Jugement TGI Nanterre - Avocat spécialisé Assurance vie

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Jugement TGI Nanterre - Avocat spécialisé Assurance vie
TRIBUNAL
DE GRANDE
INSTANCE
DE NANTERRE

PÔLE CIVIL
6ème Chambre
JUGEMENT RENDU
LE
14 Novembre 2014
N° R.G. : 12/07560
N° Minute : 14/
DEMANDEURS
Monsieur Jacques ROY
48 avenue de l’Europe
33230 LES PEINTURES
représenté par Me Annabel RIDEAU, avocat au barreau de PARIS,
vestiaire : B0651
Madame Annette TEURLAY épouse ROY
48 avenue de l’Europe
33230 LES PEINTURES
représentée par Me Annabel RIDEAU, avocat au barreau de PARIS,
vestiaire : B0651
DÉFENDERESSE
Société AXA FRANCE VIE
313 Terrasses de l’Arche
92727 NANTERRE CEDEX
représentée par Me Christophe BOURDEL, avocat au barreau de PARIS,
vestiaire : P0014
AFFAIRE
Jacques ROY, Annette
TEURLAY épouse
ROY
En application des dispositions des articles 786 du code de procédure
civile, l’affaire a été débattue le 22 Septembre 2014 en audience publique
devant :
C/
Nathalie TURQUEY, Vice-Président
Jacques LE VAILLANT, Juge
Société AXA FRANCE
VIE
magistrats chargés du rapport, les avocats ne s’y étant pas opposés.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries au tribunal composé de :
Copies délivrées le :
Nathalie TURQUEY, Vice-Président
Céline CHAMLEY-COULET, Vice-Président
Jacques LE VAILLANT, Juge
qui en ont délibéré.
Greffier lors du prononcé : Hélène TREBUIL, Greffier.
JUGEMENT
prononcé en premier ressort, par décision contradictoire et mise à
disposition au greffe du tribunal conformément à l’avis donné à l’issue
des débats.
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EXPOSE DU LITIGE
Durant l’année 1994, Monsieur Jacques ROY et son épouse, Madame Annette
TEURLAY, ont souscrit auprès de la société UAP huit contrats d’assurance sur lesquels ils ont
versé une somme totale de 546.331,57 euros provenant de la vente de leur exploitation agricole.
Ces contrats ont été successivement clôturés au cours des années 1999, 2000 et 2005 et
les fonds réinvestis sur d’autres contrats, dont 7 sont encore en cours :
- « INITIATIVE EXPANTIEL » N° 800081 358489 Q AXA, souscrit le 16 février 1999 par
Monsieur ROY ;
- « INITIATIVE EXPANTIEL » N° 800081 358491 S AXA, souscrit le 16 février 1999 par
Madame ROY ;
- « EURACTIEL » N° 800081367014H AXA, souscrit le 14 avril 1999 par Monsieur ROY ;
- « EURACTIEL » N° 800081367015H AXA, souscrit le 14 avril 1999 par Madame ROY ;
- « PEA CROISSANCE » 800081550992 AXA, souscrit le 25 octobre 2000 par Madame
ROY ;
- « EXPANTIEL » N° 800081915980J AXA (contrat collectif d’assurance sur la vie),
souscrit le 19 janvier 2005 par Monsieur ROY ;
- « EXPANTIEL » N° 800081918116F AXA (contrat collectif d’assurance sur la vie),
souscrit le 3 février 2005 par Madame ROY.
Le 4 juin 2009, les époux ROY ont saisi le tribunal de grande instance de Libourne aux
fins de voir constater les manquements de l’assureur à ses obligations contractuelles sur le
fondement des articles 1141 et suivants du code civil.
Ils ont été déboutés de toutes leurs demandes et ont fait appel de la décision.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 19 avril 2012, reçue par la société
AXA FRANCE VIE le 20 avril 2012, les époux ROY se sont prévalus de leur droit à
renonciation tel que prévu par l’article L 132-5-1 du code des assurances, arguant du non-respect
par l’assureur de son obligation précontractuelle d’information et de la prorogation subséquente
du délai de renonciation aux quatre contrats suivants :
- « INITIATIVE EXPANTIEL » souscrit par Monsieur ROY,
- « PEA CROISSANCE » souscrit par Madame ROY,
- « EXPANTIEL » souscrit par Monsieur ROY,
- « EXPANTIEL » souscrit par Madame ROY,
Par lettre en date du 15 mai 2012, la société AXA FRANCE VIE a refusé de donner suite
à cette renonciation.
Aux termes d’une assignation délivrée le 5 juillet 2012, les époux ROY souhaitent
entendre le tribunal condamner la société AXA FRANCE VIE à leur restituer les sommes
investies sur les contrats, déduction faite des rachats partiels effectués, et à payer sur ces sommes
les intérêts au taux de l’intérêt légal majoré de moitié durant les deux mois suivant l’expiration
du délai de trente jours courant à compter de la réception de la renonciation, puis, à l’expiration
de ce délai de deux mois, au double du taux légal.
Ils réclament ainsi la restitution des sommes de 15 244,90 au titre du contrat
« INITIATIVE EXPANTIEL », 15 244,90 euros au titre du contrat « PEA CROISSANCE »,
85 838 euros au titre du contrat « EXPANTIEL » souscrit par Monsieur ROY et 117 829 euros
au titre du contrat « EXPANTIEL » souscrit par Madame ROY.
Ils demandent également la condamnation de l'assureur à leur payer la somme de 3.000
euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive et réparation de leur préjudice moral
et celle de 6.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.
Par conclusions en date du 20 décembre 2012, la société AXA FRANCE VIE a soulevé
un incident de procédure afin que le juge de la mise en état ordonne un sursis à statuer dans
l'attente de la décision de la Cour d'Appel de Bordeaux.
Le 7 juin 2013, le juge de la mise en état du présent tribunal a ordonné le sursis à statuer
demandé.
2
Le 16 septembre 2013, la cour d’appel de Bordeaux a confirmé le jugement de première
instance et ainsi débouté les époux ROY de toutes leurs demandes.
Dans leurs dernières conclusions du 11 décembre 2013, les époux ROY sollicitent le
bénéfice de leur exploit introductif d’instance.
En substance, ils font valoir que l’assureur a manqué à son obligation précontractuelle
d’information en ne leur remettant pas les documents et informations prévus par les articles
L. 132-5-1, A. 132-4 et A. 132-5 du code des assurances, et précisément :
- que la proposition d’assurance ne comporte pas de projet de lettre destiné à faciliter
l’exercice de la faculté de renonciation ;
- que les documents remis par l’assureur ne comprennent pas l'ensemble des informations
prévues par les articles A.132-4 et A. 132-5 précités, à savoir la communication des valeurs
de rachat au terme de chacune des huit premières années au moins, la communication de la
mention relative aux risques ainsi que les délais et modalités de renonciation ;
- qu’ils se sont vus remettre des « conditions générales valant note d'information »
comprenant toutes les dispositions du contrat et non les seules dispositions essentielles ;
qu’ils n'ont donc pas reçu la note d'information précontractuelle prévue par l'article
L. 132-5-1, nécessairement distincte des conditions générales.
Ils soutiennent que contrairement à ce que prétend l’assureur, leurs demandes ne sont pas
contradictoires avec celles formées devant la cour d’appel de Bordeaux car l’action en
renonciation d’un contrat d’assurance vie peut se juxtaposer à une action en responsabilité civile
de droit commun pour manquement à l’obligation de conseil, comme celle dont était saisie la
cour d’appel, d’autant que cette dernière action ne tendait pas à obtenir la réparation des pertes
subies mais l’indemnisation d’un préjudice de perte de chance constitué par un manque à gagner.
Dans ses dernières conclusions du 17 mars 2014, la société AXA FRANCE VIE soulève,
à titre principal, l’irrecevabilité des demandes formées à son encontre. Elle invoque, au soutien
de la fin de non recevoir, le principe de l’estoppel selon lequel nul ne peut de se contredire au
détriment d’autrui. Elle soutient que les époux ROY ont violé ce principe en saisissant deux
juridictions différentes de demandes radicalement incompatibles.
Sur le fond, à titre subsidiaire, il est demandé au tribunal de :
- constater l’acquiescement de la société AXA FRANCE VIE à la demande de renonciation
de Monsieur ROY, pour le contrat « EXPANTIEL » n° 81 915 980 et lui donner acte du
versement de la somme de 84.125 euros,
- constater l’acquiescement de la société AXA FRANCE VIE à la demande de renonciation
de Monsieur ROY, pour le contrat « EXPANTIEL » n° 81 358 491 et lui donner acte du
versement de la somme de 15.244,90 euros ;
- débouter les époux ROY de leurs autres demandes ;
- condamner les époux ROY à verser à la société AXA FRANCE VIE la somme de 5.000
euros en application de l’article 700 du Code de procédure civile ;
- condamner les époux ROY aux entiers dépens de l’instance, au profit de la SCP
GRANRUT, conformément à l’article 699 du code de procédure civile.
La défenderesse fait valoir, en substance, qu'elle a bien remis aux époux ROY un modèle
de lettre de renonciation figurant dans les conditions générales ; qu’elle leur a délivré deux
documents distincts, à savoir une notice reprenant les conditions générales et un bulletin
d'adhésion, et que l'assureur n'avait pas à remettre des conditions générales en sus de ces deux
documents.
La société AXA FRANCE VIE soutient, en outre, que les documents remis comprennent
bien toutes les informations exigées par le code des assurances.
L'instruction a été close par ordonnance du 28 avril 2014.
MOTIFS DE LA DÉCISION
1. Sur la recevabilité
Il est acquis au débat que selon le principe de l'estoppel, une partie ne peut se prévaloir,
à peine d'irrecevabilité, d'une position contraire à celle qu'elle a prise antérieurement, lorsque ce
changement se produit au détriment d'un tiers.
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En l’espèce, les époux ROY ont, en premier lieu, intenté une action en responsabilité pour
manquement de l’assureur à son obligation d’information et de conseil préalablement à la
conclusion des huit contrats d’assurance-vie en 1994 et à celle de cinq contrats postérieurs, dont
les quatre objets du présent litige.
Ils ont agi, en second lieu, devant le présent tribunal en validation de la renonciation à ces
quatre contrats, sur le fondement des dispositions de l’article L.132-5-1 du code des assurances,
pris dans sa rédaction antérieure à la loi n°2005-1564 du 15 décembre 2005.
Or, l’article L.132-5-1 du code des assurances prévoit un devoir spécial d’information
précontractuelle, applicable aux contrats d’assurance sur la vie et aux opérations de
capitalisation. Ce devoir n’épuise pas l’obligation générale d’information et de conseil à laquelle
est tenu tout assureur à l’égard de son assuré. Il est sanctionné par la prorogation du droit de
renoncer au contrat. Ce droit entraîne l’anéantissement rétroactif du contrat lorsqu’il est
valablement exercé.
L’obligation générale d’information et de conseil est en revanche sanctionnée par l’octroi
de dommages-intérêts en réparation du préjudice de perte de chance de ne pas avoir contracté.
Ainsi, l’action en validation de la prorogation de la faculté de renonciation de l’assuré et
en restitution des primes versées, fondée sur les dispositions de l’article L.132-5-1 du code des
assurances, et l’action en responsabilité de l’assureur pour manquement à ses obligations
d’information et de conseil, qu’elle soit fondée sur les dispositions de l’article 1147 du code civil
ou sur celles de l’article 1382 de ce code, ont un objet distinct, de sorte qu’elles ne sont pas
nécessairement incompatibles et peuvent se cumuler.
En revanche, les circonstances que les primes aient été ou non restituées et que le contrat
soit ou non encore en cours influent nécessairement sur l’appréciation du préjudice de perte de
chance.
Il y a donc un risque de contradiction lorsque l’action en restitution est intentée en second
lieu comme en l’espèce. En effet, l’assureur pourrait alors être successivement condamné à
indemniser intégralement les pertes subies du fait des manquements à l’obligation de conseil puis
à restituer l’ensemble des sommes investies.
Cette contradiction est toutefois réduite à néant lorsque, comme dans la présente affaire,
la première action échoue et que ne demeure plus en débat que la question de la validité de la
renonciation.
Il en résulte que l’action des époux ROY exercée devant le présent tribunal est recevable.
2. Sur la renonciation
L'article L. 132-5-1 du code des assurances dans sa version en vigueur à la date de
conclusion des contrats litigieux prévoyait, en son premier alinéa, que toute personne physique
qui a signé une proposition d'assurance ou un contrat a la faculté d'y renoncer par lettre
recommandée avec demande d'avis de réception pendant le délai de trente jours à compter du
premier versement.
Le deuxième alinéa disposait notamment que « la proposition d'assurance ou de contrat
doit comprendre un projet de lettre destiné à faciliter l'exercice de cette faculté de
renonciation ».
Il sanctionnait le défaut de remise de ce document par la prorogation du délai prévu au
premier alinéa jusqu'au trentième jour suivant la date de remise effective de ces documents et il
précisait qu’un nouveau délai de trente jours court à compter de la date de réception du contrat,
lorsque celui-ci apporte des réserves ou des modifications essentielles à l'offre originelle, ou à
compter de l'acceptation écrite, par le souscripteur, de ces réserves ou modifications.
L’avant dernier alinéa précisait que la renonciation entraîne la restitution par l'entreprise
d'assurance ou de capitalisation de l'intégralité des sommes versées par le contractant, dans le
délai maximal de trente jours à compter de la réception de la lettre recommandée. Au-delà de ce
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délai, les sommes non restituées produisent de plein droit intérêt au taux légal majoré de moitié
durant deux mois, puis, à l'expiration de ce délai de deux mois, au double du taux légal.
Il en résulte que les époux ROY devaient se voir remettre en sus de la proposition
d'assurance, à peine de prorogation du délai de renonciation qui leur bénéficiait à compter de leur
premier versement, une note d'information sur les seules dispositions essentielles du contrat. La
remise de « conditions générales valant note d’information » ne peut suppléer la remise de cette
note nécessairement distincte de l’ensemble des stipulations contractuelles applicables.
De surcroît, le projet de lettre de renonciation n’est pas inséré dans le bulletin d’adhésion
- seul document signé par l’assuré qui équivaut à la proposition d’assurance ou de contrat
proprement dite - mais dans les conditions générales.
Ces seuls défauts de conformité aux exigences légales caractérisent un manquement de
l’assureur à son obligation précontractuelle d’information, et justifient que les époux ROY se
prévalent de la prorogation du délai de renonciation aux contrats litigieux.
Par suite, la société AXA FRANCE VIE sera condamnée à leur restituer les sommes
investies sur les contrats litigieux.
A cet égard, il n’est pas contesté que Monsieur ROY a versé sur son contrat
« EXPANTIEL » une prime de 84.125 euros et non 85.938 euros.
Ces sommes produiront intérêts à dater du trentième jour suivant la réception de la lettre
de renonciation, au taux légal majoré de moitié durant deux mois, puis, à l'expiration de ce délai
de deux mois, au double du taux légal.
La demande de dommages et intérêts formée par les époux ROY sera en revanche rejetée,
leur préjudice se voyant déjà réparé par l’octroi des intérêts de retard et la preuve de la mauvaise
foi de l'assureur n’étant pas rapportée.
3. Sur les demandes accessoires
L’exécution provisoire nécessaire et compatible avec la nature de l’affaire, sera ordonnée.
Partie succombante, la société AXA FRANCE VIE sera condamnée aux entiers dépens
de l'instance et à payer à chacun des demandeurs la somme de 1.500 euros sur le fondement de
l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Condamne la société AXA FRANCE VIE à restituer aux époux ROY les sommes
suivantes :
- à Monsieur Jacques ROY la somme de 15.244,90 au titre du contrat « INITIATIVE
EXPANTIEL »,
- à Madame Annette TEURLAY épouse ROY la somme de 15.244,90 euros au titre du
contrat « PEA CROISSANCE »,
- à Monsieur Jacques ROY la somme de 84.125 euros au titre du contrat « EXPANTIEL »,
- à Madame Annette TEURLAY épouse ROY la somme de 117.829 euros au titre du contrat
«EXPANTIEL » ,
Dit que ces sommes porteront intérêts au taux légal majoré de moitié à compter du 20 mai
2012 puis au double du taux légal à compter du 21 juillet 2012.
Condamne la société AXA FRANCE VIE à payer à payer à Monsieur Jacques ROY et
Madame Annette TEURLAY épouse ROY la somme de 1.500 euros chacun en application de
l’article 700 du code de procédure civile,
Ordonne l’exécution provisoire,
Déboute les parties de leurs demandes plus amples et contraires,
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Condamne la société AXA FRANCE VIE aux entiers dépens.
Fait à Nanterre, le 14 novembre 2014.
Signé par Nathalie TURQUEY, Vice-Président, et par Hélène TREBUIL, Greffier auquel
la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER
LE PRÉSIDENT
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