Université Cheikh Anta Diop de Dakar Cours : Prof. Patrice S
Transcription
Université Cheikh Anta Diop de Dakar Cours : Prof. Patrice S
Université Cheikh Anta Diop de Dakar Cours : Prof. Patrice S. BADJI Coord. : Ndeye F.LECOR Faculté des Sciences Juridiques et Politiques Licence II Droit des Obligations – Semestre III Année académique 2014-2015 Séance n° 1 Thème : Théorie générale du contrat Travail à faire : Dissertation Sujet pour tous les groupes : L’évolution du principe de l’autonomie de la volonté Bibliographie : - Tosi J.P., Le droit des obligations au Sénégal, LGDJ, 1981 - Carbonnier J., Flexible droit, 10 éd, LGDJ, 2001 - Thibierge C., Libres propos sur la transformation du droit des contrats, RTD Civ.1997, P. 357 - Jamin C., Plaidoyer pour le solidarisme contractuel, Mélanges Ghestin, 2001, p. 441 et s. Document 1 : Sacco R., Liberté contractuelle, volonté contractuelle, RIDC 4-2007, pp. 744-747 LIBERTÉ CONTRACTUELLE, VOLONTÉCONTRACTUELLE 1. De l’autonomie à la volonté Dans la philosophie spontanée et implicite de toute époque, la règle de droit qui naît comme conséquence de tel ou tel acte juridique est une petite loi capable de régir, dans une occasion ou un petit nombre d’occasions, le comportement d’un sujet ou d’un petit nombre de sujets. En fait foi la définition de la loi comme d’une communisreipublicaesponsio(D. I, III,1), et, réciproquement, la vision de la convention comme d’un acte qui tient lieu de loi à ceux qui l’ont faite (Code Nap., art. 1134). La conception de Hans Kelsen, qui voit l’ordre juridique comme un système à marches successives, nous offre une vision raffinée de cette symétrie entre la règle étatique et la règle individuelle. Le pouvoir de créer la norme privée a un nom : autonomie. Cette expression se rapporte, littéralement, à la situation de celui à qui il appartient d’établir les règles qui le concernent. On ne connaît pas de systèmes de droit où il n’existerait aucune autonomie des sujets. L’instrument de l’autonomie est l’acte. Qui veut le respect de la personne humaine veut l’autonomie. Il la veut à la condition que l’exercice de l’autonomie ne nuise pas aux tiers. L’autonomie nous permet de constituer, par la célébration du mariage, une famille. L’autonomie multiplie l’importance de la propriété, en vertu du pouvoir de tester. L’autonomie permet de satisfaire ses propres besoins et nécessités, en les 1 graduant conformément à des priorités subjectives et des préférences personnelles. On pourvoit à ces besoins par des échanges, qui, pris dans leur ensemble, constituent le « trafic » juridique à l’oeuvre dans la société. Le droit encourage et protège ce trafic, car l’acte du particulier, qui poursuit l’avantage individuel, ne peut pas produire en même temps un avantage pour la société (l’acheteur achète à celui qui vend au meilleur prix, et c’est celui qui adopte, dans la production, le procédé le plus économique, qui vend au meilleur prix ; le vendeur aliène à celui qui lui offre le prix le plus élevé, et c’est celui qui va tirer du bien l’utilité la plus grande qui offre la mise la plus élevée). La première raison de la protection de l’autonomie se trouve dans la fonction sociale que remplit la volonté individuelle. Le respect de l’autonomie a un sens, car il n’est autre chose que le respect de la volonté individuelle. Si le « trafic » consistait en déclarations toutes affectées d’erreurs, toutes détachées de volontés correspondantes, toutes créées par des comportements involontaires, alors il vaudrait mieux leur refuser toute reconnaissance. Le droit français (ainsi que le droit de tous les pays libéraux) place sur le devant de la scène l’autonomie, notamment le contrat. Puisque le contrat est vu, à juste titre, comme l’expression de l’autonomie, et que l’autonomie est le pouvoir de la volonté, il s’en suit que la volonté (ou mieux la rencontre de deux volontés) est le contrat. 2. Limite de l’autonomie, limite du pouvoir de la volonté Les atteintes au principe de la volonté peuvent avoir deux origines. D’un côté, l’autonomie peut être mise en cause. Faut-il assurer la protection du droit à un contrat qui va à l’encontre de la règle morale, des intérêts de la collectivité, de l’idéologie qu’exprime le pouvoir politique, de la justice ? D’un autre côté, même là où l’autonomie règne sans problèmes, il faut examiner l’hypothèse de la déclaration contractuelle (pleinement permise à ceux qui l’ont voulue librement, consciemment et sans erreur) émise sans volonté. Ici, le problème consiste à décider si, pour le droit, la déclaration qui est en conflit avec la volonté réelle est efficace ou non. Le problème de la limite de l’autonomie n’a rien à voir avec le problème du conflit entre volonté déclarée et volonté interne. La littérature oublie souvent cette distinction. Si le problème est celui de la limite de l’autonomie, le cœur est prêt à nous donner toutes les explications nécessaires. Des limites sont imposées à l’omnipotence de la volonté, car à partir du XIXe siècle le droit renonce à l’inspiration individualiste et libérale, le droit entre dans une phase de socialisation, le juriste se soucie du bien commun et du principe de justice. D’ailleurs, le thème de notre essai n’est pas l’étendue de l’autonomie. Notre thème est le mécanisme prévu pour exercer le pouvoir autonome. Si nous voulons l’autonomie, nous voulons le pouvoir de la volonté. Cela suffit-il pour dire que la volonté est toujours et sans réserve l’unique moyen pour l’exercice de notre pouvoir ? Cela suffit-il pour conclure en faveur de l’équation biunivoque « volonté = exercice de l’autonomie contractuelle » ? Document n° 2 Fabre-Magnan M., Les obligations, PUF, Thèmis, 2004, pp. 56-58. 2 1- L’explication par la toute puissance de la volonté : l’autonomie de la volonté Classiquement, la réponse à la question de la force obligatoire du contrat est recherchée du côté du débiteur, de celui qui s’engage, et l’explication proposée est la théorie de l’autonomie de la volonté. Dire que la volonté est autonome signifie qu’elle peut se donner à elle-même sa propre loi (du grec autonomos, composé de auto, soi-même, et nomos, la règle, équivalent du latin lex). L’hétéronomie impose au contraire que la loi soit imposée de l’extérieur. La théorie de l’autonomie de la volonté explique donc la force obligatoire du contrat par la toute puissance de la volonté qui peut se donner à elle-même sa propre loi et aussi par la même se contraindre. L’individu est obligé parce qu’il l’a voulu et il n’est obligé que dans la mesure où il l’a voulu. On trouve trace de cette explication dans l’article 1134 du Code civil selon lequel si les conventions légalement formées « tiennent lieu de loi », c’est seulement à « ceux qui les ont faites », suggérant ainsi que la force obligatoire du contrat vient de la volonté propre des parties s’étant données cette loi. Cette idée se retrouve dans plusieurs adages classiques tels que « Tu paterelegemquamipsefecisti » (subis les conséquences de la loi que tu as toi-même faite). La justification de la toute puissance ainsi donnée à la volonté réside en outre dans l’idée selon laquelle le contrat ne peut qu’être juste s’il est laissé à la libre détermination des parties. C’est le sens de la célèbre expression de Fouillée, juriste du XIXe siècle : « Qui dit contractuel, dit juste. » Mais, cette explication ne suffit pas à rendre compte de la force obligatoire du contrat. Historiquement tout d’abord, la théorie de l’autonomie de la volonté n’est apparue qu’au XIXe siècle, et ce dans la doctrine internationaliste. On en trouve aussi souvent trace dans les travaux de Kant, bien que cette filiation soit aujourd’hui discutée. Quoi qu’il en soit, de nombreux contrats étaient obligatoires dès le droit romain, bien avant donc que l’explication de l’autonomie de la volonté ne soit proposée. L’argument de la toute puissance de l’autonomie de la volonté est aussi souvent écarté au motif que si la volonté était toute-puissante, elle devrait pouvoir se lier mais aussi se délier : la volonté passée de s’engager ne devrait en effet pas prévaloir sur la volonté présente de ne pas exécuter. En d’autres termes, si seule la volonté individuelle se donnait sa propre loi, elle devrait pouvoir se désengager aussi facilement qu’elle s’était engagée. La justification de la force obligatoire du contrat ne pourrait donc pas résider dans la seule volonté de celui qui s’oblige. Enfin d’un point de vue philosophique, il n’est pas nécessaire de passer par la toute puissance de la volonté, fût-elle subordonnée à la raison comme chez Kant, pour expliquer la liberté. Il faudrait sans doute au contraire pouvoir d’abord être certain de l’existence de la liberté pour apprécier s’il est possible de pouvoir. Le Conseil constitutionnel a jugé à plusieurs reprises qu’il n’existe aucun principe à valeur constitutionnelle dit de l’ « autonomie de la volonté ». Cette position est sage, dans la mesure où, n’étant pas un principe juridique de droit positif, il était impossible de lui reconnaître une quelconque valeur positive et, en particulier, une valeur constitutionnelle. Le principe de l’autonomie de la volonté n’est qu’une des explications philosophiques possibles de la liberté 3 contractuelle et surtout de la force obligatoire du contrat. Pour la même raison et contrairement à ce que le Conseil constitutionnel a affirmé dans quelques décisions plus anciennes, l’autonomie de la volonté ne peut être incluse dans les principes fondamentaux du régime des obligations civiles et commerciales visés par l’article 34 de la Constitution. La doctrine semble aujourd’hui s’accorder pour rejeter la théorie de l’autonomie de la volonté qu’elle avait longtemps unanimement admise. Il ne faudrait pas cependant passer à un autre extrême. Le rôle de la volonté demeure de l’essence du contrat et son critère le plus sûr : le contrat est en effet le mode volontaire de souscription d’obligation. C’est la particularité même (et certes le paradoxe) de la liberté contractuelle, d’être une liberté de se lier et donc d’abandonner une partie de sa liberté. Le droit des contrats demeure imprégné de cette volonté des parties, qui est par exemple le guide de l’interprétation des contrats : à la différence de certains droits étrangers, c’est ainsi la recherche de la commune intention des parties qui sera déterminante plus encore que les termes exprimés dans le contrat. Il est vrai cependant que le seul examen de la volonté de celui qui s’oblige ne suffit pas à expliquer pourquoi il ne peut se délier. En d’autres termes, la volonté est une condition nécessaire mais non suffisante de la force obligatoire du contrat. Il faut alors au moins prendre en considération le destinataire de la parole donnée. Document n° 3 SAVAUX E- Petites affiches, 28 novembre 2012 n° 238, P. 4 La notion de théorie générale, son application en droit des contrats Théorie générale du contrat et théorie générale des contrats spéciaux Existe-t-il une théorie générale des contrats spéciaux ? La question fait écho à celle posée naguère : la théorie générale du contrat existe-t-elle (1)? L'identité de la problématique et la proximité des objets auxquels elle s'applique justifient le thème de cet exposé introductif. Il s'agit de savoir si l'on peut tirer des enseignements de l'analyse conduite sur la théorie générale du contrat pour la réflexion actuelle sur la théorie générale des contrats spéciaux. De quoi parle-t-on exactement lorsque l'on invoque ce concept ? Quelle est la nature exacte — ou l'objet — d'une théorie générale des contrats spéciaux ? Qui la fait, dans quel(s) but(s) ? (...). Peut-être ce que l'on a découvert de la théorie générale du contrat peut-il aider à la compréhension de la théorie générale des contrats spéciaux. Les juristes raffolent des théories et notamment des théories générales, qui pullulent en droit : la théorie générale du procès, celle de la suspension du contrat de travail, celle des circonstances aggravantes... la théorie générale du droit aussi. La théorie est alors considérée, pour l'essentiel, selon le sens que le vocabulaire Capitant donne au mot « théorie juridique » : « activité doctrinale fondamentale dont l'objectif est de contribuer à l'élaboration scientifique du droit, en dégageant les questions qui dominent une matière, les catégories qui l'ordonnent, les principes qui en gouvernent l'application... ». Quant à la notion de théorie générale, elle n'est approfondie que lorsqu'elle est appliquée au droit. La définition varie selon les auteurs, 4 mais il s'agit toujours d'une activité doctrinale de pénétration de l'essence du juridique, indépendamment des particularités des branches du droit ou des systèmes juridiques. En revanche, quand il s'agit de la théorie générale de tel ou tel élément particulier, la notion n'est généralement pas définie, mais l'objet est de saisir le tout de l'institution considérée. Selon l'indication fournie par Didier Martin, « Le propos d'une théorie générale répond à l'idée d'une construction intellectuelle, méthodique et organisée, visant à ériger en synthèse cohérente la pensée relative à une matière déterminée » (2). À cet égard, théorie générale du contrat et, dans une moindre mesure, théorie générale des contrats spéciaux apparaissent comme d'étranges théories. En effet, ces locutions ne désignent pas une activité de la doctrine, mais une fraction du droit positif. Tel est le cas lorsqu'un auteur indique que « la théorie générale des contrats (...) réunit les règles qui sont communes à tous les contrats » (3), ou que d'autres précisent qu'il « s'agit d'une théorie générale, qui ne s'attache pas au particularisme des contrats spéciaux... La théorie est donc abstraite, ayant pour objet les règles communes à l'ensemble des contrats » (4). La théorie générale du contrat désigne alors les règles applicables à tous les contrats (5), par opposition à celles valant pour chacun des différents types (art. 1582 à 2070). La théorie générale du contrat s'oppose alors au droit des contrats spéciaux. L'assimilation de la théorie générale du contrat à une fraction du droit positif n'est cependant pas totale. Des variations de sens sont observables dans la doctrine qui utilise la formule sans grande rigueur. Ainsi, lorsque les auteurs précités jugent, l'un, « que les auteurs ont contribué à élaborer la théorie générale des contrats et des obligations » (6), les autres que « depuis le milieu des années 1980, une aspiration au retour à la théorie générale du contrat... se manifeste dans la doctrine et dans le droit positif » (7). La théorie générale n'est alors pas réductible à un ensemble de normes. Elle emprunte, au moins pour partie, à la science du droit, ce qui rend tolérable l'utilisation du mot « théorie ». L'analyse de ces divergences a démontré l'existence de deux phénomènes (8). Le premier est une tendance irrésistible à confondre la théorie générale et le droit commun des contrats, ce qui fonde le mythe de sa positivité. Le second, corrélatif, est une dissimulation de la nature véritable de la théorie générale du contrat qui est une activité de la science du droit dans le domaine du contrat, et le produit de cette activité. Les règles générales positives du contrat ne constituent pas la théorie générale du contrat qui se trouve ailleurs. La théorie générale des contrats spéciaux suscite les mêmes conclusions, avec des nuances importantes. Il est difficile de dater exactement l'apparition du concept de théorie générale du contrat que l'on peut seulement situer à la fin du XIXe siècle. Au contraire, la naissance de celui de théorie générale des contrats spéciaux peut être établie avec précision. En 1985, la faculté de droit de Poitiers organisa les premières journées Savatier consacrées à l'évolution contemporaine du droit des contrats. Le doyen Jean Carbonnier y avança l'idée d'y 5 « réserver une place pour la théorie générale des contrats spéciaux », ajoutant qu'il en existe « l'amorce dans les articles 1101 et suivants — la classification des contrats — et surtout dans l'article 1107 — le contrat innomé. Mais il y faudrait d'avantage : des règles sur la qualification, sur la possibilité et le traitement des contrats mixtes » (9). Dans le même contexte, Philippe Jestaz soutint la nécessité d'inventer, « de toute urgence », une théorie générale des contrats spéciaux afin d'éviter que la théorie générale du contrat ne risque « de tourner à vide tandis que de leur côté les contrats spéciaux relèveraient, chacun pour ce qui le concerne, d'une sorte de technologie primaire » (10). Il s'agissait donc d'insérer entre la théorie générale du contrat et le droit des contrats spéciaux un corps intermédiaire de règles traitant de questions communes aux contrats spéciaux. Trente ans plus tard, le projet n'a pas été mené à bien. Le Code civil n'a pas été réformé dans le domaine du contrat et la doctrine recherche toujours les matériaux de la théorie générale des contrats spéciaux, ce qui explique que l'on se demande aujourd'hui si elle existe. Il serait présomptueux et prématuré, en début de colloque, de répondre à cette question. Pour nourrir la réflexion, on peut simplement dire que deux enseignements naissent de la confrontation de la théorie générale des contrats spéciaux avec l'expérience de la théorie générale du contrat. La théorie générale des contrats spéciaux partage avec celle du contrat une tendance très nette à la confusion avec le droit commun. Mais comme, contrairement au droit commun du contrat, celui des contrats spéciaux n'existe pas encore de manière certaine, il s'agit, pour l'essentiel, d'un projet pour l'avenir. Or, parce que la théorie générale ne doit pas être confondue avec le droit commun, ce projet tend en réalité à la consécration d'une fausse théorie générale (I), alors que la vraie théorie générale des contrats spéciaux existe déjà mais sous une autre forme ; elle est d'aujourd'hui (II). I. Pour l'avenir : une fausse théorie générale des contrats spéciaux Pour l'avenir, la doctrine s'efforce de découvrir, non pas une théorie générale, mais un droit commun des contrats spéciaux. C'est très clair lorsqu'au-delà des mots qui hésitent entre théorie générale et droit commun des contrats spéciaux (A), on examine la chose qu'ils décrivent qui est invariablement un nouveau corps de règles applicables aux contrats spéciaux (B). A. Les mots : théorie générale ou droit commun des contrats spéciaux ? Les mots « théorie générale des contrats spéciaux » se sont vite répandus dans la littérature à la suite de Jean Carbonnier et de Philippe Jestaz. En 1987, Loïc Cadiet proposait « d'intercaler, entre le droit commun du contrat, considéré en général, et les droits propres à chaque espèce de contrat, considérée en particulier, une sorte de théorie générale des contrats spéciaux » (11). En 2006, la Revue des contrats ouvre un débat intitulé « Une théorie générale des contrats spéciaux ? ». Tous les auteurs comprennent la question comme consistant à déterminer s'il est possible de consacrer des « règles particulières communes aux divers contrats spéciaux » (12), également de regrouper les contrats spéciaux par familles, afin, 6 notamment, de traduire les rapprochements qui résultent de l'existence de règles communes (13). L'argumentaire de présentation de ce colloque pose en gros la même question. Les causes de l'interrogation sont bien connues. Depuis 1804, les figures du contrat se sont considérablement transformées, les petits contrats devenant grands, les contrats gratuits devenant intéressés... Surtout, les espèces de contrats se sont diversifiées, la vente, le bail, le mandat... obéissant à des régimes de plus en plus spécialisés en fonction de la nature du bien ou du service considéré, de la qualité des parties... À côté des contrats nommés, l'innomé a connu un fantastique développement, notamment sous la forme des contrats complexes. Les sources du droit des contrats spéciaux se sont également transformées. Les règles sont de plus en plus souvent hors du code, dans une législation de plus en plus spécialisée et impérative. Le droit de la consommation et le droit de la concurrence, internes et européens, les droits de l'Homme... se sont ajoutés aux classiques droits civil et commercial... Ces mutations ont provoqué un éclatement du droit des contrats spéciaux mais elles ont aussi suscité de nouveaux rapprochements que la théorie générale des contrats spéciaux a pour objet de traduire. L'œuvre est nécessaire pour remettre de l'ordre dans le droit contemporain des contrats, notamment dans la perspective d'une recodification. C'est ici que réside la différence radicale entre la théorie générale du contrat et celle des contrats spéciaux précédemment évoquée. Comme il existe dans le Code civil un ensemble de règles générales applicables à toutes les conventions, personne ne doute vraiment que la théorie générale du contrat existe. Tout juste se demande-t-on si cette existence n'est pas menacée, à l'époque moderne, par la prolifération du droit spécial. En tout cas, la théorie générale du contrat est dotée d'une positivité que l'on n'attribue pas, en principe, à la théorie générale des contrats spéciaux qui reste, pour l'essentiel, à construire, même si certains linéaments existent en droit positif. Ce que la théorie générale des contrats spéciaux partage néanmoins avec celle du contrat, c'est qu'il s'agit de principes régissant les contrats, donc de droit objectif pour lequel le mot « théorie » est mal adapté. Au demeurant, quelques rares auteurs l'évitent soigneusement (14). Tel est le cas de Pascal Puig qui, bien que n'invoquant jamais la nécessité de distinguer théorie générale et droit commun, opte systématiquement pour le second pour décrire la recomposition du droit des contrats spéciaux. C'est en effet « Pour un droit commun spécial des contrats » qu'il plaide (15). La dénomination est aussi a priori étrange, mais elle s'explique fort bien et elle paraît effectivement plus adaptée à l'objet qu'elle décrit. Il s'agit d'installer entre le droit commun du contrat, les droits communs aux principales obligations contractuelles, les droits spéciaux et très spéciaux des différents contrats et les statuts liés à des particularismes subjectifs, « un droit commun spécial des contrats qui s'attacherait aux principales opérations que permettent d'accomplir des contrats spéciaux : transférer la propriété, mettre à disposition, garder, restituer... » (16). Malgré des mots différents, la chose décrite est donc la même que celle baptisée : « théorie générale des contrats spéciaux » par les autres auteurs. 7 B. La chose : un nouveau corps de règles pour les contrats spéciaux La chose appelée « théorie générale des contrats spéciaux » est donc, pour l'essentiel, un nouveau corps de règles rassemblant, à un niveau inférieur par rapport à la « théorie générale du contrat », mais supérieur au droit de chaque convention, des principes valables pour plusieurs types de contrats. Certes, les objets couverts par le concept sont en réalité plus nombreux que cela, en relation avec la vraie nature d'une théorie générale (17). Mais l'activité très largement dominante est la recherche de règles partagées par différents contrats spéciaux afin de réordonner la matière, autrement dit celle d'un droit commun et pas d'une théorie générale. Le sentiment général est que si ce droit commun n'existe pas en tant que tel, les éléments se trouvent déjà pour partie dans le droit positif. Le droit commun des contrats spéciaux est donc doté d'une semi-positivité. Seuls quelques rares auteurs sont d'un avis contraire, notamment ceux qui contestent les dénominations « droit spécialisé des contrats » ou « droit spécial des contrats », « pour laisser penser qu'il y a là une véritable discipline, qu'il existe, outre une théorie générale du contrat, une théorie générale des contrats spéciaux » (18), alors que les quelques règles rapprochant les contrats sont insuffisantes et que, si une solution commune apparaît, elle enrichit le droit commun des contrats. Ceux qui s'efforcent au contraire de faire apparaître un droit commun en germe empruntent plusieurs voies, alternativement ou cumulativement. La plus évidente consiste à rechercher les règles qui, en droit positif, s'appliquent déjà à plusieurs contrats spéciaux ou celles qui pourraient être étendues de l'un à l'autre. Les directions foisonnent. Elles concernent notamment la généralisation des devoirs d'information et de conseil, celle de l'obligation de sécurité, l'encadrement des clauses limitatives de responsabilité, le débordement hors de la vente des règles de la garantie... (19). Ces éléments suscitent des interrogations concernant leur champ d'application. Par leur extrême généralité, certaines solutions paraissent appartenir plus au droit commun des contrats qu'aux contrats spéciaux comme le prouve, par exemple, la consécration de l'obligation d'information dans les projets de réforme. Quant aux autres, il faudrait définir avec précision leur domaine. Dans la formation de ces règles générales, certaines disciplines transversales comme le droit de la concurrence et le droit de la consommation jouent un rôle essentiel, par exemple s'agissant de la garantie légale de la conformité des biens vendus aux consommateurs qui s'applique non seulement à la vente mais aussi aux contrats d'entreprise ayant pour objet la fabrication d'un bien meuble. Le droit de la consommation alimente pas mal les réflexions en ce qu'il suscite une question importante : les contrats de la consommation pourraient-ils constituer une catégorie soumise à un régime spécifique ? La réponse est généralement négative, aux motifs que le seul élément caractéristique serait la qualité des parties, insuffisante à fonder un corps cohérent de règles originales. La vente ou la prestation de services conclues par un consommateur restent une 8 vente ou un contrat d'entreprise soumis aux dispositions du Code civil. Cependant, l'opinion contraire a été récemment soutenue avec quelques raisons. Au-delà de la singularité de contrats particuliers régis par le Code de la consommation ou par des lois spéciales, le droit de la consommation procède à des regroupements qui correspondent au niveau intermédiaire baptisé « théorie générale » dans le domaine des contrats spéciaux : par exemple en appliquant indifféremment à la vente et à la prestation de services des règles relatives à l'information précontractuelle sur les caractéristiques essentielles, ou sur les délais de livraison... Par ailleurs, la catégorie générale du contrat de consommation tend à se constituer autour d'un régime commun englobant des dispositions uniformes en cas de démarchage à domicile ou de conclusion à distance et celles applicables à tous les contrats conclus entre professionnels et consommateurs, comme la réglementation des clauses abusives ou l'interprétation contre le professionnel (20). La seconde méthode consiste à construire le droit commun spécial à partir des éléments qui composent les contrats spéciaux, de leur structure. Il existe deux variantes. Une première suggestion émise à l'occasion du bicentenaire du Code civil et de la question de la recodification a connu une certaine fortune. Formulée par Alain Bénabent, elle consiste à « décloisonner les qualifications par des théories spéciales », à « renoncer au classement en quelque sorte vertical que nous connaissons au profit de régimes transversaux s'attachant non plus à opposer des contrats définis les uns aux autres, mais à établir des corps de règles liés à l'objet et à la fonction de tel ou tel type d'obligation, quel que soit le contrat précis dans lequel elle vient s'insérer » (21). Par exemple, le transfert de propriété d'un bien devrait avoir les mêmes effets sans se demander s'il se produit à la suite d'une vente, d'un contrat d'entreprise ou en échange d'un service. Ou encore, il faudrait appliquer au transfert de la détention d'un bien le même régime, qu'elle intervienne en exécution d'un contrat de dépôt, d'un mandat, d'une location... Cette proposition suscite deux remarques. D'une part, la méthode aboutit à la formation d'un droit commun des obligations (22)— ou des effets des contrats —, pas à celle d'un droit commun des contrats spéciaux. D'autre part, elle est insuffisante pour établir le régime d'un contrat donné. Comme l'auteur le reconnaît, il faut croiser cette approche avec plusieurs autres, notamment le caractère gratuit ou onéreux du contrat, la considération de son économie et de l'intérêt dans lequel il est conclu. Or, il n'est pas sûr que l'addition n'ait pour effet que d'« affiner les théories spéciales » ; dans certains cas, elle pourrait bien les ruiner (23). La seconde objection vaut contre une proposition voisine consistant à réorganiser la matière à partir des « opérations élémentaires » définies comme des « groupes d'obligations rassemblées en vue d'une finalité commune élémentaire : transférer la propriété, transférer la jouissance, créer un bien, rendre un service, conserver, représenter » (24). À première vue, le fait que ces opérations « mettent en œuvre plusieurs obligations réciproques » écarte la critique de la mutilation du régime du contrat. Mais ne faut-il pas alors traiter du transfert de la propriété ou de la jouissance à titre gratuit ou à titre onéreux, ou tout au moins intéressé, de même pour la création d'un bien et la fourniture d'un service ? C'est d'ailleurs à ce résultat qu'on aboutit avec 9 la proposition de sous-distinctions applicables aux catégories d'opérations élémentaires et tenant à la contrepartie de l'opération envisagée qu'ajoute l'auteur (25). Le point commun de ces deux propositions est qu'il s'agit de « décloisonner les qualifications » (26), de « décomposer » (27)les catégories du code jugées dépassées. Énoncées à propos des obligations, des effets du contrat ou des « opérations élémentaires », les règles devraient être assemblées pour fabriquer le régime de tel ou tel contrat. La méthode présente indiscutablement des avantages pour le traitement des contrats complexes qui est un point important de la théorie générale des contrats spéciaux. Mais, outre les objections précédemment évoquées et le fait qu'il ne serait pas facile à traduire dans la loi à propos des contrats spéciaux, ce procédé présente a priori l'inconvénient de ne pas fixer à l'avance le régime global du contrat, même pour les types élémentaires. D'où, parfois, la tentation de le compléter par une « recomposition des familles » (28)de contrats. Les familles de contrats sont nécessaires à la classification et à la qualification, essentielles dans la théorie générale des contrats spéciaux. Mais il s'agit de familles recomposées (29). Il conviendrait en effet d'élaborer des classifications en remplacement de celles du code, inadaptées aux contrats modernes. Là aussi, les propositions abondent. Certains suggèrent de reconstruire à partir de l'objet du contrat défini comme l'opération souhaitée par les parties (30)ou comme l'obligation caractéristique ou fondamentale (31), d'autres en fonction de la nature des biens sur lesquels porte le contrat (32), d'autres encore en se fondant sur son objectif économique (33). Le programme du colloque suggère que le regroupement pourrait aussi se faire en fonction du domaine d'activité ou du mode de formation. Dans une vue positiviste, il s'agit de regrouper les contrats à partir de critères prédéfinis de telle sorte que chaque convention nouvelle qui sera rattachée à une catégorie soit soumise à une réglementation minimum valant pour tous les contrats du même type. Classification et qualification permettent de définir le régime du contrat. De là naissent d'ailleurs, non pas un droit commun spécial mais des droits communs spéciaux, ce qui ajoute à la complexité de la matière. Dans une perspective plus scientifique, il s'agit de mettre de l'ordre en distinguant différentes classes d'objets à partir d'éléments qui les réunissent et les opposent aux autres. Les classifications et la qualification appartiennent donc, par certains aspects au droit commun spécial, par d'autres à la théorie générale des contrats spéciaux dont ils contribuent à révéler la véritable nature. II. Aujourd'hui déjà : la véritable théorie générale des contrats spéciaux La véritable théorie générale des contrats spéciaux n'est pas très différente de la théorie générale du contrat. Les enseignements dégagés de l'analyse de l'une valent dans l'ensemble pour l'autre. On peut donc les synthétiser très rapidement. Comme la théorie générale du contrat, la théorie générale des contrats spéciaux correspond en réalité à une activité doctrinale (A) et au produit de cette activité (B). 10 A. Une activité doctrinale L'activité doctrinale qui constitue la vraie théorie générale des contrats spéciaux est multiple. On la trouve non seulement dans les articles et chroniques qui traitent spécifiquement de la question de son existence, mais également dans les ouvrages de droit des contrats spéciaux, particulièrement dans les introductions, et également dans quelques thèses, particulièrement dans celle de Charlotte Goldie-Genicon (34). Dans ces écrits, la part de science juridique appliquée est nettement dominante. Il s'agit en effet, pour l'essentiel, de dégager du droit moderne des contrats, émietté pour régir des figures contractuelles de plus en plus singulières, des corps de règles valant pour des catégories de contrats redessinées. La doctrine est alors l'auxiliaire d'un hypothétique législateur réformiste au profit duquel elle met à disposition sa compétence. À cet égard, la théorie générale des contrats spéciaux est le fruit d'un contexte historique dans lequel la recodification joue un rôle non négligeable, ce qui la distingue nettement de la théorie générale du contrat. Il ne s'agit pas de rajeunir des règles existantes mais d'en créer de nouvelles, raison pour laquelle l'illusion de la positivité de la théorie générale est moins ancrée dans les contrats spéciaux que pour le contrat en général. Pour mener à bien sa tâche, la doctrine met en œuvre les ressources classiques du raisonnement juridique : l'analogie, l'induction... comme lorsqu'on se demande, par exemple, si le contrat de travail peut être le précurseur d'un droit commun des contrats spéciaux. Cela conduit à la révélation, selon la terminologie forgée par Pascal Puig (35), de « droits communs » « par superposition », « par imitation », « par transposition », « par harmonisation ». La doctrine s'efforce également de construire ses propositions à partir d'une connaissance approfondie des modèles de contrats, des clauses usuelles... qui relève aussi de la science juridique appliquée, de même que la fin à laquelle elle tend : la transformation du droit des contrats. Pour autant, toute science fondamentale n'est pas absente de la théorie générale des contrats spéciaux. On trouve en effet, en quantité variable, des réflexions concernant les traits dominants et l'esprit de la législation, le sens de son évolution, la diversification des sources du droit des contrats spéciaux et notamment leur européanisation, les transformations des pratiques contractuelles... C'est aussi à partir des informations issues de ces questionnements que la doctrine imagine le droit commun spécial à venir. En fonction de choix de politique juridique aussi : faut-il libérer l'initiative individuelle et favoriser la souplesse dans le régime des contrats ou faire régner plus de justice et protéger les contractants faibles... ? La théorie générale des contrats spéciaux est aussi le produit de ces interrogations. B. Le produit de l'activité doctrinale 11 Le produit de l'activité doctrinale, c'est une forme particulière du droit commun : non pas le droit commun tel qu'il est — le droit commun positif ou semi-positif —, mais le droit commun tel que les auteurs le perçoivent ou le conçoivent : un droit commun savant. Cette dimension est particulièrement nette dans la théorie générale des contrats spéciaux puisque le droit commun que les auteurs révèlent n'est pas livré tel quel par les sources institutionnelles du droit. C'est la doctrine qui, par des rapprochements, des analogies, des inductions... le forge, donnant ainsi au droit positif une rationalité, une cohérence qu'il ne contient pas forcément. De ce point de vue, la théorie générale des contrats spéciaux ressemble aussi à celle du contrat. Avec une différence, cependant. Bien que s'intéressant à des questions cruciales, la théorie générale des contrats spéciaux est beaucoup moins infestée de philosophie que la théorie générale du contrat, justement parce qu'elle ne s'intéresse pas au contrat en général. Point de grand système bâti sur l'autonomie de la volonté ou le juste et l'utile dans le contrat, donc ; seulement des formes subalternes comme la liberté contractuelle et des considérations sur ce qu'il paraît souhaitable de faire, dans une société moderne, pour adapter le droit à ses besoins. Le pragmatisme du droit des contrats spéciaux imprègne la doctrine des contrats spéciaux. Malgré cette ultime différence, la conclusion générale est fondamentalement la même qu'à propos de la théorie générale du contrat. La théorie générale des contrats spéciaux existe, mais pas sous la forme qu'on lui prête ordinairement. C'est une activité doctrinale ayant pour objet la conception d'un ou plusieurs corps de règles de niveau intermédiaire régissant les contrats, mieux dénommés « droit commun spécial » ou « droits communs spéciaux », et le produit de cette activité. L'approfondissement de la distinction, celui des raisons de la confusion ordinaire des deux notions... relève de l'épistémologie juridique qui n'est pas l'orientation de ce colloque. Selon les vœux des organisateurs, continuons donc à faire de la théorie générale en nous demandant, en réalité, si le droit commun des contrats spéciaux existe. Document 4 : MEKKI M., Revue des contrats, 01 avril 2006 n° 2, P. 297 Le discours du contrat : quand dire, ce n'est pas toujours faire * Amselek, « Philosophie du droit et théorie des actes de langage », in Théorie des actes de langage, éthique et droit, PUF, 1986 ; J. Austin, Quand dire, c'est faire, Traduction et introduction de G. Lane, Paris, Seuil, 1970 ; S. Erbes-Seguin, Le contrat. Usages et abus d'une notion, coll. Sociologie économique, Desclée de Brouwer, Paris, 1999 ; P. Ph. Gérard, Fr. Ost et M. van de Kerchove (dir.), Droit négocié, droit imposé ?, avant-propos Fr. Ost, Publications des Facultés universitaires Saint-Louis, Bruxelles, no 72, 1996 ; A. Supiot, Homo juridicus. Essai sur la fonction anthropologique du Droit, Seuil, Coll. La couleur des idées, 2005. 12 L'usage du mot contrat ne se réduit pas à l'existence d'un accord de volontés produisant des effets de droit. Le contrat devient une formule incantatoire et est, actuellement, l'objet d'une véritable inflation verbale. Il est aussi un discours. Par voie de conséquence, ce que le mot contrat gagne en extension il le perd en compréhension. L'étude menée sous l'angle du discours peut apporter quelques éclaircissements à la « notion » de contrat. Cet angle de vue aide à percevoir toute l'ambivalence du discours contractuel souvent à l'origine d'idées contradictoires et difficilement conciliables. Cette perspective permet également de proposer une explication à l'incohérence apparente des acteurs du droit usant de la rhétorique contractuelle. Ceux-ci attachent souvent au mot contrat une force plus symbolique que juridique. Notions de contrat ; théorie des actes du langage ; rhétorique contractuelle ; dialogue contractuel ; contractualisation ; symbolisme ; Pacs ; fiançailles ; réseaux ; PARE Lors du premier numéro de la Revue des contrats paru en 2003, Jean-Pascal Chazal avait exposé toutes les ambitions d'une rubrique consacrée aux « théories du contrat ». Il s'était efforcé de préciser l'optique qui serait la sienne : « La démarche choisie, du point de vue épistémologique, est donc réflexive ; elle se propose de réfléchir sur la manière dont le droit des contrats est construit et se construit, de s'interroger sur la façon dont il est présenté et expliqué, de questionner les théories qui le structurent et le façonnent, d'explorer les fondements et les présupposés qui sous-tendent le discours juridique prenant pour objet d'étude le contrat » (RDC 2003, p. 27). Il m'est aujourd'hui donné de lui succéder. Ce changement se fera dans la continuité : la novation par changement d'auteur n'entraînera pas novation par changement d'objet. Dans cet esprit, ayant pris soin de préciser les contours des théories, il est possible, à titre complémentaire, d'en préciser l'objet : le contrat. Plus spécifiquement, partant d'un constat d'ordre phénoménologique, le droit est, sous toutes ses formes, un ensemble de mots dits ou écrits. Le droit est un discours (Th. Ivainer, « La lettre et l'esprit de la loi des parties », JCP G 1981, I, 3023, spéc. no 10). Y a-t-il, dans cette optique, un discours propre au contrat ? Des théories du contrat à la théorie des contrats. - Un citoyen engage une action en justice contre le président de la République, Jacques Chirac, sur le fondement de l'article 1134 du Code civil. Il lui reproche de ne pas avoir respecté ses « engagements » électoraux, violant ainsi la « convention légalement formée ». Certes, le demandeur a été débouté par le tribunal de grande instance saisi de l'affaire, mais l'anecdote démontre par l'absurde les dangers d'une inflation verbale du mot « contrat » laissant perplexes tant les juristes que les justiciables. La force incantatoire du mot « contrat » est de nos jours très appréciée et il convient d'en rechercher les principales raisons. Le contrat se caractérise actuellement par sa relativité (La relativité du contrat, Travaux de l'Association H. Capitant, t. IV, Nantes, 1999, LGDJ, 2000). Le traditionnel contrat du droit civil ne peut être le seul objet d'étude. L'ampleur du phénomène de contractualisation du droit suffit pour en attester (Ph. Gérard, Fr. Ost et M. van de Kerchove [dir.], Droit négocié, droit 13 imposé ?, Facultés universitaires Saint-Louis, no 72, Bruxelles, 1996 ; Chr. Pigache [dir.], Les évolutions du droit (contractualisation et procéduralisation), Universités d'été 2000-2001 du Barreau de Rouen, Publications de l'Université de Rouen, 2004). Le contrat gagne toutes les sphères juridiques, que ce soit en se diffusant au sein du droit public ou en se banalisant au sein du droit privé, qu'il s'agisse du droit substantiel ou du droit processuel, qu'il soit question du discours juridique, politique ou économique (sur le succès de la « métaphore » du contrat au sein de tout type de discours, v. J. Commaille, « Code civil et nouveaux codes sociaux », in Le Code civil 1804-2004. Livre du Bicentenaire, Dalloz-Litec, 2004, p. 59, spéc. p. 63). Réfléchir sur les « théories du contrat », c'est aussi prendre conscience de l'existence d'une « théorie des contrats » (S. Erbes-Seguin, Le contrat. Usages et abus d'une notion, Desclée de Brouwer, coll. « Sociologie économique », 1999). L'insuffisance des définitions légales. - Il paraît peu probable, dans ces conditions, de pouvoir dégager « une » notion de contrat et, partant, d'en proposer une définition. Certes, le Code civil s'y est risqué en disposant au sein de son article 1101 que « le contrat est une convention par laquelle une ou plusieurs personnes s'obligent envers une ou plusieurs autres, à donner, à faire ou à ne pas faire quelque chose ». Or, cette définition, comme beaucoup d'autres au sein du Code Napoléon, n'a pour seul but que d'éclairer le débat et non de le circonscrire (sur cette question, Jean Carbonnier, Droit civil. Introduction, PUF, coll. « Thémis Droit privé », 27e éd., 2002, no 115, p. 223). L'avant-projet de réforme du droit des obligations et du droit de la prescription remis par Pierre Catala au ministre de la Justice, garde des Sceaux, Pascal Clément, le 22 septembre 2005, a tenté de clarifier cette définition (C. civ., art. 1102 : « Le contrat est une convention par laquelle une ou plusieurs personnes s'obligent envers une ou plusieurs autres à accomplir une prestation »). Cependant, le résultat obtenu ne permet pas d'appréhender toutes les virtualités du contrat. Ce dernier n'est plus seulement un instrument d'échange économique et devient un nouveau modèle de régulation sociale. Pour pallier l'insuffisance du Code civil, il peut être fait appel à la doctrine. Pour certains auteurs, le contrat est un accord de volonté auquel le droit objectif fait produire des effets juridiques, à la condition qu'il soit juste et utile (J. Ghestin, Vo « Contrat », in Dictionnaire de culture juridique, sous la direction de D. Alland et St. Rials, Lamy-PUF, 2003). Pour d'autres, la volonté contractuelle est secondaire et n'aurait rien de psychologique. La volonté juridique de contracter ne serait que « l'expression d'un intérêt » (G. Rouhette, « Contribution à l'étude critique de la notion de contrat », th. dactyl., 2 tomes, Paris, 1965, no 172). Elle constituerait « la représentation individuelle d'un intérêt, arbitré (de l'extérieur) par le droit » (Ph. Jacques, Regards sur l'article 1135 du Code civil, Dalloz, 2005, no 194). Dans la continuité et selon une définition objective, le contrat serait une norme (H. Kelsen, Théorie pure du droit, trad. Ch. Eisenmann, Bruylant-LGDJ, coll. « La pensée juridique », 2e éd., 1999, spéc. p. 197 ; v. égal. l'adhésion à cette définition de M. G. Rouhette, th. préc.,spéc. p. 636). Malgré l'intérêt non négligeable de ces définitions, elles n'épuisent pas l'objet. Pourquoi existe-t-il des accords de volonté créateurs d'obligations et des contrats purement informatifs ? Plus globalement, pour quelle raison introduire au sein d'un contrat des « stipulations de 14 constatation » distinctes des « stipulations d'obligation » (J. Moret-Bailly, « Les stipulations de constatation », RRJ 2001/2, p. 489 et s.) ? Pourquoi, encore, l'accord de volonté est-il un contrat lorsqu'il s'agit de personnes pacsées et n'est qu'un fait juridique lorsqu'il s'agit de personnes fiancées ? Pourquoi, toujours, dans la sphère publique, donner un corps contractuel à une opération ayant incontestablement l'âme d'un acte unilatéral ? Ce n'est donc pas seulement le régime juridique du contrat qui séduit, mais aussi le mot et ce qu'il véhicule. C'est cet « arbitrage de l'extérieur » réalisé par le droit qui doit être davantage étudié. Plus précisément, il faut se demander pourquoi les acteurs du droit, le législateur qui édicte le droit, le juge qui le dit, la doctrine qui l'enseigne, l'administration et les praticiens qui l'appliquent, font appel au discours contractuel (v. P. Ricoeur, Soi-même comme un autre (1990), Le Seuil, coll. « Points-Essais », 1996, spéc. p. 58 : « ce ne sont pas les énoncés qui réfèrent, mais les locuteurs qui font référence : ce ne sont pas non plus les énoncés qui ont un sens ou signifient, mais ce sont les locuteurs qui veulent dire ceci ou cela, qui entendent une expression en tel ou tel sens »). Discours juridique et extrajuridique du contrat. - Car, au-delà, ou en deçà, des définitions précitées, c'est à un « discours » du contrat auquel il faut désormais faire face. Le discours vient de discursus, qui signifie « action de se répandre de différents côtés, allée et venue » (Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit, sous dir. A.-J. Arnaud, publié avec le concours du Centre national de la recherche scientifique, LGDJ, 2e éd., Vo « Discours juridique »). Au sens large, le discours est « une totalité productrice de signification » (E. Landowski, « Introduction », in Droit et société, LGDJ, 1988, p. 11). Il convient, au préalable, de se demander si ce discours du contrat est exclusivement de nature juridique. La linguistique juridique présente le langage du droit comme un sous-ensemble du langage courant dont il constitue un cercle distinct. Il est « la langue d'un groupe particulier » (G. Mounin, « La linguistique comme science auxiliaire dans les disciplines juridiques », in Le langage du droit, APD, t. XIX, 1974, p. 10 et s.), plus exactement « un langage spécialisé » (G. Cornu, Linguistique juridique, Montchrestien, coll. « Domat Droit privé », 3e éd., 2005, no 2, p. 16 ; adde J.-L. Sourioux et P. Lerat, Le langage du droit, PUF, coll. SUP, Le juriste, 1975, spéc. p. 9). Or, les dérives du mot « contrat » révèlent qu'il devient difficile de tracer une frontière claire, et encore moins étanche, entre ces deux sphères du langage. Il y a donc un discours du contrat qui ne se réduit plus à être un discours purement juridique. Aujourd'hui, plus qu'hier, le contrat est un mot qui n'a pas d'« appartenance juridique exclusive ». Il est pourvu d'une « polysémie externe » (G. Cornu, Vo « Linguistique juridique », in Dictionnaire de culture juridique, op. cit., p. 952 et s.). Au sein d'un discours, le mot « contrat » est apprécié par ses auteurs-émetteurs et orienté vers des destinataires-récepteurs (« Il (le discours juridique) apparaît dès qu'une personne produit un énoncé qu'elle destine, comme message, à une autre personne », G. Cornu, Linguistique juridique, op. cit., no 46, p. 207). Il serait alors instructif de se demander pourquoi à un moment donné, en un lieu donné, le législateur, le juge, l'administration ou la doctrine décide de parler « contrat ». En d'autres termes, le contrat n'est plus simplement un instrument d'échange économique pouvant osciller entre le contrat transactionnel et le contrat relationnel (Ian R. Macneil, The New Social Contract : An Inquiryinto Moderne Contractual Relations, 15 New Haven, Yale UniversityPress, 1980 ; H. Muir-Watt, « Du contrat "relationnel". Réponse à François Ost », in La relativité du contrat, op. cit., p. 169-179 et les références citées note 5, p. 170 et 171 ; L. Rolland, « Les figures contemporaines du contrat et le Code civil du Québec », Revue de droit de McGill, 1999, vol. 44, p. 903 et s.). Il est avant tout un mot pourvu d'un signifié qui suppose de s'intéresser à son locuteur et à son interlocuteur (comp. G. Rouhette, La doctrine de l'acte juridique : sur quelques matériaux récents, in L'acte juridique, Droits, 1988, no 7, p. 29 et s. : « On ne doit pas dire : l'acte juridique est ceci ou cela, mais : par acte juridique j'entends ceci ou cela. Ces mots (en l'occurrence ceux de Windscheid) (...) marquent que l'acte juridique est affaire de construction théorique, non de simple observation du droit positif » ; adde E. Savaux, La théorie générale du contrat : mythe ou réalité ?, préf. J.-L. Aubert, LGDJ, coll. « Bibliothèque de droit privé », t. 264, 1997, no 376). La rhétorique : art de séduire et art de tromper. - C'est une authentique rhétorique contractuelle qui irradie le droit français. Ce phénomène pourrait être le signe soit d'un « contractualisme » flagrant, soit, tout simplement, d'un nouveau modèle de régulation (v. sur cette question, A. Supiot, Homo juridicus. Essai sur la fonction anthropologique du Droit, Seuil, coll. « La couleur des idées », 2005, p. 142 et s. Pour une vue plus optimiste, J.-P. Cléro, « Quelques réflexions sur le contractualisme contemporain », in Les évolutions du droit, op. cit., p. 11 et s., spéc. p. 20 et s.). La rhétorique, selon le premier sens du Littré, est l'art de bien dire ou l'art de parler de manière à persuader. Pour Socrate et Platon, en revanche, elle devient l'art de tromper, l'art de flatter (Platon, Protagoras, Gorgias, éditions G.-F., 451 d452). Il y a dans la rhétorique contractuelle cet objectif premier qui est de séduire à la fois l'émetteur de l'information contractuelle qui en use et surtout son destinataire qui réceptionne le message contractuel (Vo « Rhétorique juridique », in Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit, op. cit., p. 531 et s.). Or, la séduction peut devenir dolosive. La rhétorique contractuelle peut être, entre les mains d'une personne mal intentionnée, un instrument des plus dangereux. Quelles que soient les hypothèses, c'est l'accessibilité et la légitimité du contrat qui sont aujourd'hui menacées. Pure rhétorique, le mot « contrat » recouvre alors des réalités et véhicule des idées souvent contradictoires et difficilement conciliables. Cette profusion des discours contractuels est un phénomène qui peut aisément être observé. Une analyse descriptive des discours contractuels permet de mettre en exergue toute l'ambivalence que recouvre aujourd'hui le mot « contrat ». Cependant, le discours contractuel est surtout un voile et le mot « contrat » dissimule plus qu'il ne dévoile (G. Gusdorf, La parole, 1952, PUF, rééd. 1998, p. 76 : les mots « dissimulent au lieu de manifester »). Dans ce contexte, seule une étude analytique permettrait alors de prendre conscience des dessous du langage contractuel. Aussi, avant d'analyser ce que pourrait être l'essence du discours contractuel (II), convient-il d'identifier certains types de discours contractuels (I). I - L'existence de discours contractuels 16 « Il faut plus d'esprit pour se passer d'un mot que pour l'introduire » (P. Valéry, Lettres à quelques-uns, 1932, Gallimard, éd. 1952, p. 206). La « réalité » juridique et sociale fournit de nombreux motifs de condamner cet abus de langage. La mise en exergue des incohérences du droit positif doit inciter à prendre garde à ce que l'inflation verbale du mot « contrat » n'entraîne pas une indigestion sociale. Un mot qui fâche. - Le contrat constitue parfois un mot qui fâche à l'origine de discours souvent contradictoires. Le droit de la famille est le terrain d'élection d'une telle démonstration. Selon les cas, le mot est ou non le bienvenu. Pourtant, en amont, les hypothèses sont souvent assez proches. Toutes pourraient légitimement répondre au critère généralement retenu d'accord de volontés extériorisant un engagement entre les parties. Malgré la similitude des situations, tous les acteurs du droit n'adhèrent pas toujours à la qualification contractuelle. Le droit des fiançailles est à ce titre topique. Entre fiancés, tous les éléments d'un véritable contrat sont réunis, qualification d'ailleurs défendue par une partie de la doctrine classique et contemporaine (L. Josserand, « Le problème juridique de la rupture des fiançailles », DH 1927, p. 21 et s. ; G. Cornu, Droit civil, La famille, Montchrestien, coll. « Domat Droit privé », 7e éd., 2001, spéc. no 151, p. 261 et 262). Pourtant, la jurisprudence, d'une rare stabilité sur ce point, refuse catégoriquement d'y voir un contrat (Cass. civ., 30 mai et 11 juin 1838, Les grands arrêts de la jurisprudence civile, Dalloz, 11e éd., t. 1, no 27, p. 155-159). Dans ce contexte, la responsabilité engagée en cas de rupture des fiançailles dans des circonstances fautives est de nature extracontractuelle (C. civ., art. 1382). Dans ces différentes hypothèses, la qualification de contrat aurait pu être retenue (c'est d'ailleurs le cas de nombreuses juridictions du fond, v. not. CA Nîmes, 2 janv. 1855, DP 1855, II, p. 161 ; CA Lyon, 5 févr. 1913, Gaz. Pal. 1913, 1, p. 473 ; CA Colmar, 12 juin 1970, D. 1971, p. 406-408, note G. Wiederkehr) et conférer à cette question davantage de cohérence (incohérence provenant d'un renversement de la charge de la preuve parfois opéré par les juges, v. not. Cass. civ. 1re, 28 déc. 1960, Bull. civ. I, no466 ; CA Paris, 14 déc. 1962, JCP G, 1963, II, 13041, note R. B. ; CA Paris, 12 nov. 1964, JCP G 1965, II, 14104, note R. B. ; Cass. civ. 1re, 22 févr. 1972, JCP G 1972, II, 17111, note R. Lindon ; Cass. civ. 1re, 29 nov. 1981, Bull. civ.I, no 144). Comment expliquer une telle réticence ? L'explication est à la fois simple et décevante : le contrat enjoint et contraint. Il symbolise l'engagement irrévocable et contrarie de ce fait la liberté absolue du mariage qui doit prédominer lors de cette période des fiançailles. L'euphémisme est donc de rigueur. Entre confiance et défiance, il y a des mots d'amour qui n'engagent que les coeurs. Un mot doux. - Parfois, le droit de la famille apprécie les bienfaits du discours contractuel (sur le phénomène plus général de contractualisation de la famille, v. D. Fenouillet et P. de Vareilles-Sommières [dir.], La contractualisation de la famille, Économica, coll. « Études juridiques », 2001, no 14, phénomène étendu par les réformes successives opérées par les lois du 4 mars 2002 et du 26 mai 2004). Le mot doux « contrat » a ainsi été in extremis retenu en 17 matière de Pacs (L.-A. Femenia, « Le contrat, après la décision du Conseil constitutionnel du 9 novembre 1999 relative au pacte civil de solidarité », RRJ 2002-3, p. 1199 et s.). L'objectif est simple : isoler le Pacs-contrat du mariage-institution (Fr. Dekeuwer-Défossez, « Pacs et famille. Retour sur l'analyse juridique d'un contrat controversé », RTD civ. 2001, p. 529 et s.). S'il s'agit d'un contrat, la liberté est première et sa pérennité est moindre que celle du mariage institutionnel. Symbole de liberté, il pourrait être rompu unilatéralement comme tout contrat à durée indéterminée. En tant que contrat, il serait avant tout un instrument d'ordre patrimonial et de nature économique (Fr. Dekeuwer-Défossez, « Pacs et famille. Retour sur l'analyse juridique d'un contrat controversé », préc.,spéc. p. 545). Les vertus thérapeutiques du mot sont ici flagrantes. En parlant « contrat », on calme les esprits. La symbolique du contrat est censée être moins forte, et partant moins noble, que celle de l'institution. Toutefois, à y regarder de plus près, le Pacs ne peut être réduit à un simple contrat-échange. Il est un acte hybride mi-contractuel, mi-institutionnel (pour certains, il est un « engagement trompeur », un « faux contrat et une fausse institution légale », Ph. Malaurie, « Sur le Pacs », in Le Pacs, Droit de la famille, op. cit., no 8, p. 30 et 31, spéc. p. 31. Pour d'autres, il est une institution-chose, D. Fenouillet, « Couple hors mariage et contrat », in La contractualisation de la famille, op. cit., p. 81 et s., spéc. p. 100 et s. : il y aurait, en définitive, par le Pacs une « institutionnalisation du couple non marié »). Cette ambiguïté est à son comble à la lecture d'un jugement rendu par le Tribunal de grande instance de Lille, le 5 juin 2002, qui intègre au sein du contrat de Pacs un devoir de fidélité proche de l'institution du mariage (TGI Lille, ord., 5 juin 2002, D. 2003, p. 515-518, « Pacs hominibus... ou l'infidélité entre homosexuels », note X. Labbée). Le contrat de Pacs est alors un doux mensonge : un contrat singulier dissimulant une institution gênante. Un mot d'ordre. - Les discours politiques contemporains, de leur côté, sont friands de rhétorique contractuelle : contrat de sécurité, contrat relationnel au sein des hôpitaux publics pour lutter contre les incivilités, contrat de solidarité à l'égard des personnes âgées lors de la canicule ou en vue de la réforme des retraites, etc. Une nouvelle culture du contrat se met en place (J. Commaille, « Code civil et nouveaux codes sociaux », préc., p. 63). Le contrat est ici symbole de respect, d'unité et de rassemblement. C'est l'image aujourd'hui vulgarisée d'un contrat social contextualisé et circonstancié selon les questions de société médiatisées. Le discours politique contractuel vise également à mettre en avant l'idée de proximité et aurait ainsi des vertus démocratiques (sur ce retour de l'idée de proximité comme pilier de la démocratie, v. A. Montebourg et B. François, La Constitution de la VIe République. Réconcilier les Français avec la démocratie, O. Jacob, 2005). Surtout, le contrat symbolise une rationalité procédurale qui encourage le dialogue dans un environnement sincère et loyal. Cette rationalité est à l'origine d'un droit plus négocié où tout est affaire d'adhésion, de consultation, de concertation, de négociation, voire de contractualisation. Outre la contractualisation de l'action publique (J. Caillosse, « Sur la progression en cours des techniques contractuelles d'administration », in Le droit contemporain des contrats, Travaux et recherches Fac. droit Rennes (1987), dir. L. Cadiet, p. 96 et s. ; M. Hecquard-Théron, « La contractualisation des actions et des moyens publics d'intervention », AJDA 1993, p. 451 et 18 s.), le gouvernement semble apprécier, particulièrement en droit du travail, la recette contractuelle : le contrat « première embauche », le contrat « nouvelles embauches », le contrat d'avenir, le contrat initiative emploi, le contrat d'insertion-revenu minimum d'activité, le contrat d'accompagnement dans l'emploi, le contrat d'apprentissage, le contrat de professionnalisation, le contrat jeune en entreprise et bien d'autres. Un mot d'ordre : qui dit contractuel, dit proximité et qui dit proximité dit individualisation ! Un mot qui dépasse la pensée. - Toutefois, trop souvent, les mots dépassent la pensée de leurs auteurs, car parler « contrat » n'est pas toujours conclure un contrat. L'affaire des « recalculés » a été l'occasion d'observer les conséquences désastreuses d'une administration tentée par les vertus du discours contractuel, à la condition que cet amour du mot reste juridiquement platonique (A. Supiot, « La valeur de la parole donnée [à propos des chômeurs "recalculés"] », Dr. soc. 2044, p. 541 et s. ; R. Encinas de Munagorri, « Le contrat individuel parmi les sources du droit : le cas de l'indemnisation des chômeurs », RTD civ. 2004, p. 594 et s.). Un régime d'assurance chômage a été mis en place au moyen d'un accord signé par les partenaires sociaux, le 31 décembre 1958, accord instituant l'Union nationale interprofessionnelle pour l'emploi dans l'industrie et le commerce (Unedic) et les associations agissant au niveau local qu'il regroupe (Assedic). En vertu d'une convention collective du 19 octobre 2000, agréée par arrêté ministériel le 4 décembre de la même année, chaque chômeur devait, pour bénéficier des allocations de chômage, signer un « contrat individuel » avec l'Assedic, accord signé dans le cadre d'un plan d'aide au retour à l'emploi (Pare). Ce contrat individuel contribue à l'individualisation du traitement des chômeurs et répond surtout aux voeux de l'État de se désengager des questions relatives aux risques professionnels au profit des entreprises, conservant la charge des seuls risques sociaux. Le chômeur devait signer le Pare et se soumettre à un projet d'action personnalisé de l'ANPE en échange de ses allocations. À l'instar d'un rmiste, le chômeur devenait par sa signature une sorte de « partie à un contrat ». Cependant, suite à des difficultés financières, la durée d'indemnisation des allocataires a été réduite à compter du 1er janvier 2004, réduction produisant ses effets sur les « contrats en cours ». Les « recalculés » ont alors pris l'Assedic « au mot » et invoquèrent l'existence d'un contrat en vertu duquel le principe de survie de la loi ancienne devait prévaloir. Toute la question était de savoir si les références multiples au mot « contrat » n'ont pas ici dépassé la pensée de leur auteur. Y avait-il véritablement contrat faisant naître des obligations réciproques entre deux personnes privées ? Le tribunal de grande instance de Marseille, le 15 avril 2004 (Dr. soc. 2004, p. 541, note A. Supiot ; adde CA Aix-en-Provence, 9 sept. 2004, Dr. soc. 2004, p. 964), en a, en tout cas, jugé ainsi et donna gain de cause à trente-cinq chômeurs. Avant que la situation ne dégénère, le gouvernement a pris les devants et a rétabli la situation des chômeurs ayant signé le PARE avant la réforme réduisant la durée d'indemnisation. Quoi qu'il en soit, pour le tribunal de grande instance de Marseille, il s'agit d'un authentique contrat dont le critère réside dans l'existence d'une procédure d'échange des consentements. En revanche, pour le Conseil d'État (CE, 11 juill. 2001, Dr. soc. 2001, p. 857, 19 note X. Prétot), le Tribunal de grande instance de Paris et la Cour d'appel de Paris (TGI Paris, 2 juill. 2002, D. 2003, p. 2923, obs. Y. Rousseau ; CA Paris, 21 sept. 2004, Dr. soc. 2004, p. 965), l'engagement formel n'est pas un contrat mais un simple rappel des exigences légales du régime d'assurance chômage. L'acte signé ne crée pas d'obligations nouvelles et distinctes des dispositions légales et réglementaires qu'il ne fait que rappeler. Les juges considèrent donc le contrat comme un simple réceptacle d'informations. Ce « contrat pédagogique » (J. Rochfeld, « Le PARE ou les virtualités du "contrat pédagogique" », RDC 2005, p. 257 et s.,spéc. p. 261) serait un relais informatif et tout ce qui y figurerait ne serait pas forcément de nature contractuelle. La solution n'est pas isolée. Dans le même esprit, le droit international privé rencontre des difficultés assez similaires lorsqu'il s'agit de savoir si le choix de la loi applicable est une incorporation au contrat ou une soumission du contrat à la loi choisie par les parties. La Cour de cassation opte pour l'idée de soumission et rejette toute contractualisation de la loi (Les grands arrêts de la jurisprudence française de droit international privé, Dalloz, 4e éd., 2001, no 11, spéc. nos 7 et s., p. 102 et s.). Le droit du travail fournit une illustration supplémentaire à l'occasion d'un litige portant sur des clauses simplement informatives pouvant figurer au sein d'un contrat de travail (J. Pélissier, « Clauses informatives et clauses contractuelles du contrat de travail », RJS 1/04, p. 3 et s.). Il y aurait des clauses figurant au sein du contrat dont le seul objet serait d'informer le salarié. Le droit civil, à sa manière, pose ce type de questions lorsqu'il y est jugé que la soumission volontaire au statut des baux commerciaux, étant une soumission et non une incorporation, oblige les parties à en respecter toutes les dispositions (Cass. Ass. plén., 17 mai 2002, Bull. civ. ass. plén., no 1, p. 1 : « Attendu qu'en cas de soumission conventionnelle au décret du 30 septembre 1953 relatif au bail commercial, sont nulles les clauses contraires aux dispositions impératives du texte susvisé relatives à la forme du congé » ; pour une étude approfondie, v. D. Bureau, « L'extension conventionnelle d'un statut impératif. Contribution du droit international privé à la théorie du contrat », in Mélanges Ph. Malaurie, Liber amicorum, Defrénois, 2005, p. 125 et s.). Cependant, les impératifs en jeu et la singularité des domaines concernés ne permettent pas de raisonner par analogie. Ainsi, s'agissant du PARE, même s'il n'y avait pas d'obligations nouvelles, on pouvait considérer que l'intégration des dispositions légales au sein d'un contrat individuel avait conféré un fondement contractuel à ces dispositions, à l'instar de ce que pourrait faire un accord de principe pendant les pourparlers. Ce n'est pourtant pas la solution retenue par les décisions du Conseil d'État et des différentes juridictions parisiennes. Si le mot « contrat » est conservé, il est un contrat-relais, simplement gage de confiance et de proximité sur le plan psychologique, mais dépourvu de force obligatoire sur le plan juridique. 20 Université Cheikh Anta Diop de Dakar Cours : Prof. Patrice S. BADJI Coord. : Ndeye F.LECOR Faculté des Sciences Juridiques et Politiques Licence II Droit des Obligations – Semestre III Année académique 2014-2015 Séance n° 2 Thème : La période précontractuelle Travail à faire : Commentaire d’arrêt Ouvrages généraux et articles : Mainguy D. « L’efficacité de la rétraction de la promesse de contracter », RTD Civ.2004, p 1 Mestre J. « La période précontractuelle et la formation du contrat », les Petites Affiches, 5mai 2000, p .7 Mazeaud D, Mystères et Paradoxes de la période précontractuelle, in Etudes offertes à Jacques Ghestin, LGDJ, 2001, p. 637. Faye A. « Le transfert de propriété dans la vente de l’immeuble en droit sénégalais », Revue Droit Sénégalais Université de Toulouse, Presses universitaires de Toulouse 1 Capitole, n° 8, nov. 2009, p. 257 Mbaye M.N. « Les transactions immobilières au Sénégal », « De l’esprit du droit africain », Mélanges POUGOUE P. G. Diallo B. « Promesse sous seing privés de vente d’immeuble immatriculé ne vaut » Observations sur CS Sénégal n°79 du 6 juillet 2008, Aliou Bathily c/ Abdoul Diallo, Revue Droit et Ville, n° 71, 2011, p. 175-197, n° 31. Groupe du mardi : Commentaire de l’arrêt des chambres réunies de la cour suprême du 19 juin 2012, compagnie bancaire de l’Afrique de l’ouest (CBAO) c /Société Express Transit Cour suprême, Chambres réunies, 19 juin 2012 La Cour, Vu la loi organique n° 92-25 du 30 mai 1992 sur la Cour de cassation ; Vu la loi organique n° 2008-35 du 8 août 2008 par la Cour suprême ; Vu les mémoires produits en demande et en défense ; Après en avoir délibéré conformément à la loi, Attendu que par arrêt n° 03 de 2 janvier 2008, la Chambre civile et commerciale statuant sur le pourvoi formé par la CBAO contre l’arrêt n° 21 du 15 janvier 2004 de la Cour 21 d’appel de Dakar a, sur le fondement de l’article 38 de la loi n° 92-25 du 30 mai 1992, ordonné la saisine des chambres réunies ; Attendu qu’après cassation de l’arrêt n°229 du 12 mai 2000, un second arrêt rendu entre les mêmes parties procédant en la même qualité dans la même affaire est attaqué par le même moyen que précédemment tiré de la violation de l’article 382 du Code des obligations civiles et commerciales (COCC) ; Sur le moyen unique, tiré de la violation des articles 379, 382 et 383 du COCC, qui fait grief à l’arrêt attaqué d’ordonner la perfection de la vente aux motifs que « aux termes de l’article 382 du COCC, l’engagement de la CBAO de céder les titres fonciers 81/DP et 3409/DG à express Transit et la levée de l’option par cette dernière constituent une promesse synallagmatique de contrat et s’analysent en avant-contrat ; qu’il ressort de ces dispositions que le contrat de vente d’immeuble immatriculé ne se forme qu’au moment de sa passation devant notaire ; que par ailleurs l’article 382 n’exige aucune forme pour la validité de la promesse synallagmatique de vente… », alors qu’une distinction entre le régime juridique de l’avant-contrat et de celui du contrat est en totale contradiction avec les textes et que la Cour de cassation a déjà jugé que la promesse synallagmatique de contrat portant sur un immeuble immatriculé devait être notarié ; Mais attendu que, contrairement à la jurisprudence invoquée par le moyen, les dispositions des articles 321, 322, 323, 382, 383 du COCC n’exigent aucune forme particulière pour la validité de la promesse synallagmatique de contrat ou avant-contrat qu’il faut distinguer du contrat, lequel, lorsqu’il s’agit d’un immeuble immatriculé, doit être passé, à peine de nullité absolue, par devant notaire sauf dispositions législatives ou réglementaires contraires ; que la promesse synallagmatique de contrat oblige les parties à parfaire le contrat ; Et attendu qu’en ordonnant la perfection de la vente, après avoir relevé que « l’engagement de la CBAO de céder les TF n° 81/DP et 3409/DG à Express Transit et la levée de l’option par cette dernière constituent une promesse synallagmatique de contrat qui oblige les parties à parfaire le contrat », la Cour d’appel, loin de violer les textes visés au moyen, en a fait l’exacte application ; PAR CES MOTIFS : Statuant toutes Chambres réunies, Rejette le pourvoi formé par la CBAO contre l’arrêt n° 21 rendu le 15 janvier 2004 par la Cour d’appel de Dakar ; Condamne la CBAO aux dépens ; Ainsi fait, jugé et prononcé par la Cour suprême, Chambres réunies, en son audience publique tenue les jour, mois et an ci-dessus et à laquelle siégeaient […]. Groupe du mercredi : Commentaire de l’arrêt commerciale 14 janvier 2014 22 de la Cour de cassation chambre Cour de cassation chambre commerciale 14 janvier 2014 Sur le moyen unique : Attendu, selon l’arrêt attaqué (Paris, 27 septembre 2012), rendu sur renvoi après cassation (chambre commerciale, financière et économique, 13 septembre 2011, pourvoi n° 10-19.526), qu’en vue d’un rapprochement entre la société Larzul, ayant pour unique associé la société Vectora, et la société Française de gastronomie (la société FDG), un accord a été signé le 14 décembre 2004, prévoyant l’apport du fonds de commerce de la filiale de cette dernière, la société UGMA, et une cession d’actions de la société Vectora à la société FDG ; que le 31 janvier 2005, une promesse d’achat et une promesse de vente ont été signées entre les sociétés FDG et Vectora, cette dernière s’engageant à vendre le solde de sa participation dans la société Larzul, l’option pouvant être levée entre le 1er janvier 2008 et le 31 décembre 2009 ; que de nombreux litiges ayant opposé les parties, la société Vectora a, le 5 mars 2007, rétracté sa promesse ; que la société FDG a exercé son option le 7 janvier 2008 et poursuivi devant le tribunal l’exécution forcée de la vente ; qu’un premier arrêt de la cour d’appel de Paris du 7 octobre 2009 a confirmé le jugement qui a constaté que la vente était devenue parfaite le 31 janvier 2005 ; que devant la cour d’appel de renvoi, la société FDG a renouvelé sa demande relative à la réalisation forcée de la vente ; Attendu que la société FDG fait grief à l’arrêt de l’avoir déboutée de ses demandes, alors, selon le moyen : 1°/ que la promesse de vente vaut vente, lorsqu’il y a consentement réciproque des deux parties sur la chose et sur le prix ; que l’échange d’une promesse unilatérale d’achat et d’une promesse unilatérale de vente réalise une promesse synallagmatique de vente valant vente définitive dès lors que les deux promesses réciproques ont le même objet et sont stipulées dans les mêmes termes ; qu’il résulte des constatations mêmes de l’arrêt que les promesses croisées de vente et d’achat signées le 31 janvier 2005 avaient le même objet et étaient rédigées en des termes identiques et qu’à l’engagement ferme de vente exprimé dans la promesse de vente correspondait un engagement ferme d’achat exprimé dans la promesse d’achat, ce dont il résultait nécessairement que la vente était parfaite dès la signature desdites promesses croisées et que la rétractation postérieure de la société Vectora ne pouvait tenir en échec un échange de consentement qui avait déjà eu lieu, peu important que cette rétractation fût intervenue avant la levée de l’option qui, dans un tel cas de figure, ne pouvait avoir pour objet que de déclencher l’exécution de la vente et non de parfaire sa formation ; qu’en statuant comme elle le fait, la cour viole donc les articles 1101, 1134 et 1589 du code civil, ensemble l’article 12 du code de procédure civile ; 2°/ qu’en s’abstenant de rechercher, comme elle y était pourtant invitée, si les deux promesses unilatérales réciproques de vente et d’achat ne devaient pas être requalifiées en promesse synallagmatique de vente et si, par conséquent, la vente ne pouvait être regardée comme parfaite dès l’échange des consentements intervenus à la date du 31 janvier 2005, de sorte que toute rétractation unilatérale postérieure était impuissante, fût-elle intervenue avant la levée de 23 l’option, à faire échec à la vente déjà formée, la cour prive sa décision de base légale au regard des articles 1101, 1134, et 1589 du code civil et de l’article 12 du code de procédure civile ; Mais attendu, qu’après avoir constaté que la société Vectora s’est engagée à céder à la société FDG 164 711 actions qu’elle possède dans la société Larzul par un acte du 31 janvier 2005, dénommé « promesse de vente d’actions », qui contient un article 2 intitulé « acceptation de la promesse », lequel stipule que « le bénéficiaire accepte la présente promesse en tant que telle si bien qu’elle n’emporte, pour lui, aucune obligation d’achat », l’article 3 précisant que « la vente des actions pourra intervenir à tout moment à première demande pendant la durée de la promesse fixée à l’article 5 à la période du 1er janvier 2008 au 31 décembre 2009, et qu’en conséquence, le bénéficiaire ne pourra procéder à la levée d’option qu’entre ces deux dates, passé cette date, la promesse devenant automatiquement caduque », et que, par acte daté du même jour dénommé « promesse d’achat d’actions », la société FDG s’est engagée à acquérir les dites actions dans des termes identiques à ceux de la promesse de vente, l’arrêt relève que la société Vectora a informé la société FDG le 5 mars 2007 qu’elle rétractait ses engagements ; qu’en l’état de ces constatations et appréciations, la cour d’appel, qui a recherché si la vente pouvait être regardée comme parfaite à la date des deux actes réciproques, a exactement retenu que la rétractation opérée par la société Vectora avant la levée d’option était exclusive d’une rencontre des volontés réciproques de vente et d’acquérir, de sorte que l’exécution forcée de la vente ne pouvait être ordonnée ; que le moyen, inopérant en sa première branche, n’est pas fondé pour le surplus ; PAR CES MOTIFS : REJETTE le pourvoi Documents : Cour suprême (ex. Cour de cassation) du Sénégal Arrêt n° 79 du 16 juillet 2008 Aliou Bathily c/ Abdoul Diallo La Cour Après en avoir délibéré conformément à la loi ; Vu la loi organique n° 92-25 du 30 mai 1992 sur la Cour de cassation ; Attendu, selon l’arrêt confirmatif attaqué, que par jugement du 28 mars 2001, le tribunal régional de Dakar, après avoir rejeté la demande de résolution du contrat de vente conclu entre Aliou Bathily et Abdoul Diallo et constaté que ce dernier s’est libéré du prix convenu, a ordonné la perfection du contrat sous astreinte de 15000 F par jour de retard ; Sur le premier moyen pris de la violation des dispositions des articles 323, 382 et 383 du Code des Obligations Civiles et Commerciales, en ce que le juge d’appel a confirmé la perfection de la 24 vente sur la base uniquement d’un acte sous seing privé n’ayant pas date certaine, passé entre le défendeur au pourvoi et El hadji Mamadou Sall qui, ne disposant pas d’une procuration notariée, n’a jamais justifié être son mandataire, alors que, s’agissant d’un titre foncier, les transactions portant sur l’immeuble dont la perfection de la vente était recherchée, sont régies par un formalisme rigoureux fixé par les règles visées au moyen ; Vu les articles 323, 382 et 383 du Code des Obligations Civiles et Commerciales, ensemble l’article 258 du même Code ; Attendu qu’en vertu de ces textes d’ordre public, la vente et la promesse synallagmatique de vente d’un immeuble immatriculé, ainsi que la procuration donnée pour conclure de tels actes doivent, à peine de nullité absolue, être passées par devant notaire ; Attendu que, pour confirmer le jugement entrepris, qui a ordonné la perfection de la vente d’un immeuble objet du TF n° 19916/DG sur la base d’un acte sous seing privé, l’arrêt retient « que l’appelant principal bien que représenté par un conseil, n’a versé au dossier, à part l’acte d’appel, aucune autre pièce pour soutenir sa demande tendant à l’infirmation de la décision attaquée ; que l’attitude de l’appelant laisse supposer qu’il n’a pas de moyens sérieux à opposer aux arguments retenus par les premiers juges » ; Qu’en se déterminant ainsi, alors que la vente porte sur un immeuble immatriculé, la cour d’Appel a violé les textes susvisés ; PAR CES MOTIFS, Et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les deuxième et troisième moyens : Casse et annule… 25 Cheikh Anta Diop de Dakar Faculté des Sciences Juridiques et Politiques Licence II Droit des Obligations – Semestre III Année académique 2014-2015 Séance n° 3 Thème : La formation du contrat Ouvrages généraux et articles : - Bourel P., La formation du contrat en droit sénégalais, Réflexions sur la modernité du code des Obligations Civiles et Commerciales, RSD, sept.1969 -Fabre-Magnan M., Droit des obligations 1- Contrat et engagement unilatéral, PUF, 3éd, 2012 -Mekki S. et Mekki. M., Droit des contrats, Recueil Dalloz, 2015, p.529 -L. Grynbaum, contrats entre absents : les charmes évanescents de la théorie de l’émission de l’acceptation, D. 2003, p. 1706. - Vivien G. « De l’erreur déterminante et substantielle », RTD Civ 1992, P 305. -Code des obligations civiles et commerciales du Sénégal Travail à faire : Cas pratiques Groupe Mardi Cas 1 : Monsieur Diallo se décide de partir en vacance avec sa famille dans un appartement loué à Saly. L’annonce ayant donné lieu à la conclusion du contrat était rédigée de la manière suivante : "Loue cinq cent mille (500 000) FCFA appartement tout confort et dans un cadre paradisiaque à Saly, pour la période du 15 au 22 décembre". A son arrivée, il fut pourtant surpris de constater que l’appartement était dépourvu de prises électriques. En outre, l’alimentation en eau courante était défectueuse. Enfin une odeur nauséabonde émanant d’un dépôt d’ordures jonchées non loin de l’appartement, l’empêchait de profiter du balcon. Face à ces désagréments, Monsieur Diallo et sa famille renoncèrent à leurs vacances et revinrent à Dakar le jour même. Il téléphone alors le propriétaire pour l’informer de la situation et exiger le remboursement de la somme versée. Pourra-t-il obtenir gain de cause ? 26 Sur le chemin de retour, il acheta un appareil photo numérique, dans un magasin spécialisé séduit qu’il était par la photo de couverture de l’emballage. Cependant, Lorsqu’il défit l’emballage, il fut surpris de constater des différences entre l’appareil et sa représentation photographique. Malheureusement, son attention ne s’était pas portée sur la mention en petits caractères « photographie non contractuelle ». Dépité, il veut obtenir le remboursement du prix d’achat de l’appareil Est-ce possible ? Cas 2 : Mamadou, domicilié à Tambacounda décide d’’investir dans l’immobilier. Son frère qui vit à Dakar le met en rapport avec un promoteur immobilier. Ce dernier par le biais d’échanges électroniques en date du 4 janvier lui fait une offre concernant un certain nombre de terrains. Après mûre réflexion, Mamadou répond à l’offre le 10 janvier. Mais le promoteur n’a pu lire ce message d’acception que le 20 janvier. Hélas, il avait déjà vendu les terrains à un autre acheteur. Mamadou engage une action en justice afin d’obtenir l’annulation de la dite vente estimant qu’il avait contracté en premier avec le promoteur. Cette action a- t- elle des chances d’aboutir ? Groupes du mercredi Cas 1 : Abdoulaye, riche homme d’affaire vous entretient de deux problèmes. Il souhaite récupérer la bague qu’il a offerte à sa femme lors de son anniversaire. En effet, sa femme sous la pression de son employeur, a vendu la bague à la fille de ce dernier. Par ailleurs, il y a deux jours, il a acheté un billet aller/retour Dakar-Paris-Dakar au prix très intéressant de 150.000 Francs CFA. A peine sorti, Il reçoit un sms de l’agence lui signifiant que le prix de vente du billet était erroné en raison d’un bug de l’ordinateur. Et au lieu des 150000, le prix est de 450000. L’agence l’invite à payer le reliquat sous peine de poursuites. Conseillez-le utilement Cas 2 : La société « SENEBETON » a commandé par internet des ordinateurs pour la gestion de l’entreprise sur le site d’un distributeur de produits informatiques « INFOTECH ». Au moment de valider la commande, un message en gros caractères apparait sur l’interface et mentionnait « livraison sous huitaine a partir de la vente ; vente effective qu’après confirmation expresse du distributeur de la commande de l’acheteur ». Le gérant a ainsi cliqué pour valider sa commande. 27 Le lendemain de sa commande alors qu’il n’a pas reçu aucune confirmation, le gérant de la société reçut dans sa boite mail une offre très intéressante. En effet, les mêmes ordinateurs lui sont proposés à moitié prix par un concurrent d’INFOTECH. Il se résolut à accepter ladite proposition et fit immédiatement un courrier pour annuler la première commande Pourtant, huit jours plus tard, INFOTECH livrait les ordinateurs et réclamait le paiement du prix. Que peut faire la société « SENEBETON » Documents : Dispositions légales : Article 80 du Code des obligations civiles et commerciales Contrat entre absents, l’offre Sauf volonté contraire, l’offre lie le pollicitant dès lors qu’elle précise les éléments principaux du contrat proposé. L’incapacité ultérieure ou le décès du pollicitant rendent l’offre caduque. Le pollicitant peut rétracter l’offre tant qu’elle n’a pas été acceptée. Cependant, lorsqu’un délai a été fixé pour l’acceptation ou que ce délai a été fixé pour l’acceptation ou que ce délai résulte des circonstances, la révocation de l’offre ne peut intervenir avant qu’il soit expiré. Article 81 du Code des obligations civiles et commerciales Contrat entre absent, l'acceptation Sauf dans les contrats conclus en considération de la personne, l’acceptation pure et simple forme le contrat. L’acceptation peut être tacite, sous réserve d’un mode déterminé d’acceptation imposé par le pollicitant. Le silence vaut acceptation lorsque les relations d’affaires existant entre les parties les dispensent de toute autre manifestation de volonté. Article 82 du Code des obligations civiles et commerciales Entre absent, le contrat se forme comme entre personnes présentes au moment et au lieu de l’acceptation. Cependant, si l’offre est acceptée tacitement, le contrat se forme au moment ou l’acceptation tacite est réputée être intervenue. Document 2 : Seriaux A., Droit des obligations, 2e éd., P.U.F, pp. 50 à 54 28 La rencontre de l’offre et de l’acceptation 1-Le moment de la rencontre.Tout contrat est en soit un accord des volontés : une convention. C’est dire l’importance de déterminer avec précision le moment où cet accord se réalise. Nombre des questions capitales en dépendent : la date du contrat ; la loi qui lui est applicable ; l’obligation pour les parties d’exécuter à l’avenir scrupuleusement leur convention ; etc. De prime abord, la difficulté qu’il peut y avoir à fixer le moment de la rencontre des volontés n’est guère perceptible : le plus souvent, les cocontractants sont en présence l’un de l’autre et l’acceptation de l’un est, aussitôt exprimée, connu de l’autre. Elle prend en revanche tout son relief dans les contrats par correspondance, c’est-à-dire plus généralement chaque fois que les cocontractants, éloignés physiquement l’un de l’autre, utilisent entre eux des moyens de communication qui demandent du temps (lettres, télégrammes, actes extrajudiciaires, etc.). Un décalage apparait alors nécessairement entre le moment de l’acceptation et celui ou le pollicitant en prend connaissance. D’autres hypothèses sont d’ailleurs envisageables. Ainsi : un contrat est passé par téléphone ; mais la ligne est coupée au moment même où l’acceptation est émise, si bien que le pollicitant n’en a pas connaissance. Dans tous ces cas, quand les volontés de l’acceptant et du pollicitant sont elles censées s’être rencontrées ? Estce lors de la formulation de l’acceptation, ou est –il nécessaire que le pollicitant prenne connaissance de cette acceptation ? La question a été discutée. Pour certains, le contrat doit être considéré comme formé dès l’acceptation du destinataire de l’offre ou, pour plus de sûreté, dès l’émission de cette acceptation(le cachet de la poste faisant foi, par exemple). Ce sont les théories dites de la déclaration(ou de l’émission de l’acceptation). Pour d’autres, au contraire, la réciprocité des consentements impose que le pollicitant ne soit point lié avant d’être informé ou, au moins, avant d’avoir reçu des nouvelles de l’acceptation, même s’il n’a pas eu le temps d’en prendre effectivement connaissance. Ce sont les théories dites de l’information(ou de la réception de l’acceptation). Par delà ces clivages, il est aisé de discerner deux sensibilités juridiques opposées. Avec les théories de la déclaration, l’accent est mis sur la rapidité des transactions. Le pollicitant, en faisant une offre, prend le risque qu’elle soit acceptée sans qu’il le sache et ce même à la dernière minute du délai de maintien de l’offre. L’acceptation, quant à lui, se lui une fois pour toutes par son acceptation, sans pouvoir escompter revenir sur son consentement par l’expédition d’un télégramme ou par une communication téléphonique annulant l’acceptation avant sa réception par le pollicitant. En contrepartie, il gagnera un temps préciaux, qui lui permettra parfois de devancer d’autres destinataires de la même offre, moins prompts à se décider, sans être à la merci de hasards malencontreux dans la distribution du courrier. Que l’on songe par exemple, aux relations commerciales : l’achat pour revendre aussitôt est une activité essentielle au commerce. Or le transfert de propriété est lié par notre code civil (art. 1589) à la formation du contrat… Les partisans des théories de l’information donnent au contraire la primauté à la sécurité des transactions. Ainsi pour un auteur, << l’irrévocabilité d’une volonté est un effet trop grave pour admettre la hâte ou la précipitation, et on a le droit d’hésiter ou de se reprendre tant que le consentement n’est pas complètement échangé : il n’ya de concordance entre les deux oui que lorsque chacun sait que l’autre l’a dit>>. Dans les 29 relations purement civiles, de telles observations sont loins d’être négligeables. C’est ainsi en matière de donations, acte civil par excellence, l’art.932 cc se rattache ostensiblement à la théorie de la réception effective de l’acceptation par le pollicitant(donateur) en exigent que le donataire lui ait notifié son acceptation( rappr. Pour les notifications par voie postale : art.668 et s. NCPC). Aussi est- il bien délicat d’établir en la matière d’une règle générale. Tout dépendra finalement de la nature du contrat, des circonstances qui entourent sa formation, de son objet, de l’intention des cocontractants, etc. On comprend que notre jurisprudence se soit longtemps borné à décider que « dans les conventions qui se lient par correspondance, la fixation du moment où le contrat est devenu parfait entre les parties est généralement une question de fait dont la solution dépend des circonstances de la cause. (Civ, 06 août 1867 DP 1868.1.25). Aux juges du fond de statuer souverainement dans chaque cas (com. 07 janv. 1959 bull civ.iii n 10). Pourtant, influencée sans doute par des auteurs qui réclamaient au moins une règle supplétive de volonté, la cour de cassation se serait plus récemment prononcée en faveur de la théorie de l’émission de l’acceptation, tout en autorisant d’ailleurs une volonté contraire des futurs cocontractants( com. 07 janv. 1981 bull Civ IV, n 14, RTD.civ 1981.849, obs. F. Chabas ; grands arrêts n 82). Qu’il nous soit cependant permis de demeurer sceptiques ! D’abord l’examen de la décision montre que, bien davantage qu’on ne l’a dit, la cour s’est réfugiée derrière la volonté perceptible des parties aux contrats : « faute de stipulation contraire, l’acte du 10 juin 1975 était destiné à devenir parfait », commence par affirmer la cour de cassation. Le ton, les motifs utilisés marquent le souci de se référer aux termes même de cette convention, non d’une autre. En outre même si l’on admet que la Cour a entendu poser une règle générale, il reste que c’est la chambre commerciale qui a statué : il n’est pas dis que les autres chambres de la Cour de cassation soient aussi sensibles qu’elle a l’impératif commercial de rapidité des transactions. Elles risqueront dès lors soit de poser à leur tour des principes opposés à ceux de la chambre commerciale, soit de maintenir plus prudemment l’idée qu’il s’agit d’une question de fait variable au gré des espèces. Cela s’est déjà vu et parait même souhaitable à moins que le législateur ne se décide à promulguer lui-même une règle uniforme, supplétive de volonté et plus aisément connaissable que ne l’est une norme d’origine prétorienne. 2-Le lieu de la rencontre. C’est en des termes analogues que se pose aussi la question du lieu de la rencontre de l’offre et de l’acceptation. Ici encore, elle prend tout son importance dans les contrats passés entre personnes situées en des lieux éloignés l’un de l’autre (exemple : contrats passés par téléphone) ; mais elle pourrait tout aussi bien concerner des cocontractants placés l’un à côté de l’autre : la proximité des lieux, aussi grande soit-elle, n’est jamais – la matière y fait obstacle- une identité de lieux. La détermination du lieu de l’échange des consentements est utile en plusieurs circonstances. Elle permet tout d’abord dans les contrats internationaux de décider, ç défaut de choix spontané des parties, quelle est la loi applicable au contrat. C’est en effet, fréquemment la loi du lieu de formation du contrat qui est retenu. Par ailleurs notre droit judiciaire admit longtemps que le tribunal compétent pour trancher les litiges en matière contractuelle pouvait 30 être celui du lieu de formation du contrat (voir. Art 59 al 3 ; et 420 ancien CPC) Si cette solution a été en principe abandonnée dans le Nouveau code de procédure civile, elle a cependant été maintenue, en faveur du seul salarié, dans les litiges concernant le contrat de travail. A nouveau la doctrine s’est divisée. Le désaccord a non seulement porté sur le choix du lieu( lieu de l’émission de l’acceptation ou lieu de sa réception par le pollicitant), mais aussi sur le point de savoir si ce choix dépendait ou non de la question préalable de la détermination du moment de l’échange des consentements : aux thèses monistes du début du siècle, s’opposèrent bientôt les partisans du dualisme, voire du plus complet éclectisme ( FlourAubert). La Cour de cassation* quant à elle, n’a jamais caché sa faveur pour une conception unitaire du moment et lieu de formation du contrat. « Dans les conventions qui se lient par correspondance, la fixation du moment et en conséquence du lieu où le contrat est devenu parfait est généralement une question de fait dont la solution dépend des circonstances de la cause » a-t-elle fréquemment décidé. Il faut, pensons nous, l’en approuver. Aucun contrat ne se forme dans l’abstrait : l’échange des consentements est lié à un acte humain précis, situé dans le temps et dans l’espace. Le bon sens impose une fois le choix fixé sur tel acte( émission de l’acceptation ou réception de celle-ci, peu importe), celui-ci serve simultanément à former le contrat et à le localiser. L’observation vaut même pour les contrats passés par téléphone : si l’on admet par exemple que le contrat est formé dès l’émission de l’acceptation, c’est logiquement au lieu où se trouve l’acceptant que le contrat s’est formé. Qu’une telle localisation paraisse bien fragile compte tenu du fait que l’acceptation peut être émise de n’importe quel endroit, c’est là une toute autre considération, qui suggère seulement d’appliquer d’autres critères de rattachement, tel, par exemple le lieu d’exécution de la prestation principale. C’est d’ailleurs vers cette solution que s’est progressivement tourné le droit contemporain ( V. art. 46, NCPC ; art, 5-1 Conv. De Bruxelles du 27 Sept 1968 ; art. 4, Conv. De Rome du 19 Juin 1980.). 31 Université Cheikh Anta Diop de Dakar Cours : Prof. Patrice S. BADJI Coord. : Ndeye F.LECOR Faculté des Sciences Juridiques et Politiques Licence II Droit des Obligations – Semestre III Année académique 2014-2015 Séance n° 4 Thème : L’exécution du contrat Travail à faire : Cas pratiques Ouvrages généraux et articles : Fabre-Magnan M. « Droit des obligations 1- Contrat et engagement unilatéral », PUF, 3éd, 2012 Mazeaud D. « Que reste-t-il de l’intangibilité du contrat », Dr. et patr. mars 1998, p.51 Jamin C. « Révision et intangibilité », Dr. et patr. mars 1998, p.46 AYNES L. « Les effets du contrat à l’égard des tiers », RDC, 2006, p.63 Thibierge C. « De l’élargissement de la notion de partie au contrat….à l’élargissement de la portée de l’effet relatif », RTD Civ. 1994, p.275 Diagne S. « La pratique du montage contractuelle : Réflexions sur une figure juridique en construction », Thèse UCAD, FSJ, 2015 Cass Civ, 6 mars 1876 Groupe Mardi Cas1 : Grâce à un emprunt bancaire, Nafi a ouvert une boutique de vente florissante de bijoux de fantaisie. Malheureusement, l’accident de la circulation dont elle a été victime récemment, l’a rendu paraplégique. Aussi, est-elle dans l’incapacité de poursuivre ses activités et d’honorer les échéances bancaires auprès de sa banque. Celle-ci saisit alors son mari, Aziz, riche homme d’affaires, afin qu’il rembourse le prêt contracté par sa femme. Face au refus catégorique de ce dernier, la banque saisit la justice pour entrer dans ses fonds. Qu’en pensez-vous ? 32 Cas 2 : Pape, propriétaire d’une station service, a signé un contrat d’approvisionnement de produits pétroliers et ses dérivés pour une durée de dix (10) ans avec la société « SENPETROLE». En raison d’une chute des prix due à un effondrement du marché pétrolier, Pape fait face à des difficultés financières. En effet, il est contraint de proposer des prix nettement supérieurs à ceux pratiqués par ses concurrents pour éviter de vendre à perte. Il saisit alors la société afin qu’ils renégocient les termes de leur contrat. Pour ce faire, il invoque la clause de renégociation stipulée dans le contrat. « SENPETROLE » s’oppose pourtant à toute idée de renégociation. Selon la société, la mise en œuvre de la clause est subordonnée à l’existence d’un cas de force majeur. Or, tel n’est pas le cas en l’espèce. Qu’en pensez-vous ? Groupe Mercredi : Cas 1: Ousmane, avait engagé un entrepreneur pour la construction de sa maison. Deux années après son aménagement, Il se rend compte que le matériel de plomberie est vétuste et de mauvaise qualité. Il saisit alors la société qui s’en était chargée. Cependant, le gérant lui oppose une fin de non recevoir aux motifs que la société n’était en relation qu’avec l’entrepreneur. Elle n’avait donc de compte à rendre qu’à ce dernier. Très remonté, Ousmane voudrait savoir : 1-Si l’argument soulevé par la société peut prospérer ? 2- Quelles solutions s’offrent à lui ? Cas 2 : Safi a gagné l’appel d’offre pour la restauration du personnel d’une société de la place. Quelques mois plus tard, le personnel se plaint de la qualité des repas servis. Saisie par la direction, elle subordonne l’amélioration des repas servis à une revalorisation du budget alloué pour la restauration. La société lui oppose un refus catégorique. Elle exige des repas de qualité sans aucune autre contrepartie, que celle prévue dans le contrat. La société est-elle dans son droit ? Forte de cette expérience, Elle voudrait savoir comment se prémunir à l’avenir de tels désagréments, d’autant qu’elle a gagné un autre marché d’une durée de 6 ans. Documents 1 : Cour de cassation Assemblée plénière 12 juillet 1991 33 Sur le moyen unique : Vu l’article 1165 du Code civil ; Attendu que les conventions n’ont d’effet qu’entre les parties contractantes ; Attendu, selon l’arrêt attaqué, que plus de 10 années après la réception de l’immeuble d’habitation, dont il avait confié la construction à M. X..., entrepreneur principal, et dans lequel, en qualité de sous-traitant, M. Z... avait exécuté divers travaux de plomberie qui se sont révélés défectueux, M. Y... les a assignés, l’un et l’autre, en réparation du préjudice subi ; Attendu que, pour déclarer irrecevables les demandes formées contre le sous-traitant, l’arrêt retient que, dans le cas où le débiteur d’une obligation contractuelle a chargé une autre personne de l’exécution de cette obligation, le créancier ne dispose contre cette dernière que d’une action nécessairement contractuelle, dans la limite de ses droits et de l’engagement du débiteur substitué ; qu’il en déduit que M. Z... peut opposer à M. Y... tous les moyens de défense tirés du contrat de construction conclu entre ce dernier et l’entrepreneur principal, ainsi que des dispositions légales qui le régissent, en particulier la forclusion décennale ; Attendu qu’en statuant ainsi, alors que le sous-traitant n’est pas contractuellement lié au maître de l’ouvrage, la cour d’appel a violé le texte susvisé ; PAR CES MOTIFS : CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il a déclaré irrecevable la demande dirigée contre M. Z..., l’arrêt rendu le 16 janvier 1990, entre les parties, par la cour d’appel de Nancy ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Reims Document n° 2 : EXTRAIT DE DENIS MAZEAUD, Du nouveau sur l'obligation de renégocier Recueil Dalloz 2004, Jurisprudence p. 1754. 1. Lentement, mais sûrement, précisément tous les six ans, la Cour de cassation rappelle à tous les observateurs de la planète contractuelle que, si elle n'est toujours pas disposée à faire sauter le « canal de Craponne », elle concède cependant l'existence d'une mince ouverture dans le monument jurisprudentiel, édifié en 1876 (2), sous la forme de la reconnaissance d'une obligation de renégocier (3) les contrats devenus profondément déséquilibrés. Mais l'intérêt du nouvel arrêt rendu, le 16 mars 2004, par la première Chambre civile ne se réduit pas à la simple réaffirmation d'une solution émise naguère par la Chambre commerciale ; la Cour profite, en effet, de l'occasion pour apporter des précisions fondamentales sur le domaine de cette obligation, fondée sur l'exigence de bonne foi. 34 2. Aux termes d'un contrat de sous-concession, une société avait obtenu, pour une durée de dix ans, l'exploitation d'un restaurant à caractère social et d'entreprises et devait, en contrepartie, verser un loyer annuel au concessionnaire initial, une association, et une redevance au concédant, une commune. A mi-parcours contractuel, cette société, invoquant un bouleversement de l'équilibre contractuel, demanda au juge de prononcer la résiliation du contrat, qu'elle avait cessé d'exécuter. Demande qui fut écartée par la cour d'appel qui, tout au contraire, la condamna pour rupture unilatérale à payer diverses sommes à ses partenaires. Jouant alors son va-tout, la société forma un très audacieux pourvoi dans lequel elle reprochait aux juges du fond de ne pas avoir donné de base légale à leur décision, au regard des articles 1134 et 1147 du code civil. Selon elle, puisque « les parties sont tenues d'exécuter loyalement la convention en veillant à ce que son économie générale ne soit pas manifestement déséquilibrée », la cour d'appel aurait dû rechercher « si, en raison des contraintes économiques particulières résultant du rôle joué par (le concédant) dans la détermination des conditions d'exploitation de la concession, et notamment dans la fixation du prix des repas, (ses cocontractants) n'avaient pas le devoir de mettre la société (...) en mesure d'exécuter son contrat dans des conditions qui ne soient pas manifestement excessives pour elle et d'accepter de reconsidérer les conditions de la convention dès lors que, dans son économie générale, un déséquilibre manifeste était apparu ». En clair, l'inégalité contractuelle, qui se traduisait par le pouvoir détenu par un des contractants de fixer unilatéralement les modalités d'exécution du contrat, emportait, au nom du devoir de bonne foi et à la charge des contractants du demandeur au pourvoi, une obligation de renégocier ce contrat-cadre de dépendance manifestement déséquilibré. 3. La première chambre civile de la Cour de cassation n'a pas succombé aux charmes de ce pourvoi, que même les plus fervents partisans du solidarisme contractuel (4) éprouveraient quelques difficultés à cautionner. Pour le rejeter, elle affirme que les juges du fond avaient relevé que la société, qui l'avait formé, « mettait en cause le déséquilibre financier existant dès la conclusion du contrat et non le refus injustifié de la commune et de l'association de prendre en compte une modification imprévue des circonstances économiques et ainsi de renégocier les modalités du sous-traité au mépris de leur obligation de loyauté et d'exécution de bonne foi ». Puis, la Cour, pour marquer un peu plus encore son approbation de la solution émise par la cour d'appel, et donner par la même occasion une sorte de petite leçon de morale contractuelle, souligne que celle-ci avait ajouté que la société « ne pouvait fonder son retrait brutal et unilatéral sur le déséquilibre structurel du contrat que, par sa négligence ou son imprudence, elle n'avait pas su apprécier ». 4. A une époque où les réactions du législateur et du juge contre le déséquilibre contractuel se multiplient et alimentent le débat entre les zélateurs de la liberté contractuelle et les adeptes de la théorie du solidarisme, l'arrêt commenté constitue, nous semble-t-il, une intéressante source de réflexions, dans la mesure où, au moins implicitement, il trace, à travers la question spécifique de la portée de l'obligation de renégocier, la frontière entre ce qui relève de la liberté et de la responsabilité des contractants dans le processus contractuel et ce que ceux-ci sont en droit d'attendre du devoir de bonne foi que notre droit positif a sensiblement réactivé depuis une trentaine d'années. A juste titre, pensons-nous, la Cour de 35 cassation rappelle, en définitive, que l'équilibre des stipulations et des prestations contractuelles est, en principe, l'affaire des contractants, meilleurs juges de leurs propres intérêts, qui, parce qu'ils le déterminent librement, doivent ensuite en assumer la responsabilité. En somme, le déséquilibre est, sauf s'il procède d'un abus de puissance inacceptable et s'il se traduit par un excès inadmissible, la rançon de la liberté. Néanmoins, la Cour concède, c'est bien le moins, que lorsqu'un profond déséquilibre économique survient pendant l'exécution du contrat et qu'il procède d'un changement imprévisible et brutal des circonstances qui ont présidé à la conclusion du contrat, le devoir de bonne foi prend alors le relais et contraint les contractants à faire preuve d'un minimum de solidarité. 5. Sans forcer exagérément le trait, ni solliciter excessivement cet arrêt, il semble bien que c'est cette stimulante leçon de politique contractuelle que la première Chambre civile a entendu donner, à cette occasion, en réaffirmant, fort opportunément, le principe de l'obligation de renégocier (I) et en en déterminant, avec précision, le domaine (II) […] 36