Les pionniers - Clusters Wallonie

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Les pionniers - Clusters Wallonie
Les pionniers du green (1/8) : "Fermes Lufa", le (roof)
top de la serre agricole urbaine
Pour réduire le poids de la structure, Les Fermes Lufa optent notamment pour l'agriculture hydroponique
(hors-sol), en intégrant ce critère aussi dans le choix des semences et des substrats. (Crédits : Lufa
Farms/Flickr)
[ Série d'été ] "La durabilité commence par la rentabilité!", affirme Mohamed Hage, le fondateur - visionnaire
mais néanmoins pragmatique- d'une ferme urbaine, en 2009 à Montréal, dont la surface de production
atteint désormais 7.000 mètres carrés et qui compte quelque 80 salariés.
2.500 kilos de légumes et herbes fraîches, d'une quarantaine de variétés différentes, cueillis
quotidiennement et consommés par quelques dizaines de milliers de personnes vivant aux alentours. Et
cela, non pas en pleine campagne, mais en ville, de surcroît dans un pays à l'hiver rigoureux comme le
Canada. L'exploit est réalisé à Montréal par "Les Fermes Lufa" ("Lufa Farms"), une entreprise d'agriculture
urbaine fondée en 2009 et qui a désormais rang d'institution dans la métropole québécoise. L'entreprise se
targue d'avoir lancé, en 2011, la "première serre commerciale sur un toit au monde": une surface de 3.000
mètres carrés, située au-dessus du dernier étage d'un immeuble de taille moyenne.
"En tant que consommateur, j'avais envie d'arrêter de 'hacker la bouffe', et je voulais des légumes cultivés à
kilomètre zéro comme mes grands parents", explique à La Tribune Mohamed Hage, l'initiateur du concept,
qui a vécu jusqu'à ses 12 ans dans un village libanais à côté de Beyrouth. Puisque la population urbaine ne
va plus -acheter ou travailler- à la campagne, le jeune entrepreneur décide alors de faire venir cette
dernière à la ville.
La majorité des fruits et légumes consommés au
Canada sont importés!
"En cultivant sur les toits, nous récupérons des espaces perdus pour en faire des terres productives", lit-on
sur le site des fermes Lufa, ce qui permet de répondre en même temps à deux défis contradictoires: la
diminution de la superficie de terres arables disponibles et l'augmentation de la population mondiale.
La réduction de la distance entre lieux de production, de distribution et de consommation amoindrit en outre
les émissions de gaz à effet de serre liées au transport, au stockage et à l'emballage des marchandises. Le
problème de cette distance n'est pas anodin quand on sait que, selon Mohamed Hage, moins de 5% des
fruits et légumes consommés au Canada sont produits actuellement sur place.
Installer une serre sur un toit présente un autre avantage: comme elle profite du chauffage des
étages inférieurs, elle consomme moitié moins d'énergie (en l'espèce issue de la combustion de gaz
naturel) qu'une serre classiquement installée au sol. Sans compter qu'en ville, les températures moyennes
sont généralement plus élevées qu'à la campagne. Ainsi, alors que, pour une serre au sol, l'énergie est
normalement le principal coût fixe, Les Fermes Lufa dépensent surtout en salaires.
"Les avantages sont tellement nombreux que d'ici 20 ans, il y aura une serre
sur tous les nouveaux édifices du monde", prévoit Mohamed Hage. "A la
campagne, on ne cultivera plus que ce qui ne peut pas l'être en ville et qui
s'entrepose bien, comme des patates."
Des insectes à la place des pesticides
N'ayant aucun précédent dans le secteur agricole, le jeune entrepreneur s'associe alors à trois personnes
capables de l'aider à réaliser sa vision: des experts en sciences végétales (Lauren Rathmell), marketing
(Kurt D. Lynn) et construction (Yahya Badran).
Le premier défi auquel est confronté le projet est en effet celui de l'architecture et de l'ingénierie de la serre.
Pour réduire le poids de la structure, Les Fermes Lufa optent notamment pour l'agriculture hydroponique
(hors-sol), en intégrant ce critère aussi dans le choix des semences et des substrats.
Elles cherchent ensuite le moyen de cultiver leurs légumes "de manière plus responsable", à savoir sans
pesticides, fongicides ou herbicides synthétiques. La solution consiste dans le recours à des insectes
vivants -achetés en France et aux Pays-Bas- qui s'attaquent aux bestioles nocives.
"Les coccinelles, par exemple, sont introduites dans les serres pour aider à
limiter les populations de pucerons qui endommagent les plants en se
nourrissant de leur sève", explique l'entreprise.
Rôle primordial de la technologie (logicielle
notamment)
Une grande attention est également portée à la gestion de l'eau: la pluie et la neige sont captées et filtrées
(ce qui réduit d'ailleurs la quantité d'eau devant être absorbée par le réseau de collecte des égouts); un
système d'irrigation goutte-à-goutte évite le gaspillage d'eau comme de nutriments; et 100% des eaux
d'irrigation sont recyclées. La technologie joue un rôle essentiel: le rythme de la collecte, la distribution,
mais aussi les populations d'insectes et l'irrigation sont gérées par des logiciels.
>Lire aussi: La Ferme 3.0, test grandeur nature de l'agriculture numérique
Une fois testé le fonctionnement du premier prototype de ferme urbaine, l'entreprise a étendu et
perfectionné son concept. Une deuxième serre de 4.000 mètres carrés a été ouverte en 2013 à Laval, près
de Montréal, après une -et une seule- levée de fonds de 3,4 millions d'euros. Afin d'élargir l'offre
de produits, des partenariats ont été noués avec des entreprises locales partageant le même engagement
de production sans produits de synthèse: viande, produits laitiers, œufs ont ainsi pu être intégrés au
catalogue et représentent désormais 80% des ventes. Les Fermes Lufa vendent également du compost
produit sur place -dans le sous-sol de l'édifice- à partir des déchets verts de l'entreprise, qui est également
utilisé en interne et donné à des jardins communautaires de la ville.
Vente intégrale en ligne, pour réduire le
gaspillage
La même année, afin de réduire le gaspillage des produits proposés, le marché a d'ailleurs été basculé
intégralement en ligne. Les clients ont jusqu'à la veille à minuit pour composer le panier qu'ils pourront
retirer le lendemain dans 250 points de vente (cafés, boulangeries, pharmacies, écoles, entreprises, etc.,
chacun livré une fois par semaine). Les produits -"quasiment entièrement épuisés"- sont ainsi extrêmement
frais: "Notre frigo, c'est la plante", s'enorgueillit le jeune entrepreneur. Depuis quelques mois, l'entreprise
propose également des livraisons à domicile payantes, en véhicule électrique. Quant aux prix (1,9 euro une
laitue, 2,7 euros un kilo de tomates), "on se compare à des supermarchés, par rapport auxquels on essaie
d'être compétitifs", précise-t-il.
"La durabilité commence par la rentabilité"
Visionnaire, Mohamed Hage (photo ci-dessous) n'en est en effet pas pour autant moins réaliste: "La
durabilité commence par la rentabilité", estime-t-il. De ce point de vue aussi, son projet lui donne
satisfaction. Sur les toits des Fermes Lufa, les rotations de laitue -"locataire la plus rentable", puisqu'elle
permet la plus grande production par mètre carré- sont de 12 à 15 par an, contre 2 à 3 dans l'agriculture
traditionnelle. Les économies d'énergie, d'eau, d'intrants réalisées sur les toits des fermes urbaines y
contribuent. Et en produisant en serre, la différence entre saisons est elle aussi abolie.
La rentabilité comme condition de durabilité est d'ailleurs l'autre critère qui a poussé l'entreprise à choisir
les méthodes de culture hydroponiques bien qu'elles ne soient pas éligibles à la certification biologique au
Canada parce qu'elles comptent parmi les nutriments employés du fer et du potassium provenant des
mines.
"Le bio ne va jamais nourrir tout le monde", déclare sans fard Mohamed Hage. Pour la même raison, il ne
prévoit pas d'avenir pour l'agriculture urbaine des particuliers:
"L'efficacité de la culture requiert une grande surface".
Les Fermes Lufa comptent ainsi elles-mêmes encore s'agrandir. Une nouvelle serre de 6.000 mètres
carrés doit être ouverte à Montréal d'ici la fin 2016, qui devrait permettre d'élargir le nombre d'espèces
proposées, voire de réduire les prix et d'opter pour le chauffage à la biomasse. Consciente que, "pour
réussir, il faut qu'une industrie se développe", l'entreprise se dit d'ailleurs "ouverte au partage
d'informations", et plus largement intéressée à vendre leurs modèle et technologies -couverts par
deux brevets: une ambition qui, malgré l'engouement pour l'agriculture urbaine, se heurte toutefois pour le
moment à la grande variété de réglementations locales.

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