09/04/2013La Grande Guerre de Maurice Ravel

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09/04/2013La Grande Guerre de Maurice Ravel
09/04/2013La Grande Guerre de Maurice Ravel
Biographie du Mois - Avril 2013
La Grande Guerre de Maurice Ravel : des pédales du piano de l’appartement de
l’avenue Carnot à celles d’un camion de la Voie Sacrée
« Je ne risque rien ici [Bar-le-Duc] ; mais c’est déjà la vie du front. Malgré qu’on en soit
loin, on le sent tout près. Tout vous le rappelle. Les aéros vont là-bas ; les convois chargés de
soldats vont là-bas. A chaque tournant de route, c’est la même indication : V… [Verdun] et
une flèche. »
Lettre de Maurice Ravel à Jacques Durand du 19 mars 1916
I) Ne pas faire son devoir de citoyen, une pensée insupportable à Maurice Ravel
Le 2 août 1914 met un terme à la Belle Epoque mais aussi, selon ses dires, à la plus agréable
période de la vie de Maurice Ravel. L’éclatement de la Grande Guerre surprend Maurice
Ravel (1875-1937) alors qu’il est déjà un compositeur internationalement reconnu. Agé de 39
ans, l’artiste occupe un appartement parisien de la chic avenue Carnot, à proximité immédiate
de la place de l’Etoile.
Ses journées de travail sont consacrées à l’élaboration de l’œuvre Trio en la mineur. Il n’est
pas sujet à la mobilisation ayant déjà été exempté de service militaire pour raison de santé.
Pourtant, le citoyen ne souhaite pas être tenu à l’écart d’un événement décisif pour l’avenir de
son pays. A
ttiré par les plus légers que l’air, dont le service est d’ailleurs moins pénible physiquement
que celui de fantassin, il tente de s’engager dans les rangs de l’aviation. Se rendant à
Bayonne, non loin de sa ville natale de Ciboure, il est réformé en raison de son poids trop
léger de 2 kilos.
L’homme ne perd pas espoir et il multiplie pendant des mois les démarches administratives.
Finalement, le 10 mars 1915, il est reconnu apte au service auxiliaire.
A noter que Maurice Ravel, malgré son patriotisme, ne tombe pas dans un nationalisme
outrancier. Dans une lettre du 7 juin 1916, il justifie son refus d’adhérer à la Ligue nationale
de la défense de la musique française : « Je ne crois pas que « pour la sauvegarde de notre
patrimoine artistique national » il faille « interdire d’exécuter publiquement en France des
œuvres allemandes et autrichiennes contemporaines non tombées dans le domaine public. »
[…] Il m’importe peu que M. Schönberg, par exemple, soit de nationalité autrichienne. Il n’en
est pas moins un musicien de haute valeur, dont les recherches pleine d’intérêt ont eu une
influence heureuse sur certains compositeurs alliés, et jusque chez nous. »
II) Les péripéties du « pilote » Ravel
Affecté dans les services automobiles, Ravel reste loin du
front, en région parisienne, pour se former à l’art de la
conduite. Après ce temps d’apprentissage et le passage
par divers parcs automobiles, il gagne l’est de la France,
le 10 mars 1916. Le 12 mars, il rejoint sa première
affectation : la section T.M. 171 cantonnée à Bar-le-Duc.
Il se met au volant d’un camion de 2 tonnes 500 qu’il
baptise Ariès. Rapidement ce premier véhicule est hors
service, et dès le 24 mars 1916 il s’assied au siège
conducteur d’une camionnette Panhard avec laquelle il
rayonne à 25 kilomètres autour de Bar-le-Duc. Il fait
connaissance avec le quotidien parfois pénible de «
routier » : crevaison, conduite dans un état d’épuisement
avancé, froid, accident…
Le 13 avril 1916, Maurice Ravel est versé dans une unité
plus proche du front, l’ambulance 13. L’homme est animé
du désir de connaître la vraie guerre, celle des tranchées. Cette mutation le réjouit, même si
elle ne dépasse pas une dizaine de jours. A cette occasion, hébergé dans un château, il se
remet à la musique avec le piano de la demeure.
Entre le 5 et le 13 mai 1916, rattaché au parc de
réparation du 75, Maurice Ravel vit l’une de ses
aventures les plus marquantes de la guerre. Tombé en
panne avec sa camionnette Adélaïde, apparemment
dans la forêt de Marre, Maurice Ravel attend de
longues journées la venue d’une équipe de dépannage.
Bien que ne manquant de rien du fait de la présence à
proximité des cuisines d’un campement de camions, il
mène l’existence de ce qu’il nomme lui-même dans ses
lettres : « un Robinson plus moderne ».
Pendant trois mois, Maurice Ravel séjourne à
Chamouilley (Haute-Marne), dans l’attente de la
réparation de sa camionnette. Une permission à Paris
en août lui permet de rompre avec la pesante inactivité.
En septembre 1916, après une véritable bataille
administrative, Maurice Ravel obtient une affectation à Châlons-sur-Marne, où plusieurs de
ses amis attendent avec impatience son arrivée.
III) Maurice Ravel rattrapé par ses ennuis de santé
Malgré toute sa volonté morale, Maurice Ravel est bien obligé de se ranger à l’avis de
l’autorité militaire et d’admettre que la vie de poilu n’est pas faite pour sa frêle constitution.
Subissant une visite médicale, une légère hypertrophie du cœur lui est diagnostiquée. Lors de
son séjour à Châlons, conséquence d’une dysenterie, il est opéré et hospitalisé du 30
septembre au 18 octobre 1916. Il poursuit sa convalescence à Paris jusqu’en février 1917, date
à laquelle il retrouve la SP9 à Châlons.
Le 5 janvier 1917, sa mère décède. La douleur de cette épreuve ne s’effacera jamais du cœur
de Maurice Ravel et sa vie ne sera plus jamais la même. En mars 1917, il est muté à Versailles
avant d’être réformé le 1er juin 1917, mettant un terme à sa carrière militaire.
IV) Influence de la Grande Guerre sur l’œuvre du compositeur
Même si la Grande Guerre du soldat Ravel n’a duré que quelques mois, ses lettres traduisent
le traumatisme provoqué par la guerre sur l’homme et, par ricochet, son œuvre devait
forcément s’en ressentir. Pourtant, aucune référence explicite n’est décelable dans ses travaux
musicaux de 1918 à 1937. Certains ont voulu voir dans le Boléro le rythme des camions de la
Voie Sacrée circulant toutes les 14 secondes. L’anecdote est certes belle mais rien ne permet,
dans l’état actuel des connaissances, de l’authentifier comme véridique. Pour aborder
l’expérience de Maurice Ravel dans la Grande Guerre, les spécialistes préfèrent évoquer sa
dernière composition pour piano seul, Frontispice, créée en 1918 et qui se joue à cinq mains !
Par Jean-Bernard LAHAUSSE et Romain SERTELET
Pour écouter Frontispice : http://www.youtube.com/watch?v=Zw1RHoQtsyE
Pour écouter le Boléro : http://www.youtube.com/watch?v=3-4J5j74VPw
Remerciements :
Manuel CORNEJO, collaborateur des Cahiers Maurice Ravel. Toutes les informations
inédites de cet article proviennent du fruit de ses longues recherches.

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