Résumés - UFR Lettres et sciences humaines

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Résumés - UFR Lettres et sciences humaines
Colloque international
Organisé par le CRLHOI
Représentations comparées du féminin
en Orient et en Occident
Résumés
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Mohamed Aït-Aarab
Université de La Réunion
De la soumission à la révolution. Visages de femmes chez Mongo Beti
Rompant avec l’image que la littérature de la Négritude avait dessinée de la femme
africaine, — image mythique et érotisée d’une Afrique tendre, douce et sensuelle — Mongo Beti
entend, à travers le destin de ses héroïnes, témoigner des pratiques et des réalités des sociétés
coloniales et post-coloniales.
De la mère castratrice et dévorante (Ville cruelle ; Perpétue et l’habitude du malheur), à la
femme dont l’engagement permet la réussite du combat révolutionnaire (La Ruine presque
cocasse d’un polichinelle) en passant par la jeune fille qui, par le biais d’une parole libérée, porte
le désordre au sein des institutions sociales et religieuses (Le Pauvre Christ de Bomba), tel est le
chemin que nous nous proposons de suivre.
Victimes, puis résistantes, les femmes « bétiennes » sont le symbole d’une prise de
conscience politique et d’une volonté de changement, pour l’instauration d’un ordre plus juste,
face à des hommes veules et timorés, prêts à toutes les compromissions pour préserver leurs
maigres privilèges.
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Guilhem Armand
Université de La Réunion
L’Histoire d’une Grecque moderne, ou ce que l’orientale dit de l’occidental
Dans L’Histoire d’une Grecque moderne, Prévost réactive le mythe de Pygmalion, dans un
roman qui peut s’apparenter à un monologue intérieur avant la lettre. Le héros-narrateur, si peu
héroïque, et plus descriptif d’une réalité intérieure que conteur d’une véritable histoire vécue
par différents personnages, se donne malgré lui comme un successeur d’Arnolphe voulant éduquer
sa jeune Agnès gréco-turque à l’amour. Mais, ce dernier personnage, au sens étymologique du
terme, semble se vider de sa substance psychologique pour devenir le creuset des fantasmes de
l’Européen. Elle constitue le prisme où se reflète la conscience de celui-ci. Elle n’a jamais
véritablement la parole, son statut d’orientale la réduit au silence, mais ce mutisme rêvé (car il
n’est jamais total) s’avère révélateur des craintes et des désirs d’un Moi pré-romantique, d’une
conscience bouleversée qui se cherche des repères ailleurs pour les réinvestir ici.
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Yves-Michel Bernard
Université de La Réunion
Myriam Mihindou, un exemple de représentation comparée
du féminin en Orient et en Occident en art contemporain
En 1989 l’exposition « les magiciens de la terre » organisée par Jean-Hubert Martin,
directeur du musée national d’art moderne, centre Georges Pompidou met en scène pour la
première fois une représentation comparée de la production artistique occidentale avec les pays
du Sud qui n’appartiennent pas encore au marché de l’art international.
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Il faudra pourtant attendre l’exposition « Partages d’exotismes » organisée en 2000 par
Jean-Hubert Martin à la cinquième biennale de Lyon puis « Africa remix » en 2006 par Simon
Ndjami, critique d’art à la revue noire, au musée d’art moderne, centre Georges Pompidou, pour
voir émerger des images féminines qui n’appartiennent ni à l’imaginaire occidental, ni à
l’anthropologie. Cette production artistique doit être étudiée et comparée avec les moyens de la
critique contemporaine.
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Bernard Champion
Université de La Réunion
Chambrées…
La physiologie féminine fait l’objet, dans la généralité des cultures, d’une perception
ambivalente que la biomédecine a largement démythifiée. Universellement déifiées ou
diabolisées, les valeurs symboliques associées à la féminité et à la maternité sont aujourd’hui
passibles d’une lecture matérialiste qui met l’Orient et l’Occident d’accord – « en croquant l’un(e)
et l’autre ? »…
Après avoir rappelé quelques invariants touchant la menstruation, en Orient ou en
Occident, la communication présente quelques données sur l’hypothèse des phéromones humaines
dans le seul domaine où leur action a pu être démontrée, celui de la physiologie de la
menstruation.
Les phéromones [pherein (transporter) et hormôn (exciter)] sont des signaux chimiques de
reconnaissance et l'existence des phéromones humaines est discutée.
Quand les hormones classiques (insuline, adrénaline, etc.) sont produites par les glandes
endocrines, les phéromones sont généralement produites par des glandes exocrines, ou portées
par l'urine. Elles peuvent être volatiles (perçues par l'odorat), ou agir par contact (ce sont les
composés cuticulaires des insectes, par exemple, perçus par les récepteurs gustatifs). Elles
jouent un rôle primordial lors des périodes d'accouplement, et chez certains insectes sociaux,
telles les fourmis ou les abeilles, elles se révèlent nécessaires au bon fonctionnement du groupe.
Les phéromones sexuelles des insectes sont spécifiques et contribuent à l'isolement
reproducteur. Elles définissent l'espèce.
Les mammifères détectent les phéromones grâce à un organe spécialisé dit organe
voméronasal (OVN) qu'on pensait vestigiel chez l'homme et dont la fonction, si elle existe, fait
question. Cet organe est relié à l'hypothalamus dans une zone qui contrôle le système endocrinien
responsable de la physiologie sexuelle et du comportement reproducteur. La communication
humaine est principalement visuelle et auditive et il est admis que la station droite et le
développement des facultés cognitives ont libéré homo sapiens de cette dépendance. Identifier
une action phéromonale requiert plusieurs conditions : identifier le signal, identifier l'organe qui
a interprété ce signal et décrire les mécanismes physiologiques et comportementaux induits par
ce signal.
La première approche expérimentale de ce phénomène a été effectuée par Martha
McClintock en 1971. Des observations empiriques anciennes de femmes vivant en collectivité font
état d'une synchronisation des cycles menstruels. Il s'agissait d'en éprouver la réalité. L'étude
de McClintock a porté sur des jeunes femmes partageant le même dortoir (ou les mêmes
chambres) pendant plusieurs mois (135 jeunes femmes, âgées de 17 à 22 ans, pensionnaires d'un
collège féminin). Son observation met en évidence une synchronisation progressive des cycles
menstruels au cours de l'année scolaire. L'étude laissait entière la compréhension du mécanisme
de l'action en cause. Mais, en permettant d'écarter expérimentalement les hypothèses de la
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photosynchronie, de l'effet du contact avec des individus de sexe masculin ou de la maturation
sexuelle des sujets étudiés, elle validait a contrario l'hypothèse phéromonale.
Le modèle animal a permis de conforter l'hypothèse d'une telle action (1992) qui a été mise
en œuvre par McClintock et Stern (1998) sur des volontaires humains. On fait porter des
tampons de coton sous l'aisselle de sujets émetteurs. Le produit recueilli est déposé sur la lèvre
supérieure du sujet récepteur où il doit rester pendant six heures. La procédure est répétée
chaque jour pendant deux cycles menstruels successifs.
Le résultat de l’expérience est le suivant :
- Les substances prélevées en phase folliculaire accélèrent le moment de l'ovulation chez
les femmes réceptrices (et raccourcissent la durée leur cycle) ;
Les substances prélevées le jour de l'ovulation ou les deux jours suivants retardent
l'ovulation chez les réceptrices (et allongent la durée du cycle).
- McClintock conclut donc à l’action de deux signaux aux effets opposés : l'un qui accélère
l'ovulation, l'autre qui la retarde. Un modèle mathématique simple permet de comprendre
comment la conjonction de ces deux signaux produit la synchronisation de l'œstrus.
L'effet est donc établi, on peut conclure que le corps féminin secrète des substances qui
agissent sur le cycle ovarien et que la sueur axillaire porte un agent – qui reste à identifier –
auteur de la synchronisation en cause.
La question se pose de l'intérêt évolutif de cette synchronisation. McClintock (1992),
après avoir rappelé que l'oscillateur couplé qu'elle a mis en évidence est en mesure de réaliser la
synchronie mais aussi l'asynchronie des cycles ovariens, remarque qu'un tel dispositif permet une
adaptation optimale aux conditions environnementales et que la réponse tient vraisemblablement
dans les possibilités de modulation des stratégies de reproduction.
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Jean-Louis Cornille
UCT — Afrique du Sud
Femmes sauvages et petites-maîtresses. Tempéraments et lascivités,
hystéries et misogynies : le cas littéraire de Charles Baudelaire
Nul ne contestera que l’imaginaire de la femme fut, chez Baudelaire, façonné en grande
partie lors de son séjour dans l’Ile Maurice : il en ramena une vision empreinte d’exotisme qui
devait peu après se cristalliser autour du corps bientôt miné de maladie de Jeanne Duval. Que se
passe-t-il lorsqu’un discours littéraire laisse s’entrecroiser les grandes questions de la race et du
sexe sous un regard quasiment médical ? Ce sont précisément ces catégories qu’on répertorie au
cœur d’un des premiers poèmes en prose de Baudelaire, « La femme sauvage et la petitemaîtresse » : jamais la misogynie de Baudelaire n’a éclaté avec autant de véhémence. Un poète,
que les soupirs et l’indolence de sa maîtresse ont fini par fatiguer, se pique de la guérir de sa
névrose en l’emmenant à quelque foire pour l’y exposer au spectacle ignoble d’une femme sauvage,
faussement velue, que son mari exhibe. Mais sous une misogynie aussi flagrante, ne voit-on pas
s’articuler déjà les prémices d’une critique du modèle national français, élaboré dans les colonies
(tel que l’a récemment décrit, dans La matrice de la race, Elsa Dorlin). Baudelaire, semblerait-il,
s’y livre à une véritable déconstruction du discours ambiant qui consistait à fonder la différence
des races sur le modèle de la différence des sexes. On donnait du « sexe » (non pas tant faible
qu’affaibli) une image essentiellement maladive, afin de mieux pouvoir opposer à cette féminité
exotique, fortement sexuée, le modèle dominant de la femme-mère, blanche, sainte et saine. Il
apparaît en effet que Baudelaire a mis tout en œuvre pour que cet effarant poème en prose
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s’oppose point par point (afin de mieux le détruire) au « Cygne », sans doute l’un des poèmes en
vers les plus beaux du poète, dans lequel celui-ci célébrait la racinienne Andromaque, mère et
épouse exemplaire. Malgré ce soubresaut tardif, Baudelaire n’en devait pas moins rester victime
du discours colonial. Ses descriptions de femmes noires ont beau être coulées dans une langue
superbe, elles n’en demeurent pas moins tributaires de stéréotypes déjà formulés par les colons :
qu’est-ce donc que « la froide majesté de la femme stérile » qu’il célèbre et vénère, sinon une
typique formation de compromis, combinant le froid tempérament de la femme européenne et la
prétendue stérilité à laquelle on condamnait les ardentes mulâtresses ?
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Nicole Crestey
IUFM de La Réunion
L’affaire Jeanne Baret
Jeanne Baret, première femme à avoir fait le tour du monde, a embarqué en 1767 sur la
flûte L’Etoile pour accompagner le naturaliste Philibert Commerson dont elle était la gouvernante,
dans l’expédition commandée par Bougainville, malgré l’ordonnance du 15 avril 1689 qui interdisait
d’embarquer des femmes à bord des bâtiments du Roi. Comme on avait permis à Commerson de se
faire accompagner par son valet de chambre qui sera « gagé et nourri par le Roi », elle s’était
travestie en homme et ce n’est qu’à Tahiti, alors qu’elle accompagnait Commerson à terre pour
une herborisation, qu’elle fut enfin démasquée, « Ayenene ! C’est une femme ! », à cause de son
odeur de femme, dit-on, par des Tahitiens. Bougainville et les autres passagers avaient-ils été
vraiment dupes pendant le voyage ? Ou réduits à la discrétion par la réputation de Commerson,
désigné par le Roi, et leur éducation ? L’image de la femme était-elle plus stéréotypée dans la
société du siècle des Lumières que chez « les bons sauvages » ? En son temps, les témoins
oculaires ont été très discrets et ont très peu écrit sur cette femme pourtant exceptionnelle
mais elle a fait naître un mythe qui a débuté avec Diderot et qui est toujours vivant de nos jours
comme en témoignent notamment bande dessinée et roman populaire…
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Guillemette de Grissac
IUFM de La Réunion
Représentations du féminin dans les récits de Shenaz Patel : comment se croisent
représentations occidentales et orientales dans les figures de « victimes »
Shenaz Patel, née en 1968 à Rose Hill, représente une nouvelle génération d’écrivains qui,
témoignant des mutations sociales récentes, montre aussi l’évolution de l’écriture littéraire.
Dans les ouvrages mentionnés, les figures de victimes révèlent la souffrance liée aux
ajustements entre le passé colonial et les contraintes économiques actuelles, soulignant aussi
l’évolution chaotique du tissu social et religieux. Les personnages de roman ou récit sont des
femmes meurtries par l’histoire familiale, comme Samia, l’orpheline de Portrait Chamarel (Grand
Océan, 2001) et la narratrice de Sensitive (éditions de l’Olivier/Seuil, 2003), victimes de
décisions politiques qui les dépassent (Le silence des Chagos, éditions de l’Olivier/Seuil, 2005).
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Tout en analysant à un premier niveau comment sont représentés les personnages féminins
et ce que l’on apprend ainsi du statut des femmes réelles dans le contexte mauricien, je me suis
intéressée à ce que révèlent, moins explicitement, les choix narratifs de l’écrivain.
En effet, si de manière très explicite, Shenaz Patel brosse de très « lisibles » portraits de
femmes, elle donne aussi à lire en creux, par les choix narratifs et stylistiques d’autres éléments
qu’il importe de décoder. Ces ouvrages, me semble-t-il, ont jusqu’à présent fait l’objet de
lectures naïves ou superficielles. Sans prétendre en faire une lecture savante, je chercherai
volontiers ce que révèle une confrontation entre la lecture littérale et une lecture critique.
Je m’appuierai sur des travaux de critiques et de linguistes pour analyser les structures
narratives et les procédés stylistiques : T. Todorov, Gérard Genette, Oswald Ducrot (Le dire et
le dit)… Sur le plan des concepts, je me référerai, entre autres, à la lecture d’Emmanuel Levinas
que donne Catherine Chalier dans Figures du féminin, (réédition 2007, Editions des femmes).
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Prosper Eve
Université de La Réunion
Orient et Occident dans la garde-robe des Bourbonnaises de 1727 à 1766
A partir de 1665, Bourbon est peuplée définitivement, conséquence de la concession faite
par le roi à la Compagnie des Indes l’année précédente. Des Européens, des Malgaches, des
Indiens s’y retrouvent pour l’aménager et la transformer en une colonie d’exploitation. Les
cultures de ces premiers habitants ne se dressent pas les unes contre les autres, mais des segments de ces cultures se retrouvent confrontées. Le passage à l’esclavage complique les rapports
entre Blancs et Noirs. Les spécificités du climat tropical, le manque d’argent, le point de vue
comptable de la Compagnie amènent les habitants de cette terre de l’océan Indien à se montrer
débrouillards. C’est notamment le cas en matière de vêtement. Pour cerner ce pan de la culture
matérielle, les inventaires après décès représentent la source par excellence. L’étude du
vestiaire féminin permet de faire ressortir le processus de créolisation qui s’opère à travers les
apports orientaux et occidentaux et de démontrer que c’est en déconstruisant les cultures, les
identités et les communautés que l’histoire retrouve un rôle actif dans les phénomènes
d’identification.
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Gabriele Fois-Kaschel
Université de La Réunion
L’identité double d’Emily Ruete,
née Salima bint Said, princesse d’Oman et de Zanzibar
Les mémoires de Salima bint Said, princesse d’Oman et de Zanzibar, épouse Ruete, se
fondent sur l’assimilation de deux discours en maints points opposés qui, au lieu de
s’entrechoquer brutalement, s’assouplissent de façon à laisser entrapercevoir une trame
partagée. Le télescopage des points de vue oriental-occidental qui structure ce récit
autobiographique inverse les rapports entre immédiateté et distance, ouvrant l’espace de
l’altérité et de l'émancipation. En plus du témoignage à la première personne, des clichés
photographiques serviront à mieux cerner l’identité double d’une femme hors du commun. Aussi,
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plutôt que de viser le portrait d’un personnage historique, l’analyse portera sur la délimitation de
quelques indicateurs textuels et physiques de sa subjectivité.
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Arlette Fruet
Université de La Réunion
Reflets de femmes : la femme orientale dans le récit de voyage
de Pyrard de Laval (1619) au miroir de l’Occident
Le 18 mai 1601, Pyrard de Laval quitte Saint-Malo à bord du Corbin pour aller aux Indes. Le
2 juillet 1602, le vaisseau fait naufrage sur les bancs des Maldives. Pyrard va vivre avec les
insulaires « l'espace de cinq ans environ » avant d'être libéré lors d'une expédition menée aux
Maldives par le roi de Bengale. L'auteur voyage alors en Inde. Il séjourne à Chittagong, Cochin,
Calicut, Goa. Il restera deux ans dans cette ville.
Le récit de ses différents séjours révèle un observateur exceptionnel des sociétés qu'il
côtoie.
Les femmes et leur mode de vie retiennent régulièrement son attention. Les coutumes, le
vêtement, les bijoux, les critères de la beauté, le geste, la manière d'être habituelle comme le
cas particulier, le lien entre le comportement et le rang social, il n'a rien laissé au hasard.
Pyrard ayant offert la première relation française de ces Indes dont tout le monde en
France commence de rêver, quels éléments dans ces portraits se trouvent-ils régulièrement
soulignés qui permettent d'identifier comme orientales les femmes dont le visage passe dans le
miroir du récit ? Peut-on considérer que les nombreuses esquisses de silhouettes féminines qui
traversent son récit contribuent à fonder le mythe de la femme orientale dans notre
littérature ?
Ce qui est sûr, c'est que les sociétés féminines décrites par l'auteur nourrissent
l'imaginaire. Les femmes mises en scène, étrangères, fascinantes ou — et ? — redoutables, sont
aussi habiles à doser les aphrodisiaques que les poisons parfois. Enveloppées de voiles, couvertes
de bijoux, demi-nues cependant, capables de jeter des « ensorcellements de langueur », elles
inquiètent, séduisent ou émeuvent, et mettent en question l'image de la femme occidentale à
laquelle Pyrard ne cesse de se référer implicitement.
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Mar Garcia, Felicity Hand
Universitat Autònoma de Barcelona
Enjeux poétiques et idéologiques de la représentation du féminin dans le champ
littéraire mauricien : Lindsey Collen et Ananda Devi
Dès le début des années 1970 on assiste à un profond renouveau de la littérature
mauricienne qui coïncide avec l’accès à la parole d’un certain nombre d’écrivaines. La prise de
parole des femmes conduit à une redéfinition des frontières du champ qui passe par la
production de discours littéraires dont la femme est la figure centrale. Cette littérature
d’affirmation et de revalorisation du féminin s’attaque à des tabous, brise des interdits et
dénonce l’exclusion et la marginalisation (Ramharai, 2006). Dans la mesure où elle contribue aussi
bien à la reconnaissance des femmes dans la société et dans la littérature qu’à celle du champ
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littéraire lui-même, cette littérature écrite par des femmes et engagée à défendre leur cause
fait de l’appartenance sexuelle un atout fondamental dans l’évolution du champ littéraire
mauricien qui passe par une profonde redéfinition des étiquettes occidental et oriental. Tout se
passe comme si la cause commune des femmes venait en quelque sorte se superposer aux clivages
linguistiques, culturels et religieux d’un espace « radicalement marqué par le divers »
(Marimoutou, 2006). Or le cantonnement de ces textes à une fonction de témoignage
équivaudrait à ignorer la nature symbolique, imaginaire et poétique des biens littéraires. Cette
étude, qui fait partie d’une recherche plus vaste sur l’hybridation dans les littératures de l’océan
Indien1, analyse, dans une optique comparatiste, les enjeux poétiques et idéologiques des
manifestations du féminin dans les fictions de Lindsey Collen et d’Ananda Devi et leur
contribution en termes d’accumulation de capital symbolique à l’intérieur du champ littéraire
mauricien.
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Angélique Gigan
Université de La Réunion
Approches de la féminité dans Paul et Virginie
Dans un discours traitant de l’éducation des filles, en 1777, Bernardin de Saint-Pierre
remet en cause le système éducatif de son époque, qui pousserait au vice et à la corruption des
mœurs. Tout en proposant des solutions pour y remédier, ce discours est l’occasion de dresser en
filigrane un idéal féminin qui réapparaît sous les traits des héroïnes de ses fictions. L’auteur
propose une éducation naturelle, où la vertu et la bonté deviennent les qualités féminines par
excellence.
C’est à travers le roman Paul et Virginie, qui paraît la même année que Justine ou les
malheurs de la vertu de Sade, que l’idéal féminin est le mieux représenté, grâce notamment au
fameux personnage de Virginie, modèle de vertu. Née à l’Ile de France, Virginie incarne non
seulement une nouvelle féminité, telle que la conçoit Bernardin, mais elle représente aussi une
identité créole neuve. Cette nouvelle société créole est une communauté matriarcale, monde
utopique où les femmes sont supérieures en nombre. Cette société fondée sans hommes, basée
sur des valeurs féminines, correspond en réalité aux inspirations utopiques de l’auteur, qui
s’appuie sur les lois de la nature, dont les femmes semblent être les parfaites ambassadrices.
En quoi l’identité créole, qui est ici une identité féminine, reposant sur une éducation
maternelle, s’éloigne-t-elle du modèle occidental tout en en conservant quelques archétypes ?
Nous nous interrogerons donc sur cette conception du féminin en nous appuyant sur Paul et
Virginie, mais également sur quelques autres œuvres bernardiniennes.
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1
Groupe de recherche Litpost de l’UAB (Universitat Autònoma de Barcelona): I+D HUM2006/02725.
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Laurence Gouaux
Université de La Réunion
Entre Inde et Amérique : étude linguistique et stylistique des formes du féminin
chez Anita Desai et Eudora Welty
Dans cette communication, nous nous intéressons à deux écrivains contemporains de langue
anglaise, deux femmes, originaires respectivement d’Inde : Anita Desai, née en 1937 dans une
petite ville au nord de Delhi, et Eudora Welty, américaine née en 1909 dans le Sud des EtatsUnis, à Jackson, Mississippi. Pourquoi mettre ces deux auteurs en parallèle ? Pour une raison très
simple : la façon dont elles inscrivent le féminin dans leurs textes. En effet, ces deux auteurs
adoptent une technique linguistique similaire : la dissimulation du genre féminin sous des formes
morphologiquement non marquées, c’est-à-dire des formes, des noms qui ne comportent pas de
suffixe du féminin. En effet, pour faire référence au féminin, Welty et Desai font souvent appel
à des noms à la morphologie unique en anglais, c’est-à-dire ne comportant qu’une seule forme à la
fois pour le féminin et le masculin, tels que « a nurse » qui peut indifféremment correspondre en
français à un infirmier ou une infirmière, « a social worker », un travailleur social ou une
assistante sociale, « a pupil », un ou une élève. Le morphologiquement non marqué du point de vue
du genre laisse donc planer le doute chez le lecteur quant à l’interprétation à donner à ces noms :
s’agit-il d’un féminin dans le cas de « a nurse » par exemple comme nos présupposés sociologiques
nous inclineraient à le penser, ou peut-il aussi s’agir d’un masculin ? Le traducteur du texte
anglais est donc, tout comme le lecteur, confronté lui aussi à ce genre de dilemme.
Chez les deux auteurs, cette dissimulation du féminin en langue, cette ambiguïté des
genres fait place de façon inattendue, à un moment du roman ou de la nouvelle, à une surabondance de féminité, c’est-à-dire à une surabondance de descriptions du féminin. Le lecteur ne peut
qu’être attentif à la signification de cette surabondance de détails liés au féminin : le féminin
aurait-il fait défaut à ce point-là dans le contexte qui a précédé ? Faut-il lever l’ambiguïté des
genres ? Autant de questions que ce genre de technique narrative nous amène à nous poser.
Les deux auteurs nous entraînent donc dans un univers de défamiliarisation d’avec le réel
où les genres féminin et masculin semblent parfois se confondre, s’estomper. Cette confusion des
genres a néanmoins des conséquences différentes chez l’une et chez l’autre : le rire, le comique
et l’irrévérence sociale chez l’américaine, la déconstruction des normes patriarcales et l’inversion
des positions de pouvoir chez l’indienne. D’ailleurs leurs utilisations respectives de grands mythes
occidentaux (Persée et Méduse) et orientaux (Kali) inscrits en creux dans leurs textes
aboutissent chez l’une et chez l’autre à des appréhensions diamétralement opposées cette fois-ci
du féminin, de la féminité et du masculin. Entre Inde et Amérique, féminin et masculin, les deux
auteurs jouent sur les présupposés socio-culturels des lecteurs potentiels et invitent à une relecture du texte à la lumière de l’ambiguïté des genres suggérée par l’écriture.
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Sabella Grondin
Université de La Réunion
Européennes et Orientales dans l'œuvre coloniale de Jean d’Esme
Jean d’Esme (1893-1966), auteur Réunionnais et romancier colonial à l’instar de Marius et
Ary Leblond, fait partie de ces auteurs qui ont suscité énormément d’intérêt de leur vivant mais
qui, par la suite, ont été victimes de l’oubli. Néanmoins, le regain d’intérêt qui apparaît ces
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dernières années autour de la littérature coloniale a permis de redécouvrir cet auteur, surnommé
par ailleurs « Le Kipling Français », grâce à ses romans réédités depuis 2000. Parmi ces romans,
Thi-Bâ, fille d’Annam (1920) offre un parfait exemple de l’importance accordée à la figure
féminine dans la littérature coloniale. En effet, « la jeune indigène », souvent héroïne de roman,
occupe une grande place dans cette littérature car elle permet à l’auteur, selon le projet du
roman colonial, de faire découvrir au lecteur Occidental, avide d’exotisme, le pays, les traditions
et surtout le type de relation que le colon Européen peut avoir avec une jeune indigène. N’oublions
pas que ce type de relation est un topos de la littérature coloniale.
Cependant, même si l’Orientale occupe le plus souvent la place de l’héroïne, contrairement à
l’Occidentale, plus souvent personnage secondaire, nous ne pouvons passer à côté du rôle
symbolique de l’Européenne qui véhicule également des idées coloniales essentielles.
Cette étude se propose de comparer deux personnages féminins du roman colonial :
l’héroïne Indochinoise Thi-Bâ (dans Thi-Bâ, fille d’Annam) car elle représente cet « Autre » que
les romanciers coloniaux veulent faire découvrir et l’Européenne Annunciacion (protagoniste de
La Terre du Jour, 1933), une jeune aventurière, partie en Afrique pour chasser et connaître la
vie de la brousse. Différente de Thi-Bâ en tout point de vue, Annunciacion reste toutefois une
figure féminine essentielle qui tient un rôle important dans le roman de Jean d’Esme. Nous
verrons ainsi comment l’auteur met en scène la jeune fille indigène et la femme Occidentale, deux
personnages emblématiques du roman colonial.
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Carole Grosset
Université de La Réunion
Orient et Occident dans la garde-robe des Bourbonnaises à l’époque royale
L’étude de la culture matérielle est pertinente lorsqu’elle se situe dans la longue durée. Cet
exposé se situe dans la suite du précédent. Il tente de déterminer si l’inventaire après décès
permet encore pendant les dernières décennies de l’Ancien Régime de suivre le processus
d’identification apparu à l’époque de la Compagnie des Indes.
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Mireille Habert
IUFM de La Réunion
Les femmes à la tribune du théâtre
La carrière littéraire d’Olympe de Gouges (1748-1793) débute dans les années 1780 à la
fois par une œuvre à caractère autobiographique imitée des Liaisons dangereuses, les Mémoires
de Madame de Valmont, et une pièce de théâtre, Zamore et Mirza ou l’heureux Naufrage. Sur le
point d’être représentée par la Comédie-Française au cours de l’été 1785, cette pièce fait
rapidement l’objet d’une querelle entre l’auteur et les comédiens, qui la rayent de leur répertoire.
Avec une obstination inlassable, pendant quatre ans, Olympe de Gouges se livre à des démarches
et menace de procès la Comédie-Française, jusqu’au moment où la pièce est enfin jouée, le 28
décembre 1789, sous le nouveau titre de l’Esclavage des Nègres. Mais la représentation
déclenche l’échauffement des esprits. Le public se partage entre partisans et adversaires de la
liberté des Nègres, tandis que la cabale fait retirer la pièce après la troisième représentation.
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De quelle façon Olympe de Gouges relie-t-elle dans cette œuvre, à travers la rencontre de
Sophie et des esclaves en fuite, la question, qui lui est personnelle, de l’illégitimité, et le thème
social de l’esclavage ? En quoi l’écriture de cette pièce peut-elle être considérée comme un
prélude à l’élaboration de la Déclaration des Droits de la femme et de la citoyenne publiée en
septembre 1791 ? Enfin, quel nouveau relief apportent à ces questions la réécriture et la mise en
abyme par Emmanuel Genvrin de l’Esclavage des Nègres à l’intérieur de l’œuvre intitulée Etuves,
l’une et l’autre représentées conjointement sur l’île de la Réunion en 1989 à l’occasion des fêtes
du bicentenaire de la Révolution ?
Notre étude se propose d’examiner ce qu’apporte au débat sur le genre l’amplification
théâtrale, que l’on considère la représentation des personnages féminins dans l’Esclavage des
Nègres et Etuves ou l’image d’Olympe de Gouges elle-même.
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Vinesh Y. Hookoomsing
Université de Maurice
Sita et Draupadi dans leurs réincarnations insulaires
Les grandes figures féminines du Ramayana et du Mahabharata sont toujours présentes
dans l’imaginaire des îles-sœurs de l’Océan Indien. Transposées dans le contexte du peuplement
de celles-ci, elles fonctionnent à la fois comme des symboles du sacré, des icônes modèles ou
rebelles, des personnages de mythes et de légendes que la tradition orale vénère et perpétue.
De cette diversité de représentations, la littérature insulaire contemporaine a fait moult
panachages et syncrétismes, dont il sera ici question à travers des lectures croisées d’un certain
nombre de textes mauriciens, notamment The Rape of Sita de Lindsey Collen, Le voile de
Draupadi d’Ananda Devi, The Return of the Goddess de Kamini Ramphul, Dropadi de Dev
Virahsawmy.
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Adolphe Maillot
Université de La Réunion
Pagli ou la tragédie au féminin
Identité et destin : dans l’univers de Pagli d’Ananda Devi (2001) tout tient dans un prénom
ou un surnom. Ce roman dénonce l’arbitraire d’une société traditionnelle au sein de laquelle
l’individu ne choisit pas sa vie. S’il a le malheur d’aimer la liberté, de vouloir exister en dehors de
la ligne tracée pour lui, il court à sa perte. Tel est le scénario tragique qui attend la narratrice
Pagli, une « emmurée vivante1 », tiraillée entre deux identités que la société lui attribue de gré
et/ou de force. Soit elle est la pitié (Daya) dans un monde sans pitié, soit elle est la folie (Pagli)
dans un monde qui n’admet pas la déviance. Dans les deux cas, elle n’y a pas sa place. Comment
exister envers et contre tout ? C’est le défi que relève Pagli tout au long du roman, qui se lit
comme une poétique agonie.
Qu’elle ait « le courage de dire non2 », qu’elle refuse de prendre le même chemin que les
« mofines », celui des femmes soumises, qu’elle s’oppose aux lois qui brident son élan de vie,
1
2
A. Devi, Pagli, Paris, Gallimard, « Continents noirs », 2001, p. 147.
Ibid., p. 75.
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toutes ses manifestations de révolte la situent dans la lignée d’Antigone. Néanmoins, l’idéal de
libération qui l’anime semble dès le départ contaminé par le mythe de l’amour romantique.
Idéologie masculine qui postule que la nature féminine ne peut vraiment s’épanouir que dans
l’abandon amoureux.
Pagli renie le mari imposé pour se jeter dans les bras de l’amant librement choisi. Dans sa
quête de soi, l’horizon est exclusivement masculin. Cette « idéologie de l’amour » aurait, d’après
Lipovetski, « contribué à reproduire la représentation sociale de la femme naturellement
dépendante de l’homme, incapable d’accéder à la pleine de souveraineté de soi1 ». Mais, pour
Giddens, l’amour romantique a également permis l’émancipation des femmes, donnant lieu à « une
sorte d’affirmation contradictoire de leur autonomie sur le fond même de leur
assujettissement2 ».
C’est ce paradoxe au cœur de l’identité féminine que nous voudrions traiter à l’occasion
de ce colloque.
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Serge Meitinger
Université de La Réunion
Avatars de la déesse.
Indianité, féminité, universalité dans l’œuvre d’Ananda Devi
Dans Le don de Lakshmi (in Le poids des êtres) une humble paysanne mauricienne voit,
chaque année, lors de la célébration du jour de Divali, renaître en elle l’espoir que cette année la
déesse la comblera enfin du don qu’elle réserve à ses fidèles les plus méritants. Bien sûr elle
envisage d’abord ce don comme une gratification matérielle, mais au déclin du jour, juste avant la
fête, le monde s’éclaire soudain pour elle avec une intensité inconnue et les lampes qui s’allument
une à une lui révèlent un à un ses biens les plus précieux, les visages épanouis de ses cinq
enfants… Le don de la déesse a été de lui révéler que sa vie en apparence si terne, si peu
gratifiante, si insignifiante ne cessait pourtant d’inventer et de perpétuer la seule richesse qui
vaille, celle de la vie, celle du divin intime qui sous-tend et invente à tout moment cette poussée
vivante. Pourtant Ananda Devi connaît et déploie plus nettement encore que le cycle du bonheur
possible, celui de l’impouvoir et de la haine auquel elle voudrait substituer celui du sacrifice et de
la délivrance et les figures de femmes en son œuvre revêtent souvent la gravité presque tragique
de destins accablés par une coutume contraignante (indienne, dans le cadre mauricien) et par le
poids particulier qui pèse sur la condition féminine. Ces personnages seront peut-être rédimés et
transcendés par un sacrifice assumé, par un courage sans éclat mais sans faille ; ils seront
parfois anéantis. Car l’être naturel, l’être social, l’être physique et métaphysique — que l’on
pourrait rassembler sous le vocable d’« universelle féminité » — ne choisit pas les règles, il les
trouve, parfois ordonnées déjà en un récit mythique fondateur ou en une table des valeurs, mais
surtout il les actualise en se risquant, en s’essayant, en réinventant et dynamisant sur son fonds
propre, grâce à ses propres forces, le projet que les textes sacrés et les lois esquissent sans en
imposer a priori le trajet, la courbe, l’essor et l’avatar.

1
2
G. Lipovetski, La troisième femme. Permanence et révolution du féminin [1997], Paris, Gallimard, « Folio Essais », 2006,
p. 25.
A. Giddens, La transformation de l’intimité. Sexualité, amour et érotisme dans les sociétés modernes [1997], Paris,
Hachette Littérature, « Pluriel sociologie », 2006, p. 59.
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Chantale Meure
Université de La Réunion
Réflexibilité de la question féminine
entre Orient et Occident chez Robert Challe
Parmi les nombreux sujets auxquels s’intéresse le voyageur, romancier et philosophe qu’est
Robert Challe (1659-1721), la femme occupe une place non négligeable. Le regard du voyageur,
réduit pendant la longue traversée vers les Indes à une société toute masculine, s’attarde avec
plaisir sur les silhouettes féminines qu’il croise et décrit en les confrontant aux Françaises,
soulignant les mérites et attraits comparés des unes et des autres. Mais au-delà de ces multiples
figures qui retiennent son attention, provoquant immédiatement sympathie ou rejet horrifié,
c’est sur la femme, sa nature, ses désirs, la place que la société lui octroie que porte l’observation. Les images et attitudes féminines de l’espace indien se réfléchissent dans celles de
l’espace d’origine dont elles suscitent une lecture décapante : la différence se révèle analogie
insoupçonnée ou écart qui rend sensibles les dysfonctionnements.
Cette interaction entre l’univers féminin de l’Orient et de l’Occident est au service d’une
réflexion, souvent audacieuse pour l’époque, sur l’amour, le plaisir, le rapport du masculin et du
féminin. Elle permet en outre de poser les questions de liberté, de vertu et de bonheur, au cœur
de la problématique des Lumières.

Yann Mevel
Japon
Une émanation de la nuit ?
La figure de la femme japonaise dans la littérature de langue française
Le « mystère extrême-oriental » ne reposerait-il que sur des stéréotypes occidentaux ?
Abdelkebir Khatibi souligne que cette « structure mythique » s'est vue confortée par l'essai,
devenu fameux, de Tanizaki Eloge de l'ombre (1933). Dans celui-ci, rappelle A. Khatibi,
« Tanizaki recrée le corps de la femme et son image par une série d'analogies, loin du dieu
monothéiste : la poupée, le fantôme, le masque enténébré, la fausse vieille, autant de figures
paradoxales de la femme, faite ombre, et ombre faite corpuscules en cendres ».
La question que formule Khatibi dans cette belle lecture de Tanizaki est de celles que nous
souhaitons poser à la littérature de langue française consacrée au Japon, depuis Loti jusqu'aux
textes les plus récents : « La femme japonaise serait-elle une revenante, toujours une revenante
et dont le secret mythique serait l'effet d'une apparition dans le théâtre du nô ? »
Afin d'observer dans quelle mesure la littérature de langue française a anticipé ou repris à
son compte, dans ses représentations du féminin, ce qui apparaît comme un « paradigme de
civilisation » (Khatibi), nous porterons notre attention tout à la fois sur des textes à caractère
autobiographique et sur des textes de fiction.

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Anne D. Peiter
Université de La Réunion
Des chameaux féminins, des chevaux masculins et des ânes têtus : La dialectique
entre animal et être humain dans le discours sur l’Orient chez des auteurs
allemands et français du XIXe siècle
En partant de textes d’Ida Pfeiffer, d'Ida Hahn-Hahn, de Nerval et de Chateaubriand, je
me propose d’analyser les conceptions de genre que l’on peut observer dans les descriptions de
certains animaux considérés comme typiques pour l’Orient. Tandis que le cheval est perçu comme
un animal aux caractéristiques masculines, le chameau se révèle d’une grande ambiguïté. D’une
part, les voyageurs et les voyageuses venant de l’Occident sont avides d’expérimenter de
nouveaux moyens de transport. D’autre part, leur utilisation du chameau les mène à penser qu'il y
aurait des parallèles entre les hommes de l’Orient et cet animal. Tous les deux sont pacifiques
mais cette attitude devient facilement le signe d’une lâcheté efféminée. Les chevaux, par contre,
sont des animaux que l’on trouve aussi en Occident et qui représentent selon leur conception de
« vrais » hommes, une masculinité « fiable ». C’est pour cela que les grands hommes de l’Orient
— par exemple les Sultans — sont représentés à cheval quand il s’agit de célébrer leur
importance. Mais dès que leur masculinité est comparée à celle des hommes occidentaux, le côté
féminin réapparaît. En analysant l’image des animaux, on voit donc surgir le topos de
l’affaiblissement de la masculinité en Orient et par ce détour on arrive implicitement à une
certaine idée de la féminité, qui concerne aussi bien les femmes orientales qu'occidentales.
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Jean-François Perrin
Université de Grenoble III
Orientalisme et figuration du féminin dans les récits-cadres
de quelques recueils de contes orientaux du XVIIIe siècle français
Les questions de la figuration du « féminin » et de l’« orientalisme » s’inscrivent au cœur
des Lumières françaises comme des pierres de touche de ce que cette culture et cet imaginaire
admettent inconsciemment de préjugé et de rapport mystifié à l’altérité et au rapport entre les
sexes, mais aussi de la mesure de leur capacité à en bousculer certaines lignes. Ces deux
questions se trouvent évidemment nouées de bien des manières dans la littérature de cette
époque : on voudrait ici accorder une attention particulière à la relation de la conteuse ou du
conteur à son public (masculin et/ou féminin) dans les cadres narratifs des contes orientaux
imités des Mille et Une Nuits. Si la question des relations de Scheherazade à son tyrannique
auditeur a été déjà très travaillée par les spécialistes des Nuits, il n’en va pas de même
concernant les récits-cadres des imitations du recueil au XVIIIe siècle. De Pétis de la Croix à
Diderot en passant par Hamilton, Gueullette ou Crébillon, ce riche corpus se caractérise pour son
extrême ambivalence : souvent imprégné des pires lieux communs de l’exotisme de convention et
d’une vision stéréotypée de la femme orientale, il inscrit aussi parfois par son dialogisme leur
critique ironique. A cet égard, le dispositif énonciatif articulant les récits-cadres constitue un
terrain particulièrement sensible : la recherche littéraire du renouvellement des règles du jeu
mais aussi la réalité d’un questionnement parfois radical du modèle Scheherazade / Dinarzade /
Schariar, provoquent l’invention de configurations variées et parfois originales de la relation
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contage/auditoire, où parodie et satire introduisent des éléments de distanciation, et où la
conversation conteuse redistribue voire renverse la relation féminin/masculin. On tentera de
comprendre ce corpus comme champ de « formations de compromis » entre discours et
idéologèmes contradictoires à l’égard de la figuration du féminin.
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Brigitte Prost
Université de Rennes
Réflexions sur le travestissement à partir des images du féminin produites dans
deux arts spectaculaires du Kérala : le Kathakali et le Mohini Attam
Je souhaiterais d’abord me situer au niveau de l’analyse dramaturgique et dégager
l’imaginaire féminin mis en place dans un corpus de textes qui nourrissent le Kathakali (soit des
extraits du Ramayana et du Mahabharata), avant d’en venir à des questions de représentations
scèniques et d’étudier quel traitement est réservé sur le plateau à ces figures féminines des
grandes épopées indiennes. Comme pour le Kabuki ou le Nô, ou encore le Tazieh iranien, les rôles
féminins sont traditionnellement pris en charge par des hommes pour le Kathakali. Etudier les
modalités de ce travestissement sera un point de départ important de mon intervention. En
effet, il ne s’agira pas seulement de considérer l’imaginaire féminin issu des textes et
représentations du Kathakali, mais de mettre en tension cet imaginaire avec celui que développe
le Mohini Attam.
Le Mohini Attam, danse exécutée exclusivement par des femmes, se caractérise par des
mouvements s’appuyant sur les concepts de cercle et de spirale — sans jamais quitter le lasya,
c’est-à-dire l’énergie de la féminité. Pour mieux appréhender cet art, je reviendrai sur les
différentes héroïnes de la danse indienne telles qu’on les trouve dans le Nâtya Shastra ainsi que
dans la poésie amoureuse (l’héroïne mélancolique, l’héroïne aimante, l’héroïne émerveillée). En
Inde, la grande déesse-mère a des noms et des visages différents comme Parvati, Sarasvati,
Sita, Radha, Uma, Kali. Les héroïnes du Mohini Attam sont de la même façon différentes
facettes de la femme — comme l’Aurélia de Gérard de Nerval.
De même que pour le Kathakali, je dégagerai ainsi l’imaginaire féminin qui ressort du Mohini
Attam (danse féminine partiquée par des femmes) en vue d’en faire une étude comparée avec le
Kathakali (théâtre-dansé où les rôles féminins sont pris en charge par des hommes).
De là naîtra une réflexion sur la question des métamorphoses du féminin par le
travestissement à la scène, un travestissement qui est aussi « transfiguration », métaphore du
féminin par la reprise des oripeaux de la féminité (longue chevelure, robe, bijoux), mais aussi et
surtout par l’observation d’une poétique du geste qui s’adosse aux mudras et à l’abhinaya (le
langage des mains et celui des expressions du visage) — pour la création d’un « féminin de
théâtre ». Ce travestissement à la scène est fascinant car il joue sur une tension entre la
présence et l’absence, par le recours aux attributs culturels de la féminité.
Suivant un mouvement d’ouverture croissante partant de cas particuliers (ceux de formes
spectaculaires du Kérala reposant sur de grandes épopées), mon intervention visera in fine à
faire sentir combien il est passionnant de voir la façon dont les hommes ont représenté et
interprété la féminité, en Inde, mais plus largement depuis que des comédiens jouent des
personnages féminins — ou parce que la scène est interdite aux femmes (sur les scènes de
l’Antiquité Gréco-romaine, comme celles des Théâtres élisabéthains en Occident, mais jusqu’à
celles de l’Orient en Inde, mais aussi en Chine ou au Japon — avec l’onnagata du Kabuki), ou par
goût des travestissements et des univers interlopes comme dans les textes de Copi tant
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développés dans les mises en scène de Martial Di Fonzo Bo et du Théâtre des Lucioles en France,
ou celui Carmelo Bene en Italie.
En somme, nous nous demanderons si le travestissement ne se constitue pas, quelle qu’en
soit l’origine, en révélateur plus ou moins déformé de la féminité, en Orient comme en Occident ;
plus, si le travestissement (image ou subversion du féminin) ne serait pas un point focal pour un
face à face des civilisations orientale et occidentale.

Jean-Michel Racault
Université de La Réunion
« Eternel féminin » et confrontation des cultures : le Voyage de François Leguat
(1707) et le discours sur les femmes dans les sociétés coloniales de l’océan Indien
Le voyage est une expérience de l’altérité, mais le voyageur transporte aussi avec lui les
préjugés et les stéréotypes de son propre monde, soit qu’il y adhère de bonne foi, soit qu’il en
joue avec une certaine distance ironique pour se concilier la connivence de son lecteur. Partagé
entre l’observation du monde féminin au Cap de Bonne-Espérance, aux Mascareignes, à Batavia et
les variations plus ou moins humoristiques sur l’« éternel féminin » conformes à une tradition
« gauloise » qu’on s’abstiendra de recevoir au premier degré, François Leguat a également expérimenté avec ses compagnons à l’île Rodrigues les inconvénients d’une société sans femmes et pour
cette raison non viable. A travers les clichés traditionnels et les images fortement contrastées
des femmes dans les sociétés de l’océan Indien, le récit de voyage de François Leguat (Voyage et
aventures de François Leguat et de ses compagnons en deux îles désertes des Indes Orientales,
1707) esquisse divers modes possibles de la rencontre entre Orient et Occident.
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Noro Rakotobe-d’Alberto
Université de La Réunion
La belle Rondro, une femme malgache du XVIIe siècle, entre deux rives
Le Tantara Ny Andriana, « Histoire des Rois », somme considérable de traditions et de
récits de l’ancien royaume merina de Madagascar, recueillis par le Révérend Père Callet entre
1868 et 1881 narre l’histoire de la belle Rondro. Une histoire d’amour prend pour cadre des
conflits entre les groupes rivaux du Sud et du Nord en Imerina (Madagascar) à la fin du XVIIe
siècle. La belle Rondro Ratsisaramba obtient du vénérable roi Andriamasinavalona, l’autorisation
exceptionnelle de choisir elle–même son mari. Les deux prétendants appartiennent à des clans
rivaux. La décision se prend alors de façon publique, sous le regard attentif de tout un peuple.
Rondro, dirigeant une barque au milieu d’un fleuve, doit orienter son destin vers la rive Nord ou la
rive Sud. La scène est savoureuse, à la fois sur le plan dramatique et poétique. La caractérisation
des protagonistes, le suspens mis en place dote l’épisode d’une portée à la fois singulière et
universelle. Le texte permet de cerner différents enjeux. La loi de l’amour, l’ascendant d’une
féminité triomphante peuvent-elle l’emporter sur les considérations politiques et sociales ? Le
geste du roi nous permet d’appréhender la condition d’une femme entre deux rives, entre deux
époques, entre sujétion et autonomie.
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Vololona Randriamarotsimba
Ecole Normale Supérieure
Université d’Antananarivo
La femme malgache dans le hainteny au XIXe :
christianisme et mutation de l’éthos discursif de la femme malgache
Le hainteny était initialement une joute verbale entre amoureux, ornée de proverbes et de
tropes, échangée par les anciens, le soir, au coucher du soleil (F. Rakotonaivo, 1990 : 7).
Le présent travail s’intéresse à ce genre littéraire malgache, axé sur le thème de l’amour
pour cerner la migration de la langue-culture malgache de l’anémisme oriental vers la religion
chrétienne occidentale. Pour ce faire, il mobilise le concept de l’éthos pour cerner l’évolution des
diverses images montrées (éthos) par la femme malgache à son interlocuteur, en vue de réussir
l’échange. Il adopte une démarche comparative pour analyser un corpus composé d’une vingtaine
de hainteny extraits de deux recueils du XIXe : le premier, intitulé « Hainteny d’autrefois »1 est
recueilli avant l’entrée de la religion chrétienne et le second, « Anganon’ny Ntaolo »2, date de la
période de l’évangélisation. Ce travail suppose l’existence d’un lien étroit et réciproque entre
l’influence du contexte situationnel et de la doxa sur la scénographie dans laquelle se meut le
garant de l’éthos de la femme malgache locuteur dans les hainteny du corpus.
Quelles images d’elle montre la femme malgache à l’homme aimé ? Le changement de
l’identité du scripteur du recueil (malgache et missionnaires) et le contexte de recueil des
hainteny influe-t-il sur ces images ?
La langue-culture malgache du premier recueil, semble se déployer à travers la
scénographie d’un garant de l’ethos de femme-locuteur qui, loin d’être pudique, déclare son amour
ou son désamour sans détour, contrairement à l’ethos du deuxième recueil qui, sous l’influence de
l’Occident, ne conçoit l’amour que dans la légitimité conjugale.

Françoise Sylvos
Université de La Réunion
La femme dans les Lettres de Malaisie de Paul Adam
Paul Adam (1862-1920) est l'auteur de textes d'anticipation dont Le conte futur [1893],
Les cœurs nouveaux [1896] et Cité prochaine [1908]. Il a aussi manifesté un intérêt marqué pour
l'Orient (Princesses byzantines [1893]). Cet auteur, qui prit très vite ses distances avec le
naturalisme, est l'auteur d'un ouvrage intitulé Chairs molles qui lui valut en 1885 une peine de
prison et une amende pour immoralité. Il excellait dans le paradoxe, postulant notamment dans
des articles de presse que la libération des mœurs finissait par conduire à un essor de la
spiritualité par l'exténuation du désir. Les Lettres de Malaisie conjuguent l'anticipation et
l'orientalisme décadent affiché dans Princesses byzantines. Le voyage jusqu'à l'intérieur de
l'archipel mène le lecteur au cœur de l'intimité d'une société qui concrétise, en Orient, l'idéal
communiste que Cabet avait échoué à faire réussir en Occident au moment de la Révolution de
1848. Là, le communisme concerne les biens et la sexualité et la tendance monastique des
habitants est la conclusion d'une vie ponctuée par des fêtes à caractère orgiaque. La société
d'abondance et de luxe que dépeint Paul Adam à travers descriptions et dialogues retracés dans
1
2
B. Domenichini-Ramiaramanana (1968).
L. Dahle et J. Sims (1984).
— 19 —
les lettres d'un diplomate espagnol à un anarchiste, est marquée par un attachement notoire à
l'éducation, à l'égalité des chances. L'archipel et ses capitales bénéficient du perfectionnement
des sciences, gage de bien-être. Les femmes y tiennent une place essentielle. Elles occupent des
fonctions politiques de tout premier plan et la maternité y est pour ainsi dire déifiée. Mais c'est
aussi la narration qui accorde la parole aux femmes et leur donne un rôle important à jouer.
L'ambassadeur espagnol qui visite la Malaisie y est pris en charge par deux belles Malaises
— pour son plaisir et son tourment. Les Lettres de Malaisie vérifient une fois de plus l'idée selon
laquelle les personnages de premier plan sont, en utopie, représentatifs de l'idéal particulier que
l'auteur expérimente.
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Bernard Terramorsi
Université de La Réunion
Comment envisager le sexe de la femme ? Mythanalyse comparée de la Sirène
malgache Ampelamananisa (« la fille avec des ouïes ») et de la Baubô grecque
La Sirène des traditions orales du sud-ouest malgache (vezo, tanalana, sakalava du
menabe, masikoro…) est appelée ampelamananisa, « la fille avec des ouïes ». Cette Sirène est
spécifiquement malgache, les traditions celtiques, nordiques, anglo-saxonnes, méditerranéennes
ou encore asiatiques, n'évoquent jamais une Sirène avec des ouïes.
Le conte-type malgache la montre séduire un pêcheur par sa beauté exceptionnelle ; elle
lui demande de l'épouser et de la faire vivre parmi les hommes, son mimétisme l’assimilant à une
femme normale. Elle s'engage à être une épouse et une mère dévouée, si le mari jure de ne jamais
révéler qu'elle est une sirène. Au bout d'une certain temps de vie commune, le mari vantard ou
ivre, ne peut tenir sa langue et raconte la vraie nature de sa moitié. La Sirène annonce aussitôt la
rupture à son mari, et retrouve sa forme monstrueuse avant de s’enfoncer définitivement dans la
mer : elle exhibe des ouïes — à la hauteur du cou ou des aisselles, selon les versions —, un corps
couvert d'écailles et des pieds palmés. La queue de poisson est une animalisation angoissante et
phallique du bas ventre de la femme. La monstration des ouïes, plus singulière, est une
animalisation/sexualisation de la tête féminine : une surérotisation effrayante par son obscénité
même. La migration du bas corporel vers la tête est « justifiée » par le monstrueux aquatique. La
sexualité est l’enjeu majeur des récits de femmes marines ; l’incorportation d’un élément
anatomique propre au poisson (les ouïes) provoque une sexualisation déplacée et agressive. Le
rétablissement de l’identité monstrueuse de la femme aquatique, à la fin du récit, coïncide avec
l’exhibition/multiplication terrifiante du sexe féminin devant un mari défait par l'angoisse de
castration. La transformation des labia en ouïes de poisson et réciproquement, fait osciller entre
la terreur liée à l'exhibition du sexe féminin et le grotesque associé à l'inversion du haut et du
bas corporel. De fait, un jeu de mot obscène, très courant dans la région, substitue
« ampelamananisy » (la fille avec un sexe, une « vulve ») à ampelamananisa.
L'Ampelamananisa malgache donne à voir une face sexualisée, et ce mélange de sexe et
d’effroi est constitutif d’une sorte de terreur sacrée. Un effet similaire est produit par la Baubô
grecque : cette femme indécente voulant redonner le goût de vivre à Déméter en deuil, multiplie
les grivoiseries puis soulève son péplos et montre son sexe à la déesse qui se fend alors d’un large
sourire. Des statuettes célèbres découvertes à Priène, dans un temple du IVe siècle avant J.C.
dédié à Déméter, sont tenues pour le modèle plastique de Baubô : ces statuettes féminines
étranges, devenues célèbres, montrent une femme avec une grosse tête posée sur une paire de
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jambes ; le visage est disposé à la place du corps, les yeux à la place des seins, la bouche juste
au-dessus de la fente sexuelle. L’ample chevelure encadre un sexe facialisé.
Le geste impudent de Baubô, adressé à une femme, est libérateur et curatif. Les
statuettes de Baubô attestent de sa valeur cultuelle et initiatique. L’exhibition punitive
d’Ampelamananisa, face à un homme, est angoissante et médusante : de fait, si « La fille avec des
ouïes » alimente une multitude de récits oraux, elle est totalement absente de l’art pictural de sa
région d’origine. Les peintures décoratives et funéraires de Sirènes, dans le sud-ouest malgache,
contredisent la tradition orale de la région en représentant exclusivement une Sirène
« traditionnelle » : une très belle femme souriante, avec une queue de poisson. « La fille avec des
ouïes » relève de l’irreprésentable. La Sirène malgache et la Baubô grecque sortent de la nuit des
temps, des rivages de l’océan Indien ou de la Méditerranée. Des déesses de la fécondité à la
vulve mythique, qui font toucher à l’origine du monde.
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Patrice Uhl
Université de La Réunion
Les trois vies posthumes de Wallâda, poétesse et princesse umayyade
Célébrée comme une grande poétesse néo-classique par les apologètes arabes d’Al-Andalus,
du XI (Ibn Bassam : Dhakhira) au XVIIe siècle (Al-Maqqari : Nafh at-tib), éclipsée et décriée
par les maîtres de l’orientalisme moderne (Dozy, Nykl, García-Gómez, Pérès), Wallâda bint alMustakfi a acquis le rang de figure féminine universelle sous l’impulsion du néo-féminisme des
années 1970-2000, de sa traduction universitaire (Gender Studies) et aujourd’hui du roman
historique (Wallada la Omeyya ; La ultima luna). Je m’intéresserai aux trois vies posthumes de
Wallada : la poétesse néo-classique ; la princesse capricieuse et délurée ; la figure féminine
universelle. On verra que l’éclipse et le dénigrement de Wallâda ne recoupent en rien une
confrontation Orient/Occident, a fortiori Islam/ « Croisés », mais s’ancrent dans la plus
reptilienne misogynie qui était de mise dans les milieux érudits occidentaux jusqu’à une date
récente.
e
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Gérard Veyssière
Université de La Réunion
Etude iconographique de la femme au Moyen Age
sous les deux aspects de Eva et Ave (Maria)
En utilisant un corpus d’images enluminées pour la plupart et donc très généralement
commanditées par une élite pécuniaire et/ou intellectuelle, nous voudrions montrer comment
l’image du féminin est perçue au moyen âge.
La première image du féminin est une silhouette défendue par la morale chrétienne.
Cette protection se manifeste par le port d’un vêtement qui la couvre, la protège, mais aussi la
contraint. Dieu n’a-t-il pas lui-même vêtu Adam et Ève en les chassant du paradis ? Le fait de
refuser ce vêtement n’implique pas un retour à la nudité paradisiaque, mais bien le déchaînement
des forces du mal, de l’immoralité, celles qui ont été déclenchées par la désobéissance d’Ève.
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La seconde image, largement stéréotypée, se retrouve dans les attitudes « féminines » par
lesquelles la religion magnifie le féminin à travers l’iconographie. La maternité, fondée sur
l’imagerie mariale en est l’élément emblématique. Cependant, il existe aussi une autre
représentation très ambiguë du féminin, celle qui est issue de la courtoisie et qui peut dévier
très rapidement vers l’immoralité. Les images sont multiples de ces jeunes femmes se promenant
au jardin, se livrant à la danse ou à la chasse, en compagnie de jeunes hommes, discutant,
banquetant ou discutant. Tout cela pouvant se terminer dans la débauche à l’occasion de scènes
de « bain ».
Enfin, une troisième image cultive ces représentations ambivalentes du féminin, à la fois
exemplaires et sournoises, la représentation de ces êtres immatériels que sont les anges et les
démons. Ici l’image est très généralement asexuée, ni féminin, ni masculin, à part quelques
exceptions. Cependant, chez les anges, l’ordre du monde ne peut-il pas être troublé par la beauté
radieuse et la douceur des traits de l’archange Gabriel venant annoncer à Marie qu’elle a été
choisie par Dieu ? Par l’harmonie de son attitude, de son vêtement précieux, de ses ailes
magnifiques, ne rassemble-t-il pas davantage les caractères du féminin plutôt que ceux d’un
masculin théorisé par les Pères de l’Église ? En revanche, les diables, nus et dotés d’ailes de
chiroptères, apparaissent par antithèse sous la forme composite de monstres horribles
condensant dans leur image toutes les déformations imaginables et du féminin et du masculin
alors que Lucifer, avant la chute, était bien le « plus beau des anges ».
La représentation du féminin apparaît donc dans son essence théorisée, codifiée,
stéréotypée, mais aussi fort ambiguë. En fait, deux images s’opposent. Celle qui est véhiculée par
l’Église, l’exemplum marial de l’obéissance et de la maternité dramatiquement triomphante. Celle
qui se développe dans les cours princières, l’image d’une jeune Ève désobéissante et perverse
certes, mais si belle, si troublante et finalement si tentante. Et ce n’est pas l’image ambiguë de
l’archange qui résoudra le dilemme.
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Jean-Philippe Watbled
Université de La Réunion
Grammaire du féminin
La question des représentations du féminin entre dans la thématique des études sur le
genre. Cette question est au cœur de l’humain et implique différents domaines des sciences
humaines : l’anthropologie, la linguistique générale, la psychologie et la psychanalyse, la poétique
et la critique littéraire, la sociologie et l’histoire… Les études de genre foisonnent depuis
quelques années, mais cette thématique est inépuisable et permet un renouvellement constant
des perspectives.
L’interrogation sur le genre entraîne une réflexion synchronique, mais aussi diachronique,
sur les langues, les cultures et civilisations, les religions, les philosophies et idéologies : se pose
ainsi également le problème de la relation entre ces différentes réalités. Dans cet esprit, il peut
être intéressant de convoquer, entre autres, les traditions religieuses et les textes sacrés.
Mais les cultures et les textes ont besoin du langage comme support. C’est ainsi qu’il paraît
naturel et légitime, sur un plan plus « technique », de se demander dans quelle mesure les
structures et habitudes linguistiques sont susceptibles de conditionner les systèmes de
représentations ou, inversement, dans quelle mesure la diversité culturelle serait éventuellement
à l’origine de la diversité linguistique. C’est pourquoi je proposerai dans cette communication un
panorama représentatif des problèmes liés au genre et aux représentations comparées du
féminin. Je commencerai par examiner, en sélectionnant des cas exemplaires, l’expression du
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genre, et notamment du féminin, dans les langues, avec une sélection de langues « occidentales »
et langues « orientales », tout en confrontant cette typologie géographique et culturelle, d’une
part, à une typologie structurale et, d’autre part, à une classification historique en termes de
familles de langues.
Je supposerai, a priori, que le genre peut recevoir une expression lexicale et/ou une
expression grammaticale. Cependant, toute expression supposant en principe un contenu, se pose
la question particulière des langues apparemment insensibles ou moins sensibles que les autres à
la catégorie du genre. On sait aussi que le genre grammatical déborde fréquemment du genre dit
« naturel » et il s’agira de proposer des pistes explicatives.
Enfin, l’une des notions clés est sans doute ici celle d’opposition : le féminin s’oppose
nécessairement, au moins au masculin. S’y oppose-t-il sur le même mode ici et là ? Dans ce cadre,
je tenterai de rendre compte des différences en faisant appel à une théorie de la complexité
structurale et conceptuelle.
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Edith Wong-Hee-Kam
La Réunion
Doit-on imputer au confucianisme la responsabilité
de la condition des femmes en Chine ?
Au début des années 1970, on assista à un mouvement d’intérêt pour les gender studies sur
les Chinoises aussi bien chez les féministes occidentales que chez les spécialistes de l’Asie,
mettant souvent en relation la libération des femmes chinoises sur le plan chronologique avec les
traditions intellectuelles occidentales. Cette vague d’écrits féministes occidentaux et l’intérêt
marqué pour la condition des femmes chinoises ont poussé le grand mouvement féministe vers la
construction d’une histoire globale des femmes, cherchant ainsi à valider la défiance envers les
structures patriarcales traditionnelles sociales ainsi que vers les constructions sociales des
genres en Occident. En allant au-delà de la sphère féminine occidentale, les féministes avaient
l’intention de légitimer leur insistance sur l’urgence des problèmes générés par l’oppression des
genres, tout en élargissant la sphère de leur intérêt pour y inclure leurs sœurs moins bien loties
qu’elles du Tiers-Monde.
Mais si le concept de « genre » est bien articulé dans les recherches féministes contemporaines, le concept de « culture » reste relativement marginal dans les études interculturelles
de la problématique du genre. Ce manque d’attention à l’élément « culture » constitue un obstacle
à une véritable compréhension du système des genres dans une culture étrangère, où le genre
doit être pris en considération dans un contexte global avec ses différentes composantes. Par
conséquent, dans toute tentative pour comprendre une culture étrangère, on doit tenir compte
de son altérité, et procéder à l’examen des fondamentaux propres à cette culture.
En Chine, l’arrière-plan culturel est hautement marqué par le confucianisme. Faut-il imputer
à ce dernier la condition des femmes en Chine, traditionnellement présentée comme inférieure ?
Qu’en est-il d’une étude diachronique ? « On ne naît pas femme, on le devient » disait Simone de
Beauvoir. Dans une perspective élargie, y aurait-il forcément contradiction entre le self-shaping
préconisé par le confucianisme qui attache beaucoup d’importance à la façon dont on devient une
personne et une éthique utile à la cause des femmes en Chine ?
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© Maquette : BTCR, novembre 2007
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