Le chasseur Mal-Commode

Transcription

Le chasseur Mal-Commode
Ecole de filles de DANEMOINE (Yonne)
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Le chasseur Mal-Commode
Voilà Monsieur Mal-Commode parti à la chasse. Tout le monde, pour un moment, est bien
débarrassé : il crie toujours après quelqu'un, querelle ses voisins, dispute sa femme, crie après
ses bêtes, mais il ne dit rien à sa chienne Boquette sinon elle ne voudrait plus aller à là chasse
avec lui.
Ce matin. M. Mal-Commode est allé dans les bois de Junay pour tuer le gros Lièvre-Malin
que personne ne peut attraper.
- Ah ! je finirai bien par l'avoir ce Malin qui fait ta nique aux chasseurs !
Mais Lièvre-Malin se moque bien de M. Mal-Commode ! Il se promène tranquillement dans
les bois comme s'il n'y avait pas de chasse... Il dresse ses deux grandes oreilles à chaque pas et
avance en regardant par-ci, par là ...
Ça y est ! Il a senti Boquette, la chienne qui sait chasser... Ba-da-boum..., ba-da-boum...
Lièvre-Malin file comme un trait, grimpe dans un pin, se fait une cachette avec des aiguilles
et des branches et, de là-haut, regarde M. Mal-Commode qui le cherche, bien sûr, et ne le
trouve pas...
Il a beau rouler ses gros yeux. Ah ! ah ! pas de Lièvre-Malin ! M. Mal-Commode est si en
colère qu'i1 lance son chapeau en l'air, juste sur la tête de Lièvre-Malin...
Si les bêtes pouvaient rire ! Mais il est plus prudent de se taire car, avec Boquette, on ne sait
jamais !
Pas de lièvre et plus de chapeau ! M. Mal-Commode est désespéré. Il s'en va, la tête gonflée
de colère, parlant tout haut, serrant les poings, menaçant des ennemis invisibles.
Boquette, elle, s'enfuit à la maison...
- Ce Lièvre-Malin, dit tout haut M. Mal-Commode, il faudra bien que je l'aie un jour ! Ah ! il
me la payera !
Et de menace et de chapitrer... mais il ne voit même pas Lièvre-Malin qui tout doucement, le
suit, le chapeau sur l'oreille... Si les bêtes de la forêt pouvaient rire !
M. Mal-Commode rentre chez lui en claquant la porte. Sa pauvre femme, qui est en train de
tourner le vermicelle sur le feu, sursaute de surprise :
- Ah ! tu es déjà là ?
- Comment déjà là ? Qu'as-tu l'air de dire ? Apporte-moi mes pantoufles !
M. Mal-Commode se déchausse. Vlan ! le pied droit. Vlan ! le pied gauche. Les souliers sont
lancés d'un bout à l'autre de la cuisine toute fraîche lavée.
La soupe sent bon et M. Mal-Commode a une faim de loup. Il mange une assiettée, deux
assiettées et à la troisième sa colère s'en va...
***
Pendant ce temps, dans la forêt, Lièvre-Malin fait le fier devant les animaux étonnés.
- Et qui t'a donné ce chapeau-là ?
- Et qui t'a donné ce chapeau-là ?
- Chapeau-là, répète la pie. Chapeau-là...
- Ah ! à la fin, vous voulez trop en savoir, dit Lièvre-Malin excédé. Ce chapeau-là, c'est le
chapeau de Monsieur Mal-Commode, le chasseur. Il ne l'a pas fait exprès, par exemple, mais
le chapeau est sur ma tête, c'est l'essentiel.
- Oh ! dit la biche en tremblant, et s'il le voyait sur ta tête, qu'est-ce qu'il te ferait ?
- Oh ! pas de danger qu'il m'attrape ! je suis Lièvre-Malin, ne sais-tu pas ? Si vous voulez,
vous tous, nous allons lui jouer un bon tour à ce Monsieur Mal-Commode.
- Moi, je ne joue pas à ça, dit la Biche, c'est trop dangereux.
- Oui, nous voulons, nous voulons ! crient les écureuils, les lièvres, les lapins en frappant de
leurs pattes.
- Nous voulons, nous voulons ! chantent les oiseaux en battant des ailes.
- Bon, dit Lièvre-Malin. Toi, Perdriole, qui vole si bien en rase-motte, tu vas lui offrir cette
plume...
Et Lièvre-Malin enlève une plume au chapeau du chasseur Mal-Commode, la tend à la
Perdrix qui la prend dans son bec.
- Ne te laisse pas prendre, Perdriole, et reviens nous porter des nouvelles.
- Sois tranquille, Lièvre-Malin, je suis la plus vieille perdrix du bois, j'en ai vu des chasseurs
et j'en ai fait courir... Monsieur Mal-Commode peut cirer ses guêtres !
Le lendemain, rasé, guêtré, ceinturé, Mal-Commode s'en va-t'en chasse.
- Miroton ton ton,
- Mirontaine.
Il sifflote, tout guilleret. Boquette trottine devant, "la queue contente". Mal-Commode a mis
son béret, bien sûr, il n'a pas un chapeau à sacrifier chaque jour ... Sitôt entré dans le bois, il
charge son fusil et le tient sur son bras, prêt à appuyer sur la gâchette car, aujourd'hui, voulezvous parier, il va tuer quelque chose. Peut-être pas le Lièvre-Malin, mais un lapin, un
perdreau, une perdrix qui arrondirait son carnier. Il y passera la journée s'il le faut mais il ne
rentrera pas bredouille. D'ailleurs, sa femme lui a donné la musette garnie ; il mangera dans le
bois, tranquillement, il a du temps devant lui…
Mal-Commode fait des châteaux en Espagne :
- Si je pouvais…
- Si je pouvais… rapporter un gros lièvre (oh ! pas le Lièvre-Malin !) mais enfin un beau
lièvre… de…10 livres !
Oh ! une perdrix, là, à dix mètres devant lui… M. Mal-Commode s'arrête, le souffle coupé…
Vite, il met genou en terre, il ajuste son fusil… La perdrix tourne la tête, rase le sol et
innocemment vient offrir la plume.
- Oh ! oh ! la plume de mon chapeau ! Mais, mais…
Mal-Commode en oublie de tirer et la perdrix s'envole en tirelirant, plus loin, dans le bois.
La surprise et la colère bouillonnent dans la tête du chasseur volé.
- Ah ! coquine ! II faudra bien que tu me dises où tu l'as eue cette plume de mon chapeau !
Immobile sur un buisson, la perdrix semble le narguer
Pan ! Pan !
La perdrix reste sur place, l'aile pendante. Il n'a qu'à la cueillir, il avance la main, mais il a à
peine frôlé le bout de la queue que Perdriole s'envole, tout en haut d'un grand chêne.
- Ça, pense Mal-Commode, c'est une perdrix sorcière !
La colère le fait trembler, rougir, courir, encore courir… Tout là-bas, la perdrix se balance,
insaisissable…
Lièvre-Malin et ses cousins les lapins, et les écureuils, et les pies, et les bouvreuils le suivent
en riant de sa maladresse… Mal-Commode ne voit rien ; il court comme un fou, là-bas, vers
un point qui danse toujours de plus en plus loin…
Paf ! il s'aplatit sur une souche vermoulue. Sa musette s'est ouverte ; le pâté et la galette
disparaissent dans le ventre de Boquette qui se régale et se pourlèche…
M. Mal-Commode se relève avec une grosse bosse au front… La perdrix est partie pour de
bon, cette fois, évanouie à l'horizon… Alors, épuisé, Mal-Commode ramasse son fusil, sa
musette dégarnie, sa bouteille à demi-vidée, son béret froissé, et va s'asseoir, les jambes
molles… juste sur un hérisson…
- Oh ! Ca pique, ça, pique !...
Toute la forêt en rit, en rit si fort que notre homme se met à trembler de peur.
- Qui donc rit ainsi dans la forêt ?
- Et la plume, qui l'a donnée à la Perdrix ?
- Et le croche-pied, qui l'a fait ?
- Et le pâté, qui l'a mangé ?
- Et qui m'a piqué ?
Et que va-t-il arriver maintenant ? Il faut partir vite, vite…
M. Mal-Commode reprend sa course à une allure folle.
- Galope, galope, Mal-Commode !
- Bisque, bisque, Mal-Commode !...
- Rien ne sera jamais plus commode pour toi !
- Qui parle ainsi ?
- C'est moi, le Lièvre-Malin, que tu voulais mettre dans ton carnier, ce sont les lapins, les
écureuils, les oiseaux et les bêtes de la forêt qui ne veulent plus jamais voir le chasseur MalCommode…
Mal-Commode ne pense plus qu'à une chose : arriver chez lui avant la nuit.
Quand sa femme le voit entrer, blanc comme un mort, le fusil à la main, elle croit qu'un
malheur est arrivé.
- Qu'as-tu, mon ami ? lui dit-elle angoissée.
- Oh ! jamais plus je n'irai à la chasse: la forêt est ensorcelée…
On m'a volé mon chapeau.
Une Perdrix m'a offert une plume de ce chapeau.
Et elle s'est enfuie quand j'allais la saisir, l'aile cassée, blessée, incapable de voler…
Quelqu'un m'a fait tomber.
Quelqu'un m'a piqué.
Quelqu'un m'a volé mon déjeuner.
D'autres riaient de mes malheurs…
Et j'ai vu, de mes yeux vu, Lièvre-Malin avec mon chapeau…
- Quel malheur ! pense la femme de Mal-Commode, voilà qu'il délire maintenant ! Tiens, mon
homme, bois ce bon tilleul qui te calmera, lui dit-elle gentiment.
Mal-Commode boit, mais la rage ne le quitte pas.
- J'ai cru que j'allais étouffer quand j'ai vu la Perdrix m'offrir la plume de mon chapeau…
- C'était peut-être simplement la plus belle plume de sa queue !
- Et quand on m'a fait ce croche pied ?
- C'était simplement la racine d'une ronce accrochée à ton pantalon !
- Et quand "ils" m'ont piqué le fond de ma culotte ?
- C'étaient sans doute les coques des châtaignes d'automne.
- Et quand "ils" ont mangé mon pâté ?
- C'est peut-être Boquette qui prenait sa part.
- Oui, mais j'ai vu Lièvre-Malin avec mon chapeau…
- C'était un fantôme de ton esprit échauffé...
Tiens, laisse-toi faire, je vais te mettre au lit et poser sur ton front des compresses froides pour
te calmer. Laisse aller ta colère, c'est une mauvaise compagnie...
- Oui, tu as raison, ma femme, tu es une femme très douce et très bonne.
Mal-Commode se laisse faire comme s'il était redevenu un tout petit enfant. Il ne sait plus
bien distinguer si les fantômes sont dans sa tête ou dans la forêt, si les perdrix sont sorcières,
les racines d'arbres vivantes et si les Lièvres-Malins portent des chapeaux.
Note : l'histoire "Le chasseur Mal-Commode" comporte, dans le mensuel "Enfantines", des illustrations de
Cl Belleudy et P Bouquerel (13 ans). Ces illustrations sont visibles sur le site "Cheny mon village"
€ Editions de l'imprimerie • l'‚cole - Novembre 1957
Document "Cheny mon village" http://www.cheny.net