L`exigence d`efficacité dans l`enseignement du portugais

Transcription

L`exigence d`efficacité dans l`enseignement du portugais
L’exigence d’efficacité dans l’enseignement du portugais
Terezinha Pereira Lecompère et
Ana Cristina Lima Lecompère
Introduction
Le but de cet article est d’expliquer notre démarche dans le cadre de l’enseignement de
la langue portugaise sous deux contraintes très fortes au sein des grandes écoles
d’ingénieurs (AgroParisTech, ENSTAParisTech, MinesParisTech). La première de ces
contraintes a trait au volume d’heures1 octroyé aux cours, la deuxième à la commande
précise des écoles, c’est-à-dire que les étudiants soient capables de maîtriser la langue
portugaise, soit pour préparer un double diplôme d’ingénieur, soit pour faire face à des
situations de communication orale et écrite dans le cadre d’un stage.
Au-delà de ces deux contraintes, il est important de signaler que le portugais est très peu
enseigné en France, qu’il s’agisse du collège, du lycée ou des universités. Ainsi, tous les
élèves qui choisissent le portugais sont des débutants. Ce n’est que depuis que des échanges
bilatéraux entre l’enseignement supérieur en France et celui du Brésil donnent lieu à des
conventions d’enseignement qu’il y a un intérêt certain pour l’apprentissage de la langue
portugaise.
Un atout important cependant, et que nous utilisons pour faciliter l’apprentissage de la
langue, est que le portugais est une langue néo-latine tout comme le français, l’espagnol et
l’italien. Ces quatre langues partageant, à quelques différences près, les mêmes structures
grammaticales de base, un vocabulaire très proche, les racines ou paradigmes presque
identiques et la conversion de certains suffixes rendus aisés, par exemple : « affinité,
afinidade », alors que les préfixes sont pratiquement les mêmes (adjoint, adjunto).
Concernant ces traits communs, il est important d’apprendre aux élèves la noncorrespondance de certains éléments des champs sémantiques proches, donc de leur apprendre
les nuances sémantiques qui ne sont pas les mêmes dans les français et le portugais par
exemple « compromis » est « engagement » en portugais. Concernant le langage scientifique
et technique, ceux-ci comportent rarement des nuances sémantiques différentes pour les mots
spécifiques à ce champ « biologie, biologia, informatique, informática… », etc.)
Concernant l’importance de l’apprentissage de la langue portugaise, les lusophones sont
aujourd’hui environ trois cents millions dans le monde. Le portugais est parlé dans tous les
continents. En outre le Brésil, pays émergent avec un PIB de 8,8% du PIB mondial offre des
opportunités de stages pour les futurs ingénieurs dans presque tous les secteurs économiques,
à savoir l’agriculture (3ème exportateur mondial, premier pour certains produits), les secteurs
industriels, notamment, en construction aéronautique, maritime, pétrole énergies
renouvelables, télécommunications…
L’exigence de la mise en place d’une pédagogique active
Etant donnée les deux contraintes fortes : temps impartis et la commande, nous estimons
nécessaire la mise en place d’une pédagogie très active et efficace pour l’enseignement du
portugais. L’efficacité recherchée repose donc sur deux démarches pédagogiques majeures.
La première démarche consiste en la conception des objectifs précis et contextuels
1
Nous disposions jusqu’à présent d’environ 60 et 120 heures des cours pour deux années ;
nous aimerions bien sûr, comme pour les autres langues, disposer de beaucoup plus de temps
1
d’enseignement ; ce qui veut dire le recensement de toutes les situations de communication
dans lesquelles vont se trouver confronter les étudiants dans le pays d’accueil. Ces situations
de communication, c’est à dire les « actes de parole »2 menant à des situations de
communication réelles, sont ainsi intimement liés aux activités qui seront vécues dans le pays,
soit dans un cadre académique, soit dans le cadre d’un stage professionnel mais aussi lors des
activités de leur vie quotidienne.,
Paradoxalement, cette première approche contextuelle exige que l’on opère aussi un
« resserrement » des contenus des objectifs qui ont été définis en termes de capacités ou
d’« actes de paroles » à enseigner aux étudiants dans le temps imparti. Il exige aussi de créer
les situations de communication réelle et adaptée aux simulations en classe. La deuxième
approche exige que ce resserrement n’appauvrisse pas la langue de ses richesses
sémantiques, de ses différents niveaux de langue - populaire, soutenue – ainsi que de sa
dimension culturelle, et que l’on puisse mettre en valeur les trois composantes culturelles de
la langue portugaise du Brésil : indigène, européenne, africaine.
Ainsi, la première approche nous oblige à maintenir dans un cadre précis et dans les
limites du temps imparti. Tout en nous rapprochant du réel projeté par l’enseignement, nous
devons considérer tout ceci comme nécessaire à la performance langagière des étudiants.
La deuxième approche permet à cette performance langagière de devenir plus dense et plus
riche avec un élargissement des situations de communication et le travail sur des textes
différents.
Dynamiser l’enseignement pour dynamiser l’apprentissage
Pour dynamiser notre enseignement, nous pensons qu’il faut absolument procéder à
l’organisation d’une progression non linéaire3 des acquisitions orales et écrites des
structures grammaticales dépendantes des dialogues, c’est-à-dire des actes de paroles liés aux
situations, de susciter sans relâche la participation individuelle et collective des étudiants à
travers de jeux de rôles, d’encourager les étudiants à transférer les structures connues dans
d’autres situations sociales de communication nouvelles et en créer d’autres dialogues sur des
thèmes qui leur sont chers (sports, loisirs, culture…, etc.), de réaliser des exercices écrits de
mémorisation et de consolidation. Il est donc fondamental qu’ils ne soient pas passifs :
transmissions/réception mais aussi transmission/action, réutilisation de ce que l’on vient
d’apprendre dans d’autres situations.
Pour dynamiser l’apprentissage, quelques faits de connaissance, entendus comme des
faits avérés sur le fonctionnement des langues sont importants à transmettre afin de les
encourager à développer une démarche active d’appropriation de la langue. Ces faits de
connaissance ont pour but de lever des obstacles d’ordre affectif4 sur la pratique d’une
langue et qu’ils expriment la plupart du temps ainsi : « non, je ne suis pas doué pour les
langues », « les français ont du mal avec les langues étrangères».
2
Cf. Le Niveau Seuil des compétences de la Communauté Européenne pour les langues
vivantes
3
Sans tomber dans une progression linéaire basée sur une pédagogie strictement scolaire du
genre : « il faut apprendre le présent avant le passé ou apprendre les articles avant la
contraction de ces derniers avec tels prépositions. La progression grammaticale est dictée par
leur apparition dans des situations de communication car l’apparition de ces formes dans des
dialogues donne l’occasion unique de les présenter
4
Affectif dans le sens d’inhibitoire, qui paralyse l’acte de parole
2
Ainsi, pour une compréhension plus objective de ce qu’est l’apprentissage d’une
langue, nous leur exposons quelques faits que nous estimons irréfutables sur l’apprentissage
d’une langue, fusse-t-elle maternelle ou étrangère :
Nous, sujets parlants, nous sommes tous en possession d’un appareil
phonatoire prêt à capter et reproduire des sons, des structures sonores
inhérentes à n’importe quelle langue, même si nous la déformons plus ou moins
en raison du filtre de notre langue maternelle. Ainsi, plus nous essayons
d’imiter la structure sonore d’une nouvelle langue, plus nous nous rapprochons
de sa réalité ;
Les mots statistiquement les plus fréquents d’une langue sont ce que linguistes
appellent les « mots outils » : article, prépositions, conjonctions,… ; de plus, ces
mots outils constituent des ensembles finis donc facilement mémorisable ;
Les nouveaux mots d’une langue appartiennent tous aux groupes des verbes
réguliers, si vous apprenez les formes verbales d’un verbe, vous serez capables
de conjuguer l’ensemble infini des verbes du groupe de référence. Pour le
portugais du Brésil, il n’existe que quatre formes verbales qui dans la
communication couvrent l’ensemble des pronoms des autres langues, y compris
du portugais du Portugal (le portugais du Brésil a pratiquement évacué de l’oral
et de l’écrit le « tu » et le « vous ») ;
Les verbes irréguliers font partie d’un ensemble restreint mais statistiquement
très fréquents car ils peuvent aussi fonctionner comme auxiliaires de
pratiquement tous les autres verbes.
Il reste ensuite aux étudiants de mobiliser leurs pratiques linguistiques d’autres langues
pour l’apprentissage de la nouvelle langue, et nous les y encourageons fortement, sans quoi
pas de préparation de double diplôme ou de stage réussi dans toute sa profondeur.
Il nous reste ensuite à définir les objectifs pédagogiques et à les transformer ensuite en
objectifs opérationnels, autrement dit, des objectifs d’enseignement et d’apprentissage ancrés
dans des situations de communication auxquelles les étudiants feront face dans le pays
d’accueil.
Objectifs d’enseignement et d'apprentissage :
Pour les débutants
Tous les objectifs définis ci-après visent à une communication orale et écrite le plus
efficace et dynamique possibles. Nous possédons aussi une « réserve » d’objectifs dans le
cas où la progression du groupe s’avérerait plus rapide.
Les objectifs généraux
Communication orale:
Parler le portugais dans les situations de la vie quotidienne (savoir se présenter
et présenter son projet)
Savoir demander et donner des informations
Savoir commander un repas dans un restaurant
Faire des courses
Chercher un logement, la rue d’une connaissance
3
Décrire des personnages, paysages, objets
Commenter des programmes de télévision, des films, ...
Exprimer une opinion
Communication écrite:
Etre capable de comprendre et classer différents types de textes (actualité, textes
littéraires, contes africains, indigènes, portugais, européens, textes techniques en
lien avec la formation d'ingénieur)
Ecrire des résumés des textes
Savoir écrire un CV et des lettres (officielles, privées), des résumés, des rapports
Savoir écrire une lettre de motivation, se présenter en tant que chef d'un projet
professionnel
Les objectifs généraux se déclinent en objectifs opérationnels. Nous donnons ci-après
quelques exemples et quelques supports pédagogiques facilitant leur atteinte.
Les objectifs opérationnels
Objectifs Opérationnels : Etre capable de
S’identifier et identifier les autres, se
présenter dans différentes situations
sociales
Supports Pédagogiques et participation
Modèles de dialogue, propositions de
nouvelles situations
Construction de nouveaux dialogues, utilisant
les structures
Mémorisation du vocabulaire
Demander et donner des informations
Idem
Modèles de dialogue, cartes, signes code de la
route
Savoir s’orienter dans l’espace et le temps
Aller au Restaurant, choisir et demander un Noms, publicité restaurants, menus,
repas
Décrire son état physique, son humeur…
Maladies, joie, tristesse…
Consulter un médecin, un dentiste….
Simulations des états physiques
Chercher un hôtel, un appartement, une Lecture de petites annonces
auberge, un gîte
Acheter des journaux, des habits, des Journaux, catalogues, publicités…
meubles…
Dire et demander les heures
Horloges, montres
Connaître et présenter des données de sa Textes sur les sujets, graphiques, cartes,…
discipline
Savoir décrire les traits physiques Profils, dessins, caricatures
psychologiques
des
personnes,
des
paysages
Exprimer son opinion sur le cinéma, un
programme de télévision
4
Comprendre et élaborer une recette Recettes variées, description produits
culinaire, la composition des aliments
Connaître et parler de coutumes
Comprendre et chanter des chansons
portugais
Textes, contes…
en CD, textes de chansons, poèmes, Contes,
codes culturels
Comprendre les symboles du code de la Affiches, cartes
route
S’informer sur les évènements scientifiques Vidéos, reportages, articles
liés à sa discipline ou d’autres, sportifs,
culturels, être capable d’en débattre
Se présenter en tant que chef d'un projet Plaquette de présentation des projets dans son
professionnel
domaine
Ces objectifs visent à atteindre le niveau A2+/B1 du CECRL à la fin de la première
année.
Quelques exemples d’objectifs généraux pour la deuxième année :
- Consolider sa pratique de la langue orale en développant son aisance dans la
construction des phrases complexes à l’oral et à l’écrit
- Comprendre et pénétrer la culture brésilienne dans ses trois composantes : européenne
(portugaise), africaine et indigène, et sa synthèse (histoire du Brésil, de la musique, les
contes,…)
- Lire de façon rapide et efficace différents types de textes : littéraires, journalistiques,
techniques, humoristiques…
- Ecrire différents textes : littéraires, journalistiques, techniques, lettre de motivation,
CV, textes humoristiques…
- Réaliser des rapports, mini-conférences, articles sous formes des comptes-rendus…
sur des thèmes diverses.
5
Objectifs Opérationnels (2ème année)
Etre capable de :
- Dialoguer dans différentes situations de la vie quotidienne, estudiantine et
professionnelle, et résumer des textes sur les sports, la musique, art, la littérature, la
poésie, l’agriculture, l’économie…
- Assister à des films, des vidéos, des spectacles….
- Etre capable d’écrire des textes courts de tout genre
Contenus
- Comprendre la structure des phrases et son comportement générationnel : position des
mots/permutations sur les axes des coordonnées et des abscisses : substantifs, (nom),
pronom, verbe, adjectif, adverbe, article, pronom
- Conjugaison des verbes, concordance de personne, temps et mode
- Augmentation constante du vocabulaire adapté aux futurs dialogues, textes
Mode d’animation ou gestion pédagogique des cours
- Présentation du thème et rapide explication de la structure sous-jacente à travers des
exemples (Professeur)
- Appropriation du thème et des structures (Elève)
- Apprentissage mémorisation, et utilisation immédiate et postérieure du vocabulaire
- Régulièrement une présentation d’un thème choisi par l’élève
- Présentation d’un texte choisi par le professeur (une fois par mois)
- Débats collectifs sur des thèmes ( élèves et professeur, deux fois par mois)
- Organisation de mini-conférences (professeur et élèves à la fin de l’année scolaire)
Méthodes pédagogiques:
Les méthodes actives consistent à encourager les étudiants à se servir de la langue portugaise
dès le premier cours tenant compte de tout ce qui a été visé précédemment. Cela suppose un
entraînement régulier de l'expression orale à savoir des dialogues dans différentes situations
de la vie quotidienne, des jeux de rôle, des descriptions, des entraînements réguliers de la
compréhension orale (vidéo, audio), un entraînement à la musique de la langue (rythme,
accent, intonation) par des chansons, lecture d'une grande variété de textes, rédaction de
textes: transformation d'un texte descriptif en langage poétique, description de paysages et de
personnages, résumés…
Méthodes d'évaluation :
Contrôle continu (évaluation régulière de l'expression orale au travers de jeux de rôle et
dialogues; exercices de grammaire, tests de vocabulaire; textes écrits; participation active au
cours; progrès) et en examen final.
Résultats de l’enseignement et de l’apprentissage
Les résultats du double processus d’enseignement et d’apprentissage sont attestés par une
évaluation en « temps réel ». En effet, une fois au Brésil, les étudiants nous communiquent
leur aisance en relation à la compréhension orale des leurs cours, de leurs professeurs et les
6
quelques difficultés en relation à la compréhension de leurs camarades étudiants5. D’autre
part, le service international d’AgroParisTech6 lors de ses contacts avec les institutions
brésiliennes constate la satisfaction des professeurs brésiliens vis-à-vis des étudiants envoyés
par l’établissement. Concernant les étudiants, à la fin de l’année scolaire 2010/11, nous leur
avons proposé d’évaluer notre enseignement à travers un questionnaire d’enquête, sur les 18
étudiants ayant participé à l’évaluation, seul un étudiant classe l’importance du travail sur les
chansons au dernier rang, des activités proposées.
Conclusion
Chaque année, nous constatons une évolution du nombre d’étudiants de portugais dans les
trois écoles. En 2010, les cours de portugais ont accueilli 61 étudiants : 39 dans un cursus
obligatoire, 22 en cours « hors horaire ». De ces 50 étudiants, 11 venaient des Mines, Chimie,
EV et GTESD, les 39 autres d’Agro et 10 de L’ENSTA.
Parmi les étudiants des cursus obligatoires : 15 sont partis au Brésil dont trois pour préparer
un double diplôme, la demande pour le double diplôme a été plus forte que les places
disponibles à l’Agro. Parmi les étudiants des cours « hors horaires », trois sont partis au
Brésil et trois essaient d’obtenir un stage.
La fréquentation des cours
Elle est de 99% pour les cours obligatoires, Pour les cours « hors horaires », elle est de 70%
pour les cours de perfectionnement, en tenant en compte, des départs décalés dans des
activités de trois écoles. Elle est de 90% pour les débutants en tenant aussi compte, des
départs décalés dans des activités de trois écoles.
Les acquisitions
100% des objectifs pédagogiques ont été atteints pour les obligatoires et 90%, dépendant de
l’implication (assiduité, participation,..), pour les élèves « hors horaires ».
Innovation possible
L’ENSTA met en place des stages dits ouvriers en première année. Elle encourage les
étudiants à réaliser ce stage de trois mois7 dans les pays étrangers. L’année dernière trois
étudiants sont partis au Brésil à la fin de l’année scolaire. Les étudiants ont réalisé une
immersion dans la langue et la culture avec un professeur de portugais sur place et ont ensuite
réalisé leur stage auprès d’un centre technique. Les résultats en langue orale sont
extraordinaires. Nous, professeurs, envisageons de créer une « Plateforme d’immersion en
portugais » sur ce modèle et de le proposer aux autres écoles.
En guise de conclusion, nous souhaitons que cette expérience que nous pensons unique, et qui
ne l’est peut-être pas, encourage les professeurs de langue à échanger sur leurs pratiques afin
de créer un espace de réflexion, d’échange et donc d’enrichissement pour l’enseignement des
5
Les étudiants brésiliens privilégient dans leur communication des mots de l’argot qui leur
convient bien plus que la langue « standard »
6
Les échanges entre AgroParisTech et le Brésil sont bien plus intensifs et anciens ; Ensta et
Mines sont plus récents
7
Pour un séjour de trois mois, le Brésil délivre facilement un permis de séjour. Le Brésil
applique les mêmes conditions d’entrée dans le pays que ses partenaires dans le cadre des
échanges bilatéraux
7
langues. Nous sommes bien sûr ouvertes et accueillerons avec enthousiasme toutes critiques,
remarques ; nous pensons que c’est une condition unique de faire évoluer nos pratiques.
8