Les devis de la police cantonale font frémir les comités de fête

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Les devis de la police cantonale font frémir les comités de fête
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OPÉRATION NETTOYAGE
À CHAVORNAY DANS LE
PARADIS DES CASTORS
Riviera-Chablais, page 28
Nord vaudois-Broye, page 29
GÉRALD BOSSHARD
MARTA DOS SANTOS FAIT
PART DE SES AMBITIONS
POUR CHILLON
Vaud
CORBIS
24 heures | Vendredi 7 mars 2014
& régions
Vaud
Lausanne & région
Riviera-Chablais
Nord vaudois-Broye
La Côte
Sécurité
Les devis de la police cantonale
font frémir les comités de fête
Les Jeunesses
inquiètes pour
leurs girons
Une loi récente
inquiète les
organisateurs
de manifestations:
ils sont censés payer
les services de l’Etat,
souvent des milliers
de francs
Vincent Maendly
En ces temps festifs de carnaval, il
y a un papier que les organisateurs
rêvent de hacher en confettis.
C’est le devis de la police cantonale, que chaque comité reçoit
dans sa boîte aux lettres. Les montants ne sont pas symboliques –
16 000 francs pour le Carnaval de
Sainte-Croix, sur un budget de
320 000 francs par exemple – et
n’ont pas été pris en considération
dans le plan financier de la fête.
Ces soucis découlent d’une loi
entrée en vigueur en juillet dernier. Depuis lors, les prestations
de l’Etat sont facturées aux organisateurs de toutes manifestations,
culturelles, sportives, etc. Si le
FC Lausanne Sport ou les responsables de Paléo, du Montreux Jazz
ou de Rock’oz’Arènes, par exemple, participent depuis des années
à l’effort sécuritaire entourant
leurs événements, d’autres vivent
rudement cette nouvelle sollicitation. La Fédération des Jeunesses
campagnardes, qui a reçu une
douloureuse tutoyant les
100 000 francs fin 2013 pour sa
Fête cantonale, bataille encore
pour s’en défaire (lire ci-contre).
Principale charge: la présence policière lors des manifestations, qui
représente 80 francs de l’heure
par agent.
A Sainte-Croix, la présidente
du carnaval, Fanny Curchod-Duvoisin, fait grise mine. «Il faut se
rendre compte que les carnavals
s’autofinancent tout juste. Une année on fait un petit bénéfice de
peut-être 1000 francs, l’année
d’après on est dans le rouge…
Chez nous, presque tout est gratuit, nous sommes tous bénévoles.» Comme tout bastringue, les
carnavals paient aussi de leur poche un service de sécurité privé. A
Sainte-Croix, ce sont 12 000 francs
qui sont mis au budget pour cela.
Dans les autres comités de la
région, on parle à mots couverts et
on refuse de dévoiler le montant
du devis. Les Brandons de
Payerne, les plus importants du
canton, qui débutent aujourd’hui,
refusent ainsi de commenter l’affaire. Tous ont fait une demande
pour être exonérés de cette facture, ce que la loi permet, selon les
VC5
Contrôle qualité
Service payant
A Sainte-Croix, le comité
du carnaval qui a eu lieu le
mois passé a reçu un devis
de 16 000 francs émanant
de la police cantonale.
PHILIPPE MAEDER
80
L’heure de présence d’un agent
de la police cantonale affecté
à une manifestation est
facturée 80 francs.
cas. Mieux vaut donc ne pas allumer de mèche avant d’avoir été
écoutés.
Traitement en cours
Les dossiers sont en phase de traitement, confirme-t-on du côté du
Canton. La mise en place de la
nouvelle loi prend du temps, et les
choses avancent au rythme «tranquillou» d’un cortège de Guggen-
musik, puisque le Conseil d’Etat
ne s’est encore prononcé sur une
aucune des demandes qui lui sont
parvenues ces derniers mois.
Cheffe du Département des institutions et de la sécurité, Béatrice
Métraux se veut rassurante: «Le
but du Conseil d’Etat n’est en
aucun cas de plomber les finances
de ces manifestations, qui ont toutes une place à prendre et jouent
un rôle crucial, certaines depuis
bien des années, pour le rayonnement du canton.»
Cela dit, ajoute-t-elle, il faut
bien assurer la sécurité et l’ordre
public lors de tels événements,
«celle des participants, des organisateurs et, d’une manière globale,
de la population vaudoise. Or
cette sécurité assurée par les servi-
ces de l’Etat a un coût.» Quelques
exemples ont été communiqués
aux députés au printemps passé.
Ces dernières années, les frais de
la police cantonale se sont ainsi
élevés à 13 000 francs pour le
SlowUp de Morat, 21 000 francs
pour le Festival Longirock,
35 000 francs par match ordinaire
du FC Lausanne-Sport,
168 000 francs pour le Paléo Festival et 300 000 francs pour une
étape du Tour de France.
La conseillère d’Etat souligne
en outre que ce qui est nouveau
dans le canton de Vaud est une
pratique ancrée chez nos voisins.
Gallus Risse, chef du service de
presse de la police cantonale fribourgeoise, précise toutefois:
«Nous percevons un émolument
l’autorité, une directive a été
rédigée pour éviter l’arbitraire.
Le faible risque pour la sécurité
publique peut ainsi conduire à un
abattement de 50% de la facture.
Sont aussi étudiés l’impact attendu
pour le Canton ou la région (20%),
la solidité financière du projet
(10%), le but de la manifestation,
notamment s’il n’est pas lucratif
(10%), et, enfin, les efforts prévus en
termes de sécurité privée (10%).
Exception Les manifestations
à caractère politique et idéal
(marches, rassemblements, etc.)
ne sont pas concernées par la loi et
sont donc d’office exemptées afin
de garantir les droits constitutionnels. Ainsi, la facture de 972 francs
qu’a reçue le syndicat SUD le mois
passé pour une manifestation contre la réforme des bourses d’études
était une erreur de la police lausannoise (24 heures du 12 février).
L’exemption en bref
Autorité La police cantonale
peut accorder une exemption,
totale ou partielle, si le devis est
inférieur ou égal à 5000 francs. De
5001 à 10 000 francs, ce pouvoir
est entre les mains de la cheffe de
Département, Béatrice Métraux.
Au-delà de 10 000 francs, c’est
le Conseil d’Etat qui doit prendre
la décision.
Critères Si la loi confère une
bonne marge d’appréciation à
pour la fermeture de route, en
veillant à ce que cela reste supportable pour l’organisateur. Mais, en
principe, nous ne facturons pas la
présence des agents sur le site
d’une manifestation. Cela est pris
en charge par l’Etat, du moment
qu’un service de sécurité privé
adéquat a aussi été mis en place.»
U La loi adoptée il y a un an par le
Grand Conseil comble une lacune.
Le Tribunal cantonal a en effet
jugé que l’Etat n’avait pas de bases
légales suffisantes pour percevoir
un émolument quand la police
était sollicitée lors d’une
manifestation. Avec le texte entré
en vigueur en juillet, la simple
présence policière préventive
sur place fait dorénavant l’objet
d’une facture, de même que toute
prestation matérielle d’un service
de l’Etat (routes, forêts, etc.).
Ce qui est nouveau pour les
carnavals, notamment. «Avant,
nous ne leur facturions quelque
chose que si les gendarmes
présents lors de la fête devaient
intervenir physiquement pour
un motif ou un autre», relève
Philippe Jaton, officier de presse
de la police cantonale.
«Nousavons
faitopposition
àlafactureen
nousappuyantsur
l’envergurevaudoise
delaCantonale»
Olivier Bolomey,
président de la FVJC l’an dernier
«Et les impôts alors?»
«On paie tous des impôts qui sont
censés financer les activités de la
police cantonale. C’est un service
public, non?» appuie-t-on du côté
des comités de brandons vaudois.
Président de celui de Moudon,
Frédéric Monney marche sur des
œufs en relayant son inquiétude et
celle de ses pairs. Il esquisse le
contexte de cette nouvelle loi: «Il
est de plus en plus difficile d’organiser une manifestation de ce
type. Depuis peu, il faut disposer
d’une ambulance sur place, car les
Samaritains ne suffisent plus: cela
coûte cher. On ne peut plus vendre d’alcool à partir d'une certaine
heure de la nuit. Il faut remplir le
formulaire POCAMA pour obtenir
une autorisation, c’est aussi complexe que de remplir sa déclaration d’impôt…»
Un élément n’est toutefois pas
remis en question. Sur le terrain,
la collaboration entre les agents de
sécurité, les gendarmes et les organisateurs se déroule toujours très
bien, souligne-t-on unanimement.
Ainsi, l’été passé, la Cantonale
des Jeunesses, qui a duré trois
semaines à Colombier-sur-Morges,
a reçu un devis qui avoisinerait les
100 000 francs, selon nos sources.
«Nous avons fait opposition en
argumentant sur l’envergure
vaudoise de la fête», relate Olivier
Bolomey, alors président de la
Fédération vaudoise des Jeunesses
campagnardes (FVJC). Rassuré par
des élus croisés sous les tonnelles,
le comité ne s’est plus soucié de
cela jusqu’à ce qu’un bulletin rose
leur tombe entre les mains peu
après… Noël! «On en déduit que
nous n’avons pas été exemptés.»
En réalité, le dossier s’avère
toujours en traitement. La FVJC a
sollicité une audience auprès de
la conseillère d’Etat Béatrice
Métraux, qui a hérité de l’application de cette loi avec le remaniement du gouvernement en
janvier. «On s’inquiète aussi pour
les girons et les autres fêtes de
Jeunesses», dit Christophe
Gatabin, l’actuel président.