Numéro 31
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Numéro 31
3e trimestre 2004 - 15 septembre 2004 N0 31 Une nouvelle fois, le délégué général du Front national remet en cause l'existence des chambres à gaz et sème le doute sur l'ampleur de la mortalité dans les camps d'extermination et de concentration. Le système concentrationnaire et les génocides perpétrés par les nazis ont fait disparaître plus de 10 millions d'Européens, dont 6 millions de juifs, 250 000 tziganes, 3 300 000 prisonniers de guerre soviétiques, et près de 550 000 "concentrationnaires" réduits en esclavage. Pour la France, 97 % des 75 000 déportés juifs et près d'un déporté au titre de la répression (plus de 86 000) sur deux ont péri en déportation. C'est en hommage à l'ensemble de ces victimes que Madeleine Obadia a créé l'œuvre cicontre (recueil édité par la section FNDIRP de Clamecy). SOMMAIRE Agenda. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Édito, 2005 : Année d'importants anniversaires et commémorations Dany Tétot . . . . . . . . . . . . . . . . . . . À propos des déclarations de M. Bruno Gollnisch . . . . . . . . . . Orphelins : le décret d'extension . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2 3 3 4 Mémorial, mode d'emploi . . . . . . . . . . . . . . . . 5 Retour sur les commémorations de la Libération . . . . . . . . . . . . . . . . 6 Déportation, crimes contre l'humanité, génocide et justice internationale . . . . . . . . . . . . . 7 à 10 Échos des D.T.. . . . . . . . . . . . . . . . 11 8 mai 2005 : première mondiale de La voix de la mémoire, paroles de déportés . . . . . . . . . 12 L'actualité en bref . . . . . . . . . . . 13 Notes de lecture . . . . . . . . . . . . 14 Célébrer et agir dans le présent : point de vue Danièle Baron . . . . . . . . . . . . . . 15 Bulletin d’adhésion . . . . . . . . . . 16 Agenda... Agenda... Agenda... Agenda... Agenda... EXPOSITIONS * Paris insurgé, Paris libéré Le musée Mémorial Jean-Moulin présente, jusqu’au 10 mai 2005, une exposition dédiée à l’insurrection et à la libération de la capitale. À travers de nombreux documents d’époque, elle permet d’en revivre les grands moments. * L’Isère libérée Le musée de la Résistance et de la Déportation de l’Isère, qui fête sa dixième année d’existence, décline la libération de Grenoble et de sa région. Une exposition, visible jusqu’au 8 novembre, raconte les journées de fin août-début septembre 1944. Cette exposition, qui met l’accent sur l'image et l'ambiance de ces journées, est prolongée par une plaquette et une publication pédagogique d’une haute tenue ainsi que par un film de trente-quatre minutes intitulé Comme un vent de liberté. 14 rue Hébert - 38000 Grenoble - Tél. : 04 76 42 38 53 - Ouvert tous les jours, entrée gratuite. * La musique et le IIIe Reich : l’exposition et le programme des conférences annoncées par la Cité de la Musique affichent l’ambitieux pari de s’interroger sur les rapports de la musique et du "politique". Seront évoqués les compositeurs bannis, tels Schoënberg et les artistes enrôlés par le Reich, mais aussi les opposants tels que Karl Amadeus Hartmann, auteur d’une sonate composée le 25 juin 1945 près de Dachau. À noter documentaires, tables rondes et concerts des 9 et 23 octobre, dédiés à la musique à Terezin. Programme complet : Cité de la Musique - 221 avenue Jean-Jaurès - 75019 Paris - Tél. : 01 44 84 45 00 ou www.cite-musique.fr * Le Centre d’histoire de la Résistance et de la Déportation de Lyon présente, jusqu’au 14 novembre, une exposition sur l’ethnologue Germaine Tillion, résistante déportée à Ravensbrück. Pour découvrir un itinéraire et les diverses facettes de l’engagement de l’auteur de "Ravensbrück", première monographie sur ce camp. THÉÂTRE * La pièce de théâtre La Petite fille privilégiée, dont nous avions salué tout l’intérêt, poursuit sa tournée. Elle sera le 15 octobre au Centre culturel de Saint-Omer, les 22, 23 et 24 octobre au théâtre des Sablons de Fontainebleau ; le 12 novembre au SEL de Sèvres ; les 22 et 23 novembre au théâtre André-Malraux de Rueil-Malmaison ; le 26 novembre à la Maison des Allobroges de Cluses ; les 29 et 30 novembre au théâtre de la Passerelle de Tergnier ; les 6 et 7 décembre au théâtre municipal de Saint-Raphaêl. Première de la pièce de théâtre De l'Enfer à la Lune le jeudi 27 janvier 2005 à 20 h 30 - Salle de l'Oratoire - rue Albert 1er - La Rochelle Le Théâtre de l'Utopie, centre de création théâtrale, compagnie nationale, présente du 27 janvier au 1er février 2005 (soirées : 20 h 30, scolaires et dimanche : 15 h) De l'Enfer à la Lune, de Jean-Pierre Thiercelin, mise en scène de Patrick Collet. "L'outil théâtral dans les mains de l'auteur J.-P. Thiercelin est d'une remarquable efficacité. Aussi loin du réquisitoire que du sermon traditionnel, dépourvue de toute grandiloquence dans l'évocation de l'horreur, sa pièce est avant tout une machine à broyer les idées reçues et à réveiller les assis que nous sommes. En plaçant le spectateur à bonne distance du réel, grâce à la féerie, au cirque, au show télévisé, au music-hall, en le confrontant à la déraison, il l'oblige à voir enfin ce réel tel qu'il est : barbare, cynique, inhumain, mais réel", écrit J.-S. Ducourtieux, agrégé de lettres modernes, membre de la Commission nationale à l'origine de la mise en place de l'option théâtre. Aurillac, Châtellerault, Clermont-Ferrand, Saint-Omer (Musée de La Coupole), Verdun, Buchenwald, Dora (lors de l'inauguration du nouveau Mémorial Dora-Mittelbau) accueilleront cette pièce au premier semestre 2005. Merci à nos DT de s'être engagées. D'autres devraient le faire prochainement. Nous vous en avertirons. Le texte De l'Enfer à la Lune paraîtra, fin novembre, aux Éditions de l'Amandier (13 euros). À NOTER La CDJC organise les 12 décembre, 4 janvier et 6 février des voyages à Auschwitz en compagnie d’anciens déportés. Participation aux frais 320 euros Tél. : 01 44 59 97 02 2 Mémoire et Vigilance n° 31 - 15 septembre 2004 La Fondation et ses Amis seront présents au prochain Salon de l’Éducation à Paris Porte de Versailles (11 au 18 novembre) 3e trimestre 2004 ÉDITO LE PRÉSIDENT DE L'ASSOCIATION 2005 : Année d'importants anniversaires et commémorations es vacances bien méritées et l'été indien que nous vivons ne doivent pas nous faire oublier que nous sommes à quelques mois d'une année exceptionnellement riche d'anniversaires et commémorations. Le soixantième anniversaire de la libération des camps de la mort et celui de la naissance de la Fédération nationale des déportés, internés, résistants et patriotes, sans oublier le dixième anniversaire de notre Association, l'AFMD, constituent l'essentiel de notre programme d'action et de participation 2005 ; nous avons le devoir de nous y investir. Le siège et les DT travaillent déjà sur des sujets artistiques. Je rappellerai notre préférence donnée aux arts comme vecteur de pérennisation de la mémoire, ces derniers sont des chemins de connaissance intérieure, ils appellent à comprendre et à partager des vibrations de la conscience collective. Deux événements culturels d'importance sont proposés par le siège : * la pièce de théâtre : De l'enfer à la Lune coproduite avec l'association de Dora Elrich ; * l'oeuvre musicale inédite proposée par la délégation territoriale de Gironde "La voix de la mémoire, paroles de déportés". D Mobilisons-nous, chers amis, pour les promouvoir sur le territoire, faisons un effort collectif, la qualité pédagogique de ces œuvres le mérite. En complément, beaucoup de DT ont leurs projets ; pour certaines, le voile est un peu levé, pour d'autres la surprise sera totale (par exemple : que nous concocte la DT de l'Isère pour notre Assemblée générale 2005 à Grenoble ?). Pour les DT qui s'interrogent encore sur le choix de leurs actions, permettez-moi de souligner : * le soutien particulier au Concours national de la Résistance et de la Déportation ; * l'utilisation des outils pédagogiques de notre Fondation. Chers amis, ce qui précède n'est pas exhaustif, soyons personnellement créatif et imaginatif pour sensibiliser l'opinion publique sur ce qui nous rassemble dans le respect de nos différences : la pérennisation de la mémoire de la Résistance, de la Déportation et de l'Internement. L'année 2005 nous offre une formidable tribune, profitons-en. Je compte sur vous et suis à votre disposition pour dialoguer et vous rencontrer. Bon courage. À bientôt. Amicalement vôtre. Dany Tétot À propos des déclarations de M. Bruno Gollnisch Les réactions du numéro deux du Front national quant aux conclusions de la commission chargée d'enquêter sur le négationnisme et l'antisémitisme à l'université de Lyon III, appellent pour le moins quelques commentaires. Elles s'inscrivent en effet dans la logique idéologique d'un parti dont chacun sait d'où il tire son inspiration. En premier lieu, M. Bruno Gollnisch parle de "police de la pensée" à propos de la commission Rousso. S'ériger en victime permanente fait partie de la stratégie bien connue du Front national. Les menées négationnïstes procèdent d'une logique "d'hygiène historique" qui veut réhabiliter des idées et des régimes qui ont mené l'humanité au bord de l'abîme. Il s'agit en conséquence pour ce parti de les défendre et de les promouvoir. Faire le ménage de l'histoire en se débarrassant de tout ce qui gêne le discours d'extrême droite n'a rien d'innocent. Le dénoncer et s'en protéger est aussi un devoir moral, Tant pis si cela gêne M. Gollnisch. La démocratie ne peut pactiser avec ses assassins potentiels. En second lieu, M. Bruno Gollnisch s'en prend â la "personnalité juive" d'Henry Rousso. C'est sans doute le passage le plus condamnable de sa déclaration. En lisant les travaux de cet éminent historien, il n'était jamais venu à personne l'idée de s'interroger sur ses origines. Pas plus qu'en lisant L'Étrange défaite de Marc Bloch, qui constitue un référent incontournable sur les défaillances de nos états-majors en 1940. Mais comme l'a dit excellemment M. Queranne, M. Bruno Gollnisch vient de rétablir à sa façon le port de l'étoile jaune. L'antisémitisme de l'extrême droite n'est pas nouveau. M. Gollnich nous le confirme"l n'y a plus un historien sérieux qui adhère aux conclusions du procès de Nuremberg", dit encore M. Gollnisch. Outre que cette affirmation est assénée de façon tout à fait contestable comme une vérité acquise, elle fait sans doute référence aux historiens "sérieux" du négationnisme, dont précisément la caractéristique est d'être d'une parfaite mauvaise foi. Évidemment la condamnation des grands criminels nazis au procès de Nuremberg a de quoi gêner la démarche politique de M. Gollnisch. Pourtant les juges de Nuremeberg, en tête desquels figure Lord Justice, président du Tribunal militaire International, personnalité incontestée et unanimement appréciée, ont tenu à respecter strictement tous les droits de la défense. Il serait sans doute intéressant d'établir une comparaison avec les droits que les tribunaux instaurés par le régime nazi ont, eux, laissé à la défense. De Nuremberg découlent tous les progrès enregistrés en matière de justice et de droit international depuis 1946. On peut en conclure, si l'on "adhère" aux propos de M. Gollnisch, que les Nations unies ont été inspirées par des personnalités peu sérieuses, dont René Cassin, père de la déclaration universelle des droits de l'homme. Enfin, M. Gollnisch concède que "sans doute, il y a eu quelques centaines de milliers de morts". La condescendance du propos n'échappe à personne. Elle relègue, sans le dire, les victimes du génocide et du système concentrationnaire au rang de "détail" de la Seconde Guerre mondiale, selon le propos maintenant bien connu du président du Front national. On est subrepticement invité à se demander quel est le poids de ces quelques centaines de milliers de morts face au nombre de morts provoqués par la guerre. Du projet criminel d'ensemble qui sous-tendait ce crime d'État monstrueux, quel qu'en soit le nombre de victimes, rien évidemment. M. Bruno Gollnisch vient en quelques phrases de rappeler le sens de son engagement politique et la ligne directrice de pensée de son parti. Au moins plus personne ne pourra dire : "Je ne savais pas". Yves Lescure, directeur général de la Fondation pour la mémoire de la Déportation 3e trimestre 2004 Mémoire et Vigilance n° 31 - 15 septembre 2004 3 Orphelins : le décret d'extension ➤ Article 1 : toute personne, indemnité viagère de la part de Dès publication du décret de 2000 relatif aux la République fédérale d’Alledont la mère ou le père, de orphelins de déportés au titre des persécutions magne ou de la République nationalité française ou étrangère, a été déporté, à partir du territoire antisémites, les associations représentatives de la d’Autriche en réparation de la national, durant l’Occupation pour déportation en demandaient l’extension à tous les déportation dont ses parents, ou les motifs et dans les conditions orphelins de déportés. Voici un extrait du texte du l’un d’eux, ont été victimes. Le mentionnées aux articles L. 272 et décret si attendu (n° 2004-751 du 27 juillet 2004 demandeur précise s’il entend bénéficier d’une indemnité en L. 286 du Code des pensions instituant une aide financière en reconnaissance des capital ou d’une rente militaires d’invalidité et des victimes de la guerre, et a trouvé souffrances endurées par les orphelins dont les mensuelle. Ce choix est la mort en déportation, a droit à parents ont été victimes d’actes de barbarie durant irrévocable. ➤ Article 4 : la décision une mesure de réparation, la Seconde Guerre mondiale) conformément aux dispositions du accordant ou refusant la mesure présent décret, si elle était mineure de vingt et un ans au moment de réparation est prise par le Premier ministre, sur proposition du où la déportation est intervenue. Ce régime bénéficie également ministre chargé des Anciens Combattants. À défaut de réponse aux personnes, mineures de moins de vingt et un ans au moment dans le délai de quatre mois à compter de la date de réception du des faits, dont le père ou la mère, de nationalité française ou dossier complet, la demande est réputée rejetée. étrangère, a, durant l’Occupation, été exécuté dans les ➤ Article 5 : en cas de décision favorable, la rente viagère est circonstances définies aux articles L. 274 et L. 290 du même code. versée à compter du premier jour du mois suivant celui au cours Sont exclues du bénéfice du régime prévu par le présent décret les duquel la demande a été reçue. Elle cesse d’être versée le dernier personnes qui perçoivent une indemnité viagère versée par la jour du mois au cours duquel le bénéficiaire décède. Le versement République fédérale d’Allemagne ou la République d’Autriche à de l’indemnité en capital intervient dans le trimestre suivant celui raison des mêmes faits. au cours duquel la décision accordant la mesure de réparation a ➤ Article 2 : la mesure de réparation prend la forme, au choix du été prise. Le paiement des rentes viagères et des indemnités en bénéficiaire, d’une indemnité au capital de 27 440,82 euros ou capital est assuré par l’Office national des anciens combattants et d’une rente viagère de 457,35 euros par mois. victimes de guerre, qui reçoit à cet effet des crédits du budget des ➤ Article 3 : les personnes mentionnées à l’article 1er adressent services généraux du Premier ministre. leur demande au ministre chargé des Anciens Combattants. Elles ➤ Article 6 : l’indemnisation au titre du présent décret n’est pas peuvent également, si elles résident à l’étranger, déposer leur cumulable avec celle instituée par le décret du 13 juillet 2000 demande à l’ambassade de France de leur pays de résidence. La susvisé. La disparition des deux parents n’ouvre droit qu’à une demande comporte toutes les pièces justificatives nécessaires, et seule indemnisation. notamment les actes d’état civil attestant de la filiation avec le NDLR : les demandes sont à adresser à la Direction des parent décédé ou disparu ainsi que tous documents prouvant que pensions et de la réinsertion, bureau des titres et statuts la mort ou la disparition est intervenue en déportation ou que la Rue Neuve Bourg l’Abbé - BP 554 – 14035 Caen. personne a été exécutée. Le demandeur joint à son dossier une Les personnes qui s’étaient déjà faites connaître auprès des attestation sur l’honneur précisant qu’il ne perçoit aucune associations seront contactées par ces mêmes services. "Je veux exprimer sur ce sujet quelques idées qui me tiennent particulièrement à cœur. Cette indemnisation, pour être intéressante financièrement, nous donne à tous l'occasion de revenir sur les souffrances cachées que nous avons endurées depuis notre petite enfance. Rien, pas même cette tardive reconnaissance par quelque argent, ne pourra effacer les drames qu'ont vécus nos parents massacrés ou dans les camps dont il est si justement dit que ce fut "le mal absolu et le fond de l'horreur" (Marie-José Chombard de Lauwe). Rien, pas même cette indemnisation, n'éliminera nos souvenirs angoissés et ce psychotraumatisme d'enfance qui nous collent à la vie. Il est vrai, hélas, que tout a été fait depuis soixante années pour camoufler cette aberration historique que fut le nazisme. Plus grave encore, certains essaient de nier la réalité de la Résistance et cette horreur des camps de concentration et d'extermination. Heureusement, les associations de déportés et résistants œuvrent pour la mémoire et la vigilance. Mais il y a beaucoup à faire. Personnellement, je ressens comme un affront la montée d'un nouveau fascisme et les 450 voix (17 %) lepénistes, en 2002 à Chagny (ma commune d'origine en Bourgogne particulièrement "résistante" ayant subi une forte répression.) C'est insupportable. Aussi, ce pécule ou cette rente que nous pourrons recevoir favorisera les activités nécessaires pour rappeler à tous et apprendre aux jeunes ce que furent les luttes de nos parents et cette abomination du siècle précédent. Cela nous permettra de rappeler qu'en même temps que la Shoah, il y a eu aussi la déportation des résistants, dont les communistes, et les massacres sur le territoire français…" André Boulicault, président DT Gard Réaction 4 Mémoire et Vigilance n° 31 - 15 septembre 2004 3e trimestre 2004 Mémorial, mode d'emploi e Mémorial de la déportation de répression réalisé par la Fondation, présenté dans notre dernier numéro, s’est déjà imposé comme un outil quotidien dans les associations qui œuvrent pour la mémoire. Mais la complexité de la matière et le plan retenu rendent parfois son usage difficile pour le néophyte ; en effet, les listes sont présentées dans un ordre qui n’est pas en premier lieu chronologique. Rappelons tout d’abord qu’il se présente sous la forme de quatre lourds volumes papier, accompagnés d’un CD-ROM. Ce c’est donc certes pas un livre de chevet mais un instrument de référence, même s’il n’est pas encore définitif. ➜ Toute recherche d’ordre personnel commencera par la consultation de l’index contenu dans le volume quatre, à partir de la page 373 (ou à partir du dernier fichier du CDRom). L’index comportant les date et lieu de naissance des déportés concernés, cette première approche permet d’éviter les confusions homonymiques. ➜ Une colonne de cet index renvoie ensuite à un numéro de chapitre exprimé en chiffres romains, qu’il ne faut pas confondre avec le numéro du volume papier : c’est ainsi que la liste des arrêtés en zone occupée (zone nord, puis zones nord et sud à partir du 11 novembre 1942) recensés dans le chapitre I occupe la totalité des volumes I et II ainsi que le début du volume III. La fin du volume III concerne les déportés arrêtés dans la zone annexée, puis ceux qui ont été arrêtés sur le territoire du Reich proprement dit, liste qui s’achève dans le volume IV. Deux listes relatives à des déportés dont le parcours n’a pu être reconstitué avec certitude figurent dans ce dernier tome, ainsi que quelques déportés au titre de la persécution (juifs d’Aurigny et tziganes), qui ne figuraient pas sur les travaux de Serge Klarsfeld. ➜ L’index renvoie également à un numéro de liste exprimé en chiffres arabes : ainsi, la liste 170 figure dans le volume I la liste 175 figure dans le volume II, la liste 260 dans le volume III. L’utilisateur du CD-Rom est dispensé de feuilleter manuellement les pages et peut directement rechercher le L début de la séquence correspondant à la liste qu’il souhaite consulter (option recherche, II.175 par exemple). ➜ Ces listes regroupent les départs (convois) et elles sont précédées de notices informatives sur l’effectif du convoi, les numéros matricules extrêmes attribués à l’arrivée au camp ; elles signalent les éventuelles évasions, mais peuvent également donner une idée générale de la composition du convoi (appartenance à tel ou tel réseau ou mouvement de résistance, origine géographique, lieux d'internement antérieurs, motifs d’arrestation) et renvoient à certains témoignages ou études publiés. Suit le nom du déporté concerné, complété de diverses indications d’état civil (date et lieu de naissance, nationalité) et de renseignements quant à l’itinéraire ultérieur de l’intéressé dans les prisons et camps du Reich : attention, les autres lieux de déportation figurent en abrégé et l’utilisateur doit se reporter à la liste complète présentée dans le volume I (page 136), liste des lieux qui suit immédiatement la présentation des grands camps. ➜ Si le nom de la personne recherchée ne figure pas dans le mémorial, plusieurs raisons peuvent expliquer cette absence. Peut-être appartient-elle aux quelque mille noms retrouvés depuis ? Peut-être a-t-elle été déportée sous un autre nom ? C’est particulièrement vrai pour les femmes, déportées sous leur nom de jeune fille. Il convient en tout état de cause de se tourner vers la FMD par lettre aussi détaillée que possible. Outil de référence pour tous, le mémorial offre des possibilités particulièrement intéressantes aux utilisateurs du CD-Rom. Cette version, en effet, permet par exemple d’effectuer des recherches à partir des départements et localités de naissance. On voit ici son intérêt pour telle ou telle municipalité qui chercherait, par exemple, des indications biographiques sur ceux qu’elle honore (ou qu’elle désire honorer) par une plaque ou par une rue. La même remarque vaut pour nos DT, qui peuvent ainsi établir des listes départementales et contribuer à perpétuer le souvenir des victimes. Matricule au KL Buchenwald Nom Prénom Sexe Date de naissance Lieu de naissance 21189 PERROT François M 29/11/1921 Strasbourg (67) F Blt, Bu, Flo R 21705 WILBORTS Suzanne F 10/01/1890 Paris (75) F Ra, Ma R* 22/04/1945 Mauthausen Libérée par la Croix-Rouge 21706 WILBORTS/ CHOMBART DE LAUWE Marie-José F 31/05/1923 Paris (75) F Ra, Ma R* 22/04/1945 Mauthausen Libérée par la Croix-Rouge 3e trimestre 2004 Natio Parcours après le Situation Date de Lieu de nalité KL Buchenwald libération ou libération ou de décès de décès 23/04/1945 Untertaubenbach Observations - Mémoire et Vigilance n° 31 - 15 septembre 2004 5 Retour sur les commémorations de la Libération Une scène de la libération de Paris. l ne s’agit pas ici d’énumérer toutes les initiatives, et elles furent nombreuses, mais de rappeler quelques temps forts et les quelques figures, qui pour être connues des historiens, ne sont pas nécessairement familières aux passants, habitants ou touristes. Le coup d’envoi des célébrations de la libération de la France fut naturellement donné par le Sud-Est et ce fut notamment l’occasion de rappeler le nombre important des natifs de l’ancien empire français qui y prirent part. En région, ont fleuri cérémonies, expositions diverses. À Paris, où fut signée, en présence de Leclerc et de RolTanguy, la reddition allemande, elles ont été particulièrement importantes. Nombre de plaques et de rues furent inaugurées en présence des plus hautes autorités, dont nombre rappellent que l’insurrection de la capitale précéda l’arrivée des alliés (ces derniers, au reste, I 6 Mémoire et Vigilance n° 31 - 15 septembre 2004 avaient initialement prévu de contourner Paris et il fallut toute l’insistance du général de Gaulle pour les faire revenir sur ce projet). Ainsi, et d’abord, hommage fut rendu à Henri Rol-Tanguy ; contrairement à ce qu'on pouvait croire à l’égard de la notoriété du chef militaire de l’insurrection parisienne, pourtant Compagnon de la Libération dès juin 1945, nulle artère parisienne ne portait son nom (sans doute est-ce un effet de la guerre froide qui entraîna sa mise à l’écart de l’armée et son isolement au dépöt central de Versailles ; une mise à l’écart qui visa aussi d’autres officiers issus des rangs des FTP). Le terre-plein central de l’avenue de Breteuil porte désormais le nom de Jacques Chaban-Delmas, délégué militaire du général de Gaulle, général à vingt-neuf ans ; d’aucuns regrettèrent d’ailleurs que la proximité avec le Palais-Bourbon n’ait finalement pas été retenue pour celui qui présida si longtemps l’Assemblée nationale. À quelques pas de la Bourse du Travail, la capitale a aussi honoré le syndicaliste André Tollet, président du Comité parisien de libération et membre du CNR, évadé de Compiègne. Un square fut dédié au responsable socialiste d’Honneur et Patrie, Roger Priou-Valjean. Tandis qu’une place proche de la Porte d’Aubervilliers était consacrée à la mémoire de Charles Tillon, fondateur et commandant en chef des FTP. Le rôle des étrangers, et tout particulièrement celui des Espagnols de la Nueve, composante essentielle de la colonne du capitaine Dronne qui pénétra la première dans les avenues de Paris, ne pouvait être plus longtemps ignoré : une plaque fut dévoilée en présence des officiels, qui rappelèrent ce fait historique. Furent aussi honorés, à travers quelques cas exemplaires, les innombrables fusillés de la Résistance : ainsi de ceux qui portent le nom d’une station de métro, Marx Dormoy (dont la presse altère souvent le prénom), Corentin Carriou, Corentin Celton, Gabriel Péri, Charles Michels, Guy Môquet, Jacques Bonsergent, et d’autres, tels que les jeunes fusillés de la Cascade du Bois de Boulogne. Au fil des rues, élus et représentants des associations devaient insister avec force sur l’esprit et les valeurs de la Résistance qui animait les uns et les autres, à conjuguer au présent. 3e trimestre 2004 Déportation, crimes contre l'humanité, génocide et justice internationale Le thème choisi pour le Concours national de la Résistance et de la Déportation place au cœur la découverte des camps nazis, les crimes contre l’humanité et les génocides qui y furent commis. Le 10 décembre 2001, l’AFMD avait coorganisé avec MER, un colloque intitulé "Du nazisme à la purification ethnique. Évolution du crime contre l'humanité". Il nous semble intéressant d’en reprendre le préambule et quelquesuns des propos des intervenants. Car si le génocide, forme la plus exacerbée et à l’évidence la plus marquante des crimes contre l’humanité, est bien présent dans l’esprit des candidats, d’autres crimes contre l’humanité, rappelés ici par un témoin, ont tendance à être un peu oubliés. mondial allait être meurtrier : vingtsix millions de victimes civiles à Avant la barbarie nazie, il y avait travers notre continent ; dix millions - un bien vilain mot pour un de déportés dans les camps ; six horrible concept - les "lois de la millions de victimes assassinées guerre". Par ces lois, inscrites en masse, seulement coupables dans quelques conventions d'être nées juives ou tziganes. internationales, les nations, que À Nuremberg, pour la première fois l'on ne nommait pas encore la dans l'histoire de l'humanité, furent "communauté internationale", jugés des criminels qui avaient, auavaient réfléchi à quelques delà de toute imagination, défié les dispositifs propres à rendre la lois de la guerre, dénié le simple guerre moins inhumaine. Mais ces droit à vivre, broyé les êtres conventions, indice d'un droit humains dans un univers de international balbutiant, ne déshumanisation. Ce procès avait prévoyaient aucun mécanisme de été voulu par les nations alliées sanctions. Il y eut bien quelques alors que la guerre n'était pas tentatives, après la Première encore terminée. Ces nations Guerre mondiale, pour juger et punir, mais elles restèrent sans lendemain. Puis le avaient choisi le recours au droit, ce qui impliquait que le nazisme belliqueux domina l'Europe et réduisit sa procès fût soumis aux règles tutélaires des droits de la population non "aryenne" à l'esclavage. Le second conflit défense : ce n'était pas la justice des vainqueurs mais la justice tout court. Quatre nations à Nuremberg, soutenues par dixneuf autres qui n'avaient pas connu l'occupation, jugeaient des crimes inédits dans leur nature et leur étendue : crime contre la paix ; crimes de guerre (qui au fil de la jurisprudence seraient déclarés prescriptibles) ; crimes contre l'humanité (qui désormais et après des décennies de combat sont reconnus imprescriptibles). Parce qu'il y eut Nuremberg au XXe siècle, les tortures, les massacres, les génocides au Rwanda, en Bosnie et d'ailleurs peuvent être sanctionnés. Parce qu'il y eut Nuremberg, les meurtriers peuvent, Montage de photos au musée d'Auschwitz. Préambule 3e trimestre 2004 Mémoire et Vigilance n° 31 - 15 septembre 2004 7 à tout moment, être amenés à répondre de leur acte devant la communauté internationale. Nuremberg est une leçon d'éthique et de responsabilité car, de tout crime, l'homme ne doit jamais oublier celui qui atteint sa conviction d'appartenir à l'espèce humaine. Assurer la postérité de Nuremberg, c'est préserver ce que la culture humaine contient de liberté, de responsabilité, donc de possibilité d'agir sur le cours du monde et de l'histoire. Témoignage de Marie-José Chombart de Lauwe (…) Quelles sont les dimensions de l'humanité, blessées ou détruites dans les camps ? Celles de l'être humain, en soi, d'abord, qui devait perdre son identité dès l'entrée dans le camp. Les nazis déniaient l'appartenance à l'espèce humaine de certaines catégories d'hommes, par exemple "aux sujets" d'expérimentations pseudomédicales, en faisant disparaître des groupes ethniques. Ils ont appauvri l'humanité et privé son avenir de multiples richesses en assassinant les enfants eux-mêmes. Arrêtée pour faits de résistance, le 22 mai 1942, j'ai connu la misère de la prison - dont neuf mois au secret, isolée - la dureté des interrogatoires. Le parcours des internés était jalonné d'angoisses, de multiples formes de tortures, physiques ou morales, de l'attente de l'exécution possible. Mais la spécificité du nazisme réside surtout dans ce que j'ai connu dans les camps. Dans les camps d'extermination, le crime le plus atroce a été celui d'enfants, d'enfants innocents, assassinés par l'appareil industriel de mise à mort : la chambre à gaz. Ces êtres étaient assassinés pour le seul crime d'être nés, nés juifs ou tziganes. Je ne peux le qualifier, encore aujourd'hui, que de mal absolu. Au camp de Ravensbrück, dans lequel je suis arrivée en juillet 1943, ce procédé de mise à mort n'existait pas. Il a été installé, cependant, le dernier hiver, en janvier 1945. Avant, les femmes qui étaient sélectionnées pour être éliminées étaient envoyées dans des centres 8 Mémoire et Vigilance n° 31 - 15 septembre 2004 d'euthanasie. Ces centres dont il ne faut pas oublier l'existence non plus, à l'origine des crimes suivants. Mais j'en connaissais l'existence par les déportés revenant d'Auschwitz, car il y avait des échanges entre les camps (…) Mais j'ai aussi vu commettre, dans un camp de concentration comme Ravensbrück, d'inconcevables crimes contre l'humanité. En juillet 1943, pendant les appels, qui duraient des heures, debout, immobiles, pratiquement pas nourries, peu vêtues dans le froid, souvent des femmes tombaient d'épuisement. Mais j'ai découvert qu'un groupe de jeunes femmes avait droit au tabouret. Pourquoi ? Parce qu'elles ne tenaient pas sur leurs jambes. Elles étaient des "sujets" d'expérimentations pseudo-médicales. L'autorisation de disposer d'êtres humains pour l'expérimentation et la recherche était délivrée par Himmler en personne. Ces jeunes femmes, soixante-quinze, presque toutes des Polonaises - nous les appelions familièrement "les lapins" - étaient emmenées à l'infirmerie, au "revier" du camp, et là, les médecins nazis procédaient aux opérations : fractures de jambe, prélèvements d'ongles ou de muscles, ensemencement dans les plaies de staphylocoques, de cultures de gangrène, de tétanos. Une dizaine de ces victimes sont mortes rapidement dans des souffrances atroces, d'autres ont été convoquées pour une seconde opération, elles se sont révoltées. Alors, on les a emmenées à la prison du camp, au "bunker", et opérées sans la moindre asepsie. Par la suite une dizaine d'entre elles ont été fusillées. J'ai vécu quinze mois auprès d'elles, au fameux bloc 32, celui des NN, dont j'étais, les "Nuit et Brouillard", où j'ai noué des relations d'amitié avec quelques-unes d'entre elles, des étudiantes, résistantes, parlant bien le français. Des survivantes ont été sauvées par la solidarité des déportés qui ont pu les cacher dans le désordre final du camp. Elles auraient du être exterminées afin que disparaisse la trace de ce crime. Durant le dernier hiver, j'ai été informée par mes camarades de l'infirmerie d'un autre crime. À Ravensbrück, il y avait des mères tziganes avec leurs petites filles. Elles ont été appelées par le commandant pour subir des stérilisations. Les infirmières prisonnières n'entraient pas dans la salle d'opération. Elles "ramassaient" les opérées à la sortie. D'autres infirmières ont été chargées de développer les radios qui étaient prises pendant l'intervention, pour suivre le déroulement de cette "expérience". On a su ce qui se passait : un liquide était introduit par les voies génitales qui allait brûler, détruire les trompes et les ovaires. À l'issue, une petite fille 3e trimestre 2004 d'une dizaine d'années, était couchée dans ce pseudohopital. Elle avait le ventre ouvert. Ils avaient ouvert une plaie pour voir la suite de l'intervention. Elle est morte dans d'atroces souffrances. Ses plaies n'avaient pas été recousues. Ces expériences ont été également faites à Auschwitz. Arès la guerre, j'ai été témoin au procès du commandant de Ravensbrück, Franck Zuren, en janvier 1950. Il répondait aux crimes dont je l'accusais avec l'argument classique des ordres supérieurs auxquels il était "obligé de se soumettre". Mais quand j'ai évoqué le cas de ces stérilisations, il m'a répondu, avec presque sourire et bonne conscience : "Bien sûr, j'ai fait stériliser des femmes et des enfants dans mon camp, mais vous savez, je l'ai fait faire aussi sur des hommes" - ce que nous ignorions "mais enfin comprenez donc, c'étaient des tziganes". D'où la bonne conscience de ce personnage horrible... Le troisième crime contre l'humanité que je voulais évoquer ici est celui où j'ai été le plus directement impliquée. Dans un camp de femmes, arrivent des femmes enceintes. Il y avait une circulaire du 6 mai 1943 du service de sécurité disant qu'il ne devait pas y avoir de femmes enceintes et d'accouchements dans les camps. Mais on sait que malgré tout, elles ont été nombreuses à Auschwitz et j'ai des témoignages qui disent que souvent le bébé était tué à la naissance par les prisonnières ellesmêmes, car l'accouchée, sans cela, allait à la chambre à gaz avec le bébé. À Ravensbrück, les Allemandes enceintes d'un non-juif étaient envoyées accoucher au dehors et le bébé confié à des institutions spécialisées, et la femme revenait au camp. Pour toutes les autres femmes, ou bien il était procédé à un avortement de force, ou bien, si la grossesse allait à son terme, la femme voyait son enfant assassiné dès qu'il était né. À partir de septembre 1944, les choses ont changé. Déjà au cours de l'année 1944, il y avait eu des naissances clandestines mais l'enfant n'avait aucune chance de survie. À partir de septembre 1944, une petite pièce, "la chambre des enfants", "kinderzimmer", a été réservée aux nouveau-nés, et j'ai été une des infirmières choisies pour s'en occuper. Les conditions étaient, là aussi, invivables pour les enfants : le manque de linge, d'hygiène, de nourriture adaptée, faisaient que tous les nouveau-nés mourraient avant trois mois. Ceci est un crime contre l'espèce humaine (…) Voilà ce que j'ai connu moi : ce que j'appelle le pire dans un camp de concentration "ordinaire", ces crimes contre l'humanité dont j'ai été témoin ou que j'ai connus de près. 3e trimestre 2004 Témoignage de Claude Jorda(1) Je suis ici comme témoin pour vous dire la difficulté de la mise en place du développement d'une justice pénale internationale. Je suis ici également pour vous dire que c'est possible, que c'est faisable. Le Tribunal pénal international que j'ai l'honneur de présider(2), auquel j'appartiens depuis ses débuts, est né en quelque sorte par défaut. D'abord, par défaut d'une Cour pénale internationale permanente qui peut-être va voir le jour dans un délai relativement rapproché(3). Par défaut aussi, par la difficulté de mettre en place des mesures pour arrêter la barbarie (…) Ce tribunal a une légitimité. La communauté internationale ne savait plus quoi faire. Pas moins de vingt-deux ou vingt-cinq résolutions du Conseil de sécurité pour essayer de mettre fin à ces guerres balkaniques, interethniques, entre les musulmans, les Serbes, les Croates sur le territoire de cette malheureuse Bosnie qui a été à l'origine territoriale du premier conflit mondial. Le Conseil de sécurité a fait œuvre d'une créativité extraordinaire, sans précédent. Le seul précédent connu de justice internationale, organisée, était Nuremberg auquel on associe Tokyo, procès des grands criminels de guerre japonais. Nuremberg est resté dans la mémoire sous une double appréciation : sur sa naissance qui faisait dire que c'était une "justice de vainqueurs", mais surtout sur l'exemplarité de ces travaux, comme quoi souvent une justice née dans la précipitation peut faire la preuve de son exemplarité à travers l'application qu'elle en donne. C'est donc le Conseil de sécurité qui, ne sachant plus quoi faire, a dit : "Nous allons créer un Tribunal pénal International". Il a été créé, je dois dire, dans une relative indifférence et ses débuts ont été chaotiques. Il n'y avait rien. Rien, c'est vraiment rien : pas de locaux, pas de (1) Claude Jorda, après avoir été président du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, siège depuis mars 2003 à la Cour pénale internationale. (2) Il s’agissait du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie, créé par l'ONU en 1993. (3) Elle a en effet depuis vu le jour et 139 États ont signé ses statuts à ce jour. Mémoire et Vigilance n° 31 - 15 septembre 2004 9 budget, pas de prison, pas d'accusé, pas de procureur. Il y avait onze juges, maintenant nous sommes seize. Onze juges venus des cinq continents, élus par l'Assemblée générale des Nations unies à la majorité absolue des États. Ces juges ne disposaient pas d'un code de procédure pénale, ni de règlement de procédure, ni de règlement de la détention, ni de règlement pour les avocats, ni de règlement intérieur. Nous nous sommes mis au travail, d'autant que nous n'avions pas de procès immédiats. Quels étaient les objectifs que poursuivait la création de ce tribunal ? Comme toute juridiction, un tribunal est fait pour poursuivre, juger, châtier ou acquitter. C'est la première mission de toute juridiction sur des bases démocratiques et sur des standards internationaux de droit humanitaire. S'agissant d'un tribunal international, un autre objectif se dessine, d'ordre pédagogique. Travailler pour l'histoire. Dire ce qui s'est passé, démonter le plan. Essayer de démontrer par exemple pour les générations futures qui a conçu la "purification ethnique", qui a eu l'idée de dire qu'un territoire doit être vidé de sa population parce qu'elle est musulmane (…) La troisième mission de ce tribunal est aussi prévenir la récidive, c'est-à-dire faire en sorte que ces événements ne se reproduisent pas et essayer de faire reculer l'impunité des chefs d'État, des chefs de gouvernement, des chefs militaires, de tous ceux qui ont une responsabilité dans le déclenchement des guerres.(…) Cette dimension est donc judiciaire, et politique, historico-pédagogique. J'en reviens à la procédure extrêmement complexe à mettre en œuvre. Nous n'avions pas de précédent. Le procès de Nuremberg a utilisé peu de procédure, le règlement de procédure faisait onze ou douze articles. Nous, lorsque le tribunal pénal international a été créé, s'étaient empilées cinquante années de conception de droit international humanitaire. Nous avons fait un code de procédure qui au départ était orienté vers un code de procédure anglo-saxon. Pourquoi ? Parce que les juges étaient en majorité originaires de ce système, mais surtout parce que les statuts, dans ses quelques dispositions, avaient indiqué quelques axes majeurs (il n'y avait pas de juge d'instruction, c'était le procureur qui assurerait la conduite des enquêtes mais aussi les poursuites à l'audience, et l'accusé, par exemple, serait son propre témoin s'il le souhaitait). C'est ainsi donc que nous avons commencé à fonctionner (…) Dès le départ, nous nous sommes heurtés au manque de coopération des États, et 10 Mémoire et Vigilance n° 31 - 15 septembre 2004 au manque bien sûr de coopération des États de la région. Je vous rappelle que le tribunal a été créé en mai 1993, les accords de Dayton qui ont mis fin à la guerre datent de juillet 1995. De sorte que pendant que le tribunal essayait d'arrêter les inculpés, la communauté internationale négociait la paix avec ces mêmes personnes. De ce point de vue, Nuremberg était dans une position plus confortable que nous à La Haye, et je dirais même aussi au Rwanda. Il est plus confortable que le sort des armes se soit prononcé avant la création d'un système judiciaire, espérant bien sûr que le sort des armes soit du côté du bien et non pas du côté du mal. (…) Au cœur de tout juge, il y a toujours une brûlure, et notamment pour le juge international qui vous parle, de savoir que le tribunal pénal international avait été créé depuis deux ans lorsque l'enclave de Srebenica est tombée, depuis cinq ans lorsque la guerre a repris au Kosovo. Peut-être l'arme judiciaire n'est-elle pas suffisamment forte ? Peut-être la justice n'est-elle pas le bras armé qu'on peut supposer ? Peut- être que la paix ne peut pas se faire sans justice mais il faut que la paix soit conquise par ceux qui sont du côté de l'ordre et de l'ordre de la paix publique internationale (…) Certainement, nous avons aidé un peu cette Cour pénale internationale, que depuis 1945 tout le monde civilisé appelle de ses vœux. Je crois que nous avons pu montrer que c'était faisable, possible, certes lentement, certes avec de grandes difficultés, mais que la justice internationale était possible (…) Nous avons peut-être un peu fait reculer l'impunité des chefs d'État qui, tyrans patentés, se croient toujours à l'abri soit dans leurs exils dorés, soit même lorsqu'ils choisissent malencontreusement une clinique pour faire soigner leur maladie. (…) Je crois que lorsqu'on crée un instrument de justice internationale aussi lourd que celui-ci, il faut bien travailler à l'intérieur avec modestie et ténacité, nous ne poursuivrons pas tout le monde, nous ne serons pas les seuls à pouvoir créer la réconciliation nationale. L’œuvre de justice internationale est en marche (...) C'est vrai qu'en œuvrant dans ce tribunal, j'ai pu vérifier ce que notre homme en débarquant sur la lune avait pu dire : "C'est un petit pas pour l'Homme mais c'est un grand pas pour l'Humanité". 3e trimestre 2004 Échos de nos délégations territoriales ■ Côte-d’Or Monique Coté a participé, en avril au stage national sur la transmission de la mémoire. Organisé à Kaysesberg en Alsace par la Fondation pour la mémoire de la déportation (FMD), ce séminaire comptait une douzaine de stagiaires venus de tous les horizons de France. Presque soixante ans après la libération des camps de concentration nazis, quelle signification peut revêtir un tel stage, surtout pour des personnes ayant elles-mêmes atteint la soixantaine ? Une grande partie des réponses se trouve dans le contenu du stage lui-même, les outils et les méthodes utilisés et surtout la très grande qualité des intervenants. En effet, soixante ans après, de grandes zones d'ombre occultent encore la connaissance et la mémoire de cette sombre période et suscitent toujours des interrogations. C'est tout le mérite de ce stage que d'apporter une connaissance argumentée et précise voire scientifique sur le nazisme, le système concentrationnaire, sur des notions de crimes contre l`humanité, de génocide, ou encore de négationnisme. Les interventions magistrales furent approfondies, enrichies par des échanges entre les intervenants, les témoins et les stagiaires. Des documents audiovisuels et une visite au camp du Struthof les étayèrent, encore (...) Soixante ans après, pourquoi transmettre cette connaissance du nazisme et des camps de concentration ? Là encore les réflexions apportées sur le message des déportés, sur l'importance et le caractère exceptionnel du système mis en place servent de miroir grossissant au fonctionnement de nos sociétés actuelles. ■ Marne Commémoration du soixantième anniversaire du passage du "train de la mort" à Saint Brice-Courcelles, à l’initiative de la DT, présidée par Jean Constant. C’est une bien émouvante cérémonie, coorganisée avec l’Amicale de Dachau, qui regroupa le samedi 3 juillet de nombreuses personnes dont des écoliers de CM2, de jeunes collégiens et collégiennes, des parents et amis ainsi que de nombreuses personnalités. En effet, nous étions tous réunis en gare de Saint-Brice Courcelles pour nous souvenir et rendre hommage aux déportés du train 7909, partis de Compiègne pour Dachau et dont le convoi fut stoppé dans ce village le 2 juillet 1944. Ce jour-là, durant plusieurs heures et sous un soleil de plomb, les déportés ont connu l’horreur absolue d’une promiscuité et d’une chaleur asphyxiantes (deux des wagons étaient des 3e trimestre 2004 wagons métalliques à l’ouverture desquels il n’y eut qu’un seul survivant). Mais ils ont aussi rencontré l’aide et la solidarité des habitants qui parvinrent à leur donner un peu d’eau malgré la surveillance des SS. Le moment le plus fort de cette cérémonie fut la remise de la médaille de la ville par M. Lescouet, maire de Saint-Brice Courcelles aux survivants présents à cette cérémonie et venus de toute la France. Très émus, les rescapés ont tous appelé les jeunes à la tolérance, au respect des idées de chacun et à la vigilance. ■ Vaucluse Une première réussie en Provence. Marchant sur les traces de la DT du Rhône, la DT du Vaucluse a réalisé son premier stage décentralisé de formation, modestement appelé stage régional de sensibilisation, "Histoire et transmission de la mémoire de la Déportation". Ce stage a rassemblé vingt-cinq participants soit un nombre à peu près idéal pour un groupe en formation dans une ambiance très chaleureuse. Si dix-sept venaient du Vaucluse, huit arrivaient de l'extérieur : trois de l'Hérault, trois de la région parisienne et deux de Marseille. Une heureuse ouverture, résultat des contacts fructueux entre les différentes DT du Sud-Est. À noter que si quatorze participants appartenaient à une DT, neuf étaient adhérents à une ADIRP. Sept enseignants dont cinq en activité participaient aux travaux. Une étudiante et un responsable syndical complétaient le groupe. Le stage était accueilli au centre de vacances de la CCAS de Montbrun-les-Bains, dans la Drôme provençale, sous la haute protection du Ventoux. La DT a apprécié l'aide apportée par l'équipe du stage national, la qualité des prestations et l'engagement de Patrick Blanc, directeur du centre, et de ses collaborateurs, la maîtrise de nos intervenants, Jean-Luc Bellanger sur le système concentrationnaire nazi, et Thierry Lambiel, professeur du cru, sur la montée du nazisme en Allemagne, la qualité des témoignages locaux délivrés par Jean Canale et Albert Cordola (tous deux anciens d'Eysse et de Dachau) et Claudine Fourrel, déportée à Ravensbrük, sans oublier l'aide financière de la trésorerie nationale. Félicitations à l'équipe qui a pris en main l'organisation (animation, environnement culturel avec Internet, CD-Rom, et surtout la magnifique exposition de la Fondation et les vidéos souvent bien choisies et émouvantes. Jean-Louis Clop, président, et Gérard Perrin, secrétaire, étaient heureux de ce franc succès et surtout de cette cordialité qui a marqué tout le week-end. Mémoire et Vigilance n° 31 - 15 septembre 2004 11 8 mai 2005 : Première mondiale de La voix de la mémoire, paroles de déportés Ce projet d’œuvre musicale, articulé autour de témoignages de déportés et de leur message pour les générations suivantes, est désormais celui de l’AFMD tout entière. es textes du livret ont été élaborés par Carole Lemée, membre des Amis, qui enseigne l’anthropologie à l’université de Bordeaux (elle s’était déjà intéressée aux traumatismes vécus par les survivants et aux mécanismes de transmission intergénérationnelle qui participent au "travail social" de la mémoire). Pour cette création, elle a recueilli les paroles des témoins selon les règles propres à sa discipline, avec le souci d’évoquer tous les visages de la Déportation. Ces textes ont ensuite été travaillés en accord avec les intéressés et des choix ont été opérés.(1) Daniel Galay, directeur du conservatoire Beyt Frankfurt de Tel-Aviv et spécialiste de la musique Klesmer (du nom des klezmorin, petites formations musicales qui jouaient dans les shtetlekn d’Europe centrale), a régulièrement rencontré l’AFMD lors de ses séjours à Bordeaux. En totale osmose avec les buts de l’association, il s’est spontanément proposé d’écrire une Daniel Galay, directeur partition pour la commémoration du conservatoire Beyt du soixantième anniversaire de la Frankfurt de Tel-Aviv libération des camps et de la victoire sur le nazisme. Sa partition, largement intelligible et très modulable, comporte des motifs musicaux qui rappellent la diversité des victimes des camps. Des musiciens de l’Orchestre national de BordeauxAquitaine ont également porté ce projet auprès du délégué général de leur institution. L 12 Mémoire et Vigilance n° 31 - 15 septembre 2004 L'équipe de l'AFMD de Bordeaux. Enfin, le réalisateur et enseignant Abdoul Dragoss Ouedraogo, connu pour ses fictions et documentaires, notamment pour le Mouvement Burkinabé des droits de l’homme, met gracieusement son savoir-faire au service de l’activité des témoins dans le cadre scolaire et du travail artistique. "Fondée sur un dialogue et sur l’altérité", cette œuvre est dédiée au souvenir mais aussi aux serments des camps, et rappelle le devoir de vigilance qui s’impose ici et ailleurs, aujourd’hui et demain. Deux versions, l’une orchestrale, l’autre pour une petite formation accompagnée de deux solistes, pourront circuler après la création dont la date a été retenue symboliquement le 8 mai, jour de la capitulation sans condition de l’armée nazie. (1) - Les paroles et textes sont notamment de Germain Bonnafon, Guy Chataigner, Jacques Grébol, Denise Holstein, Roger Leroyer, Thérèse Stopniki et Émile Soulu. 3e trimestre 2004 L’ACTUALITÉ EN BREF ➨ Allemagne : les Allemands la surnomme maintenant la vallée fasciste. Depuis la première fois en 1968, la Saxe vient de porter avec 9,2 % de voix, le NPD (Parti national allemand) au Parlement régional. Dans cette région, l’idéologie néonazie n’a jamais totalement disparu et, prospérant sur un chômage qui affecte la population, le NPD y a renouvelé ses rangs. Crédité par les services de police de 5 000 membres, il vient d’y engranger un succès électoral inquiétant. De son côté, la DVU (Union du peuple allemand), créditée de 11 500 adhérents, a obtenu 6,1 % des voix en Brandebourg. Ces deux partis néonazis ont décidé de présenter liste commune en septembre 2006 lors des élections au Bundestag. ➨ Allemagne bis : l’héritier d’un industriel - Friedrich Flick - qui avait fait fortune en tant que principal fournisseur d’armes du IIIe Reich et ayant exploité plus de 60 000 travailleurs forcés, n’a aucun état d’âme. Friedrich-Christian Flik junior, dit "Mick", expose une immense collection d’art contemporain, riche de 2 500 œuvres de 150 artistes, dans l’ancienne gare du Nord de Berlin, collection bien sûr acquise grâce aux dividendes de l’esclavage concentrationnaire. ➨ Alsace : le village d’Hipsheim (Bas-Rhin), a accueilli malgré lui un rassemblement de près de 200 skinheads néonazis. Comme d’habitude, la location de salle fut faite par un particulier pour un "tournoi sportif suivi d’un repas convivial". Slogan White Power, svastikas, chants à la gloire du Troisième Reich ont déferlé dans ce lieu privé. Bien encadrés par leur service d’ordre, ils n’ont pas commis, au dire des autorités municipales, de troubles à l’ordre public qui auraient justifié une intervention policière. Ces réunions fermées, où les participants font en toute impunité l'apologie du nazisme, tombent dans un vide juridique. Le président local de la LICRA propose de créer un "délit de réunion nazie". ➨ Auschwitz et la méthode Cauet : l'animateur Arthur quitte la station musicale Fun Radio. Il refusait de cohabiter avec un autre animateur Cauet, à qui il reproche d'avoir, en 1995, comparé le camp d'Auschwitz à un "parc d'attractions". L'animateur avait ensuite présenté ses excuses. Arthur répond : "Que des excuses aient été faites, sincères ou non, c'était la moindre des choses. Pour ce qui me concerne, tout comme pour ma communauté, ces dérapages ne sont pas acceptables." ➨ Corse : Clandestini Corsi, qui a revendiqué sept attentats antimaghrébins en Corse, a mis en garde l'association antiraciste Ava Basta et la Ligue des droits de l'homme pour leurs propos condamnant ces attentats. Les deux organisations ont organisé un rassemblement le 18 septembre à l'université de Corte contre ce groupe qualifié de "fascisant" par le délégué de la LDH en Corse. Quatre cents personnes, dont les responsables nationalistes, se sont réunies pour dénoncer les violences racistes dans la région. ➨ Douaumont : la police a arrêté un jeune néonazi accusé d'avoir tagué le mémorial juif de Douaumont. L’arrière-grand-père de ce jeune homme était maire d’une des sept communes rayées de la carte par la guerre de 14-18. Comme d’autres enfants de la 3e trimestre 2004 région, il avait grandi près des forêts où l’on continue encore à ramasser des douilles. L’adolescent à la dérive changea peu à peu de look, arbora croix celtique et treillis, orna sa chambre du drapeau sudiste des esclavagistes américains et peu à peu, se bricola un petit corpus fasciste. Il est incarcéré à la prison de Nancy. Il a avoué son forfait et a confié être "soulagé d'un fardeau". ➨ Grenoble : "Elle ne voulait pas vendre à des gens comme ça." Le tribunal correctionnel de Grenoble vient d’infliger une peine de prison avec sursis et une amende de 10 000 euros à la propriétaire d’un terrain qu’elle refusait de vendre à un Français d’origine algérienne, bien qu’il présentait toutes les garanties financières requises. Poursuivie pour "discrimination raciale dans la vente d’un bien" par le MRAP et SOS-Racisme, qui s’étaient constitués parties civiles, elle a déclaré faire appel. Décision à suivre qui, nous l’espérons, confirmera ce premier jugement, signal fort qui rappelle que les droits sont les mêmes pour tous. ➨ Lyon : Un jeune homme s'est livré au commissariat de la Goutted'Or à Paris. Il s'est présenté comme "Phinéas", du nom du personnage qui avait signé les profanations du cimetière juif de Lyon en août et avait agressé un maghrébin avec une hachette à Villeurbanne. Les Prêtres de Phinéas (du nom d’un personnage biblique qui assassina un couple coupable à ses yeux de vivre dans le péché) sont nés aux États-Unis au début des années 1990 sur les décombres d'un des plus importants mouvements néonazis américains, l’Aryan Nations. Il aurait voulu commettre un "acte initiatique" dans la mouvance de l'extrême droite. ➨ Lyon III : Il y a quinze ans, le numéro un du Front national déclarait que les chambres à gaz étaient "un détail" de l'histoire. C'est au tour du délégué général de ce parti d'enfoncer le clou en indiquant : "... sur le nombre de morts, les historiens pourraient en discuter. Quant à l'existence des chambres à gaz, il appartient aux historiens de se déterminer." Ces propos inacceptables relèvent bien évidemment de la loi et doivent être sanctionnés. Ils ont été proférés (ce n'est pas un hasard), au lendemain de la remise, au ministre de l'Éducation nationale, du rapport de la Commission sur le racisme et le négationnisme à l'Université de Lyon III (où Bruno Gollnisch enseigne le japonais et le droit). Un rapport accablant pour cette université dont les idées d'extrême droite sont "constitutives de sa création", dont les recrutements récents conforment la volonté de "transmettre l'héritage idéologique du noyau originel" et dont la complaisance du conseil scientifique à l'égard de "travaux médiocres sur le plan scientifique" est épinglée. Le délégué général s'est en outre livré à une attaque personnelle, raciste et ignominieuse contre Henri Rousso, historien responsable des travaux de la commission, en mettant en cause sa "neutralité" au motif de ses origines juives. ➨ République tchèque : des symboles nazis et des insultes antisémites ont été tagués sur un monument inauguré le 18 octobre 1994 pour marquer le cinquante-cinquième anniversaire du premier convoi de juifs déportés. Mémoire et Vigilance n° 31 - 15 septembre 2004 13 NOTES DE LECTURE ➨ Mémoires de déportés : histoires singulières de la Déportation, de Patrick Coupechoux, préface de Pierre Vidal-Naquet, La Découverte, 25 euros. L’auteur, fils de déporté, motivé de l’impérieux besoin de reconstituer le douloureux parcours de son père, est parti en quête d’autres histoires singulières. Il a ainsi rencontré vingt-neuf rescapés des camps, dont la plupart n’avaient jusque-là jamais écrit. L’originalité de ces témoignages réside dans la démarche de l’auteur, qui a guidé ses entretiens afin que les témoins retrouvent leurs sensations d’alors, et son souci de rigueur qui l’a conduit à recueillir l’avis d’historiens sur les faits livrés. La présentation de ces récits adopte une progression chronothématique, chacune des sept séquences (avant la déportation, le transport, au-delà de l’enfer, etc.) faisant l’objet d’une mise en perspective historique. Les propos des témoins sont enrichis de notes qui éclairent les lecteurs. Ce recueil illustre parfaitement le propos du préfacier Pierre VidalNaquet, selon lequel si on ne construit pas l’histoire en mettant bout à bout les témoignages, l'histoire s'écrit avec les témoins. Danièle Baron Sachsenhausen au kommando de Heinkel, d'où une lettre rédigée par l'auteur apprendra à la maman de notre secrétaire général, André Lassague la mort de son mari. Un bien fraternel "Ailleurs demain". C. Breton ➨ La DT de Haute-Savoie (74) nous informe de la parution fin 2003 du livre "La tragédie de SaintEustache", conçu et édité par cette mairie et l'Association des familles des déportés de cette commune. Le mercredi 22 décembre 1943, trois soldats allemands sont tués au hameau de Lavray. La réaction est immédiate : le 31 décembre, la Wermacht, les SS et la Gestapo encerclent plusieurs hameaux de la commune. Vingt-huit habitants - plus de 10 % de la population - sont arrêtés, vingt-quatre seront déportés, quatre connaîtront la victoire sur le nazisme. À commander à la mairie de Saint-Eustache 74410, 95 p., 18 euros. C. Breton ➨ Notre adhérent parisien Siegmund Gingold vient de publier "Mémoires d'un indésirable" ; juif, communiste et résistant ; un siècle d'errance et de combat ; un chapitre est consacré aux Allemands dans la Résistance française. ➨ Ailleurs demain, Louis Rivière, Éditions Tirésias, Éditions L'Harmattan, coll. Mémoires du XXe siècle, 152 p., 14 euros. C.B. 2004, 193 p., 14 euros. "Tu nous évoques ta chair, ton verbe, ta mère et les camps où la mort tient la place à tes frères de tragédie", écrit ➨ Marie Viguié-Moreau, adhérente de l’AFMD, publie l'éditeur en préface. C'est bien ce que l'on ressent en lisant "Les Orphelins de la Saint-Valentin - Histoire vraie ce témoignage d'un des premiers adhérents de d'une enfance brisée". À travers son vécu de petite fille l'association, et bien plus : ses combats politiques, ses de six ans en 1940, elle s'attache à rappeler les rencontres dont celle, par exemple, de Guy Môquet, ses conséquences traumatisantes subies par les enfants de copains basques, espagnols, sa trajectoire de déportés. Éditions L'Harmattan, 481 p., 11 euros. C.B. La Résistance locale en CD-Rom L’Association pour des études sur la Résistance intérieure (AERI, affiliée à la Fondation de la Résistance) a entrepris l’édition de CD-Rom (voire de DVD-Rom) départementaux consacrés à la Résistance. Une opération qui a reçu l’aide de certains centres régionaux de documentation pédagogique et de diverses associations. Ces CD-Rom réunissent nombre de matériaux et données sur l’implantation des mouvements et réseaux, les acteurs, les formes de résistance et la chronologie des faits locaux, resitués dans le contexte global. Les archives ont largement été explorées et mises à contribution, ce qui confère à ces outils multimédias le caractère de véritables banques de données. Ils sont accompagnés de livrets pédagogiques rédigés par des historiens. Des supports qui s’avéreront donc fort utiles, notamment pour le Concours national de la Résistance et de la Déportation. Diverses entrées thématiques permettent aux utilisateurs des CDRom de suivre des parcours : lieux, personnages, etc. Plusieurs départements sont d’ores et déjà couverts par ce projet : Calvados, Ile-de-France, Yonne, Haute-Marne (pour lequel Christian Bardin, président de la DT 52, a donné de sa personne). Ces CD-Rom peuvent être commandés en ligne sur le site de l’AERI (www.aeri-resistance.com) ou au siège de cette association : 16-18 place Dupleix - 75015 Paris (Tél. : 01 45 66 62 72). 14 Mémoire et Vigilance n° 31 - 15 septembre 2004 3e trimestre 2004 Célébrer et agir dans le présent : point de vue L es multiples festivités de la commémoration de la libération de la France ont ponctué tout l'été. Elles ont honoré à juste titre celles et ceux qui ont contribué, après des années d’occupation, de pillage, de meurtres, à rebâtir une société fondée sur des valeurs de liberté, d’égalité, de fraternité. Festivités qui ont aussi donné l’occasion d’opérer un retour sur l’histoire et de se réjouir de quelques-unes de ses inflexions : il est heureux, par exemple, que le rôle des Espagnols dans la libération de la capitale, si souvent oublié, ait été souligné par les officiels. Néanmoins, ces célébrations furent troublées par quelques "faits divers" révélateurs d’un climat malsain : paradoxe qui souligne que célébration n’est pas conjuration des maux présents. Illustratif à cet égard fut celui du RER Comment des esprits avisés ont-ils pu suivre le sillon tracé par l’affabulatrice du RER, qui véhiculait les clichés les plus éculés du racisme sur les juifs, sur les Arabes et les Noirs, "violents et cruels", hélas largement partagés ? Comment intellectuels, presse, responsables, ont-ils pu disserter sans fin sur ces agresseurs imaginaires ("quatre Maghrébins et deux Noirs" précisait-elle), et accuser indistinctement "les nazis de banlieue" ? Tous nazis les jeunes des banlieues ? Quel amalgame insupportable ! Quelle dérive sémantique inacceptable pour ceux qui furent victimes du nazisme ! Pourquoi, enfin, contraints de reconnaître leur erreur devant l’évidence, certains persistèrent à voir en une simple mythomane la Pythie des temps modernes "disant le vrai avec du faux" ? Qui ne voit qu’un tel discours va à l’inverse des maux qu’il prétend combattre ? Plus que jamais, nous devons réagir sans faille, mais en toute lucidité, sans céder à l’emballement médiatique, à chaque fois qu’un acte raciste est avéré. Relevons un second paradoxe : au moment où les plus hautes autorités invoquent l’héritage des valeurs de la Résistance, chacun peut constater que certaines de ces valeurs sont bafouées. Le programme du Conseil national de la Résistance posait comme principe le "droit au travail" : combien de citoyens en sont aujourd’hui privés malgré eux ? Il indiquait que tout travailleur devait bénéficier d’un salaire décent : économistes et sociologues se penchent sur les "salariés pauvres". Il affirmait la nécessaire indépendance de la presse : on la voit aux mains d’intérêts privés et soumise (et avec quelles contreparties) à leur manne publicitaire. Héritière de ces valeurs de la Résistance, la Charte des Nations unies proclamée en juin 1945 après la capitulation nazie, déclarait vouloir "préserver les générations futures du fléau de la guerre" et garantir "l’égalité des droits des hommes et femmes et des nations". Force est de constater que de nombreux conflits armés régionaux, faute d’être prévenus ou arbitrés à temps par les voies pacifiques, ravagent notre terre et qu’au concept de prévention des guerres tend à se substituer son opposé, celui de la "guerre préventive". Force est aussi de constater que le terrorisme le plus abject (on se souviendra longtemps des enfants terrorisés de Beslan), doit être combattu dans ses manifestations barbares, qu’il faut juger les criminels (pourquoi pas devant la Cour pénale internationale ?), mais qu’il convient aussi de s’attacher à résoudre les injustices criantes et les dénis de souveraineté des peuples qui en fournissent les prétextes et les exécutants. La célébration, quelque brillante et unanime qu’elle soit, ne dispense donc pas d’agir dans le présent pour faire vivre les valeurs héritées de la Résistance : bien au contraire ! L’année 2005, nous commémorerons le soixantième anniversaire de la libération des camps de concentration et d’extermination nazis. Nous espérons que les autorités comme les médias donneront à cet événement autant d’écho qu’aux commémorations de 2004 et qu’ils évoqueront largement à cette occasion la Déportation, les camps nazis de concentration et d’extermination. De multiples projets, venus d’autres horizons, fleurissent déjà : à nous de les accompagner. À nous aussi d’en susciter. Par ailleurs le thème proposé aux collégiens et lycéens pour le Concours national de la Résistance et de la Déportation constituera une formidable occasion d’aider les témoins à porter témoignage devant les jeunes et d’utiliser les documents élaborés par la Fondation. Et nous aurons aussi à montrer que le crime contre l’humanité, notion issue de l’expérience concentrationnaire, n’appartient pas seulement au passé : chaque fois qu’un être humain est nié dans son appartenance à l’espèce humaine, nié dans ses différences ou persécuté en raison même de celles-ci, c’est la famille humaine qui est visée et il appartient à tous, toutes générations confondues, de la protéger. Cette commémoration est donc bien inscrite dans le présent ! ■ Danièle Baron La Commission paritaire des Publications et Agences de Presse nous fait obligation de présenter une comptabilité complète des recettes inhérentes à la vente au numéro ou par abonnement du bulletin "Mémoire et Vigilance". Elle nous interdit de procéder à la distribution gratuite des numéros de la revue. En conséquence "Mémoire et Vigilance" est expédié aux seuls abonnés. Mémoire et Vigilance - Bulletin trimestriel de l’AFMD (Association loi de 1901) - 31 boulevard Saint-Germain - 75005 Paris Tél : 01.43.25.84.98 - Fax : 01.43.29 58.92. Directeur de publication : D. Baron. Commission paritaire N° 0501 G 78817 Prix du numéro : 3,5 Euros. Abonnement : 10 Euros. Imprimerie et routage : Presse-Pluriel - 19 rue Frédérick Lemaître - 75020 Paris. 3e trimestre 2004 Mémoire et Vigilance n° 31 - 15 septembre 2004 15 ASSOCIATION DES A © FMD POUR LA DE LA MÉMOIRE DÉPORTATION Association culturelle (loi du 1er juillet 1901) J.O.A n° 1336 du 7/2/1996 BULLETIN D’ADHESION 2004 ou de RENOUVELLEMENT DE COTISATION (rayer la mention inutile) NOM _____________________________________ Prénom ________________________ Année de naissance _______________________ Profession _______________________ Adresse __________________________________________________________________ Code postal ____________________ Ville ______________________________________ Téléphone __________________ Fax __________________ Email _________________ déclare avoir pris connaissance des statuts, les accepter, en approuver l'objet et, en conséquence, adhérer à l'AFMD date : Signature : Votre motivation : déporté ou interné ❏ dans les deux premiers cas, dans quel(s) camp(s) ? : parent ❏ sympathisant ❏ _____________________________________ adhérez-vous à une organisation d’anciens déportés, si oui, laquelle ? ________________________ Pouvez-vous aider les membres du bureau de la structure locale de votre département ? ____________ Personne morale (associations, entreprises, établissements scolaires, etc.) Cotisation à partir de 50 Euros : ________ Personne physique Cotisation - de membre (22 Euros) : - ou de soutien (35 Euros) : - ou de bienfaiteur (50 Euros) : _____________ Euros _____________ Euros _____________ Euros Don : _____________ Euros Abonnement au bulletin “Mémoire et Vigilance” : 10 Euros 4 numéros par an Pour l’année 2004, je verse donc, par chèque, __________ Euros, à l’ordre de l’AFMD. Je recevrai ma carte d’adhérent et un reçu fiscal concernant le montant de ma cotisation et de mon don éventuel. Le secrétariat vous remercie de ne pas agrafer votre chèque au bulletin. Je souhaite que, de ma part, vous informiez la ou les personnes(s) suivantes des activités de l’AFMD : NOM(s), PRÉNOM(s), ADRESSE(s) - écrire en majuscules, S.V.P. AFMD - 31 bd Saint-Germain - 75005 PARIS Tél. : 01 43 25 84 98 Fax : 01 43 29 58 92 Email : [email protected] Site Internet http//www:afmd.asso.fr