Interlude : Juda et Tamar

Transcription

Interlude : Juda et Tamar
Interlude : Juda et Tamar
Tamar retira ses habits
de veuve, se couvrit d’un
voile et, s’étant rendue
méconnaissable,
elle s’assit à l’entrée
d’Einaïm qui est sur le
chemin de Timna.
Gn 38, 14
Marc Chagall, Tamar, belle-fille de Juda, Lithographie, 1960, www.bible-art.info
Service de la Parole
Diocèse de Lille
Année 2012-2013
Pour animer la rencontre D3/1bis
Mais que vient donc faire ce chapitre 38 dans l’histoire de Joseph ? L’un des personnages, Juda, est bien l’un des frères de Joseph qui a cherché à le vendre plutôt que de
le tuer. Mais apparemment l’histoire n’a rien à voir avec celle de Joseph. Certains
exégètes ont pensé cela mais une analyse plus fine permet de penser autrement.
1. Sans se soucier de la question posée ci-dessus, commençons par analyser le texte
pour lui-même, en suivant la fiche de lecture D3/2.
-
La fiche D2/3 nous aidera, grâce à quelques tableaux :
• A y voir clair dans les liens familiaux
• A commencer un découpage du texte à l’aide des expressions temporelles
• A voir plus finement les moments du récit qui s’organisent en intrigue,
c’est-à-dire ce qui se trame dans cette histoire.
-
La fiche D3/4 nous donne le sens d’une coutume, le lévirat, et le sens de noms de
personnes et de lieux, qui éclairent bien des choses.
2. En revenant sur chacun des personnages, avec la fiche D3/5, on mesurera le rôle
de chacun et la transformation qui s’opère dans le récit chez un des personnages
principaux, Juda.
3. C’est alors qu’il conviendra de reparler de l’histoire de Joseph telle que nous
commencions à la connaître au chapitre 37. On verra que l’interlude de Gn 38 est
certes autonome mais qu’il y a des points communs entre le sort de Juda et celui de
Jacob. Peut-être soupçonnerons-nous que la transformation de Juda par
l’intermédiaire de Tamar pourra avoir une influence sur son comportement dans la
suite de l’histoire de Joseph.
4. Cette histoire de ruse, de mensonge et de vérité ne peut nous laisser
indifférents. Elle peut questionner ou éclairer nos propres histoires.
5.
Enfin nous prierons avec le Ps 1 dans lequel le psalmiste ne propose pas de mentir,
au contraire !
Genèse 38 Interlude Pour lire le texte D3/2
A cette époque, Juda quitta ses frères et se rendit à Adoullam, chez un
nommé Hira. 2Là il aperçut la fille d'un certain Shoua, un Cananéen. Il
en fit sa femme. De son union avec lui, 3elle devint enceinte et mit au
monde un fils, que Juda appela Er. 4Cette femme eut un autre fils ; elle
l'appela Onân ; 5puis un autre encore, qu'elle appela Shéla. Juda était à
Pour lire le texte
Keziv au moment de cette naissance.
6
Juda maria son fils aîné Er à une femme nommée Tamar. 7Er déplut
1- Quelles expressions se
tellement au Seigneur que celui-ci le fit mourir. 8Alors Juda dit à Onân :
rapportent au temps ?
« Tu connais ton devoir de proche parent du mort : tu dois donner une
9
- Proposer un découpage
descendance à ton frère. Épouse donc sa veuve. » Mais Onân savait
du texte.
que l'enfant ne serait pas considéré comme le sien. C'est pourquoi,
chaque fois qu'il avait des rapports avec sa belle-sœur, il laissait tomber
- A quoi correspondent ces
sa semence à terre, pour ne pas donner d'enfant à son frère. 10Cette
différents moments dans
conduite déplut au Seigneur qui le fit mourir lui aussi. 11Juda dit alors à
le récit ?
sa belle-fille Tamar : « Puisque tu es veuve, va habiter chez ton père en
attendant que mon fils Chéla soit devenu adulte. » Il se disait en effet :
2- Quelle est la situation
« Il ne faut pas que Shéla meure lui aussi comme ses frères. » Tamar
initiale ?
s'en alla donc habiter chez son père.
12
- Quels sont les
Après un certain temps, la fille de Shoua, femme de Juda, mourut.
Quand la période du deuil fut terminée, Juda se rendit à Timna, avec
personnages ? Quelle
son ami Hira d'Adoullam, pour voir ceux qui tondaient ses moutons.
relation ont-ils entre
13
Lorsque Tamar apprit que son beau-père allait à Timna pour tondre
eux ?
ses moutons, 14elle quitta ses habits de veuve, se couvrit le visage d'un
voile et alla s'asseoir à l'entrée d'Einaïm qui est sur le chemin de Timna.
3- Qui a l’initiative de la
En effet, elle s'était rendu compte que Shéla était devenu adulte, mais
15
transformation de la
qu'elle ne lui avait pas été donnée pour femme. Juda vit Tamar et la
prit pour une prostituée, parce qu'elle avait voilé son visage. 16Ne
situation ?
sachant pas que c'était sa belle-fille, il se dirigea vers elle au bord du
- Qui aide l’acteur
chemin et lui dit : « Laisse-moi venir avec toi. » — « Que me donnerasprincipal ?
tu pour cela ? » répondit-elle. 17« Je t'enverrai un chevreau de mon
- Qui est opposant ?
troupeau », dit-il. Elle répliqua : « Oui, mais donne-moi un gage en
attendant. » — 18« Quel gage veux-tu ? » demanda-t-il. Elle répondit :
4- Quelle est la situation
« Ton cachet personnel avec son cordon, et le bâton que tu tiens. » Il
19
finale ?
les lui donna et alla avec elle. Elle devint enceinte de lui. Elle rentra
chez elle, enleva son voile et reprit ses habits de veuve.
- Quelle est la conclusion ?
20
Juda envoya son ami d'Adoullam porter le chevreau promis et
récupérer les objets donnés en gage à cette femme. Son ami ne la
5- Qu’est-ce qui se trame
trouva pas ; 21il demanda aux gens d'Einaïm : « Où est cette prostituée
dans cette histoire ?
qui était au bord du chemin, près d'ici ? » — « Il n'y a jamais eu ici de
22
Quel est son rôle dans
prostituée », répondirent-ils. L'ami revint dire à Juda : « Je ne l'ai pas
l’histoire de Joseph ?
trouvée et les gens de l'endroit m'ont même affirmé qu'il n'y avait jamais
23
- Comment le narrateur
eu là de prostituée. » Juda lui répondit : « Qu'elle garde ces objets !
Ne nous rendons pas ridicules. En tout cas, j'ai envoyé le chevreau, et
conduit-il peu à peu le
toi, tu n'as pas retrouvé cette femme. »
lecteur à la découverte
24
Environ trois mois plus tard, quelqu'un vint dire à Juda : « Ta belle-fille
de l’intrigue ?
Tamar s'est prostituée ; la voilà enceinte. » — « Qu'on l'emmène,
ordonna Juda, et qu'on la brûle vive ! »
25
Pendant qu'on l'emmenait, elle fit dire à son beau-père : « Regarde
6- Quelles leçons peut-on
ces objets. Ce cachet personnel, ce cordon et ce bâton appartiennent à
l'homme dont je suis enceinte. Tâche de savoir qui est cet homme. »
tirer pour nous de ce
26
Juda reconnut les objets et déclara : « Elle a respecté la loi mieux que
récit ?
moi. C'est vrai ! J'aurais dû la donner pour femme à mon fils Shéla et je
ne l'ai pas fait. » Juda n'eut jamais plus de relations sexuelles avec elle.
27
Au moment de l'accouchement on s'aperçut qu'elle avait des jumeaux.
28
L'un d'eux sortit alors un bras. La sage-femme le saisit et y attacha un
fil rouge. « Celui-ci est le premier-né », dit-elle. 29Mais l'enfant retira son
bras et son frère vint au monde. La sage-femme s'exclama : « Quelle
brèche tu as ouverte ! » Juda l'appela donc Pérèç — ce qui veut dire
“Brèche” —. 30Puis l'autre enfant vint au monde, avec le fil rouge au
bras, et Juda l'appela Zérah.
Gn 38 : Comment se trame cette histoire D3/3
Qu’est- ce qui fait passer d’une situation initiale de malheur : la mort de deux fils mariés à
Tamar, à une issue positive : la naissance de deux fils de la même Tamar ?
Quelques repères temporels
Une histoire de famille
Juda épouse la fille de Shoua, un cananéen
Er, le fils aîné
épouse Tamar
et meurt
Onân, 2ème fils
ne veut pas donner
de descendance
à son frère défunt
Shéla , le cadet
Juda ; son père
refuse de le
donner à Tamar.
L’exposition commence par « en ce
temps-là » (v.1) situant l’action à l’époque
du deuil de Jacob suite à la disparition de
Joseph. L’action se complique lorsque
« les jours se multiplient » après le renvoi
de Tamar (v.12). Elle se précipite et
atteint son sommet au moment où la
grossesse trahit la femme « environ trois
mois plus tard », ce qui entraine le
dénouement : le jugement rendu par
Juda (v.24-26). Elle trouve son épilogue
« au temps de l’enfantement des
jumeaux»(v.27)
Une intrigue à plusieurs facettes
Exposition
Situation initiale
Dans la famille de Juda, le mal et la mort font des ravages et engendrent la
méfiance.(v.1à 11)
Complication
Veuvage de Juda (v.12) Fête de la tonte du troupeau (v.12-13)
Préparatifs de Tamar (v.14)Tractation de Juda avec la prostituée (v.15-18)
Vaine recherche du compagnon aduhlamite (v.19-23)
Action décisive
Tamar prend les choses en main (v.14-19)
La grossesse de Tamar devient évidente et Juda l’apprend (v.24)
Sentence de mort
Retournement
Exhibition des signes de la paternité de Juda (v.25)
Reconnaissance : la réaction juste de Juda (v.26)
Résolution ; Tamar est déclarée innocente.
Dénouement
Epilogue
situation finale
Naissance des jumeaux (v.27-30) à la place des deux fils morts.
L’intrigue de ce récit est bien unifiée, et chacun de ses éléments y a son importance. Elle conduit
le lecteur de la mort des deux fils mariés à Tamar à la naissance de deux fils de la même Tamar.
L’objet de la trame du récit est d’apporter une issue positive à une situation initiale de malheur.
Mais cette issue ne serait pas possible sans que Juda évolue, passant de la méfiance et de
la crainte à la confiance envers sa bru. Aussi la trame de la résolution suit-elle la transformation
du personnage. Mais de manière concrète, celle-ci implique une stratégie de révélation qui conduit
le lecteur à découvrir les vrais visages de Tamar et de Juda.
D’après Cahiers Evangile, n°107 p.49 à 51, A .Wénin
Repères – D3/4
Autre temps, autres moeurs ! Le sens des mots n’est pas sans importance pour
comprendre le sens de l’histoire.
Prostituée par devoir ! La loi du lévirat
Deux lieux riches de sens
« Etonnante est la liaison incestueuse de Tamar
avec son beau-père Juda ; [mais] elle a pour
cadre la loi du lévirat qui stipulait que si un
homme venait à mourir sans enfant mâle, sa
veuve ne pouvait pas se remarier en dehors de
la famille. C’était à son beau-frère de la prendre
pour femme et de « faire à son égard son devoir
de beau-frère » (Dt, 25,5-10). Le premier fils
qu’elle mettrait au monde assurerait ainsi la
continuité de la lignée masculine et l’on éviterait
l’aliénation des terres. Celui qui se soustrayait à
ce devoir était déshonoré. Dans ce contexte,
Tamar déjouera les pièges de Juda, son beaupère ! Est-ce par peur de cette « mangeuse
d’hommes » qui avait déjà fait mourir deux de ses
fils ? Toujours est-il qu’il avait fait en sorte qu’elle
ne puisse pas épouser son troisième fils. Mais
c’était sans compter sur la ténacité de Tamar qui
se déguisa en prostituée et, sur la route de
Timna, séduisit Juda dont elle eut des jumeaux.
Devenant ainsi une des ancêtres du roi David, elle
est citée dans la généalogie de Jésus (Mt, 1,3) ».
Keziv
(38,5) : « Ce nom, que le narrateur
mentionnait sans raison apparente, est à
rapprocher sans doute du verbe kazav, « mentir,
tromper ». Il pourrait désigner un oued, un cours
d’eau intermittent qui ne coule qu’en temps de
pluie, torrent aux eaux non fiables, décevantes (en
hébreu ‘akhzav). N’est-ce pas là ce que le lecteur
découvre de Juda, lorsqu’il se montre non fiable,
précisément parce qu’il tente de protéger de la mort
Shéla, devenu son aîné par la force des choses ? »
A.
Wénin, Joseph ou l’invention de la fraternité, Lessius,
2005, p. 94
La prostitution de Tamar est néanmoins
« assimilable à un adultère, un délit passible de
la peine de mort. Dans ce cas, si Juda déclare
juste sa belle-fille, c’est qu’il estime que la
conduite de celle-ci est justifiée par sa propre
injustice ».
L’entrée d’Einaïm (38, 14) : Le sens de
l’expression est « Porte de deux sources » -plus
littéralement « ouverture de deux yeux ». « Depuis
les chapitres 24 et 29, le lecteur de la Genèse
n’ignore plus qu’une rencontre entre un homme et
une femme près des eaux non loin d’un bourg peut
préluder à une union en principe féconde. […] Mais
il y a aussi l’ironie mordante aux dépens de Juda,
[ironie qui] naît du contraste entre l’ « ouverture des
deux yeux » de Tamar qui « voit que Shéla a
grandi » sans qu’elle lui ait été donnée, et
l’aveuglement de Juda, qui croyait tout savoir, mais
est à présent démasqué à son insu par Tamar ».
Cahier Evangile 107, p. 55
Ibid., p. 96.
Dossiers de la Bible, 88, p.23
Sceau, cordon, bâton (38,18) :
Pérèç et Zérah, ou Brèche (Percée) et Eclat (38, 29 et 30)
« Ces objets portaient des
marques
identifiant
leur
propriétaire : le cordon était
sans doute passé dans l’axe
d’un sceau cylindrique ou d’un
anneau qui servait de cachet.
Le mot bâton signifie aussi tribu,
peut-être en référence au bâton
qui symbolise l’autorité du chef
de tribu »
En attribuant ces noms aux jumeaux, « Juda rappelle peut-être
[…] l’essentiel de son histoire avec la mère. Car, chacun à sa
manière, ces deux noms disent que la vie a traversé l’impasse
pour renaître. Pérèç parle de percée et de débordement, et
Zérah évoque le rayonnement du soleil, son éclat au sortir de
la nuit. C’est qu’avec eux, Juda tient la preuve que Tamar n’est
pas porteuse de mort comme il l’a cru un temps, mais que, au
contraire, c’est grâce à elle que la vie l’emporte. Témoins, les
jumeaux qui naissent, comme pour remplacer les deux morts.
Juda, comme le lecteur, est donc laissé face à la vie qui
recommence par-delà la mort, la peur et le mensonge, une vie à
son lever qui, en ces deux fils, « perce » et « éclate » ».
Note de la Bible Segond, édition de
2002, p. 74.
A. Wénin, Joseph… (ouvrage cité ci-dessus), pp.101-102.
La transformation de Juda – D3/5
Grâce au Seigneur et à Tamar ce chapitre 38 est le témoin de la transformation de Juda.
Juda
Le Seigneur
Juda est le 4
fils de Jacob et Léa (Gn29,35). En Gn 27
il suggère de vendre Joseph plutôt que de le tuer :
« Malgré tout, il est de notre famille. Il est notre frère. »
« Er, l’aîné de Juda, fut mal aux yeux du
Seigneur et le Seigneur le fit mourir. » (38,7)
ème
Quand le passé se répète
Au ch.38 Juda quitte ses frères et va chez les
Cananéens, où il se marie. Il fonde ainsi sa propre famille
et semble chercher à tourner la page. Mais son passé le
rattrape. Lui aussi va perdre ses enfants, lui aussi est
trompé. Pourtant, il a cherché à contrôler les siens :
Dans la Genèse, il est le seul père qui choisisse luimême l’épouse de son fils. Puis il ordonne à Onân de se
plier à la règle du lévirat et renvoie Tamar dans sa
famille. Les deux fois où le narrateur rapporte ses paroles
il s’agit d’un ordre (38,8 et 11). Pourtant, les choses lui
échappent : Le Seigneur fait mourir ses fils, Onân
transgresse son ordre, et Tamar contourne l’obstacle.
Bref, chercher à fuir le passé semble inutile, il refait
surface d’une manière ou d’une autre, engendrant
d’autres souffrances.
Juda, père de famille
Les deux fils que le Seigneur fait mourir reflètent quelque
chose de leur père. Er est associé à la façon autoritaire
dont le père conçoit sa paternité. Quant à Onân, en
dupant son père et en niant tout avenir à son frère
décédé, il reproduit ce que Juda a fait comme fils et frère
avec Jacob et Joseph. Mais Juda ne saisit rien et ne se
pose aucune question sur la mort de ses fils. Il continue à
imposer ses volontés. Ce qui préside à son agir et à ses
décisions est pourtant un désir de vie. Mais à ce stade
ce désir est perverti en peur de la mort. C’est grâce à
Tamar qu’il verra que prendre le risque de la vie, c’est
s’ouvrir à elle.
La vérité, source de vie
Quand il renvoie Tamar chez elle Juda lui cache une
partie de la vérité. Celle-ci s’en aperçoit et l’oblige à
reconnaître la vérité (v.25). Juda alors reconnaît la
justice de Tamar et avoue sa propre faute (v.26).
Dans la suite du récit Juda va de nouveau se retrouver
face à son passé, quand Joseph le mettra à l’épreuve. Sa
réaction sera différente de celle de ses frères, comme s’il
avait tiré la leçon de son expérience passée.
En soulignant à nouveau que Er est « l’aîné
de Juda », le narrateur insinue que c’est en
tant que tel qu’il est « mal » aux yeux du
Seigneur, ce Dieu qui, depuis le début du
livre de la Genèse, opère et garantit de
justes séparations pour que la fusion
n’étouffe pas la vie mais qu’au contraire
de justes relations puissent s’établir.
Lorsqu’il casse aussi brutalement un lien si
bien engagé entre Juda et « son » aîné, le
Seigneur n’envoie-t-il pas un message au
père ? Juda ne capte pas le signe. Il tente
d’exercer la même emprise sur Onân. Celuici se rebiffe et le trompe : Ce refus de
fraternité et de vie lui vaut de mourir
également de la main du Seigneur, ce qui
confirme que celui-ci intervient là où le
« mal » pervertit les relations familiales.
Tamar
« Parce qu’elle a vu que Shéla avait grandi
mais qu’elle ne lui avait pas été donnée pour
femme (v.14b) Tamar attend Juda au bord
de la route. Juda, lui qui croyait tout savoir,
est aveugle et démasqué par Tamar. Bien
que voilée elle garde les yeux en face des
trous et gère parfaitement la situation à
son avantage. Tamar écoute son désir de
vie mais table aussi sur celui qu’elle peut
supposer chez Juda. Elle cherche à assouvir
son propre désir de maternité, mais aussi le
vieux désir de Juda d’avoir une descendance
par son fils aîné, désir englué dans la peur.
Puis, avec respect mais fermeté, elle invite
Juda à reconnaître une vérité à laquelle il
s’est refusé jusque là. Elle en appelle à son
sens des responsabilités et de la justice.
Grâce à cet épisode le lecteur sait qu’une issue heureuse peut être atteinte par des voies inattendues
et qu’une ruse bien dosée peut aider à l’accouchement de la vérité sans que les coupables soient
écrasés par leurs méfaits parce qu’ils en sortent transformés.
Il sait aussi qu’un agir répréhensible mais calculé peut conduire au triomphe de la justice sans que
les fauteurs de l’injustice aient à réparer autrement qu’en laissant à leur victime d’autrefois le soin de les
guérir de leur injustice, fût-ce au prix d’une souffrance inévitable, mais mesurée.
d’après André Wénin, CE 130 et Joseph ou l’invention de la fraternité, Lessius
Interlude D3/6
L’aventure de Juda avec Tamar interrompt l’histoire de Joseph au moment où ce dernier
arrive en Egypte. Il faut s’interroger sur sa fonction à cet endroit du récit.
Rupture : Une histoire bien délimitée
Du suspense…
La délimitation de l’unité narrative ne pose
pas de problème, d’autant que le narrateur a
pris soin de noter, par une répétition, qu’il
reprend en 39,1 le fil laissé pendant en 37,6.
L’effet premier d’une digression dans une
histoire à épisode comme l’histoire de Joseph
est d’introduire un retard qui accroît la
tension. Le lecteur qui attend d’en savoir
plus sur le héros vendu en Egypte est obligé
de patienter tandis qu’il suit les aventures
navrantes de celui qui a proposé de le
vendre.
L’action est bien unifiée et n’a rien à voir
directement avec la vente de Joseph ou le
deuil de Jacob.
Enfin, à l’exception de Juda, les personnages
sont tous différents et ils évoluent en d’autres
lieux, ce que souligne d’emblée l’amorce du
récit (v.1).
De plus, le laps de temps couvert par
l’épisode de Juda est très long de sorte que
l’on se demande ce que devient Joseph
durant tout ce temps.
Proximité des deux histoires
•
•
•
•
Ironie ! Comme son père Jacob, Juda connaît des problèmes avec ses fils. Après avoir
trompé son père avec un vêtement à cause d’un cadet trop aimé, Joseph (37,33), le voici
abusé par une femme qui change de tenue pour duper ce père protégeant son cadet
(38,15-16). De même qu’il demandait à Jacob de reconnaître la tunique, signe de son
forfait caché (37,31-32), il se voit ici invité par la femme à reconnaître le signe d’une faute
éventée (38,25-26).
Mais il n’est pas indifférent que Juda fasse l’expérience du dupeur dupé pour apprendre
la force de la vérité et constater qu’elle porte un fruit de vie. C’est peut-être par cette
expérience que Juda s’éloigne le plus de ses frères (v.38,1).
Vis-à-vis de sa bru, Juda se met dans son tort lorsqu’au prix d’une injustice, il fait en sorte
de l’écarter, craignant pour ses propres intérêts. (38,11.14). A bien y regarder, cette faute
présente comme une version douce du scénario bien plus violent dont Joseph a été
victime (37,19.31-32).
Il y a aussi à découvrir bien des liens avec les chapitres 39 et suivants : l’utilisation de
stratagème ingénieux, la visée de la ruse… si bien que Gn 38 pourrait être une clé de
lecture pour la suite.
Prier avec le psaume 1
Heureux est l'homme
qui n'entre pas au conseil des méchants,
qui ne suit pas le chemin des pécheurs,
ne siège pas avec ceux qui ricanent,
mais se plaît dans la loi du Seigneur
et murmure sa loi jour et nuit !
D’après , A. Wénin, Cahiers Evangile n°107 p .49.55-57
Il est comme un arbre
planté près d'un ruisseau,
qui donne du fruit en son temps,
et jamais son feuillage ne meurt.
Le Seigneur connaît le chemin des justes,
mais le chemin des méchants se perdra.