Dans quelles conditions peut-on être «réquisitionné»?

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Dans quelles conditions peut-on être «réquisitionné»?
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Dans quelles conditions peut-on être «réquisitionné»?
Introduction
La réquisition est une opération par laquelle l’autorité administrative ordonne à des salariés en grève ou qui ont manifesté la
volonté de se mettre en grève, de reprendre ou continuer leur travail. Il s’agit d’un acte grave qui ne peut s’exercer que dans
les conditions définies par la loi puisque, justement, il s’agit de limiter un droit constitutionnellement reconnu.
Cette procédure issue de la loi du 11 juillet 1938 et plusieurs fois aménagée depuis, a été très peu utilisée par le passé, ce
qui s’explique peut être en partie par la lourdeur de sa mise en œuvre laissée à la charge du gouvernement.
Toutefois, depuis la loi du 18 mars 2003 sur la sécurité intérieure, dite loi Sarkozy, il faut désormais compter sur un nouveau
type de réquisition qui n’est pas sans présenter un réel danger pour le droit de grève puisque celle-ci est ouverte directement
aux Préfets.
Fruit de la volonté avérée du gouvernement d’œuvrer en faveur de la décentralisation afin d’opérer une redistribution des
pouvoirs entre l’Etat et les collectivités locales, cette mesure risque à terme de rendre obsolète la procédure issue de la loi de
1938. Le recours à la réquisition sur le plan local pourrait devenir de plus en plus fréquent, compte tenu de la simplification de
la procédure, même si ce n’est pas l’objectif poursuivi par le gouvernement, selon les déclarations du ministre à l’occasion
des débats parlementaires[1]. Preuve en est le récent contentieux déjà parvenu au Conseil d’Etat à propos d’une réquisition
de sages-femmes ordonnée par le Préfet d’Indre et Loire en novembre dernier[2].
[1]Voir les déclarations de M. Sarkozy, JO AN, CR, 17/01/03, p.232.
[2] CE 9-12-03, n°262186, Aiguillon et a.
Qui peut ordonner la réquisition et sous quelle forme?
La réquisition, traditionnelle suppose l’adoption d’un décret en conseil des ministres (art. 2 du décret du 28 novembre 1938).
Ce décret de réquisition doit être contresigné par le ministre du travail si les personnels requis appartiennent à des
entreprises privées ou à des entreprises nationales à statut. Le décret doit être suivi d’un arrêté ministériel portant exercice de
ce droit de réquisition. Sur le plan local, les Préfets bénéficient de plein droit d’une délégation de pouvoir pour faire exécuter
cette réquisition. Les maires ont également le pouvoir de procéder à une réquisition par sous-délégation.
Les ordres de réquisition sont alors notifiés aux intéressés, sous la responsabilité du Préfet, soit individuellement au domicile
de chaque personne requise, soit, plus exceptionnellement collectivement, «dans le cas où il y a lieu de procéder à la
réquisition de l’ensemble du personnel faisant partie d’un service ou d’une entreprise considérée comme indispensable pour
assurer les besoins du pays».
S’agissant au contraire de la réquisition visée par l’article 3 de la loi du 18 mars 2003 (créant l’article L. 2215-1 du Code
général des collectivités territoriales), la procédure est simplifiée puisque l’arrêté de réquisition peut être pris directement par
le Préfet, comme la loi l’y autorise expressément, sans qu’il soit nécessaire de recourir à un décret préalable. On imagine
aisément le risque que cette nouvelle procédure pourra faire courir au droit de grève, dans la mesure où elle sera plus facile à
mettre en œuvre sur le plan local.
Cet arrêté préfectoral dûment motivé fixe la nature des prestations requises, la durée de la mesure et les modalités de son
application. Il peut viser «toutes les communes du département ou plusieurs, ou une seule d’entre elles (…), réquisitionner
tout bien et service, requérir toute personne nécessaire au fonctionnement de ce service ou à l’usage de ce bien et prescrire
toute mesure utile jusqu’à ce que l’atteinte à l’ordre public ait pris fin»[1].
[1] Art. L. 2215-1 du Code général des collectivités territoriales.
Quels sont les personnels susceptibles d’être concernés par cette mesure?
S’agissant de la réquisition préfectorale, est-il possible de requérir des personnels grévistes relevant d’un employeur privé?
Selon le commissaire du gouvernement STAHL[1], une réponse négative s’impose: «il ne nous paraît pas acquis que ces
dispositions puissent permettre de requérir des personnels grévistes relevant d’un employeur privé. Au contraire, il nous
semble que l’on devrait plutôt considérer qu’en principe, ces dispositions ne peuvent servir à cela. Elles ont été conçues
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comme un complément du pouvoir de police du Préfet lorsque le rétablissement de l’ordre public exige des mesures de
réquisition». L’affaire ayant donné lieu à ces conclusions concernait pourtant des personnels d’une clinique privée (des
sages-femmes en l’occurrence) . Pour ce type de salariés, la solution est un peu différente puisqu’ entre en jeu un problème
de santé publique, «matière pour une intervention du Préfet au titre de la police administrative générale», selon le
commissaire du gouvernement.
[1] Conclusions rendues dans l’affaire Aguillon, Dr. Soc., 02/04, p.172 et s.
Quand peut-on ordonner une réquisition?
Sous l’empire de la loi de 1938, la réquisition à l’initiative du gouvernement suppose «que des menaces s’exercent sur une
partie du territoire, sur un secteur de vie nationale ou sur une fraction de la population». Aucun texte n’apportant de précisions
sur ces cas de recours, le Conseil d’Etat exerce sur ces décisions plus un contrôle d’opportunité que de stricte légalité et
s’assure que le conflit collectif est de nature à porter une atteinte «suffisamment grave» à la continuité d’un service public ou
à la satisfaction des besoins de la population[1].
Le droit de réquisition ouvert au Préfet par la loi Sarkozy s’exerce, quant à lui, «en cas d’urgence, lorsque l’atteinte au bon
ordre, à la salubrité, à la tranquillité et à la sécurité publique l’exige et que les moyens dont dispose le Préfet ne permettent
plus de poursuivre les objectifs pour lesquels il détient des pouvoirs de police»[2] .
Il faut donc, pour que le Préfet puisse exercer son pouvoir de réquisition, à la fois:
- une urgence;
- une atteinte au bon ordre, à la salubrité à la tranquillité et à la sécurité publique;
- que le Préfet n’ait plus les moyens d’exercer ses pouvoirs de police.
Mais afin d’éviter un usage abusif de ce pouvoir et une atteinte injustifiée au droit de grève, la réquisition ne peut s’exercer
que sous le contrôle du juge administratif.
Dans un très récent arrêt, le Conseil d’Etat a ainsi été amené à préciser les limites de ce pouvoir, à l’occasion d’un contrôle
opéré sur le premier arrêté préfectoral pris en application de la loi sur la sécurité intérieure et qui visait à réquisitionner les
sages-femmes grévistes d’une clinique privée .
Il ressort de cet arrêt que le Préfet ne peut prendre que les mesures «imposées par l’urgence et proportionnées aux
nécessités de l’ordre public». Il peut, à ce titre, requérir les agents en grève d’un établissement de santé, public ou privé, afin
d’assurer la sécurité des patients et la continuité des soins (arrêt précité).
Selon ces restrictions, le Préfet a une obligation de recherche de solutions préalables et ne peut prescrire une telle mesure
sans avoir envisagé «le redéploiement d’activités vers d’autres établissements ou le fonctionnement réduit du service et sans
rechercher si les besoins essentiels de la population ne pouvaient être autrement satisfaits, compte tenu des capacités
sanitaires du département».
L’arrêté de réquisition était donc trop général, car visant à rétablir un service complet alors qu’un service minimum aurait pu
être suffisant, ce dont il fallait au moins s’assurer. Le Conseil d’Etat soumet donc expressément le Préfet au contrôle de
proportionnalité.
[1] CE Section 24-2-61, Rec., p.150.
[2] Art. L. 2215-1 du Code général des collectivités territoriales
Peut-on refuser une réquisition?
Non. Les personnes requises doivent se soumettre à l’arrêté et reprendre ou maintenir leurs activités.
A défaut, elles peuvent être condamnées par le juge administratif à une astreinte. En outre, conformément au dernier alinéa
de l’article L. 2215-1 du Code général des collectivités territoriales, tout refus volontaire constitue un délit puni de six mois
d’emprisonnement et de 10 000€ d’amende (sous l’empire de la loi de 1938, il n’était prévu que des peines correctionnelles).
Il est cependant possible de contester l’arrêté prononçant la réquisition. Un recours en référé devant le tribunal administratif
est en effet envisageable. Depuis la loi du 30 juin 2000, on peut, dans ces circonstances engager un «référé en sauvegarde
d’une liberté fondamentale»[1], afin que soit ordonnée, en cas d’urgence avérée (la réquisition crée bien une situation
d’urgence), toute mesure nécessaire à la sauvegarde d’une liberté fondamentale (en l’espèce, le droit grève) à laquelle une
personne morale de droit public aurait porté une atteinte grave et manifestement illégale, dans l’exercice de l’un de ses
pouvoirs. Le juge est alors tenu de statuer dans les 48 heures.
A noter que la réquisition doit se terminer dès que l’atteinte à l’ordre public a pris fin.
[1] Art. L. 521-2 du Code de la justice administrative.
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La personne réquisitionnée est-elle rémunérée?
L’article L. 2215-1 du Code général des collectivités territoriales prévoit une rétribution, par l’Etat, des personnes requises,
dès lors qu’aucune rétribution n’est versée par une autre personne physique ou morale. On peut donc penser que cette
rémunération ne sera versée que si le salarié ne perçoit plus de salaire. Toutefois, la loi précise que cette rétribution est
destinée «à compenser les frais matériels directs et certains résultant de l’application de l’arrêté». On peut donc légitimement
s’interroger sur la possibilité de cumuler ces sommes avec un salaire, dans la mesure où elles n’ont pas le même objet.
Aucune précision n’a en tous cas été apportée par le législateur sur ce point.
C.M.
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