Nouveau luxe Dissertation sur la collaboration entre

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Nouveau luxe Dissertation sur la collaboration entre
Nouveau luxe
Dissertation sur la collaboration entre
le luxe et la sphère artistique
Dans l’Antiquité, luxe et art ne faisaient qu’un et l’on ne différenciait pas l’artiste de l’artisan. Il semblerait que, depuis
quelques années, s’opère un retour en arrière et que l’on observe, de plus en plus, une interdépendance entre l’univers
du luxe et la sphère artistique contemporaine. Ce rapprochement s’explique notamment par un contexte double du
marché : le produit de luxe se veut de plus en plus esthétique, tandis que de son côté, l’art tend à devenir une « marchandise » soumise à des exigences de rentabilité. Si ce type de partenariat fleurit c’est qu’il profite aux deux entités :
L’artiste se voit ravi de pouvoir bénéficier de moyens financiers sans précédents et d’inestimables supports de promotion de son travail, tandis que la marque, elle, accentue sa notoriété en profitant du succès d’un artiste, retrouve une
légitimité dans un domaine où l’industrialisation semble avoir définitivement pris le dessus mais surtout, renforce sa
valeur iconique. En effet, le luxe l’a bien compris, pour exister et se démarquer sur un marché pléthorique, il faut faire
rêver. Ainsi, les grandes enseignes, à travers des partenariats avec les artistes, valorisent leur image de marque en lui
associant une histoire (story-telling) forte et émotionnelle afin de faire de ses produits de véritables biens culturels.
Preuves en sont les différents musées et expositions autour du luxe qui fleurissent (Fondation Louis Vuitton, Musée
Dior, exposition sur Yves Saint Laurent, etc.). Cette nouvelle scénographie muséale de la marque de luxe permet de
légitimer le produit comme un bien culturel et de valoriser, à l’instar d’une œuvre d’art, l’histoire, la tradition et le
savoir-faire qui en émanent. Autant de propriétés fondamentales pour la denrée luxueuse à une époque où le phénomène de « nouveau luxe » amène les consommateurs à exiger un produit unique et si imprégné d’histoire qu’il suscitera
chez eux une expérience émotionnelle. Mais ce n’est pas tout, en adoptant les produits d’une marque, le consommateur revendique son adhésion aux valeurs et à l’imaginaire prônés par l’enseigne. Il tend, par là, à se distinguer et à
valoriser sa propre représentation en optant pour des produits qui ne véhiculent non plus un message ostentatoire et
futile mais, au contraire, qui font de lui quelqu’un de raffiné et de cultivé.
Observons rapidement un exemple de collaboration entre art et grandes marques, à travers l’une des enseignes les plus
emblématiques du phénomène du nouveau luxe : Louis Vuitton. Après Stephen Sprouse, Richard Prince et Takashi
Murakami, c’est avec l’artiste nipponne Yayoi Kusama que collabore la célèbre maison au Monogram en 2012. De
cette rencontre inédite naissent des vitrines, des pop-up stores ou encore une application Smartphone. L’obsession et
la prolifération comptent parmi les thèmes préférés de l’artiste déjantée et donnent le tons aux vitrines réalisées pour
le célèbre malletier : couleurs criardes et motifs obsédants pour mettre en valeur les produits d’une collaboration qui
se veulent vecteurs d’indépendance et d’aliénation, la preuve s’il en faut que ce type de collaboration se destine à un
consommateur qui cherche la distinction sociale et une expérience d’achat unique, émotionnelle et décalée dans une
boutique que tous ne sauraient pas apprécier.
En conclusion, l’art contemporain s’est avéré être une réponse face à une problématique de taille pour le domaine du
luxe : comment durer et se renouveler sans cesse tout en se différenciant sur un marché saturé ?
Si les maisons tirent parti de ces collaborations avec la sphère artistique, il semble toutefois judicieux de se demander
si les artistes, eux, ne risquent pas de se voir relayés, un jour, au statut de simple créatifs au service d’une marque.
Marie Castella, le 16 novembre 2015