Qu`est-ce qu`un héros de bande dessinée

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Qu`est-ce qu`un héros de bande dessinée
HEROS DE BANDE DESSINEE
- ENTRE PRESENCE ET ABSENCE Qu’est-ce qu’un héros de bande dessinée ? Comment fonctionne-t-il ? Pourquoi est-il
ainsi ? Quoi ? Comment ? Pourquoi ? Ce sont là les trois questions principales que nous avons
traitées dans les pages de notre thèse. C’est principalement l’étude de la relation entre le
lecteur et le héros qui va nous permettre de répondre. Cette relation nous la nommons
identification, elle est à la fois reconnaissance et projection. C’est dans ce double mouvement
– du héros vers le lecteur, du lecteur vers le héros – que nous trouverons notre objet.
Signalons que notre travail de recherche a fait appel, pour être mené à bien, à des outils
provenant des domaines variés que sont l’analyse plastique, la sémiologie, l’esthétique, la
philosophie et les études littéraires, outils de compréhensions nombreux, mais nécessaires
pour aborder un objet encore très peu étudié et qui de ce fait manque encore d’outils
spécifiques.
Notre cheminement nous a donc amenés en premier lieu à définir le héros tant de
façon diachronique que synchronique. En effet, nous nous sommes d’abord attardés sur
l’origine de la bande dessinée et sur les conditions de son apparition (avec une attention
particulière pour les productions et les réflexions de Rodolphe Töpffer) ainsi que sur son
évolution historique et sur les influences extérieures qu’elle a pu subir (censures,
règlementations, mode de publication, etc.). Ensuite, nous avons comparé le héros de bande
dessinée à ses équivalents dans de divers autres médiums (peinture, cinéma, littérature, etc.).
Ces deux perspectives nous ont permis de préciser la nature du héros de bande dessinée. Nous
sommes alors parvenus à le définir au moyen de son fonctionnement, le seul élément qui soit
commun à tous les héros de bandes dessinées, de mangas ou de comics, en dépit de leur
extrême variété graphique et de la grande diversité de leurs modes de publication. Ce
fonctionnement se produit par l’identification du lecteur au héros, aussi avons-nous élaboré
notre définition de celui-ci de la façon suivante :
Le héros de bande dessinée est un ensemble autonome de signes graphiques dont le
fonctionnement identificatoire au sein d’une séquence d’images fixes détermine la nature
spécifique.
Une fois cette définition posée, nous en sommes naturellement venus au traitement de
la question de l’identification. Ce terme peut s’entendre en deux sens dans notre travail : celui
de l’identification du héros, de la reconnaissance, et celui de l’identification au héros, celui de
la projection du lecteur dans la fiction au moyen du héros. Il fallait donc nous demander
comment il est possible de rendre un héros de bande dessinée identifiable tout en permettant
au lecteur de s’identifier à lui. Plus précisément, il s’agissait de chercher les moyens
graphiques qui permettent de désigner un personnage comme héros aux yeux du lecteur, et
ceux qui poussent le lecteur à se projeter dans ce héros. Pour cela, il faut nécessairement que
le héros soit à la fois présent à l’esprit du lecteur, qu’il soit fortement affirmé, et qu’il soit
aussi suffisamment absent de la conscience du lecteur pour que celui-ci l’oublie et vive à sa
place les péripéties du récit. Nous nous sommes donc demandé comment ce paradoxe entre
caractérisation et effacement a été réglé par les auteurs de bandes dessinées. Pour répondre à
ces questions, nous sommes partis du héros lui-même (de ses caractéristiques graphiques et de
ses attributs) pour élargir peu à peu le périmètre de notre recherche jusqu’à l’ensemble du
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dispositif de la bande dessinée (et étudier ainsi l’effet de la séquence et de l’ellipse quant au
processus de l’identification).
Notre méthode sur ces questions a été analytique et inductive, elle nous a permis de
noter quelques points très importants : d’abord le fait que, quelle que soit la stratégie choisie,
les héros de bandes dessinées sont proches du lecteur dans leurs apparences (soit par une
privation des caractéristiques d’identité, soit par une certaine neutralité, soit par l’abstraction
iconique), ensuite que le rapport du héros à l’environnement qui l’entoure est marqué par le
décalage, le héros tendant graphiquement vers le vide tandis que le reste (décors, adjuvants,
méchants, etc.) porte davantage de signes d’altérité repoussant ainsi le lecteur vers le héros,
seul lieu qui puisse l’accueillir, enfin, à l’échelle de la planche et de l’album, le héros nous est
apparu comme un point de fixation, un relais visuel au sein du flux du récit (par ses itérations
successives au fil des cases notamment).
Ces aspects plastiques ayant été mis au jour, nous avons pour terminer notre travail en
tirant les conséquences de ces remarques sur le plan esthétique et éthique. Ce qui émerge
principalement de nos réflexions précédentes, c’est ce mouvement d’aller-retour entre héros et
lecteur que nous avons nommé dialectique du héros de bande dessinée, le héros se projetant
dans l’esprit du lecteur, en se rendant visible, et permettant en retour au lecteur de se projeter
dans la fiction par son intermédiaire. Car, le héros de bande dessinée n’existe pas par luimême, mais seulement dans sa relation au lecteur, lorsque celui-ci lit et le fait vivre par son
action de reconnaissance, de déchiffrage des signes disposés devant lui sur la planche, et par
sa tendance naturelle à se mettre émotionnellement à la place des personnages qu’il voit
représenté.
Pour ce faire, il faut abolir la distance qui sépare le lecteur du héros, diminuer les
éléments qui dans les héros font signe vers une identité forte et qui donc l’éloigne du lecteur,
le font lire comme une altérité. En faisant la synthèse de nos considérations précédentes, nous
sommes parvenus à dégager deux stratégies (différentes, mais pouvant se mêler tout de
même) pour rapprocher le héros du lecteur : la neutralité d’apparence et l’abstraction
iconique. La première consiste à adopter l’aspect de « Monsieur Tout-le-monde » et donc de
ressembler à une sorte de moyenne des lecteurs. Interrogeant cette idée, nous avons vite
constaté que cette neutralité n’est qu’illusoire et correspond plutôt dans les faits à l’idée de ce
que doit être un héros dans une société donnée. Ceci explique donc que la grande majorité des
héros, même quand ils prétendent à la neutralité, soient masculins, jeunes, appartenant à
l’ethnie principale du pays dans lequel est produite la bande dessinée (celle à la fois de
l’auteur et de la majorité des lecteurs) et plutôt beau1. La seconde quant à elle consiste à
réduire le personnage aux caractéristiques les plus fondamentales de l’être humain, en
éliminant tout ce qui pourrait être lu comme étranger au lecteur. Cette abstraction (dans le
sens premier du terme) est une donnée inévitable de la bande dessinée, même dans celles qui
prétendent au réalisme, constituant en quelque sorte l’essence graphique de ce médium.
Dans les deux cas, et en revenant sur les actions de reconnaissance et de projections,
nous sommes parvenus à la conclusion que le lecteur s’identifiait avant tout à lui-même et non
à quelque référent que représenterait le héros, la bande dessinée n’étant pas une
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Ces remarques, précisons-le, concernent moins les bandes dessinées visant un public précis, une catégorie de
lectorat choisie au préalable. C’est le cas des mangas qui sont segmentés en fonction de l’âge des lecteurs et de
leur sexe. Dans ces bandes dessinées, la neutralité est alors celle de chaque catégorie.
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représentation, mais un ensemble de signes conventionnels renvoyant à des catégories
générales. Ainsi le héros nous est-il apparu comme étant un dispositif catalysant l’attention du
lecteur et favorisant sa capacité de vivre le récit. Le héros de bande dessinée est un vecteur
d’immersion fictionnelle.
Ces réflexions nous ont donc permis de définir la nature de l’expérience de la bande
dessinée. Celle-ci consiste en une intensification des données de la vie, des perceptions,
connaissances et émotions que le lecteur rencontre habituellement dans son existence, aspects
rendus plus puissants, car purifiés des quantités d’éléments qui les amoindrissent et les
parasitent dans le réel. En effet, du fait de son type particulier de figuration qui tend à
l’abstraction, la bande dessinée fonctionne comme une version déjà discernée de nos
perceptions, rendue plus claire à des fins de lisibilité. C’est ainsi à la mémoire du lecteur que
renvoie cette figuration et non à des référents particulier, cela n’en étant que plus vrai en ce
qui concerne le héros. Plus particulièrement, c’est à la mémoire-motrice mobilisée pour
décrypter le réel que lecteur de bandes dessinées fait appel, mémoire utilitaire qui se plaque
sur nos observations et détermine les objets à nos yeux, nous permettant ainsi d’agir sur eux,
et non pas à la mémoire-souvenir qui au contraire ralentirait la lecture en convoquant les
images d’un passé individuel. Ayant déterminé que c’est cette mémoire utile à la
reconnaissance et à l’interaction avec le monde qui est au cœur de l’acte de lecture de la
bande dessinée, nous avons alors naturellement conclu que l’expérience esthétique de la
bande dessinée est participative (et non contemplative, comme pour la peinture ou la
sculpture, ou ludique, comme dans le cas des jeux vidéos).
Enfin, pour terminer notre travail, nous sommes revenus sur les implications morales
de l’identification au héros de bande dessinée en nous demandant surtout s’il était possible
que celle-ci ait une influence sur le lecteur. Ayant précédemment constaté que le lecteur
s’identifiait surtout à lui-même, notre réponse a été négative, que ce soit par la transmission
supposée de valeur portée par un héros qui serait alors modèle ou par le processus lui-même
de l’identification ; il nous semble difficile que le héros de bande dessinée puisse avoir un réel
impact sur le comportement du lecteur. Tout au plus, l’expérience de la bande dessinée nous
sembla-t-elle permettre à celui-ci de vivre des possibilités d’existence qu’il ne peut connaître
que par la fiction et donc opérer un accroissement des ses facultés d’attention et
d’imagination, un moyen de rêver éveiller, de s’immerger dans une fiction et d’en devenir
quelque peu acteur par l’intermédiaire du héros.
Mots-clefs : héros, bande dessinée, identification, expérience esthétique, lecteur,
manga, comics, acte de lecture, reconnaissance, projection, Rodolphe Töpffer, abstraction
iconique, participation.
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