Téléchargez l`analyse - Orchestre Philharmonique de Strasbourg
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Jeudi 26 mai 2016 20h Samedi 28 mai 2016 20h Strasbourg, PMC Salle Érasme Marko Letonja direction Baiba Skride violon Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) Sérénade n° 6 en ré majeur "Serenata notturna" KV. 239 Marche (maestoso) Menuetto Trio Rondeau (allegretto) Piotr Ilyitch Tchaïkovski (1840-1893) Concerto pour violon et orchestre en ré majeur op. 35 Allegro moderato Canzonetta Allegro vivacisimo ► Ludwig van Beethoven (1770-1827) Symphonie n° 4 en si bémol majeur op. 60 Adagio – Allegro vivace Adagio Allegro vivace Finale (Allegro ma non troppo) 13’ 33’ 34’ Mozart nous distrait grâce à ses cassations, divertimenti et sérénades. Il exploite au maximum les capacités de son petit « orchestre », espérant surprendre et surtout déconcerter ses auditeurs. Beethoven déconcerte tout autant le public car sa Quatrième symphonie multiplie les contrastes étranges, les dissonances les plus déroutantes. L’orchestre classique est condamné ! Quant à Tchaïkovski, ce sont les moments tragiques de son existence qui sont à la source du plus important concerto pour violon russe du XIXe siècle. Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) Sérénade n° 6 en ré majeur « Serenata notturna » K 239 À l’époque de Mozart, il était de coutume d’accompagner en musique les évènements qui rythmaient la vie de la cité, par des pièces parfois de plein air. Cette Sérénade en ré majeur fut composée en février 1776, à Salzbourg. Était-elle destinée aux soirées du carnaval de Salzbourg ? L'orchestration nous parait modeste, mais l'effet produit est étonnant grâce à l’emploi si astucieux des timbales et surtout à la répartition de l’espace sonore en deux formations. En effet, un premier petit ensemble regroupe deux violons solo, alto et contrebasse. Le second ensemble réunit deux violons, altos, violoncelles et les timbales. Les repères entre fanfare publique et musique de chambre sont abolis avec un humour pince-sans-rire. Ainsi, après la Marche (maestoso), pompeuse fanfare publique, le Menuetto et le Trio font alterner champ “public” et champ “privé”, entre concerto grosso baroque et air d'opéra. Qui plus est, on perçoit également des réminiscences d’opéras et notamment de Don Giovanni. Pire encore pour les chastes oreilles de l'archevêque Colloredo, le Rondeau (allegretto) conclusif pastiche quelque opéra de Haendel en abusant d'une rengaine assez triviale. On imagine aisément les gloussements de rire du compositeur dirigeant ses interprètes… Piotr Ilyitch Tchaïkovski (1840-1893) Concerto pour violon et orchestre en ré majeur op.35 Le Concerto en ré majeur fut composé dans la même tonalité que ceux de Beethoven et de Brahms, tonalité rayonnante et qui ne laissait rien paraître de la dépression que vivait alors le musicien. La partition fut composée entre mars et avril 1878 et ce travail permit en quelque sorte d’oublier les vicissitudes de l’existence. En effet, l’échec lamentable de son mariage avec Antonina Milukova (il s’enfuit du domicile conjugal après un simulacre de suicide) nous est révélé à demi-mot dans sa correspondance avec son amie et mécène Mme von Meck :« Comme toute œuvre écrite pour permettre des démonstrations de virtuosité, elle contient beaucoup de choses froidement calculées, mais ces thèmes ne sont pas nés sous la contrainte et tout le plan de ce mouvement m’est venu d’un seul coup et s’est déterminé spontanément.» Le Concerto pour violon en ré majeur peut être considéré comme le premier concerto russe qui se soit imposé sur la scène internationale. Tchaïkovski possédait déjà une solide connaissance de l’écriture violonistique, compositeur déjà d’une Sérénade mélancolique et d’une Valse-Scherzo. Leopold von Auer (1845-1930), l’un des plus grands virtuoses de l’époque et remarquable pédagogue, avait été pressenti pour assurer la création du Concerto. Hélas, il émit un jugement négatif, estimant la pièce inexécutable. Tchaïkovski se tourna alors vers un autre violoniste, Adolf Brodsky (1851-1929), qui devint quelques années plus tard, le violon solo de l’Orchestre symphonique de New York. Il accepta de relever le défi et devint le dédicataire de la partition. Les musicologues s’interrogent encore sur la date et le lieu exact de la création : New York, sous la direction de Walter Damrosch ? Vienne, le 8 décembre 1881 ? L’œuvre fut tout d’abord mal accueillie. Le chef d’orchestre Hans Richter (1842-1916) jugea le Concerto “nauséabond”, reprenant à son compte la critique fielleuse d’Edouard Hanslick : « Le compositeur russe Tchaïkovski est certes un talent remarquable, mais qui produit des œuvres indigestes et de mauvais goût. Tel est son nouveau concerto pour violon, une œuvre longue et prétentieuse […]. Nous y voyons distinctement des faces sauvages, entendons des jurons grossiers et respirons des relents d’eau-de-vie. Friedrich Fischer a dit un jour à propos d’un tableau qu’on “le voyait sentir mauvais”. En écoutant le concerto de M. Tchaïkovski, on se prend pour la première fois à penser qu’il existe aussi des musiques que l’on peut entendre sentir mauvais. » Ce ne fut qu’après la mort du compositeur, lorsque Auer daigna s’intéresser enfin à la partition, que le public réserva un accueil triomphal au concerto qui connut la carrière que l’on sait. L’inventivité et le dynamisme de l’Allegro moderato rappellent ceux du Premier concerto pour piano. Le violon présente les deux thèmes, l’un enjoué, l’autre plus rêveur. L’orchestre demeure dans son rôle d’accompagnateur jusqu’au développement du second thème. La cadence du soliste, qui est placée avant la réexposition, comme dans le Concerto de Mendelssohn déploie toute la technique du violon : grands intervalles, arpèges en tous sens, harmoniques, glissandos de sixtes... Le deuxième mouvement, en sol mineur, porte le titre de Canzonetta. Tchaïkovski composa tout d’abord une Méditation dont il garda finalement le matériel pour l’insérer comme introduction à son triptyque pour piano, Souvenir d’un lieu cher. Le violon, en sourdine, traduit ses accents slaves… dans une mélodie italienne ! La richesse du thème favorise de multiples occasions de dialogues entre le soliste et la petite harmonie. Le finale, Allegro vivacissimo, est directement enchaîné. Il s’ouvre sur un fortissimo éclatant. Les couleurs tziganes dominent la partition et le violon fait assaut de virtuosité tout en témoignant à quel point il est redevable du Concerto en mi mineur de Mendelssohn. Deux idées thématiques irriguent le mouvement. L’une traduit l’impression de fête populaire, l’autre puise aux sources des mélodies folkloriques russes. C’est cette dernière qui souleva la plus vive réprobation de la critique qui ne pardonna pas au compositeur russe d’user d’un langage aussi trivial. Il est vrai que cette robuste danse paysanne avait tout lieu de heurter la sensibilité raffinée du public du Musikverein de Vienne ! Ludwig van Beethoven (1770-1827) Symphonie n°4 en si bémol majeur op.60 Après la Troisième symphonie, qui avait provoqué une rupture avec les deux premiers opus encore fortement marqués par les influences combinées de Haydn et de Mozart, Beethoven choisit de revenir dans sa nouvelle partition, en si bémol majeur, au style des deux premières symphonies. De fait, l’auditeur peut éprouver le sentiment d’une œuvre plus « abordable ». L’étude de la partition contredit cette première impression. Revenons à la genèse de la symphonie. Juste après avoir achevé la Symphonie « Héroïque », à l’époque de l’écriture des Quatuors Razoumovski et du Concerto pour violon, Beethoven met en chantier l’écriture d’une pièce qui deviendra par la suite la Cinquième symphonie. Entre l’été et l’automne 1806, il compose une nouvelle partition en si bémol majeur dont la création a lieu en mars 1807, lors d’un concert privé au Palais du prince Lobkowitz, à Vienne. Le public viennois découvre la nouvelle symphonie quelques mois plus tard, au Burgtheater, le 15 novembre 1807. La Symphonie surprend par la concision et la puissance de ses effets qui ne sont pas sans rappeler les dernières symphonies de Haydn. L’orchestration fait appel aux instruments à vent par “deux”. L’Adagio s’ouvre par une lente introduction suspendue par d’étranges enchaînements harmoniques. Ils provoquent de saisissants contrastes avec le thème principal qui surgit grâce à un Allegro vivace, joué fortissimo. Les éléments rythmiques pointés, signature beethovénienne par excellence, s’associent au caractère apollinien de la partition. Certains instruments comme le basson donnent de précieuses indications quant à l’unité du mouvement qui mêle à la fois une recherche sur le rythme mais également sur les timbres. Jusqu’à cette symphonie, Beethoven avait employé les timbales de manière parcimonieuse. Ici, elles prennent une importance considérable : leur jeu est varié, assurant l’élan de tout l’orchestre. L’Adagio qui suit associe un élément rythmique exposé alternativement aux violons puis aux timbales. Cette pulsation qui ne cesse de croître se superpose au chant des premiers violons. Les vents colorent l’ensemble à la manière d’une houle. Le mouvement est interrompu par des contrastes dynamiques qui vont jusqu’au silence. Toutefois, la pulsation revient inexorablement, entêtante jusqu’à la dissonance. Les derniers accords éclatent avec une ampleur qui prépare au déferlement sonore du mouvement suivant. L’Allegro vivace est un scherzo particulièrement dynamique. Il reprend le rythme obsessionnel de l’Adagio, affirmant avec puissance le pas d’une danse martelée. A l’intérieur du mouvement, le Trio offre l’unique rupture de climat. Mené par la petite harmonie, dolce - Un poco meno allegro -, il suggère un dialogue original entre les bois et les cors. Mais la surprise vient de la conclusion, qui libère la puissance de tous les pupitres. Elle clôt cette page, qui pourrait être comprise comme le finale, dans un accord de si bémol joué fortissimo. Le dernier mouvement de la Symphonie est un Allegro ma non troppo dont l’énergie est canalisée à la manière d’un perpetuum mobile assuré par les premiers violons. Beethoven joue sur la virtuosité de l’orchestre pour marquer la dissonance des accords, les pauses théâtrales et l’apparition d’un second thème qui met en lumière le hautbois. L’écriture donne l’impression d’un bouillonnement de l’espace sonore et d’un orchestre sur le point d’imploser. Tant d’audaces dissimulées dans une écriture encore d’inspiration classique déconcertèrent le public et plus encore la presse conservatrice de Vienne. L’œuvre est, en apparence seulement, moins spectaculaire que les deux partitions qu’elle encadre, l’Héroïque et la Cinquième symphonie. Il fallut toute la ténacité de Mendelssohn, puis de Schumann, pour que la Symphonie prenne toute sa place dans la programmation du cycle des neuf opus. Beethoven dédia la Symphonie au Comte Franz von Oppersdorf, un mélomane berlinois dont il espérait probablement recevoir une commande… Discographie conseillée Mozart, Sérénade • English Concert, dir. Andrew Manze (Harmonia Mundi, 2003) • Camerata Academica de Salzbourg, dir. Sandor Vegh (Capriccio, 1986) • Orchestre philharmonique de Berlin, dir. Herbert von Karajan (Deutsche Grammophon, 1968 ou 1983) Tchaïkovski, Concerto pour violon • Christian Ferras (violon), Orchestre philharmonique de Berlin, dir. Herbert von Karajan (Deutsche Grammophon, 1965) • David Oïstrakh (violon), Orchestre de Philadelphie, dir. Eugene Ormandy (Sony, 1975) • Nathan Milstein (violon), Orchestre philharmonique de Vienne, dir. Claudio Abbado (Deutsche Grammophon, 1973) • Jascha Heifetz (violon), Orchestre symphonique de Chicago, dir. Fritz Reiner (RCA, 1957) Beethoven : Symphonie n°4 • Wilhelm Furtwängler, Orchestre philharmonique de Berlin (1952, EMI Classics) • Herbert von Karajan, Orchestre philharmonique de Berlin (1977, Deutsche Grammophon) • Nikolaus Harnoncourt, Orchestre de chambre d’Europe (1994, Teldec)