Si les vaches pouvaient parler…
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Si les vaches pouvaient parler…
SANTÉ ANIMALE DOULOUREUSE LA MAMMITE? Si les vaches pouvaient parler… Demandez à une femme qui allaite si la mastite est douloureuse. Sans équivoque, la réponse sera « OUI ». Maintenant, demandez à une vache... La réponse pourrait être plus difficile à interpréter. Toutefois, les chercheurs progressent dans leur compréhension du langage des vaches. Jusqu’à maintenant, les effets des infections du pis sur le comportement et le bien-être des vaches demeurent très peu connus. Nous savons que les animaux qui souffrent de mammite ont une santé compromise et qu’une thérapie de soutien pourrait leur être bénéfique. Nous savons aussi qu’un traite- Par KEN LESLIE, professeur, Ontario Veterinary College, University of Guelph, CAMILLA KIELLAND, Norwegian School of Veterinary Science, Oslo, Norvège, SUZANNE MILLMAN, Veterinary Diagnostic & Production Animal Medicine, Iowa State University, États-Unis et JULIE BAILLARGEON, agronome, agente de transfert au RCRMB ment approprié de la mammite clinique devrait être obligatoire dans le but de soulager la vache de la souffrance causée par la douleur, l’inconfort, la détresse et la maladie. Certes, la thérapie de soutien pour la mammite clinique, par l’administration de médicaments anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS), est logique et disponible mais les références sur l’évidence de son efficacité et les approbations réglementaires dans ce domaine sont limitées. Or, les outils et les moyens techniques pour effectuer de la recherche sur le comportement animal ont grandement été améliorés et sont désormais couramment disponibles. Cependant, l’utilisation de ces méthodes en recherche sur la mammite est, jusqu’à maintenant, restreinte. COMMENT MESURONS-NOUS LA DOULEUR CHEZ LES ANIMAUX? Reconnaître et mesurer la détresse et la douleur chez les animaux représente tout un défi, car ces émotions ne peuvent être mesurées que de façon indirecte. Il existe différentes réponses à la douleur parmi les espèces et les individus, et selon les différents stades d’une maladie ou d’une condition aiguë, voire chronique. Toutefois, l’indicateur premier de la douleur reste un changement dans le comportement normal. Le traitement de toute mammite clinique devrait être obligatoire pour soulager la vache de la souffrance causée par la douleur, l’inconfort, la détresse et la maladie. 24 JUILLET/AOÛT 2010 LE PRODUCTEUR DE LAIT QUÉBÉCOIS L’évaluation de la douleur chez le bétail, et chez les bovins en particulier, est difficile à cause de leur nature stoïque innée. Les bovins ont évolué en étant des proies. Conséquemment, on ne remarque que de très subtils changements dans leur comportement pour indiquer la douleur et la souffrance. Les bovins sont programmés à ne pas démontrer leurs émotions, car cela pourrait leur être néfaste. Ainsi, la douleur et la détresse peuvent avoir un impact significatif sur le bien-être et la rentabilité. EST-CE QUE LA MAMMITE EST DOULOUREUSE POUR LES VACHES? Depuis quelques années, divers éléments de réponse à cette question délicate nous sont rapportés grâce à la recherche. Dans une étude récente, des vaches ont été infectées expérimentalement avec une endotoxine associée à la mammite clinique à coliformes, les vaches témoins n’ayant reçu que de la saline. Ce qui est inté- ressant, c’est qu’on a observé chez les vaches infectées par l’endotoxine de plus hauts pics du comptage des cellules somatiques des quartiers, des températures rectales plus élevées et un taux de cortisol sanguin supérieur dans les 24 premières heures suivant l’infusion, comparativement aux vaches témoins. De plus, les vaches infectées par l’endotoxine ont passé moins de temps à manger, à ruminer et à se coucher dans leurs stalles. Elles ont démontré moins de contractions du rumen, particulièrement lorsque la température corporelle atteignait un pic. Des cas de mammites cliniques légère et modérée ont aussi été étudiés dans d’autres recherches. Il a été constaté que chez les vaches ayant une mammite clinique modérée, la fréquence cardiaque, la température rectale et la respiration étaient significativement plus élevées, comparativement à des vaches ayant une mammite clinique légère et à des vaches saines. Pour ces deux types de mammites, légère et modérée, la distance entre les jarrets était significativement plus élevée lorsque comparée à celle des vaches saines, indiquant un changement dans la position. Les vaches ayant une mammite clinique légère ou modérée ont de plus démontré davantage de sensibilité à un stimulus de pression mécanique exercé sur la patte à proximité du quartier malade, suggérant un changement dans le traitement de l’information de la douleur, qui résulte de l’inflammation. Les niveaux des comptages des cellules somatiques et de cortisol étaient aussi significativement plus élevés chez les vaches souffrant de mammite, comparativement aux vaches saines. Ces études tendent à démontrer que la mammite modifie les comportements normaux et cause des changements systémiques et physiologiques qui sont indicateurs de douleur. Ainsi, même s’il y a des conséquences et des signes de douleur, les vaches souffrant d’une mammite clinique modérée reçoivent rarement une thérapie de contrôle de la douleur. Il est probable, cepen- JUILLET/AOÛT 2010 LE PRODUCTEUR DE LAIT QUÉBÉCOIS 25 SANTÉ ANIMALE dant, que l’usage d’une médication pour la gestion de la douleur aiderait à réduire l’inflammation et la fièvre tout en diminuant la sensibilité à la douleur. Aussi, ce traitement pourrait grandement améliorer le bien-être de l’animal. Les décisions de traitement pour les animaux atteints de mammite clinique sévère impliquent habituellement l’intervention du médecin vétérinaire. Les résultats de plusieurs sondages ont montré que les producteurs laitiers et les médecins vétérinaires s’accordent généralement pour dire que les cas de mammite sévère causent de la douleur et une détresse réelles aux animaux. Alors, il devient relativement courant de donner à ces vaches une thérapie de soutien par des AINS, en plus des antibiotiques. L’UTILISATION DE MÉDICAMENTS POUR RÉDUIRE LA DOULEUR ASSOCIÉE À LA MAMMITE Même si cette approche du traitement est relativement bien adoptée, la recherche effectuée pour appuyer son utilisation est quelque peu limitée. Tel que mentionné précédemment, le traitement par des AINS a montré qu’il pouvait réduire la température rectale et les signes d’inflammation, maintenir la motilité du rumen et réduire la fré- quence cardiaque chez des vaches atteintes de mammite causée expérimentalement par une endotoxine, comparativement aux vaches témoins. En infusant des vaches avec des bactéries E. coli et en leur administrant des AINS avant l’apparition des signes cliniques, on a constaté que deux traitements impliquant un AINS ont presque entièrement bloqué la réaction fiévreuse et ont retardé la diminution de l’activité ruminale. D’autres études portant sur la mammite à coliformes causée expérimentalement ont aussi montré une meilleure guérison. Dans une expérience similaire, on a observé que le traitement avec des AINS a réduit l’inflammation mammaire et la température rectale, mais qu’il n’a pas eu d’effet sur les pertes de production de lait ou la diminution de l’appétit. Malheureusement, il est difficile de faire la comparaison entre les différents cas de mammites cliniques induites expérimentalement et les infections survenant de façon naturelle. Or, l’effet des AINS sur les infections naturelles n’est pas très bien documenté dans la littérature. Pourtant, il existe plusieurs similarités entre les symptômes cliniques des QUE SONT LES MÉDICAMENTS ANTI-INFLAMMATOIRES NON STÉROÏDIENS? Les médicaments anti-inflammatoires non stéroïdiens sont utilisés chez les animaux pour réduire l’inflammation (anti-inflammatoire), la douleur (analgésique), la sensibilité à la douleur (antihyperalgésique) et la température corporelle générale (antipyrétique). Le terme « non stéroïdien » est utilisé pour distinguer ces médicaments des stéroïdes, tels que la cortisone, qui ont une action similaire. 26 JUILLET/AOÛT 2010 LE PRODUCTEUR DE LAIT QUÉBÉCOIS LA RECHERCHE SUR LA DOULEUR ASSOCIÉE À LA MAMMITE AU RCRMB Une équipe de chercheurs dirigée par le Dr Ken Leslie a récemment entrepris un projet de recherche qui permettra d’améliorer notre compréhension des changements du comportement associés à la mammite clinique et à l’inconfort ressenti à la suite du tarissement. Les découvertes découlant de cette recherche fourniront un cadre de base pour l’élaboration de nouvelles stratégies thérapeutiques et pratiques de gestion. Tous les producteurs de lait canadiens participent financièrement à ce programme de recherche et sont impliqués à tous les paliers de décision du RCRMB. Pour plus d’information et de ressources pratiques sur la santé du pis, visitez le site web du RCRMB au www.reseau mammite.org, et inscrivez-vous en ligne à notre bulletin électronique Flash-mammite dès maintenant! infections de cause naturelle et ceux des infections induites par des endotoxines. Une étude portant sur des infections mammaires de cause naturelle rapporte que les animaux ont reçu des antibiotiques et un AINS au moment du premier examen. Par contre, celle-ci ne démontre aucune différence quant à l’occurrence de fièvre, la production laitière ou le besoin de traitements additionnels entre les groupes étudiés lors du suivi des animaux toutes les 24 heures. D’autre part, dans un article récemment publié, le traitement de la mammite clinique avec une combinaison d’AINS et d’antibiotiques était évalué pour son effet sur le comptage des cellules somatiques (CCS), les pertes de rendement en lait, les symptômes cliniques et les taux de réforme, comparativement à un traitement aux antibio- tiques seulement. Les vaches de 15 troupeaux atteintes de mammite clinique au cours des 200 premiers jours en lait ont été traitées avec des antibiotiques pendant trois jours. La moitié de ces vaches ont également reçu une thérapie aux AINS. Les résultats n’ont montré aucune différence en ce qui a trait aux symptômes cliniques, au rendement en lait journalier, aux températures et aux autres paramètres entre les groupes expérimentaux. Cependant, le CCS était plus faible chez le groupe traité par des AINS, comparativement au groupe témoin. Également, un nombre plus faible de vaches ayant reçu la thérapie de gestion de la douleur ont été retirées des troupeaux. La conclusion est que le traitement des vaches souffrant de mammite clinique avec une combinaison d’AINS et d’antibiotiques a conduit à un plus faible CCS et réduit le risque de celles-ci d'être retirées (réformées) du troupeau, comparativement au traitement avec des antibiotiques seulement.Malheureusement, les change- ments du comportement et les réponses physiologiques à la douleur n’ont pas été mesurés au cours de cette étude. L’utilisation des AINS dans le traitement de la mammite est plus souvent recommandée pour les cas de mammite sévère causée par des endotoxines et n’a pas été largement adoptée comme traitement standard des cas de mammites cliniques légères et modérées. Pour celles-ci, les décisions de traitement n’impliquent pas toujours le médecin vétérinaire directement. Habituellement, la thérapie de ces cas au moment de la détection demeure à la discrétion du producteur laitier ou du gérant de ferme. De plus en plus, le personnel de la ferme applique un protocole de traitement conçu conjointement par le personnel de la ferme et l’équipe responsable de la santé du troupeau. Il est souhaitable de concevoir des procédures normalisées d’opération pour le protocole de traitement de tous les cas de mammite clinique et de consulter son médecin vétérinaire à ce sujet. Ainsi, cela donnerait l’opportunité d’accroître l’usage de la thérapie à base d’AINS pour les cas de mammites cliniques légère et modérée. Le consommateur continuera d’exercer une influence croissante sur l’industrie agricole en demandant des produits qui respectent le bien-être animal et en acceptant de les payer plus cher. Il est clair que les producteurs laitiers devront accroître leur vigilance pour assurer une bonne gestion et de bons soins à leurs animaux, spécialement lors des épisodes de maladies cliniques. L’importance d’une thérapie appropriée pour tous les cas de mammite clinique devrait être un objectif majeur de l’industrie laitière. Le changement de la perception du bien-être des animaux de la ferme et l’augmentation de nos connaissances de base sur cette question amélioreront la création et la mise en place de programmes de thérapie adéquats pour des maladies telles que la mammite clinique chez la vache laitière. ■ JUILLET/AOÛT 2010 LE PRODUCTEUR DE LAIT QUÉBÉCOIS 27