L`État des lieux - Le Point du Jour

Transcription

L`État des lieux - Le Point du Jour
Centred’artÉditeur
www.lepointdujour.eu
Sans titre, extrait de Marseille, 2009-2010
Du 22 juin au 5 octobre 2014
L’État
des
lieux
Christophe Bourguedieu
Présentation
Le titre de l’exposition indique son
caractère rétrospectif, puisque y sont
présentés cinq ensembles produits
entre 1998 et 2011. Il pourrait aussi
servir à qualifier l’ambivalence de ton
travail. « L’état des lieux », ce serait à
la fois les lieux réduits à leur surface,
presque sans caractéristiques,
et les lieux en tant qu’ils concentrent
un état de conscience, induisent une
activité imaginaire. Quel serait le lien
entre ces deux aspects ?
Christophe Bourguedieu :
Le constat est sans doute plus
approprié si nous parlons des
images faites à l’étranger. Je me
méfie tellement de l’exotisme
que j’élimine tout signe de
reconnaissance trop évident pour
ne garder que les grandes lignes.
L’information passe par la lumière,
les textures et plus généralement
par les climats, ce qui me permet
d’esquiver le folklore du voyage.
De ce fait, on est à la fois là où
les photographies sont prises
(Australie, Finlande, Californie) et
dans un espace plus général, qui
relève moins de l’imaginaire que
de la réminiscence.
Tout le monde a connu ce curieux
état de fatigue extrême à la
descente d’un avion, quand on
est abruti par le voyage mais que
certains détails négligeables nous
absorbent soudain. C’est ce genre
de sensation que j’essaie de faire
durer et que j’enregistre dans ces
photographies.
Avec Tavastia (1998-2000), en
Finlande, apparaissent un nombre
limité de motifs qu’on retrouve sans
cesse par la suite : des personnages
absorbés dans leurs pensées, des
bâtiments dont on ne voit pas les
usagers, des bords de ville et des
bouts de nature, parfois des objets
plus ou moins significatifs. Cela
relève-t-il d’une forme d’obsession ?
Quelles relations s’établissent entre
ces différents types d’images ?
C. B. : Il s’agit peut-être encore
de ces « détails négligeables »,
et de la manière dont la pensée
flotte pour se fixer sur des objets
ou des visages – on croit les
reconnaître même lorsqu’ils sont
nouveaux.
Après, pourquoi est-ce que
je photographie régulièrement
des chiens alors que j’en ai peur ?
Ou des avions, alors que dans
mes rêves ils ont longtemps
symbolisé des affects très
négatifs ? Les questions comptent
plus que les réponses, à moins
que les formes ne constituent la
seule réponse possible.
Sans titre, extrait de Éden, 2000-2002
Si j’écris ici « attention flottante »,
tu comprends de quel processus
de pensée relèvent ces
photographies et comment
les associations d’idées se
présentent. En cela, mon activité
consiste avant tout à savoir les
recevoir. C’est plus tard, en y
revenant ou en regardant mes
films, que j’en vois la cohérence.
Je dois me débrouiller avec les
émotions, l’inquiétude et le plaisir
de construire de la pensée sur
de tels accidents.
On a souvent parlé, notamment à
propos de Éden (2000-2002) réalisé
en Californie et en Arizona, de la
dimension cinématographique de ton
travail. Elle ne semble pas vraiment
tenir au montage qui permettrait
de construire un récit. Comment la
définir alors ? En quoi le cinéma
a pu t’inspirer ?
C. B. : Que tu choisisses Éden
pour appuyer ta question révèle
ce que cette série a de plus sec
et abstrait que les autres. Tavastia
parlait de l’Amérique alors que
l’on était au nord de l’Europe.
Les images elles-mêmes étaient
exubérantes et colorées à leur
manière réduite.
préexistent à la situation et
qui m’aident à installer sur du
concret le jeu avec la lumière ou
la couleur.
La maison en Finlande à la tombée
de la nuit existe bien et elle
subsiste objectivement comme
le témoignage d’une histoire
particulière (un ancien quartier
Avec Éden, dans l’Amérique réelle, de familles ouvrières qui a
il fallait à nouveau prendre le
échappé à la destruction dans
contre-pied de l’évidence exotique, les années 1970). Mais lorsque le
tout comme du naturalisme.
ciel prend cette teinte électrique
Les gens arrêtés et les lieux
et que j’isole la maison dans
vides, souvent aveugles, disent
le cadre, elle devient presque
sans doute cette conscience
inévitablement le lieu d’une action
de travailler sur des motifs, de
cachée. C’est sans doute de cette
produire des images autant que
dimension fictionnelle minimale
des photographies.
que l’on parle avec cette référence
au cinéma.
La dimension cinématographique
découle peut-être de cela, bien
Il est aussi possible que ma
que je refuse l’idée de fabriquer
manière de traiter les lumières
des photogrammes fictifs ou
de fin de journée, inspirée de
des images isolées d’un film
certains chefs-opérateurs,
imaginaire. De la même manière,
encourage cette perception.
l’hypothèse d’un montage qui
Bruce Surtees ou Robby Müller
[qui ont respectivement travaillé,
formerait un récit relève du
entre autres, avec Clint Eastwood
pléonasme, les photographies
étant déjà relativement narratives. et Wim Wenders] savaient se servir
des ombres sans trop les éclairer,
alors que la génération des
En fait, il s’agirait plus de
photographes utilisant des films
prendre en compte des images
négatifs couleur privilégiait le plus
communes – communes aux
souvent une certaine égalité de
deux sens du terme, comme
celles du cinéma –, les images qui valeurs.
Sans titre, extrait de Les Passagers, 2005-2006
Les Passagers (2005-2006) est
essentiellement constitué de portraits
en intérieur, comme hors du temps.
Paradoxalement, tu es allé au bout
du monde, à Perth en Australie,
pour les réaliser. De manière
générale, tes personnages paraissent
presque toujours détachés de leur
environnement. Ont-ils quelque
chose en commun ? Qu’est-ce qui
t’intéresse chez eux ?
C. B. : Les lieux ne sont jamais
indifférents. Si je les comprends
et que j’y suis bien, j’essaie d’en
traduire certaines caractéristiques,
par la sensation mais aussi par la
description d’objets sur lesquels
le regard s’arrêterait sans que l’on
se soucie d’en identifier la fonction
réelle (le canapé des Passagers
ou la maison de Tavastia, par
exemple, dont seule la présence
matérielle importe). Il en va
de même avec les individus et,
pour peu qu’un visage ou une
posture m’attire, que la lumière
convienne, une partie du travail
est déjà faite.
En Australie, le soleil est très
vertical. C’est une lumière difficile.
Comme partout, j’ai donc cherché
des arrière-plans, un éclairage qui
me satisfasse ; les maisons turn of
the century, avec leurs moulures
et leurs murs beiges, formaient un
décor évident, comme un studio.
J’ai toujours du mal à
photographier les scènes à
plusieurs personnages et le
désordre me perturbe : c’est donc
naturellement que j’en arrivais à
ces images dépouillées au centre
desquelles un seul personnage
est installé. On peut dire que la
mélancolie qui en résulte est une
conséquence de ce dispositif.
Voilà pour la relation avec le
naturalisme, plus ambiguë ici.
Le désordre du monde pénètre
aussi de manière plus directe
et crue dans ces images :
une publicité sur une façade
d’immeuble, un angle de mur en
parpaings, la virgule d’une marque
mondialisée sur le polo d’un jeune
homme, etc.
Je suppose que travailler chez
soi ramène à des émotions plus
complexes. Ce dont on s’était
débarrassé en voyageant (les
jugements, l’exaspération) revient
perturber la perception des
choses. L’empathie aussi, et une
conscience plus évidemment
politique des enjeux de la
description.
Marseille (2009-2010) est, pour
la première fois, un titre explicite.
On y voit quelques personnages
en groupe ou occupés à une
activité, jusqu’alors absents dans tes
images. C’est aussi le cas pour La
Montagne (2011) réalisé à ClermontFerrand. Comme si, désormais, la vie
quotidienne avait droit de cité. Est-ce
dû au fait de travailler en France
plutôt qu’à l’étranger ?
Dans Tavastia, Éden et
Les Passagers, il n’y a pas ou peu
de variations de formats. Elles sont
en revanche nettes dans Marseille et
La Montagne. Pourquoi un tel choix ?
Représente-t-il un changement
important dans ton travail ?
C. B. : Les photos faites en France
relèvent d’une autre logique.
Les individus y sont moins arrêtés
qu’en attente du photographe ;
dans certains cas, ils semblent
même posés dans l’image,
conscients d’endosser un rôle.
C. B. : À l’époque de Tavastia et
d’Éden, l’argent manquait pour
faire des livres, produire les
tirages, les encadrements, etc.
La priorité étant de faire exister
les projets et d’en commencer de
nouveaux, il a fallu transiger sur
Sans titre, extrait de La Montagne, 2011
certaines décisions. En particulier,
pour des raisons d’économie,
sur les variations de formats.
Ces choix ont certainement
affecté mes projets de l’époque,
dès leur conception.
Quand on les regarde aujourd’hui,
on note qu’ils fonctionnent sur une
intensité constante qui semble
exclure les ruptures et privilégie
une lecture linéaire. Comme tu le
remarques, mes projets actuels
obéissent à une autre logique, plus
grammaticale, dans des rapports
de tension différents.
Propos recueillis en juin 2014
L’exposition
« L’État des lieux » réunit une
cinquantaine de tirages couleur.
Les œuvres sont extraites de Tavastia
(1998-2000), Éden (2000-2002), Les
Passagers (2005-2006), Marseille
(2009-2010) et La Montagne (2011).
La Montagne a été produit dans le
cadre de la résidence photographique
2010 – Ville de Clermont-Ferrand.
Marseille a bénéficié du soutien de
l’Atelier De Visu (Marseille) et de la
galerie Le Bleu du ciel (Lyon).
Rencontres et
projections
Dimanche 22 juin à 15h :
rencontre avec Christophe
Bourguedieu
Vendredi 4 juillet à 19h :
projection Les Rendez-vous d'Anna
de Chantal Akerman (1978, 120 min.)
Samedi 13 septembre à 18h :
rencontre avec Michel Poivert
Outre les ensembles présentés
dans l’exposition, il a participé à la
commande collective Images d’un
renouvellement à Cherbourg en 2007
et réalisé Frontera (Maroc, 20072009), Le Chien jaune (2005, 2009),
Kyoto Dorama (Japon, 2004),
Le Cartographe (1996-1998),
L’Amateur de jardins (Prix Kodak
de la critique photographique, 1996).
Parmi ses expositions personnelles :
Bloo Gallery, Rome, 2013 ;
Centre photographique de
Clermont-Ferrand, 2012 ; Fremantle
Arts Centre, Australie, 2008 ; Musée
d’art contemporain, Lyon, 2006 ;
Musée de la photographie, Anvers,
Belgique, 2004 ; Noorderlicht,
Groningen, Pays-Bas, 2001 ;
Galerie 779, Paris, 2002 ; Musée
des beaux-arts, La Chaux-de-Fonds,
Suisse, 1997.
Christophe Bourguedieu a
notamment publié La Montagne
en 2012 aux éditions Loco et,
au Point du Jour, Les Passagers
(2007), Éden (2004), Tavastia (2002).
Biographie
Informations
pratiques
Né en 1961. Études de droit et de
sciences criminelles. Christophe
Bourguedieu enseigne la photographie
à l’École nationale supérieure des arts
décoratifs (Paris).
Le Point du Jour
107, avenue de Paris
50100 Cherbourg-Octeville
tél. 02 33 22 99 23
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