Ma dernière création est un piège à taupes

Transcription

Ma dernière création est un piège à taupes
Ma dernière création est un piège
à taupes
d'Oliver Rohe aux éditions Inculte
Ma dernière création est un piège à taupes
Récit / France
éditions Inculte
14 x 19 | 96 p.
Prix 13,90 €
ISBN : 978-2-916940-73-1
« c’était pour lui une machine qui devait fonctionner
impeccablement dans n’importe quelle configuration climatique et
géographique et c’était une machine qui devait également rester
agréable à regarder, toujours élégante et racée, quelles que soient
les mains qui la manipulent. »
Oliver Rohe
LE LIVRE
« Le présent texte est une adaptation d'une pièce radiophonique pour
France Culture », prévient l'auteur. Sans doute cela explique-t-il
l'envie de lire à voix haute cette biographie très personnelle de
Mikhaïl Kalachnikov, « idiot solitaire » qui donna son nom à une arme
charmante et pétaradante, encore en activité dans de nombreux
pays. En 2009, Oliver Rohe en avait déjà donné à entendre les rafales
dans son roman Un peuple en petit, chronique des années 1980 dans
une démocratie populaire imaginaire. Cette fois, il se concentre sur
les souvenirs d'un vieillard « avec des cheveux gris fins, avec une peau
cireuse et avec des mains toutes tavelées », et son art de l'exploration
interne est toujours très cinématographique. Travellings sur l'errance
du Soviétique entre les bouleaux, les lacs gelés, les forêts de mélèzes.
Incrustation d'archives techniques sur le maniement des armes.
Montage alterné d'images de visages solaires, et de moissonneusesbatteuses, de soldats américains du Vietnam rapatriés dans leur
cercueil et de soldats russes d'Afghanistan ensanglantés par le
combat. Il y a quelque chose de résolument godardien chez cet
écrivain trop rare, dont on peut goûter cet opuscule en attendant un
livre plus ambitieux, où éclatera pleinement son impressionnante
science narrative. Article de Marine Landrot - Telerama n° 3253
Mikhaïl Kalachnikov est l’homme le plus décoré de Russie. Toujours
vivant et célébré, cet inventeur insatiable a fait basculer le siècle avec
une arme éponyme, l’AK-47. Son arme a été du côté des soldats les
moins bien formés, pour changer de mains avec le temps : du soldat
de l’Armée Rouge aux gangs de Los Angeles, en passant par les
guérilleros cubains, les enfants-soldats en Afrique et les Talibans en
Afghanistan. En 2011, 100 millions d’AK-47, copies et contrefaçon
incluses, sont disponibles. Dans cet ouvrage où se croisent le récit
biographique de l’inventeur et celui de la carrière de son arme, Oliver
Rohe montre l’écart flagrant entre un homme dépeint comme
bonhomme et naïf, et son génie dans la conception de la machine à
tuer la plus redoutable depuis 65 ans.
L’AUTEUR
Oliver Rohe est un romancier français né en 1972. Il est né d'un père
allemand et d'une mère libanaise. Il vit entre Berlin et Paris. En 2007,
il publie, avec François Bégaudeau et Arno Bertina, un essai sur la
politique, Une année en France (Gallimard) et participe au roman
collectif Une chic fille (Inculte/Naïve), consacré à Anna Nicole Smith. Il
est le co-créateur de la revue littéraire et philosophique Inculte en
2004 (avec François Bégaudeau, Arno Bertina, Maylis de Kerangal,
Jérôme Schmidt, Mathieu Larnaudie...).
Il est l’auteur de trois romans, Défaut d’origine (Allia, 2003), Terrain
vague (Allia, 2005) et Un peuple en petit (Gallimard, 2009), ainsi que
d’une fiction biographique, Nous autres, sur David Bowie (Naïve,
2005).
Résidence en Région Île-de-France : Oliver Rohe à l’Union nationale
de l’apiculture française (Paris IV)
http://remue.net/spip.php?rubrique505
L’EDITEUR
Les éditions Inculte http://www.inculte.fr/
Nées en septembre 2004 autour de la revue inculte et de son collectif
d’écrivains dont Oliver Rohe, traducteurs et essayistes, les éditions
inculte ont construit en six ans un catalogue original et singulier.
Depuis janvier 2009, des parutions grand format, articulées en trois
collections – temps réel (essais), afterpop (fiction), monographie –
sont venues compléter les nombreuses rééditions de la revue L’Arc et
les numéros bimestriels de la revue.
SUPPLEMENTS
Presse
• Le Matricule des Anges 132 - Oliver Rohe sort les
armes
DOSSIER complet de l’auteur- Trilingue dès
l’enfance, mais orphelin de langue maternelle, il a
fait d’un défaut d’origine le socle d’une pensée
sans cesse en mouvement. Parution de son
sixième livre, Ma dernière création est un piège à
taupes...
• Kalach enrage, par Eric Loret in Libération
http://www.liberation.fr/livres/2012/05/09/kalach-enragee_817552
Ce qu'en dit le web
Portrait de l’artiste en Kalachnikov Par Jean-Philippe Cazier in
Médiapart
Si Ma dernière création est un piège à taupes tourne autour de la figure de Mikhaïl
Kalachnikov, inventeur du célèbre fusil d’assaut, l’autre personnage central est la
Kalachnikov elle-même (AK-47), dont Oliver Rohe relate la naissance et l’histoire,
parallèlement à la naissance et à l’histoire de son inventeur. Ce montage donne à la
Kalachnikov une vie particulière, avec ses singularités et son évolution, son biotope (la
guerre, le conflit) et même sa descendance mutante (AK-74, AK-M, AK-100, etc.). La
singularité de cette mécanique vivante est que sa finalité exclusive est la mort, que son
organisme fonctionne pour faire un maximum de victimes. Oliver Rohe décrit ainsi la
propagation de l’AK-47 qui, tel un virus mortel, se multiplie à travers le monde,
persévérant dans son être destructeur.
La Kalachnikov est une puissance de mort, la puissance d’une vie qui se retourne
contre la vie, ce qui, si l’on se souvient du Nietzsche de la Généalogie de la morale,
ferait de l’AK-47 le symptôme d’une volonté de pouvoir se réalisant contre et au
détriment de la vie. Ainsi, la fiction d’Oliver Rohe propose un diagnostic de la
civilisation qui est la nôtre et de son histoire récente : celle-ci apparait comme l’effet
d’une volonté orientée vers la mort et des stratégies d’un pouvoir qui ne peut être que
mortifère car il se constitue contre la vie. Mikhaïl Kalachnikov est lui-même un effet de
cette volonté qui dépasse l’AK-47 et son inventeur, puisqu’elle définit notre histoire
récente autant que notre actualité.
Le portrait de Mikhaïl Kalachnikov que dresse Oliver Rohe souligne la banalité de celui
qui « pourrait ressembler à n’importe quel vieillard » pour mieux insister sur la
généralité et la banalité, non pas du mal, mais de cette volonté de pouvoir et de ce
vers quoi elle tend. Mikhaïl Kalachnikov est n’importe qui et chacun peut être comme
le relais de cette puissance de mort qui pousse le jeune Mikhaïl à avoir sa première
expérience sexuelle avec un pistolet automatique, tant son énergie vitale s’investit
dans le pouvoir de tuer, d’« exterminer les générations de renards », d’« éradiquer le
peuple des taupes » : « Surtout il chassait les nuisibles. Embrasait les rongeurs de la
cave. Embrasait les insectes ».
Mikhaïl Kalachnikov et son invention ne font finalement qu’un, l’invention étant la
réalisation matérielle d’une force qui traverse son inventeur comme elle traverse le
siècle, les unissant dans l’identité d’un même but : supprimer la vie.
Oliver Rohe ne veut pas faire apparaitre une raison de l’histoire, une cohérence
totalisante. Il en regarde la surface, en décrivant de manière littérale les mouvements
qui la parcourent, il en suit les lignes récurrentes tout en les laissant à leur délire et à
leur chaos – un rapport à l’histoire plus cartographique qu’herméneutique que
l’auteur privilégie en suivant l’évolution et la diffusion planétaire de la Kalachnikov ou
en parcourant des archives vidéo et photographiques. Malgré ce qui a été dit jusquelà, le livre d’Oliver Rohe ne réduit pas l’histoire à une représentation pessimiste et
finalement nihiliste, ce qui serait un moyen d’expliquer et d’interpréter l’histoire une
fois pour toutes, donc de rassurer. Le livre est plutôt constitué du tracé d’une ligne
parmi d’autres, qui pourraient être pires ou meilleures. Et l’histoire est aussi une lutte
contre cette ligne de mort.
Oliver Rohe fait de l’AK-47 non une métaphore mais un opérateur qui permet de
suivre le tracé de cette ligne morbide qui, comme la persistance d’un symptôme,
traverse l’histoire du XXe siècle. Cette ligne est le signe d’un pouvoir à l’œuvre, d’une
volonté de mort dont la Kalachnikov est le révélateur et un des instruments. L’ancêtre
de l’AK-47 est un fusil d’assaut inventé par les ingénieurs de l’armée allemande, le
STG44, dont la Kalachnikov est une forme mutante mieux adaptée au massacre de
masse. La Kalachnikov n’a pas d’idéologie, elle sert indifféremment le nazisme ou le
stalinisme dans la mesure où leur finalité est la même : tuer. Ces idéologies sont
comme deux séries différentes mais convergentes, à l’intérieur desquelles se répète
une même volonté mortifère réduisant les corps à de simples chairs trouées de balles.
L’AK-47 permet la réalisation de cette volonté qui transforme les hommes en cibles
facilement et rapidement exterminables, fauchées à l’aveugle et en masse. La mort
s’industrialise et l’homme n’est que la matière de cette industrie, une matière soumise
à une production absurde puisque l’objet produit est le néant et la mort. La
Kalachnikov saute ainsi de série en série, mettant au jour la volonté qui
souterrainement les rassemble toutes : le nazisme, le stalinisme mais aussi le
capitalisme, qui est « l’idéologie qui désormais l’habite », puisque l’AK-47 se met à
incarner l’objet capitaliste par définition, « la marchandise idéale ». Productible
industriellement, indéfiniment déclinable selon les exigences du marché et donc
indémodable, facilement accessible et utilisable, donc diffusable à travers les marchés
les plus divers (armée, guérilla, criminalité, terrorisme), l’AK-47 s’assure « une
présence ininterrompue sur le marché concurrentiel de l’armement » en rassemblant
les vertus requises par ce capitalisme industriel ou financier qui croît sur les fosses
communes de l’histoire. D’autres séries, plus récentes, existent : « l’AK-47 imaginé par
un modeste mais inventif sergent de l’Armée rouge avait comme achevé sa grande
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tournée mondiale pour choir maintenant en un dernier effort d’expansion entre les
mains des moudjahidin afghans ». De l’Europe à l’Asie, de l’Amérique latine à l’Afrique,
de Beyrouth aux Khmers rouges, l’AK-47 se répand, mute, se dissémine, se propage
partout où existent des conflits, où l’autre est identifié comme ennemi – c’est-à-dire
partout, jusqu’au sein de l’empire soviétique qui finit par mourir à son tour. Le
personnage de Mikhaïl Kalachnikov se retrouve seul, victime passive d’un certain «
pourrissement interne », et cerné par la mort : celle de ses proches mais aussi celle
d’une Russie agonisante frappée par le cancer qu’elle a participé à déclencher.
La créature se retourne contre son créateur puisqu’il est lui-même porteur d’une vie à
laquelle, par définition, elle doit mettre fin, dans un accomplissement parfait de la
volonté de mort qui l’anime – la réalisation ultime de cette vie orientée vers la mort
étant sans doute, on l’aura compris, de se tuer elle-même : la mort totale et partout.
Pourtant, nous le disions, le livre d’Oliver Rohe n’est pas pessimiste car il est aussi
constitué d’une autre ligne, mêlée à la première, la chevauchant bien qu’elle en soit
différente et comme l’opposé puisqu’il s’agirait, circulant à travers le livre, d’une ligne
de vie. Celle-ci est elle-même multiple, avec comme première dimension un humour
mettant à distance cette réalité mortelle, la niant en tant que seule réalité possible :
qu’il s’agisse de moquer l’efficacité allemande ou la poésie soviétique de Mikhaïl
Kalachnikov, de mimer la rhétorique stalinienne, d’exhiber la bêtise de combattants en
fuite devant un singe armé, à chaque fois est renversé ce qui s’exprime comme
pouvoir et n’apparaît plus qu’absurde et dérisoire. La seconde dimension est celle de
l’exhibition de cette volonté de pouvoir mortelle, exhibition valant d’autant plus
comme critique et attaque que le pouvoir mortifère avance masqué, empruntant
toujours, souligne l’auteur, le discours positif de la libération et de la justice.
Une troisième dimension serait la présence du monde qui perdure malgré tout et avec
lequel un rapport affectif et joyeux est possible. Mikhaïl Kalachnikov n’est pas sensible
à la mort mondiale dont il est l’origine mais il est capable d’affects, même si ses affects
et sa jouissance sont toujours morbides. Il demeure capable d’entrer dans un étrange
rapport sensuel avec un pistolet automatique, avec tout ce qui est mécanique,
machinique, agencements d’acier froid et de mouvements automatiques et qui
constitue pour lui le monde. Sa sensualité et sa jouissance passent toujours par des
rapports avec le non humain et le non vivant. Pourtant ces rapports n’en produisent
pas moins des plaisirs et affects joyeux, proches des affects et de la joie qui habitent
les personnages de Sade cherchant dans la torture et le dépeçage de leurs victimes les
conditions de leur plaisir, mais demeurant suffisamment vivants pour extraire de la
mort qu’ils infligent les conditions qui prolongent la vie et le désir qui les traversent.
Mikhaïl Kalachnikov jouit alors que l’AK-47 ne jouit pas et la jouissance du créateur de
cette arme de destruction massive est le signe que, à travers et par-delà la mort, la vie
persiste. Une dernière dimension concernerait la création et l’œuvre d’art qui
continuent de s’affirmer contre la destruction de la vie. Mikhaïl Kalachnikov est un
étrange artiste. S’il est obsédé par l’efficacité destructrice de sa créature, il n’en est
pas moins obsédé par sa dimension esthétique : « Elle était magnifique dans ses lignes
et ses proportions parce qu’elle était en tout point conforme à ce qu’il avait imaginé, à
ses croquis et à ses travaux préparatoires ». Le personnage de Kalachnikov compose
des poèmes et même s’il s’agit de poèmes stupides, « célébrant la splendeur des
tourelles et la perfection géométrique des obus », ceux-ci demeurent l’indice d’une
volonté créatrice qui résiste à la mort et mobilise des affects vivants. L’AK-47 est
l’œuvre maîtresse de Kalachnikov, l’œuvre de toute sa vie et Oliver Rohe s’amuse à la
présenter comme une espèce d’œuvre pop connaissant un destin comparable à celui
des tableaux de Warhol : le drapeau « jaune vif » du parti de Dieu libanais « exhibe en
son centre une Kalachnikov couleur vert bouteille ». L’AK-47 est au fond caractérisé par
cette ambivalence, à la fois expression de la mort et de la vie qui la défie.
L’œuvre d’art est ce qui résiste au monde produit par le mouvement de mort qui le
traverse, elle est le symptôme d’une volonté de vie, d’un désir qui insiste et persiste y
compris à travers la mort et le massacre, comme le personnage de Mikhaïl Kalachnikov
est lui-même le signe ambivalent d’une vie qui ne meurt pas et résiste à la mort,
même si dans ce cas le mouvement de la vie doit être cherché au cœur de ce qui veut
la mort : « Il a survécu à tout […], mais rien de ce qui est grisant n’a pu l’étourdir et le
détourner de sa tâche, rien dans les tumultes et les remous du dehors n’a pu étouffer
en lui cette nécessité presque impersonnelle de persévérer dans ses armes ».
On le voit, la fiction d’Oliver Rohe n’est pas un éloignement du réel, pas plus qu’elle
n’en est une répétition plus ou moins déguisée. La fiction déplie le réel, l’étale pour en
faire voir les lignes qui le sillonnent et le construisent, lignes de mort et lignes de vie.
La fiction arpente le réel et le cartographie. Mais cette cartographie fictionnelle n’est
pas neutre : mobilisant par ses moyens propres – l’humour, l’imagination, la
description, etc. – ce qui attaque et corrode la mort, elle résiste à la mort et affirme la
vie. Et c’est aussi en tant que création que la fiction vaut contre cette volonté de
pouvoir mortelle qui a produit et continue de produire notre monde. L’écrivain serait
comme Mikhaïl Kalachnikov, survivant à tout. Il serait proche de ces gens qui, pour
lutter contre la mortalité infantile élevée, enfantaient « plus large pour s’assurer que
dans le tas au moins quelques-uns survivraient ».