Quelle régulation globale pour l`information financière

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Quelle régulation globale pour l`information financière
Claudine Carluer
GRESEC, Grenoble
FRANCE
Quelle régulation mondiale pour l'information financière
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_________________________________________________________
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Claudine CARLUER
GRESEC
GRENOBLE
Quelle régulation mondiale pour l’information financière
L’information financière a-t-elle besoin d’une régulation mondiale spécifique ? Quels
domaines cette régulation aurait-elle à prendre en compte en priorité ? Qui pourrait la
mettre en œuvre et comment ? Nous verrons pourquoi il est de plus en plus difficile,
dans le cadre de l’évolution économique et sociale du début du XXIème siècle, d’éluder
cet ensemble de questions, et nous examinerons quelles premières réponses il est
possible dès à présent de leur apporter.
Pour ce faire, nous commencerons par montrer quelques traits significatifs de la
mondialisation contemporaine de l’offre d’informations financières : ses raisons, les
technologies correspondantes, ainsi que les publics visés.
Nous étudierons ensuite les outils de régulation, leurs motivations en terme d’efficacité
et d’éthique, et les autorités ayant des responsabilités dans leur mise en place et leur
fonctionnement, avec les lacunes créées par l’évolution récente.
L’information financière et ses mutations
La théorie économique donne à l’information un rôle central dans le fonctionnement des marchés. Au
niveau microéconomique, les acheteurs comme les vendeurs sont censés ne rien ignorer du produit
négocié, ni du niveau des prix pratiqués : c’est la “ transparence ” du marché, une des conditions
nécessaires à son efficience. Cette analyse, menée à l’origine pour des échanges de biens que l’on
appellerait aujourd’hui “de consommation ”, a également trouvé son application dans le domaine des
marchés financiers, c’est à dire sur des marchés où se négocient des valeurs de placement ou “ actifs ”.
Sur un marché financier, l’information relative à un produit donné précise, par exemple le revenu que ce
dernier est susceptible de générer, les risques qui lui sont associés (banqueroute de l’entreprise s’il s’agit
d’actions, ou tout simplement de l’emprunteur dans le cas d’une créance).
Dans la pratique, la notion de risque est essentielle. Le revenu qui intéresse l’acheteur d’un actif est bien
évidemment le revenu futur, pour lequel le revenu passé n’est pas forcément un indicateur fiable. La
valeur réelle de l’actif est donc elle-même incertaine, et notamment (ce qui est fondamental sur un marché
financier) en comparaison avec le revenu procuré par les autres placements.
De plus, la situation économique dans son ensemble est soumise à des fluctuations qui font varier aussi
bien – ils sont liés – les rendements que la valeur des actifs, mais qui modifient dans le même temps leurs
valeurs relatives : certains placements sont meilleurs en période de ralentissement ou de “ crise ”,
d’autres plus prometteurs en période de reprise.
En conséquence, les intervenants sur un marché financier demandent également des informations sur
2
l’environnement économique et son évolution. Toute information susceptible d’avoir une influence
économique étant à prendre en compte, le champ s’élargit alors très vite à la politique, la diplomatie, la
situation internationale etc…
Le champ de l’information économique et financière est donc à la fois technique et large : technique car à
une extrémité de son spectre cette information traite avec des instruments spécifiques du rendement et de
la valeur des actifs, large car à l’autre extrémité elle ne peut ignorer les informations que l’on pourrait
qualifier de “ grand public ”, et qui traitent de décisions fiscales et sociales, d’orientations d’un
gouvernement etc. On peut alors considérer qu’elle a tendance à se diluer dans l’information générale, si
ce n’est qu’elle est toujours perçue dans la perspective du décideur financier.
Le caractère international de l’information économique et financière s’est développé particulièrement vite
parce que les marchés financiers – comme certains marchés de matière premières qui peuvent leur être
assimilés - ont travaillé tôt sur une base planétaire. Les économistes précisent que la différence est
essentielle entre le facteur de production “ travail ”, qui montre une réluctance à traverser les frontières
comme à engager de grandes migrations, et le facteur de production “ capital ” (sous sa forme financière
et non sa forme immobilière) qui au contraire se déplace avec une grande aisance vers les lieux où il
trouve une meilleure rentabilité .
De plus, la volatilité des marchés financiers a généré une demande pour une
information non seulement mondiale et abondante, mais également rapide, le moment
d’obtention de l’information étant une variable clef dans la compétition entre les
opérateurs1.
Dans les années récentes, la diffusion de l’information économique et financière a
évolué dans trois directions, les deux premières au moins s’inscrivant en fait dans la
continuité des tendances précédentes : le renforcement de son caractère planétaire, le
perfectionnement de ses outils (en particulier électroniques) et sa diffusion auprès d’un
public de plus en plus large.
Tout d’abord, elle est devenue de plus en plus globale, avec l’apparition de nouvelles
offres d’investissement dans le monde (Asie, Europe de l’Est), et l’apparition
d’organisations gérant des fonds d’importance planétaire. De plus, depuis quelques
années, les marchés financiers ont surtout requis des informations de plus en plus
transnationales. Durant la décennie 80, on a assisté à l’apparition de nouveaux produits
financiers liés à la désintermédiation des financements, qui a entraîné de nouveaux
besoins d’expertise, ce que l’on appelle la marchéisation des financements. Cette
marchéisation s’est traduite par des réformes institutionnelles qui organisent une
réduction de l’intervention directe de l’Etat tout en lui donnant de nouvelles
responsabilités dans l’établissement des conditions cadres - c’est à dire des textes qui
en régissent le fonctionnement.
Les marchés financiers traditionnels se sont décloisonnés en s’ouvrant de plus en plus à
des opérateurs extérieurs par l’aménagement des réglementations nationales qui
limitaient les modalités et la localisation des opérations financières. Les arbitrages de
rendements et les comparaisons de risques se sont faits de plus en plus dans un cadre
international. Les investisseurs jugent nécessaire de diversifier leurs portefeuilles en
jouant sur les devises, conformément aux études menées sur la réduction des risques.
1
Carluer C., Le comportement informationnel des gestionnaires de portefeuille - Modèles et croyances, Thèse,
Université Jean-Moulin Lyon3, 1994
3
L’émergence d’un marché planétaire de capitaux résulte de la conjonction de plusieurs
facteurs : l’explosion de la demande des Etats pour financer leurs déficit comme des
entreprises privées à la recherche de capitaux, l’augmentation de l’offre de capitaux, les
nouvelles technologies d’information permettant de meilleures connexions entre les
marchés, la déréglementation.
Dans ce champ de la régulation financière, la mondialisation se manifeste alors de
plusieurs façons :
- l’apparition de nombreux opérateurs privés qui font que l’espace financier échappe de
plus en plus aux Etats et aux institutions financières traditionnelles. C’est l’exemple de
George Soros qui dans les années 90 est devenu par ses déclarations sur la parité de la
monnaie britannique une figure emblématique de la mondialisation et de la spéculation.
- la soumission des autorités publiques aux marchés, en particulier dans le cas des
marchés des changes. Les autorités monétaires qui voient se creuser l’écart entre leurs
ressources et les masses de capitaux en circulation ont des marges de manoeuvre
relativement limitées.
- la mise en place d’une concertation systématique avec toutes les ambiguïtés que cela
entraîne; c’est l’exemple de la création du G7 en 1975 qui a réuni les sept principales
démocraties industrielles, puis du G8 à l’association de la Russie.
- le développement de mécanismes de maîtrise de crises et de systèmes de solidarités
plus souvent dictés par des motivations de maintien de la stabilité économique mondiale
que par des motivations d’aides aux déshérités.
Deuxièmement, cette période est également celle d’une croissance corrélative du
volume des opérations financières, qui permet la spécialisation de professionnels pour
des tâches assurées auparavant à temps très partiel. Il va s’ensuivre une mutation des
flux d’information qui induisent une gestion différente des instruments financiers. Ce
nouveau marché financier est plus volatil qu’auparavant en raison du développement
des techniques de communication qui permet une diffusion instantanée des opérations
de bourse sur toute la planète. Le marché financier est devenu non seulement un
marché mondial par le biais de l’unification spatiale mais également un marché
permanent dans sa dimension temporelle : le marché fonctionne en continu, les
informations circulant d’une place à l’autre . Pour cela les acteurs utilisent des outils
électroniques de plus en plus puissants, dans un souci à la fois d’aide à la décision,
d’ergonomie et d’élargissement du contenu de l’information véhiculée. L’observation du
réseau d’information Bloomberg est à cet égard un exemple révélateur. Auparavant, ces
outils transféraient des données strictement boursières entre les professionnels. Mais à
présent ils sont utilisés pour transférer des informations vers des écrans, les données
boursières apparaissant dans des fenêtres spécifiques , à côté d’autres fenêtres
dédiées aux informations économiques générales. Le terminal boursier professionnel
permet de plus de passer des ordres en direct. Une des principales causes de cette
évolution est la demande émanant de professionnels, non seulement de données
chiffrées mais aussi de commentaires explicatifs et d’information à une plus large
échelle. Par exemple, des données sur l’arrière plan politique d’informations
économiques et financières, des données sur les activités culturelles pour leurs loisirs.
4
Troisièmement, une autre tendance a donné un nouvel essor au développement des
médias d’information financière : la diffusion des actifs financiers dans les classes
moyennes dans un nombre de plus en plus grand de pays. Cette tendance est due pour
une bonne part à la mode du capitalisme financier poussé par le succès des dernières
années - la montée de la plupart des marchés financiers mondiaux et le développement
d’instruments financiers destinés aux petits ou moyens épargnants. L’information
économique et financière a ainsi abordé récemment une nouvelle phase
d’industrialisation de sa diffusion vers le grand public.
Les évolutions 2 et 3 se combinent pour conduire à l’apparition d’entreprises de diffusion
d’information économique et financière de plus en plus orientées vers une large
audience, s’appuyant sur des réseaux spécialisés de collecte et de traitement de
l’information et utilisant, pour la diffusion vers les professionnels et le public, des outils
présentant de grandes similitudes.
Pour clôturer cette première partie, nous formulerons deux propositions relatives à
l’information économique et financière :
- la première est son caractère stratégique dans le débat actuel sur l’avenir du concept
de nation, et sur l’avenir des fonctions de régulations assumées jusqu'à présent par les
Etats nationaux. Cette caractéristique découle du rôle lui même stratégique des
marchés financiers dans la mondialisation. Pour Elie Cohen2 la “ tyrannie des marchés
financiers ” est supposée illustrer la perte de souveraineté nationale.
- la deuxième est son caractère précurseur en ce qui concerne les modalités de la
globalisation de l’information en raison de la globalisation précoce des marchés
financiers, même si son industrialisation vers un public large a été relativement tardive.
L’information économique et financière nous semble donc un champ particulièrement révélateur pour
étudier l’internationalisation - ou la globalisation - de l’information et plus généralement des outils mais
aussi des stratégies de communication.
Le nouveau marché financier apparaît dès lors complexe et fluctuant et s’il ne s’agit pas
ici de statuer sur la justification économique des marchés financiers, il convient
cependant de se poser la question de la nécessité d’une éthique et d’une régulation de
l’information financière
Normalisation, déontologie et éthique en communication financière
Il est possible de distinguer plusieurs niveaux de préoccupation, qui peuvent
correspondre à autant de niveaux de régulation. Nous en citerons 3 :
- tout d’abord, le niveau relatif aux pratiques professionnelles d’information, on pourra
alors parler de déontologie
- ensuite, le niveau général, relatif à l’éthique de l’information dans la société
2
Cohen Elie, L’ordre économique mondial,essai sur les autorités de régulation, Fayard, 2001, pp 129-165
5
-
enfin, le niveau relatif au contrôle planétaire de l’information financière par un
nombre réduit d’acteurs ayant ou non des racines nationales.
Au niveau des pratiques professionnelles, le développement des marchés financiers
s’est accompagné d’un renforcement et d’un renouvellement des règles de déontologie
financière, renforcement et renouvellement sans cesse battus en brèche par l‘apparition
de nouveaux outils, de nouvelles techniques et de nouveaux produits ainsi que par la
disparition de cadres de références plus anciens.
Les partisans de l’évolution analysée plus haut défendent en général ce renforcement,
perçu comme une condition nécessaire pour accroître le rôle des marchés financiers
parmi les rouages de l’économie.
Le mot déontologie désigne l’ensemble des règles communément admises au sein
d’une profession. La déontologie fait appel à des sanctions dans le milieu considéré et
peut se manifester par une exclusion du milieu. En ce sens la déontologie peut être
considérée comme l ‘ensemble des règles qu’il est nécessaire d’adopter pour que
l’activité financière se déroule de façon équitable pour tous les participants.
On a vu que l’efficacité des marchés suppose une information transparente et fiable.
Les règles de déontologie visent alors principalement à assurer cette transparence et
cette fiabilité.
Dans la pratique, les raisons d’une l’information disponible insuffisante voire inexacte
sont multiples. Il est possible de citer, sans que la liste en soit limitative :
Ø L’imperfection des outils d’observation et des techniques d’analyse,
Ø Le manque de compétence de l’informateur ou du relais dans leur mise en œuvre ou
leur compréhension,
Ø La diffusion volontaire d’information fausses ou tronquées,
Ø L’utilisation volontaire de l’information pour la défense d’intérêts particuliers,
notamment les délits d’initiés.
Les deux derniers cas peuvent être considérés comme des cas de corruption individuelle.
La qualité de l’information est rendue plus nécessaire du fait que, ainsi que le souligne
André Orléan3, les marchés ne sont pas efficients. Fréquemment des “ bulles
spéculatives ” conduisent à fortement exagérer la hausse ou la baisse d’un titre. Les
travaux d’André Orléan ont montré le rôle clé de l’information dans ces bulles
spéculatives, information combinée à des phénomènes de rumeur et de mimétisme.
La lutte contre l’instabilité des marchés financiers, qui réduit leur efficience et qui peut
rendre la situation intenable pour les opérateurs génère donc une recherche de chiffres
fiables mais aussi de commentaires pouvant aider les intervenants sur un marché à
comprendre l’environnement économique et financier et à juger de ses tendances de
fond.
3
Orléan A., Le pouvoir de la finance, Paris, Odile Jacob, 1999
6
Le deuxième niveau concerne les liens de l’information financière, non plus en tant que
rouage des marchés financiers, mais en tant que dimension de l’ensemble de la
société.. Se pose alors la question de ses liens avec un système de valeur qui la
dépasse.
Cette question est rendue plus sensible en raison de l’évolution des marchés financiers
vue précédemment : le grand public y a de plus en plus accès, soit directement, soit par
l’intermédiaire de fonds de gestion collectifs vis à vis de qui il se sent une certaine
responsabilité politique ou morale.
Dans une première analyse, on peut considérer que la logique interne des marchés,
avec son exigence de transparence et fiabilité apporte déjà un ensemble de règles
d’éthique recherchées par la société. C’est sans doute vrai, à ceci près que ces règles
changent alors de niveau et de sens : elles ne sont plus de simples conditions pour un
marché efficace, mais elles deviennent des règles à appliquer pour leur valeur
intrinsèque.
Mais l’observation de la demande de la société en matière d’information financière
montre que ces règles ne suffisent pas, et que s’exprime une demande d’éthique en ce
sens que de plus en plus, au moins une partie du public exige des placements où
l’entreprise respecte des normes en terme d’environnement, de social, etc…
La vague de libéralisation qu’a connu le monde des affaires et de la finance a poussé à
se poser la question : “ où commence l’inacceptable ? ”. Si le mot “ morale ” est marqué
par des origines religieuses et se réfère à des règles auxquelles il faut se soumettre
dans une société donnée, le mot “ éthique ”, qui va rajeunir dans les années 80 la
philosophie morale abandonnée par bon nombre de penseurs entre les deux guerres
mondiales4, repose la question des conditions de vie en commun en tentant d’éviter
l’angle répressif et inhibiteur. En ce sens, il s’agit des “ choses qui se font et d’autres qui
ne se font pas ” . Ce mot vient à la fois du mot “ ithos ” qui signifie l’âme et du mot
“ éthos ” qui désigne les coutumes. L’éthique implique une démarche rationnelle de
l’individu dans une quête d’harmonie avec son environnement.
L’information financière concerne pour une grande part l’évolution des entreprises :
développement ou crise, situation financière, capacité à générer (et à distribuer) des
bénéfices etc...
Au niveau national, les problèmes d’éthique relatifs à ces compagnies sont en partie
résolus : elles sont connues de la presse qui les suit et diffuse nationalement les
informations, elles respectent (en principe) les règles de l’Etat concerné relatives au
droit social (par exemple le travail des enfants), elle sont sensées se plier aux règles
locales relatives à l’environnement.
Au contraire, la mondialisation a souvent été perçue ou commentée comme un recul des
règles d’éthique.
4
Hans Jonas, Le Principe responsabilité - Une éthique pour la civilisation technologique, trad. J. Greisch, Le Cerf
1990,
Jürgens Habermas, De l’éthique de la discusion, Le Cerf, 1992
7
1) parce qu’il y a une concurrence exacerbée qui a fait que l’on a accepté des normes
très dégradées par rapport aux exigences nationales (sur l’environnement, le social)
C’est la thèse de Baumol5 pour qui dans la mesure ou éthique et profit divergent,
appliquer “ l’éthique des affaires ”, par exemple dans le cadre du respect de
l’environnement, est autodestructeur car il existera toujours des concurrents peu
scrupuleux qui prendront des parts de marché
Il ne suffit pas comme le dit Christian Arnsperger6, de promulger des chartes et des
codes. Encore faut il leur donner un sens, trouver des arguments pour les justifier.
L’éthique des affaires a pour but de fournir cette argumentation qui permet d’effectuer
un tri entre ce qui est éthiquement requis, ce qui est acceptable et ce qui est rejeté
comme le montrent les travaux de Bowie7 et de Lipovetsky8.
2) parce qu’il y a également une dégradation de la qualité de l’information car les
réseaux d’information financière ont été construits au 19ème siècle principalement
dans des cadres nationaux qui aboutissaient à une information financière de moindre
qualité dès que l’on arrivait au niveau international. C’est vrai pour la finance en tant
que placement ou investissement dans une entreprise, mais c’est également vrai tout
simplement dans le cadre d’opérations commerciales de base ; le risque de non
paiement a toujours été jugé plus fort quand il s’agit d’un pays étranger et d’un autre
continent.
Un besoin nouveau s’exprime donc pour que l’information relative aux sociétés puisse,
sur un plan mondial, mieux prendre en compte des valeurs liées à l’éthique, souvent
précisément les valeurs qui ont conduit les états anciennement industrialisés à légiférer
en ces domaines. Cette demande émane de particuliers et de groupes de pression,
mais les gestionnaires de fonds (par exemple de fond de pension) sont,
indépendamment de leurs convictions personnelles, de plus en plus contraints par
l’opinion publique à abandonner des placement dans des sociétés qui risquent de faire
l’objet d’articles négatifs dans les médias.
La demande existe donc et semble-t-il se développe pour assurer un contenu éthique à
l’information financière.
Il est remarquable que ce problème a déjà permis à certains gestionnaires de fonds de
proposer à leur clientèle une offre ciblée par la création de fonds “ vertueux ”
n’investissant que dans des valeurs au dessus de tout soupçon. Immanquablement ont
répondu à cette initiative des fonds qui investissent volontairement dans des valeurs
jugées éthiquement incorrectes, peut-être à priori espérées plus lucratives. C’est le cas
par exemple de l’indice “ vice squad ” créé par le Crédit Suisse First Boston. Bien
évidemment ces segmentations sont par définition sujettes à caution.
Le troisième niveau est relatif au contrôle planétaire de l’information financière par un nombre réduit
5
Baumol William J., Perfect markets and easy virtue. Business ethics and the invisible hand, Oxford, Blackwell,
1991
6
Arnsperger Christian, Van Parijs Philippe, Ethique économique et sociale, La Découverte, 2000
7
Bowie Norman, Business ethics, Englewood Cliffs, Prentice Hall, 1982
8
Lipovetsky Gilles, Le crépuscule du devoir. L’éthique indolore des nouveaux temps démocratiques, Paris,
Gallimard, 1992
8
d’acteurs ayant ou non des racines nationales.
Les systèmes d’information financière se sont construits dans le cadre des états, élargis
le cas échéant aux dépendances coloniales.
La mondialisation des marchés a vu l’émergence de systèmes planétaires d’information
privés et, en raison de la situation de la deuxième partie du XXème siècle, il n’est pas
surprenant que ces systèmes trouvent leurs centres opérationnels et décisionnels dans
les pays anglo-saxons, et plus précisément aux USA pour les systèmes les plus
innovants qui associent aussi bien les techniques de diffusion (informatique, satellites
télévision, presse) que les types de publics, strictement professionnels comme élargis
au grand public 9.
Non seulement ces outils de plus en plus tournés vers le grands public participent de ce
que Emmanuel Hoog 10(Président Directeur Général de l’Institut National de
l’Audiovisuel) appelle “ une arme économique et culturelle ”, mais pour des auteurs
comme Pierre de Sanarclens11, les marchés financiers jouent un rôle décisif dans
l’érosion des souverainetés des états. Faisant remonter, comme d’ailleurs tous les
auteurs qui abordent ce thème, les problèmes de régulation économique et politique des
Etats à l’effondrement du système de Bretton Woods en 1944, De Sanarclens explique
sa position en pointant le développement des réseaux de communication entre les
places boursières et entre les entreprises transnationales ainsi que l’expansion des
moyens de paiement électronique.
Lester Thurow12 pense également que les nouvelles technologies ont imposé la
dérégulation des marchés financiers car elles rendent obsolètes le contrôle des
mouvements de capitaux.
L’information financière peut être ainsi mise, volontairement ou non, consciemment ou
non, au service d'intérêt nationaux. Ce peut être tout simplement parce que les
producteurs et les diffuseurs de l’information l’analysent et l’interprètent en référence à
un cadre de pensée en rapport avec leur culture nationale.
Les tendances actuelles de la mondialisation de l’information financière posent donc un
certains nombre de problèmes
Mais quelles solutions est-il possible d’apporter à ces différents problèmes ? quelles
types de régulations peuvent être mis en place ?
Au niveau national, les Etats développés ont mis au point des systèmes de contrôle et
de régulation dont on a vu qu’ils ne fonctionnaient plus au niveau international :
- règles qui garantissent à la source une qualité à l’information financière au
travers de lois, par exemple en matière de règles comptables,
- règles relatives à la diffusion de l’information financière et à son utilisation
- pouvoirs d’investigation et d’expression de la presse
9
Carluer Claudine, Le développement global des médias économiques et financiers et le caractère national de
l’information, le cas de Bloomberg Télévision, Les enjeux, Grenoble, 2001
10
Dans un article du Monde du 18 août 2001, p 9, Télévision : Numériquement votre
11
De Sanarclens Pierre, La mondialisation, théories, enjeux et débats, Armand Colin, 2001, p 82
12
Thurow L.C., the future of capitalism. How today’s economic force shape tomorrow’s world. New York, Penguin
Books, 1997, p 222
9
Les Etats peuvent légiférer directement ou laisser à des organismes reconnus un
pouvoir de réglementation et de contrôle ; autorités de marchés comme en France la
Commission des opérations de bourses (COB) ou aux Etats Unis la securities and
Exchanges commission (SEC) ; ordres professionnels etc...
Ces organismes sont spécifiques soit à un marché soit à un pays particuliers, et la mise
en place de règles éthiques transnationales repose aujourd’hui en grande partie sur la
bonne volonté, le souci de leur image et le souci de leur avenir d’opérateurs privés
comme les groupes de presse ou de communication ainsi que les sociétés d’analyse
financière qui rédigent des chartes internes.
Ces initiatives donnent cependant à l’information financière internationale un niveau de
régulation considérablement inférieur aux niveaux nationaux alors que, ont l’a vu, les
besoins sont encore plus grands.
La mis en place d’outils de régulation est donc un enjeu majeur pour l’avenir :
- pour assurer le fonctionnement interne de ces marchés, répondant ainsi
également à une demande des professionnels concernés,
- pour aller vers une information garantissant des caractères minimum de liberté,
de transparence et d’éthique,
- pour éviter les situation monopolistiques de certaines firmes d’informations
spécialisées, de certains Etats ou même de certains modes de pensée.
Des outils pour tendre vers ce but existent mais les conditions de leur mise en œuvre et
de leur efficacité planétaire restent à préciser.
Bibliographie
Arnsperger Christian, Van Parijs Philippe, Ethique économique et sociale, La Découverte, 2000
Baumol William J., Perfect markets and easy virtue. Business ethics and the invisible hand, Oxford, Blackwell, 1991
Bowie Norman, Business ethics, Englewood Cliffs, Prentice Hall, 1982
Carluer Claudine, Le développement global des médias économiques et financiers et le caractère national de
l’information, le cas de Bloomberg Télévision, Les enjeux, Grenoble, 2001
Carluer Claudine, Le comportement informationnel des gestionnaires de portefeuille - Modèles et croyances, Thèse,
Université Jean-Moulin Lyon3, 1994
Cohen Elie, L’ordre économique mondial,essai sur les autorités de régulation, Fayard, 2001, pp 129-165
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Habermas Jürgens, De l’éthique de la discusion, Le Cerf, 1992
Jonas Hans, Le Principe responsabilité - Une éthique pour la civilisation technologique, trad. J. Greisch, Le Cerf
1990
Lipovetsky Gilles, Le crépuscule du devoir. L’éthique indolore des nouveaux temps démocratiques, Paris, Gallimard,
1992
Orléan André., Le pouvoir de la finance, Paris, Odile Jacob, 1999
Thurow L.C., the future of capitalism. How today’s economic force shape tomorrow’s world. New York, Penguin
Books, 1997, p 222
10