1680) avait très tôt mesuré les
difficultés du transport fluvial. Il avait apporté un soin particulier à l’alimentation en eau du bief de
partage du seuil de Naurouze et il avait préféré creuser un canal, au prix de grands travaux, plutôt
que de subir les caprices des fleuves et des rivières. Hier comme aujourd’hui, contrairement à un
réseau routier ou ferroviaire, les embûches sont nombreuses et changeantes sur la voie d’eau, en
fonction du niveau du miroir, de problèmes d’envasement ou d’effondrements de berges, de
construction de nouveaux ponts ou d’utilisation de nouveaux matériels… La navigation
commerciale s'est effondrée très tard et assez brusquement sur le Canal du Midi, vers 1980. En
même temps, celui-ci s'est reconverti vers le tourisme grâce à l'arrivée de Britanniques. Si les
Français ont bataillé pour la reconnaissance du canal, ce sont les Britanniques qui l’ont mis en
tourisme. Les premiers loueurs de pénichettes ont traversé la Manche dans les années 1970,
notamment la Crown Blue Line, aujourd’hui installée à Castelnaudary et à Port-Cassafières (à 15
km de Béziers). Le Britannique Connoisseur se place au second rang, devant le Français Locaboat
et des loueurs régionaux. Chaque année, 450 bateaux de location sillonnent le canal, avec 50.000
passagers annuels ; et un millier de plaisanciers rejoint les deux mers. L’escalier des six écluses de
Fonséranes dépasse les 10.000 passages annuels. Le label UNESCO Patrimoine mondial a été
accordé en 1996, mais retiré en 2011 (le canal est une poubelle ; la maldie du chancre coloré ravage
les platanes, que VNF tarde à replanter).
7
Pénichettes de location sur le Canal du Midi. RW 2007.
2.4 La Suisse
La Suisse apparaît comme un monde aux apparences immuables ainsi décrit par un romancier
anglais : « Quarante ans plus tôt, ses parents l’avaient emmené en randonnée dans l’Engadine et ils
avaient séjourné dans un palace au cœur d’une forêt nichée entre deux lacs. Rien n’avait changé (..).
Justin regardait aujourd’hui les mêmes lacs brasiller au soleil couchant, le même pêcheur se blottir
dans sa barque au milieu de la brume » (Le Carré, 2001). Depuis plus d’un siècle, on peut effectuer
les mêmes excursions, soit avec le seul navire (éventuellement propulsé par des roues à aube), soit
en l’associant au train à crémaillère ou au bus postal. En 1823, grâce à Edward Church, consul des
Etats-Unis en France, le premier bateau à vapeur de Suisse, le Guillaume Tell, apparaît sur le Lac
Léman. En 1873, la fusion des trois opérateurs lémaniques fait naître la Compagnie Générale de
Navigation (CGN) ; aujourd’hui, elle est forte de 160 emplois et elle appartient aux communes
suisses riveraines ainsi qu’à des actionnaires privés. Pour l’ensemble de la Suisse, 196 navires (dont
15 vapeurs) appartenant à 25 sociétés transportent environ 13 millions de passagers par an.
Lac de Lucerne, ponton face au Musée fédéral des transports, RW décembre 2010. A un panache de
fumée près (le diesel a succédé à la vapeur), la photo aurait été la même en 1910...
8
0
100 km
DonnéesLITRA 2003
Rhin
32
9. 00
0
Eg
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Bâ
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196bat eaux
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Lacs suisses. RW 2005
3. Paysages et slow tourism
Dès le XIXe siècle, les bateaux promenades, avec des excursions de quelques heures ou à la
journée, ont sillonné les villes et leurs environs. Il s’agissait alors de mettre en scène le caractère
prestigieux des villes, avec parfois une excursion jusque vers un point admirable, comme l’abbaye
de Melk sur le Danube. Ce phénomène s’est amplifié pour toucher des villes de plus en plus
nombreuses. Ainsi, vers 1960, le Port Autonome de Strasbourg (PAS) a eu l’idée de développer des
navettes depuis le port vers le quartier touristique de la Petite France, puis de créer un circuit
spécifiquement urbain avec une extension jusqu’aux Institutions européennes en 1985 et enfin, de
lancer un bateau-bus en 2007. A présent, l’activité touristique, forte de 8 bateaux transportant plus
de 700.0000 passagers par an, représente 20% du chiffre d’affaires du PAS.
3.1 La contemplation et le tourisme à terre
Soumis à la vue, le paysage est un spectacle et même un signe, « celui que produit le jeu de
forces complexes en action » (Rimbert, 1973). Les travaux de Serge Ormaux (2004) ont mis en
évidence que l’attractivité d’un paysage dépend de son apparence harmonieuse, interprétée par ses
utilisateurs comme un idéal atteint dans le passé, généralement lors de l’optimum démographique
rural du XIXe siècle. Ainsi, fort de ses archétypes et de points dont l’intérêt est normé, le patrimoine
est répertorié et consommable. La mémoire effectue un tri ; elle survalorise un certain nombre
d’éléments reconnus comme étant « beaux ». Le long d’une voie d’eau, le paysage environnant
offre des berges plus ou moins intéressantes (plantées ou non d’arbres ; bordées ou non de
vignobles). Certaines gorges sont devenues des célébrités internationales (la Lorelei sur le Rhin, les
Portes de Fer du Danube), tout comme certains méandres (le point de vue de Cloef sur la Sarre). Les
villes et les villages traversés apparaissent comme des points de polarisation grâce à leurs qualités
urbanistiques et architecturales, ainsi que par les services qu’ils offrent (le patrimoine bâti, les
manifestations culturelles, les bonnes tables, la chalandise). La délectation du paysage apparaît
comme une pause, comme une escapade vers un illusoire paradis pré-industriel, que l’on découvre
et consomme avec la lenteur et la douceur propres à la navigation fluviale. Enfin, en tant qu’objet
technique, la voie d’eau présente ses propres attraits. Certaines attractions sont spectaculaires aussi
bien pour les plaisanciers que pour les visiteurs à terre. Sur les biefs de partage français, le vieux
réseau Freycinet offre des escaliers d’écluse, des tunnels et depuis 1968 un ascenseur à bateaux à
Saint-Louis-Arzwiller (Moselle), visité par 140.000 curieux par an (Woessner, 2006). Une péniche
peut même devenir la résidence principale, invitant au voyage, souvent plus imaginé que pratiqué.
S’amarrer en plein cœur d’une ville permet de disposer d’un grand logement à un prix défiant toute
concurrence.
Dans les régions riches et urbanisées, le désir fluvial correspond à un besoin de réappropriation
9
de la nature et d’évasion hors du temps. Pour Martin Heidegger, « la véritable crise de l’habitation
ne consiste pas dans le manque de logements. [Elle] réside en ceci que les mortels en sont toujours à
chercher l’être de l’habitation et qu’il leur faut d’abord apprendre à habiter » (Heidegger, 1965).
Au-delà des loisirs, la péniche peut devenir la résidence principale, invitant au voyage, souvent plus
imaginé que pratiqué. S’amarrer en plein cœur d’une métropole permet de disposer d’un grand
logement à un prix défiant toute concurrence. Comme le résume un propriétaire alsacien de
péniche-loft, « on va où on veut, quand on veut. On a la liberté de voyager, même si on n’en abuse
pas. Ici, on est tranquilles. Et quand on rentre du boulot, on a déjà l’impression d’être en
vacances ». Aux Pays-Bas, où 1 habitant sur 6 est propriétaire d’un bateau, ce comportement est
inscrit dans la norme sociale.
On peut gager que la mise en tourisme des fleuves, des canaux et de leurs environs continuera à
prendre des formes variées et que même les opérateurs industriels ont besoin d’histoire et de
culture. Depuis les territoires naisseurs, les éléments de la mosaïque formée par les différentes
régions fluviales de l’Europe peuvent être interconnectés. Les opérateurs en révèlent ainsi la
diversité et la richesse cachée.
Le secteur le plus fréquenté se trouve entre Budapest et Vienne. Le Danube est doublé par la
véloroute qui elle-même offre tous les services nécessaires aux cyclotouristes.
Mais même localement, un canal peut jouer un grand rôle pour la mise en oeuvre d'un projet
touristique, comme sur la Somme par exemple, où le CG80 soutient la mise en valeur du canal, la
réutilisation des maisons éclusières comme gîtes d'étape des cyclotouristes, la gastronomie
picarde...
Trois types de paysages depuis un paquebot mi-transporteur de passagers mi-touristique :
Paysage urbain : devant le Parlement de Budapest.
Paysage urbain/rural : à deux heures en amont de Budapest, le bourg de Szentendre (Saint-André),
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la ville des Serbes de Hongrie mais aussi peuplée de Slovaques, Grecs etc après la chute de l'Empire
ottoman, d'où de nombreux lieux de culte : le rêve d'une Europe centrale multiethnique et
multiconfessionnelle.
Paysage naturel : le Danube en amont de Budapest. Photos RW 2004.
3.2 L’action des collectivités régionales et locales
Pour les collectivités territoriales, l’accueil du tourisme fluvial peut constituer un levier en
termes de développement. Mais la voie d’eau n’est qu’un support qui ne peut guère se suffire à ellemême ; la qualité des services à terre joue un rôle crucial. Dans les faits, les situations rencontrées
sont très variables.
Le conflit d’usage est un premier cas de figure. Ainsi, de nombreuses associations écologistes
allemandes et autrichiennes avancent que c’est au bateau de s’adapter à la voie d’eau et non
l’inverse. Elles font donc pression sur les collectivités pour que les paysages restent aussi
« naturels » que possible. Elles exigent – et obtiennent – des travaux de renaturation qui favorisent
la biodiversité, ce qui rend la voie d’eau encore plus attractive pour le tourisme. Si la petite
batellerie peut trouver sa place dans ce contexte, le conflit est ouvert avec l’industrie touristique.
Les réticences éventuelles des collectivités peuvent constituer un autre sujet conflictuel
lorsqu’elles perçoivent les croisiéristes comme une intrusion et un coût. Elle souhaitent donc lever
des taxes, soit pour faire fuir les entreprises, soit pour rentrer dans leurs frais. Ainsi, la société
CroisiEurope opère depuis 1995 sur le Rhône. Lorsqu’elle a cherché à multiplier ses haltes, elle a
rencontré une certaine hostilité à terre. Pourtant, le long du Rhône, un croisiériste dépense 23
euros/jour une fois qu’il a quitté le bateau. Mais les communes riveraines ne veulent pas fournir de
l’eau et de l’électricité, ni ramasser les déchets. En 2005, la Compagnie Nationale du Rhône (CNR)
a dû jouer les arbitres. Elle a introduit une Charte d’Accueil avec les communes concernées ; et elle
a finalement créé dix haltes fluviales pour un coût total de 1,5 million d’euros.
A l’inverse, les collectivités peuvent favoriser l’activité fluviale, soit dans une logique de
croissance économique, soit dans une perspective de développement durable. Il s’agit alors de nouer
des partenariats entre les restaurateurs, les musées et les détenteurs du patrimoine industriel. Dans le
Nord de la France, la Deûle, la Lys et le Canal de Roubaix ont fait l’objet d’un développement
transfrontalier dans le cadre du programme Interreg 3b. VNF, le Comité du Tourisme du Nord Pasde-Calais et la Fédération du Tourisme de la Province du Hainaut ont mis au point une stratégie
marketing adossée à des logiques de développement durable, avec notamment la préservation du
patrimoine paysager et industriel. En Wallonie, la Région a élaboré un schéma directeur en 1999
pour le tourisme fluvial, fort d’un budget triennal de 1,25 million d’eurosi. Namur devient le centre
du dispositif ; en 2004, son bourgmestre a trouvé un opérateur pour la « Namourette », un bateaubus de 12 places ; utilisé d’abord par les touristes, il dessert également l’hôpital public et les
parkings-relais.
11
3.3 Les bateaubus
Il faudrait évoquer Venise, mais il s'agit d'un cas particulier puisque le bateau est sans
concurrence sur laplupart des liaisons. Triple système avec les gondoliers, une sorte de corporation
médiévale ; les barques de fret des artisans ; les motoscafi de l'AOT municipale.
Vogueo, en panne
On sait que le ministre des finances, outre sa Citroën C6, dispose d'une vedette rapide pour
rejoindre le centre ville depuis Bercy. Durant l’été 2008, quatre bateaubus ont assuré le service
Vogueo sur la Seine entre Gare-d’Austerlitz et Maisons-Alfort-Vétérinaire, accessibles avec les
abonnements ou avec un ticket de 3 euros. Les premières estimations des temps de parcours sont les
suivantes (aller simple) : la ligne 1 (est) environ 1h30, la ligne 2 (centre) environ 1h00, la ligne 3
(ouest) environ 1h40.
Les stations de Voguéo sont appelées « escales ». Elles sont au nombre de 31, et leur localisation
a été choisie en fonction du nombre de voyageurs potentiels à proximité (habitat, bureaux,
commerces, zones de loisirs…), des correspondances avec les autres lignes de transport public, de
l’accessibilité du quai depuis la voirie, de la configuration du quai… Mais l'appel d'offres du
Syndicat des transports d'Ile-de-France (STIF) pour le service de navettes fluviales sur la Seine est
resté infructueux, a annoncé l'autorité organisatrice lors de son conseil du 13 février 2013. Pour
l'heure, le projet reste à quai.
Le projet Vogueo finalisé (projet de juin 2011) :
Réussites
Nombreuses, surtout en Europe du nord,jusqu'à des villes de petites dimensions (comme Namur,
capitale de la Wallonie et ville universitair, à la confluence de la Sambre et de la Meuse, avec le
service Namourette renforcé en été). Intégration complète dans le réseau TC, lignes, horaires,
tarification, logiques intermodales...
12
Copenhague. RW 2012.
Ouvrages cités (chapitre précédent inclus)
- Antoine Beyer A. (2002), Le Rhin, Association des Professeurs d’Histoire et de Géographie
Région de Nancy-Metz, L’Europe dans tous ses Etats, 2-3 octobre 2002.
- Brossard T., Wieber J.-C. (1984), « Le paysage, trois définitions, un mode d’analyse et une
cartographie », L’Espace géographique, n°1, p. 5-12.
- Cotte M. (2003), Le Canal du Midi, « Merveille de l’Europe », Belin Herscher, 191 p.
- Criqui G. (1981), « Le régime hydraulique, les crues et les inondations du Rhin » in Ayçoberry P.,
Ferro M. dir., Une histoire du Rhin, Paris Ramsay, 459 p.
- ESPON (2006), Les devenirs du territoire, Luxembourg, 12 p.
- GIEC, Changements climatiques 2007. Rapport de synthèse. PNUE, Genève, 114 p.
- Heidegger M. (1965), « Bâtir, habiter, penser », dans Choay F., L’urbanisme, utopies et réalités, Le
Seuil, 448 p. cf. p. 434.
- Juillard E. (1970), L'Europe rhénane, Paris Armand Colin, 293 p.
- Ormaux S. (2004), « Le paysage à l’échelle du territoire : pour une « intelligence paysagère », 4e
Table Ronde Rhin-Sud, Le retour de la prospective, Mulhouse-Belfort APR, CRESAT, RECITS,
2004, 94 p.
- Pozzi J. (1961), « La zone Mulhouse-Rhin au 11e jour mondial de l’urbanisme », Bulletin de la
Société Industrielle de Mulhouse, numéro spécial 703, 2e partie, 71 p.
- Reitel F. (1996), L’Allemagne, Paris Nathan Université, 384 p., extrait p. 198.
- Rimbert S. (1973), « Approche des paysages », L’Espace géographique, 1973 N°3, p. 333-241.
- Gradoz P. et alii (1979), Les plaines humides en Alsace, Wettolsheim Mars et Mercure, 132 p.
- Stentz A. (1981), « Les bateaux et la batellerie », in Ayçoberry P., Ferro M. dir., Une histoire du
Rhin, Paris Ramsay, 459 p.
- Watts M. (2003), « Political ecology », p. 257 à 274, dans Eric Sheppard et Trevor J. Barnes, A
13
companion to economic geography, Oxford Blackwell, 536 p.
- Woessner R. (2006), Le tourisme fluvial en Europe : quelles formes territoriales en émergence ?
Sous la conduite de Xavier Bernier, Christophe Gauchon et Jean Varlet, Actes du Colloque des
Commissions Transports et Tourisme, EDYTEM N°4, Chambéry, 299 p., cf. p. 183-198.
14
i
NPI n°02, 2005, p. 83.