Je vous remercie pour ces mots élogieux, qui m`honorent et qui m

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Je vous remercie pour ces mots élogieux, qui m`honorent et qui m
1 Je vous remercie pour ces mots élogieux, qui m’honorent et qui m’émeuvent. Il est difficile d’exprimer ce que je ressens. Comme disais ma grand‐mère Etiennette « je suis toute chavirée ». C’est un moment fort, inattendu et bouleversant. C’est un sentiment particulier qui m’envahit, d'accomplissement et de renouveau, de perspectives et de retour aux origines, d'une grande boucle et d'un long chemin parcouru, une aventure humaine incroyable jalonnée par des rencontres formidables, des amitiés inoubliables, des avancées capitales. Professeur Claude Huriet, vous m’avez remis cet insigne prestigieux de Chevalier de l’Ordre National du Mérite et vous avez accepté d’être mon parrain. C’est un grand Honneur pour moi. Au‐delà de l’immense respect que je vous porte et de mon admiration pour vos combats et les avancées dont vous avez été à l'origine et qui ont marqué l'histoire de la médecine, il était important pour moi que ce soit vous qui me remettiez cette décoration, de par mon histoire et celle de l’association que vous soutenez avec tant de bienveillance, conseils discrets mais non moins avisés dans les étapes clés de l’association. C’est la reconnaissance de nombreuses années de combat, de sacrifices, de souffrance et de bonheur intense aussi au service des malades atteints de tumeurs desmoïdes et des médecins qui se sont engagés à nos côtés pour améliorer les connaissances de cette maladie et notre quotidien de malades. C’est aussi un encouragement pour tenir la promesse que j'ai faite voilà 13 ans aux malades atteints de tumeurs desmoïdes et à tous les 1 2 médecins qui les prennent en charge et qui se sont trouvés un jour confrontés au manque de traitement, à un vide face à leur patient, de poursuivre en vers et contre tout, avec tous, ce combat jusqu’à la guérison de cette maladie dure, insaisissable et si étrange… la tumeur desmoïde. Je suis très émue de recevoir cette décoration prestigieuse dans ce lieu intimiste, chargé d’histoire, de culture et de sciences. Madame Valérie Cabuil, Directrice de l’Ecole Nationale Supérieure de Chimie de Paris, je vous remercie de m’avoir offert la possibilité de célébrer cette cérémonie dans cette très belle Bibliothèque de recherche avec toutes les personnes qui m'entourent. Vous êtes nombreux ce soir à mes côtés et je vous remercie, vous qui partagez chacun à votre manière un fragment de ma vie, de mon parcours, de mon combat avec la maladie et SOS DESMOIDE. C'est ce puzzle que j'ai envie de reconstituer avec vous, celui d'une vie, d'une famille… d'une grande famille… d'une association et du fabuleux destin d'une maladie qui est sortie de l'ombre. Desmoïde, toi qui porte en ton nom "Desmos", le lien, le lien de l'entrave, tu portes aussi le lien de la fraternité, le lien de l'amitié. Toi qui voilà 20 ans n'avait qu'un nom, ce soir, ensemble, nous pouvons commencer à écrire ton histoire. Mais embarquons sans plus attendre à bord de notre vaisseau SOS DESMOIDE, un radeau à ses débuts, un fameux trois mats aujourd'hui (!) pour voguer à pleines voiles dans l'océan déchaîné de cette maladie. Pour sonner le départ, j'aimerais 2 3 rendre hommage à deux personnes qui me sont chères sans qui je n'aurais pas reçu cette décoration : Laurent Mignot et Michel Blaise. Docteur Laurent Mignot, vous qui m’avez prise en charge voilà presque 20 ans dans votre service de cancérologie de l’Hôpital Foch et qui avez accepté en 1998 la mission de secrétaire général de SOS DESMOIDE, fidèle et engagé depuis l'origine de l’association, je vous exprime en ce jour si spécial toute ma reconnaissance pour le courage que vous avez eu de vous engager dans une aventure incertaine de malades, vous qui avez pris part et vous êtes associé au combat d’une jeune patiente et qui l'avez assumé publiquement face à la profession. Vous avez éclairé notre chemin médical et joué le rôle difficile de "garde‐
fous", vous avez assuré l'avenir de SOS DESMOIDE en nous aidant à rallier des communautés scientifiques et médicales organisées. Laurent, vous qui nous avez toujours donné des idées pour nous lancer à pleines voiles, vous êtes notre point fixe. Vous avez souhaité qu'à travers moi l'association soit reconnue comme une œuvre citoyenne majeure, aujourd’hui c'est chose faite. Michel Blaise, le papa de mon amie Sophie qui a partagé pendant nos études mes joies et mes peines, mes moments sombre comme les plus lumineux, les réussites et les déceptions, tu as œuvré dans le plus grand secret pendant des années, pour cette reconnaissance, tu as mis toute ton énergie et ton amitié à ce projet des plus incroyables, sollicitant tour à tour sénateur, médecins, représentants d’association, amis, 3 4 ministres successifs. Toutes ces personnalités ont soutenu ma candidature, reconnaissant le travail accompli grâce à toi. Toute cette amitié concentrée… quel cadeau. Merci à toi Michel et à toutes les personnalités que tu as sollicitées. C’est aussi à Nathalie Quemener à qui je pense très fort ce soir. Naty, toi qui m’avais inscrite au concours de « femmes formidables » et qui avait été si déçue que je ne le remporte pas ! Toi qui as essuyé tant d’épisodes douloureux avec ta maladie, tant de souffrance et de difficultés, je suis heureuse de partager avec toi par la pensée cette reconnaissance et ce mérite dont toi aussi tu fais preuve tous les jours dans ta vie. Nous sommes quelque part entre 1994 et 1996, l’idée du radeau se précise. C'est un travail en souterrain, dans une période difficile, où l'annonce d'une première chimiothérapie a été un pour moi un terrible choc. Je réalise, à 20 ans, que ma tumeur dite bénigne est en réalité une maladie beaucoup plus grave qu'elle n'y paraît. Ce traitement difficile se fait ennemi à tort et tout mon corps met alors une énergie colossale à ramer à contre‐courant. Je décide d’entamer un travail sur moi pour accepter… accepter la maladie et le traitement qui doit être mon allier. Dans ma tête comme dans celles des personnes atteintes de cancer à l’époque, chimiothérapie rime avec… fin de vie, et la maladie doit être cachée. Je rencontre alors une personne qui va jouer un rôle clé dans la conception de ce radeau et qui me fait l'immense plaisir d'être à mes côtés par la pensée, Frédérique Simon. Elle est à l'époque psychologue hospitalière à l'Hôpital Foch. Elle me lance sur la piste symbolique d'un héros de la mythologie, vainqueur d'un combat 4 5 avec un ennemi de taille qui symbolise parfaitement la représentation que je me fais de ma maladie : Méduse, la Gorgonne aux cheveux de serpent. Comme Persée, j'échafaude alors une stratégie pour combattre mon ennemi avec ses propres armes : le réseau de fibres qu'elle tisse dans mon corps. Je décide ainsi de créer un site internet, technologie émergente à l'époque. Frédérique pousse l'idée plus loin et me demande pourquoi je ne créerais pas une association de patients ? L'idée m'intéresse et je travaille avec mes parents, Réjane et Daniel, qui m'apporte un soutien sans faille dans cette entreprise alors que nous n'avons aucune connaissance médicale ni associative à une époque où les Premiers états généraux des malades du Cancer n’avaient pas encore eu lieu, où les maladies rares restaient dans l'ombre sans possibilité de s'exprimer, où internet n'était pas encore à la portée de tout un chacun, où médecins et malades évoluaient dans des mondes parallèles, où on ne savait pas si je n'étais pas la seule patiente au monde atteinte de cette maladie... Avec Réjane, ma maman, nous faisons du porte à porte et nous rendons visite à tous les médecins collègues ou amis de Laurent Mignot. Bernard Epardeau, Michel Marty, Pierre Pouillart (dont Laurent Mignot prendra la suite récemment à l'Institut Curie), Odile Oberlin, Jean‐Marie Servant, Paul Cottu et bien d'autres encore qui formeront plus tard le premier conseil scientifique de SOS DESMOIDE. Nous envoyons des dizaines et des dizaines de courriers pour recueillir du soutien, de la méthode et des alliés. Au fil des entretiens et des réponses, nous comprenons que nous ne sommes qu'une famille isolée et qu'un seul médecin. 5 6 L'ampleur de la tâche paraît inaccessible. La période est d'autant plus difficile que les traitements ne fonctionnent pas, la maladie progressant plus que jamais. Mon médecin, Dr Laurent Mignot, démuni, isolé, fait lui aussi du porte à porte. Mon dossier sous le bras, il parcoure les services et les hôpitaux… C'est en novembre 1998 que l'association est créée. Persuadée que la solution viendra de la mise en commun du savoir des médecins et de l'expérience vécue des malades et que d'autres personnes comme moi devaient être atteintes de cette maladie, isolées dans le même désarroi, je sollicite le seul médecin que je connaissais, mon propre médecin traitant, Docteur Laurent Mignot. Je lui propose d’assurer la mission de secrétaire général de l'association. Grand blanc. "Vous voulez créer une association pour que des malades qui se retrouvent se racontent leurs petites misères ?" "Je veux créer une association pour vous aider Docteur, et parce qu'il y a d'autres malades atteints comme moi, j'en suis persuadée, et parce qu'il faut agir ensemble pour ne pas que de telles situations dramatiques se reproduisent". "J'accepte d'être le secrétaire général de l'association, mais qu'allons nous dire à ces patients, nous n'avons rien à leur dire…" "De quoi avez‐vous besoin ? Comment peut‐on aider les médecins ?" "Il faut les aider à s'organiser, il faut les aider à se rassembler autour de cette cause, il faut organiser un réseau de médecins et de chercheurs qui travailleront ensemble". Daniel Podevin, mon père, prendra le poste de trésorier Je prends celui de présidente. La stratégie est claire, à l'instar de la tumeur qui ramifie, il faut créer un réseau de médecins et de chercheurs, de 6 7 patients, d'amis de l'association. Les réunions se font à la maison ou dans le bureau de Laurent Mignot. Au départ, les membres actifs sont mes parents, Matthieu et des amis de la famille… Gilles, Yvon, Michel et Emmanuelle, Emmanuelle qui fait encore partie aujourd'hui de notre groupe asso après 13 ans et qui n'a pratiquement jamais manqué une réunion mensuelle. Emmanuelle, tu fais partie de la garde rapprochée de SOS DESMOIDE et tu as été pour moi un appui considérable, un autre point fixe. Tu as mobilisé toute la communauté de la Maison des Sciences Economiques pour soutenir SOS DESMOIDE à ses débuts dont certains nous soutiennent encore aujourd'hui. Emmanuelle, je tiens à te remercier de tout mon cœur pour ta fidélité et ton amitié. Très vite le radeau se transforme en goélette, avec une barre et des rames. Les premiers médecins rejoignent SOS DESMOIDE, des amis de Laurent, Bernard, Odile et Paul, intègrent notre petit groupe asso, et un conseil médical et scientifique se forme. Les premiers succès ne tardent pas. On donne une première conférence à l'occasion du meeting d'Eurocancer en juin 99 et je fais partie des grands témoins des Premiers Etats Généraux des malades du Cancer cette même année, un comble pour une tumeur bénigne. Il faudra attendre un an avant que le premier patient de l'association nous contacte. Grâce à ORPHANET, qui entend notre combat, la maladie est documentée dans sa grande base de données de maladies rares en construction et ce, malgré l'absence totale d'information médicale sur la maladie : une maladie rare parmi les rares... Une page web nous 7 8 est dédiée ce qui nous permet de nous faire connaître et de rentrer enfin en contact avec des malades. La maladie est dure. On lance avec un ami de la famille, Guy Ardiet, psychiatre, la cellule de soutien aux malades que nous baptisons Desmo‐psy, un service bénévole assuré par Guy qui permet aux malades qui le souhaitent de le contacter par téléphone. Mais sans moteur au bateau, nous comprenons vite qu'aucun programme de recherche ne sera lancé sur cette maladie. Trop rare, elle n'intéresse pas et comporte trop de risque. Mais un vent favorable se met à souffler autour du courant des maladies rares, avec l'Alliance des maladies rares et l'AFM, qui propulse notre goélette dans les années 2000. C'est Bernard Barataud qui va nous lancer sans le savoir dans la course de la génétique en me posant cette question :"Vous savez quel gène est en cause dans votre maladie ?" "Nous n'en savons rien, nous avons un nom de maladie, desmoïde, et de la bonne volonté, c'est à peu près tout" "Alors commencez par la génétique". Nous comprenons alors très vite que l'étape décisive pour la recherche passera d'abord par la matière de recherche. Nous allons en 2001 rencontrer une personnalité clé qui va changer le cours des choses pour notre maladie et notre association. Le Professeur Jean‐Michel Coindre, pathologiste à Bordeaux. Il adhère très vite au projet et nous fait confiance. Il est lui‐même en pleine réflexion sur la construction de tumorothèques et de bases de données de renseignements cliniques, une chance. Il demande au Docteur Michel Longy de nous proposer un sujet de recherche sur la tumeur desmoïde qui sera la première pierre au grand programme de recherche européen sur les tumeurs 8 9 desmoïdes qui sera lancé 7 ans plus tard sous le nom de Perseus, en échos aux origines mythologiques de SOS DESMOIDE. Il nous le soumet, à nous… malades. Mais une banque de tissus sans projet de recherche bouclé est un pari difficile. Le programme Carte d'Identité des Tumeurs de la Ligue Nationale contre le Cancer est lancé. Néanmoins, il est trop tôt pour qu'une pathologie non cancéreuse, sans équipe et sans projet de recherche abouti y entre. C'est l'AFM et sa banque de tissus pour la recherche en la personne du Docteur Cécile Jaeger qui entend notre cause et relève le défi en nous accordant sa confiance. En 2003, une collection de tissus tumoraux sera constituée et hébergée dans les congélateurs de l’AFM. La cause génétique gagne en crédibilité. Les malades nous contactent de plus en plus, et offrent leurs tissus pour des recherches futures. Réjane assure l’accueil des malades, en leur apportant une réponse sur mesure. Elle les réconforte, les écoutent, c'est un peu la "maman" de tous les patients, petits et grands. On découvre que Daniel, mon père, est atteint de la polypose, maladie parfois associée aux tumeurs desmoïdes. J'en suis atteinte aussi. L'histoire familiale nous rattrape et les ennuis aussi… Mais cela bouscule les certitudes des médecins et légitime notre expérience vécue de patients en tant qu'information pertinente pour la connaissance des tumeurs desmoïdes et pour le questionnement scientifique et médical… Je me marie. Je soutiens ma thèse. J’oriente ma carrière vers la santé. Notre goélette progresse et prend peu à peu la forme d'un catamaran. Les assemblées générales se professionnalisent, des 9 10 médecins, des chercheurs, viennent de partout nous parler de leur expérience des tumeurs desmoïdes, des questions se posent, sur la prise en charge et la recherche, les idées fourmillent et des professionnels rallient notre cause. C’est alors que Laurent a l'idée de nous ancrer à la communauté médicale et scientifique des sarcomes qui est organisée et dont les pathologies sont proches de la nôtre. Le Groupe sarcomes français, grâce à la personnalité du Professeur Jean‐Yves Blay, accueille pour la première fois une association en son sein : SOS DESMOIDE. Médecins et malades se mélangent, mais une interrogation est perceptible sur les visages des jeunes docteurs : "des malades ? que sont‐t‐ils venus faire ici ? ". Jean‐Michel y annonce que la recherche sur les tumeurs desmoïdes pourrait débuter dans les trois prochaines années. Nous sommes en 2005, le marathon est lancé. Ou plutôt les marathons. Jean‐
Marc Carbonel, papa du petit Maxime, parcourra cette année‐là pour son fils et pour SOS DESMOIDE dans son Maxithon près de 2 500 km dont pas moins de 3 marathons ! Mais c'est la clinique qui marquera la première grande avancée sur la tumeur desmoïde avec le lancement d'un essai sur les tumeurs desmoïdes coordonné par Jean‐Yves. Ce ne sera pas le traitement révolutionnaire pour nous, mais grâce à lui, l'état des connaissances s'améliore, des médecins s’intéressent de plus en plus à notre maladie, une collaboration s'instaure. Daniel apporte une touche philosophique et éthique au journal qui comporte une tribune pour partager et faire rayonner nos réflexions, Matthieu me seconde et fait vivre le groupe asso qui se structure et se renforce, grâce à lui je tiens bon la barre et 10 11 tiens bon le vent. SOS DESMOIDE devient une référence, et incite d'autres associations à se créer en Europe ; une association verra le jour en Allemagne quelques temps plus tard, et en Italie tout récemment. Georges rejoint le groupe asso, et devient très vite notre envoyé spécial à l’international ; il diffuse nos valeurs et nos convictions dans le monde entier. Nous décidons d’interroger des chirurgiens sur leur expérience des tumeurs desmoïdes qui révèle que la pratique est en train de changer. Les chirurgiens opèrent moins. La cause traumatique gagne en crédibilité. On ampute moins de membres grâce à de nouvelles thérapies. Une révolution dans la prise en charge des tumeurs desmoïdes est en marche. Le chirurgien Sylvie Bonvalot pose alors aux chercheurs une question fondamentale qui va être déterminante dans le lancement du programme de recherche Perseus : quand doit‐
elle opérer une tumeur desmoïde en fonction du caractère plus ou moins agressif de la tumeur ? Nous sommes en 2008. Jean‐
Michel Coindre conçoit un ambitieux programme de recherche fondé sur l’optimisation du matériel biologique, ressource rare issue du don des patients, et le partage des résultats entre les équipes, dans l’esprit même de l’association. Perseus voit le jour, donnant raison aux "prédictions" du professeur Coindre trois ans plus tôt. La Ligue Nationale contre le Cancer en la personne de Jacqueline Godet, sa directrice scientifique, est convaincue par le projet. La tumeur desmoïde rentre ainsi dans le programme Carte d'Identité des Tumeurs sous la responsabilité de Jacqueline Métral. De nombreux centres de lutte contre le cancer de France et d'Europe apportent des 11 12 tissus. Sous la coordination de Jean Michel, Alain Aurias, Jean Bénard, Armelle Dufresnes, Pascal Jezequel, Sébastien Salas se mettent derrière leurs paillasses et dans les dossiers des malades pour attaquer la génomique, le transcriptome et la protéomique. Trois ans plus tard, les publications dans des revues internationales de grand renom pleuvent. Sébastien Salas qui avait débuté sur les tumeurs desmoïdes en y « risquant » son sujet de thèse, première thèse de médecine sur notre maladie, est à l'origine d'une publication internationale sur la série la plus longue au monde de tumeurs desmoïdes, plus de 400 cas rassemblés. C'est inoui. Jean Bénard qui s'identifie à notre cause est à l'origine d'une découverte fondamentale sur le fonctionnement de notre maladie avec en jeu la voie de signalisation wn't beta caténine, qui apporte en même temps un nouvel outil pour fiabiliser le diagnostic. Une magnifique publication, riposte en règle à une publication américaine qui l'avait injustement coiffé au poteau. La recherche sur les tumeurs desmoïdes devient féroce et c'est bon signe ! Sylvie Bonvalot obtient un financement pour un programme de recherche prometteur sur « l'hôte » dans le cadre d'un programme hospitalier de recherche clinique. Le docteur Frédéric Chibon intègre Perseus et met au point avec Sébastien une signature moléculaire qui fait du bruit dans la communauté scientifique. De notre côté, nous peinons à suivre les médecins et la charge de travail nous assomme, vente arrière pour notre catamaran. Et puis, il y a la santé de Daniel, on s’inquiète, l’association est lourde à porter. Nous lançons une bouteille à la mer et notre groupe asso ne tarde pas à se renforcer, des 12 13 patients, Sylvie puis Anne‐Sophie, Karine et Philippe, et de nouveaux amis, Thepthida puis Brigitte, sont tentés par le voyage. C'est un soulagement, des idées neuves et du soutien ! Comme l'association, ma maladie continue sa progression, moins anarchique, mais plus lente et plus ordonnée. J'ai l'impression que cette étrange maladie s'adapte aux ripostes. La vie au quotidien s'organise autour de cette chronicité qui s'est installée, je commence à pouvoir faire des projets à long terme. C'est dans cette période d'ouverture qu'un nouveau conseil médical et scientifique est constitué avec des médecins actifs et engagés, présidé par le Professeur Pierre Laurent‐Puig, et avec pour secrétaire le docteur Odile Oberlin, plus active que jamais, fourmillant d'idées et de ressources, activiste des tumeurs desmoïdes, brisant tour à tour tabous et idées reçues, c'est désormais elle qui nous pousse à aller plus loin et qui raisonne "patient" ! Le conseil scientifique et médical de SOS DESMOIDE recommande un dépistage précoce de la polypose familiale systématique pour les patients atteints de tumeurs desmoïdes "à risques"; c'est une avancée majeure en termes de prise en charge qui brise un tabou ; on évitera ainsi que certains drames familiaux ne se reproduisent. La cause génétique est acquise. SOS DESMOIDE a le vent en poupe. En 2008, après 10 ans à la barre, deux objectifs sont atteints : la recherche est belle et bien lancée et les patients et leurs médecins ne sont désormais plus seuls face à la maladie et à l'absence de traitement. Je prends alors la décision de passer la main et de pérenniser ainsi SOS DESMOIDE de façon à ce qu'elle 13 14 ne dépende plus uniquement de moi et de ma famille. En 2009, une jeune femme courageuse, atteinte comme moi d'une tumeur desmoïde, Karine Le Bobinnec, accepte de relever ce défi. Rencontrée le temps d'une soirée, banco ! Elle embarque et prend la barre. Elle le fait avec brio, toujours soucieuse de garder le cap qui a été le nôtre depuis la création de SOS DESMOIDE. Ce n’est pas une tâche facile que de continuer à construire un bâtiment que l’on n’a pas conçu soi‐même et je la remercie de tout mon cœur d’avoir pris la relève. Avec Karine, 2010 verra la mise en place de centres labellisés qui offrent un véritable réseau de prise en charge des tumeurs desmoïdes. Le Docteur Nicolas Pénel, intègre notre groupe asso et y apporte toute son énergie, ses compétences, ses qualités humaines. Laurent Mignot nous fait comprendre que la relève est assurée… pérennisant ainsi le modèle d'associations alliant patients et médecins mais chacun dans son rôle. Karine prend un risque et propose un nouveau logo plus moderne, ouvert sur le futur mais imprégné des origines de l'association. On y retrouve la spirale de fibres tentaculaires symbolisant Méduse... Avec notre nouveau capitaine, notre catamaran se métamorphose en magnifique trois mats, voguant toutes voiles déployées vers une nouvelle ère, celle, soyons fous…, du médicament… La boucle est bouclée, un chapitre se ferme et un autre s’ouvre vers de nouvelles aventures pour SOS DESMOIDE. La route continue… et mon engagement aux côtés de Karine et de SOS DESMOIDE n’en est que plus fort pour tous les malades qui sont et tous ceux qui ne sont plus, pour Mickael, Cécile et les 14 15 autres, qui n’ont pas eu la chance de s’en sortir, qui sont partis trop jeunes. La leçon de cette épopée de navigateurs pionniers c'est que seul on ne fait pas de grandes choses. Les idées, le courage et l'énergie ne suffisent pas, il faut partager, écouter et faire confiance pour vaincre. Si j'ai pu conduire ce grand projet c'est parce que j'ai eu la chance de rencontrer des personnalités hors du commun, humanistes, qui ont cru en moi. Si j'ai pu me soigner c'est que j'ai rencontré des soignants à l’écoute qui ont su me donner la force de continuer à me battre et accepter une manière parfois atypique de me soigner : Laurent, Christine, Binh, Brigitte, Jean‐Marie, David et Valérie, Monique. Chère Monique, dans la cohue de l’hôpital Saint‐Louis, ton bureau… c’était pour moi un petit cocon paisible, une voix douce et un sourire permanent aux côtés du Professeur Servant. Professeur Servant, cher Jean‐Marie, je sais que cette maladie t'a bien « chaviré » et mis le bazar dans la pratique de la chirurgie plus destructurante que réparatrice, je te remercie pour ton secours, ta sensibilité, et pour ton amitié. Si j'ai pu mener de front ce projet associatif avec mes projets personnels, c'est aussi parce que j'ai eu la chance d'avoir des parents, un mari, une famille et une belle famille exceptionnelles, et de nombreux amis, des amitiés de longue date, qui savent m’entourer dans les moments de bonheur comme dans les moments difficiles. Si j'ai pu mener de front ce projet associatif avec mes projets professionnels, c'est aussi parce que j'ai rencontré des êtres qui m'ont fait confiance et qui ne se sont pas arrêtés à ma maladie et mon handicap. Mes professeurs Françoise Charpin, Pierre‐
15 16 Yves Hénin (mon directeur de Thèse) et Philippe Jolivaldt, ainsi que Paule et les filles du CEPREMAP, m'ont pris sous leur aile pour que je puisse poursuivre mes études malgré la maladie et pour que le radeau alors en construction ne se transforme pas en radeau de la Méduse. Les personnes qui m'ont faite confiance à la DREES, au HCAAM et à l'AFM, et tous les collègues qui m'ont soutenue dans mon quotidien professionnel parfois chahuté, n'ont pas vu en moi la personne malade, mais la simple collègue de travail, ils sont nombreux à mes côtés ce soir et je leur renouvelle toute mon affection. C'est une belle leçon dans notre monde où productivité et efficacité doivent rimer avec bonne santé, et où la différence n'est malheureusement pas toujours reconnue comme une qualité pour atteindre la performance. Ce récit ne serait pas complet sans évoquer mon pépé Pierre, que je n'ai pas eu la chance de connaître, mais de qui je n'ai jamais été aussi proche. Pépé, toi que je n’ai connu qu’à travers les récits de ma grand‐mère et de mon père, à travers tes faux papiers de résistant, tes œuvres citoyennes comme ton engagement à la croix‐rouge pour venir en aide aux premiers transplantés cardiaques ou aux orphelins du chemin de fer, longtemps je t’ai imaginé grand, sec et sérieux, alors que tu étais en fait un peu comme moi petit, rond et jovial. Pierre, le hasard a voulu que tu sois soigné comme moi à l’hôpital Foch, mais pas la chance de t’en sortir pour que nous puissions nous connaître. L’association nous a permis de comprendre des années après que ma maladie, celle de mon père et la tienne étaient liées. Toi qui a œuvré toute ta vie pour les autres, si tu nous as transmis 16 17 cette maladie, tu nous as aussi transmis ta générosité, ton courage, ton sens de l’engagement et de la citoyenneté. Grâce à ces qualités, SOS DESMOIDE est née et la connaissance a progressé. J’ai pu choisir de ne pas porter un enfant atteint et petite Elise, ton arrière‐petite‐fille, est arrivée. Je suis fière aujourd’hui de pouvoir lui transmettre tout ce que tu nous as transmis à Daniel et à moi et je te dédie cette médaille. Merci à toutes et à tous. Je vous invite à prendre une coupe et un toast ensemble bien mérité ! 17