Œsophagite à éosinophiles : une « maladie émergente »
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Œsophagite à éosinophiles : une « maladie émergente »
Ann Pathol 2007 ; 27 : 417-25 Œsophagite à éosinophiles : une « maladie émergente » Mise au point Sophie Collardeau-Frachon, Valérie Hervieu, Jean-Yves Scoazec Service central d’anatomie et cytologie pathologiques, Hospices civils de Lyon, hôpital Édouard-Herriot, 69437 Lyon cedex 03. Collardeau-Frachon S, Hervieu V,Scoazec JY. Œsophagite à éosinophiles : une « maladie émergente ». Ann Pathol 2007 ; 27 : 417-25. Summary Eosinophilic esophagitis: an “emerging disease” Eosinophilic esophagitis is a recently identified disease. The histological examination of esophageal biopsies is essential for its diagnosis, which is made with steadily increasing frequency. Eosinophilic esophagitis is an anatomoclinical entity, involving both children and adults, characterized by a dense and isolated infiltration of the esophageal mucosa by eosinophils, revealed by clinical symptoms of upper digestive tract origin and resistant to anti-acid treatment with IPP at high doses. Eosinophilic esophagitis is currently interpreted as an allergic disease, even though its pathogenesis remains unclear. The disease has a chronic course with persistent or relapsing symptoms, present with symptoms similar to those of gastro-esophageal reflux or with dysphagia. Endoscopic examination shows the presence of charac- Résumé L’œsophagite à éosinophiles est une pathologie d’identification récente, dont le diagnostic est porté de plus en plus fréquemment. L’examen anatomopathologique apporte une contribution essentielle à son diagnostic. L’œsophagite à éosinophiles est définie comme une entité anatomoclinique, touchant les enfants et les adultes, caractérisée par une infiltration massive et isolée de l’œsophage par des éosinophiles, révélée par des symptômes cliniques traduisant une atteinte du tube digestif haut, non améliorée par un traitement anti-acide efficace utilisant des inhibiteurs de la pompe à protons. L’œsophagite à éosinophiles est considérée comme une maladie de type allergique, mais sa pathogénie est encore mal connue. La maladie, d’évolution chronique, se révèle par des symptômes comparables à ceux du reflux gastro-œsophagien ou par une dysphagie. L’examen endoscopique révèle des lésions caractéristiques mais non pathognomoniques (sténoses, anneaux circulaires, teristic, but not pathognomonic, lesions (stenoses, strictures, circular rings, reduction of calibre, white specks, granularity of the mucosa). The histological diagnosis requires multiple biopsies taken all along the esophagus. The main sign is the presence of a dense eosinophilic infiltrate of the mucosa: a peak density of more than 15 eosinophils in at least one x400 field is the minimal criteria required for diagnosis. Associated lesions correspond to tissue damage and repair secondary to eosinophil activation (basal hyperplasia, microabscesses, fibrosis of the lamina propria). The treatment is based on dietary measures (allergen exclusion) and on the use of anti-inflammatory drugs, mainly corticoids. In conclusion, eosinophilic esophagitis is an emerging disease, important to identify, since it requires a specific treatment, different from that of reflux esophagitis. ✦ Key words: Eosinophilic esophagitis, esophagus, allergy, eosinophils. réduction de calibre, taches blanchâtres, granularité de la muqueuse). Le diagnostic histologique nécessite des biopsies multiples pratiquées sur toute la hauteur de l’œsophage. Le signe cardinal est la présence d’une infiltration massive par des éosinophiles : une densité supérieure à 15 éosinophiles dans au moins 1 champ à x 400 est la condition minimale requise pour retenir le diagnostic. Les signes associés témoignent de l’activation des éosinophiles et des lésions tissulaires secondaires à cette activation (hyperplasie de la couche basale, microabcès, fibrose du chorion). Le traitement repose sur un régime diététique adapté (exclusion des allergènes) et l’utilisation d’anti-inflammatoires, notamment de corticoïdes, par voie générale ou locale. En conclusion, les pathologistes doivent se familiariser avec cette « maladie émergente » : son diagnostic est important car il débouche sur un traitement spécifique, différent de celui de l’œsophagite par reflux. ✦ Mots-clés : œsophagite à éosinophiles, œsophage, allergie, éosinophiles. © 2007. Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Accepté pour publication le 20 février 2008 Tirés à part : Jean-Yves Scoazec, voir adresse en début d’article. e-mail : [email protected] 417 Sophie Collardeau-Frachon et al. à éosinophiles est une L’maladie d’actualité. Elle est désormais ŒSOPHAGITE reconnue comme une entité distincte de la classique œsophagite par reflux, avec laquelle elle a été longtemps confondue. Ses critères diagnostiques font l’objet d’un consensus récent [1]. La fréquence avec laquelle son diagnostic est porté est en constante et rapide augmentation, ce qui la fait considérer comme une « maladie émergente » [2-5]. D’abord considérée comme une maladie pédiatrique, elle est désormais reconnue comme une des causes d’œsophagite chronique chez l’adulte [6]. Le pathologiste a un rôle important à jouer dans le diagnostic et la prise en charge des patients, enfants et adultes, atteints d’œsophagite à éosinophiles. Il est donc important de se familiariser avec les caractères histologiques, parfois trompeurs, de cette affection souvent méconnue et de bien connaître ses critères diagnostiques. Dans cette mise en point, nous envisagerons successivement la définition de l’œsophagite à éosinophiles, l’historique de sa reconnaissance progressive comme une entité anatomoclinique distincte, ses caractéristiques cliniques, endoscopiques et histologiques, son diagnostic différentiel et son histoire naturelle. Définition L’œsophagite à éosinophiles est définie comme une entité anatomoclinique (le point est important), touchant les enfants et les adultes, caractérisée par une infiltration massive et isolée de l’œsophage par des éosinophiles, révélée par des symptômes cliniques traduisant une atteinte du tube digestif haut, non améliorée par un traitement anti-acide utilisant des inhibiteurs de la pompe à protons à dose efficace [1]. Le terme d’œsophagite à éosinophiles est aujourd’hui préféré à d’autres termes qui ont pu être proposés dans le passé, comme œsophagite idiopathique, œsophagite allergique, œsophagite à éosinophiles primitive [1]. Historique Les premières descriptions de ce qui est aujourd’hui l’œsophagite à éosinophiles remontent à la fin des années 1970 et au début des années 1980, lorsque des cas de patients, notamment pédiatriques, souffrant de symptômes de reflux sévères résistant au traitement anti-acide et présentant une infiltration dense 418 Ann Pathol 2007 ; 27 : 417-25 de la muqueuse œsophagienne par des éosinophiles, ont été rapportés dans la littérature [7]. L’originalité de ces patients n’a toutefois pas été immédiatement reconnue : ils sont restés inclus dans le cadre général du reflux gastro-œsophagien ; la conclusion tirée à l’époque a été que la présence d’une forte densité d’éosinophiles dans la muqueuse œsophagienne était un signe de mauvais pronostic dans le cadre d’un syndrome de reflux gastro-œsophagien. Les pathologistes ont alors admis l’idée que la présence d’éosinophiles dans la muqueuse œsophagienne était un signe non spécifique, faisant partie des lésions histologiques susceptibles d’être associées au reflux gastro-œsophagien, notamment chez l’enfant. Deux articles « fondateurs » ont permis d’isoler l’entité qui deviendra l’œsophagite à éosinophiles. Le premier, basé sur une série de patients adultes, a été publié en 1993 [8] ; le second, basé sur une importante série de patients pédiatriques, est paru en 1995 [9]. Dans ces deux travaux indépendants, les auteurs montrent que la présence d’une infiltration très dense de la muqueuse œsophagienne par des éosinophiles peut exister en l’absence de signes objectifs de reflux et peut en revanche être associée à un contexte clinique particulier, caractérisé par la fréquence élevée de manifestations allergiques. C’est à partir de ces travaux qu’émerge le concept d’une forme particulière d’œsophagite, d’origine allergique, qui recevra finalement le nom d’œsophagite à éosinophiles. Depuis cette date, de nombreux travaux ont été consacrés à cette « nouvelle » entité, à sa présentation clinique et endoscopique, à ses caractères histologiques, à sa pathogénie et à son traitement. Caractères cliniques et endoscopiques La fréquence de l’œsophagite à éosinophiles est difficile à estimer. Elle semble en augmentation constante et rapide depuis plusieurs années, même s’il est difficile de faire la part de ce qui revient à une augmentation réelle de l’incidence dans la population générale et de ce qui est dû à une amélioration du diagnostic, en raison d’une meilleure connaissance de la maladie et à une modification des pratiques des endoscopistes et des pathologistes. Une récente étude [10] montre que, dans la population suédoise adulte, une hyperéosinophilie tissulaire est présente dans environ 5 % des biopsies œsophagiennes et que 1 % des cas répond Œsophagite à éosinophiles aux critères diagnostiques de l’œsophagite à éosinophiles. Une étude américaine, restreinte à la pathologie pédiatrique, a conclu à une multiplication par 4 de la fréquence du diagnostic entre 2000 et 2003, l’incidence de la maladie s’établissant actuellement à 1 cas nouveau pour 10 000 enfants et par an et sa prévalence à 4 pour 10 000 enfants [11]. En Suisse, l’incidence du diagnostic chez l’adulte serait passée de 2 pour 100 000 à 27 pour 100 000 sur une période de 16 ans [12]. Certains travaux, basés sur une relecture rétrospective de l’ensemble des documents histologiques disponibles pendant des périodes prolongées, suggèrent cependant que l’incidence réelle est restée constante et que son apparente augmentation est davantage due à un meilleur diagnostic qu’au rôle d’éventuels facteurs environnementaux [13]. La maladie touche plus fréquemment le sexe masculin, qui représente 65 à 75 % des cas décrits [1]. Environ deux fois plus de cas pédiatriques que de cas adultes ont été rapportés dans la littérature [1] ; l’âge des patients au moment du diagnostic varie très largement, de 4 mois à 89 ans [1]. De 50 à 80 % des patients, selon les séries, présentent une affection de nature allergique (asthme, rhinite allergique, eczéma) au moment du diagnostic ou lors du suivi ; des antécédents familiaux de maladies allergiques sont présents dans environ 40 % des cas [1, 14]. Enfin, des antécédents familiaux de pathologies œsophagiennes (sténoses, œsophagite à éosinophiles documentée) sont mis en évidence dans près de 10 % des cas [14, 15]. Les symptômes cliniques diffèrent légèrement chez l’enfant et chez l’adulte [1]. Chez l’enfant, les symptômes habituels sont similaires à ceux d’un reflux gastro-œsophagien sévère (brûlures et régurgitations) ; chez les enfants les plus jeunes, un refus d’alimentation est possible ; les enfants plus âgés se plaignent plus souvent de dysphagie, présente dans 10 à 20 % des cas [14]. Chez l’adulte, le symptôme le plus fréquent est la dysphagie, notamment aux solides. Un point essentiel dans les deux cas est que les symptômes cliniques ne sont pas améliorés par un traitement anti-acide à base d’inhibiteurs de la pompe à protons, même à fortes doses. La présentation endoscopique de l’œsophagite à éosinophiles est variable [1]. Différentes lésions peuvent être observées [14, 16-18] : sténoses localisées, anneaux circulaires (réalisant un aspect dénommé trachealization par les auteurs anglo-saxons lorsqu’ils sont multiples, car l’œsophage ressemble alors à la trachée avec ses anneaux cartilagineux), sillons longitudinaux s’étendant sur une hauteur variable, réduction du calibre de l’œsophage, tâches blanchâtres multiples en relief simulant des papillomes, muqueuse friable, granulaire, en « papier crépon »… Aucune de ces anomalies n’est pathognomonique de l’œsophagite à éosinophiles, mais la présence d’au moins l’une d’entre elles doit faire évoquer le diagnostic [1]. Les anomalies endoscopiques sont souvent de distribution focale et hétérogène ; de larges intervalles de muqueuse apparemment saine sont présents ; dans certains cas, la muqueuse peut même être apparemment dépourvue de toute anomalie macroscopique. Le reste du bilan endoscopique montre l’absence d’anomalie de la muqueuse gastrique et de la muqueuse duodénale [1]. La mesure du pH intra-œsophagien peut être utile pour éliminer un reflux et un contrôle endoscopique après traitement anti-acide est intéressant pour montrer l’absence de réponse à un traitement effectué à doses habituellement efficaces [1]. Diagnostic histologique Les lésions histologiques sont dominées par l’existence d’une infiltration massive de la muqueuse œsophagienne par des éosinophiles, associée à des signes témoignant d’une agression tissulaire par ces éléments cellulaires [1, 19]. Toutefois, la présence d’éosinophiles dans la muqueuse œsophagienne n’est pas pathognomonique de l’œsophagite à éosinophiles ; il existe d’autres causes d’éosinophilie tissulaire dans l’œsophage (tableau I) [1]. Ce qui fait la différence entre l’œsophagite à éosinophiles et les autres pathologies associées à une éosinophilie tissulaire dans l’œsophage, c’est le caractère « massif » de TABLEAU I. — Principales étiologies des hyperéosinophilies œsophagiennes TABLE I. — Main etiologies of esophageal eosinophilia Reflux gastro-œsophagien Infections (Candida, Gnathostoma, parasitoses…) Hypersensibilité médicamenteuse (alendronate, tétracyclines, clindamycine, AINS…) Œsophagite à éosinophiles Gastro-entérite à éosinophiles Syndrome hyperéosinophilique Maladie de Crohn Connectivites 419 Sophie Collardeau-Frachon et al. l’infiltration par les éosinophiles. Il est donc nécessaire de déterminer un seuil quantitatif définissant à partir de quelle densité cellulaire en éosinophiles l’infiltration peut être objectivement considérée comme « massive ». Pour déterminer si la densité en éosinophiles dans un prélèvement œsophagien atteint ou non ce seuil, il faut compter le nombre de cellules par unité de surface selon une méthode de comptage fiable, reproductible et pertinente [1]. Deux problèmes se posent donc : (a) comment compter les éosinophiles ?, (b) quelle valeur seuil retenir ? Le diagnostic d’œsophagite à éosinophiles ne peut cependant pas reposer exclusivement sur une valeur seuil de densité tissulaire en éosinophiles : ce chiffre doit être pondéré en fonction du contexte clinique et le diagnostic doit être étayé par des arguments qualitatifs témoignant d’une activation des éosinophiles et de l’existence de lésions tissulaires locales induites par cette activation [1]. Les lésions histologiques associées sont donc essentielles pour le diagnostic positif et le diagnostic différentiel. Quel matériel tissulaire ? Un point essentiel pour la conduite diagnostique est que les lésions de l’œsophagite à éosinophiles sont fréquemment focales et de distribution hétérogène et qu’elles peuvent intéresser toute la hauteur de l’œsophage ; un large échantillonnage biopsique est donc indispensable. Les recommandations internationales [1] insistent sur la nécessité de disposer de biopsies œsophagiennes multiples pratiquées : – sur toutes les lésions endoscopiques visibles ; – de façon systématique, en muqueuse apparemment saine, à trois niveaux de l’œsophage (supérieur, moyen et inférieur). Il a en effet été bien démontré que l’infiltration à éosinophiles caractéristique de la maladie peut toucher n’importe quel segment de l’œsophage et qu’elle peut exister en l’absence de toute lésion endoscopique (dans certaines séries, jusqu’à 30 % des patients présentent des lésions histologiques significatives malgré un aspect apparemment normal de la muqueuse œsophagienne). Idéalement, les biopsies doivent être profondes et intéresser le chorion, afin de permettre la mise en évidence des lésions très suggestives de la couche sous-épithéliale. Il est cependant souvent difficile, comme dans toute pathologie œsophagienne, de réaliser 420 Ann Pathol 2007 ; 27 : 417-25 des prélèvements suffisamment profonds pour répondre à ces critères [19]. En plus de biopsies œsophagiennes multiples, il faut pratiquer, en cas de suspicion d’œsophagite à éosinophiles, des biopsies de l’estomac et du duodénum, dont le principal intérêt sera de confirmer l’absence de lésion histologique dans les autres segments du tube digestif haut [1]. Les prélèvements gastriques ont un autre intérêt potentiel : celui de mettre en évidence les lésions histologiques témoignant d’un traitement prolongé par les inhibiteurs de la pompe à protons, comme une hyperplasie des cellules pariétales, voire la présence des polypes glandulo-kystiques ; la présence de ces lésions confirme la bonne compliance au traitement et le caractère effectivement résistant des symptômes cliniques. Enfin, afin d’assurer une bonne sensibilité de l’examen histologique pour la mise en évidence des éosinophiles, il faut absolument éviter les fixateurs comme le liquide de Bouin et privilégier les fixateurs formoliques qui facilitent la détection de ces cellules (d’autant plus lorsque le fixateur a été additionné d’éosine pour teinter les biopsies et faciliter leur repérage par les techniciens avant la mise en route) [1]. Comment compter les éosinophiles ? Plusieurs techniques ont été proposées [19]. La plus simple est de rechercher à faible grandissement les foyers de plus haute densité en éosinophiles et de compter, dans ces territoires, le nombre d’éosinophiles dans un champ à fort grandissement (× 400), choisi pour présenter la densité apparemment la plus forte. Cette méthode, dite de la densité maximale (ou peak density), est la plus adaptée au diagnostic quotidien mais elle risque d’introduire des biais de sélection. Une deuxième méthode est de compter systématiquement le nombre d’éosinophiles à fort grandissement (× 400) sur toute l’étendue de la section tissulaire et de déterminer ainsi la densité moyenne en éosinophiles ; cette méthode est extrêmement laborieuse et consommatrice de temps ; elle n’est pas applicable en pratique quotidienne et ne se justifie que dans le cadre de protocoles de recherche. Une dernière méthode est un compromis entre les précédentes : elle consiste a repérer les zones de plus forte densité à faible grandissement, puis de compter plusieurs champs à fort grandissement dans l’un de ces territoires pour déterminer une densité maximale plus Œsophagite à éosinophiles représentative que celle obtenue dans un seul champ sélectionné. observation n’a pas été vérifiée par toutes les études [21]. Quelle valeur seuil retenir pour le diagnostic d’œsophagite à éosinophiles ? Quels signes associés rechercher pour étayer le diagnostic ? Des valeurs seuils variables, fondées sur des méthodes de comptage différentes, ont été proposées dans la littérature [20]. Actuellement, selon les recommandations internationales [1], le diagnostic d’œsophagite à éosinophiles peut être retenu, dans un contexte clinique évocateur, lorsque la densité en éosinophiles est supérieure à 15 dans au moins un champ à grandissement × 400 (figure 1). Implicitement, cette recommandation implique que la méthode de comptage la plus simple (repérer les zones de plus forte densité à faible grandissement, puis compter dans un seul champ à × 400) est suffisante en pratique quotidienne. Si toutefois, plusieurs champs ont été comptés, il n’est pas nécessaire que la densité moyenne en éosinophiles soit supérieure à 15 ; une densité supérieure à 15 dans un seul champ suffit [1]. La fréquence avec laquelle un tel foyer d’éosinophiles est détecté augmente avec le nombre de biopsies disponibles [21]. La densité en éosinophiles est habituellement décrite comme plus élevée dans l’œsophage inférieur que dans l’œsophage moyen ou supérieur, mais cette a Plusieurs signes histologiques sont utiles pour étayer le diagnostic d’œsophagite à éosinophiles [1, 19] : – l’hyperplasie de la couche basale (figure 2) : elle est constante, habituellement supérieure à 20 % de la hauteur de l’épithélium [19] ; elle peut être parfois suffisamment importante pour faire évoquer, à tort, une autre pathologie oeosphagienne, notamment une lésion papillomateuse ; elle n’est pas associée à des anomalies architecturales ou cytonucléaires, même si des cellules dystrophiques peuvent être parfois présentes dans les formes sévères en raison de l’intensité des lésions tissulaires induites par l’activation des éosinophiles ; – l’allongement des crêtes papillaires : elle est présente comme dans toute œsophagite chronique, mais sa signification est importante puisqu’elle contribue à montrer que la présence d’éosinophiles n’est pas un épiphénomène, mais bien un facteur d’agression tissulaire ; – la présence de microabcès : l’un des signes les plus caractéristiques de l’œsophagite à éosinophiles est la présence de microabcès (figure 3), caractérisés par une accumulation focale d’une grande quantité d’éosinophiles b FIG. 1. — Infiltration massive de l’épithélium malpighien par des éosinophiles (a) ; ce champ, au grandissement × 400, contient nettement plus de 15 éosinophiles (b) (HES, a, × 210 ; b, × 400). FIG. 1. — Massive infiltration of squamous epithelium by eosinophils (a); this ×400 field contains much more than 15 eosinophils (b) (HES, a, ×210; b, ×400). 421 Sophie Collardeau-Frachon et al. au sein d’une petite cavité creusée dans l’épaisseur de l’épithélium ; – l’atteinte préférentielle des couches superficielles de l’épithélium : dans l’œsophagite à éosinophiles, l’accumulation des éosinophiles et les lésions cellulaires secondaires, incluant les microabcès, prédominent dans le tiers supérieur ou la moitié supérieure de l’épithélium ; c’est un signe caractéristique de la maladie qui n’est pas retrouvé dans les autres pathologies œsophagiennes associées à une éosinophilie tissulaire [19] ; – des signes de dégranulation des éosinophiles : la présence de dépôts éosinophiles extracellulaires, visibles à l’examen histologique standard, ou la démonstration par une technique immunohistochimique de l’accumulation extracellulaire de protéines caractéristiques des éosinophiles peuvent Ann Pathol 2007 ; 27 : 417-25 témoigner de l’activation des éosinophiles ; l’interprétation de ces signes est cependant difficile, car le traumatisme lié à la biopsie et à sa manipulation peut suffire à provoquer la dégranulation des éosinophiles en dehors de toute activation pathologique ; – les anomalies du chorion : contrairement à ce qui est observé dans les autres causes d’œsophagite chronique, au cours de l’œsophagite à éosinophiles, le chorion de la muqueuse œsophagienne est habituellement remanié par une fibrose collagène dense, qui peut contenir des amas d’éosinophiles [22, 23] ; cette fibrose témoigne de l’importance des phénomènes de remodelage de la paroi œsophagienne en réponse à l’activation des éosinophiles et à la présence de taux élevés de la cytokine IL5 [24] ; ce signe caractéristique est malheureusement souvent difficile à mettre en évidence, car les biopsies œsophagiennes sont rarement assez profondes pour intéresser le chorion ; – la présence d’autres cellules inflammatoires : en plus de l’excès d’éosinophiles, qui est la caractéristique majeure de la maladie, l’œsophagite à éosinophiles s’accompagne fréquemment d’un excès de lymphocytes intra-épithéliaux et d’une accumulation de mastocytes [19]. Diagnostic différentiel FIG. 2. — Hyperplasie de la couche basale et fibrose du chorion (HES, × 250). FIG. 2. — Basal hyperplasia and fibrosis of the lamina propria (HES, ×250) a Plusieurs pathologies peuvent s’accompagner d’un excès d’éosinophiles dans la muqueuse œsophagienne (tableau I). Certaines peuvent b FIG. 3. — Microabcès à éosinophiles à mi-hauteur de l’épithélium (détail en b) (HES, a, × 160 ; b, × 450). FIG. 3. — Eosinophilic microabscesses in the squamous epithelium (detail in b) (HES, a, ×160; b, ×450). 422 Œsophagite à éosinophiles être éliminées grâce au contexte clinique : connectivites, maladie de Crohn, syndrome hyperéosinophilique, certaines infections parasitaires et mycotiques, lésions d’hypersensibilité médicamenteuse [25-27]. D’autres, comme la localisation œsophagienne d’un syndrome de gastroentérite à éosinophiles, sont éliminées grâce à l’aspect normal des biopsies gastriques et duodénales pratiquées simultanément [28]. Le problème le plus difficile est représenté par la distinction entre œsophagite à éosinophiles et œsophagite par reflux. Les deux affections ont des symptômes comparables. Comme l’œsophagite à éosinophiles, l’œsophagite par reflux peut s’accompagner d’une augmentation du nombre d’éosinophiles dans la muqueuse œsophagienne. Un certain nombre d’arguments sont davantage en faveur d’une œsophagite à éosinophiles que d’une œsophagite par reflux [19] : – une densité maximale en éosinophiles supérieure à 15 cellules par champ au × 400 ; la densité en éosinophiles est habituellement inférieure à 7 cellules par champ au × 400 dans l’œsophagite par reflux ; – la présence de lésions histologiques sur toute la hauteur de l’œsophage et pas seulement dans son tiers inférieur ; – la prédominance des lésions dans la partie superficielle de l’épithélium (tiers supérieur ou moitié supérieure) – l’association à des lésions de fibrose du chorion sous-jacent. La distinction entre œsophagite à éosinophiles et œsophagite par reflux est parfois difficile, les deux affections pouvant être intriquées [29]. Elle est cependant importante, car la prise en charge est différente : les traitements anti-acides, efficaces pour traiter l’œsophagite par reflux, sont inutiles et inefficaces dans l’œsophagite à éosinophiles. Pathogénie L’œsophagite à éosinophiles est habituellement considérée comme une maladie « allergique » [30]. Ce concept est basé essentiellement sur des arguments indirects : (a) fréquence des manifestations allergiques associées : de 50 à 80 % des malades atteints d’œsophagite à éosinophiles présentent un asthme, une rhinite allergique, un eczéma ou une autre pathologie allergique, (b) fréquence des antécédents familiaux d’allergie, présents chez plus de 40 % des malades dans la plupart des grandes séries, (c) fréquence élevée d’allergies alimentaires, souvent multiples, dans la population des malades atteints d’œsophagite à éosinophiles ; (d) amélioration des symptômes par des traitements connus pour être efficaces dans le traitement des allergies. Il manque cependant des arguments directs permettant d’expliquer pourquoi une « allergie alimentaire » s’exprime chez certains patients, et pas d’autres, par des lésions œsophagiennes et comment l’œsophage est impliqué, alors que le temps de contact entre le bol alimentaire et l’œsophage est extrêmement limité. D’une recherche devenue très active au cours de ces dernières années, s’appuyant à la fois sur la pathologie humaine et sur des modèles animaux, quelques pistes émergent. L’une des plus intéressantes est le rôle éventuellement joué par l’éotaxine 3 dans la physiopathologie et la pathogénie de l’œsophagite à éosinophiles [31]. L’éotaxine 3 est une cytokine impliquée dans la régulation des fonctions des éosinophiles et des mastocytes. Une étude transcriptomique, confirmée par hybridation in situ, a montré la surexpression de l’ARNm codant pour l’éotaxine 3 dans les prélèvements œsophagiens provenant de malades atteints d’œsophagite à éosinophiles [31]. La même étude a montré qu’un polymorphisme du gène codant pour l’éotaxine 3 était associé à une sensibilité accrue pour la maladie. Enfin, dans le même travail, il a été montré que des souris transgéniques présentant une mutation inactivatrice du récepteur de l’éotaxine 3 étaient protégées contre le développement d’une œsophagite à éosinophiles expérimentale. De nouvelles études ont confirmés ces premiers résultats [32, 33]. Parallèlement, la dissection du rôle fondamental joué par certaines cytokines, comme l’IL5 et l’IL13, dans l’induction de l’afflux des éosinophiles et dans la pathogénie des lésions tissulaires secondaires, se poursuit, à travers l’étude de la pathologie humaine et de modèles animaux [24, 34-36]. Ces résultats permettent d’entrevoir des pistes pour expliquer les mécanismes des lésions caractéristiques de l’œsophagite à éosinophiles et pour éclaircir les facteurs de susceptibilité individuelle [37] et ouvrent de nouvelles perspectives thérapeutiques [38]. Histoire naturelle et traitement L’histoire naturelle de l’œsophagite à éosinophiles commence à être mieux connue grâce à la publication de grandes séries de patients suivis pendant des périodes prolongées [1]. Schématiquement, l’œsophagite à éosinophiles est une maladie chronique, dont 423 Sophie Collardeau-Frachon et al. l’évolution peut se faire d’un seul tenant ou par poussées successives ; les rechutes sont fréquentes. Les principales complications [39] sont la survenue de sténoses localisées et la réduction du calibre de l’œsophage ; chez l’enfant, des retards de croissance sont possibles. Aucun exemple de métaplasie intestinale n’a encore été décrit dans les formes pures d’œsophagite à éosinophiles. Conformément aux hypothèses physiopathologiques actuellement retenues, le traitement est basé sur la diététique et les anti-inflammatoires [1, 14]. Plusieurs options thérapeutiques sont actuellement possibles : (a) régime diététique adapté, riche en acides aminés, avec élimination des allergènes alimentaires éventuellement identifiés, (b) corticothérapie par voie générale, (c) traitement local par corticoïdes en préparations topiques (fluticasone) ; des biothérapies à visée antiinflammatoire sont à l’essai. Par ailleurs, les complications, comme les sténoses, nécessitent un traitement local par dilatations. En cas de traitement efficace, il est possible d’obtenir une amélioration des signes cliniques, une régression des lésions endoscopiques et une diminution des lésions histologiques, incluant une diminution de la densité maximale (ou moyenne) en éosinophiles. En conclusion, l’œsophagite à éosinophiles est une maladie à connaître, dont le diagnostic est fait de manière sans cesse plus fréquente, et qu’il est important d’identifier pour permettre la mise en place d’un traitement adapté. ■ Ann Pathol 2007 ; 27 : 417-25 [6] [7] [8] [9] [10] [11] [12] [13] [14] [15] [16] Références [1] [2] [3] [4] [5] 424 Furuta GT, Liacouras CA, Collins MH, Gupta SK, Justinich C, Putnam PE et al. Eosinophilic esophagitis in children and adults: a systematic review and consensus recommendations for diagnosis and treatment. Gastroenterology 2007 ; 357 : 1342-63. Furuta GT. Eosinophilic esophagitis: an emerging clinicopathologic entity. Curr Allergy Asthma Rep 2002 ; 1 : 253-8. Lucendo AJ, Carrion G, Navarro M, Pascual JM, Gonzalez P, Castillo P et al. Eosinophilic esophagitis in adults: an emerging disease. Dig Dis Sci 2004 ; 64 : 1884-8. Potter JW, Saeian K, Staff D, Massey BT, Komorowski RA, Shaker R et al. 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