Le Soir - Habemus Papam

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Le Soir - Habemus Papam
10/10/12
Quand la scène met le nez Dehors
« Barakstad » au KVS et « Dehors » au Théâtre de Namur affrontent une réalité que notre
société ne saurait voir : la misère de la rue.
Il en va des hasards du calendrier comme des lapsus : ils sont souvent révélateurs. En octobre, deux pièces
plongent dans l’extrême pauvreté pour interroger les rouages grippés de notre société. D’un côté, le
magistral Barakstad/Bidonville mis en scène par Guy Dermul et repris au KVS. De l’autre, la création au
Théâtre de Namur de Dehors par Antoine Laubin (déjà remarqué avec Les langues paternelles). Dans un
contexte de crise qui précipite toujours plus de monde dans la précarité, ces deux pièces viennent bousculer
les consciences, s’inspirant des écrits du psychanalyste Patrick Declerck, qui a lui-même vécu parmi les
clochards parisiens avant d’ouvrir une consultation réservée aux SDF.
On ne ressort pas indemne du projet de Guy Dermul, à la fois engagé et d’une poésie enfiévrée, qui s’ouvre
sur une scène baignée d’eau, striée de planches posées là comme les fondations d’une maison aujourd’hui
écroulée, annonçant l’histoire de ces naufragés de la vie, pataugeant dans une vie de misère pour garder la
tête hors de l’eau. Nico Sturm y porte le récit de l’auteur anversois JMH Berckmans. Celui d’un homme
embourbé dans une dépression chronique, les files interminables du chômage, les numéros d’équilibristes
entre ses maigres allocs et ses dépenses pour avaler pain gris, lard et café, les cuites à se foutre en l’air, la
réinsertion en « autonomie accompagnée ». Mais le séisme que provoque en nous Barakstad provient aussi
du pamphlet de Patrick Declerck scandé par Guy Dermul au son de la batterie de Han Bennink. Pulsations
brutes et vérités dérangeantes se combinent. « Que l’on meure d’hypothermie dans la rue, en octobre par
17ºC n’est pas foncièrement gênant pour l’opinion publique, pointe l’anthropologue. Non, ce qui serait
intolérable, c’est que l’on meure en grappe sur les marches de la cathédrale, un 24 décembre au soir, par
temps de neige et - 15ºC ! » Hypocrisie, saupoudrage de moyens dérisoires, cécité organisée : la société ne
veut pas vraiment résoudre ce problème. Au contraire, explique Declerck, « le SDF a une fonction dans la
société, il est la version moderne du corps des suppliciés pourrissant jadis sur la Grand-Place.
L’incontournable exemple. Regardez ! Voilà ce qui arrive à ceux qui transgressent les obligations de la
société. » Declerck décrit les solutions, en décalage accablant avec les moyens mis en place. D’une
puissance salutaire, entre constats tranchants et poésie visuelle, Barakstad clame haut et fort le droit de tous
à survivre pour nulle autre raison que celle, tout simplement, d’être.
En parallèle, Dehors s’inspire aussi de Patrick Declerck pour aborder la clochardisation dans une pièce
entre fiction et documentaire. « On est parti du sentiment que, dans tous les domaines – les pouvoirs
publics, les médias et même les démarches artistiques –, on n’arrive pas à démêler ce thème de la pauvreté,
de l’exclusion, peut-être parce que c’est un sujet qui véhicule beaucoup de culpabilité, remarque le metteur
en scène Antoine Laubin. Pourtant, c’est un thème qui dit beaucoup sur le fonctionnement de notre société,
le contrat social, le vivre ensemble. Attention, nous ne sommes pas dans une forme militante ou
moralisatrice, mais plutôt dans un constat d’impuissance, dans une tentative d’évoquer nos rapports à la
misère. » Chaque soir, les comédiens tireront au sort les scènes qu’ils joueront. « D’abord, parce que nous
travaillons sur ce projet depuis sept ans et qu’il est impossible de faire le tour de la matière en un seul
spectacle. Et puis aussi parce que la réflexion de Declerck tourne beaucoup autour de la volonté, autour de
cette idée reçue que “si on veut, on peut”. Quelle est la part de choix dans le sort du SDF, dans la maladie,
l’alcoolisme ? En mettant l’aléatoire au cœur du spectacle, on interroge cette idée de hasard ou de volonté,
de déterminisme social. Je voudrais quand même préciser que si c’est un sujet sérieux, noir même, Dehors
est un spectacle assez ludique, où l’on aborde aussi le plaisir de faire du théâtre. »
Catherine Makereel