MenP R3M 111

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MenP R3M 111
Célina Braun*
À quoi servent les partis tunisiens ?
Sens et contre-sens
d’une « libéralisation » politique
Nous vivons dans un univers politique dont les lois nous échappent et parce qu’elles
nous échappent nous avons de la peine à nous y reconnaître. Même si théoriquement
nous nous identifions à la représentation nationale, concrètement cet univers est vécu
comme étranger, hostile.
Hélé Béji, Désenchantement national.
Abstract. What purpose do political parties serve in Tunisia?
This article examines the workings and mechanics of a single party political system, and considers the limits and contradictions of the following paradox: The space allowed for political
debate in Tunisia is so narrow as to cause the system to function formally and procedurally as a
democratic, parliamentary system. The presence of political parties in Parliament has never been
so useful to the government and useless to the opposition. This contradiction is explained by
the symbolic nature of the interior and exterior displays of the Tunisian party system. Through
the study of the Destourian heritage, the institutionalisation of a single party system and the
resulting oppositions and disputes, we offer a typology of the political organizations and their
more or less dissenting positions and raise two questions: Why has the administration allowed
various groups to be admitted to Parliament since 1994? And, faced with the dominant party
organization, how should citizen demands for political participation be expressed?
* Chercheur en sciences politiques, CNRS.
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Résumé. Examinant les rouages et les mécanismes d’un champ politique en situation de monopole, l’article se penche sur les limites et les apories du paradoxe suivant : l’espace du débat
politique tunisien se rétrécit d’autant que le système progresse formellement en conformité
avec les éléments procéduraux d’un système démocratique parlementaire. Aujourd’hui présents
au Parlement, les partis politiques n’ont jamais été aussi utiles au gouvernement et inutiles à
l’opposition. Cette contradiction s’explique par le rôle de vitrine symbolique intérieure et
extérieure que joue le système partisan tunisien. Au gré de l’histoire de l’héritage destourien,
de l’institutionnalisation d’un système de parti unique et des oppositions et contestations qu’il
a suscitées, l’analyse propose une typologie des organisations politiques et de leurs dimensions
plus ou moins dissidentes en posant les deux questions suivantes : pourquoi le régime a-t-il
permis depuis 1994 l’entrée au parlement de formations diverses ? Comment dans un contexte
d’encadrement et de contrôle des organisations partisanes la demande de participation politique
des citoyens peut-elle s’exprimer?
Pourquoi écrire à propos des partis politiques en Tunisie ? L’image la plus
partagée sur la situation politique de ce petit pays d’un peu plus de 9 millions
d’habitants, qui a pour voisins directs l’Algérie et la Libye, est aujourd’hui celle de
l’inexistence d’un marché politique concurrentiel : s’il existe des partis politiques,
et un espace légal d’activité politique partisane, ils ne jouent d’aucune façon le
rôle d’opposition politique au régime en place. Cette représentation d’une arène
politique figée par un pouvoir autoritaire qui légalise mais musèle les partis et
les contrôle rend toutefois l’étude des partis particulièrement intéressante pour
le politologue pour deux raisons. D’une part, un pouvoir autoritaire devrait
théoriquement éviter de promouvoir – ou pourrait se passer de – l’existence
de partis politiques, définis généralement comme des organisations durables et
différenciées, cherchant l’appui des citoyens pour la conquête ou l’exercice du
pouvoir. On peut dès lors se demander pourquoi le régime tunisien, a permis,
depuis 1994, à travers un appareil juridique ad hoc, que des partis politiques
pénètrent l’espace du parlement. Nous verrons qu’il n’est pas question de partage
du pouvoir ou de compétition pour exercer celui-ci. La Constitution tunisienne
stipule en effet aujourd’hui que « les partis politiques contribuent à l’encadrement des citoyens en vue d’organiser leur participation à la vie politique »1.
D’autre part, si la démocratisation ne passe pas par l’instauration d’organisations
partisanes au sein d’un régime théoriquement parlementaire, comment peut
alors s’exprimer la demande de participation politique des citoyens ?
La Tunisie est aujourd’hui le pays du Maghreb où le produit national brut par
tête d’habitant est le plus élevé (2 267 dinars pour 1997)2. Son taux de croissance
naturel a été ramené à 1,9 % par an. Sa classe moyenne est importante3, l’État a,
depuis l’indépendance, modernisé le code du statut personnel, l’éducation y est
1. Nous soulignons. Voir la loi constitutionnelle n° 97-65 du 27 octobre 1997, modifiant certains articles
de la constitution.
2. Ce chiffre est à lire en dinars courants. International Monetary Fund Staff Country Report N° 00/37,
International Monetary Fund, Washington D.C., March 2000.
3. Officiellement, la Tunisie déclare une classe moyenne de 70 %, chiffre surévalué.
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développée, son économie s’est diversifiée, et son taux de croissance économique
annuel moyen a été entre 1987 et 1997 de 4,2 %. L’accord de libre échange
signé en juillet 1995 avec la communauté européenne l’invite à relever les défis
de la mondialisation, et à se lancer dans une politique de privatisations qu’elle a
amorcée timidement. Dans l’ensemble, le pays est considéré, parmi les nations
en voie de développement, comme un bon élève du Fonds Monétaire International. Ces performances ne doivent bien sûr pas faire oublier tous les problèmes
économiques et sociaux d’un pays en voie de développement, en particulier les
conséquences de « la mise à niveau » et du passage à une économie plus libérale4.
Elles permettent surtout de poser la question de la nécessité d’une libéralisation
politique. Si l’on évoque parfois le caractère “khobziste”5 des Tunisiens, qui profitent de la croissance économique sans vouloir remettre en question l’existence
d’un État Léviathan qui se charge de régler leur vie matérielle (Camau, 1997),
on peut aussi arguer que tous les Tunisiens ne sont pas touchés par les retombées
des performances plutôt positives de l’économie, et que pour se libéraliser, une
économie nécessite une libre circulation de l’information, qui va de paire avec
un pluralisme dans l’expression des idées. De plus, la violence dans l’Algérie
voisine connaît aujourd’hui une pause et ne peut plus justifier l’autoritarisme
du régime. Tous ces indicateurs peuvent laisser penser que la Tunisie est “mûre”
pour la démocratie. Pourtant, l’analyse révèle que si ces facteurs sont importants,
ils ne sont pas suffisants : dans les faits, les élites politiques au pouvoir n’ont pas
l’intention de démocratiser le système politique, mais plutôt de s’en servir pour
accélérer et appliquer les réformes économiques et sociales qui doivent permettre
à la Tunisie de s’insérer dans l’espace euro-méditerranéen.
L’évolution du système des partis en Tunisie est paradoxale. En effet, depuis
1956, l’espace du débat politique se rétrécit d’autant que le système progresse
formellement en conformité avec un système démocratique parlementaire. Si la
Tunisie est le premier pays arabe à se doter d’une constitution dans la deuxième
moitié du XIXe siècle (1861), elle ne sera qu’éphémère, et il faudra attendre
l’indépendance en 1956 pour que les Tunisiens se dotent d’un parlement, et
plus d’un siècle – c’est-à-dire jusqu’en 1981 – pour parvenir au pluripartisme.
Ce n’est qu’en 1994 que le parlement verra entrer en son sein des partis politiques d’opposition. Pourtant, à l’aube du XXIe siècle, l’état du marché politique
laisse penser que ces partis sont inutiles à un éventuel processus de démocratisation : face au tout puissant parti du Rassemblement constitutionnel démocratique qui s’est régénéré et rajeuni depuis la fin des années 1980, ils ne jouent
qu’un rôle formel, et n’interviennent que très faiblement dans le débat public.
Dès lors, la contestation vient d’ailleurs : l’État tunisien, par peur de la légaliser,
l’a affrontée bien loin de la sphère parlementaire, dans la rue et l’espace public.
D’abord dans son bras de fer avec la gauche dans les années 1970, puis dans ses
4. Le chiffre officiel du chômage est de 15,3 % pour 1994 (IMF) mais serait en réalité bien supérieur. De
plus, 30 % des entreprises tunisiennes seraient condamnées à disparaître avec la libéralisation des échanges
avec l’Europe, ce qui devrait augmenter substantiellement le chiffre du chômage.
5. De khobz : ou pain en arabe.
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relations ambiguës mais très dures avec l’islamisme, et enfin depuis la deuxième
moitié des années 1990, dans un face-à-face avec les groupes, associations non
gouvernementales, individualités, issus d’une société civile qui a du mal à exister et reste extrêmement fragilisée. Cette contestation, non institutionnalisée,
fragmentée, faible, mais innovatrice, s’intègre au sein de nouvelles générations
de la politique. Elle trouve son origine et son premier espace d’expression en
Tunisie même, mais ne pourrait y survivre sans apport extérieur. C’est en effet
au sein de réseaux transnationaux qu’elle trouve ses relais : elle naît en deçà des
structures institutionnelles et investit des réseaux qui les transcendent : relayée
par les médias étrangers, arabes ou occidentaux, comme par la toile mondiale
de l’internet, elle s’insère dans un espace globalisé qui lui permet de contourner
la censure de l’État tunisien et de faire entendre sa voix à l’intérieur comme à
l’extérieur. Aujourd’hui présents au parlement, les partis politiques n’ont jamais
été aussi utiles au gouvernement et inutiles à l’opposition. Cette contradiction
s’explique par le rôle de vitrine symbolique intérieure et extérieure que joue le
système partisan tunisien. En effet, la fin du monopartisme, qui se traduit par
la présence de partis politiques d’opposition au sein de l’assemblée tunisienne
depuis 1994, démontre le tour de force accompli par le régime de Ben Ali, tour
de force qui se réalise sur un mode strictement symbolique. Le fondateur de
l’ère du « renouveau » en 1987, voulant officiellement rompre avec le dispositif
politique mis en place sous Bourguiba, aura dans les faits amélioré le fonctionnement du système mis en place par son prédécesseur. Il aura à la fois annihilé tout
signe d’opposition ouverte de la part des islamistes à l’intérieur du pays, affaibli
les partis d’opposition par une politique de division et de répression, tout en
produisant les symboles de la libéralisation politique en permettant à l’opposition d’exister, même marginalement, au sein de l’assemblée nationale. Les signes
superficiels de démocratisation accompagnent une politique de type autoritaire
qui peut accorder un espace d’expression aux partis d’opposition tant que ceux-ci
ne remettent pas en cause l’hégémonie du parti au pouvoir. Le système politique
bourguibien aura ainsi acquis une existence autonome : le départ du “combattant
suprême” du pouvoir en novembre 1987 n’aura pas fondamentalement modifié
la vie politique, qui reste, pour la plupart des Tunisiens, conçue sur le mode d’un
spectacle auquel la participation reste difficile. Sur ce plan, il faut – à l’encontre
de beaucoup d’analyses médiatiques – souligner la continuité entre le régime
bourguibien et celui de Ben Ali. Si celui-ci est depuis les années 1990 sévèrement
critiqué à l’extérieur pour sa politique répressive et non conforme aux droits de
l’homme, il ne faut pas oublier que le régime bourguibien fut lui aussi, en son
temps, avec d’autres méthodes, et d’autres institutions à son service, un régime
répressif et autoritaire. La différence essentielle entre les deux périodes vient
d’ailleurs. Elle réside dans le camp des citoyens, dans une demande accrue et plus
fortement exprimée au sein de la population, plus éduquée et plus urbanisée, de
participation politique et de libre expression.
C’est cette évolution paradoxale que nous retracerons ici, à travers la naissance
du Parti socialiste destourien sous la houlette du personnage d’Habib Bourguiba,
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qui a marqué de son empreinte la vie politique tunisienne, et qui a disparu en
avril 2000. Nous montrerons que malgré la présence d’un régime autoritaire
depuis le milieu des années 1950, la compétition pour le pouvoir reste présente
de manière intermittente, mais ne s’exprime pas toujours par la concurrence
entre partis politiques légalement reconnus et armés de moyens conséquents.
Au sein même du parti destourien, d’inévitables divergences ont permis l’émergence d’oppositions internes qui se sont progressivement muées en oppositions
externes et partisanes. Mise à part l’étroite opposition communiste et une partie
de l’extrême gauche tunisienne, l’opposition libérale (Mouvement des démocrates socialistes) et unioniste populaire (Mouvement de l’unité populaire puis
Parti de l’unité populaire) tirent leurs origines du parti fondé par Bourguiba.
Nous décrirons, sous la présidence du “combattant suprême”, la constitution
lente d’une opposition politique issue du parti unique entre le milieu et la fin
des années 1970, et le retour des partis de gauche dans les années 1980, ainsi
que les quasi-partis dont les liens avec les partis politiques furent importants
(organisations syndicales et mouvements de défense des droits de l’homme).
Autre organisation politique essentielle dans la période Bourguiba, qui ne fut
pourtant jamais définie comme parti : le mouvement islamiste. L’échec même
des politiques mises en place par les élites dirigeantes du couple État-parti a
produit dès la fin des années 1960 une contestation qui n’est pas issue originellement des rangs du parti au pouvoir. Elle a pris essentiellement la forme d’un
mouvement islamiste qui a cherché à se constituer en parti de masse mais n’en a
jamais obtenu le droit. Son activité et ses rapports avec les divers gouvernements
tunisiens sont essentiels pour comprendre l’état actuel du marché politique
tunisien. Nous nous tournerons ensuite vers le système des partis tel que Ben
Ali l’a redessiné après le 7 novembre 1987, à travers un appareillage juridique
symboliquement performatif, mais qui reste lettre morte dans les faits. Sa stratégie, celle de l’ensemble des acteurs politiques, mais aussi les données exogènes
au système, auront modifié en profondeur le parti au pouvoir lui-même, tout
en refermant la sphère politique, monopolisée par celui-ci.
Le Rassemblement constitutionnel démocratique :
gestion de l’héritage destourien et renouvellements
Avant l’indépendance, le Néo-Destour se définit comme un parti nationaliste
dont le but est de mettre fin au protectorat de la France sur la Tunisie. Il n’existe
alors pas de système parlementaire qui puisse offrir un cadre formel et légal d’expression au parti qui, fondé le 2 mars 1934, présidera pendant plus de quarante
ans aux destinées de la Tunisie. L’organisation du Néo-Destour reprend l’appareil
de parti du vieux Destour, créé en 1920 autour d’un groupe peu structuré qui
réunit majoritairement des commerçants de la classe bourgeoise tunisoise, des
artisans et des oulémas. Premier parti de masse tunisien, l’ancien Destour reste
pourtant « islamique, traditionaliste, socialement réactionnaire et inflexible »,
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comparé au Néo-Destour qui sera « occidental, laïque, progressiste, socialement
révolutionnaire et flexible » (Micaud, 1964 : 39). Le vieux Destour, qui par
son nom reprend explicitement l’idéal constitutionnel, appelle à des réformes
politiques encore modestes, mais ses éléments les plus jeunes, qui créent le NéoDestour, y expriment la revendication radicale d’une indépendance politique
vis-à-vis de la France. Souvent réprimé par le pouvoir colonial, le Néo-Destour
n’a pas d’existence légale, et il est tout juste parfois toléré. Pourtant, sa structure
et les liens qu’il entretient avec les organisations syndicales font déjà de lui un
parti efficace. Celui qui va s’imposer comme son leader, Habib Bourguiba, n’est
pas issu des anciennes familles de la bourgeoisie tunisoise. Celles-ci ont produit
beaucoup des membres du vieux Destour et méprisent ce petit provincial qui
fait son entrée en politique en intégrant le parti en 1922. Né en 1903 à Monastir, fils d’un lieutenant de la garde beylicale, il fait une partie de ses études au
collège Sadiki. La majorité des militants, originaires – comme lui – de la côte
sahélienne, reçoivent une formation semblable à celle de Bourguiba : issus du
collège Sadiki, ils poursuivent la plupart du temps leurs études en France,
accédant ainsi à un cursus d’éducation moderne (Sraïeb, 1995). À Paris, où il
étudie dans la seconde moitié des années 1920 le droit et la science politique,
Bourguiba prend contact avec la gauche et devient un ami intime du Dr. Materi,
ancien militant du Parti communiste français qui allait être le premier président
du Néo-Destour (Moore, 1964). En mars 1934, le Néo-Destour est fondé et
rejette la vieille garde de l’ancien Destour, représentée intellectuellement par un
cheikh de la Zitouna, Abdelaziz Thaalbi, auquel s’oppose violemment la jeune
génération de militants. La majorité du soutien du parti provient déjà des villes
de la côte et des villages du Sahel plutôt que de la capitale, de ses vieilles familles
et de ses oulémas. Ainsi, le village de Ksar Hellal fut le lieu du premier congrès
du Néo-Destour en 1934. L’élite provinciale deviendra le principal élément de
soutien au Néo-Destour, mais le parti ralliera aussi progressivement les éléments
traditionnels et appauvris de la capitale que la faction plus dure représentée
par Salah Ben Youssef avait dans un premier temps attirés. Le Néo-Destour est
donc la première organisation politique à s’ouvrir aux Tunisiens de toutes les
régions et de tous les groupes sociaux. Si le jeune et brillant avocat et journaliste
Habib Bourguiba en est le leader, le pouvoir est à l’origine distribué au sein d’un
cercle assez large. Les dix années que Bourguiba passe en prison entre 1934 et
1955, et la répression dont fait l’objet le Néo-Destour à cette époque, forcent à
cette distribution non restreinte du pouvoir au sein du parti. En 1955, une fois
légalisé au grand jour et réorganisé, il compte dans ses rangs 325 000 membres,
c’est-à-dire un adulte mâle tunisien sur trois.
Dès l’indépendance, Bourguiba prend contrôle du parti et le purge des sympathisants yousséfistes, après avoir étouffé une contestation qui aurait pu lui
coûter le pouvoir. En effet, Salah Ben Youssef, un jeune avocat originaire de l’île
de Djerba, joue un rôle important au sein du parti. Lorsque Bourguiba s’exile
pour le Caire en 1945, Ben Youssef dirige le parti avec Mongi Slim. C’est grâce
aux relations qu’il entretient avec la classe commerçante djerbienne qu’il met
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alors sur pied les organisations syndicales de commerçants et d’agriculteurs. Mais
Bourguiba, président du parti, et Ben Youssef, son secrétaire général, s’opposent
sur la marche à suivre pour accéder à l’indépendance : à la fin des années 1940,
la guerre entre les deux hommes n’a pas éclaté au grand jour et se révèlera à l’occasion des négociations sur le statut du pays avec la France. En effet, les Français
favorisent l’option plus modérée et pragmatique de Bourguiba, qui parvient à
prendre progressivement contrôle du parti après son retour d’exil en septembre
1949, étant reconnu par le protectorat comme l’homme des négociations dans
les discussions sur l’autonomie de la Tunisie. Les accords signés en juin 1955
avec la France poussent alors l’opposition yousséfiste à se mobiliser à l’intérieur
du parti, mais le camp de Bourguiba et celui des Français font bloc contre une
contestation qui est alors sévèrement réprimée, et Ben Youssef – exclu du parti
suite à un vote douteux (Bessis, 1988) qui annonce les manipulations électorales
à venir – s’enfuit en Libye en janvier 1956 et sera assassiné en 1961 à Francfort.
La victoire de Bourguiba annonce alors la mise en place d’un pouvoir personnel
au sein du parti comme de l’État.
Pourtant, le Néo-Destour a pris modèle, depuis sa création, sur les partis de
la gauche française, et se veut à la fois démocratique et centralisé. Les cellules
(shucba-s) du parti s’ancrent dans la majorité des villes et forment la base de
la pyramide destourienne. Leurs membres, réunis annuellement en assemblée,
élisent des comités exécutifs. Viennent au second échelon les fédérations, qui
supervisent l’activité des cellules, qui, chaque année, envoient des délégués au
Congrès fédéral pour élire des directeurs de fédérations. En 1955, le parti est
constitué de 1 000 cellules et de 32 fédérations. Le principe du centralisme
démocratique régit théoriquement le fonctionnement du parti : le Congrès national, composé des délégués de toutes les cellules et autorité suprême du parti, élit
le Bureau politique qui donne à son tour des directives aux fédérations, qui les
font elles-mêmes redescendre aux cellules. Sous le protectorat, le fonctionnement
théorique du parti n’est pas véritablement appliqué et les Bureaux politiques
se réunissent dans la clandestinité. Le parti est pourtant déjà une machine qui
forme des cadres, en particulier au sein des Jeunesses destouriennes, qui, à l’indépendance, comptent 100 000 membres solidement formés politiquement.
Les relations que le Néo-Destour entretient avec les organisations syndicales lui
permettent de perdurer, car elles lui offrent un refuge dans les moments les plus
durs de la répression. L’ugtt (Union Générale des Travailleurs Tunisiens), l’utac6
(Union Tunisienne des Artisans et Commerçants), l’ugat (Union Générale des
Agriculteurs Tunisiens) et l’uget (Union Générale des Étudiants Tunisiens) sont
étroitement liées au parti. À l’exception de l’ugtt, elles ont été fondées par les
militants du Néo-Destour et reçoivent en général leurs ordres du Bureau politique du parti. L’ugtt, fondée par Ferhat Hached qui, en 1946, n’appartenait pas
encore au parti, ne peut survivre qu’en s’associant à celui-ci contre le protectorat.
6. Renommée en 1960 I’Union tunisienne de l’industrie et du commerce. L’ UGAT a été 5 ans plus tôt
rebaptisée UNAT, Union nationale des agriculteurs tunisiens.
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Ainsi, en 1964, lorsque le congrès du parti ratifiera la nouvelle politique socialiste
et rebaptisera le Néo-Destour Parti Socialiste Destourien (psd), c’est un militant
du parti et de l’ugtt, Ahmad Ben Salah, qui deviendra ministre de l’économie
et dirigera l’expérience de collectivisation pendant cinq ans.
Le parti fondé par Bourguiba pour mobiliser les Tunisiens dans la lutte
nationale devient ainsi une instance de pouvoir sans autonomie par rapport
à l’État indépendant. En effet, mobilisant une très large fraction d’une nation
tunisienne en cours de constitution, mais s’étant créé et ayant fonctionné au sein
du cadre politique non démocratique qu’était le protectorat, le Néo-Destour est
alors dans l’incapacité d’imposer une perception libérale et plurielle du politique
qui le pousse à accepter de ne pas être l’acteur unique de la mise en place du
nouvel État. Les ministres du gouvernement ont toujours été en majorité des
militants-clés du parti. Les postes importants de hauts fonctionnaires ont été le
plus souvent offerts à des membres du PSD. Dès l’indépendance, les Jeunesses
destouriennes ont fournit les cadres de la police, et Bourguiba prit l’habitude
de nommer lui-même les cadres les plus importants du parti.
La structure du régime politique, telle que l’ont instaurée Bourguiba et ses
lieutenants, a en effet permis l’émergence d’un mode de gouvernement autoritaire.
Une fois la République proclamée en juillet 1957, le régime devient présidentiel
avec une assemblée au rôle extrêmement limité. Auparavant, le processus électoral
restait absent de la vie politique tunisienne : un corps législatif avait été établi par
l’éphémère constitution de 1861, mais ses membres étaient directement nommés
par le Bey. En janvier 1956, celui-ci, sous la pression de Bourguiba – qui ignore
alors jusqu’à l’opinion de ses plus proches lieutenants – promulgue une loi électorale qui met en place un scrutin de liste majoritaire à un tour qui garantit la
domination du parti destourien en éliminant les petits partis et les opposants
indépendants. Le nouveau système électoral est alors vivement critiqué par l’Ugat
noyautée par les yousséfistes : « Le système électoral (…) est incompatible avec
le droit de l’électeur à choisir librement le candidat qui lui paraît mériter sa confiance », ripostent-ils, critiquant la rigidité du mode scrutin7 (Debbasch, 1962).
Le Néo-Destour impose alors sa stratégie électorale : réunir l’ensemble des nationalistes dans un Front national qui regroupe, avec les candidats du parti, ceux de
l’Ugtt, de l’Utac et de l’Unat (l’Union nationale de l’agriculture tunisienne, dont
la création a été favorisée par Bourguiba pour combler la dissidence des yousséfistes de l’Ugat). Allié à des organisations non partisanes, le Néo-Destour espère
trouver, dans le thème de l’indépendance, le ferment le plus puissant d’une union,
sans toutefois exclure le pluralisme sur d’autres questions, comme le soulignait à
l’époque le secrétaire général adjoint du Néo-Destour, Taïeb Mehiri :
« Il n’y a pas des hommes de parti mais un seul Front, le Front national face au
colonialisme. Vous trouverez au sein de ce Front un Tahar ben Ammar (président
de l’Unat) et un Ahmed Ben Salah (secrétaire général de l’Ugtt) qui n’ont pas les
7. Les listes doivent en effet comprendre autant de candidats que de sièges à pourvoir ; panachages et
radiations de noms sont interdits.
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mêmes conceptions sur le salaire agricole par exemple, mais cela ne les empêche
pas de former un bloc indissoluble pour aboutir à l’indépendance de la Tunisie.
Demain, peut être, au sein de l’Assemblée nationale se constitueront des partis ayant
des conceptions différentes sur la politique interne du pays »8.
Pourtant, lorsqu’en mai 1956, T. Mehiri prononce ces paroles, il ne fait pas
de doute que, déjà, le pluralisme politique a peu de chances de s’épanouir. En
effet, en mars 1956, le parti de Bourguiba a remporté l’ensemble des sièges de
l’assemblée constituante, contre des candidats indépendants et communistes.
Celle-ci n’est même pas consultée lorsque quelques mois plus tard, Bourguiba
lance les premières réformes sociales (Micaud, 1964). La constitution de 1959
fait du cabinet un organe responsable uniquement devant le président de la
république qui a lui-même priorité sur les députés pour proposer les lois. Les
députés qui forment, suite aux élections législatives de 1959, une chambre unanimement destourienne, ne se réuniront en effet sous Bourguiba que pour adopter
les législations élaborées par celui-ci, qui passe d’ailleurs au dessus de l’assemblée
en émettant des décrets pendant les six mois de l’année où l’assemblée ne se réunit pas. Celle-ci, une fois l’indépendance tunisienne assurée, vient simplement
acquiescer aux décisions politiques de Bourguiba, qui, muni d’un fort charisme,
fait voter sa législation à l’unanimité par acclamation :
« Il y a d’une part un parlement élu par la nation. Entre le parlement et le chef de
l’État règne une atmosphère empreinte d’harmonie et de respect réciproque. D’où
le succès de notre jeune État. Tout le reste n’est que civilités »9, rappellera le chef de
l’État lors d’une de ses interventions devant les députés, insistant ainsi sur la nature
non parlementaire du régime tunisien et montrant que l’assemblée n’est alors qu’un
« organe dérivé du Néo-Destour » (Debbash, 1962).
Dès cette époque le chef du Néo-Destour devient la personnification de l’État,
utilise le parti comme une courroie de transmission qui le relie aux cadres destouriens comme à «son» peuple. Ses ministres, membres du parti destourien, sont
aussi députés. Bahi Ladgham, secrétaire général du Néo-Destour et chargé de
la défense nationale représente la figure politique la plus influente de l’époque
au sein de l’assemblée. Ses discours sont les plus attentivement écoutés par les
députés lorsque le président de la République n’intervient pas lui-même.
La réforme du parti de 1958 vient à point pour paralyser les organes délibératifs du Néo-Destour10, assimilant sa structure à celle de l’administration locale et
régionale. Au niveau national, l’assimilation État/Parti était déjà faite, et assurait
la toute puissance du Néo-Destour face à toute opposition partisane potentielle.
8. Conférence de presse tenue le 15 mai 1956 au siège du Néo-Destour.
9. Séance à l’Assemblée du 7 octobre 1960.
10. En octobre 1958, Bourguiba annonce une réforme du parti. Les fédérations sont remplacées par des
bureaux régionaux dans les 14 gouvernorats. Chaque bureau est dirigé par un commissaire nommé par le
bureau politique du parti. Le nombre de branches diminue et la structure du parti devient alors parallèle
à celle de l’administration régionale, et se voit passer sous le contrôle resserré du Bureau Politique. La
réforme provoque des frictions entre les gouverneurs et les commissaires, ce qui pousse à les changer
souvent de postes.
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Au plan régional, en revanche, les responsabilités étatiques et partisanes restaient
dissociées, et l’autorité au sein du parti décentralisée, les fédérations régionales
disposant d’une grande autonomie.
Le verrouillage régional du parti qui intervient en 1958 et la règle du parti
unique qui s’instaure à partir de 1963, empêchent toute compétition politique
institutionnalisée. La nomination de Bourguiba comme président à vie en 1974
et son contrôle sur le PSD ne feront que renforcer la fusion entre l’État, le parti, et
la figure que veut incarner celui qui, devenu président de la république déclarait
le 1er août 1957 : « Je suis devenu le père non seulement des destouriens mais de
tous les Tunisiens ». À la tête de l’État comme du parti, Bourguiba contrôle son
cabinet comme le Bureau politique du Néo-Destour, et veille à la permanence
de son pouvoir personnel en offrant aux élites du parti des postes de direction
au sein de l’État. II s’assurera à chaque fois de les priver un peu plus tard de cette
ressource, dans le but de leur faire perdre leur clientèle, et par là même leur pouvoir au sein du parti. Cette stratégie donne alors son empreinte à la vie politique
tunisienne, qui palpite au rythme des limogeages et des nouvelles nominations.
L’instauration d’un parti unique. L’institutionnalisation
Après l’indépendance, le seul parti d’opposition publiquement actif reste le
Parti Communiste Tunisien (PCT). Après une tentative avortée de coup d’État
par des civils et militaires d’obédience en majorité yousséfiste dans les derniers
jours de 1962, le PC est interdit et le monopartisme consacré. De 1963 à 1981,
l’institution politique se définit explicitement par l’association de l’État et du
parti unique : le discours politique émanant des organes du pouvoir affirme sans
détours la légitimité de cette fusion :
« Le Néo-destour étant l’artisan incontesté de cet État, son président étant en même
temps chef de l’État, il est normal que toutes les responsabilités du pouvoir soient
assumées par les membres de ce parti »11.
Bourguiba use alors de l’idée d’une particularité du système politique bourguibien pour fonder l’exception tunisienne :
« Notre parti ne ressemble fondamentalement pas aux partis de l’Europe : un
groupe d’hommes réuni autour d’idées et d’opinions qu’ils s’efforcent de défendre
contre d’autres idéologies : laïcité, capitalisme, etc., nous ne formons pas un parti
dans le sens strict du mot. Notre parti rassemble tous ceux qui veulent servir la
nation ; il accepte la discussion, même de la part de l’opposition (sic), tant que le
but visé est l’intérêt de la patrie »12.
Et plus loin :
« Le parti unique est un fait. Les conditions n’ont pas permis la naissance d’un
second parti, ayant d’autres méthodes mais recherchant également l’intérêt général,
11. AI-Amal, le 6 mars 1963.
12. Discours de Bourguiba du 29 juillet 1963 devant les cadres de la jeunesse.
À quoi servent les partis tunisiens ?… / 25
réussissant à grouper une fraction notable de Tunisiens. (…) Si vous voulez vous
désolidariser du parti, vous vous désolidariserez de la patrie… Si au lieu de venir
au parti et d’y prendre part à la discussion, vous vous tenez à l’écart, votre point
de vue qui est peut-être le meilleur ne sera pas adopté »13.
C’est alors pour répondre à cette particularité et pour entériner le passage à
une économie socialiste que le parti unique est rénové en 1964, lors du fameux
congrès de Bizerte. Le monolithisme est alors institutionnalisé. La réforme de
1958, qui avait adapté les structures régionales du parti à celle de l’administration
de l’État, s’avère insuffisante. Le septième congrès donne alors au gouverneur les
deux fonctions de chef de gouvernorat et de délégué du parti, empêchant ainsi
une “paralysie” des rouages de l’État par le parti.
Dans le même temps, le Néo-Destour, devenu Parti Socialiste Destourien,
cautionne et anime l’expérience coopérativiste. L’idéologie exprimée par le parti
unique – qui reste, il est vrai, pragmatique – cristallise alors les oppositions,
latentes au sein du parti et plus visibles à l’extérieur. Le PSD, parce qu’il se dote
d’une doctrine qui n’est plus celle d’un mouvement national œuvrant pour la
décolonisation, produit alors lui-même le ferment de nouvelles luttes de tendances.
Alliances et divisions au sein du parti unique :
vers la constitution d’une opposition politique
L’opposition non islamiste est aujourd’hui constituée de partis atomisés dont
la faiblesse est due au peu d’attraction qu’ils exercent sur la population, aux contraintes politiques que l’État leur impose, mais aussi à une histoire politique liée
étroitement à celle du Néo-Destour, paramètre lourd de conséquences. Mis à part
le parti communiste14, les partis qui tentent d’entrer dans le jeu démocratique à
partir de 1981 ont en effet commencé leur carrière politique au sein du psd.
La naissance du Mouvement des démocrates socialistes
Le parti au pouvoir a fourni les acteurs d’une lutte politique interne qui
s’est traduite par des alliances et des divisions que Bourguiba a su utiliser pour
concentrer en sa personne le pouvoir. Celles-ci ont donné lieu à des dissidences
qui se sont muées progressivement en oppositions externes non légalisées. Ainsi,
l’échec de l’expérience coopérativiste à la fin des années 1960 aurait pu amener
le pouvoir à reconnaître la nécessité d’une institutionnalisation de la compétition
politique, mais Bourguiba choisit de renforcer la fusion entre l’État et le parti en
éliminant les libéraux au sein du PSD. Ceux-ci se nomment “libéraux” au sens le
plus politique du terme, jamais économique. Ils réclament un système politique
13. Idem.
14. Autorisé à partir de 1981 à entrer dans le jeu démocratique et à publier un journal (La nouvelle voie),
al-Tariq al-jadid.
REMMM 111-112, 15-61
26 / Célina Braun
libéral, mais ne sont pas opposés à une économie de type socialiste. Alors que le
camp de Hédi Nouira et de Mohammed Masmoudi tente de conserver les avantages de l’élite monastirienne et sahélienne, Ahmed Mestiri et Bahi Ladgham se
détachent des options des premiers, réclament davantage de démocratie et font
alliance avec des amis de Ben Salah et quelques Yousséfistes. Les alliés d’Ahmed
Mestiri, les taharruriyyîn, axent leurs revendications sur une institutionnalisation
du pouvoir, sa dépersonnalisation, et sur une démocratisation du régime. Ils
prêchent la participation politique dans le respect des procédures et le légalisme,
mais ne parviennent qu’à rallier la bourgeoisie intellectuelle de la capitale. Ahmed
Mestiri a appartenu à l’appareil secret du PSD lors du combat pour l’indépendance.
Pendant les années 1960 il occupe plusieurs postes ministériels dont l’intérieur et
la défense. Au 8e congrès, en 1971, Mestiri et sa tendance obtiennent la majorité
aux élections du Comité central du parti et exigent alors que le Bureau politique
soit élu. Bourguiba riposte en présentant les hommes de son propre choix : Hédi
Nouira est nommé secrétaire général et Mohammed Sayyah directeur du parti.
Mestiri quitte alors le PSD en 1972, inaugurant une scission qui est à l’origine de
la naissance d’un parti d’opposition relativement gênant pour le parti au pouvoir
mais dont l’assise populaire reste assez faible : le Mouvement des Démocrates
Socialistes (MDS), fondé en 1978. Le pouvoir mettra cinq ans à le reconnaître,
attendant 1983 pour lui donner son aval par la légalisation politique.
Le Mouvement de l’unité populaire
La fin de l’expérience coopérativiste pousse les libéraux à se manifester dès
le début des années 1970 contre le régime, mais incite aussi ceux qui viennent,
comme Ben Salah, d’être bannis du pouvoir, à se ressaisir pour militer contre les
nouveaux choix politiques du gouvernement. Ahmed Ben Salah naît en 1926 à
Moknine, un village du Sahel, une région qui a produit des personnalités fortes
du mouvement national. Il fait ses études au collège Sadiki puis en France dans
les années 1940. Produit d’une formation destourienne, il préside à 18 ans la
jeunesse scolaire destourienne, et on le voit en 1947 assurer la liaison entre le
parti à Tunis, Bourguiba alors en exil au Caire, et le Bey Moncef en résidence
surveillée à Pau. Il s’intéresse très tôt au mouvement syndical : il adhère à l’UGTT
en 1948 et succède à 28 ans à Farhat Hached à la tête de la centrale. Il est l’un
des alliés les plus énergiques de Bourguiba dans son conflit contre Ben Youssef.
Il se démarque pourtant rapidement de la ligne générale du parti en affirmant
dès 1956 ses idées politiques et économiques. Il fait adopter par la centrale syndicale des motions pour une action sociale de développement, une planification
étatique et le coopérativisme. En 1957, l’UGTT publie en effet le fameux Rapport
économique qui sera à l’origine du limogeage de Ben Salah de l’Union mais
symbolise déjà la représentation du système économique qu’il mettra en œuvre
dans les années 1960. Bourguiba récupère alors cet opposant trop puissant en
le nommant au gouvernement. De 1957 à 1960, il assume les responsabilités de
secrétaire d’État à la santé publique et aux affaires sociales, et à partir de 1961 voit
À quoi servent les partis tunisiens ?… / 27
ses attributions élargies par l’ajout de nouveaux postes ministériels : le ministère
du plan, des finances et de l’économie, le commerce (1961), l’industrie (1962),
l’agriculture (1964) puis l’éducation nationale (1964).
Le retournement de politique opéré en 1969, l’éviction de Ben Salah du
gouvernement comme du parti et sa condamnation15 vont être à l’origine de
la naissance d’une formation politique nouvelle qui, de l’étranger, va tenter de
faire concurrence au parti Unique.
Après son évasion de prison en 1973, Ben Salah annonce dans le journal
français L’Humanité la fondation d’un parti d’opposition au régime bourguibien : le Mouvement de l’unité populaire (harakat al-wahda al-chacbiyya). Il
en établit le programme deux ans plus tard : il s’agit de faire rupture radicale
avec le régime et de proposer la mise en place d’un mouvement d’obédience
socialiste fondé sur la limitation de la propriété privée, la planification de l’économie, et de reprendre la réforme arrêtée du secteur agricole par une politique
de mise en place de coopératives. L’accent sur le socialisme s’accompagne d’une
dénonciation du fonctionnement du système politique tunisien, qui insiste sur
la rupture radicale qui sépare les Tunisiens de leurs élites politiques. L’absence
de démocratie est aussi au cœur de la critique proposée par le mup. Le mouvement est actif à Paris, où il publie son journal al-wahda al-chacbiyya, mais vit
en Tunisie des moments de répression jusqu’à l’arrivée de Mohamed Mzali au
pouvoir. Celui-ci libère les membres du mup emprisonnés et leur permet, avec
la libéralisation politique du printemps 1981, de participer, en tant que parti
légalement reconnu, aux élections législatives. Mais avant même d’entrer dans la
compétition électorale, le mup est affaibli par une scission qui oppose les alliés de
Ben Salah à une tendance plus modérée dirigée par Belhaj Amor16. La tendance
de Ben Salah obéit encore à la loi de concurrence entre intérêts divergents au
sein du parti unique. Ce que veulent ses alliés, c’est rester un simple groupe de
pression pour retourner au pouvoir. Le clan de Belhaj Arnor sort au contraire
de la logique bourguibienne pour se structurer en organisation partisane : le
mupii a pour stratégie d’emprunter, en tant que parti, la voie démocratique pour
l’accès au pouvoir. Ils obtiennent en 1981 l’autorisation de publier un journal
à Tunis, al-wahda, alors que l’ancien mup ne s’exprime dans le pays qu’à travers
les journaux d’opposition et sur vidéo cassette, où l’on peut voir Ahmed Ben
Salah faire en personne le porte-voix de son idéologie.
À travers la constitution légale progressive du MDS et du MUPII, les luttes
internes pour le pouvoir au sein du PSD se transportent donc sur l’arène politique,
15. L’arrêt brutal du mouvement de coopératives qui semblait alors s’accélérer est dû à l’opposition de plus
en plus forte de la population rurale et à un état insurrectionnel latent. Ahmad Ben Salah est condamné
par la Haute Cour à 10 ans de travaux forcés, 10 ans d’interdiction de séjour et à la privation de ses
droits civiques et politiques. Hédi Nouira, ancien gouverneur de la Banque centrale, est nommé chef du
gouvernement et s’efforce de faire apparaître le régime comme plus libéral. Ainsi les débats sur le budget
sont-ils reproduits dans la presse. Un coup d’arrêt est donné à ce semblant de libéralisation politique à
l’été 1970, moment où le parti est épuré des Bensalahistes.
16. Emprisonné en 1977 jusqu’au milieu de l’année 1980.
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28 / Célina Braun
deviennent publiques, institutionnalisées, et sont censées obéir à de nouvelles
règles devenues lisibles pour les citoyens. C’est à partir de 1983 que le MUP et le
MDS se voient autorisés en tant que partis, et publient respectivement al-wahda
et al-mustaqbal, le MUP devenant Parti de l’Unité Populaire (PUP) en 1985.
Les autres partis de l’opposition non islamiste
al-tajdid (ex-parti communiste)
Héritier de la plus ancienne formation politique du pays avec le Destour, le
Parti communiste Tunisien fut créé en 1920 comme branche du Parti Communiste Français. Il devint indépendant en 1937 mais fut toujours affaibli par ses
positions ambiguës et le plus souvent à contre-courant du cours de l’histoire sur
la question du mouvement national. Son internationalisme comme ses rapports
restés étroits avec le PCF empêchèrent ses cadres de penser la libération nationale
comme un objectif de premier plan. Le PCT le reconnaît lui-même lors de son
congrès de 1957 :
« Il faut (…) souligner que des erreurs profondes dans l’appréciation de la
situation et dans l’application de nos principes pour la détermination d’une
juste politique nationale ont considérablement affaibli les capacités du parti
et diminué son rôle dans le mouvement de libération nationale. (…) le pct
a accordé une attention excessive au développement de la situation internationale et de la situation en France ; il a en revanche peu tenu compte des
développements de la situation nationale et de son fondement essentiel, le
parti national »17.
Après avoir participé aux élections de 1956 et de 1959, le Parti communiste
se retrouve, à partir de 1963, inexistant légalement durant près de vingt ans. Il
est vrai qu’à ces deux reprises, les communistes n’avaient pu obtenir de représentants politiques18 : se présentant comme un parti ouvrier, il est à l’époque
principalement composé de membres des classes moyennes (cadres et employés
des secteurs de la santé, de l’enseignement, en particulier fonctionnaires et intellectuels) et comprend alors bien moins de prolétaires – issus principalement du
secteur minier du Sud et de la cimenterie implantée à Jebel Jeloud ou HammamLif – que le parti destourien. Sa représentativité est dès lors problématique. De
plus, le pouvoir ne permettait pas dans la seconde moitié des années 1950 aux
candidats communistes d’avoir la moindre chance d’être élus, comme l’illustre
un récit de campagne électorale pour les élections législatives de 1959 dans une
banlieue ouvrière de la capitale :
« Selon les dispositions de la loi électorale tunisienne, les bulletins de vote
communistes devaient être imprimés par les communes et distribués par leurs
soins. Le Destour refusa à son adversaire le droit d’utiliser la couleur rouge et lui
17. Manifeste du PCT de 1957 (Toumi, 1978 : 311).
18. En 1956 et en 1959, ils obtiennent officiellement un nombre très réduit de voix : respectivement
6 000 et 10 000.
À quoi servent les partis tunisiens ?… / 29
suggéra/imposa la couleur verte, tout en donnant une couleur rose accentuée à
ses propres bulletins. (…) A Jebel Jeloud, au Sud de Tunis, les militants communistes distribuèrent des centaines de tracts, durant deux jours, pour préparer une
de leurs réunions. Elle devait se tenir à l’intérieur d’une école, dans une salle de
classe. Quand ils arrivèrent, ils furent agréablement surpris de se trouver devant
un public sagement aligné derrière les pupitres. L’un d’eux se leva alors pour se
présenter et présenter ses camarades. Aussitôt, un membre de l’assistance se dressa
et cria : « Nous ne voulons pas de communistes en Tunisie ». Puis, s’adressant à la
cantonade « Levez-vous, partons ». Dans un ordre parfait, la salle fut évacuée et avec
d’allègres yahia Bourguiba, sous l’œil amusé de trois citoyens qui étaient demeurés
debout, au fond. C’étaient des policiers en civil » (Toumi, 1978 : 323).
Un mois après la découverte du complot contre Bourguiba, en janvier
1963, le parti communiste est interdit par le régime de Bourguiba et tombe
dans la clandestinité. Les journaux du PCT, comme al-Talî ca sont interdits.
Mohammed Harmel et Abdelhamid Ben Mustapha, ses animateurs, sont
arrêtés. Au 22 de la rue des Tanneurs à Tunis, le local du parti est fermé et mis
à la disposition d’une cellule destourienne. M. Harmel quitte le pays pour
“raisons de santé” et devient le porte-parole du parti à l’étranger, où les militants communistes vont trouver une base de repli. En Tunisie, c’est au sein des
syndicats (en particulier ceux de l’enseignement) ou d’institutions universitaires, que les militants – dont beaucoup sont des étudiants, des universitaires et
des cadres scientifiques – vont pouvoir trouver refuge. Le passage du régime
à une économie socialiste les devance dès 1961 sur leur propre terrain. Pour
certains, l’adoption du socialisme aurait d’ailleurs eu pour but de faire barrage
à l’idéologie de gauche (Toumi, 1978).
Seul parti restant en lice avec le Néo-Destour au début des années 1960, le
PCT est le premier parti à être autorisé par le gouvernement Mzali, à l’été 1981,
deux ans avant le MDS et le MUP, le régime estimant qu’il ne représente aucun
danger politique. Il participe au pacte national de 1988, signé par son secrétaire
général Mohamed Harmel et devient, en 1993, “Mouvement de la Rénovation”
(harakat al-tajdid), après avoir abandonné le communisme comme référence
idéologique et le prosoviétisme dont il ne s’était jusqu’alors jamais départi. Le
parti rénové se présente alors comme une organisation à l’idéologie politique
floue, et définie par défaut comme n’étant « ni le gauchisme, ni l’intégrisme,
ni l’apolitisme ». Si le parti devient “mouvement”, « c’est pour (…) donner
[un] caractère ouvert » à ce “parti anti-parti” (Harmel, 1993). L’ancien parti
communiste qui se donne alors une « coloration de gauche et (…) sociale » ne
se veut plus « le parti des communistes ou des seuls communistes ». Pour son
secrétaire général,
« le marxisme ne sera plus officiel, ne sera plus institutionnalisé. Il sera une des
composantes de la pensée progressiste et rationaliste. Nous n’avons pas fait de
programme pour ce nouveau parti » (Harmel, 1993).
Cette absence de programme reste ainsi, pour le parti rénové, le seul moyen
de se faire accepter légalement et d’attirer de nouveaux adhérents.
REMMM 111-112, 15-61
30 / Célina Braun
C’est aussi en reprenant l’héritage islamique que l’ex-parti communiste se
rénove, en « reprenant le patrimoine ancien et moderne arabo-islamique », et
en refusant « l’imitation aveugle mais aussi l’occidentalisation »19. S’ouvrant
ainsi sur des valeurs qu’il refusait autrefois, à travers la vulgate marxiste, de
prendre en considération, le mouvement du tajdîd s’ouvre à un éventail plus
large d’adhérents potentiels. Le nombre d’adhérents du parti est – comme pour
l’ensemble des partis d’opposition – impossible à obtenir. Les partis gonflent
en effet le nombre de leurs adhérents pour se donner une légitimité politique.
Le parti communiste déclare ainsi 100 000 adhérents, un chiffre beaucoup trop
important pour une formation qui ne dépasse vraisemblablement pas les quelques centaines, voir le millier d’adhérents.
Les petits partis de gauche
Le parti communiste interdit à partir de 1963, le mouvement d’opposition
des années 1960 se greffe principalement autour d’une gauche et d’une extrême
gauche turbulentes, éclectiques et souvent ésotériques, qui, dénuées de véritables
structures organisatrices, se divisent en plusieurs tendances et se heurtent continuellement au régime de Bourguiba. Peu avant le septième congrès du parti
au pouvoir de 1964, nommé “congrès du progrès”, des étudiants, professeurs et
chercheurs tunisiens résidant en France, essentiellement des militants communistes parisiens en désaccord avec le PCT sur le crédit que celui-ci accorde à la
bourgeoisie tunisienne, tentent de fonder une organisation politique pour offrir
une alternative au régime autoritaire de Bourguiba, inaugurant ainsi les débuts
du “groupe d’études et d’action socialistes” plus connu sous le nom du groupe
“perspectives” qui publie alors à Paris une revue politique et théorique rédigée en
français sous le titre d’Horizons tunisiens, et propose d’œuvrer “pour une Tunisie
meilleure”. Le mouvement finit par regrouper des tendances diverses : socialistes,
maoïstes, trotskistes, marxistes ou baathistes s’y retrouvent pour débattre des
destinées d’une Tunisie libérée de la dictature bourguibienne. Noureddine Ben
Khidhr, chercheur en économie et Gilbert Naccache, ancien membre du parti
communiste s’y distinguent.
Ceux qui au cours des années 1960 rentrent en Tunisie pour s’y installer
connaissent la prison, mais y continuent leurs groupes de réflexion. Après l’échec
de l’expérience Ben Salah, Bourguiba fait libérer les hommes de « perspectives »,
dont certains fondent en 1971 le groupe « travailleur tunisien » (al-câmil altûnisi). À cette époque, avant la série d’emprisonnements qui frappe la gauche
tunisienne en 1974-1975, des groupuscules de gauche voient le jour, comme le
Rassemblement marxiste léniniste, le Mouvement des peuples démocratiques (alhurriyya) ou la chucla, « la torche », plus extrême dans ses prises de position.
À partir de la deuxième moitié des années 1970, le morcellement idéologique
du mouvement de gauche en tendances multiples, ses divisions sans fin sur les
19. « Les traits de la pensée, de la politique et de la structure du mouvement tajdîd (le nouveau parti
démocratique et progressiste) », en arabe, Al-Tarîq al-Jadîd, 5, janvier-février 1993 : 10.
À quoi servent les partis tunisiens ?… / 31
rapports à entretenir avec le pouvoir l’affaiblissent, alors que le mouvement
islamiste commence à prendre de l’envergure politique. Au moment des élections législatives de 1981, les membres du mouvement « travailleur tunisien »
décideront de ne pas se constituer en parti pour garder la forme d’un groupuscule
et pour se définir comme opposition politique non institutionnalisée.
Aujourd’hui, les petits partis de la gauche non communiste sont presque tous
les héritiers de ces regroupements créés dans les années 1960. L’Union Démocratique Unioniste (UDU), créée et dirigée par Abderrahmane Tlili depuis 1988,
est un parti à l’idéologie nationaliste arabe de gauche dont les membres sont le
plus souvent des intellectuels. Le RSP (Rassemblement Socialiste Progressiste,
al-tajammu’ cal-ichtirâki al-taqaddumî) fondé en 1983, et le PSL (Parti Social
Libéral depuis 1993, fondé en septembre 1988 sous le nom de Parti Social du
Progrès) représentent les partis les moins enracinés dans la population. Le RSP
est le plus à gauche de tous les partis en présence. Il tire ses origines d’un groupe
formé à la fin de l’année 1980 sous le nom de “marxistes indépendants”, qui
réunit diverses tendances de la gauche tunisienne, anciens communistes, membres de la chucla, ou du mouvement “travailleur tunisien” décidés à remédier
à l’échec des mouvements gauchisants. Son idéologie est à l’origine fortement
marquée par la gauche marxisante des années 1960 et 1970 : elle se fonde sur
la critique du capitalisme, la vision d’un avenir défini par l’absence de classes,
où les travailleurs détiennent leurs moyens de production. Le RSP est victime de
tensions et de luttes internes entre différentes tendances gauchisantes. Comme
le PSL, il ne compte guère plus que quelques centaines d’adhérents. Sous la
houlette de Ahmad Najib Chabbi – né en 1944 et ancien activiste passé par le
nassérisme et le baathisme – il rassemble aujourd’hui ces tendances éclectiques
sous la bannière du refus de la violence, d’une action politique légale et publique
sur le mode du Tajammuc égyptien avec lequel il entretient d’ailleurs des liens
étroits. Il s’attache à promouvoir un dialogue entre les composantes de la gauche
oppositionnelle tunisienne contre ce qu’il qualifie de « fanatisme islamiste ou
marxiste » (Sarat, 1986 : 187).
La participation à la vie politique des « partis potentiels »
Le rôle du syndicalisme
Si les luttes internes au parti au pouvoir peuvent donner naissance à une
opposition institutionnalisée qui tente d’échapper aux divisions et alliances de
Palais, des organisations non partisanes peuvent aussi jouer le rôle d’opposition
politique organisée. L’Union Générale des Travailleurs Tunisiens (ugtt) s’est,
malgré les liens tissés avec le Néo-Destour dans la lutte pour l’indépendance,
muée en instance d’opposition au régime et au parti au pouvoir, prenant figure
de « second parti» (Achour, 1989), qui rassemble 150 000 membres au milieu
des années 1950, représentant alors un travailleur tunisien sur deux. C’est Ahmed
Ben Salah qui en assure la direction à partir de 1956, en essayant d’en sauvegarder
l’autonomie. Il est alors isolé par le régime, et la centrale syndicale devient un
REMMM 111-112, 15-61
32 / Célina Braun
satellite de l’État et du parti au pouvoir jusqu’à la fin des années 1960. Après
l’échec de l’expérience socialiste menée par Ben Salah, l’ugtt revient à la vie
syndicale et politique, en canalisant le mécontentement social lors des grèves des
années 1974-1977. Ainsi, durant les années 1970, le poids de l’ugtt dans la vie
politique est reconnu par le régime. Habib Achour, membre du Bureau politique
du psd, qui fut secrétaire général de l’ugtt à partir de mai 1970, démissionne
en janvier 1978 du Bureau politique par opposition à la politique de libéralisation économique de Hédi Nouira. Dans l’année 1977, la centrale syndicale est
passée du statut de partenaire à celui d’ennemi du pouvoir. La détérioration du
climat social, l’insurrection populaire de janvier 1978 et la répression violente par
l’armée poussent à la rupture entre l’ugtt et le régime. Celui-ci force la centrale
syndicale à se soumettre suite à l’arrestation d’un millier de syndicalistes parmi
lesquels Habib Achour lui-même. L’échec du syndicalisme à se muer en véritable opposition politique pousse le mécontentement à s’exprimer dans le cadre
d’une organisation politique nouvelle qui propose une idéologie concurrente à
celle de la gauche : l’islamisme. C’est d’ailleurs dès l’été 1977, qu’un vocabulaire
d’ordre religieux s’intègre dans le discours syndical (Karoui et Messaoudi, 1984 :
299). À partir de la fin des années 1970, le pouvoir se voit alors contraint de
faire face à une opposition politique plus diversifiée, difficile à dompter par un
simple jeu d’alliances, de promotions et de démissions politiques. La détente
politique qui intervient à partir d’avril 1980, lorsque Mzali remplace Nouira
au poste de Premier ministre, n’est qu’une nouvelle stratégie qui sert à coopter
les forces d’opposition pour mieux les réduire au silence. Habib Achour rejoint
son fief, l’ugtt, intégré au jeu des élections législatives de 1981 par le biais de
listes communes avec le psd. Lors de ces élections, prévues démocratiques, les
groupes qui auront obtenu plus de 5 % pourront se constituer en parti. « Je leur
ai donné le pluralisme… Ils ne pourront pas dire qu’ils auront dû attendre la
mort de ce fasciste de Bourguiba » (Poli, 1981), dira celui qu’on appelle encore
le “combattant suprême”. Le pluralisme est en réalité mis en place pour affaiblir
l’opposition en répondant à ses revendications tout en s’assurant de son échec
aux élections, un dispositif que le régime benalien raffinera. Pas un membre de
l’opposition n’est élu : les élections donnent majorité au psd, de même que les
élections internes à l’ugtt accordent à la centrale une majorité destourienne.
Pour répondre au danger représenté par la colère montée du Sud en 198420,
depuis que la mise au pas de l’ugtt et la liquidation de Habib Achour ont privé
le parti d’une soupape de sûreté dans le monde ouvrier, la direction du parti
20. En janvier 1984, le régime de Bourguiba est aux prises avec un mouvement d’une ampleur exceptionnelle, conséquence directe des mesures relatives à la Caisse de compensation qui ont entraîné
l’augmentation du prix de la farine, de la semoule et des pâtes alimentaires de 70 %. C’est le sud des
palmeraies qui a formulé la réponse la plus immédiate à cette inflation des prix à la fin du mois de
décembre 1983. Les émeutes se sont ensuite propagées dans l’ensemble du pays, et les émeutiers se sont
heurtés aux forces armées. Les acteurs en présence ne sont donc pas les mêmes qu’en 1978, où le conflit
pouvait s’interpréter en termes d’opposition directe entre l’UGTT et le régime : cette fois, l’UGTT n’a pas
soutenu les émeutiers.
À quoi servent les partis tunisiens ?… / 33
multiplie les cellules professionnelles du psd dans les régions minières du Sud
et celles déshéritées du centre, renforçant ainsi son contrôle sur le monde du
travail sur l’ensemble du territoire (Moore, 1988).
Le désarroi de la centrale syndicale tunisienne, son problème d’identité
politique vis-à-vis de l’État et du PSD, et la question de savoir si elle peut jouer
un rôle d’opposition politique ou si elle doit se cantonner à devenir un satellite
du parti au pouvoir, minent alors les représentants du syndicalisme tunisien.
C’est au sein d’un autre type de structure que l’opposition non partisane prend
progressivement racine au cours des années 1970, passant de la défense des
travailleurs comme catégorie professionnelle particulière à celle des droits de
l’homme et de la notion de citoyenneté.
La Ligue tunisienne des Droits de l’homme
La Ligue tunisienne des Droits de l’homme (LTDH) obtient autorisation
officielle du ministère de l’Intérieur en mai 1977 mais l’organisation était en
gestation depuis le départ d’Ahmed Mestiri et de ses alliés libéraux du PSD au
début des années 1970 (Waltz, 1995). La naissance de cette organisation non
partisane est étroitement liée à l’émergence du MDS comme principal parti
d’opposition au pouvoir. À cette époque, l’idée d’une réforme démocratIque
est en discussion dans les salons privés qui réunissent Ahmed Mestiri, Hassib
Ben Ammar, et Caïed Essebsi. C’est de leur rencontre que naît le MDS, comme
la Ligue Tunisienne des Droits de l’Homme. Au sein même du MDS le problème
des libertés civiles est abordé par des hommes comme Hammouda Ben Slama,
Dali Jazi, Habib Boulares et Mohammed Moadda, qui désirent réformer – au
sein d’un Comité pour les libertés publiques – le système politique en l’ouvrant
sur le pluralisme et la démocratie. Âgés alors d’une quarantaine d’années, ils
bénéficient d’un parcours bien ancré dans le système politique tunisien. Boularès comme Ben Ammar ont déjà occupé des postes ministériels. Dali Jazi est
avocat, Moadda professeur d’université, et Ben Slama est médecin. L’idée de
créer une organisation des droits de l’homme est bien avancée dans l’année
1976 et commence à attirer les nationalistes arabes, les membres du MDS comme
certains islamistes. En mars 1977, une trentaine de professeurs, syndicalistes
et haut-fonctionnaires liés au MUP sont arrêtés pour avoir distribué des tracts
et diffusé un magazine. Le Comité pour les libertés publiques – qui se heurte
sans arrêt au refus des autorités à accorder un visa à une future organisation des
droits de l’homme – saisit cette occasion pour adresser directement un message
au président Bourguiba signé de 168 noms demandant une amnistie générale
de tous les prisonniers politiques. À la suite d’un compromis, la LTDH est
autorisée à se constituer moyennant l’intégration de sept membres du PSD dans
son Bureau exécutif qui compte 15 personnes. Saadeddine Zmerli, professeur
de médecine et inconnu de l’arène politique tunisienne, est choisi pour présider
la Ligue, première organisation politique indépendante à laquelle le régime de
Bourguiba permet d’exister. Celle-ci a pour but de combler le fossé qui sépare le
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34 / Célina Braun
fait du droit, pour transformer progressivement le système politique autoritaire
en un État démocratique acceptant le pluralisme. La Ligue tente en effet de faire
appliquer l’ensemble des droits politiques inscrits dans la loi tunisienne comme
au sein d’une culture politique issue d’une tradition réformiste et universaliste
qui remonte au réformisme de Khayr al-Din.
En voulant promouvoir une vie politique libérale, la LTDH se dote d’un
caractère essentiellement politique tout en tentant de garder ses distances avec
les organisations partisanes. Lors des émeutes de 1978 comme de 1984, la Ligue
contestera explicitement la main mise exclusive de l’État et du PSD sur la vie
politique. Mais la question de la gestion par la Ligue de ses relations avec les
partis politiques dans les années 1980 restera délicate. Si la LTDH a toujours
craint de se faire absorber par le parti au pouvoir, elle a aussi failli devenir un
satellite du MDS. En 1985, plus d’un tiers des délégués présents au congrès de
la LTDH ainsi que la moitié des candidats aux élections du comité exécutif
entretenaient des liens étroits avec le Mouvement des Démocrates Socialistes.
Pour se démarquer de ce parti d’opposition, et se protéger ainsi des coups qui
pourraient être portés à celui-ci, la Ligue augmente alors la taille de son bureau
exécutif (Waltz, 1995 : 165 ), démontrant ainsi son refus de s’associer explicitement à une organisation partisane.
Ainsi, la Ligue, longtemps liée à l’opposition de gauche et forte de 4 000
adhérents dans la seconde moitié des années 1990, a représenté une menace
pour le régime, critiquant ses abus, en particulier les diverses et nombreuses
manipulations électorales, mais a pu servir aussi le régime contre les islamistes,
dénonçant leur idéologie comme contraire aux principes des droits de l’homme.
Restant pourtant fidèle à ses principes de base, elle a aussi défendu les membres
du mouvement islamiste contre un État qui fait fi des libertés civiles et politiques.
Les menaces que fait peser la Ligue sur le régime sont ainsi prises au sérieux par
celui-ci, qui tente à partir de mars 1992 de modifier la loi sur les associations en
interdisant à leurs membres d’appartenir à un parti politique. Le pouvoir reconnaît – à travers cette tentative (finalement avortée) de contrôle – le caractère de
“parti potentiel” qui s’attache à la Ligue, par sa nature oppositionnelle comme
par ses liens avec le Mouvement des Démocrates Socialistes (Waltz, 1995 : 184).
C’est d’ailleurs la raison pour laquelle en 1997, lors de la cérémonie du 20ème
anniversaire de la Ligue, son président déclarait :
« (…) la ligue n’est pas un parti d’opposition et n’a en aucune façon l’intention de
se substituer aux partis politiques. Elle œuvre à instaurer des relations de dialogue,
notamment avec les autorités politiques, en utilisant sans ambiguïté les moyens
d’expression démocratique »21.
21. Cité par Al-Sabâh du 25 mai 1997.
À quoi servent les partis tunisiens ?… / 35
Un mouvement sans parti :
le Mouvement de la tendance islamique
Si le Mouvement de la Tendance Islamique – aujourd’hui connu sous le nom
d’al-nahdha – n’est pas un parti, il entre toutefois dans la catégorie des groupes
qui participent à la compétition pour le pouvoir. Jamais reconnu comme une
organisation partisane, il en a toutefois la structure, l’idéologie, et surtout la
base populaire.
Le mouvement islamiste tunisien naît à la fin des années 1960, comme un
mouvement informel au sein d’un lieu empreint de sacralité, qui semblait avoir
été déserté par la vie politique : la grande mosquée de la Zitouna. C’est autour
d’hommes qui n’ont pas alors trente ans, et qui refusent une Tunisie sécularisée
par le pouvoir, que se met en place le cercle des disciples d’Ahmad Ben Milad, un
cheikh de l’université religieuse autour duquel on peut déjà remarquer la présence
de Rached Ghannouchi, Abdelfattah Mourou, et plus tard de Hamida Naifar
et Salaheddine Jourchi. Ils viennent représenter la continuation d’une culture
politique tunisienne qui s’est vue anéantir lors de la victoire de Bourguiba sur
Ben Youssef, puis avec la liquidation d’une part importante des institutions et
des symboles religieux après l’indépendance. Ces hommes, qui n’ont jamais été
intégrés dans le parti destourien, se font les porte-paroles des exclus et oubliés
du système de clientèle, reclus dans la « nouvelle périphérie sociale » (Zghal,
1991).
Rached Ghannouchi représente en ce sens un parcours d’outsider, par ses
origines comme par sa carrière intellectuelle et politique qui contraste avec celle
des élites politiques les plus occidentalisées. Né en 1941 dans le petit village
d’Al-Hama près de Gabès, il commence sa formation à l’école coranique, mais
reçoit aussi un enseignement secondaire moderne. C’est à Tunis qu’il obtient
son baccalauréat en 1962. Deux ans plus tard, il part pour le Caire, où l’exemple
et la pensée de Nasser l’attirent. Inscrit à la faculté d’agronomie, il doit après la
guerre des six jours, quitter l’Égypte, et rejoint alors l’université de Damas où il
obtient un diplôme en philosophie et sciences sociales.
Après un bref passage en France, il rejoint la Tunisie en 1970, où il enseigne
la philosophie dans les écoles secondaires. Son parcours éducatif, un amalgame
d’éducation moderne et traditionnelle, ainsi que son passage au Moyen-Orient,
lui permettent de découvrir la doctrine des Frères musulmans, qu’il va progressivement adapter à la spécificité tunisienne. Au moment où il rentre en Tunisie,
le mouvement islamiste se constitue sur un mode informel. En effet, dans le
début des années 1970 l’islamisme tunisien se restreint encore à des revendications de type religieux, sans se vouloir de vocation explicitement politique ; il se
développe au sein d’unités mobiles de prédications sur le modèle de la jamaati-tabligh pakistanaise, venue propager ses valeurs en Tunisie à deux reprises en
1966 et 1967. Il n’est pas encore question d’œuvrer pour la prise du pouvoir,
mais de diffuser des valeurs morales et culturelles nouvelles, en particulier par
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36 / Célina Braun
la participation à la Société de préservation du Coran mise en place par le
pouvoir en 1969 pour faire opposition à la phase collectiviste de Ben Salah.
Le cheikh Habib Mestaoui, ancien de la Zitouna et membre du comité central
du PSD directeur de la Société de préservation du Coran, invite Ghannouchi à
une stratégie d’entrisme dans le parti au pouvoir, à laquelle le mouvement se
refuse. Le petit cercle qui deviendra par la suite MTI, et la Société dirigée par le
cheikh Mestaoui, ne représentent pas au départ une menace pour le régime :
le mouvement reste minoritaire et permet de plus à l’élite politique au pouvoir
de contrer la gauche.
À la fin des années 1970, le mouvement islamiste entre au cœur de l’arène
politique : la crise syndicale de 1978 fait fonction de catalyseur, car les islamistes
réalisent une fois le calme revenu, toute la force mobilisatrice du mécontentement
social. C’est dans l’indifférence la plus totale qu’ils assistent dans un premier
temps aux événements de janvier 1978. Progressivement, pourtant, les islamistes
vont soutenir les militants de l’UGTT contre le pouvoir, entrer dans la centrale
syndicale et considérer les travailleurs comme une force sociale susceptible de
constituer une part de la base de leur mouvement. La contestation ouvrière et
étudiante de la fin des années 1970 est ainsi récupérée par le mouvement islamiste. L’absence de la principale organisation estudiantine de gauche, l’UGET,
interdite depuis 1971-72, année de forte agitation étudiante, laisse la place à
l’idéologie islamiste à l’université. Le mouvement s’est particulièrement ancré
dans ses débuts au sein des groupes enseignants et étudiants des lycées, et s’est
alors transmis à l’université par le biais des anciens élèves des écoles secondaires.
Dans les années 1970, le régime a lui-même autorisé et lancé la construction
de mosquées dans les écoles et les usines, tentant de se donner une légitimité
religieuse pour mobiliser la référence islamique contre la gauche.
Le mouvement publie un périodique mensuel, al-ma‘rifa, qui tire à 6 000
exemplaires en 1972, et passe à 25 000 en 1979, date de sa suspension par le
régime. Le magazine qui fait participer islamistes tunisiens et étrangers, s’est
progressivement politisé. C’est d’ailleurs en 1976 que la politisation du mouvement commence à poser problème pour certains de ses membres : Hamida
Naifar et Salaheddine Jourchi, pensant que le mouvement n’est pas assez préparé
au jeu politique, le quittent et instituent le MTPI, Mouvement de la Tendance
Progressiste Islamiste (al-ittihâd al-islâmî al-taqaddumî). Ils critiquent l’utilisation du concept de jâhiliyya et de hâkimiyya par le mouvement de Ghannouchi,
trop calqué selon eux sur le modèle des Frères musulmans égyptiens qui mène
à une vision despotique du pouvoir (Jourchi, 1985). Ne voulant pas faire partie
d’une organisation politique, mais d’un cercle intellectuel et réformiste, ils s’expriment dans les pages du mensuel 15-21 (XVe siècle de l’hégire, XXIe siècle de
l’ère chrétienne), qui ne publiera que quatorze livraisons, avant d’être suspendu
par le pouvoir en février 1987. Ghannouchi réplique quant à lui à l’interdiction
de son mensuel al-macrifa par la publication d’al-mujtamac à partir de 1979, en
reprenant à foison les symboles de la révolution iranienne et en politisant encore
plus avant son discours. Dans l’ensemble, l’idéologie islamiste tunisienne repré-
À quoi servent les partis tunisiens ?… / 37
sentée par Ghannouchi reste dans un premier temps modérée, opposée à l’usage
de la violence politique et ses chefs légalistes et pragmatiques en politique. Ils
travaillent – dans cette étape chronologique majeure qu’est la tentative d’institutionnalisation du mouvement – à coupler négociation politique et dissémination
des normes islamiques au sein de la société (Tozy, 1989).
En septembre 1979, 40 leaders du mouvement se réunissent en assemblée
secrète pour construire une organisation structurée et se préparer à la participation politique. De là, nait une nouvelle organisation : al-jamâ‘a al-islâmiyya fi
tûnis (la société islamique de Tunisie) dont Rached Ghannouchi est élu président. Lorsqu’en avril 1981, Bourguiba consent – sous la pression de son Premier
ministre – à l’émergence des partis politiques le groupe annonce par voie de
conférence de presse qu’il change de nom ; de jamâ ca islâmiyya il devient MTI,
mouvement de la tendance islamique, se préparant alors à se comporter en parti
politique : c’est en juin 1981 que ses organisateurs déposent leur demande de
légalisation auprès du régime.
Celui-ci répond violemment mettant fin à ses faibles velléités de libéralisation
politique. En juillet 1981, une soixantaine de membres du MTI – dont Ghannouchi – sont arrêtés et jugés pour formation d’organisation illégale, diffamation
du président et diffusion de fausses nouvelles. Malgré l’emprisonnement de ses
chefs, le mouvement reste actif : de nouveaux leaders en prennent la direction
et maintiennent la structure de l’organisation en publiant des journaux secrets,
al-risâla et al-masâr. Certaines de leurs prises de position sont publiées dans
al-ra’y, et les contacts avec la Ligue Tunisienne des Droits de l’Homme, mais
aussi avec la centrale syndicale, sont maintenus. Malgré la répression dont il est
l’objet, le mouvement islamiste parvient à rester vivant et participe aux émeutes
populaires de janvier 1984, qui obligent le régime à détendre la situation en
faisant des promesses d’ouverture du processus démocratique. C’est le premier
ministre Mzali qui obtient de Bourguiba en août 1984 la grâce présidentielle
pour les membres du MTI emprisonnés et leur libération. Contre ce geste, le
MTI – qui refuse toujours d’abandonner la référence à l’islam en changeant de
nom – accepte explicitement de se conformer au principe de non violence et au
légalisme politique. Fort de cette nouvelle donne, à la fin de l’année 1984, le
MTI est remis sur pied. Ghannouchi, réélu à la tête du mouvement, dirige une
tendance en faveur de l’intensification de l’activité politique du MTI, qui agit
alors sur la scène politique comme un véritable parti, sans être toutefois reconnu
comme tel par le pouvoir. Il entretient des liens étroits avec les partis d’opposition,
participe à des actions communes, et reprend ses activités dans les mosquées, mais
aussi dans les lieux investis par les autres partis : l’université ou l’UGTT. C’est
avec les partis d’opposition que le MTI proteste contre la répression de l’UGTT,
la suspension des journaux d’opposition, les emprisonnements politiques, et
condamne l’attaque israélienne contre le quartier général de l’OLP à Tunis.
Entre 1985 et 1987, le mti vit en Tunisie sa période la plus active, même si
le groupe fait l’expérience quotidienne des attaques répétées par le régime, qui
décide en mars 1987 de mettre fin aux activités du mouvement islamiste. Depuis
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38 / Célina Braun
le début de l’année 1987 l’agitation à l’université bat son plein. Le 12 mars, une
quarantaine de membres du mti sont arrêtés, et avec eux Rached Ghannouchi,
accusé d’avoir prononcé un discours dans une mosquée sans en avoir obtenu
l’autorisation. La nouvelle de l’arrestation d’un groupe de terroristes en France
parmi lesquels se trouvent sept tunisiens permet au régime de frapper plus fort
en accusant le mti de collusion avec l’Iran, avec lequel la Tunisie rompt alors ses
relations diplomatiques. La répression du mti provoque alors des manifestations
à l’université : des posters représentant Ghannouchi sont brandis et l’on peut
entendre clamer dans l’enceinte de l’université : « Il n’y a de Dieu que Dieu et
Bourguiba est l’ennemi de Dieu ». En deux mois, 3 000 membres du mti sont
arrêtés, avec les éléments d’une aile secrète22, sur laquelle Ghannouchi n’exerce
pas de contrôle, née des arrestations des modérés du mti en 1981, quand le
mouvement fut obligé de se terrer. Ghannouchi est alors condamné aux travaux
forcés à perpétuité. Ce cycle – devenu classique – de manifestations-répression
culmine dans la “marche de la résistance” du 16 juillet et dans les attentats terroristes du mois d’août 1987.
La structure du mti est pyramidale, sa base est constituée de cellules ouvertes, usar (littéralement “familles”) maftûha. Chacune de ces cellules comprend
5 membres et fonctionne comme un groupe de discussion et d’étude. Certains
membres de ces usar maftûha peuvent appartenir aux cellules fermées (usar multazima). L’entrée y est soumise au respect d’un code d’honneur et au serment
d’allégeance au chef du mouvement. Ces cellules fermées sont regroupées en 18
conseils régionaux (dawâ’ir) dont les dirigeants, nommés directement par le chef
ou l’amîr de l’ensemble du mouvement, ont pour fonction de former les membres de l’ensemble des cellules. Au dessus des conseils régionaux siège le Bureau
exécutif (al-maktab al-tanfidhî) de 5 ou 6 membres nommés par le leader du
mouvement (amîr), qui président 5 comités : l’administration du mouvement,
ses finances, la recherche, l’éducation et le comité social et la da cwa (l’appel à
la religion). Ce Bureau exécutif est sous la surveillance d’un Conseil consultatif
(majlis shûra) de 21 membres, dont le tiers est élu par le Bureau lui-même. Les
14 membres restants sont élus par le mu’tamar (littéralement conférence) qui
joue le rôle de comité central, composé de 70 délégués qui représentent les conseils régionaux. Ainsi le mouvement islamiste est, tel un parti, rigoureusement
structuré par l’existence d’un processus interne de promotion et d’élection démocratique, et d’une hiérarchie contrôlée par son amîr – qui n’a pas été toujours
Rached Ghannouchi. Celui-ci, arrêté plusieurs fois, a perdu une grande part
du contrôle qu’il exerçait sur le mouvement (Shaheen, 1990). Voulant devenir
un parti, le mouvement – passé à la clandestinité et parfois à la violence du fait
de la répression – s’est originellement voulu légaliste en politique et a cherché
à prendre place au sein du système politique aux côtés des autres formations de
l’opposition. L’impossibilité de se transformer en organisation partisane légale
22. On y trouve Salah Karkar, un économiste, Hamadi Jebali, un ingénieur et Habib Muqni, un journaliste.
À quoi servent les partis tunisiens ?… / 39
a fait perdre au mouvement l’unité qu’il avait tenté d’acquérir, tant au niveau
idéologique que stratégique. C’est pourquoi les voies qu’il a voulu emprunter
pour conquérir le pouvoir ont pu prendre parfois la forme de la violence politique, faisant passer l’islamisme tunisien de parti potentiel à des noyaux épars et
minoritaires de mouvement armé.
Un parti qui se voulait explicitement clandestin islamiste a enfin été mis au
jour en Tunisie en 1983 par les forces de police qui ont découvert un mouvement
noyauté en grande partie par des militaires œuvrant au rétablissement du califat.
C’est dans le milieu des années 1970 que se tiennent des réunions secrètes qui
pendant dix ans préparent à la constitution du Parti de la Libération Islamique.
Muhammad Fadhel Chattara, étudiant en Allemagne de l’Ouest et Mohamed
Jerbi, professeur de lycée, sont à l’origine de la création du parti. Au terme de dix
années d’activités secrètes, durant lesquelles des cercles d’enseignement dans les
mosquées ont été mis en place, le parti clandestin se prépare à passer à l’action
publique pour informer les masses de son existence et les préparer à une révolution pour l’installation du califat (Sarat, 1986 : 233). Dans la seconde moitié
de l’année 1983, les forces de sûreté arrêtent une soixantaine de ses membres et
les défèrent devant les tribunaux militaires usant ainsi de procédures différentes
de celles qui sont imposées le même été aux membres du MTI qui sont traduits
devant les tribunaux civils. La présence de militaires au sein du PLI pousse à des
condamnations bien plus sévères que celles qui sont infligées aux islamistes du
MTI. Jusqu’à la prise du pouvoir par Ben Ali, le mouvement retombe ainsi dans
la clandestinité pour ne réapparaître que rarement sur la scène politique.
Un multipartisme de façade : l’ère du « renouveau »
Pour beaucoup d’observateurs, c’est – entre autres – la détérioration des relations entre le Mouvement de la Tendance Islamique et Bourguiba – qui cherche
à faire exécuter Ghannouchi – qui aurait précipité la décision de coup d’État
pacifique opéré le novembre 1987 par le général d’armée devenu ministre de
l’Intérieur puis Premier ministre, Zine al-Abidine Ben Ali. Celui-ci, une fois au
pouvoir, affirme son attachement à la religion et intègre le mti dans le débat
politique. Il libère les islamistes et leur chef, et les fait participer à la discussion
sur le pacte national de 1988. Le mti offre alors son soutien au nouveau président
tunisien et change son nom en Parti de renaissance (al-nahdha) pour être en adéquation avec la loi sur les partis d’avril 1988 qui garantit l’existence d’un système
multipartite mais interdit les partis fondés sur « la religion, la langue, la race ou
une région ». Rached Ghannouchi, qui a perdu contrôle d’une grande partie
du mouvement à la suite des vagues de répression d’emprisonnement, se voit à
nouveau diriger une organisation qui veut participer à compétition politique. Il
exprime publiquement sa confiance au chef de l’État23 par lequel il est reçu en
23. Al-Sabâh, 17 juillet 1988.
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40 / Célina Braun
novembre 1988. Les membres du mouvement sont alors autorisés à participer
aux élections législatives d’avril 1989 en tant qu’indépendants, permettant au
régime de tester la réelle popularité du mouvement islamiste.
Le MTI n’est pas la seule formation politique à tirer profit de la fin du régime
bourguibien. L’ensemble de l’opposition accueille favorablement les signes d’une
ouverture politique nouvelle. Certains militants de l’opposition vont même
jusqu’à rallier le RCD, et le nouveau régime attire alors à lui nombre d’intellectuels qui vont le soutenir. Le pacte national, en effet, explicitement conçu par
le pouvoir pour modifier le système politique, reprend l’image d’une distorsion
entre le droit et le fait et se propose de les réunir :
« (…) dès que le peuple tunisien obtint la victoire en accédant à l’indépendance, fut
proclamée la république et promulguée une constitution énonçant que la souveraineté appartient au peuple qui l’exerce au moyen de l’élection libre. (…) Cependant,
le système de parti unique, la marginalisation des institutions, la personnalisation
du pouvoir, la monopolisation de l’autorité, furent autant de pratiques contraires
à la constitution. (…) La déclaration du 7 novembre est venue mettre fin à cette
dérive (…) répondant ainsi aux aspirations du peuple tunisien à la liberté, à la
souveraineté et à la justice et à sa volonté d’attachement aux règles de la gestion
démocratique et aux principes des droits de l’homme »24.
Tous les représentants des partis signent le pacte25, y compris Noureddine
Bhiri, représentant du mti, sans que son appartenance soit mentionnée par le
texte. En cette fin d’année 1988, on peut alors penser que l’ensemble des partis :
rcd, mti, mds, pup, pct, udu 26, psp27 et rsp vont travailler ensemble.
Les élections de 1989 : le retour en force du RCD
La nouvelle loi électorale, concoctée en vue des premières législatives tenues
sous Ben Ali, maintient dans les faits le système de compétition politique intact.
Une clause nouvelle indique que les candidats doivent obtenir le parrainage de
75 électeurs dans la localité dans laquelle ils se présentent, mais le scrutin de
liste majoritaire empêche les partis d’opposition d’entrer au Parlement lors des
élections de 1989.
Les velléités d’ouverture du processus démocratique vont ainsi s’avérer de
courte durée, parce que le parti au pouvoir ne saura pas se réformer et laisser
la place à des concurrents politiques trop menaçants comme les membres d’alnahdha. Le Parti Socialiste Destournien, renommé “Rassemblement Constitutionnel Démocratique” (RCD) ne peut abandonner son pouvoir à d’autres,
d’autant que l’exemple de la libéralisation politique algérienne d’après 1988 fait
frémir par ses conséquences nombre d’élites politiques du pouvoir, de l’oppo24. Le Renouveau, 8 novembre 1988.
25. Les RCD, MDS, PUP, PCT, PSP et RSP.
26. L’UDU est créé en 1988.
27. Le PSP, Parti social du progrès est fondé en 1988 et prendra le nom de Parti social libéral en 1993.
À quoi servent les partis tunisiens ?… / 41
sition non islamiste et la plupart des classes moyennes. C’est symboliquement
avant la tenue du congrès extraordinaire du Parti de juillet 1988 que Ben Ali
recompose son gouvernement, comme pour minimiser les liens État-parti. Le
siège réservé traditionnellement au sein du cabinet au secrétaire général du parti
est discrètement éliminé. Le nouveau président ne remet pourtant pas en cause la
règle instaurée par son prédécesseur en 1986 sur la nomination du Comité central
par le président de la République. Mais le “renouveau” de novembre 1987 pousse
aussi aux transformations au sein du parti au pouvoir. Avant même la tenue du
congrès de 1988 des élections ont été organisées au sein du RCD. Au niveau des
cellules locales, on note alors un renouvellement de 62 % et au niveau national
de 70 à 80 %. Le nombre de militants lui-même augmente de 50 %, passant
d’un million environ en 1986 à un peu plus de 1 500 000 en 1987 (Mezoughi,
1989 et Moore, 1988), ce qui représente 1a proportion d’un adulte tunisien
sur deux. Après la démission forcée de Bourguiba par son Premier ministre, le
parti destourien se voit comme regagné d’une vigueur nouvelle que lui insuffle
l’arrivée de nouveaux militants, en particulier des intellectuels, des professeurs
et des étudiants. À partir de 1988, et ce de manière continue jusqu’aujourd’hui
l’ancien parti de Bourguiba, qui s’était essoufflé dans les années 1980, se rajeunit et fait appel à des techniciens plutôt qu’à des politiciens pour remplacer ses
vieux cadres. Le RCD recourt aux professionnels de la publicité pour organiser
ses campagnes électorales qui se veulent proches des électeurs, efficaces, concises,
adaptées aux différents publics qu’elles veulent toucher. Un an après la prise
de pouvoir par Ben Ali des comités de quartiers, sous l’emprise conjointe du
ministère de l’Intérieur et du RCD, sont mis en place pour encadrer, à l’échelle
micro-politique, les citoyens. Ainsi, le parti au pouvoir se donne les moyens de
structurer lui-même et de contrôler les réseaux de clientèle. Ce maillage serré
permet aussi au RCD d’avoir une meilleure appréhension des problèmes qui se
posent à la base et de se faire mieux connaître des citoyens, alors que ce travail
de proximité n’est pas fait par les partis de l’opposition, qui restent mal connus
et ignorent parfois les problèmes de leurs concitoyens. Les premiers moments
d’enthousiasme de l’opposition pour le “renouveau” incitent ainsi quelques membres du parti démocrate-socialiste à rejoindre les rangs du RCD. Les résultats des
élections de 1989 – décevants pour le MDS – poussent Ahmed Mestiri à quitter
son poste de président du parti en 1990 comme le feront plusieurs militants
de haut rang dès 1992, mal à l’aise face aux oppositions internes qui minent le
mouvement sur la question des relations à entretenir avec le régime.
Pourtant, s’il remporte aux législatives de 1989 la totalité des sièges, cela ne
signifie pas qu’au niveau local le RCD ait remporté un succès total. Lorsque Ahmed
Mestiri, chef du MDS et ancien membre du PSD, visite pour sa campagne la ville de
Nabeul au début de 1989, il est chaleureusement accueilli par les chefs de cellules
du RCD. Le mouvement des démocrates socialistes y aura d’ailleurs atteint les 4,5 %
de voix. Leurs scores restent faibles dans les régions de l’intérieur mais peuvent
atteindre les 8,5 % dans la banlieue de Tunis et 11,6 % à Tozeur. Les membres de
l’opposition islamiste, qui sont candidats en tant qu’indépendants aux élections de
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1989, obtiennent une moyenne de 14,5 % au niveau national et montrent qu’ils
représentent la seule opposition de masse au pouvoir. Al-nahdha, qui obtient pourtant dans certaines circonscriptions jusqu’à 30 % des votes – comme à Ben Arous,
une banlieue ouvrière de la capitale qui a concentré une importante majorité de
migrants originaires du Sud – sera privée de représentants politiques à l’Assemblée.
La même année, Ghannouchi choisit de s’exiler. Pendant la guerre du Golfe, de
nombreux islamistes sont arrêtés et le début des années 1990 marque une nouvelle vague de répression contre le mouvement islamiste. Pendant l’été 1992, les
membres d’al-nahdha sont jugés, et ses chefs – à l’exception de Ghannouchi alors
en exil – sont condamnés à la prison à vie.
Les élections de 1994 et l’opposition au Parlement :
la constitution d’une vitrine démocratique
Ainsi, même après 1981, les partis de l’opposition, sont souvent, même s’ils
opèrent en toute légalité, en butte aux tracasseries que leur impose le régime. Les
journaux d’opposition se voient souvent censurés. Les entreprises publiques sont
priées de ne pas y déposer leurs encarts publicitaires et ces partis connaissent des
difficultés financières. La pratique électorale les empêche aussi de participer à
des élections entièrement démocratiques. C’est pourquoi on les voit boycotter
des élections législatives à plusieurs reprises, par exemple le MDS en 1986, après
l’interdiction par le pouvoir de la candidature d’Ahmed Mestiri. La période de
transition de la période bourguibienne à celle de Ben Ali offre ainsi le tableau
d’une situation paradoxale dans laquelle les partis d’opposition font démonstration de force en refusant de participer aux élections pour contester contre
l’absence de garantie quant au déroulement démocratique et transparent de la
compétition électorale sous Bourguiba, puis montrent à partir de 1994 leur faiblesse, en s’aventurant malgré eux au Parlement, comme phagocytés par le pouvoir. « Nous n’avons pas le choix, il fallait nous engouffrer dans la brèche ouverte
par le pouvoir en espérant obtenir plus la prochaine fois ». Cette justification,
exprimée par Khemaïs Chamari, candidat du MDS aux élections législatives de
1994, ne fait que dissimuler le fait que les partis d’opposition ont été cette fois
“obligés” par le pouvoir de s’inclure dans le processus électoral.
C’est au moment où leur marge de manœuvre semble réduite que les partis
d’opposition entrent en minorité au sein d’un théorique corps législatif. En effet,
en 1993, le régime promulgue une nouvelle loi électorale qui vient répondre
aux critiques contre la rigidité du système de compétition politique. Il devient
nécessaire pour le régime de Ben Ali de se présenter, à l’intérieur comme à l’extérieur, comme démocratique, et donc de produire les signes de l’existence d’une
opposition politique. Il lui faut aussi renforcer l’opposition légale pour contrer
les islamistes, qu’il s’attache à faire disparaître du paysage politique. L’assemblée
est alors élargie par l’ajout de 22 sièges, ce qui porte le nombre de députés à 163.
144 députés seront élus au scrutin de liste majoritaire dans 25 circonscriptions, et
19 sièges seront distribués aux partis d’opposition au prorata du pourcentage de
À quoi servent les partis tunisiens ?… / 43
voix qu’ils auront reçus. Ainsi, les six partis d’opposition entrent en compétition
entre eux et non contre le RCD, et leur campagne électorale se déroule comme
sous le patronage présidentiel. La nouvelle loi électorale de 1993 démontre ainsi
que Ben Ali a pour stratégie de diviser pour mieux régner, en mettant en place une
libéralisation politique minimale qui ne peut qu’affaiblir l’opposition en la laissant
s’entredéchirer et en la privant de son adversaire principal : le parti au pouvoir. La
simultanéité des élections présidentielle et législative aura de plus servi à construire
l’unanimité autour du candidat unique à la magistrature suprême et à rendre la
campagne du RCD plus efficiente. Ben Ali obtient en effet le soutien inconditionnel
des candidats de l’opposition qui brandissent eux-mêmes les symboles représentant
le parti au pouvoir : l’écharpe rouge ou le portrait du président de la République
(Daoud, 1996 : 716). De ce point de vue, le régime aura su donner l’illusion
d’une ouverture démocratique tout en contrôlant le déroulement et les résultats
du processus électoral. Des partis d’opposition non reconnus légalement se sont
manifestés au cours des élections de 1994, donnant lieu à des arrestations : le chef
du Parti Ouvrier Communiste Tunisien, Hamma Hammami, est arrêté pour avoir
constitué une organisation politique non reconnue, comme Maître Abderrahman,
dirigeant d’un Mouvement des Avant-gardes Unionistes Arabes. Clandestin lui
aussi, le Parti de la Libération Islamique ne peut accéder à l’arène politique.
De son côté, le parti au pouvoir s’est paré de nouveaux habits pour la circonstance. Au Congrès “de la persévérance” de 1993, le RCD, fort de ses 1 600 000
adhérents répartis en 6 500 cellules, a procédé à un renouvellement de ses cadres
(Denœux, 1994). Ceux-ci sont rajeunis et l’on fait appel aux femmes et aux chefs
d’entreprises pour dynamiser l’organisation de masse.
Répartition des candidats du RCD par tranche d’âge
Moins de 40 ans
40-45 ans
45-50 ans
50-60 ans
Plus de 60 ans
Total
Nombre
9
40
60
28
7
144
%
6
28
42
19
5
100
Source : L’Observateur (Tunis), n° 59, 9-15 mars 1994, p. 6 (Denœux, 1994).
Répartition des candidats du RCD par profession
Enseignants et fonctionnaires
Médecins et avocats
Hommes d’affaires
Agriculteurs
Syndicalistes
Total
Nombre
83
26
18
13
4
144
%
57,5
18
12,5
9
3
100
Source : L’Observateur (Tunis), n° 59, 9-15 mars 1994, p. 6 (Denœux, 1994).
REMMM 111-112, 15-61
44 / Célina Braun
En mars 1994, les scores des partis en lice pour la compétition électorale sont
bien inférieurs à ceux des élections de 1989, comme le montre le tableau qui suit.
Pourtant, 19 représentants des partis d’opposition entrent à l’Assemblée tunisienne, dont 10 du MDS, 4 du mouvement al-tajdîd (ancien parti communiste),
3 de l’Union Démocratique Unioniste, et deux du Parti de l’Union Populaire.
L’opposition se partage 2,27 % des voix, ce qui représente un cuisant échec, dû
non seulement à la mobilisation en faveur du RCD mais aussi à l’absence des
candidats islamistes. En effet, lors des élections législatives de 1989, l’opposition avait pu réunir 20 % des voix dont près de 15 points avaient été attribués
au vote islamiste. C’est pourquoi aux élections de 1994, le pouvoir se sert du
contre-exemple algérien pour tenter de légitimer l’absence forcée du mouvement islamiste de la compétition politique. Ainsi, au cours des années 1990, la
dichotomie qui oppose islamisme et État fort a été la plus usitée par les élites
au pouvoir pour légitimer l’absence de réelle libéralisation politique. C’est la
maturité politique de l’électeur qui est mise en question par le régime, bien plus
que les capacités du système politique dans son ensemble à se transformer.
« (…) en Tunisie, l’enjeu est : régime intégriste (…) ou régime évolutif 28 laissant
à la démocratie ses chances. Car les Tunisiens sont devant ce choix : ou bien ils se
lancent dans l’exercice de la démocratie la plus puriste, consistant à enregistrer le
jour des élections l’état d’esprit de l’électeur avec tout ce qu’il comporte de passions
et d’irrationalité 29, et alors beaucoup d’électeurs seraient tentés par le jeu de massacre, sans songer en quoi consisterait l’alternance (…) ou bien on procède par
touches, par étapes, ne faisant pas de l’alternance l’objectif immédiat (…) dans un
climat d’appel à la raison qui éloignerait l’électeur de ses démons (…) L’obstacle
à la démocratie, ce sont les Tunisiens eux-mêmes30, inaccoutumés de la procédure
démocratique (…) »31.
Diabolisation d’un électeur inséré dans un environnement politique libéralisé,
avec en toile de fond le scénario algérien, conséquence catastrophique de l’ouverture de la boîte de Pandore démocratique : telle est la symbolique, puissante et
efficace, dont l’État tunisien fait alors usage pour geler le marché politique.
Il faut aussi citer, pour expliquer l’échec des partis d’opposition, leur faiblesse
intrinsèque. Pour le mds, les résultats sont un véritable camouflet : il n’obtient
que 1,5 % des voix alors qu’il avait présenté des candidats dans l’ensemble des
circonscriptions. La machine rcd aura fonctionné de toute sa puissance : la
campagne pour les présidentielles et les législatives aura été extrêmement performante, usant de moyens modernes et mobilisant les classes moyennes autour du
28. Nous soulignons.
29. Idem.
30. Idem.
31. Moncef Dellagi, La Croix, 19 mars 1994, cité par Z. Daoud, 1996 : 719.
32. Comme le relève Z. Daoud, la L TDH n’a pas lors des élections de 1994 constaté de fraudes flagrantes ou d’incidents, même si certains électeurs dans des catégories politiquement suspectes (ingénieurs,
avocats ou journalistes) n’ont pas reçu leur carte et ont été empêchés de participer au vote (Daoud,
1994 : 718).
À quoi servent les partis tunisiens ?… / 45
slogan du balad alamin (le pays paisible) qui agite implicitement l’épouvantail
de la guerre civile algérienne et propose ainsi la solution sécuritaire. La quasi
unanimité à l’égard du parti au pouvoir et les taux très élevés de participation
sont sans doute moins explicables par le bourrage des urnes que par la campagne
de mobilisation très intense menée par le rcd et les pressions informelles mais
réelles subies par la population pour voter et “bien” voter32. Le régime aura
ainsi mis en place un système de compétition politique paradoxal. Les partis
d’opposition se voient en effet devenir – par le score électoral – des partis très
minoritaires mais jouissent d’une représentation au sein du corps législatif par
le bon vouloir du régime.
Résultats obtenus par l’opposition en 1989 et 1994 (% )
Circonscriptions
MDS
UDU
PUP
1989 1994
1989 1994
1989 1994
Ariana
6,3
1,09
-
0,41
2,8
0,40
-
0,82
2,3
-
-
-
Béja
2,0
0,51
-
-
1,1
0,14
-
-
-
0,22
-
-
Bizerte
5,0
1,06
-
-
-
0,49
-
-
-
-
-
-
-
1,51
-
0,56
-
0,49
-
0,78
5,4
0,43
-
0,41
5,6
0,77
-
0,31
3,0
0,39
-
0,71
-
-
-
0,31
Ben Arous
Tunis I
Ettajdid
1989 1994
RSP
PSL
1989 1994
1989 1994
Tunis II
8,5
1,68
-
-
-
0,75
-
1,46
-
-
3,9
0,84
Jendouba
5,0
1,62
-
0,28
-
0,25
-
-
-
-
-
-
-
0,52
-
0,14
-
0,13
-
-
-
-
-
-
4,1
1,06
-
0,40
3,9
0,75
-
-
-
0,33
-
-
3,6
1,17
-
0,19
-
-
-
-
2,0
0,19
-
-
Siliana
Sousse
Sidi Bouzid
Sfax I
2,8
-
-
-
1,5
-
-
-
-
-
-
Sfax II
3,2
1,35
3,1
0,62
-
0,50
-
-
1,3
-
1,0
-
Tozeur
11,6
3,04
3,7
0,22
-
-
-
-
-
-
-
-
Tataouine
-
0,40
-
0,53
-
0,16
-
-
-
-
-
Zaghouan
6,3
0,71
6,9
0,08
-
0,08
-
-
-
-
-
-
Gabès
4,1
0,48
-
0,35
-
-
-
-
-
-
-
-
Kébili
4,7
0,44
-
0,71
-
-
-
0,26
-
-
-
-
Kasserine
2,7
0,39
-
0,15
-
0,08
-
-
-
-
-
-
Gafsa
2,9
1,67
1,0
1,12
-
-
-
1,06
-
-
-
-
Le Kef
4,0
0,78
5,1
0,38
-
0,21
-
-
-
-
3,0
-
Kairouan
2,0
0,59
-
0,16
-
-
-
-
-
-
-
-
Médenine
5,8
1,45
-
0,44
-
-
-
-
-
-
-
-
Mahdia
3,7
0,74
-
0,50
-
-
4,9
1,50
-
-
-
-
Monastir
-
0,64
-
-
2,9
1,42
4,3
0,67
-
-
-
-
4,5
2,29
-
0,46
-
-
-
-
1,06
-
-
-
Nabeul
(Denœux, 1994.)
REMMM 111-112, 15-61
46 / Célina Braun
Résultats obtenus par l’opposition (en voix et en sièges) en 1994
Partis
MDS
Mouvement Ettajdid
UDU
PUP
PSL
RSP
Liste indépendante (Tunis I)
Total
Voix
30 660
11 299
9 152
8 391
1 890
1 749
1 061
64 202
Sièges
10
4
3
2
0
0
0
19
Source : L’Observateur (Tunis), n° 61, 23-29 mars 1994 : 7 (Denœux, 1994).
Lors des élections municipales de mai 1995, le gouvernement reprend la
stratégie dont il faisait jusqu’alors usage, et déploie dans la règle juridique et dans
son discours un pluralisme théorique, sans donner leur chance aux partis d’opposition. Le 21 mai 1995, tous les partis de l’opposition légale participent aux
élections alors qu’ils les avaient boycottées en 1990. Le MDS considéré comme
le principal parti d’opposition est suivi par l’ancien parti communiste, le PUP et
l’UDU qui présentent des listes communes au sein d’une Alliance Démocratique.
Les résultats restent décevants puisque 6 sièges de conseillers municipaux (sur
plus de 3 500) vont à l’opposition : le MDS en obtient deux, l’Alliance trois et le
sixième siège est gagné par un candidat indépendant. C’est pourtant la première
fois que les partis d’opposition sont représentés dans les conseils municipaux,
même avec un nombre négligeable de représentants.
L’affaiblissement du Mouvement des démocrates socialistes
Jusqu’en 1995, Mohammed Moada, président du mds depuis 1991, prônait
contre nombre de militants une politique de rapprochement avec le régime,
pour contrecarrer l’islamisme. Suite aux résultats catastrophiques des élections
municipales de 1995, il fait volte-face, et passe à une politique d’opposition
moins modérée. Le mds fait alors parvenir un mémorandum de 10 pages au
président de la République, qui dénonce le caractère « hégémonique et dominant
du parti au pouvoir » et décrit le système politique tunisien comme « l’image
pervertie de la démocratie ». Le 9 octobre 1995, le régime riposte et vient par
la même occasion remettre en question ses gages mineurs de bonne volonté
démocratique. Mohamed Moadda est arrêté pour avoir eu « des relations secrètes
et compromettantes avec la Libye ». Pour la première fois, Ben Ali fait arrêter
un député, représentant majeur de l’opposition non islamiste qui a – l’un des
premiers – soutenu le président dès son arrivée à la tête de l’État tunisien, comme
sa candidature aux élections présidentielles de 1994. Moadda est condamné à 11
ans de prison pour « intelligence avec un État étranger ». Le rapprochement du
À quoi servent les partis tunisiens ?… / 47
mds avec la présidence, prôné à l’origine par Mohamed Moadda, avait coûté au
parti des divisions internes qui s’étaient momentanément résolues au cours du
congrès du mds de mars 1993 tenu à Sfax, par le succès de Moadda et l’échec
de son adversaire le médecin Ben Jaafar qui lui, désirait maintenir le mds dans
sa fonction d’opposition au régime. Son arrestation laisse alors le Mouvement
des Démocrates Socialistes en proie à de nouvelles oppositions internes – fondées notamment sur des querelles de personnes – qui l’affaiblissent. Le parti au
pouvoir ne peut que tirer profit des ferments de division qui minent les partis
d’opposition et les empêchent ainsi de constituer une alliance oppositionnelle
puissante. Le 30 décembre 1996, Moadda est relâché par le pouvoir, mais se
voit privé de ses droits civiques et politiques, et doit renoncer à la politique.
C’est un ancien fondateur du Mouvement, Ismail Boulahya, qui obtient le
secrétariat général du parti33 après une bataille quelque peu complexe d’où le
pouvoir politique n’est pas absent, en mars 1997. Il est reconnu par les autorités
politiques, mais n’a pas de légitimité au sein du parti, coupé en deux positions
irréconciliables. Dès lors, le mds ne va plus pouvoir jouer le rôle de premier parti
d’opposition. Les élections présidentielle et législative d’octobre 1999 mettent
au jour son affaiblissement et son incapacité à mobiliser les électeurs.
De nouvelles règles politiques pour les élections de 1999 :
des partis d’opposition aux partis “de soutien”
Alors que le MDS s’affaiblit, le RCD continue de travailler au maillage serré
de la population et à apparaître comme le parti de tous les Tunisiens face à
des oppositions affaiblies. Entre le 30 juillet et le 2 août 1998, se tient le 3e
congrès du RCD au parc les expositions du Kram, paré pour la circonstance de
deux types de drapeaux rouges et blancs mêlés, ceux qui représentent la nation,
avec leur croissant et leur étoile, et les oriflammes du RCD. L’événement est
largement médiatisé et permet en fait au parti et à son chef de commencer à
mener campagne – bien avant son ouverture officielle – pour les législatives et
les présidentielles qui auront lieu en même temps, le 24 octobre 1999. Le parti
de Ben Ali est alors fort de 2 millions d’adhérents (1 tunisien sur 5), et celui-ci
se voit reconduit à l’unanimité président du parti. À cette occasion, le comité
central est encore renouvelé pour ses 3/5e et régénéré par un apport de personnes
plus jeunes, plus éduquées, et de femmes ; 9 membres sur 10 sont parvenus au
niveau des études supérieures, un cinquième est composé de femmes et les deux
tiers ont moins de 55 ans.
Le président Ben Ali a aussi donné un peu plus tôt de nouveaux gages formels
de sa volonté de démocratisation. Le 29 juin 1999, le Parlement a adopté une loi
autorisant la pluralité des candidatures pour les élections présidentielles de 1999.
33. Il n’est soutenu que par 11 membres du conseil national contre 75 qui boycottent l’élection. Le
clan adverse élit l’avocat Maître Mohamed Ali Khalfallah. C’est la justice qui tranchera en faveur du
premier.
REMMM 111-112, 15-61
48 / Célina Braun
Elle autorise les chefs (présidents ou secrétaires généraux) des partis à se porter
candidats aux élections présidentielles, mais pose des conditions draconiennes
qui limitent de fait les candidatures. Ces leaders de partis doivent entre autres
occuper cette position depuis plus de 5 ans, et leur parti doit être représenté à
la chambre des députés. Auparavant, l’article 40 de la Constitution imposait
au candidat d’être cautionné par trente grands électeurs (députés ou présidents
de conseils municipaux) ce qui était impossible, puisque l’opposition disposait
de seulement 19 députés au Parlement. Plutôt que d’annuler toute restriction
à la candidature présidentielle, Ben Ali a préféré une ouverture uniquement
symbolique : c’est par le biais de l’appartenance aux partis qu’il contrôle de près
et qu’il autorise la candidature aux présidentielles34. Qui sont les chefs de partis
qui peuvent alors se présenter face à celui qui dirige le rcd ?
Ismail Boulahya, secrétaire général du MDS, à 68 ans, n’est à la tête de son parti
que depuis deux ans. Mohamed Harmel, secrétaire général d’Ettajdid, 70 ans,
se trouve exclu par la limite d’âge. Les partis autorisés à présenter des candidats
sont alors le PUP et l’UDU. Boulahya comme Harmel soutiennent explicitement
la candidature du chef du RCD préférant voter pour Ben Ali que pour un candidat de l’opposition, démontrant l’impossibilité de faire bloc contre le parti au
pouvoir. Dès lors, les électeurs peuvent choisir pour président de la République
entre Zine al Abidine Ben Ali, président du RCD, Abderrahmane Tlili, secrétaire
général de l’Union Démocratique Unioniste, et Mohamed Belhaj Amor, secrétaire
général du PUP. Ainsi, le régime aura éliminé les partis les moins minoritaires
pour laisser place à des petits partis de gauche sans aucune chance. De plus, les
deux partis d’opposition en lice pour les présidentielles et les législatives, à travers
les hommes qui les représentent, ne sont pas totalement étrangers ou extérieurs
au parti au pouvoir. Leurs chefs ne sont pas de nouveaux venus en politique,
connaissent bien la culture et les hommes de l’ancien parti destourien, et vont
entrer dans la culture du consensus telle que le RCD la développe.
Abderrahman Tlili est le fils de feu Ahmed Tlili, militant nationaliste, leader
syndical et compagnon de route de Bourguiba. À 56 ans, il a une longue histoire
politique derrière lui, celle de son père, mais aussi celle de son propre passage
par le Parti Socialiste Destoumien. Son entrée à l’ udu reste récente puisqu’il l’a
fondé en 1988 avec un groupe de militants de gauche. À la veille des élections
de 1999, le parti revendique environ 2 000 militants et trois sièges au Parlement
remportés en 1994. Il va ensuite devenir, avec le pup, et après le déclin du mds,
la formation la plus structurée et la moins faible de l’opposition. Deux grandes
tendances s’y révèlent : celle qui insiste sur la démocratie, le statut des femmes35
et a pour programme la réhabilitation des libertés sous la houlette de A. Tlili et
les gardiens de l’orthodoxie nationaliste arabe. Les premiers thèmes ne gênent pas
34. M. Marzouki avait voulu se présenter en 1994 aux élections présidentielles pour dénoncer la candidature unique, mais il avait été empêché.
35. Le congrès du parti a eu lieu du 16 au 18 juillet 1999. Il a élu les 100 membres de son conseil national,
où 5 femmes ont, pour la première fois, fait leur entrée.
À quoi servent les partis tunisiens ?… / 49
le pouvoir tant qu’il ne se trouve pas directement critiqué et d’autant plus qu’il se
les est réappropriés lui-même. Sur les thèmes de politique étrangère, le pouvoir
laisse le parti s’exprimer, car il ne se considère pas directement visé.
Mohamed Belhaj Amor, secrétaire général du PUP, est lui aussi à 65 ans, un
“ancien” par sa génération mais aussi par son appartenance aux cercles de la
politique tunisienne. Ingénieur agronome aujourd’hui à la retraite, il fut à 18 ans
un des plus jeunes fondateurs de l’UGET. Sahélien, il a été proche de Ben Salah,
dont il a partagé les convictions socialistes. Parmi ses thèmes de campagne, on
trouve des sujets aussi hétéroclites que la réduction des déséquilibres régionaux,
des inégalités sociales, la lutte contre le chômage et contre la concentration du
capital, qui sont aussi abordés par le candidat du RCD.
Les deux candidats à la présidence de la République ont soutenu explicitement la politique de Zine al Abidine Ben Ali, en excluant toute compétition.
Abderrahman Tlili, le 12 octobre, annonçait dans une conférence de presse :
« Ma candidature est avant tout pédagogique. Elle ne vise qu’à contribuer à la
construction démocratique ». Ou encore :
« Je me présente face à Ben Ali pour faire mûrir l’idée de l’alternance, qui est le
fondement même de la démocratie. Cela dit, je n’aime pas faire de la figuration.
Je compte jouer mon rôle avec sérieux, tout en gardant les pieds sur terre. Les gens
de mon âge n’aiment pas se bercer d’illusions ».
Belhaj Amor dira comme en écho : « Nous n’aspirons pas à prendre le pouvoir
et je ne pense d’ailleurs pas être élu » devant quelques centaines des membres
de son parti le 10 octobre 1999 à Sfax (Kéfi, 1999). Se comportant comme de
faux candidats, ils ont servi de faire valoir au candidat sortant en faisant de leurs
organisations respectives des partis de soutien, et en s’assurant par là même un
certain nombre de sièges aux élections législatives.
Le 24 octobre 2000, Ben Ali est réélu avec 99,44 % des voix pour un troisième
mandat de 5 ans. Mohamed Belhaj Amor est crédité de 0,32 % des suffrages et
Abderrahrnane Tlili de 0,23 %. Pour Ben Ali, le score est comparable à celui
d’autres présidents comme Hafez al-Assad qui avait en février 1999 obtenu
99,987 % des voix, ou Hosni Moubarak, qui avait reçu en juin 1999, 93,79 %
des voix36. Aucun candidat de l’opposition ne conteste le score d’une élection qui
aura finalement servi de plébiscite. Ben Ali est remercié pour sa bonne gestion
économique, pour avoir évité un scénario à l’algérienne, et le rcd reste une puissante machine de mobilisation politique. Sa campagne, comme en 1994, a été
agressive et efficace. Les militants rcd ont profité de leur capacité d’encadrement
pour travailler sur le terrain à mobiliser les électeurs en leur faveur et des moyens
et des ressources dont ils disposent, les leaders d’opposition dépendant principalement du bon vouloir de l’État pour financer leur parti et leur presse37.
36. Sur 5 millions de tunisiens en âge de voter, seulement 3,6 millions se sont inscrits sur les listes électorales. 3,3 millions de Tunisiens seraient allés aux urnes, soit un taux de participation de 91,4 %.
37. Depuis 1997, une loi permet aux partis représentés au Parlement de recevoir 5 000 Dinars par député
élu et une subvention annuelle de 60 000 Dinars. Officiellement, le RCD aurait reçu 800 000 Dinars pour
REMMM 111-112, 15-61
50 / Célina Braun
Le symbole de la candidature multiple aux présidentielles est renforcé par
un réaménagement par l’administration de Ben Ali de la loi de 1994 sur les
élections législatives qui porte le pourcentage des sièges des circonscriptions de
l’opposition à un minimum de 20 %. Les résultats du vote d’octobre 1999 sont
la conséquence directe de cette “ouverture”, qui reste le fait du Prince. On y voit
148 candidats du RCD qui briguent 182 sièges législatifs. 34 sièges sont cette
fois réservés à l’opposition. Le RCD obtient 148 sièges, le Parti Social Libéral 2,
le MDS 13, le PUP 7, l’UDU 7, Ettajdid 5. Tous les partis de l’opposition, à part
le Rassemblement Socialiste Progressiste, augmentent leur nombre de sièges à
l’Assemblée. Le MDS obtient 13 sièges (contre 10 précédemment), le PUP en
obtient 7, l’UDU 7, Ettajdid 5, et le parti social libéral 2. L’opposition est alors
forte de 34 députés contre 19 précédemment (Gharbi, 1999 : 31-32). Finalement, le pouvoir offre aux partis d’opposition des places à l’Assemblée nationale
en échange de la légitimation de sa politique. Le système des élections permet,
en créant des “partis de soutien”, de procéder à des échanges de ressources entre
les partis “obéissants” d’une part et le pouvoir d’autre part, les insérant ainsi
dans un système de clientélisation dont l’État et le RCD constituent les rouages
principaux.
Résultats comparés du RCD et de l’opposition
pour les élections législatives de 1989, 1994 et 1999
2 avril 1989
20 mars 1994
24 octobre 1999
Le RCD à l’Assemblée (%)
100
88,34
81,32
Le RCD à l’Assemblée (en nombre de sièges)
141
144
148
L’opposition à l’Assemblée (en nombre de sièges)
0
19
34
Score du RCD aux législatives (% des voix obtenues)
80,48
97,73
91,59
Score de l’opposition aux législatives (% des voix obtenus)
19,52
2,27
8,41
Source : Jeune Afrique, n° 2025, 2 au 8 novembre 1999 : 31-32.
Aussi la campagne se révèle-t-elle insipide et encore une fois dénuée d’intérêt
pour les Tunisiens. La presse nationale s’abstient de faire part de toute discussion
politique. Les 34 sièges de l’opposition à l’Assemblée auront été obtenus par
le bon vouloir des dirigeants, sans l’ébauche d’un véritable débat public. Les
candidats de l’opposition ne se seront pas exprimés de manière critique sur le
gouvernement ou sur leurs concurrents. Leur programme reste flottant, dénote
un bricolage de thèmes hétéroclites. Le pouvoir s’est d’ailleurs approprié leurs
thèmes de campagne les plus mobilisateurs, en particulier ceux du “pluralisme”
1999. Voir Réalités du 3 au 9 février 2000 et la loi n° 97-48 du 21 Juillet 1997 relative au financement
public des partis politiques. Dans les faits, le pouvoir dispose de toute latitude pour le montant des enveloppes qu’il offre aux partis, et l’on ne connaît pas leurs montants exacts. De ce fait, le pouvoir a réussi a
clientéliser les partis d’opposition en les rendants dépendants de son bon vouloir.
À quoi servent les partis tunisiens ?… / 51
et de la “démocratie”, la lutte contre l’islamisme, l’intégration dans les processus
de mondialisation, la lutte contre le chômage… leur coupant ainsi l’herbe sous
le pied. Aujourd’hui, les rares débats politiques ont strictement lieu dans des
sphères restreintes, au sein des partis politiques ou de l’Assemblée Nationale. Les
discussions peuvent être souvent houleuses entre élites politiques d’opposition
en particulier sur les problèmes de stratégie politique face au régime, sans que
ces débats soient répercutés par la presse.
L’Agence Tunis Afrique Presse détient un monopole sur la diffusion de l’information nationale et l’Agence Tunisienne de Communication Extérieure répartit
les annonces publicitaires entre les divers médias, se servant ainsi de cette distribution de ressources pour s’assurer le ton non critique de certains journaux38.
Certains députés tenants d’une ligne oppositionnelle s’expriment au sein du parlement au cours des débats de l’Assemblée. Leurs interventions restent toutefois
limitées à cette enceinte, sans être jamais répercutées par les médias, mais elles
sont importantes, et donnent à voir, en coulisses, des discussions lourdes de sens
mais condamnées à n’être pas entendues par le public. Ainsi, le député Salem
Rejeb, élu en 1994 sur une liste d’Ettajdid, mais ayant quitté le parti peu après,
a pu déclarer lors d’une session du parlement (20 octobre 1998) :
« Le nouveau pluralisme parlementaire est en réalité le résultat direct de la volonté
politique du chef de l’État. Il n’est pas le produit d’un pluralisme politique et
idéologique ancré dans la société et l’espace public »39.
Il ne sera pas réélu en octobre 1999.
Les élections municipales du 28 mai 2000 ne feront que confirmer l’état d’impréparation et de faiblesse des partis d’opposition. Les résultats sont un triomphe
pour le RCD, qui continue à diriger les 256 communes tunisiennes, en ayant
totalisé plus de 94 % des sièges. Tous les partis ont présenté des candidats lors
de ce scrutin, à l’exception du RSP, dirigé par Najib Chabbi, qui s’est abstenu.
Les 5 autres partis de l’opposition légale n’ont pas eu un nombre suffisant de
candidats appartenant à leur parti pour constituer des listes crédibles. Il leur a
alors fallu ajouter à leur liste des personnalités indépendantes. Relisons le bilan
que dressait en 1997 Najib Chabbi :
« Le parti au pouvoir a réussi, en modifiant sa structure et son nom, à conserver
ses anciennes positions et ses anciennes relations avec l’État et les institutions
représentatives. Cette réussite constitue un revers pour la démocratie. (…) Les
quelques amendements introduits n’ont été d’aucune utilité, car ils conservent au
pluralisme un caractère purement formel en maintenant la domination quasi-totale
du parti au pouvoir sur les institutions de l’État »40.
38. Rapport Abid Husain pour la Commission des Droits de l’homme (ONU, Genève, mission du 6 au
10 décembre 1999). Voir Jeune Afrique n° 2054 du 23 au 29 mai 2000.
39. Mohamed Abdelhaq et Jean-Bemard Heumann (2000 : 35) donnent des exemples d’intervention au
sein de l’Assemblée contre la nouvelle loi électorale sur les législatives de 1999, de la part de députés RCD
comme de la part de députés de l’opposition.
40. Al-Mawqif, août 1997.
REMMM 111-112, 15-61
52 / Célina Braun
Les nouveaux mouvements de contestation
des mécanismes politiques :
« quasi-partis » ou « anti-partis » ?
Le Comité national pour les libertés en Tunisie (CNLT)
À la fin des années 1990, dix ans après la signature du Pacte national, les partis
politiques continuent de jouer le rôle de figurants politiques, et le marché de la
politique n’a jamais été aussi fortement réglementé par l’État. Mais dès lors que
le champ politique est gelé par le pouvoir, de nouvelles instances émergent dans
des sphères très réduites au niveau national, mais plus élargies à l’extérieur. Elles
se manifestent en particulier à travers des structures associatives, moins “organisées” que les partis politiques, plus innovantes, et expriment un nouveau type de
demande politique. Nous en donnons ici deux exemples, qui ne sont pas exclusifs.
De nombreuses associations tunisiennes ont aujourd’hui pris en charge une des
fonctions qu’auraient pu jouer les partis d’opposition41 : la critique du régime dans
son interprétation des notions de citoyenneté et de représentation.
Ainsi, le 23 décembre 1998, un groupe de 35 personnes, dont 6 femmes, universitaires, professions libérales, journalistes et militants des droits de l’homme,
créent un Conseil National pour les Libertés en Tunisie. On relève dans leur
charte fondatrice les signatures de Mohamed Talbi, universitaire, de Moncef
Marzouki, médecin et ancien président de la Ligue Tunisienne des Droits de
l’Homme, de Sihem Ben Sedrine, avocate, ou de Taoufik Ben Brik, journaliste.
Les noms de ces trois derniers ont déjà ou vont défrayer la chronique tunisofrançaise. Avec les autres signataires, il regrettent « la détérioration préoccupante
de l’état des libertés individuelles et publiques », et déclarent que « le citoyen
est traité en mineur », que « toute voix divergente du discours officiel est étouffée » et que « la plupart des institutions ont été vidées de leurs fonctions »42. Il
est vrai que le régime s’est durci contre toute instance critique. Près d’un mois
plus tôt, le 29 octobre 1998, le Parlement a adopté une loi autorisant le retrait
des passeports par les tribunaux, ce qui lui permet de contrôler le passage de
l’information à l’extérieur du pays.
Au mois de novembre 1998, Amnesty International et la Fédération Internationale des Droits de l’Homme ont dénoncé l’aggravation de la situation des
défenseurs des droits de l’homme en Tunisie. La Ligue Tunisienne des Droits de
l’Homme est elle-même l’objet d’attaques répétées par le régime, en particulier
contre les plus actifs et les plus visibles de ses membres, ce qui aboutira au gel
de ses activités à la fin de l’année 200043. En effet, les 28 et 29 octobre 2000,
41. Notamment l’Association Tunisienne des Femmes Démocrates, ou l’Association Tunisienne des
Jeunes Avocats.
42. Charte du Comité National pour les Libertés en Tunisie, 10 Décembre 1998.
43. Khemais Ksila, vice président de la LTDH a été poursuivi par le régime. Voir aussi avec Mazouki, qui
est ancien président de LTDH et porte-parole du CNLT. Récit du gel des activités de la LTDH.
À quoi servent les partis tunisiens ?… / 53
lors du 5e Congrès de la Ligue, un nouveau Comité Directeur est élu, avec à
sa tête deux vice-présidents sortants, Khemais Ksila, opposant au régime, et
Salaheddine Jourchi, un des premiers fondateurs du mouvement islamiste en
Tunisie. Fait important, la direction parvient par ce vote à se rendre indépendante
du rcd, qui avait noyauté l’organisation. L’élection est dès lors contestée par
quatre anciens membres du Comité proches du rcd. Ils intentent une action en
justice contre la Ligue pour faire annuler l’élection, ce que s’empresse de faire la
justice. Le noyautage de la Ligue par le rcd avait poussé à la création du cnlt,
pour reconstituer un espace indépendant d’activité. Mais une fois cette indépendance obtenue, c’est le rcd qui accuse la Ligue de se laisser prédominer par
des militants du pcot illégal et de la Nahdha islamiste. Devenue ainsi – l’espace
d’un moment – un espace de conflit entre parti au pouvoir et opposition, la
Ligue se voit fermée par décision de justice en attendant son procès au début
de l’année 200044.
Dès sa création, le CNLT marque son refus de se laisser marquer par ces conflits
entre partis, et propose
« un cadre qui n’a pas l’ambition de se substituer aux structures existantes, bien
au contraire, il appuiera toutes leurs initiatives allant dans le sens de la défense
des droits de l’homme, de l’égalité entre les sexes, et de la promotion des valeurs
démocratiques et républicaines ».
Il demande entre autres la libération de tous les prisonniers d’opinion et la
promulgation d’une loi d’amnistie générale en leur faveur, la garantie de l’indépendance de la justice, la défense de tous les droits et libertés, en particulier « des
élections libres et transparentes ». Si le Comité n’a pas la structure ou l’identité
d’un parti politique, il veut jouer le rôle d’arbitre ou de surveillance des règles
démocratiques, et se place en ce sens au delà même de la sphère politique partisane. Il tente de se réunir régulièrement et se rend visible sur la scène nationale
et internationale en diffusant régulièrement des communiqués45 qui informent
de la situation des droits de l’homme et des libertés en Tunisie, de manière
générale ou au cas par cas – sur l’état de la LTDH, sur les grévistes de la faim, les
prisonniers politiques, les conditions de détention, les émeutes – utilisant entre
autres Internet, accessible essentiellement de l’étranger46. Ce rôle de surveillance
et d’information explique pourquoi, dès sa création, le cnlt fait l’objet d’une
censure constante de la part de administration. Le 2 mars 1999, celle-ci refuse
de lui accorder un statut légal. Le 12 mai 1999, Omar Mestiri, son Secrétaire
Général est interpellé puis relâché. Les membres du cnlt sont harcelés, ils intentent un recours contre leur interdiction, mais le gouvernement est décidé à ne
44. Le 14 décembre 2000, le Parlement européen adopte une déclaration qui exige des autorités tunisiennes d’arrêter immédiatement toute forme de harcèlement et de répression à l’encontre des associations
œuvrant pour l’État de droit en Tunisie.
45. Le 16 mars 2000, un rapport du CNLT dénonce l’instrumentalisation de la justice par l’appareil
policier et la torture.
46. www.cnlt98.org
REMMM 111-112, 15-61
54 / Célina Braun
pas lâcher prise. Comme avec la Ligue, l’absence de tout contre pouvoir (par les
médias, les syndicats ou la presse) permet au régime d’affaiblir le comité sur le
plan juridique et de prendre à parti les personnes individuelles qui y ont impliquées47. La scène politique tunisienne donne alors à voir cet affrontement inégal
entre personnes individuelles et État48, plutôt que celui qui opposerait celui-ci
aux partis, rendus inopérants politiquement. À l’étranger, les médias ainsi que
les organisations des droits de l’homme, ou le Parlement européen, tentent de
faire pression sur le gouvernement tunisien, sans que cela ait des conséquences
majeures. Le régime accorde parfois des concessions mineures qui ne semblent
pas favoriser l’ouverture du champ politique. Il récupère le discours des droits de
l’homme à son avantage, s’octroyant un monopole sur l’interprétation du sens
des notions comme celles de “droit” ou de “pluralisme”49 et sur la production
des symboles politiques.
Takriz, l’anti-parti : l’expression du “ras-le-bol”
des jeunes tunisiens
À la fin des années 1990, une nouvelle génération, essentiellement estudiantine, qui jusque là se manifestait plutôt sur les campus universitaires, émerge et
s’exprime en utilisant les réseaux transnationaux d’Internet. Ce nouveau type
d’acteur, qui conteste tout en se positionnant explicitement en dehors des partis
politiques, n’a pas pu s’intégrer dans un tissu organisationnel ou institutionnel.
Le succès rencontré par ce mouvement, qui n’est peut-être qu’éphémère, montre
la violence latente qui émerge d’un champ politique gelé.
Durant l’année 1998, deux pseudonymes, Waterman et Fœtus, créent sur le
réseau de l’internet une “mailing list” qui permet aux Tunisiens de s’exprimer
sur des sujets tabous. En janvier 2000, la liste ayant grossi, les membres les plus
actifs du réseau créent le site takriz (www.takriz.org, de “ras-le-bol” en tunisien,
un magazine dont le numéro 2 du volume 2, « premier e-magazine tunisien,
0 % langue de bois » déchaîne les passions et le rend célèbre au public tunisien.
Les animateurs du site, majoritairement étudiants, travaillent anonymement
à partir de leur domicile. Ils envoient leurs articles sur un serveur à l’étranger,
47. Le 8 décembre 2000, une opération policière a eu lieu contre le CNLT en empêchant la réunion de
ses membres.
48. Ces « batailles » sont multiples et il serait trop long de les énumérer dans un article dont l’objet est
de traiter des partis politiques. Elles sont facilitées par la réforme du code pénal en 1997, qui permet
d’étendre la qualification de « crime d’atteinte à la sûreté de l’État » à tout citoyen tunisien. Elles ont
été répercutées longuement dans la presse française à propos de Sihem Ben Sedrine, Moncef Marzouki,
ou Taoufik Ben Brik, mais aussi, pour les chefs de partis, au sujet de Mohamed Moadda, ou de Radhia
Nasraoui, avocate, femme de Hamma Hammami. Elle a été accusée d’avoir favorisé les réunions du
PCOT qui reste interdit, avec 17 co-inculpés, étudiants. Elle a été défendue par 100 avocats tunisiens, en
présence d’ONG et droits de l’homme internationales. Le 14 juillet 1999, l’avocate est condamnée à 6
mois de prison avec sursis, et les étudiants de 15 mois à 4 ans de prison ferme.
49. En février 1999, Amnesty International avait dû lancer son propre site internet pour contrer celui que
le gouvernement tunisien avait créer en s’appropriant le nom de l’organisation humanitaire.
À quoi servent les partis tunisiens ?… / 55
puisque l’internet est filtré par l’État tunisien par le biais de l’Agence Tunisienne
d’Internet (ATI). Entre le 1er Juillet et la mi-août 2000, ils revendiquent 130 000
visites du site. Mais le 12 août 2000, l’ ATI censure l’accès au site à partir de la
Tunisie, et les auteurs créent alors une cellule de crise virtuelle, qu’ils nomment
taktik, et qui donne des conseils aux internautes tunisiens pour détourner la
censure. Le ton de ces journalistes tunisiens est jeune, corrosif, insultant, souvent
violent et grossier. Ils s’expriment en français, rédigent leurs articles à la hâte,
au vu de leur orthographe plus que douteuse et au style oral de leurs écrits.
Aujourd’hui, on dénombre une vingtaine de ces journalistes cyber-résistants au
sein de Takriz. Dans une langue enragée, ils s’expriment sur la condition des
femmes, les immigrés, la sexualité, les injustices, la corruption et surtout sur la
presse nationale et l’ ATI, devenues leurs bêtes noires.
« Nous attaquons tout ce qui nous gonfle. Nous ne sommes pas des révolutionnaires. Nous sommes une bande de jeunes qui a grandi dans un milieu confiné où
la pression est trop forte. (…) Nous voulons râler jusqu’à ce que nos voix soient
entendues (…) Nous nous moquons de tous les tabous, et la meilleure manière
de se moquer des tabous c’est d’en parler50 ».
Le contraste est fort avec le style des élites des partis ou des comités de défense
des droits de l’homme. Écoutons l’un des pseudos, Don Quichotte, dans le
numéro 3 du volume 3 de Takriz (nous reproduisons le texte tel quel) :
« (…) en sortant et côtoyant cette société on commence a découvrir les poches de
pourritures, les disfonctionnements et les contradictions. Le manque de civisme
nous entoure de partout. Les gens qui se bousculent pour survivre, la moitie de la
population affiliée à un semblant de parti politique pour garantir la réussite, (…)
Même schéma pour la politique : 45 ans de gâchis. On a changé les institutions et
on a gardé les mêmes principes. Nous vivions toujours en une quasi-monarchie qui
tient sa légitimité à des mythes chimériques, voiles d’hypocrisie. On nous enseigne
nos droits à l’école pour nous les ôter ailleurs. On nous imbibe de principes pour
nous faire écraser sous le poids de la mollesse de leur application. On nous dit que
la Constitution est la Loi Suprême pour nous briser par sa violation. On déclare
haut et fort que la démocratie est le choix du pays pour nous étouffer brusquement
par un état policier ».
La génération à laquelle appartiennent Don Quichotte et ses amis étudiants
a en effet baigné, durant son adolescence, dans la logorrhée du régime et du
rcd sur la démocratie. Elle a été formée par les nouveaux manuels d’éducation
civique rédigés à la suite de la réforme de l’éducation de 1989. Ceux-ci introduisent l’étudiant du secondaire aux notions de citoyenneté, de démocratie et de
droits de l’homme, remontent à la révolution française, aux textes de Rousseau,
de Voltaire, de Locke, mais aussi dépendent de l’idée d’une adaptation de ces
concepts par la Tunisie pour instaurer, dans une sorte de continuité fondatrice,
une démocratie. Si l’on feuillette le manuel d’éducation civique destiné aux élèves
de la cinquième année du secondaire de l’école publique dans son édition de
50. Interview de Don Quichotte dans internet Actu du 14 septembre 2000.
REMMM 111-112, 15-61
56 / Célina Braun
1997, on constate qu’une grande part des textes est destinée à ancrer – dans un
ouvrage par ailleurs de qualité – l’idée d’une Tunisie démocratique. La couverture de l’ouvrage montre la photographie du Parlement, et les auteurs espèrent,
certainement avec sincérité, « contribuer à développer chez les élèves les principes
des droits de la personne (insân), les valeurs de la démocratie, et les significations
de la citoyenneté »51. Il est dès lors difficile de s’étonner que les jeunes étudiants
ayant fréquenté le lycée dans la seconde moitié des années 1990 ne constatent
pas d’eux-mêmes le vide politique dans lequel survivent les partis tunisiens.
S’il est difficile de savoir si le site takriz n’est pas instrumentalisé aujourd’hui
par certains groupes d’opposition, il ne fait pas de doute que son succès est révélateur de l’état d’esprit d’une partie de la jeune génération qui ne peut se reconnaître ni se faire encadrer par les partis politiques en présence. Que peuvent-ils dire
de la différence entre les programmes des divers partis d’opposition ? Comment
pourraient-ils relever les subtiles variations idéologiques entre le pup et l’udu
qui sont d’ailleurs dues surtout à l’histoire des mouvements et aux différences
de personnes et qui sont bien éloignées de leurs préoccupations quotidiennes ?
Alors que les antennes paraboliques52 permettent de “zapper” pour regarder la
chaîne Al-Jazira, ou les journaux télévisés français, que le filtrage de l’Internet
peut être détourné, la censure qui frappe les médias tunisiens ne peut être que
flagrante, et appeler au contournement du système.
Le champ politique en situation de monopole :
quels risques de violence ?
Le Rassemblement Constitutionnel Démocratique, ancien Parti Socialiste
Destourien. est aujourd’hui une machine performante et puissante, telle que
Bourguiba, l’avait conçue et utilisée au service de l’État tunisien. L’imposant
bâtiment qui abrite les bureaux officiels du parti, domine, au dessus de la Casbah
de Tunis, les ministères, dessinant ainsi un espace qui symbolise la conjonction
étroite entre État et parti. Son énorme capacité de mobilisation, ses liens avec
les organisations professionnelles, ses relations plus ou moins formelles avec les
associations et organisations locales et nationales, sont les atouts dont le Rassemblement hérite de l’ancien parti destourien. Les partis d’opposition, vivent,
quant à eux, depuis l’instauration de la République tunisienne en 1957, dans
une position de faiblesse constante. Depuis la mise en place d’un système parle51. Kitâb at-tarbiya al-madaniyya li talâmidh as-sana al-khâmisa min at-ta clîm ath-thânawî, (Manuel
d’éducation civique, cinquième année de l’enseignement secondaire), Ministère de l’enseignement,
Tunis, 1997, page 5.
52. L’Institut national de la Statistique en Tunisie donne le chiffre de 355 000 (18,3 %) foyers possédant
une parabole en 2000, soit dix fois plus qu’en 1994. Cela représente en terme d’audience plus de 3 millions de téléspectateurs. Ces chiffres sont probablement sous-évalués, car ils ne tiennent pas compte des
installations d’antennes paraboliques non déclarées. On comptait au printemps 1998, 3 000 abonnés à
l’internet en Tunisie (Geslin, 1998 : 30-31).
À quoi servent les partis tunisiens ?… / 57
mentaire après l’indépendance, ces partis ont dans un premier temps été éliminés
puis ont connu, faibles et désunis, une existence précaire. Les rares velléités de
libéralisation politique sous Bourguiba au début des années 1980 ne leur ont
pas donné assez de place pour exister à part entière aux côtés d’un parti destourien incapable de se réformer pour faire face à un système politique libéral. La
politique de l’État incarnée dans la personne du combattant suprême consistait
dans une suite d’ouvertures et de crispations de la vie politique qui renforcèrent
le régime de parti unique. Les partis n’ont été que des groupes transitoires – mais
bien présents – d’opposition au régime. Des organisations non partisanes, celle
du syndicalisme puis celle de défense des droits de l’homme, ont aussi joué le
rôle de partis « potentiels ». Mais cette inscription de l’opposition politique
dans l’éphémère et le virtuel n’a pas empêché le conflit politique de s’ancrer
durablement autour des enjeux de pouvoir que ces organisations représentent.
Depuis l’indépendance, le conflit politique s’organise en effet autour de deux
pôles liés par un rapport de force légal ; d’une part le couple État-parti, puissant
et dominateur, d’autre part l’opposition, faible et fragmentée. Le premier a
toujours voulu maintenir la relation dans un rapport d’inégalité en empêchant
l’institutionnalisation d’un système politique libéral qui pouvait offrir des
opportunités d’existence et de profit politique à des organisations partisanes.
Le pouvoir tunisien s’est en effet attaché à maintenir l’équation entre l’État-parti
et l’institution politique, s’assurant de la confusion entre celle-ci et celui-là.
C’est pourquoi la logique du système politique, telle qu’elle fut dessinée par
Bourguiba, continue aujourd’hui de peser de tout son poids : les promesses du
7 novembre 1987 n’ont pas suffi à transformer radicalement le mode de compétition politique en place sous l’ère bourguibienne. Il est vrai que le régime
de Ben Ali a voulu, dès ses débuts, remettre à l’honneur l’idée de société civile
en donnant pour fonction à celle-ci de se définir sur un mode autonome par
rapport à l’État tunisien, rompant avec la vision d’une société modelée par l’État.
Il semblait alors que l’emprise de l’État sur la société allait se détendre, permettant d’offrir des espaces d’expression et de représentation politique à la société.
Pourtant, si le président Ben Ali a bien tenté d’élargir la compétition pour le
pouvoir en dehors du psd en approuvant dans un premier temps la formation
de partis d’opposition actifs, la menace définie par le mouvement islamiste a mis
le pouvoir aux prises avec un dilemme qui lui a fourni jusqu’à la fin des années
1990 la légitimation nécessaire à l’absence de démocratisation : comment ouvrir
la voie aux partis d’opposition sans donner l’avantage à un mouvement islamiste
qui menace le pouvoir en place et ses acquis en termes de laïcité ? L’opposition
islamiste quasiment éliminée aujourd’hui, ses leaders en exil ou en prison53,
c’est un autre type d’opposition qui menace le régime. Elle est issue d’une
demande de participation politique qui naît au sein des classes moyennes et des
53. Depuis 1998, plusieurs islamistes condamnés par contumace ont pu rentrer en Tunisie et faire l’objet
d’une amnistie en échange de leur abandon de la politique. Ce mouvement de retour a créé au sein de la
mouvance islamiste tunisienne un profond désaccord.
REMMM 111-112, 15-61
58 / Célina Braun
générations jeunes et éduquées. Cette opposition prend son origine dans des
cercles et chez des individus qui émergent en dehors des organisations partisanes
et qui ne sont pas toujours des “professionnels de la politique”. Ils expriment
une demande sur les rouages et les mécanismes mêmes du politique bien moins
idéologique que leurs prédécesseurs dans leur travail de contestation politique.
Le débat qui pouvait par moments se déployer dans la sphère publique jusqu’à
la fin des années 1980 opposait par exemple des termes tels que “islamisme”,
“socialisme” ou “libéralisme”. Ces notions ne sont plus de mise aujourd’hui.
Un autre “débat” est en place, qui porte sur le sens et les contresens que chacun
veut faire porter aux concepts de “citoyenneté” de “droit”, ou de “représentation”
politique ou juridique. L’inflation de ces termes dans le discours politique des
uns et des autres n’est pas le fait d’un dispositif politique concurrentiel, mais la
conséquence d’un conflit violent et inégal pour le monopole de l’interprétation
de leur sens et l’accusation des perdants de faire “contre-sens”.
Aujourd’hui, le régime tunisien, tout en réprimant d’une main les oppositions
critiques, donne des gages symboliques de pluralisme de l’autre, laissant parfois
l’impression d’une politique contradictoire. On le voit ainsi promettre, au cours
de l’année 1999 d’œuvrer pour une presse plus libre, ou encore, libérer, après sa
réélection de 1999, 600 prisonniers politiques dont la majorité est islamiste. De
fait, si la liberté d’expression (et plus largement de circulation des hommes et des
idées) venait à voir le jour, on pourrait alors gager qu’un des obstacles majeurs de
la démocratisation serait levé. En effet, sur un plan formel, le régime Benalien
a hérité du juridisme du régime de Bourguiba : les institutions – telles qu’il les
a précisément refaçonnées pour servir de vitrine démocratique – sont prêtes à
fonctionner pour le jeu de la démocratie si on les insère dans un environnement
concurrentiel. Mais, se fondant sur les symboles et les textes, espérant gagner
ainsi la reconnaissance de la communauté internationale, le régime s’abstiendra
de résoudre le décalage qu’il s’était promis de combler entre fait et droit. Il ne
semble pas que la présence de l’opposition à l’Assemblée ait changé la nature d’un
corps législatif soumis au pouvoir exécutif depuis sa création. Si les quelques sièges
offerts à l’opposition peuvent théoriquement introduire le débat politique au sein
de l’assemblée nationale, les échos de la discussion politique ne passent pas les
murs de l’Assemblée et semblent ne pas avoir de conséquences sur la production
de lois par le corps législatif. Celles-ci sont le résultat des décisions prises par les
hommes qui détiennent le pouvoir. Les députés eux-mêmes regrettent la médiocre
couverture médiatique des sessions parlementaires54. L’opposition a pu montrer
sa force dans le passé, sans s’exprimer par la voix de partis. Elle a pu en effet
exercer des effets sur les actions du gouvernement, et représenter pour celui-ci
une menace, en particulier lorsque grondait la colère populaire. Dans un système
qui n’est que théoriquement parlementaire, la présence de partis à l’Assemblée
n’assure pas l’existence d’une vie démocratique. Elle se réduit à des signes et des
textes qui s’abstiennent de trouver traduction dans une réalité politique.
54. Al-Mustaqbal, 29 septembre 1994.
À quoi servent les partis tunisiens ?… / 59
Ben Ali aura toutefois offert aux partis un mode d’existence légal qui peut être
le fondement d’une future vitalité qui dépend elle-même de la volonté du régime
de libéraliser le système politique. Aujourd’hui, l’arène politique est dessinée.
Des partis politiques légaux d’opposition l’occupent, siègent à l’assemblée, et ne
sont plus définissables comme des groupes transitoires de personnes. Or, la mise
en place de cette arène, la définition des règles du jeu politique et l’intégration à
l’échiquier politique d’une opposition “sans opposition” au régime, sont le fait
du pouvoir lui-même, qui contrôle étroitement la structure politique qu’il a
dessinée et qui peut ainsi la modifier selon son bon vouloir. Libéraliser les règles
de la compétition politique signifie qu’y serait introduite la notion de risque et
que seront redéfinies non seulement les identités des perdants et des gagnants,
mais aussi l’ensemble des joueurs en présence.
Il est peu probable qu’aujourd’hui, inquiètes du pouvoir potentiel d’une
opposition de plus en plus convaincue du projet démocratique, dont tout le
monde, même l’État – mais sur un plan symbolique – se fait le défenseur, les
élites au pouvoir acceptent ces redéfinitions. Si, à moyen terme, le pouvoir
s’acharne à refuser la réalisation de ce projet, et si les tensions sociales dues aux
transformations économiques s’accroissent, on peut imaginer que les oppositions iront plus loin dans leur refus du régime, mais aussi que celui-ci réagira de
manière autoritaire pour la faire taire, malgré la pression internationale. Mais on
peut aussi parier que le travail symbolique, censé sauver les apparences, effectué
par le pouvoir tunisien, pourra avoir des retombées positives dans le plus long
terme sur la culture politique tunisienne. La réforme de l’éducation civique en
est un exemple, tout comme le travail sur les textes juridiques, travail qui peut
sembler surdimensionné par rapport aux résultats, puisqu’il instaure en droit
une démocratie, mais qui peut avoir le mérite de s’inscrire dans la durée. Ainsi,
les partis politiques ne joueront certainement pas en eux-mêmes une fonction
importante dans un éventuel parcours de démocratisation. Au delà et en deçà de
cette structure organisationnelle qu’ils définissent, c’est sur le marché des idées
que doit se faire la transformation radicale. L’idée de démocratie définie comme
pluralisme et libre circulation des idées et des personnes (avant d’être définie
comme système parlementaire avec libre concurrence pour le vote) est largement
partagée aujourd’hui en Tunisie. Il ne manque que la volonté de l’élite politique
pour commencer à l’appliquer. Celle-ci semble cependant avoir laissé passer le
moment le plus opportun, et se verra donc sûrement obligée, face à une contestation plus résolue, à refuser une réelle démocratisation qui ne pourra se faire
que contre elle. Dès lors le paysage politique se trouve divisé entre deux types
organisationnels d’opposition : d’une part des partis politiques dont la fonction
est de légitimer le système politique en place, d’autre part des instances individuelles ou collectives qui opèrent en dehors de la sphère partisane “reconnue” et
qui peuvent, faute d’espace légal d’expression, disparaître ou se radicaliser.
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60 / Célina Braun
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