Le juge et l`article R. 111-21 du code de l`urbanisme ou l
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Le juge et l`article R. 111-21 du code de l`urbanisme ou l
Le juge et l’article R. 111-21 du code de l’urbanisme ou l’appréciation de la qualité du cadre de vie par les tribunaux Aurélie TOURNIER, Parc naturel régional des Ballons des Vosges, juin 2006 [email protected] Rappel… Article R.111-21 du code de l’urbanisme « le permis de construire peut être refusé ou n’être accordé que sous réserve de l’observation de prescriptions spéciales si les constructions, par leur situation, leur architecture, leurs dimensions ou l’aspect extérieur des bâtiments ou ouvrages à édifier ou à modifier sont de nature à porter atteinte au caractère où à l’intérêt des lieux avoisinants, aux sites, aux paysages naturels ou urbains, ainsi qu’à la préservation des perspectives monumentales ». Cet article peut toujours être utiliser pour refuser un permis de construire, même lorsqu’un PLU est applicable sur la commune. Quelques chiffres… Une recherche superficielle a été menée sur une centaine d’affaires où l’argument du non respect de l’article R. 111-21 du code de l’urbanisme a été soulevé. 15% des arrêts annulent le permis de construire ou confirment le refus de permis sur la base du non-respect de l’article R. 111-21. 45% des arrêts rejettent l’argument fondé sur l’article R. 111-21. 55% des arrêts n’étudient pas l’argument et se fondent sur d’autres arguments pour juger. La suite de cette brève analyse se base sur l’étude plus approfondie de 37 arrêts de Cours Administratives d’Appel ou du Conseil d’Etat. 24 arrêts refusent l’annulation du permis sur le fondement de l’article R. 111-21, et 13l’accordent. Pour apprécier si le permis de construire a été accordé en contradiction avec les dispositions de l’article R. 111-21, le juge vérifie deux éléments : - si les lieux ont un caractère ou un intérêt particulier - s’il a été porté atteinte à ce caractère ou intérêt L’appréciation du caractère des lieux Sur les 24 arrêts qui refusent l’argumentaire fondé sur l’article R. 111-21, 12 arrêts se basent sur le fait que les lieux n’ont pas de caractère ou d’intérêt « particulier » ou « spécifique ». Quels sont les lieux qui présentent un caractère ou un intérêt particulier ? ce ne sont pas obligatoirement les sites qui font l’objet d’une protection réglementaire - « les dispositions de l’article R. 111-21 sont applicables alors même que les lieux avoisinants n’auraient fait l’objet d’aucune protection spécifique ». (CAA Marseille, 3 juin 2004) - « que ces dispositions trouvent une application alors même que les lieux avoisinants n’auraient fait l’objet d’aucune décision administrative mettant en œuvre une procédure de protection ». (CAA Nancy, 23 juin 2005) - « seule la circonstance que le terrain d’assiette de ces constructions serait sur le point d’âtre inclut dans le site inscrit des Alpilles n’est pas elle même de nature à faire regarder le projet comme portant atteinte au caractère ou à l’intérêt des lieux ». (CAA Marseille, 10 nov. 2004) - Même si cela peut aider : « l’implantation du projet se situe dans un bois inscrit » (CAA Bordeaux 5 déc. 2005) la preuve n’est pas rapportée que « le village, qui n’ai fait l’objet d’aucune mesure de protection spécifique, présenterait, eu égard à ses caractéristiques architecturales, un intérêt particulier ». (CAA Marseille, 13 jan. 205) ce sont plus facilement les sites à dominante naturelle ou avec un patrimoine régional marqué (pittoresque, conservé, etc.) - « ce village, eu égard à ses caractéristiques architecturales régionales, présente un intérêt certain ». (CAA Marseille, 3 juin 2004) - « faible densité de l’habitat individuel » (CE 9 fév. 2004) - « site particulièrement sensible et exceptionnel que constituent les marais salants » (CE 3 mai 2004) - « lieux environnants caractérisés par la présence de constructions individuelles dont l’architecture est typique des stations balnéaires locales ». 5CAA Nantes, 3 fév. 2004) - « partie sommitale d’une colline boisée, caractère naturel du secteur ». (CAA Marseille, 13 jan. 2005) ce ne sont plus difficilement les sites où il y a déjà des constructions de styles disparates et actuels - « partie de la commune éloignée du centre village, ou existent, outre quelques fermes jurassiennes traditionnelles, des maisons plus récentes, que ces constructions ne présentent pas d’unité architecturale » (CAA Nancy, 3 mars 2005) - « le projet en cause ne porte pas atteinte à un site qui ne se caractérise pas principalement par une architecture régionale mais par la disparité des constructions et des matériaux utilisés ». (CAA Douai, 21 oct. 2004) - « le projet ne porte pas atteinte à l’intérêt, des lieux avoisinants caractérisés par la présence de nombreuses construction sans intérêt architectural particulier ». (CAA Nantes 26 déc. 2003) Quelles conclusions sur cette approche du juge ? L’article R. 111-21 du code de l’urbanisme ne parle en aucun cas de caractère ou intérêt « particulier » ou « spécifique », ni même seulement de paysage naturel, ni de paysage « remarquable ». Il parle de porter atteinte : - au caractère ou à l’intérêt des lieux avoisinants - aux sites - aux paysages naturels ou urbains - à la préservation des perspectives monumentales Il nous semble donc que les magistrats font le plus souvent une application erronée des dispositions de cet article, influencée par une vision très patrimoniale du paysage. Rien n’empêche donc de prouver qu’une zone pavillonnaire, ou industrielle est un paysage urbain qui peut être pris en compte pour fonder un refus de permis sur la base de l’article R. 111-21. C’est d’ailleurs ce qu’on fait certains juges, comme la Cour administrative d’appel de Nancy (23 juin 2005) qui a annulé un permis d’une construction dans un zone pavillonnaire « banale ». Rappel du préambule de la convention européenne du paysage, ratifiée par la France : Reconnaissant que le paysage est partout un élément important de la qualité de vie des populations : dans les milieux urbains et dans les campagnes, dans les territoires dégradés comme dans ceux de grande qualité, dans les espaces remarquables comme dans ceux du quotidien ; L’appréciation de l’atteinte au caractère ou à l’intérêt des lieux avoisinants, aux sites, aux paysages naturels ou urbains, à la préservation des perspectives monumentales Une fois prouvé que le site dans lequel la construction est prévue constitue un paysage urbain ou présente un intérêt quelconque, il faut prouver qu’elle porte atteinte à ce site. Comment le juge apprécie t-il l’atteinte au site ? principe d‘unité architecturale : dès lors que les constructions voisines ressemblent à la construction litigieuse, la construction litigieuse ne porte pas atteinte au site. Et dès lors qu’une construction se distingue par rapport aux voisines, elle porte atteinte au site. - « en dépit de son volume et de son aspect extérieur, le projet de construction envisagé (ne pose pas de difficulté car il n’est pas prouvé) qu’il n’est pas en rapport avec le caractère dominant des constructions voisines. » (CAA Douai 16 déc. 2004) - « il ne ressort pas des pièces du dossier, qu’eu égard notamment à la présence d’un atelier de réparation automobile et d’élevage de poulets sur une parcelle voisine de terrain d’assiette de la construction projetée, que cette dernière serait de nature à porter atteinte au caractère des lieux avoisinants. » (CAA Marseille, 17 juin 2004) - « la maison, implantée en façade de la voie publique, fait partie d’un ensemble de maisons lorraines traditionnelles de taille basse caractérisée par des toitures à faible pente dépourvues de toute ouverture. Cet ensemble d’habitations présentait encore, nonobstant la surélévation regrettable de la maison litigieuse, une certaine homogénéité que l’arrêté litigieux à définitivement rompue en autorisant le percement de la toiture et la création de chiens assis qui ne sont ps compatibles avec le style régional ». (CAA Nancy, 23 juin 2005) - « le projet de construction prévoyait la réalisation d’une maison individuelle en bois, avec une toiture plate en verre. Eu égard au matériau envisagé pour sa construction, qui ne correspond pas aux aspects architecturaux des lieux avoisinants, la construction porte atteinte au lieu ». (CAA Marseille 3 juin 2004) plus le projet est important, flagrant, plus facilement sa construction sera refusée - « le projet de construction consiste, sur des terrains jouxtant immédiatement les marais salants de Guérande, en la réalisation de 240 logements répartie en 34 bâtiments. » (CE 3 mai 2004) - « le projet consiste en la réalisation d’un bâtiment agricole constitué par un bardage en maçonnerie sur une hauteur de 2 mètres surmonté d’un bardage en tôle laquée verte, la hauteur étant de 6 mètres d’un coté et de 4 mètre de l’autre coté et sa hauteur au faîtage atteignant 6,90 mètres. »(CAA Douai, 13 mai 2004) Même si parfois un permis pour une maison d’habitation individuelle peut être annulé (voir ci dessus CAA Nancy, 23 juin 2005, CAA Marseille, 3 juin 2004) si la construction est cachée par la végétation, elle ne porte pas atteinte au site - « en raison des caractéristiques de l’installation projetée qui ne comporte qu’un seul niveau et qui sera au demeurant pour partie masquée par une culture végétale et grillage », elle ne porte pas atteinte au site. (CAA Douai, 21 octobre 2004) - « le bâtiment devait être constitué de parpaings enduits de tuiles nervurées et comporter une toiture en fibro-ciment et le permis de construire impose la plantation d’une haie d’arbustes et d’arbrisseaux afin de masquer les façades sud et ouest », il ne porte donc pas atteinte au site. (CAA Nancy, 5 fév. 2004) - « il ressort des pièces du dossier que le projet, qui se situe en bordure d’une ceinture boisée, prévoit la réalisation de plantations et d’engazonnements pour limiter l’impact visuel de l’installation », il ne porte donc pas atteinte au site. (CAA Marseille, 24 nov. 2005) Quelles conclusions sur cette approche du juge ? Là encore, le juge a une conception de l’architecture et du respect du site très traditionaliste et patrimoniale. Il est toutefois important de noter que l’opinion du juge se forge à partir des pièces du dossier qui lui sont fournies et de l’argumentaire qui est développé. Donc, à partir du moment où l’argumentaire est complet et précis et étayé selon une approche scientifique et non subjective, l’opinion du juge peut évoluer. Mais cette approche à des limites car bien évidemment, parfois la qualité du cadre de vie et le respect du site d’implantation doivent être appréciées de façon sensible et subjective. Le juge, le droit, que ce soit à partir du règlement du PLU ou de l’article R. 11121 du code de l’urbanisme ne peuvent pas gérer nos paysages. Le droit est là en garde fou, pour adoucir les arrêtes, mais il ne crée pas de qualité, de convivialité, ni même de bon sens populaire. Il n’y a que le dialogue, l’explication, le temps, la pédagogie, soutenus par un projet politique clair qui peuvent créer cela.