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CATEGORIE JUNIORS
Coup de cœur de la Municipalité
Comment lui pardonner ?
Nathalie CHAPUIS (classe de seconde)
L
a porte claque. Papa, si je peux l’appeler ainsi, sort. Sûrement pour aller boire… Je
suis toute seule dans la maison. Tant mieux. Je suis tranquille au moins. Ce serait le
moment rêvé d’appeler le 119. Non. Il ne faut pas. Je ne peux pas.
Le calme. Allongée sur mon lit, je savoure ce moment de quiétude. J’observe les murs vert
pomme de ma chambre. Vide. Comme le reste de la pièce. La seule décoration, c’est cette
photo de ma mère, devant mon bureau, pour que je puisse la voir tout le temps. Il faut que je
travaille, il ne faut pas qu’il sache que j’ai eu une mauvaise note, sinon, il me traitera encore
de bonne à rien, et il me frappera, encore. Il aura une mauvaise excuse, mais une excuse tout
de même. Il, c’est cet homme, « papa ». En fait, il s’agit de mon oncle. Le frère de ma mère.
Ils s’adoraient… Mais ma mère est morte en me mettant au monde… depuis, il s’est mit à
boire. Trop boire. L’illustre homme qu’il était, le brillant ingénieur, est devenu cet alcoolique
bossu, dont le regard laisse à penser qu’il supporte tout le malheur du monde.
Souvent le soir, il rentre dans ma chambre, saoul, et m’accuse de la mort de ma mère. Et
il me frappe, bien sûr… Au départ, j’ai essayé de résister, mais il s’est acharné sur moi
encore plus. Alors depuis, je me laisse faire. Je le laisse faire. Et j’attends, j’attends qu’il se
calme les nerfs, qu’il ait rassasié sa faim de coups. Son péché mignon ? Frapper dans les
seins. Ça fait mal. Très mal. Mais au fond, n’a t’il pas raison ?? Peut être est-ce de ma faute
si ma mère est morte. J’ai tué ma mère. Il ne cesse de me le répéter. Mais c’est quand même
elle, ma mère, qui a décidé de ne pas avorter, alors qu’elle connaissait les risques de son
accouchement… C’est elle qui a choisi de mourir pour que je vive. Lui, il ne l’approuvait
pas, il ne la comprenait pas. Moi non plus. J’aurais préféré qu’elle vive et puis moi… Moi, au
moins, je n’aurais pas connu cet enfer.
Mon père quant à lui, ne m’a pas reconnu. Il ne doit même pas savoir que j’existe. Il
s’agissait d’une petite histoire d’amour. Une histoire d’une nuit. Je ne devais sûrement pas
être au programme. C’est mon oncle, Christophe, qui me l’a dit. On lui a donc proposé, à lui,
ma garde. Et il a accepté. C’est ma mère qui l’avait supplié, au cas où… Et le drame est
arrivé. Il a donc tenu sa promesse. A l’époque, il ne devait pas boire… Ce devait être un
autre homme.
Mardi 13 novembre
2000
Chère maman,
Si tu savais comme j’aimerais te connaître, pour de vrai, ne pas avoir à t’imaginer. Etre comme
les autres jeunes. Ils ont tant de chance ! Pourtant, ils râlent tout le temps sur leurs parents.
Ils ne s’aperçoivent pas de leur chance.
Je n’ai pas de très bonnes notes en ce moment. Il ne faut pas me gronder, je n’y peux rien si
je ne comprends rien. En tout cas, je sais que là où tu es, tu ne me traites pas de nulle comme
Christophe. Tu ne me frapperais pas, même si tu le pouvais… Alors que lui… Il ne fait que boire…
Et me frapper. Maman, je t’en supplie, aide-moi, j’ai besoin de toi ! Je ne pourrai pas résister
bien longtemps ! Mais je ne pleure pas. Depuis mes 12 ans, je me suis jurée de ne jamais pleurer
devant lui. Seulement après, quand je suis seule. Maman, aide-moi à le comprendre. Il ne peut
pas être méchant, puisque c’est ton frère et que tu l’adorais. Je ne comprends pas ! Tu aurais
mieux fait d’avorter. Ça n’aurait gêné personne, au contraire. Mais quand même, je ne suis pas
responsable ! Je n’ai fait que sortir de ton ventre ! Peut-on donc accuser un bébé du meurtre de
sa mère, juste parce qu’il est sorti de son ventre, de ce paradis où il était tranquille, où l’on
prenait soin de lui ?
Alors, pourquoi ? Pourquoi me bat-il ? Parce qu’il boit trop ? Là aussi ce n’est pas ma faute !
Mais c’est ton frère, alors je ne le dénoncerai pas. C’est la seule personne de la famille qu’il me
reste, et il me permet de mieux te connaître. En effet, parfois, il me raconte votre enfance. Ces
jours où il ne boit pas, je me jure de ne jamais le dénoncer. Et je tiens mes promesses. Toujours.
Dans ces moments là, je l’observe : son regard si sévère d’habitude devient si doux, rempli de
larmes, brillantes comme des perles… Il a le regard dans le vide, et ne peut s’empêcher de
s’emmêler les mains. Sa voix grave tremble légèrement. Il me parle de toi. J’aime ça. Là je me
dis que c’est peut être cet homme là que tu connaissais, que tu chérissais. Hier, il m’a promis que
ce week-end, il m’emmènerait là où vous jouiez le mercredi… J’espère que pour une fois, depuis
qu’il a commencé à boire, il tiendra sa promesse.
Jeudi, c’est mon anniversaire. C’est aussi le jour de ta mort, je sais, mais mon anniversaire
aussi… Et je pense que comme tous les ans, il ne va pas me le souhaiter… Je n’aurai comme
cadeau que des coups… Alors aujourd’hui, je lui ai volé un peu d’argent en allant acheter du pain,
comme ça, je pourrai m’acheter une petite part de gâteau…
Je l’entends arriver !!! Je te laisse !!
Je t’aime.
Laura.
Il est dans une colère folle : il a été renvoyé je crois…Vite courir aux WC, lui échapper. Je
ne veux pas être frappée. Je n’en peux plus. Je ferme le verrou. Ouf, il ne pourra pas m’avoir.
Il me cherche. Surtout ne pas faire de bruit. Je l’entends : « Laura, où es-tu ? » Il a bu, ça
s’entend. « Où te caches-tu sale garce ? » Oh, tu me payeras cette insulte, tu verras…
Mince, il essaye d’ouvrir la porte des toilettes ! Il s’acharne. J’ai peur. Il va défoncer la porte.
Que faire ? IL n’y a pas de fenêtre dans les cabinets. Donc pas de sortie de secours. Ça y est,
il est face à moi, AU SECOURS !! Je hurle. Mais je ne pleure pas. C’est décidé, je résiste,
j’ai bientôt 15 ans, dans deux jours, alors je suis peut-être devenue plus forte que lui… Je n’y
arrive pas, il est encore trop fort pour moi. Il a vraiment trop bu, je ne vais pas résister
longtemps, mon corps est à bout, et mon esprit à deux doigts de me lâcher. Non, résister, ne
pas pleurer, résister… Il faut que je lui tienne tête ! Mais là, il frappe vraiment trop fort.
Qu’est-ce qui va lâcher en premier, mon corps ou ma tête ? Mon corps, je le sens…. Arrête,
s’il-te plait, tu me fais mal, je t’en supplie ! Trop tard, je m’évanouis, inconsciente. Je n’ai
même pas été fichue de résister.
Jeudi 15 novembre 2000
Chère maman,
Avant hier soir, après t’avoir écrit ma lettre précédente, il m’a frappé. Trop fort. Et je me
suis évanouie. Pour la première fois, mon corps n’a pas réussi à résister. Christophe a dû
prendre peur et m’emmener à l’hôpital, j’y suis maintenant depuis deux jours. Depuis mon réveil.
Ils ne veulent pas me laisser partir. Je leur ai dit que tout allait bien. Ils n’arrêtent pas de me
poser des questions à propos de mes blessures, partout sur mon corps… Je crois qu’ils se
doutent de la vérité. Mais moi, je leur ai dit que j’étais tombé de vélo dans un chemin rempli de
pierre, et qu’avec l’élan, j’avais pris plusieurs de ces pierres en roulant… Ce n’est pas très
crédible j’avoue, enfin, je n’ai pas trouvé mieux, et puis, on ne sait jamais, cela peut arriver
quand même ! Je ne sais pas si Christophe leur a parlé. En tout cas, quand je me suis réveillée
hier matin, il était à côté de moi me tenant la main droite. On voyait des traces de larmes tout
au long de ses joues. Il m’a regardé d’un air désolé, et il m’a dit « pardonne-moi ».Mais comment
lui pardonner ? C’est facile, après avoir détruit mon enfance, et m’avoir battue jusqu’au sang, de
demander pardon.
Je te laisse, Sarah, une psychologue qu’ils m’ont mis sur le dos va arriver d’un instant à
l’autre. Elle est gentille, mais elle ne saura rien de moi. Ce n’est pas avec ses questions nulles
qu’elle m’aura. Elle me parle comme si j’avais quatre ans. Il faudra peut-être que je lui précise
quand j’en ai 15 maintenant. Eh oui, aujourd’hui, c’est mon anniversaire. Et je n’ai même pas eu le
gâteau que je m’étais promis.
Gros bisous,
Laura.
Encore devant cette Sarah… A nous deux ma chère, tu vas dire à tous tes amis que je vais
bien et que je peux sortir d’ici, d’accord ? Mais pour ça, il faut que je joue bien la comédie,
et que je fasse tout ce que tu veux, sans résister... Tu ne veux pas parler aujourd’hui ??
D’accord, tant mieux. Tu veux me laisser tranquille, dis-tu ? Ouf, ça me fera du bien. Oui, je
vais te faire des dessins, si c’est ça que tu veux. Je ne vais quand même pas lui dessiner une
maison ! Je ne suis plus une gamine ! Oh, ben tant pis, je la fais quand même. C’est notre
maison, elle n’y ressemble pas trop, pourtant j’ai essayé ! Là, il y a Christophe, et ici c’est
moi. Je dois faire d’autres dessins… c’est d’accord, après tout, c’est mieux que de te parler.
Jeudi
15
novembre
2000
(soir)
Maman,
J’ai fait une énorme bêtise : cet après midi, je me suis prise au jeu de Sarah, et j’ai fait des
dessins, c’était elle qui le voulait. Ensuite, elle est partie et elle m’a dit de continuer, qu’elle me
laissait tranquille. Sans m’en rendre vraiment compte, j’ai dessiné Christophe, moi, et même toi,
avec le même sourire que sur la photo que j’ai, ce sourire qui m’a permit de résister jusque là…
et puis j’ai dessiné Christophe en train de me battre, inconsciemment. Enfin, on ne sait pas que
c’est lui et moi, je ne dessine pas très bien.. Puis Sarah est venue prendre tous les dessins. Et là,
j’ai réalisé… Je ne sais pas pourquoi j’ai fait ce dessin... Peut être que mon esprit en avait marre
de tout ça, mais maintenant j’espère que Sarah ne fera pas attention à ce dessin.
Malheureusement j’en doute… J’inventerai bien d’autres mensonges, enfin je verrai…

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