La contractualisation parmi les instruments de régulation des

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La contractualisation parmi les instruments de régulation des
Chapitre 2 : La contractualisation parmi les instruments de
régulation des marchés agricoles
(Mégane Calandreau, Adèle Thébaud et Méloë Corbinaud)
En 1850, Jean-Edmond BRIAUNE, agriculteur, agronome et économiste française a
déclaré qu'« à toutes les époques, la sécurité publique a été troublée par les crises
alimentaires »1. La sécurité alimentaire, qui dépend de la bonne santé de l'agriculture, est une
préoccupation mondiale ainsi qu'une des raisons d'être de la politique agricole commune (PAC).
Elle justifie notamment l'interventionnisme des États sur les marchés agricoles, en outre affectés
par une inélasticité de l'offre et de la demande particulièrement marquée.
La notion de régulation renvoie à tous les mécanismes d'intervention des États sur les
marchés dans le but d'en améliorer le fonctionnement et de les contrôler. La régulation des
marchés agricoles est complexe en raison, d'abord, de leur hétérogénéité. En effet, le marché
agricole se subdivise en plusieurs marchés, eux-mêmes subdivisés. À titre d'exemple, le marché
agricole est divisé entre le marché de la viande et le marché viticole, ce dernier se subdivisant à
nouveau entre le marché du vin et celui des spiritueux. Ensuite, la complexité des marchés
agricoles résulte de son lien à la terre : la durée du cycle de production empêche les agriculteurs
de s'adapter aux changements du marché, tandis qu'ils subissent de nombreux aléas climatiques et
sanitaires. La conséquence majeure de la spécificité des marchés agricoles est la grande volatilité
des prix qui pèse lourdement sur les agriculteurs producteurs.
La contractualisation est la possibilité de rendre obligatoire la conclusion de contrats
écrits tenus de respecter un contenu déterminé. Elle permet alors de rééquilibrer les relations
commerciales entre les producteurs agricoles et les acheteurs grâce à son formalisme accru.
Après quelques tentatives infructueuses de la part du législateur pour encadrer la fixation des prix
des produits agricoles en période de crise conjoncturelle, la loi n°2010-874 de modernisation de
l'agriculture et de la pêche du 27 juillet 2010 s'est, quant à elle, consacrée à la compétitivité de
l'agriculture française. Elle a notamment inauguré la contractualisation à l'article L. 631-24 du
1
« Le Journal agriculture pratique et jardinage » en 1850.
1
Code rural et de la pêche maritime afin de lutter contre la baisse des revenus agricoles. Ensuite, le
règlement UE n° 1308/2013 du 17 décembre 2013 dit « OCM unique » a érigé la
contractualisation en tant qu'instrument de régulation des marchés agricoles sur le territoire
européen.
La contractualisation est un mode d'intervention sur les marchés agricoles par le biais
d'une régulation des relations contractuelles. Elle est issue de la recherche de nouvelles méthodes
pour prévenir et, éventuellement, réduire les effets de la volatilité des prix agricoles persistant
avec le démantèlement progressif des mécanismes de soutiens publics et de régulation des
marchés agricoles, essentiellement européens. L'évolution subie dans la commercialisation des
produits agricoles a conduit le législateur à revoir le régime applicable aux contrats de vente de
produits agricoles, majoritairement constitué du droit commun des contrats. Or, la théorie
générale des obligations érige la liberté contractuelle comme un principe fondamental. La
contractualisation apparaît alors comme un instrument novateur, hybride, entre liberté de
négociation et contrainte des marchés agricoles. Il est alors opportun de s'interroger sur la
proximité entre la contractualisation et la régulation des marchés : la contractualisation est-elle
un instrument de régulation des marchés agricoles comme les autres ?
A l'heure actuelle, bien que la contractualisation apparaisse comme une véritable
innovation (II), elle s'inscrit dans le même cadre juridique et les mêmes dynamiques que les
autres instruments de régulation des marchés agricoles (I).
I.
L'intégration
de la
contractualisation
dans
le paysage
des
instruments de régulation des marchés agricoles.
Le paysage des instruments de régulation des marchés agricoles étant vaste et complexe,
l'état des lieux de ces outils (A) permet de constater que la contractualisation y trouve pleinement
sa place (B).
2
A) Etat des lieux des instruments de régulation des marchés agricoles.
La régulation du marché agricole s'inscrit d'abord dans un cadre international qui donne
une place particulière et privilégiée au secteur agricole, permettant ainsi, au niveau européen puis
national, la mise en place d'outils interventionnistes donc dérogatoires au libre jeu de l'offre et de
la demande. Pour ne donner qu'un exemple, l'article XIX du GATT de 1994 prévoit qu'un pays
ou un groupe de pays peut appliquer des mesures de sauvegarde temporaires pour protéger les
producteurs nationaux d'une crise due aux importations. Cette disposition a été reprise et précisée
dans l'Accord sur les sauvegardes qui met en œuvre l'article XIX.
Au-delà de ce cadre international très général, les instruments de régulation des marchés
agricoles restent essentiellement européens, parce que l'Union européenne, en créant un marché
commun entre les États membres, a aussi interdit le principe de la régulation nationale. Les
instruments de régulation spécifiques aux marchés agricoles sont réunis au sein du premier pilier
de la PAC, intégralement consacré au soutien du marché. Concrètement, ce soutien prend
principalement la forme de l'organisation commune des marchés (OCM), à laquelle on ajoute
désormais les aides directes qui en ont été détachées par la réforme de la PAC de 2003. La
dernière réforme pour la PAC 2014-2020 a modifié la réglementation de l'OCM et des aides
directes, dont le fonctionnement fait l'objet de deux règlements distincts n°1307/2013 et
n°1308/2013, en date du 17 décembre 2013.
Le système des aides directes est l'outil de régulation des marchés agricoles le plus connu
et le plus simple à appréhender. Le règlement n°1307/2013 les a maintenues tout en remplaçant le
système des droits à paiement uniques (DPU) par quatre aides distinctes, dont les droits à
paiement de base (DPB) constituent la colonne vertébrale. Les aides directes régulent le marché
en ce qu'elles font baisser les coûts de production de l'agriculteur, lui permettant ainsi, soit d'être
plus compétitif sur le marché s'il baisse son prix, soit d'améliorer son revenu à prix égal. Le
découplage entre les aides directes et l'activité de production n'a pas changé la capacité des aides
à réguler le marché, même si leur influence sur celui-ci est plus diffuse. Par exemple, le
règlement n°1307/2013 instaure un paiement vert alloué aux agriculteurs qui respectent des
normes plus restrictives de protection de l'environnement, ce qui entraîne la mise sur le marché
de produits agricoles différemment valorisés (par exemple via des labels ou des certifications).
3
Le système de l'OCM unique est moins connu que celui des aides directes, notamment
parce qu'il est beaucoup plus complexe. Selon D. Bianchi, la notion d'OCM renvoie ainsi à
« l'ensemble des dispositions qui régissent la production et le commerce des produits agricoles
de tous les États membres de l'Union européenne »2. L'OCM unique regroupe donc en son sein
une multitude d'instruments de régulation des marchés agricoles qui sont mis en œuvre
différemment pour chaque secteur : en effet, l'intervention de la puissance publique sur le marché
européen se heurte au principe de libre concurrence et n'est donc possible que si elle est
strictement nécessaire. Le rôle du règlement n°1308/2013 est d'apprécier cette nécessité pour
chaque secteur et d'y adapter les mesures de soutien, que ce soit sur le plan du marché intérieur
entre États membres ou du marché extérieur avec des pays tiers. Les mesures concernant le
marché extérieur ne sont plus qu'extrêmement marginales. Ainsi, la protection aux frontières est
désormais totalement exclue. Ne demeurent que quelques cas de mesures de sauvegarde en cas de
crise, pour réguler l'arrivée de produits importés de pays tiers sur le marché européen, et de
restitutions, pour verser au producteur européen qui exporte vers un pays tiers la différence entre
le prix pratiqué sur le marché commun et sur le marché mondial.
Du côté du marché intérieur, bien que le règlement OCM unique de 2013 soit organisé par
secteur de production, quelques grands instruments de régulation se détachent. Certains sont très
classiques, issus des premières versions de la PAC. Cependant, ceux-là ont été très affaiblis au
cours des réformes successives. Par exemple, concernant la régulation des prix, les prix communs
garantis ont complètement disparu, sauf pour la betterave 3; tandis que les prix institutionnels, qui
fixent le seuil d'intervention des États pour qu'ils achètent des produits agricoles afin de les
stocker et les écouler petit à petit, n'existent plus que pour certains produits, comme la viande
bovine, et seulement en cas de crise4. De même, concernant le contingentement de l'offre : ne
subsistent dans le règlement de 2013 qu'un nouveau régime d'autorisations de plantation de
vigne5, ainsi que des quotas de sucre dont la fin est prévue pour 20176. Les quotas laitiers ont
quant à eux été complètement démantelés. Parmi les instruments classiques de régulation, ne
demeurent donc véritablement que les aides indirectes, moins dérogatoires à la loi de l'offre et de
2
3
4
5
6
D. Bianchi « La politique agricole commune » 2ème éd. Bruylant 2012.
Règlement n°1308/2013, article 135.
Règlement n°1308/2013, article 11.
Règlement n°1308/2013, titre I chapitre III.
Règlement n°1308/2013, article 134.
4
la demande : par exemple dans le secteur des fruits et légumes, des aides seront versées dans le
cadre de la mise en place de programmes pluriannuels de cinq ans destinés à prévenir les crises,
notamment en modernisant les outils de production.
Parallèlement à ces instruments de régulation très classiques, mais progressivement
démantelés du fait de la politique de libéralisation des marchés agricoles, le règlement de 2013
nous présente des outils plus innovants : les États membres font, par exemple, valoir leur volonté
de promouvoir les assurances privées en les incluant dans les programmes d'aide7, volonté reprise
dans le corps du règlement, par exemple au sein secteur vitivinicole8. La contractualisation est
aussi érigée par le règlement en tant qu'instrument de régulation du marché, notamment dans le
secteur laitier9.
Ce bilan des instruments de régulation post-réforme de 2013 aboutit à un constat de
quasi-disparition de la régulation européenne telle qu'on la concevait jusqu'alors, car les
instruments classiques ne sont plus que l'ombre d'eux-mêmes. Le rôle de la contractualisation en
tant qu'instrument de régulation du marché n'en est que renforcé.
B) La contractualisation : véritable instrument de régulation
Il est incontestable que la contractualisation constitue un instrument de régulation des
marchés agricoles. Plusieurs aspects permettent de le démontrer.
D'abord, la contractualisation est appréhendée comme un instrument de régulation des
marchés agricoles par le droit européen de la régulation lui-même : le règlement n°1308/2013 du
17 décembre 2013 prévoit désormais la contractualisation au sein de l'OCM unique, en précisant
son application pour certaines filières. Ainsi, dans le secteur du lait de vache et du sucre, l'OCM
envisage l'application de la contractualisation comme outil de régulation de ces marchés
agricoles10. Au-delà de cette observation purement formelle bien que révélatrice, la
contractualisation, comme les autres instruments de régulation des marchés agricoles présentés
par l'OCM unique, passe par l'intervention de la puissance publique. À titre d'exemple, en cas de
7
Règlement n°1308/2013, cons. 45.
Règlement n°1308/2013, article 43.
9
Règlement n°1308/2013, article 148.
10
Règlement n°1308/2013, article 148.
8
5
carence des accords interprofessionnels, les pouvoirs publics rendent obligatoire la conclusion de
contrats écrits dans les secteurs et peuvent aller jusqu'à en fixer le contenu.
En outre, la contractualisation est avant tout un instrument de régulation parce qu'elle a
pour but de réguler les marchés agricoles. Ce qui ne paraît qu'un simple truisme nous permet
d'aborder le cœur de la démonstration : la contractualisation suit les mêmes objectifs que les
autres instruments de régulation des marchés agricoles, c'est-à-dire la régulation de l'offre et la
baisse des coûts de production.
Dans la catégorie « régulation de l'offre », on trouve très classiquement les quotas, le
mécanisme des prix d'intervention ou les aides au stockage privé. Ces instruments cherchent à
éviter les phénomènes de baisse des prix dues aux phases de surproduction. Dans le contrat de
vente de produits agricoles, l'obligation de fixer à l'avance les volumes achetés et le prix permet
un meilleur lien entre production et distribution sur le marché. En effet, l'acheteur conduit la
négociation en fonction de ce qu'il pourra écouler sur le marché, tandis que l'agriculteur n'a pas
d'intérêt à produire plus que ce qui est prévu au contrat dans la mesure où il perd alors le bénéfice
du prix fixe sur les volumes excédentaires. Ce cercle vertueux permet d'éloigner le risque de
surproduction, même si aucune action directe sur le contingentement de la production n'est mise
en place. La contractualisation s'inscrit donc dans la même démarche que les instruments de
régulation de l'offre, en ce qu'elle permet d'empêcher la surproduction et de garantir un prix
stable.
Ensuite, la contractualisation peut aussi remplir le second objectif de régulation du
marché, c'est-à-dire l'amélioration de la compétitivité par la baisse des coûts de production. Cet
objectif est aujourd'hui assuré par des instruments européens spécifiques, comme le soutien au
renouvellement des équipements dans le secteur de l'huile d'olive. On peut aussi penser aux aides
aux intrants et aux facteurs de production, aujourd'hui disparus. La contractualisation a son rôle à
jouer dans la baisse des coûts de production en ce qu'elle sécurise les relations entre producteur et
acheteur dans la durée, et renforce la structuration des filières via le rôle important donné aux
organisations de producteurs. L'élément de durée ajouté à l'élément de groupe permet aux
agriculteurs de s'organiser pour alléger leurs coûts de production, par exemple, en bénéficiant de
meilleurs prix pour les intrants ou le renouvellement d'équipements, car un contrat individuel et
annuel est plus onéreux qu'un contrat commun et s'inscrivant dans la durée.
6
Force est donc de constater que la contractualisation relève bien du droit de la régulation.
D'un point de vue plus évolutif, la contractualisation s'inscrit par ailleurs avec les autres
instruments de régulation au sein d'une dynamique générale de renationalisation de la PAC, du
point de vue de son financement, mais aussi du point de vue de l'élaboration et de la mise en
œuvre des normes de régulation : on peut aussi parler de processus d'évolution vers l'autonomie
des États membres dans l'application du droit européen de la régulation. Ainsi des prérogatives,
autrefois strictement réservées aux institutions européennes, ont laissé place à une plus grande
marge de manœuvre pour les États membres. Par exemple, le règlement OCM n°1308/2013, en
son article 41, prévoit que les mesures de soutien spécifiques au marché vitivinicole, comme la
promotion de l'assurance-récolte ou la restructuration des vignobles, sont mises en œuvre par les
États membres eux-mêmes. Ces derniers sélectionnent les mesures qu'ils entendent appliquer aux
producteurs nationaux, et les réunissent dans un programme d'aide établi sur cinq ans et
simplement approuvé par la Commission.
La contractualisation trouve parfaitement sa place au sein de ce modèle de
renationalisation puisqu'elle se prête bien à l'autonomisation des États membres : le règlement
OCM n° 1308/2013, bien qu'il ne prévoit la contractualisation en son sein que pour les secteurs
du lait et du sucre sans même l'imposer, permet, en son article 168, aux États membres d'imposer
la rédaction de contrats encadrés dans tous les secteurs de production concernés par l'OCM
unique. La réglementation du contenu des contrats est laissée aux soins des États membres, même
si le règlement pose quelques jalons. La seule véritable distinction entre cette contractualisation
européenne et l'ancienne contractualisation purement nationale est que le règlement prévoit une
obligation de rendre des comptes à la Commission européenne. La marge de manœuvre laissée
aux États membres dans la mise en place de la contractualisation est salutaire en droit français,
puisqu'elle avait déjà été imposée avant le règlement OCM à d'autres secteurs que le lait. Par
exemple, la loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche n° 2010-874 du 27 juillet 2010 a
aussi rendue obligatoire la contractualisation dans le secteur des fruits et légumes.
La dynamique de renationalisation s'articule avec une dynamique de libéralisation du
marché commun pour se conformer aux exigences de l'Union européenne. On peut en cela
rapprocher la contractualisation de la politique de promotion des assurances privées qui est aussi
un instrument de régulation faisant intervenir des opérateurs privés. Or, l'assurance a montré ses
limites parce qu'elle est inefficace lorsque tous les risques se réalisent en même temps, c'est-à7
dire lorsqu'il y a une crise : la contractualisation doit permettre d'anticiper ces crises et de
compléter le système assurantiel, pour continuer à réguler le marché tout en le libéralisant.
La disparition des différents mécanismes protecteurs des agriculteurs figurant dans les
OCM a conduit la loi de modernisation pour l'agriculture du 27 juillet 2010, puis le règlement
européen du 17 décembre 2013, à la création de la contractualisation. L'innovation de cet
instrument est de chercher à mieux réguler, non plus les marchés, mais les relations contractuelles
entre producteurs et acheteurs, dans l'objectif affiché de rééquilibrer les relations commerciales
entre eux et de garantir les prix.
II.
La naissance d'un instrument de régulation des marchés innovant
L'apparition de la contractualisation marque la mise en place d'un instrument novateur de
régulation des marchés agricoles avec de véritables originalités (A). L'espoir placé dans la
capacité de la contractualisation à réguler les marchés agricoles doit être nuancé par un manque
de recul sur la concrétisation de cet outil (B).
A) L'originalité de la contractualisation
« Seuls les contrats permettront de stabiliser les revenus des producteurs »11 comme l'a
dit l'ancien ministre de l'Agriculture, Monsieur Bruno Le Maire, le 14 septembre 2010 à Rennes :
les contrats permettent de réguler les marchés agricoles par la stabilisation des revenus des
producteurs.
On l'a dit, la France a innové en 2010 en permettant l'instauration de la contractualisation
dans les normes françaises. En effet, la contractualisation fut mise en place dans un premier
temps du point de vue national. C'est la loi du 27 juillet 2010 de modernisation de l'agriculture et
de la pêche qui instaure, avec l'article L. 631-24 du Code rural et de la pêche maritime, la
possibilité pour le gouvernement français d'imposer pour une filière donnée une obligation de
formaliser par écrit la relation contractuelle entre producteurs et acheteurs. Les prémices de cette
11
Au Salon International de l’élevage et des productions animales de 2010.
8
dernière apparaissent avec le décret n° 2010-1753 du 30 décembre 2010 qui mit en place une
obligation d'engagement contractuel écrite et formalisée, d'une durée minimale de cinq ans, entre
producteurs de lait et leurs acheteurs de la filière laitière plus particulièrement. Ensuite, la
contractualisation fut étendue aux fruits et légumes frais par un décret n° 2010-1754 du 30
décembre 2010. Ce n'est que dans un second temps que la contractualisation fut instaurée par le
droit européen dans le règlement du 17 décembre 2013 dit « OCM unique ». Ce règlement
confirme le principe de contractualisation, adopté en France auparavant.
D’autre part, la contractualisation est inédite en ce qui concerne l'intervention des
pouvoirs publics. Avant la naissance de la contractualisation, l'interventionnisme des pouvoirs
publics dans la régulation des marchés agricoles était important. L’organisation des marchés
agricoles était régulée par des politiques agricoles nationales et communautaires où les pouvoirs
publics
intervenaient
systématiquement.
La
contractualisation
vient
déjouer
ce
fort
interventionnisme en laissant place à une liberté de négociation.
De plus, la contractualisation permet d'assurer une liberté de négociation. Désormais, les
pouvoirs publics fixent un encadrement contractuel afin de réglementer les échanges agricoles. Ils
fixent un contrat type qui reste librement négociable par les parties. On considère donc qu'il y a
un recul de l'interventionnisme public, car le contrat est laissé à la libre négociation des parties,
tant des producteurs que des acheteurs, même s'il y a une limite du contrat par les pouvoirs
publics. C'est l'article L. 631-24 du Code rural et de la pêche maritime ainsi que le règlement de
l'Union européenne OCM unique de 2013 qui délimite la liberté de négociation des parties. La
contractualisation contrôle les marchés agricoles par le biais d'une régulation des relations
contractuelles. Par ailleurs, la contractualisation telle que prévue dans le Code rural et de la pêche
maritime à l’article L. 631-24 est novatrice, puisqu'elle vient rendre obligatoire des contrats types
issus de la négociation collective interprofessionnelle ou, de l'autorité administrative. Ces
contrats types permettent ainsi d'assurer une certaine liberté aux parties, tout en restant dans le
cadre posé par les pouvoirs publics.
Toutefois, on peut nuancer cette liberté de négociation en démontrant que la
contractualisation reste un instrument dans lequel les pouvoirs publics fixent un cadre obligatoire.
En effet, même s’ils permettent une certaine liberté laissée aux parties (producteurs et acheteurs),
celle-ci reste encadrée. Le contenu normalisé des engagements contractuels reste imposé, même
si le contenu des clauses est libre. L'article L. 631-24 du Code rural et de la pêche maritime
9
impose dans tout contrat de vente de produits agricoles des clauses précises. Le contrat type doit
contenir des clauses obligatoires : l'identité des parties, les caractéristiques et volume des
produits, la durée du contrat, les modalités de collecte et de livraison, les éléments de
détermination du prix et son paiement, les modalités de cessibilité, et les conditions de révision,
renouvellement ou résiliation du contrat.
La loi prévoit que la liberté tient dans le contenu des clauses qui est laissé à la libre
négociation des parties. Toutefois, cette liberté est encadrée puisque l'absence de l'une des clauses
obligatoires est sanctionnée. En effet, le contour du contrat est imposé par les pouvoirs publics si
bien qu'en l’absence d'une clause obligatoire, une sanction administrative s'applique.
D'autre part, la contractualisation peut même apparaître comme une liberté forcée en ce
qu'elle a été rendue obligatoire dans trois secteurs de l’agriculture française. Certes, c'est un
mécanisme où les producteurs et acheteurs ont une liberté de négociation ; néanmoins, cette
liberté est contrainte. La contractualisation a été imposée dans le secteur du lait de vache afin de
repenser les relations producteurs-collecteurs en termes d’engagements contractuels face à un
contexte de dérégulation. Ensuite, elle fut imposée dans le secteur des fruits et légumes frais pour
éviter que ces marchandises périssables et saisonnières n'arrivent sur le marché sans commande
ferme préalable, en espérant qu’ils finiront par trouver un preneur à prix bradés. Enfin, la
contractualisation a été mise en place dans un dernier secteur qu'est le secteur ovin. Elle fut mise
en place par un accord interprofessionnel du 1er décembre 2010 étendu le 15 février 2011
définissant les clauses obligatoires devant figurer dans les contrats de vente applicables pour le
secteur ovin. C'est un accord qui fut signé par les treize familles de l’interprofession de la viande
ovine pour sécuriser les prix et les volumes d’agneaux et limiter le recours aux importations,
importantes dans le secteur. En 2015, dans le secteur ovin, le dispositif de contractualisation se
poursuit via un accord interprofessionnel unique du 10 décembre 2014. C'est un arrêté du 2 mars
2015 qui étend jusqu’au 31 décembre 2015 l'accord interprofessionnel, conclu le 10 décembre
2014
entre
les
organisations
professionnelles
constituant
l'Association
nationale
interprofessionnelle du bétail et des viandes (INTERBEV) et relatif à la contractualisation et à la
majoration de l'aide aux ovins12.
12
INTERBEV « Extensions des accords interprofessionnels », 5 mars 2015.
www.pleinchamp.com « Avec la contractualisation, le filière ovine montre l’exemple », Laurence Geffroy, décembre
2011.
10
Il convient alors de se demander si la contractualisation, en tant qu'instrument novateur,
peut être présentée comme un remède miracle.
B) La contractualisation : un instrument encore embryonnaire
La contractualisation doit faire l'objet d'un bilan mitigé. Bien qu'il s'agisse d'un instrument
de régulation avantageux, la contractualisation est un outil embryonnaire, présentant de
nombreuses faiblesses.
À la différence des autres instruments de régulation des marchés agricoles13 qui consistent
pour les États membres et, surtout pour l'Union européenne, à octroyer directement des soutiens
financiers aux producteurs ou aux acheteurs, la contractualisation doit parvenir à réguler les
marchés agricoles de manière autonome, sans aucune subvention. Désormais, l'intervention des
pouvoirs publics est limitée au simple encadrement des contrats dont le contenu est laissé à la
libre négociation des acteurs d'une même filière. Donc, les pouvoirs publics ne versent plus de
moyens financiers aux acteurs, mais se contentent de financer l'encadrement de ces contrats et
devront assurément supporter les coûts d'éventuels contentieux en la matière. L'aspect financier
de la contractualisation est l'un de ses avantages, mais il n'est pas le seul.
D'abord, la contractualisation est remarquable en ce qu'elle fait disparaître toute
perturbation de l'offre et de la demande sur les marchés agricoles en mettant en avant la nécessité
d'un consensus entre les producteurs et les acheteurs. Avec la contractualisation,
l'interventionnisme laisse place au libre jeu de l'offre et de la demande.
De plus, la contractualisation a le mérite d'être un outil d'une grande souplesse et
facilement adaptable. Le fait que la contractualisation puisse revêtir différentes formes de
contrats lui permet de répondre pleinement aux besoins propres de chaque partie ou de chaque
situation.
Pour finir, la contractualisation, composée d'un « instrumentum », est un gage de sécurité
juridique. En effet, elle sécurise les prix et les volumes, d'approvisionnements et de ventes, sur
une période déterminée afin de garantir un revenu minimal aux producteurs.
13
Notamment, les aides directes, le prix garanti ou, encore, en période de crise, le report de l’impôt ou le soutien à la
trésorerie.
11
Malgré les avantages qu'elle comporte par rapport aux autres instruments de régulation, la
contractualisation est un outil dont la pertinence doit être relativisée. Actuellement, la
contractualisation n'a été rendue obligatoire que dans certains secteurs agricoles. C'est donc un
dispositif en développement qui mérite d'être davantage étudié et adapté pour remédier
totalement au déséquilibre contractuel qui perdure entre les producteurs et les acheteurs de
produits agricoles.
En outre, le succès de la contractualisation doit être nuancé selon les secteurs où elle a été
appliquée. Dans le secteur laitier, la Fédération Nationale des Producteurs de Lait (FNPL) a
montré qu'au 10 juillet 2012, la grande majorité des entreprises laitières avait conclu des contrats
écrits, soit sous forme de contrat-cadre, soit sous forme de contrat-individuel, avec la majorité des
producteurs de la filière laitière14. Il est possible de considérer que la contractualisation a rempli
son objectif de rééquilibrage des forces dans la négociation en renforçant le pouvoir de marché
des éleveurs-producteurs face aux puissants acheteurs. Dans le secteur ovin, alors même qu'il
n'avait pas été considéré comme prioritaire par le ministère de l'agriculture, un accord
interprofessionnel a été signé pour rendre obligatoire la conclusion de contrats dans cette filière.
À ce jour, le secteur ovin est le seul dans lequel un accord interprofessionnel a été trouvé entre les
éleveurs et les acheteurs, faisant ainsi figure d'exemple. À l'inverse, la contractualisation n'a pas
eu le succès escompté dans le secteur des fruits et légumes frais, notamment en raison du manque
d'organisation des interprofessions qui n'ont pas su se mettre d'accord sur des contrats types.
Il faut également préciser que la contractualisation est un instrument dont l'efficacité
dépend largement de l'organisation des filières puisqu'elle est tributaire, d'une part, de
l'organisation des interprofessions et d'autre part, de l'influence des organisations de producteurs
dans chaque secteur. Ce n'est pas pour rien que la loi de modernisation pour l'agriculture du 27
juillet 2010 a donné priorité aux organisations interprofessionnelles pour la négociation des
clauses du contrat. En effet, l'article L. 631-24 du Code rural et de la pêche maritime montre
qu'en l'absence d'accord interprofessionnel, le pouvoir exécutif peut s'emparer de la négociation
du contrat. Aussi, il a pu être attesté, notamment dans le secteur des fruits et légumes frais, que
l'absence d'accord entre les interprofessions a été l'une des causes de la non-application de la
contractualisation dans cette filière15.
14
15
Rapport sur la contractualisation dans le secteur agricole du CGAAER de juillet 2012.
Voir question orale sans débat n°0642S sur la contractualisation dans le secteur des fruits et légumes frais.
12
En outre, le développement des organisations de producteurs et le renforcement de leur
rôle sont indispensables pour que la contractualisation atteigne ses objectifs notamment, de
sécurisation des débouchés de la production agricole des agriculteurs et de rééquilibrage des
relations commerciales entre les producteurs et les acheteurs. Les organisations de producteurs
sont nécessaires au plein équilibre des relations commerciales, puisqu'elles permettent aux
agriculteurs d'améliorer leur position dans le négoce agricole face à la puissance des acheteurs.
Mais les organisations de producteurs n'ont pas eu, jusqu'à présent, la participation effective dans
la rédaction et la négociation des contrats conclus dans la filière laitière qu'elles étaient censées
avoir, puisque les contrats écrits du secteur laitier ont été conclus avant la reconnaissance
officielle d'organisations de producteurs dans ce même secteur. Néanmoins, les organisations de
producteurs auront, à l'avenir, vocation à satisfaire pleinement leur mission de négociation grâce
l'intervention de la loi d'avenir pour l'agriculture n° 2014-1170 du 13 octobre 2014 qui a renforcé
le rôle de ces organisations de producteurs pour qu'elles s'imposent plus amplement dans la
négociation des contrats dans les autres secteurs agricoles. Mais il faut garder à l'esprit que le rôle
des organisations de producteurs dépendra de l'enthousiasme des producteurs eux-mêmes à s'unir.
On constate également que la contractualisation ne suffit pas à elle seule à réguler les
marchés agricoles. En effet, la contractualisation ne saurait remplacer tous les instruments de
régulation des marchés agricoles et doit, au contraire, être complétée par ces derniers. Selon
Étienne Fabrègue, conseiller juridique de la FNPL, organisation de producteurs de lait de la
FNSEA, « il faut prendre le contrat comme un mécanisme de régulation dans la filière mais il n'a
pas à remplacer l'OCM »16. Cette constatation met en évidence deux aspects de la
contractualisation. Le premier de ces aspects a été évoqué précédemment et concerne la
reconnaissance de la contractualisation comme instrument de régulation des marchés agricoles.
Le second aspect aborde, quant à lui, une certaine interdépendance de la contractualisation et des
autres instruments de régulation des marchés agricoles. La contractualisation n'est pas autosuffisante et doit être épaulée par les autres instruments. En effet, c'est un instrument
principalement destiné à rétablir l'équilibre des relations commerciales entre les producteurs et les
acheteurs, ainsi qu'à prévenir la volatilité des prix. Par conséquent, elle n'a pas vocation à
résorber tous les problèmes auxquels sont confrontées les filières agricoles. À titre d'exemple,
face à la déprise laitière que connaît les zones périphériques des grands bassins laitiers, la
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La France Agricole, « La contractualisation ne remplace pas des marchés » publié le 18 février 2010.
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contractualisation est insuffisante dans la mesure où elle n'est pas à même de résoudre seule le
problème de la délocalisation de la production et de la collecte de lait vers les bassins les plus
compétitifs17. Aussi, est-il nécessaire que d'autres mesures soient envisagées en complément de la
contractualisation pour favoriser l'implantation d'éleveurs sur tout le territoire et améliorer la
compétitivité des collecteurs et transformateurs dans les zones de montagne où la collecte est
difficile.
Pour finir, la principale difficulté de la contractualisation est qu'il s'agit d'un dispositif
encore trop récent pour en mesurer pleinement les effets. Le Code rural et de la pêche maritime
prévoit que la durée minimale des contrats dans le secteur du lait de vache est de cinq ans, tandis
qu'elle est de trois ans pour les contrats dans le secteur des fruits et légumes frais. Or, seul le
secteur du lait de vache a fait l'objet de contrats écrits qui ont du intervenir entre le 30 décembre
2010, et le 1er avril 2011. A l'heure actuelle, nous sommes donc encore à la veille du
renouvellement des premiers contrats. Par conséquent, l'efficacité de la contractualisation n'est
pas totalement perceptible.
Il est alors possible de considérer que la contractualisation n'a pas vocation à apaiser tous
les maux que rencontrent les filières agricoles puisqu'elle a été mise en œuvre principalement
pour satisfaire à la demande de sécurité des producteurs. Bien que singulière, la contractualisation
est un instrument de régulation parmi les autres qui mérite d'être complété à la fois par un
accroissement du rôle des organisations professionnelles et par d'autres mesures.
Pour autant, la contractualisation continue de recevoir les faveurs du gouvernement
français pour résoudre les difficultés rencontrées par les secteurs agricoles. En effet, le ministre
de l'Agriculture, Monsieur Stéphane Le Foll, préconise « une rénovation des relations
commerciales dans la filière porcine »18 par le biais de la contractualisation et invite également
les acteurs de la filière bovine à travailler sur un projet de contractualisation. Toutefois, dans ces
deux secteurs, la contractualisation devrait venir en complément d'autres mesures telles que les
caisses de sécurisation destinées à répartir, entre les acteurs, le risque lié aux fluctuations du
cours.
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18
Benoît Grimonprez, « Contractualisation : deux ans plus tard », Revue droit rural de novembre 2012, alerte n°140.
Revue de la France Agricole publiée le 23 septembre 2015.
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