Intérêt des biomarqueurs du liquide céphalo

Transcription

Intérêt des biomarqueurs du liquide céphalo
LITTÉRATURE
COMMENTÉE
Intérêt des biomarqueurs du liquide céphalorachidien dans les états démentiels et pré-démentiels
Cerebrospinal fluid biomarkers in latent or patent dementias
Philippe THOMAS, Fabrice LALLOUE
CSF tau/Abeta42 ratio for increased risk of mild cognitive impairment: a follow-up study.
Rapport protéine Tau/Aβ1-42 dans le liquide céphalo-rachidien comme indicateur de risque pour
un trouble mnésique mineur : étude de suivi.
Li G, Sokal I, Quinn JF, Leverenz JB, Brodey M, et al. Neurology. 2007; 69: 631-9.
RÉSUMÉ (1) _____________________________________________________________________________________________________________
Aβ1-42. Celles-là présentent un taux élevé dans le
liquide céphalo-rachidien (LCR) quand celui du
peptide Aβ1-42 est faible. Ces changements d’expression reflètent parfaitement la chronologie des
mécanismes physiopathologiques. Le peptide
Aβ1-42 résulte en effet d'un clivage délétère de la
protéine précurseur de la substance amyloïde
APP (amyloïd précursor protein) par une β puis
une γ-secrétase. La baisse du peptide Aβ1-42 dans
le LCR est liée à l’agrégation du peptide dans
certaines régions du système nerveux central
conduisant à la formation de dépôts amyloïdes
(plaques séniles) caractéristiques de la pathologie.
La protéine Tau sous sa forme hyperphosphorylée
(en position 181 ou 231) est dite pathologique.
Contexte : La maladie d'Alzheimer demande des
années, si ce n'est des décennies, avant l'apparition des premiers troubles cognitifs (maladie
latente), et aboutit à un tableau démentiel. Les
recherches se focalisent actuellement sur le dépistage des personnes à risque de développer une
telle maladie et qui pourraient ainsi bénéficier
d'une thérapeutique préventive. Les données
actuelles concernant les changements d’expression des principales protéines impliquées dans les
lésions intracellulaires et extracellulaires spécifiques de la maladie d'Alzheimer démontrent une
corrélation inverse entre le niveau d’expression de
la protéine Tau totale ou de la protéine Tau
hyperphosphorylée (Tau-P) et celui du peptide
Service Hospitalo-universitaire de Psychogériatrie et Centre Mémoire de
Ressources et de Recherche (PT) 87 Limoges ; Maître de conférences en
Neurosciences, EA 3842, Homéostasie cellulaire et pathologies, Faculté de
Médecine,Université de Limoges, (FL), 87 Limoges, France.
Auteur correspondant : Docteur Philippe Thomas, Praticien Hospitalier. Service
Hospitalo-universitaire de Psychogériatrie et Centre Mémoire de Ressources et
de Recherche, 15 rue du Dr Marcland, 87025 Limoges Cedex, France.
E-mail : [email protected]
Article reçu le 02.01.2008 et accepté le 09.02.2008.
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Intérêt des biomarqueurs du liquide céphalo-rachidien dans les états démentiels et pré-démentiels
haplotypes de l'apolipoprotéine E ont été aussi
étudiés. On sait en effet que les patients homozygotes pour l’allèle ε4 ont une probabilité plus
élevée de développer une démence de type
Alzheimer que ceux hétérozygotes pour cet allèle.
L’ensemble des sujets (contrôles et patients) a été
suivi 42 mois après la ponction lombaire.
Résultats : 16% des sujets contrôles présentant
un rapport protéine Tau/ Aβ1-42 élevé dans le
LCR étaient âgés de plus de 53 ans. La fréquence
d’apparition de l’allèle ε4 de l'apolipoprotéine E
était élevée dans cette population. Les profils allèliques ε4 se répartissaient ainsi au sein de la
population étudiée : présence chez 18% des sujets
contrôles de plus de 60 ans, chez 50% des
malades avec MCI et 72% des malades présentant
une maladie d'Alzheimer probable. Cette dernière
sous population présentait des taux élevés de
protéine Tau hyperphosphorylée ou non, et des
taux bas de peptide Aβ1-42 dans le LCR. Les
malades avec un MCI avaient des taux intermédiaires entre ceux des sujets contrôles et ceux des
malades déments, mais ne s'en différenciaient pas
de façon significative. Par contre, le niveau de la
protéine Tau-P était significativement élevé dans
ces deux populations de malades. Quatre sujets
contrôles ayant un rapport protéine Tau/ Aβ1-42
élevés ont évolué vers un MCI, mais aucun des
sujets contrôles n'a eu cette évolution lorsque le
rapport était faible.
Conclusion : Le rapport protéine Tau/ Aβ1-42
dans le LCR semble donc un biomarqueur intéressant pour déterminer la population à risque de
développer à terme des troubles cognitifs.
Son interaction avec les microtubules du neurone
conduit dans ces conditions à la formation de
dégénérescences fibrillaires qui vont s’accumuler
à l’intérieur de la cellule nerveuse et aboutir à la
mort neuronale. Ce processus de mort cellulaire
va provoquer une libération de la protéine Tau
hyperphosphorylée dans le milieu extracellulaire
induisant une augmentation de son niveau d’expression dans le LCR. Cependant, malgré l’intérêt de ces données, peu d'études ont été
conduites pour déterminer la valeur pronostique
de ces biomarqueurs.
Objectif : L'étude de Li et col. (1) a cherché à
évaluer si les changements d’expression des
profils protéiques Tau et A β1-42 dans le LCR
pouvaient être corrélés au risque d'évolution vers
une forme latente de la maladie d'Alzheimer.
Méthodes : L'étude a comporté l'analyse du
rapport protéine Tau/ Aβ1-42 dans le LCR de 129
sujets contrôles âgés de 21 à 100 ans. Les résultats ont été comparés à ceux de 12 malades
présentant un trouble mnésique mineur (MCI,
Mild Cognitive Impairment), 21 patients présentant une maladie d'Alzheimer probable, et 12
malades avec des affections neurodégénératives
d'autres natures. Les taux des protéines ont été
mesurés par la technologie Luminex (analyseur
fluorométrique à flux continu). Cette technologie
est basée sur le principe de dosage de type ELISA
comportant des microbilles identifiées par un
code couleur qui constitue une signature et sur
lesquelles sont fixées des anticorps spécifiques
des protéines cibles (Tau, Tau-P181, Aβ1-42). Le
taux de protéine Tau hyperphosphorylée et les
permettent actuellement qu'un diagnostic d’environ
80% des formes débutantes de la maladie (3) , de
nombreux facteurs étant susceptibles d'interférer avec
l'évaluation neuropsychiatrique. L'étude de Li et col. (1)
est donc particulièrement importante, même si les
effectifs concernés ne permettent pas encore de déterminer les risques relatifs d'évolutivité des troubles cognitifs. Les auteurs ont pointé la valeur du rapport
protéine Tau/Aβ1-42, mais n'ont pas discuté dans ce
travail celle du rapport Tau-P181/Aβ1-42. Il aurait été
pourtant intéressant de comparer la valeur de ce ratio à
celui obtenu avec Tau/Aβ1-42 afin de voir si les profils
protéiques de Tau et Tau-P évoluent de manière similaires. Ce rapport est d’autant plus intéressant qu’un
COMMENTAIRES _______________________________
Le professeur Bruno Dubois proposait récemment, à
partir des résultats d'une conférence internationale du
consensus (2), l'utilisation des biomarqueurs du LCR
pour dépister les sujets à risque d'évoluer vers les troubles cognitifs. Nous manquons cependant aujourd'hui
de recul pour connaître l'impact des thérapeutiques
disponibles pour prévenir une telle évolution, ce qui
limite pour l'instant la portée d'un tel dépistage
précoce. Cependant, l'intérêt de biomarqueurs spécifiques et sensibles des troubles cognitifs de la démence
de type Alzheimer est fondamental. Les tests neuropsychologiques actuels, couplés à la neuroimagerie, ne
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le peptide Aβ1-42 dans le LCR dérivant des travaux de
Hulstaert et col (8) : l'Aβ1-42 relatif. L'Aβ1-42 relatif =
240 + 1,18 [Tau] Elles utilisent encore l'index IATI
(Innotest Amyloïd Tau Index), composé du rapport
Aβ1-42 mesuré/Aβ1-42 relatif. Pour un sujet normal,
cet index est autour de 1. Supérieur à 1,2, le pronostic
est favorable, inférieur à 0,8, on est en présence d’une
dégénérescence neuronale anormale. Le rapport
protéine Tau/Aβ1-42 relatif ou Tau-P/Aβ1-42 relatif
est hautement significatif d’un risque d'évolution vers la
démence de type Alzheimer.
travail récent de Ewers et coll. démontre que la valeur
de 27,32 pg/ml de la protéine Tau-P231 pourrait constituer une valeur “cutoff” relativement stable pour la
prédiction de la maladie d’Alzheimer (4).
Une étude plus ancienne de Maddalena et col. (5) s'était
préalablement penchée sur la valeur du rapport TauP/Aβ42 comme biomarqueur de la démence de type
Alzheimer. La sensibilité du rapport élevé dans le LCR
selon cette étude, était de l'ordre de 80% pour une spécificité de 73%. Les biomarqueurs du LCR sont particulièrement intéressants pour différencier la maladie
d'Alzheimer des autres maladies neurodégénératives
comme l'a montré Blennow et col. (6) (tableau). Tous ces
résultats ont été confirmés dans un récent travail de
Fagan et col. (7) montrant que ce rapport avait une valeur
discriminative qui serait comparable voire supérieure au
rapport protéine Tau/Aβ1-42.
L'utilisation des biomarqueurs du LCR pour dépister les
sujets à risque d'évoluer vers les troubles cognitifs représente donc un grand intérêt, ouvrant de nouvelles perspectives diagnostiques et permettant peut être à l’avenir
de mettre en route des thérapeutiques préventives de
l’évolution des troubles cognitifs. Le recul de quelques
années seulement de l’apparition de la démence et de
la gestion de ses conséquences a un impact considérable au plan économique (9) tant pour les familles que
pour la collectivité.
■
Le peptide A β 1-42 dans le LCR du sujet nor mal
augmente avec l'âge et le taux de protéine Tau. Les
études actuelles utilisent donc une valeur théorique pour
Pathologies
Vieillissement normal
Alzheimer
Dépression
Parkinson
Démence Alcoolique
Démence Fronto-temporale
Démence à corps de Lewy
Creutzfeld-Jacob
Accident vasculaire cérébral
Démence vasculaire
Protéine Tau
Tau-P
Aβ1-42
Normal (<450pg/ml)
h modérée
Normal
Normal
Normal
Normal ou h faible
Normal ou h faible
Normal (<60pg/ml)
h modérée
Normal
Normal
Normal
Normal ou i faible
Normal
Normal ou h faible
Normal
Normal
Normal (500pg/ml)
hhh
h transitoirement
Résultats divergents
Tableau 1 : Valeur des biomarqueurs du LCR dans le diagnostic différentiel des démences.
Table 1: CSF Biomarkers interest in differential diagnosis of dementia. (6)
ii
Normal
Normal
Normal
Normal ou i faible
Normal
h
Normal
Normal ou i faible
(6)
Conflits d’intérêt : Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêt
concernant cet article.
RÉFÉRENCES __________________________________________________________________________________________
1.
2.
3.
4.
5.
Li G, Sokal I, Quinn JF, et al. CSF tau/Abeta42 ratio for increased risk of
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