Financement : pourquoi les entreprises s`endettent ? Parce qu`elle

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Financement : pourquoi les entreprises s`endettent ? Parce qu`elle
Financement : pourquoi les entreprises s'endettent ?
Parce qu'elle permet d'accroître la rentabilité des fonds propres, la dette peut être un atout pour les
entreprises. Mais gare à l'effet d'amplification !
En France, on souligne souvent l'ampleur de la dette des administrations publiques, mais les entreprises
non financières font encore mieux : leurs dettes représentaient 2 200 milliards d'euros en 2004, soit 1,6
fois la dette publique. Et avec une croissance rapide : + 7% par rapport à 2003.Un rythme toujours élevé
en 2005, même si on ne dispose pas encore du bilan global. Pourquoi les entreprises s'endettent-elles
tant?
1)A question simple, réponse a priori triviale :
pour combler un besoin de financement. Quand une entreprise n'a pas assez d'argent en
propre, elle sollicite des prêteurs. Elémentaire. En effet, les entreprises recherchent l'appui des
banques pour combler un découvert de trésorerie ou financer à long terme un investissement
lourd. A défaut de banquiers, les grandes firmes peuvent aussi se tourner vers des créanciers
anonymes en émettant des titres de créances ou des emprunts obligataires (*), qui sont
achetés par des investisseurs institutionnels sur les marchés financiers. La dette vient donc
"boucher des trous".
2) La dette moins chère que les fonds propres
Traiter le financement bancaire uniquement comme un bouche-trou est cependant une manière
de ravaler la dette financière (*) au rang d'une ressource de substitution. Sous-entendu : on
recourt à la dette quand on ne peut pas faire autrement. Pourtant, la théorie financière renverse
cette approche : elle enseigne au contraire que la dette peut être utile à une entreprise même
quand celle-ci pourrait s'en passer. Pourquoi aller chercher un banquier quand il n'est pas
indispensable? Un exemple l'illustrera. Supposons qu'une entreprise dispose d'un capital de
100 millions d'euros pour investir dans des projets hôteliers. Chaque complexe hôtelier
nécessite un investissement de 100 millions d'euros pour un résultat d'exploitation annuel
prévisible de 10 millions d'euros, soit un rendement du capital investi de 10%. Testons deux
hypothèses. Dans la première, on construit un seul complexe totalement financé par les fonds
propres de l'entreprise. La rentabilité de ces fonds propres sera donc de 10%. Pour la seconde
hypothèse, on construit deux complexes, en associant à chaque fois les banques à hauteur de
50% du coût. Pour chacun des deux hôtels, les actionnaires n'investissent donc que 50 millions
d'euros et la dette se monte elle aussi à 50 millions d'euros. Si le taux d'intérêt sur ces
emprunts est de 5%, les intérêts à verser chaque année seront de 2,5 millions d'euros. Le
résultat net disponible pour les actionnaires ne sera donc plus que de 10 - 2,5 = 7,5 millions
d'euros par hôtel. Mais ils disposent cette fois de deux hôtels : leur gain total est donc de 15
millions d'euros. En rapportant ce gain au capital qu'ils ont investi, la rentabilité de ces fonds
propres atteint cette fois 15%. Le bilan est sans appel : sans dette, la rentabilité des fonds
propres est de 10%; avec dette, elle monte à 15%. Vive l’endettement !
La dette peut donc permettre d'accroître la rentabilité des fonds propres. Cela pour une raison
fondamentale : les taux d'intérêt sur les emprunts sont toujours moins élevés que la rentabilité
attendue par les actionnaires sur des fonds propres. Il faut en effet promettre de verser
davantage aux actionnaires, sous forme de dividendes ou de plus-value sur la valeur des
actions, qu'aux banquiers sous forme d'intérêts (*).
La dette serait donc moins chère que les fonds propres? Bien sûr, même si cela heurte le sens
commun. Certes, les intérêts financiers figurent en dépenses au compte de résultat, tandis que
la rémunération des fonds propres y est invisible. Mais, justement, attention aux illusions
d'optique ! La rémunération des actionnaires est uniquement résiduelle : ils n'ont que le droit de
"prendre" ce qui reste après que les autres créanciers se sont rémunérés. Mais c'est
précisément pour cette raison, parce qu'ils prennent un risque supérieur à celui des banques,
que les actionnaires attendent en contrepartie une rémunération supérieure au taux d'intérêt
bancaire sous la forme de dividendes et/ou de plus- values sur les actions. Mettez-vous à leur
place (au moins un instant…) : pourquoi investir de l'argent dans des actions si on n'espère pas
en retirer davantage que d'un prêt dont les revenus sont bien plus sûrs?
3) Un effet de levier
Mais si la dette est tellement intéressante pour les actionnaires, pourquoi ne poussent-ils pas le
taux d'endettement des entreprises à 99%? La dette n'a pas que des avantages. Revenons à
nos hôtels : la première pierre n'a pas encore été posée, on raisonne sur des projets et nul ne
sait avec certitude ce que l'avenir réserve. Les rentabilités futures sont calculées sur la base
d'anticipations raisonnables, mais le risque est toujours présent que ces hôtels pâtissent d'une
faible fréquentation touristique ou d'un sinistre. Supposons que l'occupation de ces
établissements soit nettement moins bonne que prévue et que le résultat d'exploitation tombe à
4 millions d'euros au lieu des 10 projetés. Dans l'hypothèse du financement "sans dette", la
rentabilité du capital investi par les actionnaires sera donc de 4% et non plus de 10%, soit une
baisse de 6 points. Dans l'alternative "avec dette", les actionnaires récupéreront pour chaque
hôtel un revenu égal à 1,5 million d'euros (4 - 2,5) et la rentabilité de leur investissement ne
sera plus que de 3%, au lieu de 15% : en chute de 12 points. Conclusion : sans dette, ils
perdent 6 points de rentabilité; avec dette, ils en perdent 12, et la rentabilité de leur
investissement devient inférieure à ce qu'elle aurait été en l'absence de dettes.
La dette amplifie les variations du résultat d'exploitation de l'entreprise : c'est ce qu'on appelle
l'effet de levier lié à l'endettement. Mais ce levier fonctionne à la hausse comme à la baisse. La
crainte de cette baisse dissuadera donc les actionnaires de pousser l'endettement trop haut.
Quant aux prêteurs, ils peuvent craindre que l'entreprise ne soit pas capable de faire face à ses
échéances de remboursement.
Au fond, un projet d'entreprise repose sur deux dimensions. Le premier tient à la nature du
métier de l'entreprise. Il y a des métiers plus risqués que d'autres, quel que soit le mode de
financement retenu. Le risque et donc la valeur de l'entreprise reposent sur la nature de ses
marchés, la qualité de ses produits (donc de ses innovations et de sa relation à la clientèle),
l'efficacité de son réseau de distribution, la compétence et la motivation de ses ressources
humaines, la vision stratégique de son management, etc. Rien de financier dans tout cela.
L'autre choix concerne la sélection des ressources financières. Faut-il avoir recours à plus ou
moins de dette? La dette ajoute un risque financier (lié à l'effet de levier) au risque du métier.
Plus le risque du métier est élevé, moins le recours au financement par la dette n'a de sens.
C'est pourquoi les start-up de la Net économie ou des biotechnologies, dont l'avenir est
totalement incertain, ne peuvent compter que sur des apports financiers sous la forme de fonds
propres : c'est l'univers du capital-risque. A l'inverse, des entreprises bien installées sur des
marchés matures, dont les revenus d'exploitation paraissent relativement assurés, pourront
s'endetter lourdement et prendre un risque de levier important. C'est le cas, par exemple, des
exploitants de concessions (parkings, autoroutes), qui profitent d'un monopole à long terme et
d'une clientèle captive.
Le niveau d'endettement relève d'abord d'un choix managérial qui vise à maximiser la rentabilité
des capitaux propres en fonction du niveau de risque de l'activité de l'entreprise.
Laurent Batsch, professeur de gestion à l'université Paris-Dauphine |
Alternatives Economiques n° 244 - février 2006
* Dette financière : somme des emprunts et des découverts bancaires.
* Intérêts : c'est la rémunération de la dette, fixée par le taux d'intérêt. On parle aussi de frais financiers,
de charges financières ou de coupons. Il ne faut pas confondre le remboursement du capital emprunté (on
dit aussi l'amortissement de l'emprunt) et les intérêts.