Numéro 31

Transcription

Numéro 31
3e trimestre 2004 - 15 septembre 2004
N0 31
Une nouvelle fois, le délégué
général du Front national remet en
cause l'existence des chambres à
gaz et sème le doute sur l'ampleur
de la mortalité dans les camps
d'extermination et de concentration.
Le système concentrationnaire et
les génocides perpétrés par les
nazis ont fait disparaître plus de
10 millions d'Européens, dont
6 millions de juifs, 250 000 tziganes,
3 300 000 prisonniers de guerre
soviétiques, et près de 550 000
"concentrationnaires" réduits en
esclavage. Pour la France, 97 % des
75 000 déportés juifs et près d'un
déporté au titre de la répression
(plus de 86 000) sur deux ont péri
en déportation. C'est en hommage à
l'ensemble de ces victimes que
Madeleine Obadia a créé l'œuvre cicontre (recueil édité par la section
FNDIRP de Clamecy).
SOMMAIRE
Agenda. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Édito, 2005 :
Année d'importants anniversaires
et commémorations
Dany Tétot . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
À propos des déclarations
de M. Bruno Gollnisch . . . . . . . . . .
Orphelins : le décret
d'extension . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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3
3
4
Mémorial,
mode d'emploi . . . . . . . . . . . . . . . . 5
Retour sur les commémorations
de la Libération . . . . . . . . . . . . . . . . 6
Déportation, crimes
contre l'humanité,
génocide et justice
internationale . . . . . . . . . . . . . 7 à 10
Échos des D.T.. . . . . . . . . . . . . . . . 11
8 mai 2005 : première mondiale
de La voix de la mémoire,
paroles de déportés . . . . . . . . . 12
L'actualité en bref . . . . . . . . . . . 13
Notes de lecture . . . . . . . . . . . . 14
Célébrer et agir dans le
présent : point de vue
Danièle Baron . . . . . . . . . . . . . . 15
Bulletin d’adhésion . . . . . . . . . . 16
Agenda... Agenda... Agenda... Agenda... Agenda...
EXPOSITIONS
* Paris insurgé, Paris libéré
Le musée Mémorial Jean-Moulin présente, jusqu’au 10 mai
2005, une exposition dédiée à l’insurrection et à la libération de
la capitale. À travers de nombreux documents d’époque, elle
permet d’en revivre les grands moments.
* L’Isère libérée
Le musée de la Résistance et de la Déportation de l’Isère, qui
fête sa dixième année d’existence, décline la libération de
Grenoble et de sa région. Une exposition, visible jusqu’au 8
novembre, raconte les journées de fin août-début septembre
1944. Cette exposition, qui met l’accent sur l'image et l'ambiance
de ces journées, est prolongée par une plaquette et une
publication pédagogique d’une haute tenue ainsi que par un film
de trente-quatre minutes intitulé Comme un vent de liberté.
14 rue Hébert - 38000 Grenoble - Tél. : 04 76 42 38 53 - Ouvert
tous les jours, entrée gratuite.
* La musique et le IIIe Reich : l’exposition et le programme
des conférences annoncées par la Cité de la Musique affichent
l’ambitieux pari de s’interroger sur les rapports de la musique et
du "politique". Seront évoqués les compositeurs bannis, tels
Schoënberg et les artistes enrôlés par le Reich, mais aussi les
opposants tels que Karl Amadeus Hartmann, auteur d’une
sonate composée le 25 juin 1945 près de Dachau. À noter
documentaires, tables rondes et concerts des 9 et 23 octobre,
dédiés à la musique à Terezin. Programme complet : Cité de la
Musique - 221 avenue Jean-Jaurès - 75019 Paris - Tél. : 01 44
84 45 00 ou www.cite-musique.fr
* Le Centre d’histoire de la Résistance et de la Déportation
de Lyon présente, jusqu’au 14 novembre, une exposition sur
l’ethnologue Germaine Tillion, résistante déportée à
Ravensbrück. Pour découvrir un itinéraire et les diverses
facettes de l’engagement de l’auteur de "Ravensbrück",
première monographie sur ce camp.
THÉÂTRE
* La pièce de théâtre La Petite fille privilégiée, dont nous avions salué tout l’intérêt, poursuit sa tournée. Elle sera le 15
octobre au Centre culturel de Saint-Omer, les 22, 23 et 24 octobre au théâtre des Sablons de Fontainebleau ; le 12
novembre au SEL de Sèvres ; les 22 et 23 novembre au théâtre André-Malraux de Rueil-Malmaison ; le 26 novembre à
la Maison des Allobroges de Cluses ; les 29 et 30 novembre au théâtre de la Passerelle de Tergnier ; les 6 et 7
décembre au théâtre municipal de Saint-Raphaêl.
Première de la pièce de théâtre De l'Enfer à la Lune
le jeudi 27 janvier 2005 à 20 h 30 - Salle de l'Oratoire - rue Albert 1er - La Rochelle
Le Théâtre de l'Utopie, centre de création théâtrale, compagnie nationale, présente
du 27 janvier au 1er février 2005 (soirées : 20 h 30, scolaires et dimanche : 15 h)
De l'Enfer à la Lune, de Jean-Pierre Thiercelin, mise en scène de Patrick Collet.
"L'outil théâtral dans les mains de l'auteur J.-P. Thiercelin est d'une remarquable efficacité. Aussi loin du réquisitoire que du
sermon traditionnel, dépourvue de toute grandiloquence dans l'évocation de l'horreur, sa pièce est avant tout une machine à
broyer les idées reçues et à réveiller les assis que nous sommes. En plaçant le spectateur à bonne distance du réel, grâce à la
féerie, au cirque, au show télévisé, au music-hall, en le confrontant à la déraison, il l'oblige à voir enfin ce réel tel qu'il est :
barbare, cynique, inhumain, mais réel", écrit J.-S. Ducourtieux, agrégé de lettres modernes, membre de la Commission nationale
à l'origine de la mise en place de l'option théâtre.
Aurillac, Châtellerault, Clermont-Ferrand, Saint-Omer (Musée de La Coupole), Verdun, Buchenwald, Dora (lors de l'inauguration
du nouveau Mémorial Dora-Mittelbau) accueilleront cette pièce au premier semestre 2005. Merci à nos DT de s'être engagées.
D'autres devraient le faire prochainement. Nous vous en avertirons.
Le texte De l'Enfer à la Lune paraîtra, fin novembre, aux Éditions de l'Amandier (13 euros).
À NOTER
La CDJC organise les 12 décembre, 4 janvier et
6 février des voyages à Auschwitz en compagnie
d’anciens déportés. Participation aux frais 320 euros
Tél. : 01 44 59 97 02
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Mémoire et Vigilance n° 31 - 15 septembre 2004
La Fondation et ses Amis seront présents
au prochain Salon de l’Éducation
à Paris Porte de Versailles (11 au 18 novembre)
3e trimestre 2004
ÉDITO
LE PRÉSIDENT DE L'ASSOCIATION
2005 : Année d'importants anniversaires
et commémorations
es vacances bien méritées et l'été indien que nous vivons
ne doivent pas nous faire oublier que nous sommes à
quelques mois d'une année exceptionnellement riche
d'anniversaires et commémorations.
Le soixantième anniversaire de la libération des camps de la mort
et celui de la naissance de la Fédération nationale des déportés,
internés, résistants et patriotes, sans oublier le dixième
anniversaire de notre Association, l'AFMD, constituent l'essentiel
de notre programme d'action et de participation 2005 ; nous avons
le devoir de nous y investir.
Le siège et les DT travaillent déjà sur des sujets artistiques. Je
rappellerai notre préférence donnée aux arts comme vecteur de
pérennisation de la mémoire, ces derniers sont des chemins de
connaissance intérieure, ils appellent à comprendre et à partager
des vibrations de la conscience collective.
Deux événements culturels d'importance sont proposés par le
siège :
* la pièce de théâtre : De l'enfer à la Lune coproduite avec
l'association de Dora Elrich ;
* l'oeuvre musicale inédite proposée par la délégation territoriale de
Gironde "La voix de la mémoire, paroles de déportés".
D
Mobilisons-nous, chers amis, pour les promouvoir sur le territoire,
faisons un effort collectif, la qualité pédagogique de ces œuvres le
mérite.
En complément, beaucoup de DT ont leurs projets ; pour certaines,
le voile est un peu levé, pour d'autres la surprise sera totale (par
exemple : que nous concocte la DT de l'Isère pour notre
Assemblée générale 2005 à Grenoble ?).
Pour les DT qui s'interrogent encore sur le choix de leurs actions,
permettez-moi de souligner :
* le soutien particulier au Concours national de la Résistance et de
la Déportation ;
* l'utilisation des outils pédagogiques de notre Fondation.
Chers amis, ce qui précède n'est pas exhaustif, soyons
personnellement créatif et imaginatif pour sensibiliser l'opinion
publique sur ce qui nous rassemble dans le respect de nos
différences : la pérennisation de la mémoire de la Résistance, de la
Déportation et de l'Internement.
L'année 2005 nous offre une formidable tribune, profitons-en. Je
compte sur vous et suis à votre disposition pour dialoguer et vous
rencontrer. Bon courage. À bientôt. Amicalement vôtre.
Dany Tétot
À propos des déclarations de M. Bruno Gollnisch
Les réactions du numéro deux du Front national quant aux conclusions de la commission chargée d'enquêter sur le négationnisme et
l'antisémitisme à l'université de Lyon III, appellent pour le moins quelques commentaires. Elles s'inscrivent en effet dans la logique idéologique d'un parti
dont chacun sait d'où il tire son inspiration.
En premier lieu, M. Bruno Gollnisch parle de "police de la pensée" à propos de la commission Rousso. S'ériger en victime permanente fait partie
de la stratégie bien connue du Front national. Les menées négationnïstes procèdent d'une logique "d'hygiène historique" qui veut réhabiliter des idées
et des régimes qui ont mené l'humanité au bord de l'abîme. Il s'agit en conséquence pour ce parti de les défendre et de les promouvoir. Faire le ménage
de l'histoire en se débarrassant de tout ce qui gêne le discours d'extrême droite n'a rien d'innocent. Le dénoncer et s'en protéger est aussi un devoir
moral, Tant pis si cela gêne M. Gollnisch. La démocratie ne peut pactiser avec ses assassins potentiels.
En second lieu, M. Bruno Gollnisch s'en prend â la "personnalité juive" d'Henry Rousso. C'est sans doute le passage le plus condamnable de sa
déclaration. En lisant les travaux de cet éminent historien, il n'était jamais venu à personne l'idée de s'interroger sur ses origines. Pas plus qu'en lisant
L'Étrange défaite de Marc Bloch, qui constitue un référent incontournable sur les défaillances de nos états-majors en 1940. Mais comme l'a dit
excellemment M. Queranne, M. Bruno Gollnisch vient de rétablir à sa façon le port de l'étoile jaune. L'antisémitisme de l'extrême droite n'est pas
nouveau. M. Gollnich nous le confirme"l n'y a plus un historien sérieux qui adhère aux conclusions du procès de Nuremberg", dit encore M. Gollnisch. Outre que cette affirmation est
assénée de façon tout à fait contestable comme une vérité acquise, elle fait sans doute référence aux historiens "sérieux" du négationnisme, dont
précisément la caractéristique est d'être d'une parfaite mauvaise foi. Évidemment la condamnation des grands criminels nazis au procès de Nuremberg
a de quoi gêner la démarche politique de M. Gollnisch. Pourtant les juges de Nuremeberg, en tête desquels figure Lord Justice, président du Tribunal
militaire International, personnalité incontestée et unanimement appréciée, ont tenu à respecter strictement tous les droits de la défense. Il serait sans
doute intéressant d'établir une comparaison avec les droits que les tribunaux instaurés par le régime nazi ont, eux, laissé à la défense.
De Nuremberg découlent tous les progrès enregistrés en matière de justice et de droit international depuis 1946. On peut en conclure, si l'on
"adhère" aux propos de M. Gollnisch, que les Nations unies ont été inspirées par des personnalités peu sérieuses, dont René Cassin, père de la
déclaration universelle des droits de l'homme.
Enfin, M. Gollnisch concède que "sans doute, il y a eu quelques centaines de milliers de morts". La condescendance du propos n'échappe à
personne. Elle relègue, sans le dire, les victimes du génocide et du système concentrationnaire au rang de "détail" de la Seconde Guerre mondiale,
selon le propos maintenant bien connu du président du Front national. On est subrepticement invité à se demander quel est le poids de ces quelques
centaines de milliers de morts face au nombre de morts provoqués par la guerre. Du projet criminel d'ensemble qui sous-tendait ce crime d'État
monstrueux, quel qu'en soit le nombre de victimes, rien évidemment.
M. Bruno Gollnisch vient en quelques phrases de rappeler le sens de son engagement politique et la ligne directrice de pensée de son parti. Au
moins plus personne ne pourra dire : "Je ne savais pas".
Yves Lescure, directeur général de la Fondation pour la mémoire de la Déportation
3e trimestre 2004
Mémoire et Vigilance n° 31 - 15 septembre 2004
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Orphelins : le décret d'extension
➤ Article 1 : toute personne,
indemnité viagère de la part de
Dès publication du décret de 2000 relatif aux
la République fédérale d’Alledont la mère ou le père, de
orphelins
de
déportés
au
titre
des
persécutions
magne ou de la République
nationalité française ou étrangère,
a été déporté, à partir du territoire antisémites, les associations représentatives de la d’Autriche en réparation de la
national, durant l’Occupation pour déportation en demandaient l’extension à tous les déportation dont ses parents, ou
les motifs et dans les conditions orphelins de déportés. Voici un extrait du texte du l’un d’eux, ont été victimes. Le
mentionnées aux articles L. 272 et décret si attendu (n° 2004-751 du 27 juillet 2004 demandeur précise s’il entend
bénéficier d’une indemnité en
L. 286 du Code des pensions
instituant une aide financière en reconnaissance des capital ou d’une rente
militaires d’invalidité et des
victimes de la guerre, et a trouvé souffrances endurées par les orphelins dont les mensuelle. Ce choix est
la mort en déportation, a droit à parents ont été victimes d’actes de barbarie durant irrévocable.
➤ Article 4 : la décision
une mesure de réparation, la Seconde Guerre mondiale)
conformément aux dispositions du
accordant ou refusant la mesure
présent décret, si elle était mineure de vingt et un ans au moment de réparation est prise par le Premier ministre, sur proposition du
où la déportation est intervenue. Ce régime bénéficie également ministre chargé des Anciens Combattants. À défaut de réponse
aux personnes, mineures de moins de vingt et un ans au moment dans le délai de quatre mois à compter de la date de réception du
des faits, dont le père ou la mère, de nationalité française ou dossier complet, la demande est réputée rejetée.
étrangère, a, durant l’Occupation, été exécuté dans les ➤ Article 5 : en cas de décision favorable, la rente viagère est
circonstances définies aux articles L. 274 et L. 290 du même code. versée à compter du premier jour du mois suivant celui au cours
Sont exclues du bénéfice du régime prévu par le présent décret les duquel la demande a été reçue. Elle cesse d’être versée le dernier
personnes qui perçoivent une indemnité viagère versée par la jour du mois au cours duquel le bénéficiaire décède. Le versement
République fédérale d’Allemagne ou la République d’Autriche à de l’indemnité en capital intervient dans le trimestre suivant celui
raison des mêmes faits.
au cours duquel la décision accordant la mesure de réparation a
➤ Article 2 : la mesure de réparation prend la forme, au choix du été prise. Le paiement des rentes viagères et des indemnités en
bénéficiaire, d’une indemnité au capital de 27 440,82 euros ou capital est assuré par l’Office national des anciens combattants et
d’une rente viagère de 457,35 euros par mois.
victimes de guerre, qui reçoit à cet effet des crédits du budget des
➤ Article 3 : les personnes mentionnées à l’article 1er adressent services généraux du Premier ministre.
leur demande au ministre chargé des Anciens Combattants. Elles ➤ Article 6 : l’indemnisation au titre du présent décret n’est pas
peuvent également, si elles résident à l’étranger, déposer leur cumulable avec celle instituée par le décret du 13 juillet 2000
demande à l’ambassade de France de leur pays de résidence. La susvisé. La disparition des deux parents n’ouvre droit qu’à une
demande comporte toutes les pièces justificatives nécessaires, et seule indemnisation.
notamment les actes d’état civil attestant de la filiation avec le NDLR : les demandes sont à adresser à la Direction des
parent décédé ou disparu ainsi que tous documents prouvant que pensions et de la réinsertion, bureau des titres et statuts la mort ou la disparition est intervenue en déportation ou que la Rue Neuve Bourg l’Abbé - BP 554 – 14035 Caen.
personne a été exécutée. Le demandeur joint à son dossier une Les personnes qui s’étaient déjà faites connaître auprès des
attestation sur l’honneur précisant qu’il ne perçoit aucune associations seront contactées par ces mêmes services.
"Je veux exprimer sur ce sujet quelques idées qui me tiennent particulièrement à cœur. Cette indemnisation, pour
être intéressante financièrement, nous donne à tous l'occasion de revenir sur les souffrances cachées que nous
avons endurées depuis notre petite enfance. Rien, pas même cette tardive reconnaissance par quelque argent, ne pourra effacer les
drames qu'ont vécus nos parents massacrés ou dans les camps dont il est si justement dit que ce fut "le mal absolu et le fond de
l'horreur" (Marie-José Chombard de Lauwe). Rien, pas même cette indemnisation, n'éliminera nos souvenirs angoissés et ce
psychotraumatisme d'enfance qui nous collent à la vie. Il est vrai, hélas, que tout a été fait depuis soixante années pour camoufler cette
aberration historique que fut le nazisme. Plus grave encore, certains essaient de nier la réalité de la Résistance et cette horreur des
camps de concentration et d'extermination. Heureusement, les associations de déportés et résistants œuvrent pour la mémoire et la
vigilance. Mais il y a beaucoup à faire. Personnellement, je ressens comme un affront la montée d'un nouveau fascisme et les 450 voix
(17 %) lepénistes, en 2002 à Chagny (ma commune d'origine en Bourgogne particulièrement "résistante" ayant subi une forte
répression.) C'est insupportable. Aussi, ce pécule ou cette rente que nous pourrons recevoir favorisera les activités nécessaires pour
rappeler à tous et apprendre aux jeunes ce que furent les luttes de nos parents et cette abomination du siècle précédent. Cela nous
permettra de rappeler qu'en même temps que la Shoah, il y a eu aussi la déportation des résistants, dont les communistes, et les
massacres sur le territoire français…"
André Boulicault, président DT Gard
Réaction
4
Mémoire et Vigilance n° 31 - 15 septembre 2004
3e trimestre 2004
Mémorial, mode d'emploi
e Mémorial de la déportation de répression réalisé par la
Fondation, présenté dans notre dernier numéro, s’est
déjà imposé comme un outil quotidien dans les
associations qui œuvrent pour la mémoire. Mais la
complexité de la matière et le plan retenu rendent parfois son
usage difficile pour le néophyte ; en effet, les listes sont
présentées dans un ordre qui n’est pas en premier lieu
chronologique.
Rappelons tout d’abord qu’il se présente sous la forme de
quatre lourds volumes papier, accompagnés d’un CD-ROM.
Ce c’est donc certes pas un livre de chevet mais un
instrument de référence, même s’il n’est pas encore définitif.
➜ Toute recherche d’ordre personnel commencera par la
consultation de l’index contenu dans le volume quatre, à
partir de la page 373 (ou à partir du dernier fichier du CDRom). L’index comportant les date et lieu de naissance des
déportés concernés, cette première approche permet d’éviter
les confusions homonymiques.
➜ Une colonne de cet index renvoie ensuite à un numéro de
chapitre exprimé en chiffres romains, qu’il ne faut pas
confondre avec le numéro du volume papier : c’est ainsi que la
liste des arrêtés en zone occupée (zone nord, puis zones nord
et sud à partir du 11 novembre 1942) recensés dans le
chapitre I occupe la totalité des volumes I et II ainsi que le
début du volume III. La fin du volume III concerne les déportés
arrêtés dans la zone annexée, puis ceux qui ont été arrêtés
sur le territoire du Reich proprement dit, liste qui s’achève
dans le volume IV. Deux listes relatives à des déportés dont le
parcours n’a pu être reconstitué avec certitude figurent dans
ce dernier tome, ainsi que quelques déportés au titre de la
persécution (juifs d’Aurigny et tziganes), qui ne figuraient pas
sur les travaux de Serge Klarsfeld.
➜ L’index renvoie également à un numéro de liste exprimé
en chiffres arabes : ainsi, la liste 170 figure dans le volume I
la liste 175 figure dans le volume II, la liste 260 dans le
volume III. L’utilisateur du CD-Rom est dispensé de feuilleter
manuellement les pages et peut directement rechercher le
L
début de la séquence correspondant à la liste qu’il souhaite
consulter (option recherche, II.175 par exemple).
➜ Ces listes regroupent les départs (convois) et elles sont
précédées de notices informatives sur l’effectif du convoi, les
numéros matricules extrêmes attribués à l’arrivée au camp ;
elles signalent les éventuelles évasions, mais peuvent
également donner une idée générale de la composition du
convoi (appartenance à tel ou tel réseau ou mouvement de
résistance, origine géographique, lieux d'internement
antérieurs, motifs d’arrestation) et renvoient à certains
témoignages ou études publiés. Suit le nom du déporté
concerné, complété de diverses indications d’état civil (date et
lieu de naissance, nationalité) et de renseignements quant à
l’itinéraire ultérieur de l’intéressé dans les prisons et camps du
Reich : attention, les autres lieux de déportation figurent en
abrégé et l’utilisateur doit se reporter à la liste complète
présentée dans le volume I (page 136), liste des lieux qui suit
immédiatement la présentation des grands camps.
➜ Si le nom de la personne recherchée ne figure pas dans
le mémorial, plusieurs raisons peuvent expliquer cette
absence. Peut-être appartient-elle aux quelque mille noms
retrouvés depuis ? Peut-être a-t-elle été déportée sous un
autre nom ? C’est particulièrement vrai pour les femmes,
déportées sous leur nom de jeune fille. Il convient en tout
état de cause de se tourner vers la FMD par lettre aussi
détaillée que possible.
Outil de référence pour tous, le mémorial offre des
possibilités particulièrement intéressantes aux utilisateurs du
CD-Rom. Cette version, en effet, permet par exemple
d’effectuer des recherches à partir des départements et
localités de naissance. On voit ici son intérêt pour telle ou
telle municipalité qui chercherait, par exemple, des
indications biographiques sur ceux qu’elle honore (ou qu’elle
désire honorer) par une plaque ou par une rue. La même
remarque vaut pour nos DT, qui peuvent ainsi établir des
listes départementales et contribuer à perpétuer le souvenir
des victimes.
Matricule
au KL
Buchenwald
Nom
Prénom
Sexe
Date de
naissance
Lieu de
naissance
21189
PERROT
François
M
29/11/1921
Strasbourg
(67)
F
Blt, Bu, Flo
R
21705
WILBORTS
Suzanne
F
10/01/1890
Paris (75)
F
Ra, Ma
R*
22/04/1945 Mauthausen
Libérée par la
Croix-Rouge
21706
WILBORTS/
CHOMBART
DE LAUWE
Marie-José
F
31/05/1923
Paris (75)
F
Ra, Ma
R*
22/04/1945 Mauthausen
Libérée par la
Croix-Rouge
3e trimestre 2004
Natio Parcours après le Situation
Date de
Lieu de
nalité KL Buchenwald
libération ou libération ou
de décès
de décès
23/04/1945
Untertaubenbach
Observations
-
Mémoire et Vigilance n° 31 - 15 septembre 2004
5
Retour sur les commémorations
de la Libération
Une scène de la libération de Paris.
l ne s’agit pas ici d’énumérer toutes les initiatives, et
elles furent nombreuses, mais de rappeler quelques
temps forts et les quelques figures, qui pour être
connues des historiens, ne sont pas nécessairement
familières aux passants, habitants ou touristes.
Le coup d’envoi des célébrations de la libération de la
France fut naturellement donné par le Sud-Est et ce fut
notamment l’occasion de rappeler le nombre important des
natifs de l’ancien empire français qui y prirent part.
En région, ont fleuri cérémonies, expositions diverses. À
Paris, où fut signée, en présence de Leclerc et de RolTanguy, la reddition allemande, elles ont été
particulièrement importantes. Nombre de plaques et de
rues furent inaugurées en présence des plus hautes
autorités, dont nombre rappellent que l’insurrection de la
capitale précéda l’arrivée des alliés (ces derniers, au reste,
I
6
Mémoire et Vigilance n° 31 - 15 septembre 2004
avaient initialement prévu de contourner Paris et il fallut
toute l’insistance du général de Gaulle pour les faire
revenir sur ce projet).
Ainsi, et d’abord, hommage fut rendu à Henri Rol-Tanguy ;
contrairement à ce qu'on pouvait croire à l’égard de la
notoriété du chef militaire de l’insurrection parisienne,
pourtant Compagnon de la Libération dès juin 1945, nulle
artère parisienne ne portait son nom (sans doute est-ce un
effet de la guerre froide qui entraîna sa mise à l’écart de
l’armée et son isolement au dépöt central de Versailles ;
une mise à l’écart qui visa aussi d’autres officiers issus
des rangs des FTP).
Le terre-plein central de l’avenue de Breteuil porte
désormais le nom de Jacques Chaban-Delmas, délégué
militaire du général de Gaulle, général à vingt-neuf ans ;
d’aucuns regrettèrent d’ailleurs que la proximité avec le
Palais-Bourbon n’ait finalement pas été retenue pour celui
qui présida si longtemps l’Assemblée nationale.
À quelques pas de la Bourse du Travail, la capitale a aussi
honoré le syndicaliste André Tollet, président du Comité
parisien de libération et membre du CNR, évadé de
Compiègne. Un square fut dédié au responsable socialiste
d’Honneur et Patrie, Roger Priou-Valjean. Tandis qu’une
place proche de la Porte d’Aubervilliers était consacrée à
la mémoire de Charles Tillon, fondateur et commandant en
chef des FTP.
Le rôle des étrangers, et tout particulièrement celui des
Espagnols de la Nueve, composante essentielle de la
colonne du capitaine Dronne qui pénétra la première dans
les avenues de Paris, ne pouvait être plus longtemps
ignoré : une plaque fut dévoilée en présence des officiels,
qui rappelèrent ce fait historique.
Furent aussi honorés, à travers quelques cas exemplaires,
les innombrables fusillés de la Résistance : ainsi de ceux
qui portent le nom d’une station de métro, Marx Dormoy
(dont la presse altère souvent le prénom), Corentin
Carriou, Corentin Celton, Gabriel Péri, Charles Michels,
Guy Môquet, Jacques Bonsergent, et d’autres, tels que les
jeunes fusillés de la Cascade du Bois de Boulogne.
Au fil des rues, élus et représentants des associations
devaient insister avec force sur l’esprit et les valeurs de la
Résistance qui animait les uns et les autres, à conjuguer
au présent.
3e trimestre 2004
Déportation,
crimes contre l'humanité, génocide
et justice internationale
Le thème choisi pour le Concours
national de la Résistance et de la
Déportation place au cœur la découverte
des camps nazis, les crimes contre
l’humanité et les génocides qui y furent
commis. Le 10 décembre 2001, l’AFMD
avait coorganisé avec MER, un colloque
intitulé "Du nazisme à la purification
ethnique. Évolution du crime contre
l'humanité". Il nous semble intéressant
d’en reprendre le préambule et quelquesuns des propos des intervenants. Car si le
génocide, forme la plus exacerbée et à
l’évidence la plus marquante des crimes
contre l’humanité, est bien présent dans
l’esprit des candidats, d’autres crimes
contre l’humanité, rappelés ici par un
témoin, ont tendance à être un peu
oubliés.
mondial allait être meurtrier : vingtsix millions de victimes civiles à
Avant la barbarie nazie, il y avait
travers notre continent ; dix millions
- un bien vilain mot pour un
de déportés dans les camps ; six
horrible concept - les "lois de la
millions de victimes assassinées
guerre". Par ces lois, inscrites
en masse, seulement coupables
dans quelques conventions
d'être nées juives ou tziganes.
internationales, les nations, que
À Nuremberg, pour la première fois
l'on ne nommait pas encore la
dans l'histoire de l'humanité, furent
"communauté internationale",
jugés des criminels qui avaient, auavaient réfléchi à quelques
delà de toute imagination, défié les
dispositifs propres à rendre la
lois de la guerre, dénié le simple
guerre moins inhumaine. Mais ces
droit à vivre, broyé les êtres
conventions, indice d'un droit
humains dans un univers de
international balbutiant, ne
déshumanisation. Ce procès avait
prévoyaient aucun mécanisme de
été voulu par les nations alliées
sanctions. Il y eut bien quelques
alors que la guerre n'était pas
tentatives, après la Première
encore
terminée. Ces nations
Guerre mondiale, pour juger et
punir, mais elles restèrent sans lendemain. Puis le avaient choisi le recours au droit, ce qui impliquait que le
nazisme belliqueux domina l'Europe et réduisit sa procès fût soumis aux règles tutélaires des droits de la
population non "aryenne" à l'esclavage. Le second conflit défense : ce n'était pas la justice des vainqueurs mais la
justice tout court. Quatre nations à
Nuremberg, soutenues par dixneuf autres qui n'avaient pas
connu l'occupation, jugeaient des
crimes inédits dans leur nature et
leur étendue : crime contre la paix ;
crimes de guerre (qui au fil de la
jurisprudence seraient déclarés
prescriptibles) ; crimes contre
l'humanité (qui désormais et après
des décennies de combat sont
reconnus imprescriptibles).
Parce qu'il y eut Nuremberg au XXe
siècle, les tortures, les massacres,
les génocides au Rwanda, en
Bosnie et d'ailleurs peuvent être
sanctionnés. Parce qu'il y eut
Nuremberg, les meurtriers peuvent,
Montage de photos au musée d'Auschwitz.
Préambule
3e trimestre 2004
Mémoire et Vigilance n° 31 - 15 septembre 2004
7
à tout moment, être amenés à répondre de leur acte
devant la communauté internationale. Nuremberg est une
leçon d'éthique et de responsabilité car, de tout crime,
l'homme ne doit jamais oublier celui qui atteint sa
conviction d'appartenir à l'espèce humaine. Assurer la
postérité de Nuremberg, c'est préserver ce que la culture
humaine contient de liberté, de responsabilité, donc de
possibilité d'agir sur le cours du monde et de l'histoire.
Témoignage
de
Marie-José
Chombart de
Lauwe
(…) Quelles sont les dimensions de l'humanité, blessées
ou détruites dans les camps ? Celles de l'être humain, en
soi, d'abord, qui devait perdre son identité dès l'entrée
dans le camp. Les nazis déniaient l'appartenance à
l'espèce humaine de certaines catégories d'hommes, par
exemple "aux sujets" d'expérimentations pseudomédicales, en faisant disparaître des groupes ethniques.
Ils ont appauvri l'humanité et privé son avenir de multiples
richesses en assassinant les enfants eux-mêmes. Arrêtée
pour faits de résistance, le 22 mai 1942, j'ai connu la
misère de la prison - dont neuf mois au secret, isolée - la
dureté des interrogatoires. Le parcours des internés était
jalonné d'angoisses, de multiples formes de tortures,
physiques ou morales, de l'attente de l'exécution possible.
Mais la spécificité du nazisme réside surtout dans ce que
j'ai connu dans les camps.
Dans les camps d'extermination, le crime le plus atroce a
été celui d'enfants, d'enfants innocents, assassinés par
l'appareil industriel de mise à mort : la chambre à gaz. Ces
êtres étaient assassinés pour le seul crime d'être nés, nés
juifs ou tziganes. Je ne peux le qualifier, encore
aujourd'hui, que de mal absolu.
Au camp de Ravensbrück, dans lequel je suis arrivée en
juillet 1943, ce procédé de mise à mort n'existait pas. Il a
été installé, cependant, le dernier hiver, en janvier 1945.
Avant, les femmes qui étaient sélectionnées pour être
éliminées étaient envoyées dans des centres
8
Mémoire et Vigilance n° 31 - 15 septembre 2004
d'euthanasie. Ces centres dont il ne faut pas oublier
l'existence non plus, à l'origine des crimes suivants. Mais
j'en connaissais l'existence par les déportés revenant
d'Auschwitz, car il y avait des échanges entre les camps
(…) Mais j'ai aussi vu commettre, dans un camp de
concentration comme Ravensbrück, d'inconcevables
crimes contre l'humanité.
En juillet 1943, pendant les appels, qui duraient des
heures, debout, immobiles, pratiquement pas nourries,
peu vêtues dans le froid, souvent des femmes tombaient
d'épuisement. Mais j'ai découvert qu'un groupe de jeunes
femmes avait droit au tabouret. Pourquoi ? Parce qu'elles
ne tenaient pas sur leurs jambes. Elles étaient des "sujets"
d'expérimentations pseudo-médicales. L'autorisation de
disposer d'êtres humains pour l'expérimentation et la
recherche était délivrée par Himmler en personne. Ces
jeunes femmes, soixante-quinze, presque toutes des
Polonaises - nous les appelions familièrement "les
lapins" - étaient emmenées à l'infirmerie, au "revier" du
camp, et là, les médecins nazis procédaient aux
opérations : fractures de jambe, prélèvements d'ongles ou
de muscles, ensemencement dans les plaies de
staphylocoques, de cultures de gangrène, de tétanos. Une
dizaine de ces victimes sont mortes rapidement dans des
souffrances atroces, d'autres ont été convoquées pour une
seconde opération, elles se sont révoltées. Alors, on les a
emmenées à la prison du camp, au "bunker", et opérées
sans la moindre asepsie. Par la suite une dizaine d'entre
elles ont été fusillées. J'ai vécu quinze mois auprès d'elles,
au fameux bloc 32, celui des NN, dont j'étais, les "Nuit et
Brouillard", où j'ai noué des relations d'amitié avec
quelques-unes d'entre elles, des étudiantes, résistantes,
parlant bien le français. Des survivantes ont été sauvées
par la solidarité des déportés qui ont pu les cacher dans le
désordre final du camp. Elles auraient du être exterminées
afin que disparaisse la trace de ce crime.
Durant le dernier hiver, j'ai été informée par mes
camarades de l'infirmerie d'un autre crime. À
Ravensbrück, il y avait des mères tziganes avec leurs
petites filles. Elles ont été appelées par le commandant
pour subir des stérilisations. Les infirmières prisonnières
n'entraient pas dans la salle d'opération. Elles
"ramassaient" les opérées à la sortie. D'autres infirmières
ont été chargées de développer les radios qui étaient
prises pendant l'intervention, pour suivre le déroulement
de cette "expérience". On a su ce qui se passait : un
liquide était introduit par les voies génitales qui allait brûler,
détruire les trompes et les ovaires. À l'issue, une petite fille
3e trimestre 2004
d'une dizaine d'années, était couchée dans ce pseudohopital. Elle avait le ventre ouvert. Ils avaient ouvert une
plaie pour voir la suite de l'intervention. Elle est morte dans
d'atroces souffrances. Ses plaies n'avaient pas été
recousues. Ces expériences ont été également faites à
Auschwitz.
Arès la guerre, j'ai été témoin au procès du commandant
de Ravensbrück, Franck Zuren, en janvier 1950. Il
répondait aux crimes dont je l'accusais avec l'argument
classique des ordres supérieurs auxquels il était "obligé de
se soumettre". Mais quand j'ai évoqué le cas de ces
stérilisations, il m'a répondu, avec presque sourire et
bonne conscience : "Bien sûr, j'ai fait stériliser des femmes
et des enfants dans mon camp, mais vous savez, je l'ai fait
faire aussi sur des hommes" - ce que nous ignorions "mais enfin comprenez donc, c'étaient des tziganes". D'où
la bonne conscience de ce personnage horrible...
Le troisième crime contre l'humanité que je voulais
évoquer ici est celui où j'ai été le plus directement
impliquée. Dans un camp de femmes, arrivent des femmes
enceintes. Il y avait une circulaire du 6 mai 1943 du
service de sécurité disant qu'il ne devait pas y avoir de
femmes enceintes et d'accouchements dans les camps.
Mais on sait que malgré tout, elles ont été nombreuses à
Auschwitz et j'ai des témoignages qui disent que souvent
le bébé était tué à la naissance par les prisonnières ellesmêmes, car l'accouchée, sans cela, allait à la chambre à
gaz avec le bébé. À Ravensbrück, les Allemandes
enceintes d'un non-juif étaient envoyées accoucher au
dehors et le bébé confié à des institutions spécialisées, et
la femme revenait au camp. Pour toutes les autres
femmes, ou bien il était procédé à un avortement de force,
ou bien, si la grossesse allait à son terme, la femme voyait
son enfant assassiné dès qu'il était né. À partir de
septembre 1944, les choses ont changé. Déjà au cours de
l'année 1944, il y avait eu des naissances clandestines
mais l'enfant n'avait aucune chance de survie. À partir de
septembre 1944, une petite pièce, "la chambre des
enfants", "kinderzimmer", a été réservée aux nouveau-nés,
et j'ai été une des infirmières choisies pour s'en occuper.
Les conditions étaient, là aussi, invivables pour les
enfants : le manque de linge, d'hygiène, de nourriture
adaptée, faisaient que tous les nouveau-nés mourraient
avant trois mois. Ceci est un crime contre l'espèce
humaine (…)
Voilà ce que j'ai connu moi : ce que j'appelle le pire dans
un camp de concentration "ordinaire", ces crimes contre
l'humanité dont j'ai été témoin ou que j'ai connus de près.
3e trimestre 2004
Témoignage
de
Claude Jorda(1)
Je suis ici comme témoin pour vous dire la difficulté de la
mise en place du développement d'une justice pénale
internationale. Je suis ici également pour vous dire que
c'est possible, que c'est faisable.
Le Tribunal pénal international que j'ai l'honneur de
présider(2), auquel j'appartiens depuis ses débuts, est né
en quelque sorte par défaut. D'abord, par défaut d'une
Cour pénale internationale permanente qui peut-être va
voir le jour dans un délai relativement rapproché(3). Par
défaut aussi, par la difficulté de mettre en place des
mesures pour arrêter la barbarie (…) Ce tribunal a une
légitimité. La communauté internationale ne savait plus
quoi faire. Pas moins de vingt-deux ou vingt-cinq
résolutions du Conseil de sécurité pour essayer de mettre
fin à ces guerres balkaniques, interethniques, entre les
musulmans, les Serbes, les Croates sur le territoire de
cette malheureuse Bosnie qui a été à l'origine territoriale
du premier conflit mondial. Le Conseil de sécurité a fait
œuvre d'une créativité extraordinaire, sans précédent. Le
seul précédent connu de justice internationale, organisée,
était Nuremberg auquel on associe Tokyo, procès des
grands criminels de guerre japonais. Nuremberg est resté
dans la mémoire sous une double appréciation : sur sa
naissance qui faisait dire que c'était une "justice de
vainqueurs", mais surtout sur l'exemplarité de ces travaux,
comme quoi souvent une justice née dans la précipitation
peut faire la preuve de son exemplarité à travers
l'application qu'elle en donne.
C'est donc le Conseil de sécurité qui, ne sachant plus quoi
faire, a dit : "Nous allons créer un Tribunal pénal
International". Il a été créé, je dois dire, dans une relative
indifférence et ses débuts ont été chaotiques. Il n'y avait
rien. Rien, c'est vraiment rien : pas de locaux, pas de
(1) Claude Jorda, après avoir été président du Tribunal pénal international
pour l’ex-Yougoslavie, siège depuis mars 2003 à la Cour pénale
internationale.
(2) Il s’agissait du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie, créé par
l'ONU en 1993.
(3) Elle a en effet depuis vu le jour et 139 États ont signé ses statuts à ce jour.
Mémoire et Vigilance n° 31 - 15 septembre 2004
9
budget, pas de prison, pas d'accusé, pas de procureur. Il y
avait onze juges, maintenant nous sommes seize. Onze
juges venus des cinq continents, élus par l'Assemblée
générale des Nations unies à la majorité absolue des
États. Ces juges ne disposaient pas d'un code de
procédure pénale, ni de règlement de procédure, ni de
règlement de la détention, ni de règlement pour les
avocats, ni de règlement intérieur. Nous nous sommes mis
au travail, d'autant que nous n'avions pas de procès
immédiats.
Quels étaient les objectifs que poursuivait la création de ce
tribunal ? Comme toute juridiction, un tribunal est fait pour
poursuivre, juger, châtier ou acquitter. C'est la première
mission de toute juridiction sur des bases démocratiques
et sur des standards internationaux de droit humanitaire.
S'agissant d'un tribunal international, un autre objectif se
dessine, d'ordre pédagogique. Travailler pour l'histoire.
Dire ce qui s'est passé, démonter le plan. Essayer de
démontrer par exemple pour les générations futures qui a
conçu la "purification ethnique", qui a eu l'idée de dire
qu'un territoire doit être vidé de sa population parce qu'elle
est musulmane (…)
La troisième mission de ce tribunal est aussi prévenir la
récidive, c'est-à-dire faire en sorte que ces événements ne
se reproduisent pas et essayer de faire reculer l'impunité
des chefs d'État, des chefs de gouvernement, des chefs
militaires, de tous ceux qui ont une responsabilité dans le
déclenchement des guerres.(…) Cette dimension est donc
judiciaire, et politique, historico-pédagogique.
J'en reviens à la procédure extrêmement complexe à
mettre en œuvre. Nous n'avions pas de précédent. Le
procès de Nuremberg a utilisé peu de procédure, le
règlement de procédure faisait onze ou douze articles.
Nous, lorsque le tribunal pénal international a été créé,
s'étaient empilées cinquante années de conception de
droit international humanitaire. Nous avons fait un code de
procédure qui au départ était orienté vers un code de
procédure anglo-saxon. Pourquoi ? Parce que les juges
étaient en majorité originaires de ce système, mais surtout
parce que les statuts, dans ses quelques dispositions,
avaient indiqué quelques axes majeurs (il n'y avait pas de
juge d'instruction, c'était le procureur qui assurerait la
conduite des enquêtes mais aussi les poursuites à
l'audience, et l'accusé, par exemple, serait son propre
témoin s'il le souhaitait). C'est ainsi donc que nous avons
commencé à fonctionner (…) Dès le départ, nous nous
sommes heurtés au manque de coopération des États, et
10 Mémoire et Vigilance n° 31 - 15 septembre 2004
au manque bien sûr de coopération des États de la région.
Je vous rappelle que le tribunal a été créé en mai 1993,
les accords de Dayton qui ont mis fin à la guerre datent de
juillet 1995. De sorte que pendant que le tribunal essayait
d'arrêter les inculpés, la communauté internationale
négociait la paix avec ces mêmes personnes. De ce point
de vue, Nuremberg était dans une position plus
confortable que nous à La Haye, et je dirais même aussi
au Rwanda. Il est plus confortable que le sort des armes
se soit prononcé avant la création d'un système judiciaire,
espérant bien sûr que le sort des armes soit du côté du
bien et non pas du côté du mal.
(…) Au cœur de tout juge, il y a toujours une brûlure, et
notamment pour le juge international qui vous parle, de
savoir que le tribunal pénal international avait été créé
depuis deux ans lorsque l'enclave de Srebenica est
tombée, depuis cinq ans lorsque la guerre a repris au
Kosovo. Peut-être l'arme judiciaire n'est-elle pas
suffisamment forte ? Peut-être la justice n'est-elle pas le
bras armé qu'on peut supposer ? Peut- être que la paix ne
peut pas se faire sans justice mais il faut que la paix soit
conquise par ceux qui sont du côté de l'ordre et de l'ordre
de la paix publique internationale (…)
Certainement, nous avons aidé un peu cette Cour pénale
internationale, que depuis 1945 tout le monde civilisé
appelle de ses vœux. Je crois que nous avons pu montrer
que c'était faisable, possible, certes lentement, certes
avec de grandes difficultés, mais que la justice
internationale était possible (…) Nous avons peut-être un
peu fait reculer l'impunité des chefs d'État qui, tyrans
patentés, se croient toujours à l'abri soit dans leurs exils
dorés, soit même lorsqu'ils choisissent malencontreusement une clinique pour faire soigner leur maladie.
(…) Je crois que lorsqu'on crée un instrument de justice
internationale aussi lourd que celui-ci, il faut bien travailler
à l'intérieur avec modestie et ténacité, nous ne
poursuivrons pas tout le monde, nous ne serons pas les
seuls à pouvoir créer la réconciliation nationale. L’œuvre
de justice internationale est en marche (...) C'est vrai qu'en
œuvrant dans ce tribunal, j'ai pu vérifier ce que notre
homme en débarquant sur la lune avait pu dire :
"C'est un petit pas pour
l'Homme
mais c'est un grand pas pour
l'Humanité".
3e trimestre 2004
Échos de nos
délégations territoriales
■ Côte-d’Or
Monique Coté a participé, en avril au stage national sur la
transmission de la mémoire. Organisé à Kaysesberg en
Alsace par la Fondation pour la mémoire de la déportation
(FMD), ce séminaire comptait une douzaine de stagiaires
venus de tous les horizons de France. Presque soixante ans
après la libération des camps de concentration nazis, quelle
signification peut revêtir un tel stage, surtout pour des
personnes ayant elles-mêmes atteint la soixantaine ? Une
grande partie des réponses se trouve dans le contenu du
stage lui-même, les outils et les méthodes utilisés et surtout la
très grande qualité des intervenants. En effet, soixante ans
après, de grandes zones d'ombre occultent encore la
connaissance et la mémoire de cette sombre période et
suscitent toujours des interrogations. C'est tout le mérite de ce
stage que d'apporter une connaissance argumentée et
précise voire scientifique sur le nazisme, le système
concentrationnaire, sur des notions de crimes contre
l`humanité, de génocide, ou encore de négationnisme. Les
interventions magistrales furent approfondies, enrichies par
des échanges entre les intervenants, les témoins et les
stagiaires. Des documents audiovisuels et une visite au camp
du Struthof les étayèrent, encore (...) Soixante ans après,
pourquoi transmettre cette connaissance du nazisme et des
camps de concentration ? Là encore les réflexions apportées
sur le message des déportés, sur l'importance et le caractère
exceptionnel du système mis en place servent de miroir
grossissant au fonctionnement de nos sociétés actuelles.
■ Marne
Commémoration du soixantième anniversaire du passage du
"train de la mort" à Saint Brice-Courcelles, à l’initiative de la
DT, présidée par Jean Constant. C’est une bien émouvante
cérémonie, coorganisée avec l’Amicale de Dachau, qui
regroupa le samedi 3 juillet de nombreuses personnes dont
des écoliers de CM2, de jeunes collégiens et collégiennes, des
parents et amis ainsi que de nombreuses personnalités. En
effet, nous étions tous réunis en gare de Saint-Brice
Courcelles pour nous souvenir et rendre hommage aux
déportés du train 7909, partis de Compiègne pour Dachau et
dont le convoi fut stoppé dans ce village le 2 juillet 1944. Ce
jour-là, durant plusieurs heures et sous un soleil de plomb, les
déportés ont connu l’horreur absolue d’une promiscuité et
d’une chaleur asphyxiantes (deux des wagons étaient des
3e trimestre 2004
wagons métalliques à l’ouverture desquels il n’y eut qu’un seul
survivant). Mais ils ont aussi rencontré l’aide et la solidarité
des habitants qui parvinrent à leur donner un peu d’eau
malgré la surveillance des SS. Le moment le plus fort de cette
cérémonie fut la remise de la médaille de la ville par
M. Lescouet, maire de Saint-Brice Courcelles aux survivants
présents à cette cérémonie et venus de toute la France. Très
émus, les rescapés ont tous appelé les jeunes à la tolérance,
au respect des idées de chacun et à la vigilance.
■ Vaucluse
Une première réussie en Provence. Marchant sur les traces
de la DT du Rhône, la DT du Vaucluse a réalisé son premier
stage décentralisé de formation, modestement appelé stage
régional de sensibilisation, "Histoire et transmission de la
mémoire de la Déportation". Ce stage a rassemblé vingt-cinq
participants soit un nombre à peu près idéal pour un groupe
en formation dans une ambiance très chaleureuse. Si dix-sept
venaient du Vaucluse, huit arrivaient de l'extérieur : trois de
l'Hérault, trois de la région parisienne et deux de Marseille.
Une heureuse ouverture, résultat des contacts fructueux entre
les différentes DT du Sud-Est. À noter que si quatorze
participants appartenaient à une DT, neuf étaient adhérents à
une ADIRP. Sept enseignants dont cinq en activité
participaient aux travaux. Une étudiante et un responsable
syndical complétaient le groupe. Le stage était accueilli au
centre de vacances de la CCAS de Montbrun-les-Bains, dans
la Drôme provençale, sous la haute protection du Ventoux. La
DT a apprécié l'aide apportée par l'équipe du stage national,
la qualité des prestations et l'engagement de Patrick Blanc,
directeur du centre, et de ses collaborateurs, la maîtrise de
nos intervenants, Jean-Luc Bellanger sur le système
concentrationnaire nazi, et Thierry Lambiel, professeur du cru,
sur la montée du nazisme en Allemagne, la qualité des
témoignages locaux délivrés par Jean Canale et Albert
Cordola (tous deux anciens d'Eysse et de Dachau) et
Claudine Fourrel, déportée à Ravensbrük, sans oublier l'aide
financière de la trésorerie nationale. Félicitations à l'équipe qui
a pris en main l'organisation (animation, environnement
culturel avec Internet, CD-Rom, et surtout la magnifique
exposition de la Fondation et les vidéos souvent bien choisies
et émouvantes. Jean-Louis Clop, président, et Gérard Perrin,
secrétaire, étaient heureux de ce franc succès et surtout de
cette cordialité qui a marqué tout le week-end.
Mémoire et Vigilance n° 31 - 15 septembre 2004 11
8 mai 2005 :
Première mondiale de
La voix de la mémoire,
paroles de déportés
Ce projet d’œuvre musicale, articulé autour de témoignages
de déportés et de leur message pour les générations
suivantes, est désormais celui de l’AFMD tout entière.
es textes du livret ont été élaborés par Carole
Lemée, membre des Amis, qui enseigne
l’anthropologie à l’université de Bordeaux (elle
s’était déjà intéressée aux traumatismes vécus par les
survivants et aux mécanismes de transmission
intergénérationnelle qui participent au "travail social" de
la mémoire). Pour cette création, elle a recueilli les
paroles des témoins selon les règles propres à sa
discipline, avec le souci d’évoquer tous les visages de la
Déportation. Ces textes ont ensuite été travaillés en
accord avec les intéressés et des choix ont été opérés.(1)
Daniel Galay, directeur du conservatoire Beyt Frankfurt
de Tel-Aviv et spécialiste de la musique Klesmer (du
nom des klezmorin, petites
formations musicales qui jouaient
dans les shtetlekn d’Europe
centrale), a régulièrement
rencontré l’AFMD lors de ses
séjours à Bordeaux. En totale
osmose avec les buts de
l’association, il s’est spontanément proposé d’écrire une
Daniel Galay, directeur partition pour la commémoration
du conservatoire Beyt du soixantième anniversaire de la
Frankfurt de Tel-Aviv libération des camps et de la
victoire sur le nazisme. Sa partition, largement
intelligible et très modulable, comporte des motifs
musicaux qui rappellent la diversité des victimes des
camps.
Des musiciens de l’Orchestre national de BordeauxAquitaine ont également porté ce projet auprès du
délégué général de leur institution.
L
12 Mémoire et Vigilance n° 31 - 15 septembre 2004
L'équipe de l'AFMD de Bordeaux.
Enfin, le réalisateur et enseignant Abdoul Dragoss
Ouedraogo, connu pour ses fictions et documentaires,
notamment pour le Mouvement Burkinabé des droits de
l’homme, met gracieusement son savoir-faire au service
de l’activité des témoins dans le cadre scolaire et du
travail artistique.
"Fondée sur un dialogue et sur l’altérité", cette œuvre
est dédiée au souvenir mais aussi aux serments des
camps, et rappelle le devoir de vigilance qui s’impose ici
et ailleurs, aujourd’hui et demain. Deux versions, l’une
orchestrale, l’autre pour une petite formation
accompagnée de deux solistes, pourront circuler après
la création dont la date a été retenue symboliquement le
8 mai, jour de la capitulation sans condition de l’armée
nazie.
(1) - Les paroles et textes sont notamment de Germain Bonnafon, Guy
Chataigner, Jacques Grébol, Denise Holstein, Roger Leroyer,
Thérèse Stopniki et Émile Soulu.
3e trimestre 2004
L’ACTUALITÉ EN BREF
➨ Allemagne : les Allemands la surnomme maintenant la vallée
fasciste. Depuis la première fois en 1968, la Saxe vient de porter
avec 9,2 % de voix, le NPD (Parti national allemand) au
Parlement régional. Dans cette région, l’idéologie néonazie n’a
jamais totalement disparu et, prospérant sur un chômage qui
affecte la population, le NPD y a renouvelé ses rangs. Crédité par
les services de police de 5 000 membres, il vient d’y engranger un
succès électoral inquiétant. De son côté, la DVU (Union du peuple
allemand), créditée de 11 500 adhérents, a obtenu 6,1 % des voix
en Brandebourg. Ces deux partis néonazis ont décidé de
présenter liste commune en septembre 2006 lors des élections
au Bundestag.
➨ Allemagne bis : l’héritier d’un industriel - Friedrich Flick - qui avait
fait fortune en tant que principal fournisseur d’armes du IIIe Reich
et ayant exploité plus de 60 000 travailleurs forcés, n’a aucun état
d’âme. Friedrich-Christian Flik junior, dit "Mick", expose une
immense collection d’art contemporain, riche de 2 500 œuvres de
150 artistes, dans l’ancienne gare du Nord de Berlin, collection
bien sûr acquise grâce aux dividendes de l’esclavage
concentrationnaire.
➨ Alsace : le village d’Hipsheim (Bas-Rhin), a accueilli malgré lui un
rassemblement de près de 200 skinheads néonazis. Comme
d’habitude, la location de salle fut faite par un particulier pour un
"tournoi sportif suivi d’un repas convivial". Slogan White Power,
svastikas, chants à la gloire du Troisième Reich ont déferlé dans
ce lieu privé. Bien encadrés par leur service d’ordre, ils n’ont pas
commis, au dire des autorités municipales, de troubles à l’ordre
public qui auraient justifié une intervention policière. Ces réunions
fermées, où les participants font en toute impunité l'apologie du
nazisme, tombent dans un vide juridique. Le président local de la
LICRA propose de créer un "délit de réunion nazie".
➨ Auschwitz et la méthode Cauet : l'animateur Arthur quitte la
station musicale Fun Radio. Il refusait de cohabiter avec un autre
animateur Cauet, à qui il reproche d'avoir, en 1995, comparé le
camp d'Auschwitz à un "parc d'attractions". L'animateur avait
ensuite présenté ses excuses. Arthur répond : "Que des excuses
aient été faites, sincères ou non, c'était la moindre des choses.
Pour ce qui me concerne, tout comme pour ma communauté, ces
dérapages ne sont pas acceptables."
➨ Corse : Clandestini Corsi, qui a revendiqué sept attentats antimaghrébins en Corse, a mis en garde l'association antiraciste Ava
Basta et la Ligue des droits de l'homme pour leurs propos
condamnant ces attentats. Les deux organisations ont organisé
un rassemblement le 18 septembre à l'université de Corte contre
ce groupe qualifié de "fascisant" par le délégué de la LDH en
Corse. Quatre cents personnes, dont les responsables
nationalistes, se sont réunies pour dénoncer les violences
racistes dans la région.
➨ Douaumont : la police a arrêté un jeune néonazi accusé d'avoir
tagué le mémorial juif de Douaumont. L’arrière-grand-père de ce
jeune homme était maire d’une des sept communes rayées de la
carte par la guerre de 14-18. Comme d’autres enfants de la
3e trimestre 2004
région, il avait grandi près des forêts où l’on continue encore à
ramasser des douilles. L’adolescent à la dérive changea peu à
peu de look, arbora croix celtique et treillis, orna sa chambre du
drapeau sudiste des esclavagistes américains et peu à peu, se
bricola un petit corpus fasciste. Il est incarcéré à la prison de
Nancy. Il a avoué son forfait et a confié être "soulagé d'un
fardeau".
➨ Grenoble : "Elle ne voulait pas vendre à des gens comme ça."
Le tribunal correctionnel de Grenoble vient d’infliger une peine de
prison avec sursis et une amende de 10 000 euros à la
propriétaire d’un terrain qu’elle refusait de vendre à un Français
d’origine algérienne, bien qu’il présentait toutes les garanties
financières requises. Poursuivie pour "discrimination raciale dans
la vente d’un bien" par le MRAP et SOS-Racisme, qui s’étaient
constitués parties civiles, elle a déclaré faire appel. Décision à
suivre qui, nous l’espérons, confirmera ce premier jugement,
signal fort qui rappelle que les droits sont les mêmes pour tous.
➨ Lyon : Un jeune homme s'est livré au commissariat de la Goutted'Or à Paris. Il s'est présenté comme "Phinéas", du nom du
personnage qui avait signé les profanations du cimetière juif de
Lyon en août et avait agressé un maghrébin avec une hachette à
Villeurbanne. Les Prêtres de Phinéas (du nom d’un personnage
biblique qui assassina un couple coupable à ses yeux de vivre
dans le péché) sont nés aux États-Unis au début des années
1990 sur les décombres d'un des plus importants mouvements
néonazis américains, l’Aryan Nations. Il aurait voulu commettre
un "acte initiatique" dans la mouvance de l'extrême droite.
➨ Lyon III : Il y a quinze ans, le numéro un du Front national
déclarait que les chambres à gaz étaient "un détail" de l'histoire.
C'est au tour du délégué général de ce parti d'enfoncer le clou
en indiquant : "... sur le nombre de morts, les historiens
pourraient en discuter. Quant à l'existence des chambres à gaz,
il appartient aux historiens de se déterminer." Ces propos
inacceptables relèvent bien évidemment de la loi et doivent être
sanctionnés. Ils ont été proférés (ce n'est pas un hasard), au
lendemain de la remise, au ministre de l'Éducation nationale, du
rapport de la Commission sur le racisme et le négationnisme à
l'Université de Lyon III (où Bruno Gollnisch enseigne le japonais
et le droit). Un rapport accablant pour cette université dont les
idées d'extrême droite sont "constitutives de sa création", dont
les recrutements récents conforment la volonté de "transmettre
l'héritage idéologique du noyau originel" et dont la complaisance
du conseil scientifique à l'égard de "travaux médiocres sur le
plan scientifique" est épinglée. Le délégué général s'est en
outre livré à une attaque personnelle, raciste et ignominieuse
contre Henri Rousso, historien responsable des travaux de la
commission, en mettant en cause sa "neutralité" au motif de ses
origines juives.
➨ République tchèque : des symboles nazis et des insultes
antisémites ont été tagués sur un monument inauguré le 18
octobre 1994 pour marquer le cinquante-cinquième anniversaire
du premier convoi de juifs déportés.
Mémoire et Vigilance n° 31 - 15 septembre 2004 13
NOTES DE LECTURE
➨ Mémoires de déportés : histoires singulières de la
Déportation, de Patrick Coupechoux, préface de Pierre
Vidal-Naquet, La Découverte, 25 euros.
L’auteur, fils de déporté, motivé de l’impérieux besoin de
reconstituer le douloureux parcours de son père, est parti
en quête d’autres histoires singulières. Il a ainsi rencontré
vingt-neuf rescapés des camps, dont la plupart n’avaient
jusque-là jamais écrit. L’originalité de ces témoignages
réside dans la démarche de l’auteur, qui a guidé ses
entretiens afin que les témoins retrouvent leurs sensations
d’alors, et son souci de rigueur qui l’a conduit à recueillir
l’avis d’historiens sur les faits livrés. La présentation de
ces récits adopte une progression chronothématique,
chacune des sept séquences (avant la déportation, le
transport, au-delà de l’enfer, etc.) faisant l’objet d’une mise
en perspective historique. Les propos des témoins sont
enrichis de notes qui éclairent les lecteurs. Ce recueil
illustre parfaitement le propos du préfacier Pierre VidalNaquet, selon lequel si on ne construit pas l’histoire en
mettant bout à bout les témoignages, l'histoire s'écrit avec
les témoins.
Danièle Baron
Sachsenhausen au kommando de Heinkel, d'où une lettre
rédigée par l'auteur apprendra à la maman de notre
secrétaire général, André Lassague la mort de son mari.
Un bien fraternel "Ailleurs demain".
C. Breton
➨ La DT de Haute-Savoie (74) nous informe de la
parution fin 2003 du livre "La tragédie de SaintEustache", conçu et édité par cette mairie et l'Association
des familles des déportés de cette commune. Le mercredi
22 décembre 1943, trois soldats allemands sont tués au
hameau de Lavray. La réaction est immédiate : le 31
décembre, la Wermacht, les SS et la Gestapo encerclent
plusieurs hameaux de la commune. Vingt-huit habitants
- plus de 10 % de la population - sont arrêtés, vingt-quatre
seront déportés, quatre connaîtront la victoire sur le
nazisme. À commander à la mairie de Saint-Eustache 74410, 95 p., 18 euros.
C. Breton
➨ Notre adhérent parisien Siegmund Gingold vient de
publier "Mémoires d'un indésirable" ; juif, communiste et
résistant ; un siècle d'errance et de combat ; un chapitre
est consacré aux Allemands dans la Résistance française.
➨ Ailleurs demain, Louis Rivière, Éditions Tirésias, Éditions L'Harmattan, coll. Mémoires du XXe siècle, 152 p.,
14 euros.
C.B.
2004, 193 p., 14 euros.
"Tu nous évoques ta chair, ton verbe, ta mère et les camps
où la mort tient la place à tes frères de tragédie", écrit ➨ Marie Viguié-Moreau, adhérente de l’AFMD, publie
l'éditeur en préface. C'est bien ce que l'on ressent en lisant "Les Orphelins de la Saint-Valentin - Histoire vraie
ce témoignage d'un des premiers adhérents de d'une enfance brisée". À travers son vécu de petite fille
l'association, et bien plus : ses combats politiques, ses de six ans en 1940, elle s'attache à rappeler les
rencontres dont celle, par exemple, de Guy Môquet, ses conséquences traumatisantes subies par les enfants de
copains basques, espagnols, sa trajectoire de déportés. Éditions L'Harmattan, 481 p., 11 euros.
C.B.
La Résistance locale en CD-Rom
L’Association pour des études sur la Résistance intérieure (AERI, affiliée à la Fondation de la Résistance) a entrepris
l’édition de CD-Rom (voire de DVD-Rom) départementaux consacrés à la Résistance. Une opération qui a reçu l’aide de
certains centres régionaux de documentation pédagogique et de diverses associations. Ces CD-Rom réunissent nombre
de matériaux et données sur l’implantation des mouvements et réseaux, les acteurs, les formes de résistance et la
chronologie des faits locaux, resitués dans le contexte global. Les archives ont largement été explorées et mises à
contribution, ce qui confère à ces outils multimédias le caractère de véritables banques de données. Ils sont accompagnés
de livrets pédagogiques rédigés par des historiens. Des supports qui s’avéreront donc fort utiles, notamment pour le
Concours national de la Résistance et de la Déportation. Diverses entrées thématiques permettent aux utilisateurs des CDRom de suivre des parcours : lieux, personnages, etc. Plusieurs départements sont d’ores et déjà couverts par ce projet :
Calvados, Ile-de-France, Yonne, Haute-Marne (pour lequel Christian Bardin, président de la DT 52, a donné de sa
personne).
Ces CD-Rom peuvent être commandés en ligne sur le site de l’AERI (www.aeri-resistance.com) ou au siège de cette
association : 16-18 place Dupleix - 75015 Paris (Tél. : 01 45 66 62 72).
14 Mémoire et Vigilance n° 31 - 15 septembre 2004
3e trimestre 2004
Célébrer et agir dans le présent :
point de vue
L
es multiples festivités de la commémoration de la libération
de la France ont ponctué tout l'été. Elles ont honoré à juste
titre celles et ceux qui ont contribué, après des années
d’occupation, de pillage, de meurtres, à rebâtir une société
fondée sur des valeurs de liberté, d’égalité, de fraternité.
Festivités qui ont aussi donné l’occasion d’opérer un retour sur
l’histoire et de se réjouir de quelques-unes de ses inflexions : il
est heureux, par exemple, que le rôle des Espagnols dans la
libération de la capitale, si souvent oublié, ait été souligné par les
officiels.
Néanmoins, ces célébrations furent troublées par quelques "faits
divers" révélateurs d’un climat malsain : paradoxe qui souligne
que célébration n’est pas conjuration des maux présents.
Illustratif à cet égard fut celui du RER Comment des esprits
avisés ont-ils pu suivre le sillon tracé par l’affabulatrice du RER,
qui véhiculait les clichés les plus éculés du racisme sur les juifs,
sur les Arabes et les Noirs, "violents et cruels", hélas largement
partagés ? Comment intellectuels, presse, responsables, ont-ils
pu disserter sans fin sur ces agresseurs imaginaires ("quatre
Maghrébins et deux Noirs" précisait-elle), et accuser
indistinctement "les nazis de banlieue" ? Tous nazis les jeunes
des banlieues ? Quel amalgame insupportable ! Quelle dérive
sémantique inacceptable pour ceux qui furent victimes du
nazisme ! Pourquoi, enfin, contraints de reconnaître leur erreur
devant l’évidence, certains persistèrent à voir en une simple
mythomane la Pythie des temps modernes "disant le vrai avec du
faux" ? Qui ne voit qu’un tel discours va à l’inverse des maux qu’il
prétend combattre ? Plus que jamais, nous devons réagir sans
faille, mais en toute lucidité, sans céder à l’emballement
médiatique, à chaque fois qu’un acte raciste est avéré.
Relevons un second paradoxe : au moment où les plus hautes
autorités invoquent l’héritage des valeurs de la Résistance,
chacun peut constater que certaines de ces valeurs sont
bafouées. Le programme du Conseil national de la Résistance
posait comme principe le "droit au travail" : combien de citoyens
en sont aujourd’hui privés malgré eux ? Il indiquait que tout
travailleur devait bénéficier d’un salaire décent : économistes et
sociologues se penchent sur les "salariés pauvres". Il affirmait la
nécessaire indépendance de la presse : on la voit aux mains
d’intérêts privés et soumise (et avec quelles contreparties) à leur
manne publicitaire. Héritière de ces valeurs de la Résistance, la
Charte des Nations unies proclamée en juin 1945 après la
capitulation nazie, déclarait vouloir "préserver les générations
futures du fléau de la guerre" et garantir "l’égalité des droits des
hommes et femmes et des nations". Force est de constater que
de nombreux conflits armés régionaux, faute d’être prévenus ou
arbitrés à temps par les voies pacifiques, ravagent notre terre et
qu’au concept de prévention des guerres tend à se substituer
son opposé, celui de la "guerre préventive". Force est aussi de
constater que le terrorisme le plus abject (on se souviendra
longtemps des enfants terrorisés de Beslan), doit être combattu
dans ses manifestations barbares, qu’il faut juger les criminels
(pourquoi pas devant la Cour pénale internationale ?), mais qu’il
convient aussi de s’attacher à résoudre les injustices criantes et
les dénis de souveraineté des peuples qui en fournissent les
prétextes et les exécutants.
La célébration, quelque brillante et unanime qu’elle soit, ne
dispense donc pas d’agir dans le présent pour faire vivre les
valeurs héritées de la Résistance : bien au contraire ! L’année
2005, nous commémorerons le soixantième anniversaire de la
libération des camps de concentration et d’extermination nazis.
Nous espérons que les autorités comme les médias donneront à
cet événement autant d’écho qu’aux commémorations de 2004 et
qu’ils évoqueront largement à cette occasion la Déportation, les
camps nazis de concentration et d’extermination. De multiples
projets, venus d’autres horizons, fleurissent déjà : à nous de les
accompagner. À nous aussi d’en susciter. Par ailleurs le thème
proposé aux collégiens et lycéens pour le Concours national de la
Résistance et de la Déportation constituera une formidable
occasion d’aider les témoins à porter témoignage devant les
jeunes et d’utiliser les documents élaborés par la Fondation. Et
nous aurons aussi à montrer que le crime contre l’humanité,
notion issue de l’expérience concentrationnaire, n’appartient pas
seulement au passé : chaque fois qu’un être humain est nié dans
son appartenance à l’espèce humaine, nié dans ses différences
ou persécuté en raison même de celles-ci, c’est la famille
humaine qui est visée et il appartient à tous, toutes générations
confondues, de la protéger. Cette commémoration est donc bien
inscrite dans le présent !
■
Danièle Baron
La Commission paritaire des Publications et Agences de Presse nous fait obligation de présenter une comptabilité complète des
recettes inhérentes à la vente au numéro ou par abonnement du bulletin "Mémoire et Vigilance". Elle nous interdit de procéder à la
distribution gratuite des numéros de la revue. En conséquence "Mémoire et Vigilance" est expédié aux seuls abonnés.
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3e trimestre 2004
Mémoire et Vigilance n° 31 - 15 septembre 2004 15
ASSOCIATION DES A
© FMD
POUR LA
DE LA
MÉMOIRE
DÉPORTATION
Association culturelle (loi du 1er juillet 1901) J.O.A n° 1336 du 7/2/1996
BULLETIN D’ADHESION 2004
ou de RENOUVELLEMENT DE COTISATION
(rayer la mention inutile)
NOM _____________________________________ Prénom ________________________
Année de naissance _______________________ Profession _______________________
Adresse __________________________________________________________________
Code postal ____________________ Ville ______________________________________
Téléphone __________________ Fax __________________ Email _________________
déclare avoir pris connaissance des statuts, les accepter, en approuver l'objet et, en conséquence,
adhérer à l'AFMD
date :
Signature :
Votre motivation : déporté ou interné ❏
dans les deux premiers cas, dans quel(s) camp(s) ? :
parent ❏
sympathisant ❏
_____________________________________
adhérez-vous à une organisation d’anciens déportés, si oui, laquelle ?
________________________
Pouvez-vous aider les membres du bureau de la structure locale de votre département ? ____________
Personne morale
(associations, entreprises,
établissements scolaires, etc.)
Cotisation
à partir de 50 Euros : ________
Personne physique
Cotisation
- de membre (22 Euros) :
- ou de soutien (35 Euros) :
- ou de bienfaiteur (50 Euros) :
_____________ Euros
_____________ Euros
_____________ Euros
Don :
_____________ Euros
Abonnement au bulletin “Mémoire et Vigilance” : 10 Euros 4 numéros par an
Pour l’année 2004, je verse donc, par chèque, __________ Euros, à l’ordre de l’AFMD.
Je recevrai ma carte d’adhérent et un reçu fiscal concernant le montant de ma cotisation et de mon
don éventuel. Le secrétariat vous remercie de ne pas agrafer votre chèque au bulletin.
Je souhaite que, de ma part, vous informiez la ou les personnes(s) suivantes des activités de l’AFMD :
NOM(s), PRÉNOM(s), ADRESSE(s) - écrire en majuscules, S.V.P.
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