Annexe 1 - Collège d`expertise sur le suivi statistique des risques
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Annexe 1 - Collège d`expertise sur le suivi statistique des risques
Rapport du Collège d’expertise sur le suivi des risques psychosociaux au travail, « Mesurer les facteurs psychosociaux de risque au travail pour les maîtriser » Annexe 1 : le suivi des risques psychosociaux encourus par les travailleurs non salariés La rédaction a été assurée par Marceline Bodier. Synthèse En 2010, près de 3 millions d’actifs occupés étaient non-salariés. Le rapport du Collège d’expertise statistique sur les risques psychosociaux au travail a inclus cette population dans son champ de réflexion, sans entrer dans le détail des spécificités éventuelles d’un questionnement statistique à leur sujet. Le présent texte aborde ce sujet. En effet, il n’y a aucune raison pour que les non-salariés soient protégés des facteurs psychosociaux de risque au travail. Certes, il est possible que leur état de santé soit légèrement meilleur : mais ils sont plus souvent cadres (effet de structure), et il est possible que ceux qui sont en meilleure santé choisissent plus souvent un travail indépendant (effet de sélection). Et il est également possible qu’ils soient plus enclins que les salariés au déni de leurs problèmes de santé. Ensuite, s’ils se déclarent plus satisfaits de leur travail, ils se déclarent aussi plus souvent stressés, alors que la littérature de gestion prédit qu’une partie d’entre eux aurait plutôt un biais de désirabilité sociale en faveur d’une image de battants. Enfin, la population des non-salariés a non seulement toujours été très hétérogène, mais en outre, il est probable que son hétérogénéité s’accroît : il y a sans doute de grandes différences entre un boulanger et un médecin ou un avocat ; mais en outre, les indépendants installés en franchise ou comme sous-traitants, ou les auto-entrepreneurs, sont des catégories en expansion souvent contraintes d’adopter ce statut, à tel point qu’on les appelle « faux » indépendants ou « indépendants dépendants » dans certains pays. Cela incite donc à explorer la spécificité éventuelle des facteurs de risque auxquels ils pourraient être exposés, d’autant plus que les modèles traditionnellement utilisés pour rendre compte des liens entre santé et travail peuvent être adaptés pour leur être appliqués : On a tendance à considérer que le modèle de Karasek-Theorell, demande / autonomie / soutien social, ne peut pas les concerner car ils jouiraient par définition d’autonomie ; or, outre qu’ils sont soumis à des règles et des contraintes qui peuvent sérieusement limiter cette autonomie (règles administratives, contraintes économiques), la population des « nouveaux » indépendants est sans doute faussement autonome. Dans le modèle de Siegrist, efforts / récompenses / surinvestissement, c’est la nature des récompenses attendues par les indépendants qu’il faut interroger. Bien sûr, ils attendent une récompense de leurs efforts ; mais certains auteurs affirment qu’ils s’attendraient à des récompenses plus symboliques que pécuniaires. Là encore, il faut sans doute distinguer entre indépendants traditionnels et nouveaux indépendants. Au total, le modèle paraît pertinent, si l’on donne un contenu adapté aux récompenses. Les modèles émergents de « justice organisationnelle » peuvent tout à fait concerner les indépendants malgré l’absence de hiérarchie pesant sur eux : en effet, il faut tenir compte des 1 réseaux dans lesquels ils choisissent, ou pas, de s’inscrire, et dont ils peuvent attendre, ou pas, un traitement qui leur paraîtra « juste ». Enfin, la psychologie sociale et la gestion mettent en avant les modèles de « stresseurs de rôles », qui paraissent particulièrement bien adaptés aux indépendants, dont on décrit fréquemment la « surcharge de rôles ». Lorsqu’on passe en revue les six axes distingués par le Collège, on peut ainsi souvent appliquer les facteurs psychosociaux de risque aux non-salariés, en s’appuyant sur des études en nombre certes limité, mais qui existent et dont un grand nombre a été exploré par le rapport d’expertise collective de l’Inserm sur le stress des indépendants (Inserm, 2011), les travaux dirigés par Olivier Torrès sur la santé des dirigeants (Torrès, 2012), ou encore ceux de Jacques Malarewicz sur les entreprises familiales (Malarewicz, 2006). Certains facteurs sont propres aux non-salariés et n’ont pas d’équivalent chez les salariés : La solitude (axe 3), qui crée un contexte particulier qui amplifie notamment le poids des responsabilités et de la prise de décision, ainsi que les difficultés de la gestion des problèmes avec les clients difficiles. Transmission (axe 6) : la peur de ne pas pouvoir transmettre est propre aux non-salariés ; mais il y a aussi une peur de transmettre. Chez les salariés, l’équivalent serait le fait de transmettre son poste, mais ce n’est pas exactement de la même nature. Moindre proximité des règles de sécurité (axe 2). Relations avec l’administration (axe 3 : un des aspects de la limitation de l’autonomie des indépendants). Sans considérer l’encadrement administratif comme un facteur de risque per se, il semble que certains indépendants perçoivent certaines règles comme un carcan, ce qui mérite d’être exploré. Par ailleurs, d’autres facteurs se présentent différemment chez les non-salariés et les salariés : Certains aspects de l’intensité du travail (surcharge de rôles) et de la pression temporelle (manque de vacances, manque d’activités extraprofessionnelles). Imbrication entre logique familiale et de l’entreprise (notamment dans le cas des petites entreprises familiales ou conjugales) ; axe 1, comme cas très particulier de la conciliation entre vie privée et vie professionnelle, propre aux indépendants. Et il y a des difficultés relationnelles spécifiques aux petites structures, qui peuvent créer les conditions d’une violence au travail différente de la violence organisationnelle des grosses entreprises (axe 4). Insécurité économique (axe 6) : il y a une incertitude économique propre aux indépendants (revenu aléatoire…), et une responsabilité sociale vis-à-vis de ceux qu’ils emploient. 2 TABLE DES MATIERES 1. LA POPULATION DES NON-SALARIES .................................................................................................... 5 1.1. QUI SONT LES NON-SALARIES ? ..................................................................................................................... 5 Non-salariés ou indépendants ? ...................................................................................................................... 5 Points communs à tous les non-salariés.......................................................................................................... 5 Plusieurs catégories socioprofessionnelles de non-salariés ........................................................................... 6 Indépendants traditionnels et « nouveaux » ou « faux » indépendants ........................................................... 8 1.2. SANTE DES NON-SALARIES : LES NON-SALARIES EN MEILLEURE SANTE ? ...................................................... 9 Un effet de structure qui n’explique pas entièrement cette meilleure santé .................................................. 10 Un effet de sélection qui n’explique pas toute cette meilleure santé non plus .............................................. 10 Il faudrait pouvoir étudier séparément indépendants « traditionnels » et « nouveaux » indépendants ........ 10 1.3. DES NON-SALARIES PLUS STRESSES MAIS AUSSI PLUS SATISFAITS DE LEUR TRAVAIL .................................. 11 Les non-salariés plus « stressés » ? .............................................................................................................. 11 Les non-salariés plus satisfaits au travail ? .................................................................................................. 11 2. ADAPTATION AUX NON-SALARIES DES MODELES THEORIQUES LIANT TRAVAIL ET SANTE ................................................................................................................................................................. 13 2.1 MODELE DE KARASEK ................................................................................................................................. 13 Le modèle de Karasek est (peut-être) mal adapté aux indépendants traditionnels, mais pertinent pour les « faux » ou « nouveaux » indépendants ........................................................................................................ 13 La dimension du « soutien social » fait partie des facteurs importants pour les non-salariés. .................... 14 Cela dit, il manque des facteurs de risque importants. ................................................................................. 14 2.2 MODELE DE SIEGRIST : DESEQUILIBRE ENTRE EFFORTS ET RECOMPENSE ..................................................... 14 2.3 MODELES DE « JUSTICE ORGANISATIONNELLE » .......................................................................................... 15 2.4. MODELE DES « STRESSEURS DE ROLE » ....................................................................................................... 15 Définition ...................................................................................................................................................... 15 Les stresseurs de rôles sont des facteurs psychosociaux de risque ............................................................... 16 2.5. UNE PREMIERE SYNTHESE : DES FACTEURS DE RISQUE SPECIFIQUES ........................................................... 17 2.6. SPECIFICITES DU MODE D’INTERROGATION ................................................................................................. 18 3. FACTEURS DE RISQUE .............................................................................................................................. 19 AXE 1. INTENSITE DU TRAVAIL ET TEMPS DE TRAVAIL ....................................................................................... 19 1.1. Intensité du travail ................................................................................................................................. 19 1.2. Temps de travail ..................................................................................................................................... 20 AXE 2. EXIGENCES EMOTIONNELLES ................................................................................................................. 26 2.1. Relation au public .................................................................................................................................. 26 2.2. Contact avec la souffrance ..................................................................................................................... 27 2.3. Devoir cacher ses émotions.................................................................................................................... 27 2.4. Peur ........................................................................................................................................................ 27 AXE 3. AUTONOMIE ........................................................................................................................................... 29 3.1. Autonomie dans la tâche ........................................................................................................................ 29 3.2. Prévisibilité du travail, possibilité d’anticiper ....................................................................................... 32 3.3. Développement culturel, utilisation et accroissement des compétences ................................................ 32 3.4. Monotonie et ennui................................................................................................................................. 32 3.5. Aspects néfastes éventuels de l’autonomie dans la tâche ....................................................................... 32 AXE 4. RAPPORTS SOCIAUX AU TRAVAIL ........................................................................................................... 33 4.1. Les représentations des rapports sociaux au travail .............................................................................. 33 4.2. Relations avec les collègues ................................................................................................................... 33 4.3. Relations avec la hiérarchie ................................................................................................................... 35 4.4. Autres formes de la relation à l’entreprise (reconnaissance économique, symbolique, pratique)......... 36 4.5. Relations avec l’extérieur de l’entreprise .............................................................................................. 37 4.6. Violence interne ..................................................................................................................................... 38 AXE 5. CONFLITS DE VALEURS........................................................................................................................... 40 5.1. Conflits éthiques ..................................................................................................................................... 40 5.2. Qualité empêchée ................................................................................................................................... 41 5.3. Travail inutile ......................................................................................................................................... 41 3 AXE 6. INSECURITE DE LA SITUATION DE TRAVAIL ............................................................................................ 42 6.1. Sécurité de l’emploi, du salaire, de la carrière ...................................................................................... 42 6.2. Soutenabilité du travail .......................................................................................................................... 45 6.3. Changements .......................................................................................................................................... 45 BIBLIOGRAPHIE .............................................................................................................................................. 46 4 1. La population des non-salariés 1.1. Qui sont les non-salariés ? Non-salariés ou indépendants ? La population active occupée peut être séparée en deux groupes : les salariés et les nonsalariés. En 2010, 12% des 25,8 millions d’actifs occupés étaient non salariés, soit 3 millions de personnes (tableau 1). Tableau 1 : structure de la population occupée non salariée Population active totale Non salariés Indépendants Employeurs Aides familiaux Effectifs (en milliers) 25 778,0 3 002,6 1 717,2 1 149,9 135,5 % 100% 57% 38% 5% Champ : Population active occupée Source : Enquête emploi en continu 2011 http://www.insee.fr/fr/themes/detail.asp?ref_id=ir-eec11&page=irweb/eec11/dd/eec11_nat_paco.htm Parmi les non-salariés, on distingue les indépendants (57%), les employeurs (38%) et les aidants familiaux (5%). Il est à noter que la littérature confond souvent les termes de « non-salariés » et d’« indépendants ». Dans cette étude, il sera question de non-salariés, en distinguant parfois entre indépendants (qui travaillent seuls) et employeurs. Dans la littérature de gestion, ces derniers sont appelés entrepreneurs ou dirigeants, voire patrons. D’après le rapport d’expertise collective de l’Inserm (Inserm, 2011), les non-salariés sont en moyenne plus âgés, plus diplômés, et plus souvent étrangers que les salariés. Ces données de structure incitent à la prudence dans les comparaisons avec les salariés. Points communs à tous les non-salariés Dans son guide sur la nomenclature des PCS1, l’Insee définit les indépendants, mais il s’agit en fait de tous les non-salariés, indépendants, employeurs et aides familiaux. En effet, d’après ce guide, « la notion "d'indépendant" recouvre toutes les personnes établies à leur compte, qui dirigent de droit une entreprise ou une société, ainsi que les aides familiaux non salariés. La personne concernée peut, néanmoins, occuper juridiquement une situation de salarié dans son entreprise. Un indépendant peut ou non avoir des salariés : la notion "d’indépendant" ne s'oppose pas à celle "d’employeur" ; elle est plus large. De manière générale, sont considérées comme indépendantes, quelle que soit la déclaration du statut, les personnes exerçant les professions suivantes : Gérant de SARL (majoritaire ou non) ; PDG ; Directeur Général de société anonyme ; Président de société anonyme ; Associé de société en nom ; Associé de société de fait ; Commandité de société en commandite ; Chef d'entreprise ; Administrateur de société ; Agent d'assurance dirigeant un cabinet ; Associé d'un cabinet de groupe (professions libérales) ; Administrateur général d'entreprise publique ; Associé de GAEC (agriculture) ». D’après Algava et al. (2011), « la catégorie statistique des "non-salariés" offre (…) une 1 http://www.insee.fr/fr/methodes/nomenclatures/pcsese/pcsese2003/doc/Guide_PCS-2003.pdf 5 approximation acceptable du type de travailleurs que nous visons [les travailleurs appartenant à l’un des deux régimes assurantiels spécifiques qui gèrent les droits sociaux des indépendants : RSI ou MSA], tant du point de vue des caractéristiques de la plupart des personnes concernées en matières de droits sociaux que (dans une certaine mesure) de leurs conditions de travail ». Le rapport d’expertise collective de l’Inserm (Inserm, 2011) propose quelques éléments donnant un « socle identitaire » commun à tous les non-salariés : « la non subordination et l’autonomie » ; « la volonté de conserver une relation de proportionnalité entre la quantité de travail ou les résultats et le niveau de rémunération » ; « la responsabilité financière, un goût plus grand pour le risque » ; une protection sociale « généralement moins importante et moins protectrice » ; une définition d’eux-mêmes « en référence à un métier ou à une profession » ; on pourrait y ajouter deux caractéristiques des conditions de travail, qui sont « la durée du travail et l’autonomie et la solitude face aux responsabilités ». Plusieurs catégories socioprofessionnelles de non-salariés L’Insee distingue principalement cinq catégories socioprofessionnelles de non-salariés (cf. encadré p. 7) : 17% sont agriculteurs exploitants ; 27% sont artisans ; 24% sont commerçants ; 5% sont chefs d’entreprise ; 14% sont professions libérales. Les 13% restants se répartissent entre professions intermédiaires (infirmiers…) et cadres (notamment les artistes). Tableau 2 : structure de la population occupée non salariée Ensemble Agriculteurs exploitants Artisans, commerçants et chefs d’entreprises Artisans Commerçants et assimilés Chefs d'entreprises de 10 salariés ou plus Cadres et professions intellectuelles supérieures Professions libérales Cadres de la fonction publique, professions intellectuelles et artistiques Professions intermédiaires Professions intermédiaires de l'enseignement, de la santé, de la fonction publique et assimilés Professions intermédiaires administratives et commerciales des entreprises Techniciens Champ : Population active occupée Source : Enquête emploi en continu 2011 http://www.insee.fr/fr/themes/detail.asp?ref_id=ir-eec11&page=irweb/eec11/dd/eec11_nat_paco.htm Non salariés Effectifs (en % milliers) 3 002,6 100% 521,2 17% 1 680,5 812,0 706,7 161,8 56% 27% 24% 5% 475,6 407,3 68,3 16% 14% 2% 325,0 226,8 82,4 15,8 11% 8% 3% 1% Chacune de ces catégories est constituée en partie d’Indépendants, d’employeurs et d’aides familiaux. 6 Les non-salariés sont donc marqués par une grande hétérogénéité : « rien ne confère une unité apparente à ce groupe où se retrouvent les professions les plus prestigieuses et "la boutique", l’artisanat d’art et le maréchal ferrant consacrant désormais son activité aux chevaux de loisir, rien si ce n’est un statut et les représentations qui lui sont associées – ce qui est beaucoup – ces deux dimensions structurant en effet la distinction de ses membres au sein de la population active et un socle partagé d’éléments constitutifs de leur identité » (Inserm, 2011). Encadré : les quatre principales catégories socioprofessionnelles d’indépendants -1- Les agriculteurs (17%) D’après l’Insee, « ce groupe socioprofessionnel est composé exclusivement d’individus qui exercent à titre professionnel une activité agricole, soit en qualité de chef d’exploitation, soit en qualité d’associé d’exploitation ou d’aide familial non salarié. Par conséquent, cette activité ne comprend que des indépendants ». « Les aides familiaux non salariés (…) sont classés comme la personne qu'ils aident, c'est-à-dire en exploitants agricoles ». -2- Les artisans (27%) D’après l’Insee, « le champ de l'artisanat de la nomenclature recouvre d'assez près le champ officiel au sens du "Répertoire des métiers". On notera en particulier que les boulangers, les bouchers, les charcutiers, les chauffeurs de taxi et les coiffeurs font partie du champ de l'artisanat. De façon plus stricte que pour le Répertoire des métiers, la taille de l'établissement est obligatoirement inférieure à 10 salariés ». Les artisans emploient moins de dix salariés. Les aides familiaux non salariés d'artisan sont également artisans. -3- Les commerçants (24%) D’après l’Insee, « cette catégorie regroupe les commerçants proprement dits, les hôteliers-restaurateurs-cafetiers, les fleuristes, les poissonniers et les prestataires de service. Les aides familiaux non salariés de commerçant (…) sont classés comme s'ils étaient eux-mêmes à leur compte, quelle que soit la profession qu'ils déclarent (caissière, comptable, vendeuse, ...) ». Ils emploient moins de 10 salariés. -4- Les chefs d’entreprise (5%) D’après l’Insee, « cette catégorie socioprofessionnelle est exclusivement consacrée au classement des personnes qui sont établies à leur compte ou dirigent en fonction d’un mandat social une entreprise de l’industrie, du commerce ou des services de dix salariés ou plus. En raison de leur importance financière, les activités d’armateur, de banquier sont également classées dans cette catégorie même s’ils emploient moins de 10 salariés. L’entreprise concernée peut être constituée en nom propre ou sous toute forme sociale. La personne classée peut être salariée. Ainsi, sous la condition que les dispositions du code général des impôts et du code du travail n’y mettent pas obstacle, un gérant de société peut être salarié et se déclarer comme tel, s’il cumule vis à vis de son entreprise, le bénéfice d'un emploi de salarié et l’exercice de son mandat social. Sous l’angle de la classification des PCS, cette personne est [considérée comme chef d’entreprise], dès lors que l’entreprise en cause compte 10 salariés ou plus. La responsabilité de chef d’entreprise peut être partagée, pour une même entreprise, entre plusieurs personnes, comme dans le cas de la présence d’associés (sociétés en nom, sociétés de fait,...). Chacune des personnes concernées doit alors être classée dans la rubrique ; il en est de même pour les aides familiaux non salariés (…) ». Dans la littérature de gestion, on parle plutôt d’« entrepreneurs » ou de « patrons », voire de « dirigeants » (le terme étant ambigu puisqu’une partie des dirigeants sont salariés et considérés comme tels par l’Insee s’ils ne dirigent pas l’entreprise mais seulement une entité au sein d’une entreprise) ; parfois, ce sont spécifiquement les (jeunes) créateurs d’entreprise qui sont étudiés. -5- Les professions libérales (14%) D’après l’Insee, « le terme de “ profession libérale ” désigne des professions dont l’exercice est strictement réglementé, comportant le plus souvent l’exigence de diplômes, ainsi que le respect de règles déontologiques impliquant fréquemment la présence d’une organisation ordinale (médecins, pharmaciens, avocats, notaires, experts-comptables, architectes, géomètresexperts,...). Par extension, la catégorie inclut différentes professions juridiques ou techniques moins strictement réglementées (activité de conseil en gestion, ingénierie-conseil, activité d’expertise,...), satisfaisant aux mêmes conditions de diplôme. La catégorie ne comprend pas de salariés, à l’exception des chirurgiens-dentistes, des vétérinaires et des avocats. Ainsi, le classement des médecins ou des pharmaciens exerçant leur discipline en qualité de salarié (y compris, dans le second cas, en qualité de pharmacien d’officine) ne relève pas de cette catégorie, mais de la catégorie 34. En cas de situation mixte, il est admis que l’exercice de la profession libérale prime sur l’activité salariée. Ainsi, un médecin partageant son activité entre un exercice libéral et une activité salariée sera classé dans la catégorie 31, même si son activité en qualité de médecin salarié d’un hôpital ou d’un établissement de soins est plus importante. Enfin, les aides familiaux non salariés de professions libérales exerçant un travail administratif ou de relation avec la clientèle sont [considérés comme professions libérales] ». 7 Indépendants traditionnels et « nouveaux » ou « faux » indépendants D’après le rapport d’expertise collective de l’Inserm (2011), les non-salariés incluent des indépendants « traditionnels », mais aussi, depuis quinze ou vingt ans, de « faux » indépendants (« non-salariés dépendants économiquement ») ou de « nouveaux » indépendants (« travaillant dans des activités nouvelles, encore peu organisées collectivement »). « On les appelle "faux indépendants" en Belgique, "pseudo-indépendants" en Allemagne, ou encore "indépendants dépendants" au Royaume-Uni. Certains pays ont créé des statuts particuliers pour rencontrer ces situations » (Pierre Desmarez, 2003, cité par l’Inserm, 2011). D’après le rapport d’expertise collective de l’Inserm (2011), au moins deux mécanismes peuvent mener à ces situations. Tout d’abord, le travail en franchise, ou dans une situation analogue de « forte dépendance par rapport à un donneur d’ordre », que Rapelli (2011) appelle la « dépendance technique ». « Ce groupe hétérogène d’indépendants, en expansion numérique, regroupe les personnes qui suite à la perte d’un emploi ou de difficultés à en trouver se mettent à leur compte, ou des salariés poussés par leurs employeurs à prendre le statut d’indépendant. On peut y ajouter les commerçants franchisés ». L’existence des franchisés ou des « prestataires de services dépendant d’un seul client » n’est d’ailleurs pas nouvelle ; mais peut-être le développement de statuts analogues, de façon forcée, l’estil. Ensuite, le travail en sous-traitance, ou dans une situation de subordination proche, que Rapelli (2011) regroupe en parlant de « dépendance technique et économique ». « Se multiplient (…) les situations dans lesquelles un travailleur placé dans la position de subordination qui est constitutive du salariat adopte (ou se voit incité à adopter) un statut de travailleur indépendant, tout en n’obtenant souvent de commandes que d’un seul donneur d’ordre. Certains secteurs d’activités, nouveaux comme anciens (le plus souvent dans le cadre du développement de la sous-traitance), sont propices au développement de telles situations… ». D’après le rapport d’expertise collective de l’Inserm (2011), « cette situation concerne certains travailleurs indépendants relevant des secteurs du commerce, de l’industrie, du BTP2 et des services, notamment les services à la personne3 et plus particulièrement les femmes. (…) Dans des activités industrielles comme le BTP, la maintenance ou le nettoyage, ces travailleurs indépendants occupent des postes en bout de cascades de sous-traitance (sous-traitance de sous-traitance à plusieurs niveaux). Les relations qui s’instaurent sont alors marquées par des formes très contraignantes de sujétion temporelle, technique, organisationnelle ». Caractéristique commune aux « faux » et aux « nouveaux » indépendants, ils sont souvent contraints d’adopter ce statut, et ne sont pas indépendants par choix. D’après Rapelli (2011), « la part des créateurs qui se trouvaient initialement au chômage croît au cours des années, passant de 34 % en 2002 à 40 % en 2006 » ; dans ce cas, il n’est pas certain qu’on puisse parler de choix de 2 « La branche professionnelle du BTP compte environ 300 000 entreprises regroupant près de 1,6 million de salariés auxquels il convient d’ajouter plus de 100 000 intérimaires et près de 300 000 travailleurs indépendants. http://www.preventica.com/dossier-btp-secteur-risque.php En 2005, environ 1,4 million de personnes exerçaient une activité (dans le cadre de la convention collective des employés de maison), à temps plein ou temps partiel, au domicile de particuliers (http://www.pme.gouv.fr/economie/commissions/CCSDARES.pdf). En 2007, environ 450 000 assistantes maternelles ou assistantes familiales agréées accueillaient des enfants en bas âge (http://www.insee.fr/fr/themes/tableau.asp?reg_id=0&ref_id=NATENF02309) THÉBAUD-MONY A. L’industrie nucléaire : sous-traitance et servitude. Inserm/EDK, collection Questions en santé publique, Paris, 2000, 290p » 3 « En 2005, environ 1,4 million de personnes exerçaient une activité (dans le cadre de la convention collective des employés de maison), à temps plein ou temps partiel, au domicile de particuliers (http://www.pme.gouv.fr/economie/commissions/CCSDARES.pdf). En 2007, environ 450 000 assistantes maternelles ou assistantes familiales agréées accueillaient des enfants en bas âge (http://www.insee.fr/fr/themes/tableau.asp?reg_id=0&ref_id=NATENF02309) » 8 l’indépendance : ce serait plutôt une « stratégie de refuge face au chômage », selon l’expression de Rapelli (2011). Certes, ne pas être indépendant par choix est aussi le lot d’une partie de ceux qui héritent d’une affaire familiale (Gollac S., 2008). Mais les évolutions récentes de la réglementation ont amplifié ce phénomène. Le livre sur la santé du dirigeant dirigé par Torrès (2012) leur consacre un chapitre (Fayolle, Nakara, 2012). Il part d’un paradoxe : la création d’entreprise a été encouragée comme réponse au chômage et à la précarité, mais finalement, elle développe la précarité. Il s’agit d’un « entrepreneuriat contraint », de ceux « que la littérature (…) a identifiés sous l’expression d’entrepreneurs de nécessité ». « Ces entrepreneurs sont généralement des individus dans des situations très précaires, ils ont été licenciés et ont connu les affres du chômage, ils n’ont pratiquement plus de ressources et se retrouvent souvent seuls ». Ces « faux » indépendants sont inclus dans les statistiques sur les non-salariés4, mais on ne peut pas les en isoler car il n’existe pas en France de quantification de ces phénomènes. D’ailleurs, l’Inserm cite une étude selon laquelle « on ne peut que regretter l’absence de données statistiques plus détaillées sur ces sujets, car il semble que se développe, autour du noyau d’indépendants classiques, une nébuleuse de situations plus complexes, avec une baisse de la part des artisans et commerçants qualifiés, et une hausse des effectifs aux deux extrémités de l’éventail des qualifications : professions libérales d’une part, indépendants peu qualifiés d’autre part (Amossé et Goux, 2004) » (Inserm, 2011). Tout au plus le rapport d’expertise collective de l’Inserm cite-t-il certains chiffres sur la structure des entreprises de non-salariés, ou encore sur les auto-entrepreneurs (depuis que le statut existe), qui incitent à penser qu’ils se développent (Inserm, 2011). Par exemple, d’après l’Insee, « depuis 2009, la création d’entreprise (définitions) est dopée par le régime de l’auto-entrepreneur (…) institué par la loi de modernisation de l’économie » (Pignier et al., 2012). D’après cette même étude, il y avait 290 000 auto-entrepreneurs immatriculés fin 2009. 1.2. Santé des non-salariés : les non-salariés en meilleure santé ? Globalement, d’après le rapport d’expertise collective de l’Inserm, la santé des non-salariés est meilleure que celle des salariés. C’est également le constat de Torrès (2012). D’après Hariharan et Ni (2009), ils ont une meilleure espérance de vie que les salariés, et se sentent en meilleure santé. Il est important de souligner que ce n’est pas uniquement la santé déclarée, perçue, qui est meilleure. Cela serait en effet plus difficile à interpréter, car il est possible que les non-salariés soient plus fréquemment dans le déni de leurs problèmes de santé et offrent une image de meilleure santé même sans que cela soit justifié. En effet, certains auteurs (Torrès, 2012, ou Roussillon, 2006) avancent l’idée qu’une fraction des non-salariés, les dirigeants, auraient tendance à minimiser leurs problèmes de santé : d’une part parce qu’il y a un biais de désirabilité sociale en faveur d’un mythe de l’entrepreneur battant et toujours en bonne santé (Torrès, 2012), et d’autre part parce que lorsque la pression est forte, il y a facilement un déni des problèmes de santé. « L’hypothèse d’une désirabilité sociale d’apparaître en bonne santé plus forte chez les dirigeants que chez les salariés est plausible » (…) « On pourrait alors imaginer que les bons résultats ne seraient pas le reflet de la réalité, mais du farouche désir des dirigeants de paraître en bonne santé » (Torrès, 2012). 4 Sauf ceux qui ont opté pour le « portage salarial », qui leur donne un statut de salarié. 9 Bah et al. (2012) parlent également du fait que pour les « patrons », « exprimer sa souffrance est perçu comme un signe de faiblesse ». Un effet de structure qui n’explique pas entièrement cette meilleure santé Des études montrent qu’il semble que la meilleure santé des indépendants s’explique essentiellement par un effet de structure, lié au fait qu’il y a plus de cadres parmi eux5. En revanche, à profession équivalente, il n’y aurait pas de différences entre salariés et non-salariés. D’après le rapport d’expertise collective de l’Inserm, « à âge, sexe et situation sociale comparables, indépendants et salariés ont une perception équivalente de leur état de santé, de leurs maladies chroniques et de leur incapacité. » (Inserm, 2011). Cependant, cet effet de structure n’expliquerait pas tout. Algava et al. (2011) concluent que « les non-salariés jouissent globalement d’une meilleure santé que l’ensemble des salariés, bien qu’ils soient plus âgés que ces derniers et que leur état de santé devrait en conséquence s’en trouver dégradé. Certes, les cadres sont encore mieux placés qu’eux, mais leur avantage relatif n’est cependant pas négligeable ». Un effet de sélection qui n’explique pas toute cette meilleure santé non plus Mais cela pourrait aussi s’expliquer par des effets de sélection : seuls ceux qui sont en meilleure santé choisiraient le statut d’indépendant ; ou encore, lorsqu’un non-salarié rencontre des problèmes de santé, il pourrait se replier vers le salariat, si bien que seuls ceux qui sont en meilleure santé resteraient indépendants. Toutefois, d’après Algava et al. (2011), « sans pouvoir apporter des réponses aussi fermes que si, par exemple, (les auteurs suivaient) une cohorte d’actifs en emploi, (… les auteurs) ne confirment pas l’existence d’un effet de sélection massif ». Notamment, l’examen des trajectoires professionnelles au travers de l’enquête SIP montre que « lorsque survient une maladie, les non-salariés tendent à devenir plus souvent inactifs qu’à (re)devenir salariés et également plus souvent et plus rapidement inactifs que les salariés eux-mêmes en pareil cas ». Il faudrait pouvoir étudier séparément indépendants « traditionnels » et « nouveaux » indépendants Il est probable que les résultats sur un état de santé équivalent quel que soit le statut concernent finalement surtout « le noyau traditionnel » d’indépendants (Inserm, 2011), qu’une étude de la Dares (Bahu et al., 2010) reliant trajectoire professionnelle et santé, a nommé les « stationnaires indépendants », dont « l’état de santé perçu est proche de la moyenne, à caractéristiques comparables » (Bahu et al., 2010). Mais il faudrait étudier aussi l’état de santé des indépendants dont le parcours a été plus instable, ou encore dont l’accession à ce statut est récent et s’est fait par obligation. 5 C’est peut-être pour cela que certaines études, qui ne sont pas basées sur un échantillon représentatif des populations de salariés et d’indépendants, peuvent parfois même conclure à une meilleure santé des salariés : par exemple, d’après Dolinsky et Caputo (2003), la santé des indépendantes est moins bonne que celle des salariées (et ce sont les chômeuses qui s’en sortent le moins bien). 10 1.3. Des non-salariés plus stressés mais aussi plus satisfaits de leur travail Les non-salariés plus « stressés » ? « Le "sentiment de stress" des indépendants est d’après certaines enquêtes plus élevé que celui des salariés (EASHW, 2009) : « les scores de "bien-être" des indépendants sont plus bas que ceux des salariés ». Dans l’enquête européenne sur les conditions de travail réalisée en 2005 (Eurofound, 2007), 43 % des indépendants considéraient que leur travail a un impact négatif sur leur santé, et 26 % citent le stress parmi les symptômes ressentis de cet impact » (Inserm, 2011). C’est également la conclusion de Bradley et al. (2004). « Plusieurs études attestent de l’existence de stress, ou de la perception d’un stress plus élevé chez les indépendants (Lewin-Epstein et Yuchtman-Yaar, 1991 ; Jamal, 1997 ; Piotet et Lattès, 1998 ; Dolinsky et Caputo, 2003). Dès 1991, sur un échantillon d’hommes de 25-65 ans, LewinEpstein et Yuchtman-Yaar (1991) montrent que, à caractéristiques démographiques comparables, le fait d’être travailleur indépendant augmente la perception du stress au travail. Toutefois, le stress perçu diminue dans un environnement plus favorable à la fois physiquement et socialement. L’association de ce stress et de problèmes psychosomatiques est également évoquée (Jamal, 1997), prenant la forme de perte d’appétit, d’incapacité à se relaxer ou de nervosité (Jamal et Badawi, 1995). Les avocats semblent soumis à un stress professionnel important et ils sont une population particulièrement à risque de développer une souffrance psychologique (Rouillon et coll., 2003 ; Tsai et coll., 2009). Au-delà du stress, Jamal (2007) relève que les indépendants souffrent plus souvent de burnout pour 2 des 3 composantes de ce syndrome (…) : l’épuisement émotionnel et la diminution du sentiment de réalisation de soi » (Inserm, 2011). Il est à noter que si de nombreuses études attestent cette plus grande prévalence du stress chez les non-salariés, la littérature de gestion parle pourtant du « déni du stress » des dirigeants (qui, il est vrai, ne représentent pas tous les non-salariés). Leurs arguments sont de type culturels : « nous savions par la littérature scientifique comme par notre expérience combien les dirigeants répugnent à parler de stress en ce qui les concerne : le stress est caché, voire tabou6. Il semble culturellement très difficile pour eux de se déclarer "stressés". Quand il n’y a pas déni absolu de son stress et de celui de ses plus proches collaborateurs de la part du dirigeant, nos entretiens montrent dans la majorité des cas, une sous-estimation ou une méconnaissance du stress et de ses conséquences7 » (Roussillon, 2006). Il y a plusieurs façons de lever ce paradoxe (entre un stress plus présent mais moins perçu) : les réponses à une enquête statistique reflètent peut-être mieux le véritable ressenti des dirigeants que des entretiens (même si la notion de biais de désirabilité sociale existe aussi en statistiques) ; ou alors, même si ces réponses indiquent un stress élevé, elles sous-estiment quand même la réalité ; ou encore, le terme de « stress » est mal adapté et ne signifie pas la même chose d’une enquête à l’autre et d’un contexte à l’autre. En tout état de cause, cela confirme que l’optique de la recherche des expositions à des facteurs psychosociaux de risque, plutôt que d’une problématique en termes de stress, est tout aussi bien adaptée aux non-salariés qu’aux salariés, pour lesquels le Collège a déjà fait ce choix (cf. le rapport p. 56). Les non-salariés plus satisfaits au travail ? Pourtant, les indépendants se déclarent également plus satisfaits au travail. « Dans le même temps, le degré de satisfaction au travail des indépendants est plutôt plus élevé. Une étude à partir 6 7 Cf. Cora (2003) Cf. Cooper (1988) 11 des enquêtes ISSP (Programme international d’enquêtes sociales) montre que les indépendants sont significativement plus satisfaits de leur travail que les autres, mais aussi que ce statut est plutôt envié (Clark, 2009) » (Inserm, 2011). Le rapport d’expertise de l’Inserm reprend la façon dont Clark (2009) lève cette contradiction : « en devenant indépendants les salariés gagneraient peut-être en termes de satisfaction au travail (work satisfaction), mais la prise de décisions, plus fréquente quand on est indépendant, serait aussi associée à une diminution de la satisfaction par rapport à sa vie en général (life satisfaction) » (Inserm, 2011). Dès lors, de la même façon qu’il est plus intéressant de s’intéresser aux facteurs de risque qu’à ses manifestations en termes de stress, il est plus intéressant de rechercher comment se bâtit la satisfaction au travail des non-salariés et des salariés. « Dans l’enquête "Bonheur et Travail", à la question "Finalement, dans votre travail, qu’est-ce qui l’emporte ? Les motifs de satisfaction, les motifs d’insatisfaction, les uns et les autres s’équilibrent à peu près ?", 49 % des femmes et 51 % des hommes pensent que les motifs de satisfaction l’emportent (Baudelot et coll., 2003). Les professions non-salariées se trouvent aux deux extrêmes de cette échelle de satisfaction : parmi les chefs d’entreprise, ce sont 100 % des femmes et 75 % des hommes qui sont satisfaits, ce qui les situe au sommet tandis que les agriculteurs exploitants sont plutôt en bas de l’échelle avec 29 %de femmes et 38 % d’hommes pour qui les motifs de satisfaction l’emportent. Artisans et commerçants sont dans une position intermédiaire avec à peu près une moitié de satisfaits » (Inserm, 2011). « Mais "leurs critères de jugement (ceux des professions indépendantes) différent profondément de ceux des salariés. La transmission du capital économique, du métier et du statut d’indépendant est le principal argument développé à l’appui d’une réponse positive. Dans le registre psychologique, la liberté est, avec le plaisir du travail, un élément qu’ils mettent particulièrement en avant" » (Inserm, 2011). Ces éléments confortent donc la démarche consistant à mesurer les facteurs psychosociaux de risque (selon la démarche générale du Collège). 12 2. Adaptation aux non-salariés des modèles théoriques liant travail et santé Le rapport du Collège rappelle (p. 24) que « c’est à travers des approches de type épidémiologique que sont développés les grands modèles de référence dans l’analyse des liens entre travail et santé : le modèle exigences-maîtrise-soutien8 de Karasek (Karasek, 1979 ; Karasek et Theorell, 1990), le modèle d’équilibre effort-récompense de Siegrist (Siegrist, 1996), le modèle de la justice organisationnelle (Greenberg, 1987 ; Moorman, 1991). Ces modèles visent à décrire l’organisation du travail, telle que la perçoivent les travailleurs ». Quelle que soit la pertinence des modèles, on sait déjà que s’ils sont bâtis pour les salariés, alors ils ne reflètent pas tous les critères pertinents pour les indépendants. 2.1 Modèle de Karasek Le modèle de Karasek repère des situations de tension dans le travail dont la validité prédictive sur la santé a été largement attestée : situations de « job strain » (exigences psychologiques élevées et autonomie faible) et, dans le modèle de Karasek-Theorell, « d’iso strain » (exigences psychologiques élevées, autonomie faible et soutien social faible). Le modèle de Karasek est (peut-être) mal adapté aux indépendants traditionnels, mais pertinent pour les « faux » ou « nouveaux » indépendants D’après l’Inserm (p. 67), « l’extrapolation des résultats obtenus pour les cadres aux nonsalariés conduit à supposer une faible prévalence du job strain chez les non-salariés, essentiellement du fait d’une plus grande latitude décisionnelle. Une étude australienne aboutit d’ailleurs à ce résultat attendu en montrant une prévalence plus de deux fois moindre du job strain chez les indépendants : 9 % des femmes et 10 % des hommes indépendants sont en situation de job strain contre 28 % des femmes salariées et 21 % des hommes salariés (Keegel et coll., 2009) ». Algava et al. (2009) confirment d’ailleurs qu’« une lecture à l’aide de la grille de Karasek pourrait conduire à considérer les non-salariés dans une situation de travail "détendu", du fait d’exigences du travail relativement faibles (concernant, du moins, la pression temporelle) et d’une forte latitude décisionnelle ». Le modèle n’aurait donc aucun intérêt pour les non-salariés : si l’autonomie est (selon l’expression du rapport d’expertise de l’Inserm) « consubstantielle à leur statut », alors le modèle dénie par définition toute possibilité aux non-salariés que le travail détériore leur santé. Or, outre que l’on sait que les non-salariés se déclarent « stressés » par leur travail, au moins deux séries d’arguments peuvent conserver de l’intérêt à une formalisation en termes de demande / autonomie : 8 9 La latitude décisionnelle des non-salariés n’est pas la même pour toutes les catégories (elle n’a certainement pas le même sens pour les indépendants et les employeurs), elle est limitée par les règles administratives (Bernon, 2011) et les contraintes de l’environnement économique9. D’ailleurs, l’étude statistique d’Algava (Dares 2009) montre bien que si la fraction de non-salariés concernés par les différents indicateurs de manque de « marges de « Il est usuel de parler, par anglicisme, de « demande » et de « contrôle » plutôt que d’exigences et de maîtrise. » Ces aspects seront développés plus loin au sujet de l’axe 3. 13 manœuvre » est toujours inférieure à celle des salariés, elle n’est jamais négligeable pour autant. Ensuite, les « faux » ou « nouveaux » indépendants sont justement caractérisés par le fait qu’ils ne bénéficient pas de l’autonomie à laquelle leur statut devrait pourtant les mener. Il faut donc imaginer des questions adaptant ou complétant le modèle de Karasek, plutôt que ne pas l’utiliser pour les non-salariés. Par exemple, il faut inclure des questions sur les sources de contraintes spécifiques qui peuvent peser sur des indépendants, à savoir les liens avec des entreprises donneuses d’ordre. La dimension du « soutien social » fait partie des facteurs importants pour les non-salariés. La troisième dimension du modèle de Karasek-Theorell, celle du soutien social, dont le défaut majore les effets sur la santé des situations de « job strain », concerne tout à fait les non-salariés, dont l’absence de collègues ne signifie pas qu’ils soient isolés : certains sont employeurs ou travaillent avec un aidant familial ; et surtout, tous peuvent se regrouper dans des organisations ou des réseaux auprès desquels ils peuvent trouver, ou pas, un soutien. Cela sera étudié dans l’axe 4. Cela dit, il manque des facteurs de risque importants. Comme pour les salariés, le modèle de Karasek-Theorell ne rend pas compte de tous les facteurs psychosociaux de risque pour la santé au travail. Par exemple, d’après Algava et al. (2009), « le modèle de Karasek n’est pas totalement approprié pour les non-salariés car il n’évoque pas la dimension de l’emprise du travail, qui affecte beaucoup plus fréquemment cette population », i.e. les longues heures travaillées. D’autres facteurs, tels que les formes spécifiques de reconnaissance recherchées auprès des clients, l’insécurité économique ou les liens avec l’administration, sont également absents du modèle de Karasek. 2.2 Modèle de Siegrist : déséquilibre entre efforts et récompense D’après le modèle de Siegrist, « le travailleur attend une récompense, matérielle ou symbolique, en échange de son effort : l’absence de récompense ou des récompenses insuffisantes sont génératrices d’émotions négatives et de stress durable, tandis qu’une récompense en rapport avec l’effort fourni est créatrice de bien-être et de santé (Siegrist, 2000) » (rapport du Collège, p. 33). « Siegrist a également introduit dans son questionnaire des questions permettant de repérer une dimension supplémentaire : le surinvestissement ("overcommitment"). Il estime en effet que trois raisons peuvent expliquer que des salariés acceptent un déséquilibre, à leur détriment, entre effort et récompense : l’absence d’alternative ; un comportement d’investissement motivé par l’espoir de gains futurs ; le surinvestissement dans le travail » (rapport du Collège, p. 33). Le déséquilibre entre efforts et récompense a-t-il un sens pour des non-salariés ? Certainement. Lors de son audition devant le Collège, Johannes Siegrist a mentionné une étude publiée en 2005 (Ertel et al., 2005) sur les travailleurs en free-lance dans les médias. Elle concluait que leur exposition à des facteurs psychosociaux de risques, exprimés en termes de déséquilibre entre efforts et récompense (cette dernière étant prise en compte sous ses différents aspects : monétaire, estime de soi, perspectives de carrière, sécurité de l’emploi) avait bien des conséquences sur leur santé (mesurée par un ressenti subjectif). Elle permettait également de vérifier que le modèle s’applique même pour des travailleurs dont le contrat de travail est d’un type récent et « nonstandard ». 14 Mais le rapport d’expertise collective de l’Inserm émet l’hypothèse qu’ils « seraient plutôt moins touchés que les salariés, toutes choses égales par ailleurs, par le déséquilibre décrit dans le modèle de Siegrist (meilleures rémunérations, sens et valeurs fortes du travail). Par exemple, les infirmières et médecins libéraux sont un peu moins nombreux que leurs confrères salariés à déclarer vivre des tensions avec le public (source Enquête conditions de travail 1991, dans Hamon-Cholet, 1998) » (Inserm, 2011). Ainsi, le rapport d’expertise collective de l’Inserm remarque que « les trois catégories principales de non-salariés (commerçants, artisans et chefs d’entreprise) » « consentent des efforts importants pour leur activité professionnelle mais peuvent en retirer des bénéfices conséquents (au sens du modèle de Siegrist), sinon monétaires mais en termes de reconnaissance de la part de la clientèle » (Inserm, 2011). De même, dans sa communication incluse dans le rapport d’expertise collective de l’Inserm, J. Bernon (2011) affirme (au sujet des chefs d’entreprise) que « sans doute la reconnaissance recherchée s’enracine moins dans le pécuniaire ou le statut que dans l’estime portée à la défense de son entreprise et au déploiement des efforts pour en assurer la survie. C’est d’une reconnaissance symbolique dont ces chefs d’entreprise ont besoin » (Inserm, 2011). Le modèle resterait donc pertinent pour les non-salariés, même s’il faudrait adapter le questionnement sur les « récompenses » recherchées par les non-salariés, et vérifier ces intuitions selon lesquelles les « récompenses » recherchées ne seraient pas de la même nature chez salariés et non-salariés. En outre, il faudrait distinguer entre non-salariés « traditionnels » et « nouveaux » ou « faux » non-salariés : pour ces derniers, en situation précaire, la recherche d’une reconnaissance pécuniaire n’a pas de raisons d’être au second plan. 2.3 Modèles de « justice organisationnelle » A priori, les modèles émergents autour de la justice organisationnelle, qui « montrent le lien entre sentiment d’injustice et dégradation de l’état de santé (Kivimäki et coll., 2007) » (Inserm, 2011) ne peuvent être transposés aux indépendants, « qu’il s’agisse de la notion de justice relationnelle (le traitement équitable par le supérieur hiérarchique) ou de celle de justice procédurale (cohérence et transparence des décisions) », puisque les indépendants n’ont pas de hiérarchie. Néanmoins, de la même façon que pour le soutien social, certains aspects peuvent être transposés aux indépendants, si l’on tient compte des réseaux dans lesquels ils choisissent, ou pas, de s’inscrire. Les rapports avec l’administration (sur lesquels nous reviendrons au sujet de l’autonomie des non-salariés, p. 31) pourraient également être considérés comme des rapports de nature partiellement hiérarchique, susceptibles de générer des sentiments d’injustice. 2.4. Modèle des « stresseurs de rôle » Définition La psychologie sociale et la gestion mettent en avant les modèles de « stresseurs de rôles ». D’après le rapport d’expertise collective de l’Inserm (2011), les stresseurs de rôle sont constitués des conflits de rôle et de l’ambiguïté de rôles, les deux étant générateurs de stress chez les salariés et les indépendants. 15 « La théorie des rôles (Merton, 1957) distingue les sources de stress que sont l’ambiguïté de rôles, le conflit de rôles, et la surcharge de rôles (Burke, 1988 ; Cooke and Rousseau, 1984 ; Katz and Kahn, 1978 ; voir la revue de Van Sell et al., 1981) »10 (Buttner, 1992). « Il y a conflit de rôles lorsqu’une personne fait l’objet d’attentes ou d’exigences incompatibles ou contradictoires entre elles (ou avec les valeurs de l’individu) » (Inserm, 2011). Eager et Maritz (2011) reprennent Kahn et al. (1964), qui ont identifié le conflit de rôles comme une situation de stress spécifique aux entrepreneurs ; il s’agit essentiellement de la tension entre la vie personnelle et la carrière (Stoner et al., 1990). « Il y a ambiguïté de rôles lorsque les informations concernant les attentes ou exigences liées au poste occupé ne sont pas assez explicites pour que la personne puisse effectuer correctement son travail. Les conflits de rôles et l’ambiguïté de rôles sont dénommés "stresseurs de rôles" » (Inserm, 2011). Eager et Maritz (2011) décrivent également le conflit entre attentes et réalité, i.e. entre ce à quoi s’attend un jeune créateur d’entreprise qui a une image de l’entrepreneur comme « super-héros » (Karp, 2006), et la réalité. Ce type de conflit est peut-être plus fréquent dans les pays anglo-saxons qu’en France. Buttner (1992) ajoute la surcharge de rôles : « l’entrepreneur doit être vendeur, négociateur, gestionnaire de fonds, arbitre en cas de conflit, "tampon" entre l’organisation et l’environnement. Ces exigences redondantes peuvent mener à la surcharge de rôles »11. De fait, de nombreuses études mettent en évidence la surcharge des rôles joués par les indépendants : Lapeyre et al. (2007) montrent que les médecins généralistes libéraux jonglent entre l’exigence de rentabilité, la qualité du travail, les attentes de la clientèle, les situations d’urgence et la gestion d’un cabinet au quotidien. Dans sa communication incluse dans le rapport d’expertise collective de l’Inserm (2011), Dejours met également en avant une problématique spécifique aux indépendants, celle de la surcharge naissant des « contradictions de rationalité », elles-mêmes liées à la multiplicité des tâches à accomplir : « tâches commerciales (réseau, contacts, suivi, marketing, démarchage...) ; tâches administratives et comptables, voire juridiques et fiscales ; tâches de production ; tâche de formation-information » (Inserm, 2011). Buttner (1992) ajoute enfin la pression des responsabilités : « La pression des responsabilités est la résultante du fait de devoir prendre des décisions difficiles et risquées, dont les conséquences sont susceptibles d’avoir un impact significatif sur le bien-être de l’entreprise. La pression des responsabilités génère des niveaux de stress élevés (House et al., 1979) »12. Les stresseurs de rôles sont des facteurs psychosociaux de risque Des études ont montré que les stresseurs de rôle sont des facteurs psychosociaux de risque pour les indépendants : « Ainsi, une étude menée auprès d’entrepreneurs suédois montre que les stresseurs de rôles, déterminés à la fois par le degré de complexité de la tâche, l’environnement (notamment concurrentiel) et la personnalité de ces entrepreneurs, sont prédictifs d’un faible niveau de récompenses perçues (satisfaction au travail, performance perçue) et de tendances dépressives (Wincent et Örtqvist, 2009) (figure 3.3). Une autre étude auprès d’entrepreneurs suédois, cette fois-ci longitudinale, porte sur le lien entre les stresseurs de rôles et l’intention d’abandonner son activité, médiée par les sentiments 10 « Role theory (Merton, 1957) identifies role ambiguity, role conflict, and role overload as stress sources (Burke, 1988; Cooke and Rousseau, 1984; Katz and Kahn, 1978; see Van Sell et al., 1981 for a review) » (Buttner, 1992). Traduction ad hoc. 11 « The entrepreneur must be a salesperson, negotiator, money manager, dispute settler, boundary spanner, etc. These overlapping demands may lead to role overload ». Traduction ad hoc. 12 « Responsibility pressure comes from having to make difficult, risky decisions where the outcome could have a significant impact on the welfare of the firm. Responsibility pressure leads to high levels of stress (House et al., 1979) ». Traduction ad hoc. 16 d’épuisement émotionnel et de compensation des efforts13 (Wincent et coll., 2008). En plus du conflit de rôles et de l’ambiguïté de rôles, les auteurs introduisent la surcharge du rôle (sentiment de débordement). L’ambiguïté et la surcharge du rôle sont prédictives de l’épuisement émotionnel et de la perception d’absence de compensation des efforts. L’épuisement émotionnel est à son tour prédictif de l’intention de cesser son activité aux temps T1 et T2 (deux ans après). La non compensation des efforts est faiblement prédictive de l’intention de quitter son activité au temps T1 mais sa valeur prédictive augmente au temps T2. Les effets directs des stresseurs de rôles sur l’intention de cesser son activité sont marginaux (figure 3.4) » (Inserm, 2011). Par ailleurs, d’après l’étude TNS-Sofres réalisée pour le Conseil supérieur de l’Ordre des experts-comptables (Rivière, Talon, 2010), « les recherches de Buttner (1992) ont évoqué un stress inhérent à l’activité entrepreneuriale en cherchant à savoir quels étaient les facteurs distinctifs de la création d’entreprise qui provoquaient du stress chez l’entrepreneur. Un des résultats principaux est que la surcharge des rôles endossés par l’entrepreneur était l’une des causes majeures de son stress » (Gharbi, 2012). 2.5. Une première synthèse : des facteurs de risque spécifiques Cette revue rapide des modèles suggère d’ores et déjà que certains facteurs de risque sont propres aux indépendants ; ils seront repris en détail dans la troisième partie, mais on peut les regrouper en facteurs sans équivalent chez les salariés, et facteurs qui se présentent différemment chez les salariés et les non-salariés. Certains facteurs n’ont pas d’équivalent chez les salariés : La solitude (axe 3) (Gharbi, 2012), qui crée un contexte particulier qui amplifie notamment le poids des responsabilités et de la prise de décision, ainsi que les difficultés de la gestion des problèmes avec les clients difficiles (Inserm, 2011). Transmission (axe 6) : la peur de ne pas pouvoir transmettre est propre aux non-salariés (Gollac, 2008 ; rapport p. 46) ; mais il y a aussi une peur de transmettre. Chez les salariés, l’équivalent serait le fait de transmettre son poste, mais ce n’est pas exactement de la même nature. Moindre proximité des règles de sécurité (axe 2). Relations avec l’administration (axe 3 : un des aspects de la limitation de l’autonomie des indépendants). Sans considérer l’encadrement administratif comme un facteur de risque per se, il semble que certains indépendants perçoivent certaines règles comme un carcan, ce qui mérite d’être exploré. Par ailleurs, d’autres facteurs se présentent différemment chez les non-salariés et les salariés : Certains aspects de l’intensité du travail (surcharge de rôles) (Inserm, 2011) et de la pression temporelle : manque de vacances, manque d’activités extraprofessionnelles (Gharbi, 2012). Imbrication entre logique familiale et de l’entreprise (notamment dans le cas de petite entreprise familiale ou conjugale) : axe 1, comme cas très particulier de la conciliation entre vie privée et vie professionnelle, propre aux indépendants (rapport p. 46). Et il y a des difficultés relationnelles spécifiques aux petites structures, qui peuvent créer les conditions 13 Quelques exemples d’items : « Les profits générés par mon entreprise compensent... mes efforts / le temps que j’y consacre » ; « En considérant le planning de l’année dernière et, au regard de la moyenne du secteur, nos volumes de vente sont (1 = clairement au dessous de la moyenne, 7 = clairement au-dessus de la moyenne) ». 17 d’une violence au travail différente de la violence organisationnelle des grosses entreprises (axe 4). Insécurité économique (axe 6) : il y a une incertitude économique propre aux indépendants (revenu aléatoire…), et une responsabilité sociale vis-à-vis de ceux qu’ils emploient. 2.6. Spécificités du mode d’interrogation Les petites entreprises, et notamment, les indépendants, ont traditionnellement de faibles taux de réponse aux enquêtes, compte tenu de leur isolement et de leur manque de disponibilité. Or, si on veut disposer de données fiables non seulement pour les non-salariés « traditionnels » mais aussi pour les différentes catégories qui les composent, et tout particulièrement, pour les « nouveaux » ou « faux » indépendants, il faudrait au contraire disposer des données les plus fournies possibles pour cette sous-population. Il faut donc envisager un échantillon surpondérant les non-salariés. 18 3. Facteurs de risque Axe 1. Intensité du travail et temps de travail 1.1. Intensité du travail Les études statistiques mettent en évidence un travail exigeant La Dares (Algava et al., 2009) a défini l’intensité du travail comme une combinaison de fortes exigences qualitatives (complexité) et quantitatives (contraintes industrielles : délais ou normes de production à respecter en une heure ou plus, travail à la chaîne ou sous la contrainte d’une machine). Selon cette définition, les non-salariés sont globalement moins soumis que les salariés à de fortes exigences dans le travail. « L’indicateur synthétique de fortes exigences du travail vise à mesurer le niveau général d’exigences par le cumul d’au moins trois critères de pression temporelle ou de contraintes de rythme parmi cinq (…). Les exigences du travail apparaissent globalement moins fortes pour les non-salariés que pour les salariés : 19 % des non-salariés cumulent au moins trois critères contre 26 % des salariés » (Algava et al., 2009). D’autres études, citées par le rapport d’expertise collective de l’Inserm, vont dans le même sens en recourant à des définitions différentes : « l’étude australienne de Parslow et coll. (2004) avait pour objectif de comparer des salariés à des indépendants en termes d’expositions psychosociales et de conséquences sanitaires. (…) les indépendants rapportent une latitude décisionnelle supérieure et des exigences de travail plus acceptables (chez les femmes seulement). (…) Cette étude, malgré ses limites (faibles effectifs d’indépendants et nature transversale), apporte quelques éléments de connaissance pouvant alimenter ce débat » (Inserm, 2011). Toutefois, la situation n’est pas homogène parmi les indépendants : « parmi les non-salariés, les écarts sont très importants entre d’une part les chefs d’entreprise qui semblent soumis à un fort niveau d’exigences au travail et d’autre part les commerçants et agriculteurs exploitants qui semblent plutôt épargnés » (Algava et al., 2009). D’autres études mettent aussi en avant cette hétérogénéité au sein des indépendants : « auprès d’un échantillon de travailleurs indépendants (N=2 128) en Flandres, sur la base de 8 indicateurs de qualité de vie et de contraintes au travail dans 6 secteurs professionnels différents (Bourdeaud’hui, 2009), il a été établi que la fatigue psychique était particulièrement importante dans les secteurs de la construction et de la restauration. (…) Au niveau des deux contraintes les plus souvent retrouvées, les exigences de travail et la charge émotionnelle, le secteur le plus vulnérable était la construction pour les exigences de travail et les professions libérales pour la charge émotionnelle » (Inserm, 2011). Ainsi, l’Inserm cite plusieurs études sur l’épuisement professionnel des médecins, qui placent la charge de travail (exigences, exigences mentales, mais aussi nombre d’heures de travail) comme facteur de risque principal (Houkes et coll 2008 ; Dumesnil et coll., 2009 ; Cathébras et coll., 2004 ; Korkeila et coll., 2003 ; Kumar et coll., 2005). Mais la distinction entre médecins salariés et indépendants n’est pas faite et par ailleurs, il est possible que les médecins aient un travail plutôt plus exigeant que les autres non-salariés. 19 Nature de l’intensité du travail chez les non-salariés Toutefois, la mesure de l’intensité du travail par des contraintes propres au travail industriel est-elle l’indicateur le plus pertinent pour les indépendants ? Qu’est-ce que l’intensité du travail pour un non-salarié ? Nous avons vu que dans le cadre du modèle des stresseurs de rôle, d’après Buttner (1992), la surcharge de rôles fait partie des risques inhérents au statut d’entrepreneur. Dans sa communication incluse dans le rapport d’expertise de l’Inserm (2011), J. Bernon souligne également cet aspect, en s’appuyant sur l’ouvrage autobiographique de Régis Berthier (2007), chef d’une petite entreprise (moins de dix salariés), en mettant en avant le fait que s’il y a un absent, c’est le chef d’entreprise qui le remplace : « les sentiments de déception, de colère, d’incompréhension, de jugements sur les personnes se bousculent avec en plus la surcharge de travail à faire en plus du sien. C’est épuisant physiquement, nerveusement. S’installe alors le découragement. Cette situation pose la question des effectifs, de la prévision, du lissage des activités, de la gestion des ressources humaines dans les très petites entreprises et des mutualisations ou solidarités à inventer ». En outre, d’après la communication de C. Dejours incluse dans le rapport d’expertise de l’Inserm (2011), une problématique spécifique aux indépendants est celle de la surcharge naissant des « contradictions de rationalité », elles-mêmes liées à la multiplicité des tâches à accomplir. Il propose de classer les tâches en « quatre groupes principaux » : « tâches commerciales (réseau, contacts, suivi, marketing, démarchage...) ; tâches administratives et comptables, voire juridiques et fiscales ; tâches de production ; tâche de formation-information » (Inserm, 2011). Or, « dans le travail indépendant, la multiplicité des tâches à accomplir n’engendre pas seulement un problème de compétences ou de polyvalence » : « on constate qu’entre ces tâches naissent aussi des contradictions de rationalité qui se situent au-delà des questions soulevées par l’acquisition des compétences spécialisées ». « La difficulté principale est d’abord d’éviter la surcharge et les pathologies de surcharge. La difficulté seconde consiste à maintenir, actualiser et accroître les connaissances et les compétences. La troisième difficulté, c’est de faire l’arbitrage entre les différentes tâches, à hiérarchiser les priorités, à fixer les compromis entre les exigences propres à chacune des tâches » (Dejours, 2011). Dès lors, il semble que pour les indépendants, une mesure de la polyvalence, tenant compte des contraintes d’arbitrage et de hiérarchisation des priorités, revête une importance plus grande que pour les salariés. Le rapport du Collège préconise de n’accorder qu’une priorité 2 à la mesure de la polyvalence, mais un indicateur de cumul de rôles paraît être de priorité 1 pour les non salariés. En outre, il n’y a pas de raisons pour que la surcharge des rôles épargne par nature les salariés. Ces questions pourront donc être posées à toute la population active occupée et faire l’objet de comparaisons selon le statut du travailleur. 1.2. Temps de travail 1.2.1. Durée et organisation du temps de travail De longues plages de travail La longueur du temps de travail est une des caractéristiques majeures du travail indépendant, quelle que soit la catégorie concernée. D’après Algava et al. (2009), « si le travail des non-salariés 20 apparaît un peu moins intense que celui des salariés, il exerce en revanche une emprise beaucoup plus forte sur leur vie. Ainsi, leur durée hebdomadaire de travail, marquée par un flou plus grand des frontières entre travail et vie privée, apparaît beaucoup plus élevée que celle des salariés : 45% déclarent travailler plus de 50 heures par semaine, contre 3% des salariés ». Cette emprise se retrouve aussi dans l’amplitude hebdomadaire de travail (notamment le travail en fin de semaine), la fréquence des horaires atypiques, le travail de nuit habituel. Par exemple, « Une étude menée chez les vétérinaires rappelle le rôle de la pression temporelle, du manque de vacances, mais également d’inquiétude sur la carrière, de l’attitude des « clients » et du manque de reconnaissance de la part des collègues (Smith et coll., 2009) » (Inserm, 2011). De même, d’après Torrès (2012), le travail des dirigeants de PME se caractérise par « une très forte charge de travail » (en termes de nombre d’heures), mais aussi par « des vacances écourtées » et des difficultés à dégager du temps pour les activités de loisirs. De fait, chez les indépendants, les vacances ne sont pas comme chez les salariés des « congés payés », mais des périodes sans revenu, si bien qu’elles peuvent être beaucoup plus brèves. L’Inserm cite également plusieurs études sur l’épuisement professionnel des médecins, qui placent la charge de travail (dont une des caractéristiques est le nombre d’heures de travail) comme facteur de risque principal (Houkes et coll 2008 ; Dumesnil et coll., 2009 ; Cathébras et coll., 2004 ; Korkeila et coll., 2003 ; Kumar et coll., 2005). Mais la distinction entre médecins salariés et indépendants n’est pas faite. Dès lors, gérer l’emploi du temps est une difficulté du travail non-salarié : « une étude portant sur les dentistes rappelle les sources de stress dans cette profession : risque d’erreur, et prise en charge de patients difficiles, ceci avant les questions liées à la gestion de l’emploi du temps et aux pannes ou aux défauts du matériel (Palliser et coll., 2005) » (Inserm, 2011). Un effet incertain de ces longues plages de travail Des conséquences avérées… Les conséquences peuvent en être variées. Elles concernent notamment les troubles musculo-squelettiques : d’après le rapport d’expertise collective de l’Inserm, « dans certaines professions comme les chauffeurs et les artisans, un plus grand nombre d’heures de travail implique un niveau accru d’exposition à des contraintes biomécaniques. Dans d’autres professions, la conséquence négative est au contraire une trop grande sédentarité ; ceci est par exemple décrit pour les médecins (Bazargan et coll., 2009) » (Inserm, 2011). « Les professions de santé constituent probablement les catégories d’indépendants les plus étudiés concernant la santé musculosquelettique, en partie du fait des contraintes posturales spécifiques à certaines professions : infirmières et aides-soignantes, dentistes, kinésithérapeutes. Parmi les kinésithérapeutes, les douleurs aux pouces et aux poignets sont fréquentes (Albert et coll., 2008). Les dentistes et les hygiénistes dentaires (qui effectuent certaines des tâches réalisées en France par les dentistes) ont à maintenir des positions inconfortables tout en effectuant des gestes très précis (Ylippää et coll., 2002 ; Palliser et coll., 2005) » (Inserm, 2011). Or, l’Inserm met en avant d’autres études selon lesquelles les contraintes temporelles jouent le rôle principal dans l’apparition de TMS chez les professions de santé : « une étude portant sur les infirmières met en évidence un lien entre problèmes musculosquelettiques et horaires de travail, travail le week-end ou les jours de repos, et manque de pauses (Trinkoff et coll., 2006). Les auteurs concluent que ce sont ces contraintes temporelles qui sont importantes, du fait de leurs conséquences du point de vue des expositions physiques, plus que les facteurs psychosociaux, définis dans cette étude à partir du questionnaire de Karasek » (Inserm, 2011). 21 Mais d’autres risques que les TMS peuvent être plus importants pour les non-salariés que pour les salariés. D’après le rapport d’expertise collective de l’Inserm, les longues plages de travail peuvent provoquer des risques plus élevés que pour les salariés, notamment les risques d’accidents, car « par rapport aux salariés qui travaillent dans les mêmes secteurs et encourent les mêmes risques, s’ajoute donc pour les non-salariés le risque lié aux horaires étendus et à la fatigue qui l’accompagne » (Inserm, 2011). Autrement dit, l’effet des heures de travail ne serait pas linéaire : en-deçà d’un certain seuil, il ne déclenche pas d’accident, mais au-delà, il le déclenche. Or, les non-salariés dépassent beaucoup plus souvent ce seuil que les salariés puisque « parmi les non-salariés, 21 % des hommes et 13 % des femmes déclarent travailler 70 heures ou plus par semaine, ce qui peut faire craindre la survenue de conséquences importantes pour la santé (Algava et Vinck, 2009) » (Inserm, 2011). Pour les mêmes raisons, les non-salariés sont beaucoup plus exposés que les salariés aux risques de « karoshi » accompagnant les temps de travail extrêmes, qu’ils ne sont pas rares à connaître. Là encore, l’effet n’est pas linéaire. … mais des facteurs de protection : dans une certaine mesure, les indépendants contrôlent euxmêmes leurs horaires Toutefois, il existe aussi des arguments qui permettent de nuancer l’impact des longues plages de travail sur la santé des non-salariés, pour rendre compte du fait que « les non-salariés sont globalement plus satisfaits de la durée de leur travail. Ainsi, d’après l’enquête Conditions de travail 2005, seulement 4% des non-salariés souhaiteraient réduire leur temps de travail (et leur rémunération en conséquence). Comme ils peuvent plus facilement ajuster leurs horaires que les salariés, il est possible que leurs longues journées de travail aient des conséquences moins importantes sur leur santé » (Inserm, 2011). Une série d’arguments a trait aux raisons pour lesquelles un travailleur décide de faire des heures supplémentaires. D’après l’Inserm, « Patricia Van Echtelt (2005) distingue quatre motivations pour les salariés de faire des heures supplémentaires : gagner plus d’argent, considérer son travail comme un passe-temps, gérer les situations imprévues notamment dans les organisations flexibles ou qui fonctionnent en juste-à-temps, et enfin prendre de l’avance dans la compétition entre collègues pour obtenir une prime, une promotion ou simplement garder son emploi. Ces quatre mécanismes peuvent sans difficulté être transposés aux indépendants, et contribuent pour partie à expliquer qu’ils aient de longues journées de travail. Mais les deux derniers sont la conséquence d’un fonctionnement organisationnel sur lequel les non-salariés ont a priori plus de latitude pour agir que les salariés. Or, justement seuls ces deux derniers sont associés à un sentiment accru de pression temporelle, d’interférence entre le professionnel et le domestique et de surmenage » (Inserm, 2011). Ensuite, « les non-salariés déterminent en général eux-mêmes leurs horaires (89 %). C’est une des caractéristiques qui les oppose le plus fortement aux salariés qui sont seulement 12 % à le faire ». On reconnaît un des aspects de l’autonomie, qui place les indépendants dans le cadran « actif » plutôt que « tendu » dans le modèle de Karasek. En effet, « la possibilité de contrôler ses horaires est également un facteur important de réduction des effets du job strain et du déséquilibre efforts-récompenses. Cela a du moins été démontré pour les femmes salariées chez qui une situation de job strain avec contrôle sur les horaires s’accompagne d’une moindre hausse des journées d’absence pour maladie qu’en l’absence de contrôle sur les horaires (Ala-Mursula et coll., 2005) » (Inserm, 2011). Il ne faut pas oublier pour autant que cette autonomie est limitée : « la contrepartie de cette liberté est pour 57% d’entre eux l’impossibilité de modifier ces horaires en cas d’imprévus, souvent en l’absence de collègues avec qui s’arranger, ainsi que la fréquente incapacité à prévoir leurs horaires pour le mois suivant et parfois même pour le lendemain » (Algava et al., 2009). Enfin, l’Inserm met en avant des études qui montrent que le nombre d’heures travaillées n’aurait pas d’effet propre sur la survenue de « workaholism » chez les indépendants : « une étude 22 (Taris et coll., 2008) portant sur les indépendants montre que (après ajustement sur la demande psychologique et la latitude décisionnelle du modèle de Karasek et Theorell, le sexe, l’âge, le niveau d’étude et l’ancienneté), seule une des deux composantes du syndrome de workaholism, à savoir l’inaptitude à se détacher de son travail, a un effet délétère sur la fatigue, les plaintes physiques et l’efficacité professionnelle. L’autre composante, un nombre d’heures excessif, n’a pas d’effet propre. Le lien étroit qui existe entre demande psychologique et heures de travail excessives pourrait cependant expliquer pour partie ces résultats » (Inserm, 2011). Au total, il est important de mesurer le temps de travail des non-salariés, notamment pour repérer les situations extrêmes, associées à de sévères risques pour la santé. Il faut également tenir compte de la perception subjective des raisons pour lesquelles le travailleur indépendant travaille de très longues plages horaires, par exemple en recourant aux formulations de Patricia Van Echtelt (2005) : gagner plus d’argent, considérer son travail comme un passe-temps, gérer les situations imprévues, prendre de l’avance dans la compétition entre pairs. Il faut également aborder la question de la gestion de l’emploi du temps. De manière synthétique, il serait important d’étudier ensemble les deux aspects de l’intensité du travail qu’a distingués le Collège (l’exigence et le temps de travail), car lorsqu’on les étudie séparément, les résultats ne vont pas dans le même sens : les non-salariés auraient un travail avec moins d’exigences, mais un temps de travail plus long. Au total, on ne sait pas s’ils sont plus ou moins exposés aux facteurs de l’axe 1. On sait seulement que dans une étude de Statistiques Canada qui agrège « trop grand nombre d’heures ou d’exigences », les indépendants sont légèrement plus exposés que les salariés : « Enfin, une étude menée au Canada (Williams, 2004) met en évidence le fait que les travailleurs indépendants "étaient légèrement plus susceptibles que les salariés de souffrir de stress lié au trop grand nombre d’heures de travail ou au trop grand nombre d’exigences liées au travail (37% comparativement à 34%)" » (Inserm, 2011). Mais aucun effet de structure éventuel n’est recherché dans cette étude. 1.2.2. Conséquences immédiates du temps de travail : conciliation travail-hors travail Plus de difficultés de conciliation chez les indépendants Algava et al., (2009) parlent de « brouillage des frontières entre travail et vie privée » : confusion entre domicile et lieu de travail, travail à domicile (même si ce n’est pas habituel mais sous forme d’astreintes, par exemple), utilisation plus fréquente d’« outils de transition » entre les lieux (téléphone portable, micro-ordinateur, véhicule). Les non-salariés sont toujours beaucoup plus concernés que les salariés par tous ces aspects, avec des différences entre catégories : la confusion entre domicile et lieu de travail concerne avant tout les agriculteurs, le travail à domicile concerne surtout les professions libérales et les chefs d’entreprise. Cela se traduit par des difficultés à concilier vie professionnelle et vie hors travail, ce qui est mis en avant par de nombreux auteurs : d’après le rapport d’expertise collective de l’Inserm, la difficulté à concilier travail et vie personnelle est un facteur commun à toutes les catégories d’indépendants (Rivière et Talon, 2010). Le rapport d’expertise collective de l’Inserm cite plusieurs études menées sur les professionnels « au service des personnes » et les professions de santé, notamment les médecins et les dentistes (sans distinguer entre salariés et indépendants). « Les résultats concernant les facteurs de risque ne sont pas toujours convergents bien que certains d’entre eux soient plus souvent rapportés : les fortes exigences, le faible soutien social des collègues, les conflits avec la famille et le manque de ressources » (Inserm, 2011). 23 Une autre étude, menée auprès d’un échantillon de travailleurs indépendants en Flandres (Bourdeaud’hui, 2009), met en avant le « déséquilibre de la relation vie privée/vie professionnelle », « surtout dans le secteur de la restauration » (Inserm, 2011). Pour une part, ces difficultés de conciliation sont plus liées au statut de cadre qu’au fait d’être non salarié. D’après le rapport d’expertise collective de l’Inserm, « ces difficultés de conciliation sont (…) étroitement corrélées aux conditions de travail qui caractérisent les catégories favorisées (exercice de responsabilité et d’autorité, fortes exigences, investissement au travail, temps de travail prolongé et variété du travail). Le fait que les catégories favorisées disposent de davantage de moyens pour faciliter l’équilibre entre vie privée et professionnelle (en premier lieu matériels en recourant à des services d’aide), ne suffit pas à les préserver de ce type de risques (Schieman et coll., 2006) » (Inserm, 2011). En outre, d’après les résultats de l’enquête menée par Torrès (2012), la même proportion d’entrepreneurs et de salariés ne concilient « pas du tout » ou « plutôt pas » vie privée et vie professionnelle. Au total, ces questions demandent donc à être explorées davantage. Le questionnement n’a pas de raisons d’être différent de celui choisi pour les salariés. Formes spécifiques aux indépendants du lien entre travail et hors travail : le travail en famille. D’après le rapport du Collège, « l’interrogation des indépendants devrait prendre en compte plusieurs variables qui les concernent plus particulièrement », dont notamment « les formes spécifiques du lien entre travail et hors travail. En particulier, le fait de travailler avec des membres de leur famille crée pour certains travailleurs indépendants des conditions psychosociales de travail spécifiques ». De fait, le contexte particulier des entreprises familiales, étudié par Malarewicz (2006), fait un peu plus que compliquer la conciliation entre vie professionnelle et vie privée, puisqu’il impose une imbrication des deux sphères. Malarewicz (2006) étudie notamment le cas particulier des entreprises qu’il appelle « conjugales » car elles se résument à un couple. Certes, écrit-il, elles se révèlent plus pérennes que les autres. Néanmoins, elles doivent faire face à une « triple contrainte » : « usure de la collaboration professionnelle des deux membres du couple », à laquelle se superpose l’« usure du couple proprement dit » ; ensuite, « notamment dans toutes les activités de commerce, la présence des employés de l’entreprise et le défilé des clients », qui peuvent être vécus comme intrusifs ; enfin, « parce que c’est à elle seule qu’incombent la charge de la maisonnée et surtout celle des enfants, la femme peut avec le temps se sentir lésée par rapport à son mari ». Cela rejoint les travaux de sociologie résumés par Gollac et Volkoff (2007) sous le titre « les méfaits des organisations traditionnelles » : « beaucoup d’entreprises sont encore organisées selon des modèles anciens. Le modèle "domestique" (Eymard-Duvernet, 1987) est fondé sur les relations directes entre les personnes, souvent quasi-familiales et en même temps autoritaires. Ces organisations comportent des formes spécifiques de domination (Balazs et Faguer, 1979). La subordination dans la sphère professionnelle tend par exemple à envahir la vie privée. Le caractère affectif des relations de travail rend difficile l’expression et la gestion des conflits (Châteauraynaud, 1991) ». Dernier aspect de l’intrusion de la sphère familiale dans la sphère de l’entreprise, il faut tenir compte des cas où le non-salarié a repris l’entreprise de ses parents sans que ce soit réellement un 24 choix de sa part. « Les inégalités de transmissions entre enfants d’indépendants sont ambiguës. Si ceux qui reprennent le statut, et en particulier l’affaire familiale, bénéficient de transferts économiques plus importants, ils peuvent également se sentir prisonniers de leur rôle de repreneur, surtout lorsque les parents ont faiblement investi dans leur réussite scolaire. S’ils ont plus de chance de devenir chef d’entreprise, ce n’est pas forcément un choix » (Gollac, 2008). Or, si ce n’est pas un choix, on retrouve la problématique des « nouveaux » ou « faux » indépendants, population plus fragile pour laquelle l’accès à l’indépendance n’a pas forcément été un choix non plus. La mise en contraste de ces deux types de populations pourrait être intéressante. Le travail en entreprise familiale n’est pas un facteur de risque à proprement parler. Mais une enquête devrait repérer les non-salariés (et les salariés) qui travaillent dans une telle entreprise, afin que l’exploitation des résultats puisse prendre ce contexte particulier en compte. Ensuite, il serait intéressant d’éclaircir les circonstances de la création d’entreprise : était-ce un choix ? Ce questionnement permettrait d’explorer les cas de transmissions familiales créatrices de contextes défavorables ; il rejoindrait aussi le questionnement sur les créations d’entreprise des « nouveaux » ou « faux » indépendants. 25 Axe 2. Exigences émotionnelles 2.1. Relation au public D’après Algava et al. (2009), « très souvent au contact du public, le travail des non-salariés comporte parfois de fortes exigences émotionnelles. Plus de 90 % des non-salariés, hors agriculteurs exploitants, déclarent travailler en contact avec le public, soit une fréquence nettement supérieure à celle observée pour les salariés (63 %). Pour certains d’entre eux, cela s’accompagne de fortes exigences émotionnelles, qu’il s’agisse de vivre des tensions avec le public, de devoir calmer des personnes ou d’être en contact avec des personnes en situation de détresse ». Le rapport du Collège (p. 45) fait état de situations chez les indépendants analogues à celles observées chez les salariés. « Par exemple, une étude sur les photographes indépendants montre que certains estiment n’avoir pas les moyens matériels de réaliser correctement leur travail, éprouvent des tensions dans leurs relations avec leurs clients et estiment manquer d’autonomie (Livian, Baret et al., 2002) ». Toutefois, on observe des différences selon la catégorie de non-salariés : « Les professions libérales de niveau cadre sont les plus soumises à ce type d’exigences ». L’Inserm ajoute que dans le secteur médico-social, les professionnels peuvent être soumis à ce type de facteurs de façon exacerbée ou répétée, qu’il s’agisse par exemple du suicide d’un patient pour les psychiatres (Fothergill et coll., 2004), de l’anxiété ou de l’insatisfaction des patients pour les dentistes (Myers et Myers, 2004) » (Inserm, 2011). Le rapport d’expertise collective de l’Inserm (2011) cite également Bourdeaud’hui (2009), qui a montré auprès d’un échantillon de travailleurs indépendants en Flandres qu’au niveau d’une des deux contraintes les plus souvent retrouvées, la charge émotionnelle, le secteur « le plus vulnérable » était celui des professions libérales. Le rapport d’expertise collective de l’Inserm cite également des études qui ont mis en évidence un épuisement émotionnel chez les médecins généralistes et les psychiatres (Dumesnil et coll., 2009 ; Cathébras et coll., 2004 ; Korkeila et coll., 2003 ; Kumar et coll., 2005), mais sans distinguer les indépendants des salariés. D’après Algava et al. (2009), « au contraire, les artisans et commerçants travaillent très souvent en contact avec le public mais dans un contexte émotionnellement moins chargé. Les exigences émotionnelles auxquelles ils font face lorsqu’ils sont en contact avec le public sont comparables à celles des employés de commerce pour les commerçants et des ouvriers qualifiés de type artisanal pour les artisans ». Enfin, « de leur côté, les agriculteurs sont soumis à un degré d’exigences émotionnelles nettement plus faible ». Pour ce qui est de l’impact sur la santé, il est possible que ces facteurs aient des conséquences plus fortes sur la santé des non-salariés, puisque contrairement aux salariés, leur revenu provient directement du contact avec le public, ainsi que la reconnaissance de leur travail. Mais cette voie ne semble pas avoir été explorée par la littérature épidémiologique. 26 En tout état de cause, sur les exigences émotionnelles liées au contact avec le public, il n’y a pas de raisons de penser que les questions valables pour les salariés ne le sont pas pour les nonsalariés. En revanche, il serait intéressant d’explorer des différences éventuelles sur l’impact sur la santé de ces facteurs de risque. 2.2. Contact avec la souffrance (pas d’études spécifiques sur ce sujet concernant les non-salariés) 2.3. Devoir cacher ses émotions D’après le rapport du Collège (p. 111), la nécessité de dissimuler ses émotions est fréquemment décrite dans la littérature. Elle peut être liée à l’organisation du travail pour les salariés, mais est souvent liée au contact avec le public. Les non-salariés sont donc concernés, d’autant plus que leur revenu provient du public qu’ils reçoivent, ce qui peut leur donner une raison supplémentaire de cacher leurs émotions. D’après le rapport d’expertise collective de l’Inserm (2011), « la principale reconnaissance de leur travail provient pour les non-salariés du public, des patients ou des clients, alors que les salariés peuvent trouver d’autres formes de reconnaissance. Les non-salariés en dehors des agriculteurs sont d’ailleurs particulièrement nombreux à dire que dans leur travail ils doivent "cacher leurs émotions ou faire semblant d’être de bonne humeur" ». Dès lors, « cela les place vraisemblablement dans une situation de plus grande vulnérabilité au risque d’épuisement professionnel ou burnout ». Celui-ci, caractérisé par « un épuisement physique, mental, émotionnel et un désintérêt profond pour le contenu de son travail », « est d’ailleurs très souvent étudié sur des populations de médecins et plus généralement chez les actifs en contact avec le public (par exemple Cruz et coll., 2007) ». Enfin, chez les chefs d’entreprise, cacher ses émotions peut aller jusqu’au déni de la souffrance (cf.1.2. p. 10 et 1.3. p. 12). Certes, il peut s’agir d’une caractéristique psychologique des entrepreneurs (Torrès, 2012 ; Roussillon, 2006), mais aussi d’une caractéristique de nature plus organisationnelle, l’obligation de faire face aux clients et aux partenaires dont l’activité économique de leur entreprise dépend. Devoir cacher ses émotions peut donc être exploré comme en facteur psychosocial de risque lié à l’organisation du travail, tout comme pour les salariés. On peut faire la même conclusion que pour le 2.1. de l’axe 2. 2.4. Peur D’après le rapport d’expertise collective de l’Inserm (2011), « la peur au travail semble pour sa part une émotion à première vue bien corrélée aux risques physiques encourus au cours du travail : les agriculteurs et les salariés ouvriers sont en effet les plus nombreux à dire éprouver de la peur pendant leur travail ». Dès lors, le respect des règles de sécurité est protecteur. Mais il est possible qu’elles soient moins bien respectées dans les petites entreprises ou par les non-salariés que dans les structures de plus grande taille : « si l’organisation du travail au niveau de l’entreprise est un facteur à prendre en 27 compte, la liberté dont bénéficient les indépendants pourrait se traduire par plus de possibilités d’accidents du fait d’un travail moins encadré, par exemple concernant les règles de sécurité ou les équipements » (Inserm, 2011). Toutefois, « le rôle potentiel de ces deux facteurs spécifiques aux indépendants (travailler seul, moins de "règles" dans le travail) ne semble pas être documenté » (Inserm, 2011). La peur peut aussi être liée aux relations avec le public. Or, l’isolement des indépendants peut rendre plus difficile la prise en charge de clients difficiles. L’Inserm montre que cela a par exemple été étudié chez les dentistes (Palliser et coll., 2005), dans une étude qui « rappelle les sources de stress dans cette profession : risque d’erreur, et prise en charge de patients difficiles, ceci avant les questions liées à la gestion de l’emploi du temps et aux pannes ou aux défauts du matériel (Palliser et coll., 2005) » (Inserm, 2011). Il serait intéressant de poser une question sur la proximité et le respect des règles de sécurité, voire sur la connaissance de leur existence. 28 Axe 3. Autonomie L’autonomie comporte plusieurs dimensions, a priori plus ou moins pertinentes pour les nonsalariés : « l’autonomie des non-salariés peut (…) être comparée à celle des salariés dans certaines dimensions : comme les salariés, l’activité des non-salariés peut leur donner plus ou moins l’occasion d’utiliser et d’accroître leurs compétences. De même, les contraintes liées au déroulement du travail peuvent leur laisser plus ou moins d’autonomie procédurale : eux aussi peuvent parfois être dans l’impossibilité d’interrompre momentanément leur travail ou de régler eux-mêmes les incidents » (Algava et al., 2009). En outre, nous avons vu au sujet du modèle de Karasek que l’examen de l’autonomie des indépendants n’est pas forcément dénuée d’intérêt. Quelles études viennent à l’appui de cette idée ? 3.1. Autonomie dans la tâche En ce qui concerne l’autonomie dans la tâche, d’après Algava et al. (2009), on s’attend à ce que l’autonomie des indépendants soit plus grande que celle des salariés ; d’ailleurs, « l’indicateur synthétique de manque d’autonomie et de "pauvreté" du travail montre, comme attendu, une plus grande autonomie des non-salariés ». Les non-salariés sont-ils protégés par une plus grande autonomie ? D’après le rapport d’expertise collective de l’Inserm (2011), « une revue de la littérature portant sur quatre enquêtes européenne, nationale ou professionnelles compare l’autonomie perçue de trois catégories de travailleurs : les indépendants (sans salariés), les employeurs (avec quelques salariés) et les employés. Les indépendants et les employeurs rapportent plus d’autonomie dans le travail que les employés. Cette revue de la littérature montre également que le rôle protecteur de l’autonomie vis-à-vis du stress et son impact positif sur les attitudes au travail (satisfaction, engagement) se vérifient quel que soit le statut dans l’emploi (Prottas, 2008). » Toutefois, cette étude permet également d’affirmer que « les indépendants ne tirent pas plus avantage de l’autonomie que les salariés (quand ils perçoivent eux-mêmes avoir de l’autonomie) » (Inserm, 2011) : autrement dit, ils sont protégés par de plus grandes marges de manœuvre, mais s’ils perdent ces marges de manœuvre, ils deviennent autant exposés au stress et aux conséquences négatives sur la santé que les salariés. Des différences entre non-salariés Cette plus grande autonomie globale masque des situations différentes. On constate « des différences importantes entre non-salariés : autonomie et richesse de l’activité des chefs d’entreprises de plus de 10 salariés et des professions libérales de niveau cadre, aspect plus routinier et contraignant du travail des infirmiers et autres intermédiaires en libéral, mais aussi des artisans et commerçants et des agriculteurs » (Algava et al., 2009). Des contraintes qui limitent l’autonomie des formes traditionnelles de non-salariat D’après le rapport d’expertise collective de l’Inserm (2011), « certains indépendants ont une autonomie bien moindre : (les) personnes qui aident un membre de leur famille dans son travail sans être salariées (autonomie décisionnelle moindre) ; (les) non-salariés qui exercent en même temps une activité salariée (souvent les agriculteurs ou les professionnels de santé) ; (les) nouvelles formes d’entreprenariat individuel (proches de la situation de salariés d’entreprises sous-traitantes) ; (les) fractions d’indépendants qui le sont devenus par nécessité » (Inserm, 2011). 29 Le rapport du Collège cite une étude sur les photographes indépendants, qui « montre que certains estiment n’avoir pas les moyens matériels de réaliser correctement leur travail, éprouvent des tensions dans leurs relations avec leurs clients et estiment manquer d’autonomie (Livian, Baret et al., 2002) » (Rapport du Collège, p. 45). Il faut en effet tenir compte d’un certain nombre de contraintes qui viennent limiter l’autonomie des non-salariés. Limitations concernant tous les non-salariés D’après Algava et al. (2009), « il est (…) vraisemblable qu’ils soient soumis à de fortes pressions externes comme celles de la concurrence, des normes sociales d’organisation du travail ou plus directement de leurs partenaires financiers ou commerciaux ». D’après le rapport d’expertise collective de l’Inserm (2011), « pour les indépendants, les facteurs liés à la relation aux donneurs d’ordre et aux clients peuvent être importants, ainsi que les contraintes liées aux sources de revenu. Ils peuvent entraîner des contraintes temporelles, la nécessité d’effectuer des tâches dans des délais courts, et parfois la nécessité de prendre des risques ou de travailler dans de mauvaises conditions, tous facteurs appelés ici organisationnels ». « Florent Champy, Pierre-Michel Menger (2003) et bien d’autres s’accordent sur d’autres menaces qui pèsent sur les indépendants. On a évoqué la prolifération des normes pesant sur l’activité de certaines professions étroitement contrôlées : normes de résultats qui ne peuvent manquer d’influer sur les procédures de travail auxquelles s’ajoutent désormais des dérégulations supranationales (par exemple, la directive européenne concernant les services) permettant l’installation sur le territoire de professionnels européens, mettant en cause la capacité de régulation des marchés du travail spécifiques à chaque profession (on se souvient de l’affaire du plombier polonais !). Les numerus clausus ou les difficultés d’accès à certaines professions (les vétérinaires, les masseurs-kinésithérapeutes...) conduisent ceux qui y aspirent à franchir les frontières, mettant à mal le contrôle de la socialisation professionnelle par les professions elles-mêmes (ce qui ne veut pas dire que les formations reçues ailleurs soient moins bonnes que les nôtres !). Pour les petits entrepreneurs, la dépendance à l’égard du système financier n’est plus à démontrer, la période de crise que nous vivons exacerbant les difficultés financières pour les petites entreprises. Plus généralement, l’indépendance des petits entrepreneurs est particulièrement contrainte par l’environnement économique et par un dispositif législatif et réglementaire qui encadre leur activité, expliquant la multiplicité des instances de défense des intérêts spécifiques des différentes catégories d’indépendants ayant pour cible essentielle l’État et son action pour obtenir des protections supplémentaires ou des avantages spécifiques (la baisse de la TVA dans l’hôtellerie-restauration en constitue un exemple récent). La dépendance des petites entreprises dans le cadre de la sous-traitance ou des mécanismes de franchise questionne de plus en plus la réalité de leur autonomie » (Inserm, 2011). Limitations concernant les employeurs Le Rapport du Collège (p. 45) souligne déjà qu’« on a pu également parler de « dirigeants de PMI en position de subordination » (Ardenti et Vrain, 1999), ce qui relativise, même dans le cas de chefs d’entreprises qui ne sont pas très petites, l’opposition souvent faite entre les indépendants supposés pleinement autonomes et les salariés ». 30 Ensuite, dans sa communication incluse dans le rapport d’expertise collective de l’Inserm (2011), J. Bernon cite longuement les conclusions d’un livre relatant l’expérience personnelle d’un chef d’entreprise, Régis Berthier (2007). « Au travers de cet exemple, on perçoit aussi la limite des modèles couramment employés pour apprécier les risques psychosociaux. Le chef d’entreprise dispose d’une autonomie, d’une très large autonomie. Sa latitude décisionnelle est apparemment étendue mais elle finit toujours par se heurter à un mur. La nuance avec l’appréciation que portent les salariés vis-à-vis de cette latitude est qu’il s’agit pour l’entrepreneur d’un mur d’enceinte : celui du carcan administratif » (Bernon, 2011). Limitations pour certaines professions libérales Enfin, « Florent Champy, à partir de ses recherches sur les architectes, s’alarme de la même manière sur les atteintes portées à l’indépendance et à l’autonomie des professions à pratiques prudentielles » (Inserm, 2011). « L’autonomie dans l’accomplissement du travail peut-elle être garantie sans l’indépendance qui la protège ? », demande cet auteur. D’autres contraintes limitent l’autonomie des « faux » et des « nouveaux » travailleurs non salariés « Du côté du travail indépendant, on a évoqué, dans le point précédent, l’altération de ce statut dans le cadre des relations liant grandes entreprises à sous-traitants, relations susceptibles dans certains cas de réduire l’indépendance à une pure fiction » (Inserm, 2011). « Le développement des "franchises" dans la coiffure, la restauration, la mode, permet à l’entrepreneur indépendant de conserver sa clientèle, mais le prive de toute autonomie dans le choix des produits, leur mode de présentation14... » (Inserm, 2011). « Enfin, le statut récent d’auto-entrepreneur (320 000 sur les 580 000 entreprises créées en 2009) contribue encore à brouiller les frontières dans la mesure où il est adopté aussi bien par de vrais indépendants que par des retraités, des salariés (29 % d’entre eux), des fonctionnaires ou des bénéficiaires de minima sociaux. Ce statut, très favorable quand il permet un appoint financier lorsque les heures supplémentaires sont introuvables ou qu’il évite le travail au noir, peut aussi permettre aux entreprises de contourner les contraintes du Code du travail en confiant des missions à d’anciens salariés incités à se mettre "à leur compte" et sans droit aux Assedic, la mission terminée » (Inserm, 2011). Au total, le rapport du Collège (p. 46) précise déjà que « certaines questions relatives à la subordination sont non pertinentes ». Il conviendra d’ajouter des questions détaillées sur le type d’entreprise et les circonstances de la création de l’entreprise : l’idée est d’identifier des éléments de contexte importants plus que des facteurs psychosociaux de risque supplémentaires. D’autres questions seraient pertinentes : sur les normes auxquelles les non-salariés sont soumis ; sur les assurances qu’ils souscrivent pour se protéger du non-respect de ces normes ; sur les rapports avec l’administration. Par ailleurs, dans l’interprétation des résultats, il conviendra de se demander si les contraintes sur l’autonomie sont imposées par l’indépendant lui-même ou pas ; en effet, « ce qu’on sait de l’importance du pouvoir d’agir (Clot, 1999) amène à se demander si s’imposer à soi-même une contrainte protège du stress causé par cette contrainte ou de ses conséquences » (Collège p. 46). 14 « Anne-Chantal Hardy-Dubernet montre très bien comment, par exemple, les coiffeurs franchisés n’exercent pas du tout le même métier que les coiffeurs indépendants ». Cf. Hardy-Dubernet (2002). 31 3.2. Prévisibilité du travail, possibilité d’anticiper La gestion de l’emploi du temps a été examinée avec la pression temporelle, car elle ne dépend pas d’une hiérarchie comme pour les salariés. 3.3. Développement culturel, utilisation et accroissement des compétences La possibilité d’accroître ses compétences fait partie des aspects de l’autonomie sur lesquels salariés et non-salariés peuvent être comparés (Algava et al., 2009). D’après Algava et al. (2009), 16,3% des non-salariés disent « ne pas apprendre de nouvelles choses », contre 24,4% des salariés : le travail non salarié permettrait donc de mieux utiliser ses compétences. D’après l’Inserm, l’étude australienne de Parslow et coll. (2004) a vérifié que les situations de faible utilisation des compétences ont les mêmes impacts négatifs sur la santé psychique des indépendants que sur celle des salariés (Inserm p. 111). Il s’agirait donc d’un facteur psychosocial de risque de même nature pour les salariés et les non-salariés. 3.4. Monotonie et ennui 3.4.1. Répétition et monotonie D’après Cohidon et Santin (2007), l’absence de variété du travail serait plus difficile à supporter pour les hommes cadres que pour les hommes non salariés (hors agriculteurs) : pour eux, « l’absence de variété du travail est significativement associée à une prévalence de dépressivité plus importante » (Inserm, 2011). 3.4.2. Plaisir au travail (pas d’études spécifiques sur ce sujet concernant les non-salariés) 3.5. Aspects néfastes éventuels de l’autonomie dans la tâche (pas d’études spécifiques sur ce sujet concernant les non-salariés) 32 Axe 4. Rapports sociaux au travail Les rapports sociaux au travail ont deux versants : le versant protecteur correspond à l’intégration à un collectif de travail qui apporte un soutien social ; le versant opposé correspond au risque d’être pris dans des relations interpersonnelles difficiles, voire violentes, ou même dans des « idéologies défensives de métier ». D’après le rapport d’expertise collective de l’Inserm (2011), les non-salariés sont préservés de ces deux aspects : « les non-salariés sont (…) plus fréquemment confrontés à un certain isolement dans leur travail qu’à des tensions relationnelles importantes. Artisans et commerçants soulignent ainsi souvent qu’ils n’ont pas la possibilité de coopérer pour effectuer correctement leur travail ou qu’ils ne reçoivent pas d’aide en cas de travail difficile. De ce fait, les non-salariés (en dehors des chefs d’entreprise de plus de 10 salariés) sont aussi plus souvent épargnés par les conflits au sein du collectif du travail (Algava et al., 2009) ». Ici, il est particulièrement important de distinguer indépendants (et aidants familiaux) et employeurs, au sein des non-salariés : les deuxièmes ne sont pas seuls, par définition, tandis que ce sont les premiers qui peuvent l’être. 4.1. Les représentations des rapports sociaux au travail (cf. le rapport du Collège) 4.2. Relations avec les collègues 4.2.1. Coopération (soutien social) Indépendants Comme déjà mentionné, une caractéristique du travail indépendant est la solitude. D’après Algava et al. (2009), « l’absence de soutien social dans le travail est plus fréquente pour les non-salariés que pour les salariés : un tiers d’entre eux ne reçoivent d’aide ni de collègues ni de personnes extérieures en cas de difficultés dans leur travail et un quart disent ne pas avoir la possibilité de coopérer pour effectuer correctement leur travail ». D’ailleurs, pour Dejours, « chez les travailleurs indépendants, le problème de la coopération est essentiel au regard de la santé mentale en dépit de l’orientation tendancielle vers l’isolement et la solitude qui caractérise un grand nombre de ces emplois » (Dejours, 2011). L’Inserm cite des revues de littérature sur les médecins (même si elles ne distinguent pas entre salariés et indépendants) (Houkes et coll., 2008), qui montrent que le « faible soutien social des collègues » fait partie des facteurs de risque qui sont systématiquement rapportés. Employeurs Les chefs d’entreprise ne sont pas épargnés, même s’il faut peut-être plutôt parler pour eux de sentiment de solitude plutôt que de solitude dans les faits : certes, ils ont des collaborateurs, mais Malarewicz (2006) souligne que le revers de la médaille de la concentration du pouvoir « généralement dans les mains d’une seule personne, ou de quelques personnes liées elles-mêmes par des liens familiaux » est « la solitude ». « Un dirigeant isolé peut également se trouver détaché de certaines réalités : nouvelles contraintes commerciales ou légales, évolution des technologies, 33 bouleversements sociologiques ou culturels, ou encore réalité de ce qu’est l’exercice du pouvoir luimême ». La solitude est aussi la solitude de la décision, ce qui peut s’avérer lourd : « certes, chaque entreprise doit faire face à des échéances mais dans le cas de la petite entreprise les échéances ne sont pas réparties entre plusieurs personnes et sont, au contraire, concentrées et portées par le seul chef d’entreprise, poids permanent sur les épaules, épée dont la piqûre de la pointe se fait toujours sentir au dessus de la tête. » (Bernon, 2011). Or, la prise de décision serait plus fréquente chez les indépendants (Clark 2009). Cette solitude de la décision, tout comme le sentiment de solitude, posent problème car ils créent un sentiment d’isolement : chez les chefs de TPE, « dans les métiers industriels ou commerciaux, les risques psychosociaux des travailleurs indépendants ou chefs d’entreprise de très petites entreprises (TPE) trouvent leur source dans un sentiment profond d’isolement face à un monde hostile » (Bernon, 2011). Corrélat de ce sentiment d’isolement, les partenaires, i.e. « ceux avec lesquels on travaille et on s’entraide », ne sont pas nécessairement un soutien : « la concurrence est sévère, la compétition se cache mais reste toujours là et distille ses coups tordus, les promesses de soutien défaillantes où ceux qui les font savent par avance qu’ils ne les tiendront pas » ; « le sentiment de trahison s’installe. Ce dernier interroge sur la solidité des réseaux et leur fiabilité et sur les niveaux d’investissement personnel consentis, pour quelle rétribution in fine ? » (Bernon, 201115). Toutefois, il faut souligner que toutes les études ne confirment pas le plus grand sentiment de solitude des dirigeants : d’après Torrès (2012), « si environ 40% des salariés se déclarent jamais déprimés et isolés, c’est plus du double, de 80 à 86% des dirigeants, qui disent ne jamais avoir ressenti de déprime, ni de sentiment d’isolement. Ce résultat prend à contrepied la thèse de la solitude des dirigeants (Gumpert et Boyd, 1984) ». Certes, Torrès (2012) propose de « relativiser ce résultat par le fait que seuls les dirigeants ayant au moins trois salariés ont été pris en compte dans cette étude ». Toutefois, la comparaison avec les salariés, qui ont eux aussi un entourage, reste pertinente : son étude montre que les dirigeants se sentiraient moins isolés que les salariés. Il est recommandé d’introduire une question sur les circonstances de la décision : l’indépendant prend-il des décisions importantes seul ? 4.2.2. Intégration dans un collectif Au sujet des salariés, le rapport du Collège développe l’idée que « la contribution positive du travail à la santé mentale est maximale quand le travailleur est inséré au sein d’un collectif » (p. 135). Cette idée n’est pas reprise dans les études sur les non-salariés. Pourtant, ceux qui ont eux-mêmes des salariés font de facto partie d’un collectif, envers lequel ils sont certes en position hiérarchique, mais qui peut les soutenir ou pas. Mais on sait aussi que l’insertion des très petites entreprises dans un collectif est faible, et peu institutionnalisé. D’après le CAS (Verrier, 2009a), « les mondes des TPE (sont) imperméables aux relations sociales » ; le taux de syndicalisation y est très faible. En revanche, les employeurs seraient mieux représentés dans les organisations syndicales, mais le CAS (Verrier, 2009a) fait remarquer qu’il existe très peu d’études sur ce sujet, et que lorsqu’il en existe, elles ne peuvent que souligner la difficulté à obtenir des chiffres. Le CAS cite ainsi les estimations effectuées par Marion Rabier (2007), selon laquelle « le Medef représenterait 750 000 entreprises, dont 525 000 15 J. Bernon s’appuie sur Berthier (2007). 34 de moins de 50 salariés ; la CGPME disposerait de 550 000 entreprises affiliées, dont 300 000 de moins de 50 salariés ; l’UPA représenterait 250 000 à 300 000 entreprises artisanales, soit un tiers de l’artisanat » (CAS, 2009a). Pourtant, si la solitude et le sentiment d’isolement peuvent être évités, c’est grâce à cette possibilité théorique qu’ont tous les non salariés de s’inscrire dans un collectif. Le rapport d’expertise collective de l’Inserm (2011) décrit d’ailleurs dans son « ébauche d’une sociologie des travailleurs indépendants » comment l’histoire des indépendants est aussi celle de leurs regroupements au sein d’associations au fur et à mesure des 19ème et 20ème siècles, pour « rompre leur isolement » (Inserm, 2011). Toujours selon ce rapport, « les associations professionnelles agissent comme un amortisseur des angoisses et un moyen de mutualisation des connaissances face aux difficultés professionnelles et aux innovations techniques » (Inserm, 2011). D’après Bernon (2011), chez les agriculteurs, le soutien familial, par les pairs, et par les organisations professionnelles, joue un rôle fondamental lors du lancement de l’activité. Ensuite, « selon les situations, la capacité d’auto-organisation collective des indépendants autour de leur métier (…) peut venir compenser l’isolement dans le travail, tandis que la concurrence directe avec les autres indépendants peut au contraire renforcer ce sentiment d’isolement » (Inserm, 2011). De même, d’après Torrès (2012) « le recours à des réseaux patronaux, ou des associations de pairs, comme par exemple le Centre des Jeunes Dirigeants de France, est souvent salutaire ». Dans une enquête statistique, il s’agirait donc de redéfinir le soutien social en y intégrant la possibilité de confronter sa pratique à celle d’autres et sur l’inscription dans un ou plusieurs réseaux ou associations. Il faut aussi tenir compte des liens avec les pairs de la même zone géographique : y a-t-il des groupes informels ? Des ententes (sur les tarifs par exemple) ? Des liens qui permettent de s’envoyer des clients ? Ou les relations sont-elles essentiellement basées sur la compétition ? 4.2.3. Autonomie collective, participation (pas d’études spécifiques sur ce sujet concernant les non-salariés) 4.2.4. Stratégies et idéologies défensives collectives De même qu’être pris dans des logiques d’« idéologies défensives de métier » peut être un facteur de risque associée à l’intégration dans un collectif de travail pour les salariés, la confusion des contextes (famille et entreprise) peut être un facteur de risque pour les indépendants travaillant dans leur entreprise familiale. Ce point a été évoqué plus haut au sujet des particularités des liens entre sphère familiale et sphère du travail chez les non-salariés. 4.3. Relations avec la hiérarchie Le rapport du Collège précise que « ce paragraphe ne concerne pas les travailleurs indépendants ». 35 Cela ne signifie pas que les problématiques de leadership sont étrangères au monde des nonsalariés : indépendants comme chefs d’entreprise peuvent être concernés par d’éventuels risques liés au fait d’encadrer, et non pas d’être encadré. Certains seront abordés sous la forme d’un cas particulier d’insécurité (en 6.1.), lié au fait d’être responsable de la subsistance d’autrui ; et d’autres, sous la forme d’un cas particulier de violence interne (en 4.6.), le fait de devoir éventuellement licencier quelqu’un avec qui on travaille au quotidien. Toutefois, le rapport de l’expertise collective de l’Inserm précise bien que « là encore la pertinence d’outils de mesure mis en œuvre pour les salariés doit être nuancée. Aucune des études quantitatives consultées n’évoque les difficultés spécifiquement rencontrées vis-à-vis des subordonnés et associées au statut d’employeur » (Inserm, 2011). 4.4. Autres formes de la relation à l’entreprise (reconnaissance économique, symbolique, pratique) D’après le rapport d’expertise collective de l’Inserm (2011), « les trois catégories principales de non-salariés (commerçants, artisans et chefs d’entreprise) » « consentent des efforts importants pour leur activité professionnelle mais peuvent en retirer des bénéfices conséquents (au sens du modèle de Siegrist), sinon monétaires mais en termes de reconnaissance de la part de la clientèle. » Jamal (1997) décrit les indépendants comme « jouissant d’un important degré d’autonomie dans leur organisation de travail ainsi que dans les prises de décisions ; ils échappent à la position de subordination, peuvent espérer certaines contreparties financières de leurs efforts (non systématique quelle que soit la catégorie d’indépendants) et pourraient plus facilement éprouver un sentiment de fierté et d’accomplissement dans leur travail » (Inserm, 2011). Mais « il est à noter cependant que ces situations ne s’appliquent peut-être pas à la nouvelle catégorie des indépendants que sont les autoentrepreneurs » (Inserm, 2011). En outre, dans les lieux où les non salariés peuvent trouver une forme de soutien social, ils peuvent également trouver des jugements de reconnaissance de leurs pairs. D’après Dejours (2011), « même pour l’indépendant, il y a des lieux de confrontation qui permettent les jugements de reconnaissance : séminaires, formation continue, syndicats professionnels, analyse de pratique... ; il en existe pratiquement dans toutes les professions. Chez les médecins, par exemple, cet exercice est institutionnalisé dans l’évaluation des pratiques professionnelles avec groupes de pairs (EPP) ». Toutefois, ces lieux n’empêchent pas une certaine compétition entre non salariés et au total, le rapport d’expertise collective de l’Inserm (2011) cite « une étude menée chez les vétérinaires », qui « rappelle le rôle de la pression temporelle, du manque de vacances, mais également d’inquiétude sur la carrière, de l’attitude des "clients" et du manque de reconnaissance de la part des collègues (Smith et coll., 2009). » Il faut donc tenir compte de la reconnaissance par des pairs avec qui on est en lien par des associations ou des réseaux, ou encore ceux de la zone géographique dans laquelle travaille le nonsalarié. En outre, dans l’exploitation des résultats d’une enquête, les questions de reconnaissance font partie de celles pour lesquelles il est particulièrement important de distinguer entre non-salariés « traditionnels » et « nouveaux » ou « faux » non-salariés : pour ces derniers, en situation précaire, la recherche d’une reconnaissance pécuniaire n’a pas de raisons d’être au second plan. 36 4.5. Relations avec l’extérieur de l’entreprise D’après la communication d’A. Thébaud-Mony incluse dans le rapport d’expertise collective de l’Inserm (2011), la valorisation sociale est très différente selon que l’indépendant est profession libérale, commerçant, artisan, chef d’entreprise, ou agriculteur. Les professions libérales jouissent généralement d’un certain prestige : « professions libérales exerçant leur activité indépendante en raison de l’organisation d’une profession (médecins, pharmaciens, avocats, notaires), ou dans certains services spécialisés comme l’immobilier, les activités comptables, le conseil, les activités juridiques » (Thébaud-Mony, 2011). En revanche, les agriculteurs et les artisans vivent un « sentiment de déclassement » (Inserm, 2011). La valorisation diffère encore plus selon que l’indépendant a un statut « traditionnel » ou s’il est « indépendant dépendant », sans avoir choisi ce statut. D’après le rapport d’expertise collective de l’Inserm, dans le cas des « nouveaux » ou « faux » indépendants, ceux qui sont particulièrement dévalorisés relèveraient des secteurs du commerce, de l’industrie, du BTP16 et des services, notamment les services à la personne17 et plus particulièrement les femmes. Il s’agit d’activités considérées comme peu qualifiées et professionnellement plutôt dévalorisantes. On observe une grande similitude par rapport aux autres formes d’emploi précaire : l’individualisation de l’emploi, la non reconnaissance de l’expérience et des compétences, l’insécurité économique et l’absence de droits, l’invisibilité des travailleurs eux-mêmes du fait des postes de travail occupés » (Thébaud-Mony, 2011). Or, d’après le rapport d’expertise collective de l’Inserm (2011), « les tensions seront vécues diversement par les indépendants selon leur trajectoire sociale, familiale et professionnelle ainsi que l’évolution de la position sociale et du prestige de leur groupe social (sentiment de déclassement vécu par les agriculteurs et les artisans) ». Cela n’est pas forcément différent du mécanisme à l’œuvre chez les salariés, même si on peut s’attendre à une importance plus grande (donc des dommages plus grands pour la santé ou la satisfaction du travail) pour les non salariés, dans la mesure où c’est une forme de récompense qui serait plus importante pour eux que pour les salariés (du simple fait qu’ils n’ont pas de hiérarchie ou de collègues qui peuvent produire un jugement de reconnaissance). Il est important d’explorer le sentiment de valorisation ou de déclassement de la profession. Un aspect en est la traduction concrète dans l’attitude des clients, auprès desquels un non-salarié peut rechercher et obtenir (ou pas) de la reconnaissance. 16 « La branche professionnelle du BTP compte environ 300 000 entreprises regroupant près de 1,6 million de salariés auxquels il convient d’ajouter plus de 100 000 intérimaires et près de 300 000 travailleurs indépendants. http://www.preventica.com/dossier-btp-secteur-risque.php » 74. » En 2005, environ 1,4 million de personnes exerçaient une activité (dans le cadre de la convention collective des employés de maison), à temps plein ou temps partiel, au domicile de particuliers (http://www.pme.gouv.fr/economie/commissions/CCSDARES.pdf). En 2007, environ 450 000 assistantes maternelles ou assistantes familiales agréées accueillaient des enfants en bas âge (http://www.insee.fr/fr/themes/tableau.asp?reg_id=0&ref_id=NATENF02309) 75. THÉBAUD-MONY A. L’industrie nucléaire : sous-traitance et servitude. Inserm/EDK, collection Questions en santé publique, Paris, 2000, 290p » 17 « En 2005, environ 1,4 million de personnes exerçaient une activité (dans le cadre de la convention collective des employés de maison), à temps plein ou temps partiel, au domicile de particuliers (http://www.pme.gouv.fr/economie/commissions/CCSDARES.pdf). En 2007, environ 450 000 assistantes maternelles ou assistantes familiales agréées accueillaient des enfants en bas âge (http://www.insee.fr/fr/themes/tableau.asp?reg_id=0&ref_id=NATENF02309) » 37 4.6. Violence interne « Au-delà de l’exposition au stress les travailleurs indépendants peuvent, comme tous les professionnels en relation avec le public, être confrontés à la violence des usagers, clients, patients (European Foundation for the Improvement of Living and Working Conditions, 2010) » (Inserm, 2011). Ils peuvent s’inscrire dans des réseaux auprès desquels ils peuvent trouver soit du soutien, soit une compétition qui s’apparente à de la violence au travail (au sens de l’axe 4). Dans le cas des entreprises familiales, d’après Malarewicz (2006), l’imbrication des logiques familiales et de l’entreprise produit des « aberrations relationnelles », liées à une trop grande présence des affects et des émotions : « l’affectif caractérise les liens interpersonnels dans les entreprises familiales, surtout lorsqu’elles restent à dimension humaine » ; « une des conséquences les plus immédiates de la confusion des contextes, qui domine le fonctionnement des entreprises familiales, est l’importance que peut prendre tout ce qui concerne la vie affective ». Il donne quatre exemples d’aberrations relationnelles : l’irrationalité (« certaines décisions édictées par les dirigeants paraissent s’éloigner sensiblement des intérêts de la structure, ou des prises de position violentes semblent n’avoir aucune justification apparente »), la lassitude (« qui appauvrit la communication et le processus décisionnel »), le fait de donner à l’argent une valeur affective (« Les liens entre travail, capital et rémunération peuvent être facilement pervertis. Comment coexister dans la même famille alors que certains travaillent et que d’autres tirent simplement profit de leur investissement ? »), l’appropriation (« Le cas le plus extrême, mais qui n’est pas rare pour autant, est celui du dirigeant qui assimile "son" entreprise à un enfant. Il en fait alors sa propriété immédiate et ne conçoit pas qu’une autre personne puisse avoir un avis pertinent à son sujet. »). De tels mécanismes peuvent fonctionner de la même manière dans les petites structures. D’une façon générale, dès lors qu’un indépendant travaille avec au moins un collaborateur, il peut être confronté aux mêmes formes de violence au travail que les salariés, notamment les relations d’emprise (le harcèlement moral). Mais dans le cas d’une petite structure, comme l’a expliqué MarieFrance Hirigoyen lors de son audition, le plus grand risque n’est pas celui du développement d’une véritable relation d’emprise (avec intention malveillante), mais de mauvaises relations liées au manque d’éducation au management, ainsi qu’à la petite taille de la structure, qui oblige, d’après Jaouen et Torrès (2008), à un « management sensoriel », de proximité, qui est un facteur organisationnel qui peut produire des conséquences ressemblant aux relations d’emprise. Le « management sensoriel », ainsi nommé par O. Torrès, désigne le fait que « la TPE est sensorielle : le management peut se faire à l'ouïe, à la vue, au toucher et à l'odorat ». Selon Torrès, c’est une des qualités des très petites entreprises. Mais si aucune distance n’est possible, cela signifie aussi que certaines situations vont s’avérer plus difficiles à affronter pour le dirigeant d’entreprise ; il parle notamment du « traumatisme du licencieur ». « Il y a bien sûr d'abord le traumatisme du licencié, c'est la première personne concernée. De nombreux travaux portent sur ce thème. En revanche, on a complètement oublié le fait que quand un patron licencie, c'est une décision qui peut le traumatiser aussi. C'est une des décisions les plus dures, c'est là toute la différence entre la PME et la grande entreprise. Car la PME est fondée sur la gestion des proximités: le patron est proche de ses salariés, 38 il les voit tous les jours, il croise leur regard, il leur serre la main, il est même proche sociologiquement. Dans une grande entreprise, c'est différent18 ». Au total, il apparaît important de prévoir des questions sur les relations avec les subordonnés hiérarchiques ; de telles questions seront tout aussi adaptées aux salariés qui en encadrent d’autres. Par ailleurs, les études d’O. Torrès suggèrent d’ajouter des questions sur les situations où un non-salarié (mais aussi un salarié) doit prendre la décision de licencier. 18 http://www.lejournaldesentreprises.com/editions/44/actualite/point-de-vue/olivier-torres-rehabiliter-le-management-sensoriel06-02-2009-60969.php 39 Axe 5. Conflits de valeurs 5.1. Conflits éthiques D’après le rapport d’expertise collective de l’Inserm (2011), « l’indépendance des non-salariés les protège en théorie de ce type de conflits puisqu’ils sont normalement en capacité de prendre les décisions qui leur conviennent. » Toutefois, le rapport du Collège (p. 45) cite au moins un cas de souffrance éthique chez des travailleurs indépendants : « les éleveurs de porcs que les contraintes de rentabilité de leur exploitation empêchent de soigner les animaux malades comme ils le souhaiteraient ressentent une souffrance éthique (Porcher, 2003) ». D’ailleurs, « 31% des agriculteurs et 24% des autres non-salariés disent faire au moins parfois des choses qu’ils désapprouvent, contre 33% de l’ensemble des actifs » (Inserm, 2011). En outre, Dejours (2011) décrit les mécanismes spécifiques aux travailleurs indépendants qui peuvent conduire à des conflits éthiques. « Pour les travailleurs indépendants, il existe souvent un conflit de rationalité entre contrainte économique (chiffre d’affaire, marge, rentabilité...) et contrainte de qualité (règles de métier, déontologie...). À chaque fois que la contrainte économique s’accroît, il y a un risque pour la qualité du travail. La quantité de travail à fournir nuit tendanciellement au respect des règles de métier. Or, les compromis avec les règles de travail peuvent menacer le respect de l’éthique professionnelle, et engager dans certains cas le rapport à l’éthique personnelle (consentir à des pratiques que moralement on réprouve). Il en résulte alors l’apparition de ce qu’on désigne en clinique et psychodynamique du travail sous le nom de "souffrance éthique". La souffrance éthique résultant des compromis voire des compromissions par rapport à l’éthique professionnelle est à l’origine de la perte du sens du travail et fait le lit de nombreuses décompensations psychopathologiques (atteinte du socle éthique de l’identité et déstabilisation de la santé mentale). » Quant à l’ouvrage collectif dirigé par O. Torrès (2012), il consacre un chapitre à la question « Les conflits entre valeurs et choix stratégiques peuvent-ils nuire à la santé des dirigeants de PME ? » (Debray et al., 2012). En effet, d’après ces auteurs, les valeurs de l’entrepreneur sont une base importante de son travail : « La théorie entrepreneuriale admet d’ailleurs que la personnalité des dirigeants, leurs croyances et leurs orientations personnelles, ainsi que leurs perceptions de l’environnement, vont déterminer la prise de décision (Spence et al., 2006) » . Toutefois, ces valeurs peuvent être mises à mal par des influences externes, qui obligent à des choix stratégiques qui peuvent produire des « cas de conscience », d’autant plus difficiles à supporter que les dirigeants doivent les trancher seuls. Il est important de savoir si la profession impose le respect d’un code de déontologie (serment d’Hippocrate, code de déontologie des psychologues…), l’adhésion à un ordre ou un syndicat. 40 5.2. Qualité empêchée D’après le rapport d’expertise collective de l’Inserm citant les chiffres du Collège, « si seulement 4% des non-salariés hors agriculteurs disent n’avoir que parfois ou jamais les moyens de faire un travail de qualité, ils sont un tiers à devoir parfois ou souvent sacrifier la qualité aux délais » (Inserm, 2011). « Par exemple, une étude sur les photographes indépendants montre que certains estiment n’avoir pas les moyens matériels de réaliser correctement leur travail… (Livian, Baret et al., 2002) » (Rapport du Collège p. 45). Autre exemple cité par le rapport du Collège (p. 45), « un artisan chocolatier estime que la demande de sa clientèle l’oblige à travailler parfois en contradiction avec sa conception de l’excellence professionnelle et du travail bien fait (Baudelot et al., 2003) ». Comme pour les conflits éthiques, le mécanisme propre aux indépendants est le conflit de rationalité entre contraintes économiques et règles de métier, évoqué par Dejours (2011). Cela suggère d’adapter les questions en ce sens, pour mieux qualifier le travail de qualité selon les règles de l’art. 5.3. Travail inutile (pas d’études spécifiques sur ce sujet concernant les non-salariés) 41 Axe 6. Insécurité de la situation de travail D’après le rapport du Collège (p. 46), « le sujet de l’insécurité socioéconomique des non salariés doit être traité de façon créative par rapport aux sources existantes ». 6.1. Sécurité de l’emploi, du salaire, de la carrière Sécurité de l’emploi et de la carrière D’après le rapport du Collège (p. 161), « par insécurité socio-économique, nous entendons les risques pesant sur la pérennité de l’emploi, sur le maintien du niveau de salaire ou sur le déroulement jugé normal de la carrière. Un salarié peut y être exposé du fait du comportement ou de la situation de son employeur, un travailleur indépendant, du fait de l’état de certains marchés (des intrants, des extrants, du crédit, etc.) ». Plusieurs études confirment cette exposition à l’insécurité de l’emploi : « une étude menée chez les vétérinaires rappelle le rôle d’inquiétude sur la carrière (…) (Smith et coll., 2009) » (Inserm, 2011). D’après Rivière et Talon (2010), l’insécurité de l’emploi fait partie des facteurs organisationnels communs aux trois catégories de non-salariés. D’après Algava et al. (2009), « l’insécurité de l’emploi vécue par les non-salariés semble comparable en moyenne à celle des salariés : 16% des non salariés craignent pour leur emploi dans l’année qui vient, ces proportions étant notablement élevées chez les commerçants, artisans ou agriculteurs ». De même, le rapport d’expertise collective de l’Inserm (2011) cite « l’étude australienne de Parslow et coll. (2004) », selon laquelle « on n’observe pas de différence de perception de la sécurité d’emploi entre indépendants et salariés ». Toutefois, l’incertitude économique est bien plus forte chez les « faux indépendants ». D’ailleurs, l’Inserm rappelle que dès 1995, le monde du nucléaire avait connu huit cas de suicides parmi « les salariés d’entreprises extérieures intervenant dans la maintenance de la centrale », que A. Thébaud-Mony (2011) qualifie d’« intermittents du nucléaire ». En effet, l’emploi était « géré par la dose » : pour respecter les « limites individuelles d’exposition à la radioactivité fixées par la loi », la centrale nucléaire de Chinon « faisait se succéder, sur les postes concernés, un nombre important de travailleurs recrutés par le biais de la sous-traitance et de l’intérim ». Dès qu’un travailleur avait atteint la dose limite, il se trouvait écarté de l’emploi : autrement dit, c’étaient les seuls salariés intérimaires, et non la structure, qui assumaient la contradiction entre emploi et santé. Plus récemment, Fayolle et al. (2012) mettent en évidence le paradoxe de la création d’entreprise : actuellement encouragée pour répondre au chômage et à la précarité, elle a développé la précarité. « Nous soutenons, dans ce travail, la thèse que les mesures actuelles et passées destinées à encourager la création d’emplois et/ou dans des situations difficiles, contribuent très fortement au développement de formes d’entrepreneuriat contraint, qui pourraient avoir des conséquences extrêmement préjudiciables pour les individus concernés et pour notre société dans son ensemble ». Ces entrepreneurs sont donc en situation précaire au moment de la création d’entreprise, et celle-ci, au lieu de les sortir de leur précarité, les y maintient : « ces entrepreneurs sont généralement des individus dans des situations très précaires, ils ont été licenciés et ont connu les affres du chômage, ils n’ont pratiquement plus de ressources et se retrouvent souvent seuls ». « Ces situations de contrainte et d’isolement social et affectif, loin de redynamiser des individus déjà fragilisés et en perte de confiance, peuvent contribuer à les faire douter encore plus, à générer du stress négatif et à 42 provoquer une certaine forme de désespérance, aux conséquences parfois dramatiques » (Fayolle et al., 2012). Sécurité du revenu Deuxième aspect de l’insécurité économique, les risques pesant « sur le maintien du niveau de salaire » (rapport du Collège, p. 161) ; dans le cas des non-salariés, il faut évidemment parler de revenus. D’après le rapport d’expertise collective de l’Inserm (2011), il s’agit « d’autres formes d’insécurité » qui « sont rarement étudiées », mais « qui mériteraient d’être analysées plus précisément pour les non-salariés : l’incertitude quant au revenu et sa variabilité d’un mois à l’autre peuvent constituer une source importante de stress ». L’étude statistique d’Algava et al. (2009) en a tenu compte : « en matière d’insécurité socioéconomique, les non-salariés se distinguent aussi des salariés par une plus forte incertitude sur leurs revenus : ils sont beaucoup plus nombreux à dire que leur revenu dépend de leur façon de travailler (67% contre 18% des salariés) ». Le revenu est dès lors fluctuant : d’après Torrès (2012), 35% des dirigeants considèrent qu’ils ne peuvent pas estimer le chiffre d’affaires de leur entreprise à six mois. D’autres sources d’incertitude financière concernent plus particulièrement les indépendants, et constituent des facteurs organisationnels, qui ne dépendent pas d’un employeur mais « de l’état de certains marchés (des intrants, des extrants, du crédit, etc.) » (rapport du Collège, p. 161). On peut penser aux incertitudes sur la trésorerie, au risque de perdre des capitaux personnels quand on crée une entreprise (Eager, Maritz, 2011). Dejours (2011) évoque les craintes sur la compétitivité, l’endettement, le dépôt de bilan. Enfin, Rivière et Talon (2010) évoquent la situation de trésorerie, les craintes d’impayés, la recherche de financement, l’évolution du carnet de commandes. D’une façon générale, le fait que les fluctuations du revenu dépendent fortement de celles de l’activité est un facteur de pression particulier, au sujet duquel une enquête statistique doit prévoir des questions spécifiques. Enfin, il faut tenir compte du fait que les « nouveaux » ou « faux » indépendants, devenus indépendants par « essaimage19 », voient un risque accru peser sur leur revenu puisqu’ils n’ont qu’un client. « En cas de rupture ou de non-renouvellement de la relation commerciale, cette relation fait courir un risque démesuré sur les revenus d’activité du prestataire. En outre, elle influe directement sur les conditions d’exercice de l’activité. Comme l’enseigne la théorie microéconomique, le monopsone génère un contrôle des prix par l’acheteur. Par un effet d’enchaînement, ce contrôle s’exerce aussi sur les coûts – formels ou non – et les délais de production supportés par le nonsalarié. Sous cet éclairage, les biais de subordination sont donc considérables et peuvent plonger le prestataire dans des conditions de travail exécrables » (Rapelli, 2011). Responsabilité sociale Si la situation économique d’un non-salarié est incertaine, cela n’a pas de conséquences que pour lui, mais aussi pour les salariés qui dépendent de lui. D’après le rapport d’expertise collective de l’Inserm (2011), il n’existe aucune étude sur les difficultés spécifiquement associées au statut d’employeur. Pourtant, le fait d’être responsable de la subsistance d’autres personnes, dans un cadre de « management sensoriel » (Jaouen, Torrès, 2008) i.e. de grande proximité quotidienne avec ces personnes, peut représenter un facteur de pression et donc de risque lié à l’insécurité qui est spécifique aux employeurs de petites structures. 19 « Cette appellation désigne les appuis et accompagnements apportés par une entreprise à un ou plusieurs de ses salariés qui souhaitent créer ou reprendre une activité avec l’objectif de contribuer à leur réussite » (Rapelli, 2011). Ce salarié peut alors n’avoir pour unique client que son ancien employeur. 43 Transmission D’après le rapport du Collège, il y a une forme d’insécurité propre aux indépendants, celle autour de la transmission de leur entreprise. « Les investissements matériels et immatériels consentis par un chef d’entreprise dans son entreprise peuvent être destinés non seulement à assurer sa trajectoire personnelle, mais aussi la transmission de son entreprise : le caractère incertain de cette transmission peut être assimilé à une forme d’insécurité socio-économique » (rapport du Collège, p. 161). En effet, d’après les données de l’enquête « Bonheur et Travail » utilisées par Baudelot et Gollac (2003), « la transmission du capital économique, du métier et du statut d’indépendant est le principal argument développé à l’appui d’une réponse positive » à la question « Finalement, dans votre travail, qu’est-ce qui l’emporte ? Les motifs de satisfaction, les motifs d’insatisfaction, les uns et les autres s’équilibrent à peu près ? » (Inserm, 2011). L’équivalent de cette transmission pour un salarié serait la transmission de son poste de travail à son successeur ; mais les enjeux sont sans doute moins engageants car ils touchent moins à l’identité. Le Collège a donc considéré que la crainte de ne pas pouvoir transmettre son entreprise est un facteur psychosocial de risque à prendre en compte pour les non-salariés. Mais la perspective de cette transmission est également porteuse d’enjeux qui peuvent eux aussi constituer des facteurs de risque : la transmission d’entreprise est ambivalente, et il convient de tenir compte du fait que la perspective qu’elle se produise peut constituer en elle-même un facteur psychosocial de risque, au même titre que la perspective qu’elle ne se produise pas. Il s’agit d’un problème qui n’est pas forcément évoqué car la souffrance qu’il provoque est déniée par ceux qui sont concernés. « Bien que cette souffrance soit réelle, nous avons remarqué que bon nombre de cédants acceptent difficilement d’évoquer, ou du moins ne reconnaissent que du bout des lèvres, les problèmes de santé mentale ou organique rencontrés lors du processus de transmission » (Bah et al., 2012). Le livre dirigé par Torrès (2012) consacre un chapitre à cette question des « impacts de la transmission sur la santé du dirigeant de PME » (Bah et al., 2012). Les auteurs constatent que « curieusement, si les études consacrées aux difficultés rencontrées par les cédants pour transmettre leur affaire attirent de plus en plus les chercheurs en sciences de gestion (Pailot, 2002 ; Mahé de Boislandelle, 2003 ; Dubouloy, 2008 ; Bah, 2009 ; Bah et Cadieux, 2011), aucune recherche académique portant sur le lien entre la transmission et la santé des patrons de PME n’a jamais été présentée ». Selon eux, la transmission d’entreprise est « une expérience comparable à un travail de deuil » : en effet, « la transmission d’entreprise confronte le cédant à des pertes multiples, qui vont entraîner un processus de deuil : perte du statut de chef d’entreprise, perte de pouvoir, perte d’un cadre de vie auquel il s’était attaché, pertes d’identité professionnelle et de reconnaissance sociale, perte de relations professionnelles et amicales qui ont rythmé les journées, mais aussi perte de revenus. Face à tout cela, certains cédants peuvent être tétanisés par l’angoisse de devoir abandonner leurs habitudes quotidiennes et de devoir retrouver un nouveau projet de vie » (Bah et al., 2012). D’après Malarewicz (2006), qui développe également cette vision de la transmission comme un deuil, il s’agit d’un cas particulier de la perspective du passage à la retraite, qui affecte tout travailleur et qui est anticipée avec appréhension. Chez le non-salarié, cette appréhension est majorée par un problème d’identité : « cette séparation et/ou cette perte touchent à son identité ». En outre, « préparer une succession, c’est rendre la mort présente » : or, « le dirigeant qui a longtemps été plongé dans ce monde performant où il s’agit de répondre sans cesse à des critères de rentabilité, a dû être capable de surmonter toutes les épreuves que lui a réservées un parcours semé d’embûches. Il ignore lui-même la mort et envisage difficilement de l’anticiper ». 44 Au total, il est important d’explorer les facettes d’insécurité économique propres au travail nonsalarié : incertitudes sur le carnet de commandes, variabilité du chiffre d’affaires et incertitude quant au revenu et au chiffre d’affaires, incertitudes sur la trésorerie, craintes sur la compétitivité, endettement, dépôt de bilan, recherche de financement et relations spécifiques avec les banques, risque de perdre des capitaux personnels quand on crée une entreprise. Par ailleurs, il est important d’aborder le sentiment de responsabilité sociale et l’insécurité spécifique qu’il peut créer. Enfin, il faut interroger sur les perspectives de transmission de l’entreprise. 6.2. Soutenabilité du travail Le rapport du Collège (p. 65) mentionne le fait qu’a priori, « les indépendants comme les salariés peuvent être menacés par le caractère non soutenable de leur travail, c’est-à-dire le fait qu’il provoque une usure telle qu’on ne puisse s’y maintenir sur le long terme ». Mais cette idée n’est pas vérifiée, ou du moins, les non salariés sont moins concernés que les salariés : d’après Algava et al. (2009), le travail non-salarié est plus soutenable que le travail salarié : « les non-salariés se sentent capables beaucoup plus souvent que les salariés de faire le même métier jusqu’à 60 ans ou jusqu’à leur retraite : 75 % sont dans ce cas contre 61 % des salariés. Les non-salariés exerçant en libéral sont les plus nombreux à considérer ainsi leur travail comme "soutenable" ». La question de la soutenabilité du travail est en tout cas pertinente même si les indépendants sont moins exposés, ne serait-ce que pour mieux identifier ceux parmi eux qui ne font pas un travail soutenable (notamment les « nouveaux » ou « faux » indépendants). Peut-être faut-il aussi envisager des questions sur ce qui manque pour que le travail soit soutenable (soutien, affiliation, relations différentes avec les banques…). 6.3. Changements (pas d’études spécifiques sur ce sujet concernant les non-salariés) 45 Bibliographie ALA-MURSULA L., VAHTERA J., LINNA A., PENTTI J., KIVIMÄKI M. Employee worktime control moderates the effects of job strain and effort-reward imbalance on sickness absence: the 10town study. J Epidemiol Community Health 2005, 59 : 851-857 ALBERT WJ, CURRIE-JACKSON N, DUNCAN CA. A survey of musculoskeletal injuries amongst canadian massage therapists. 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