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188 Dossier I L’interculturalité à l’Ile de la Réunion I Littératures de La Réunion, littératures plurielles Par Valérie Magdelaine-Andrianjafitrimo, maître de conférences en littératures françaises et francophones, membre du laboratoire LCF-UMR 8143 du CNRS, université de La Réunion William Zitte “Sans titre” © Collection privée Si, depuis le XVIIIe siècle, des écrivains originaires de La Réunion se sont illustrés, la littérature réunionnaise de langue française se démarque peu de la littérature française avant les années soixante-dix. C’est à ce moment qu’émergent des œuvres militantes, en français et en créole, qui redonnent voix aux “muselés” et commencent à travailler à partir des formes orales de la littérature. Ce travail sur les langues et l’oralité se poursuit dans l’expression théâtrale ou le fonnkër, et témoigne de la nécessité de restituer leur pluriel aux littératures réunionnaises. I hommes & migrations n° 1275 En raison de sa brièveté, cet article ne peut citer qu’un nombre restreint d’auteurs et d’œuvres, ce qui, à notre grand regret, ne rend pas justice à l’ensemble de la production insulaire. Comme les autres îles créoles du sud-ouest de l’océan Indien, La Réunion se caractérise par la pluralité des peuples et des langues qui s’y rencontrent. C’est un espace de très forts contacts culturels, où se transforment des imaginaires dont les origines ont souvent été perdues par la violence de l’histoire, où se réélaborent des mémoires dont les archives n’ont pas été conservées. Pourtant, le texte littéraire réunionnais éprouve de grandes difficultés à faire une place à ces héritages renégociés. La littérature est bien sûr pétrie de cette pluralité, mais la manière dont elle se perçoit ainsi que la façon dont on la décrit masquent en grande partie cette hybridité. Département français après avoir été une colonie, La Réunion adopte les mêmes modes de validation des littératures que sa métropole. La littérature réunionnaise serait ainsi la littérature écrite – et de langue française. Les autres modes d’expression en seraient des formes vernaculaires, souvent “folklorisées”. Les anthologies et histoires littéraires ne leur consacrent que de rares chapitres et ne proposent pas de réflexion sur l’interaction entre ces littératures car c’est bien un pluriel qui, nécessairement, s’impose. Ainsi se pose-t-il une question majeure : comment décrire les littératures réunionnaises ? Si on les évoque depuis une perspective métropolitaine, encore massivement prépondérante, on marginalise des formes textuelles pourtant déterminantes dans la construction du panorama littéraire réunionnais. On scinde production créolophone et francophone. On s’appuie sur des périodisations qui ne répondent pas nécessairement à la perception réunionnaise des événements et de l’histoire. Comment retracer plus justement le déroulement, les contours, voire délimiter le corpus de ces littératures, faites en référence permanente à la littérature française mais, en même temps, traversées de voix qui font bruisser les langues et les imaginaires ? Comment définir le sens et les formes que la littérature occupe dans une île assimilée par son statut de département mais qui exprime de plus en plus fortement son désir de résistance et de “relocalisation” de sa culture dans son propre territoire ? Ambivalences de la littérature réunionnaise Les manuels et anthologies octroient souvent un début clairement daté aux littératures réunionnaises. Il s’agirait des récits de voyage – l’on peut se référer à JeanLouis Joubert, dans son ouvrage sur Les Littérarures de l’océan Indien(1) – qui ont 189 190 Dossier I L’interculturalité à l’Ile de la Réunion I contribué à fixer dans l’imaginaire occidental les premières représentations écrites de l’île. Nous voyons dès lors les difficultés à délimiter le corpus de cette littérature écrite dont les fondations se font par des auteurs occidentaux, passants voyageurs. Que dire, à la période contemporaine, des auteurs métropolitains implantés dans l’île, comme Daniel Vaxelaire, l’auteur de Chasseur de Noirs(2), qui est certainement le plus connu et le plus diffusé, notamment pour ses romans historiques ? Comment considérer ceux qui ont quitté La Réunion : les métropolitains comme Jean Lods – et son Bleu des vitraux(3) – ou les Réunionnais comme Monique Agénor – auteur de Bé-Maho(4) –, sans qui les littératures de l’île changeraient radicalement de sens et de contours ? N’y a-t-il pas un anachronisme total à inscrire comme auteurs majeurs de la littérature réunionnaise les poètes des e e XVIII et XIX siècles qui ne concevaient même pas qu’ils puissent appartenir à une littérature autre que française ? L’évidence et la banalité de ces questions ne doivent pas masquer les enjeux qu’elles recouvrent. Elles révèlent les ambiguïtés idéologiques d’une littérature qui se donne tantôt comme régionale tantôt comme nationale. La Réunion n’a pas de population autochtone, elle est entièrement peuplée d’habitants allogènes, il faut donc bien que la littérature y ait un début. Mais en même temps, lui assigner une telle date de naissance, c’est la concevoir exclusivement à partir des productions écrites en français et taire l’élaboration d’un imaginaire insulaire interculturel. C’est aussi lui appliquer une hiérarchie qui, pour la pensée européenne, relève de l’évidence : la supériorité de l’écriture sur l’oralité. L’oralité, en effet, est souvent conçue comme une étape archaïque dans la construction de la littérature. Elle relèverait d’une pratique “traditionnelle” souvent obscure, propre à un groupe. Elle préparerait, en somme, l’avènement de l’écriture, considérée comme plus aboutie et ouverte sur le monde. Or la littérature écrite ne peut se concevoir, à La Réunion, qu’en interrelation avec la littérature orale. C’est leur développement conjoint qui a permis de façonner un rapport à l’histoire, à la mémoire, au réel plus proche qu’il n’y paraît et que l’on ne peut percevoir si on les traite chacune en corpus séparé(5). Littérature française ou littérature réunionnaise ? La littérature écrite n’a pourtant de cesse de juguler cette coprésence des textes et des imaginaires, et se montre particulièrement docile à l’égard des canons importés de la France. Connue comme “île des poètes”, La Réunion donne nais- I hommes & migrations n° 1275 sance au XVIIIe siècle aux Tibulle et Properce que sont Parny (Évariste Désiré de Forges, comte de Parny) et Bertin, très inspirés par la poétique et la métrique françaises. Pour la plupart, ces poètes n’entretiennent avec leur île natale que des rapports assez lointains(6). Certains influent à leur tour sur le champ littéraire français qui est pleinement le leur, comme Leconte de Lisle avec le Parnasse, au e XIX siècle. Si Lacaussade est aujourd’hui largement oublié, il fut un temps son grand rival dans les salons parisiens. Les poètes déplorent l’esclavage et vont jouer sur la pensée française, mais dans une poésie le plus souvent qualifiée d’imitative. Pourtant, même à cette période où la suprématie d’une langue et d’une littérature écrite n’est pas questionnée, transparaît la diversité qui fonde l’île. Les auteurs ne la recherchent pas toujours. Néanmoins, ses effets se font sentir au fil des siècles d’une façon plus ou moins importante(7). Les Chansons madécasses d’Évariste Parny(8), en 1787, en sont un exemple frappant. Outre que l’auteur y fonde le genre du poème en prose, il présente son œuvre comme une traduction en français de chansons malgaches recueillies de la bouche d’esclaves à Bourbon. Ce subterfuge témoigne de l’importance qu’il accorde à l’imaginaire et au discours de l’Autre. Cette présence ambiguë se retrouve dans le roman colonial, qui décrit les pratiques et les cultures des différents groupes qui peuplent l’île et a pour but de montrer qu’il en a la connaissance et la maîtrise afin de rappeler à quel point la France doit poursuivre sa “mission civilisatrice”. Tout en exprimant une hantise de la créolisation, les théoriciens du roman colonial – tel Marius-Ary Leblond(9), prix Goncourt en 1909 – ne peuvent qu’irriguer leurs œuvres de la présence discordante de ces autres voix(10). C’est encore le cas, après la départementalisation, du roman Sortilèges créoles, Eudora ou l’île enchantée, de Marguerite-Hélène Mahé(11), qui construit son œuvre sur la légende de Grand-Mère Kal (ou GrandMère Kalle) et fait revenir une sorte d’inconscient de l’esclavage. Le tournant des années soixante-dix C’est à partir des années soixante-dix que la littérature réunionnaise ne se satisfait plus de cette présence fantomatique des voix et remet en question la prédominance du point de vue européen. Jusque-là tenue sous l’étouffoir colonial et sous le joug d’une codification formelle métropolitaine(12), elle récuse progressivement son appartenance à un champ littéraire exclusif et à un monolinguisme triomphant. Établir la périodisation de l’histoire littéraire de l’île en fonction de la date de la départementalisation – en 1946 – n’a donc pas de réelle validité. L’onde de choc que suscite cette modification de statut ne se fait sentir que dans la décen- 191 192 Dossier I L’interculturalité à l’Ile de la Réunion I nie soixante-dix : peu à peu le discours se libère, les points de vue énonciatifs se redéfinissent, un regard sur soi émerge. De nombreux auteurs, souvent proches du Parti communiste réunionnais, se rangent alors aux côtés des dominés. Le discours colonial se trouve invalidé par des textes qui revisitent une situation sociale longtemps tue ou édulcorée, comme le laisse entendre le titre du roman d’Anne Cheynet, Les Muselés, en 1977(13). Dans les romans, la focalisation passe par des personnages ordinairement rangés parmi les subalternes : travailleurs exploités et exilés – Zistoir Kristian. Mes Aventures, histoire vraie d’un ouvrier réunionnais en France, en 1977(14)–, petits pêcheurs – Quartier Trois Lettres, en 1980(15)–, engagés indiens – Boadour… Du Gange à Les romans réunionnais La Rivière des Roches, de Firmin Lacpatia, en ne se conforment pas 1978(16)… Cette littérature met en scène lutaux attentes des tes sociales et politiques anticoloniales. On le lecteurs ni de l’édition. voit aussi dans la poésie, avec Anne Cheynet – Matanans et langoutis, en 1972 –, Alain Lorraine – Tienbo le rein, en 1975 –, Agnès Gueneau – La Réunion, une île, un silence, en 1979(17). L’écriture retourne puiser dans les histoires et les légendes de l’île ainsi que dans la mémoire orale pour ériger des figures héroïques de marrons résistants, comme dans Boris Gamaleya, Vali pour une reine morte, en 1973(18). Cependant, les romans succombent parfois à une sorte de schématisme dans l’opposition entre les humbles et les puissants. Les stéréotypes et les schèmes descriptifs déjà présents dans le roman colonial se maintiennent : les individus sont essentialisés, la victimisation du petit créole est éternisée. Le texte est alors dédouané d’un questionnement plus approfondi sur les structures de pouvoir et les responsabilités historiques. La réappropriation des voix dans le roman réunionnais de langue française est d’autant plus délicate à cerner qu’elle ne se traduit pas par des stratégies immédiatement visibles(19) : on y trouve une construction et une langue assez conventionnelles. Les romans réunionnais ne se conforment pas aux attentes des lecteurs ni de l’édition. Il est d’ailleurs significatif que le genre se porte mal et ne se renouvelle pas, malgré les œuvres majeures d’Axel Gauvin (Faims d’enfance, 1987, L’Aimé, 1990…). Les productions sont rares, si l’on excepte les belles réussites de Jean-François Samlong (L’Empreinte française, 2005), Jean-Louis Robert (Creuse, ta tombe, 2006), Claire Karm (Monstres, 2007), et très peu lues(20)… C’est l’une des raisons pour lesquelles la critique dit souvent du champ littéraire réunionnais qu’il est en retard par rapport à d’autres zones francophones. En réalité, cette désaffection du roman invite à repenser les catégories. Elle témoigne du fait que ce genre n’est pas le lieu privilégié où La Réunion construit son dis- I hommes & migrations n° 1275 cours et sa représentation d’elle-même. Si l’on tente de cerner les tensions à l’œuvre dans le champ littéraire réunionnais, on voit que s’érodent les frontières entre littérature et paralittérature. À l’abri des pressions normatives de la langue et des formes validées par la tradition occidentale s’élabore un discours sur soi dont font partie les récits de vie et autres souvenirs d’“écrivants”. On constate cette vogue dans toutes les littératures contemporaines préoccupées de la transmission de mémoires fragilisées. Elle est également présente dans le panorama éditorial réunionnais, où ces récits visent à pallier les vides de l’histoire officielle. Mais, là encore, s’élaborent des réseaux de stéréotypes, qui semblent dire un rapport réunionnais difficile au présent. La littérature écrite en français ne paraît donc pas la plus efficace pour dire le sujet réunionnais. Vitalité de la poésie créolophone Faut-il chercher du côté de l’expression créolophone une écriture plus apte à exprimer la vision du monde réunionnaise et à réconcilier les Réunionnais avec la littérature ? En 1951, le poète Jean Albany(21) avait déjà utilisé les ressources de la langue créole pour la faire jouer au contact du français. Les poètes de la “créolie”, Gilbert Aubry, Jean-Henri Azéma, ou des auteurs plus engagés comme Alain Lorraine ou Boris Gamaleya ont poursuivi cette recherche. En fait, la littérature en créole est née de la réécriture de fables de La Fontaine par Louis Héry, dans Fables créoles(22), en 1828. Utilisé précocement en littérature, le créole est considéré comme un jeu de salon pour les “dames de Bourbon” et reste profondément déprécié. Il n’a commencé à être pensé comme langue littéraire possible qu’à la période contemporaine. Bien que La Réunion soit une île polyglotte et que son champ littéraire ne puisse être conçu que comme plurilingue, sa production créolophone reste méconnue et attachée à l’idée d’une revendication identitaire plus qu’à la recherche d’une esthétique et d’une poétique. En 1977 paraît, en version bilingue, un roman-clé, polémique et politique, qui fait de la langue une arme de dénonciation : Zistoir Kristian, Mes Aventures. Histoire vraie d’un ouvrier réunionnais en France, de Christian. Ce roman appuie l’idée que la langue constitue un vecteur symbolique majeur de réappropriation, de restauration d’une histoire et d’une culture, de localisation du discours. Cette réappropriation en action grâce à la langue est visible aussi dans la poésie militante d’Alain Armand, d’Axel Gauvin, de Danyèl Waro, Patrice Treuthardt ; dans les romans de Daniel Honoré ou de Graziella Leveneur. La poésie contemporaine, très productive, continue de manifester son engagement dans un désir de 193 194 Dossier I L’interculturalité à l’Ile de la Réunion I réforme de la société réunionnaise, avec André Payet, Babou B’Jalah ou Mikaèl Kourto… Mais c’est la langue elle-même qui devient matériau de la réflexion – et univers où se tisse une “nouvelle relation à l’île”(23). Des références intertextuelles non occidentales s’y mêlent à des formes postmodernes de déconstruction du langage, de lettrisme, dans une esthétique mondialisée. La vivacité de cette poésie moderne est-elle le signe que la littérature réunionnaise se construit sur une opposition entre littérature affaiblie en français et développement, voire autonomisation, d’une littérature en créole ? En réalité, le créole, d’ordinaire considéré comme populaire, est ici perçu comme élitiste et savant. Du coup, cette poésie est peu lue, en dehors d’un cercle d’initiés, et conserve une force et un rôle avant tout symboliques. Théâtre, kabar fonnkër et arts urbains En revanche, des formes paralittéraires en créole, visant la connivence, s’installent durablement dans ce champ littéraire. Assez négligées par la critique, elles peuvent développer librement leur voix propre(24). C’est le cas des albums pour la jeunesse(25), qui réinvestissent la tradition orale, et de la bande dessinée, qui exploite les stéréotypes de la société réunionnaise avec ironie et autodérision. Pour sa part, le théâtre, qui joue sur le mélange des langues et la corporalité, trouve son public et se voit diffusé en dehors de l’île. L’espace du corps forme un nouveau discours, qui permet de contourner la problématique des langues. On le voit avec le travail d’Emmanuel Genvrin et de son théâtre Vollard, avec Lolita Monga, et surtout avec la troupe Talipot(26). Appuyé sur la performance, la danse, le rituel, des esthétiques multiples, des langues et des pratiques théâtrales internationales, ce théâtre se rattache à la fois au rejet postmoderne de toute forme de classification générique, en même temps qu’il repense l’oralité – et les formes et fonctions de celle-ci. C’est aussi le cas des formes poétiques oralisées, très contemporaines, qui ont un poids important dans la formation d’une résistance culturelle. Les kabar fonnkër(27) connaissent ainsi un succès qui ne se dément pas, bien qu’ils aient beaucoup changé et qu’ils se soient professionnalisé. Ils sont d’ailleurs parfois rebaptisés “kabar poèm”, pour bien spécifier cette mutation. Mais la requalification ne s’arrête pas là. Le fonnkër oralisé et la joute du kabar entrent aisément en conjonction avec la forme urbaine et contemporaine du slam, qui commence à s’implanter dans l’île. Le rôle de plus en plus important des “arts urbains” illustre pleinement le chevauchement des espaces-temps dans lesquel I hommes & migrations n° 1275 évoluent les Réunionnais, vivant de concert une forme de globalisation qui rapproche l’île de l’Occident, en même temps qu’une interrogation constante sur leurs fondations et un fort désir d’ancrage. Une “poétique de l’hospitalité” Ce n’est donc pas tant l’opposition des langues qui doit être ici prise en considération que les fonctions de la littérature, les rapports qu’elle entretient avec ses destinataires et sa capacité à se concevoir comme en dehors des classifications et des rigidités taxinomiques. En somme, c’est une “poétique de l’hospitalité”(28) qui semble répondre au mieux aux demandes de la société réunionnaise. L’affaiblissement du statut de Métropole de la France au sein de la mondialisation renforce le désir des artistes de travailler à partir des discours et des formes que produit le lieu insulaire. Parmi eux, l’oralité symbolise la modalité de localisation la plus efficace. Le champ littéraire réunionnais ne peut se concevoir pleinement, en effet, que si les distinctions et les hiérarchies entre oralité et écriture et entre langues sont abolies. La grande action des années soixante-dix avait permis de redonner sa valeur aux textes vernaculaires – chants, contes, devinettes, proverbes – et d’en faire le fondement de la culture(29). La littérature contemporaine écrite le retravaille et lui fait place(30). Mais la tâche qui demeure à accomplir est certainement d’élargir les limites-mêmes de la conception de la littérature en admettant en son sein des formes jusque-là proscrites. Ainsi, le texte du maloya peut-il sortir de sa dimension d’abord musicale pour trouver place dans le champ littéraire, comme le postule Carpanin Marimoutou(31). Lieu majeur de confluence intertextuelle, ce genre musical revisite des récits de Madagascar, de l’Inde, de l’Europe, dans l’espace et le monde créoles. Ce moyen d’expression propose en effet un discours sur le sacré, l’histoire, la traite, élabore des jeux ironiques de contestation sociale, sexuelle et politique et assure ainsi une forte connivence qui unifie la société réunionnaise(32). Au croisement d’une double hétérogénéité, celle de la créolisation et celle de la mondialisation, les littératures réunionnaises sont d’une grande complexité. Elles demandent une redéfinition de l’idée de littérature, jusque-là imposée par l’Occident : il s’agit d’en repenser les catégories, de ne plus refouler les expressions qui ne semblent pas conformes à ce que l’on en attend(33), de prendre en compte les récits alternatifs que produit un discours contemporain qui ne cesse de retravailler les héritages dont il dispose. ■ 195 196 Dossier I L’interculturalité à l’Ile de la Réunion I Notes 1. Joubert, 1991, p 205. 2. Vaxelaire, 1982. 3. Lods, 1987. 4. Agénor, 1996. 5. La Réunion n’est pas une société orale, selon les critères de Jack Goody, 2007, puisque l’oralité s’y est développée dans la conscience de l’écrit, pendant que l’écrit s’est élaboré dans la connaissance des productions orales. 6. Formés en France, les poètes ne revenaient pas toujours dans leur île. Certains d’entre eux ne l’évoquent d’ailleurs même pas, comme Léon Dierx. 7. Marimoutou, 2004. 8. Parny, 1787. 9. Les théoriciens du roman colonial, Georges Athénas, alias Marius, et Aimé Merlo, alias Ary, signant les œuvres littéraires qu’ils ont écrites en collaboration sous le nom de Marius-Ary Leblond, théorisent le genre en 1926 dans Après l’exotisme de Loti, le roman colonial, Vald-Rasmussen, Paris. 10. Magdelaine-Andrianjafitrimo ; Marimoutou, 2007, p. 27-29. 11. Mahé, 1952. 12. Marimoutou, 2006-b, p. 251-270. 13. Cheynet, 1977. 14. Christian, 1977. 15. Gauvin, 1980. 16. Lacpatia, 1978. 17. Cheynet, 1972 ; Lorraine, 1975 ; Gueneau, 1979. 18. Gamaleya, 1973. 19. Ces stratégies sont soulignées également pour d’autres littératures, lire : Coussy, 2007, p. 69-79 ; Moura, 1999. 20. Gauvin, 1987 et 1990 ; Samlong, 2005 ; Robert, 2006 ; Karm, 2007. 21. Albany, Zamal, 1951. 22. Héry, 1828. 23. poésie militante : Armand, 1978 ; Gauvin, 1983 ; Waro, 1996 ; Treuthardt, 2000 ; romans : Honoré, 1980 ; Leveneur, 2000 ; poésie contemporaine : Payet, 1990 ; B’Jalah, 2002, Kourto, 2002. Langue qui tisse une “nouvelle relation à l’île” : Hélias, 2007, p. 99. 24. Cassiau-Haurie, 2008. 25. Takam Tikou, “L’océan Indien et le livre de jeunesse”, n° 14, La Joie par les livres, Paris, 2007. 26. Cajee, 2007, p. 183-204. 27. Réunions, joutes poétiques. De Fonnkër : “états d’âme”, “poésie”, et Kabar – mot aux origines à la fois malgaches et françaises –, “discours”, à Madagascar, et, à La Réunion, “réunions où l’on chante et danse”. 28. Magdelaine-Andrianjafitrimo et Marimoutou, 2007, p. 27-29. 29. Marimoutou, Félix, 2007. 30. Marimoutou, 2002 ; Robert, 1999. 31. Marimoutou, 2006-a, p. 101-155. 32. On trouve ce processus de manière générale dans les chansons, y compris à l’heure actuelle, dans le rap ou le ragga. 33. Thonon, 2006, p. 71-85. Références bibliographiques • Agénor, Monique, Bé-Maho, chronique des Îles-sous-le-Vent, éd. Le Serpent à plumes, Paris, 1996. • Albany, Jean, Zamal, Bellenand, Paris, 1951. • Armand, Alain, Kasé brizé, éd. 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