du Condor - Marianne

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du Condor - Marianne
Le grand retour
du Condor
80 / Marianne / 25 septembre au 1er octobre 2015
l’équipe d’un sénateur et, au fil de
ses rencontres dans les couloirs du
Congrès, s’informe des dessous pas
très reluisants de la politique américaine : meurtres cachés, soutien
aux juntes factieuses, complots en
tout genre. Il écrira le livre de retour
à Shelby, prenant sur ses nuits et
ses week-ends tout en assurant
divers petits jobs gouvernementaux.
Envoyé par la poste, son manuscrit,
baptisé les Six Jours du Condor,
est retenu par l’éditeur new-yorkais W.W. Norton qui lui accorde
1 000 dollars et surtout un pourcentage sur les droits audiovisuels
vendus à la société de Dino De Laurentiis, le flamboyant producteur
italien, associé pour l’occasion à la
Paramount. « Mon premier chèque
issu du cinéma, racontera bien
plus tard Grady, représentait six
fois le salaire annuel de mon père,
directeur de théâtre. » L’apprenti
écrivain a accepté que des scénaristes changent le patronyme de
son héros, (Ronald Malcolm dans le
livre) et resserrent son récit, ainsi
amputé d’une moitié temporelle.
Hasard des programmations,
à l’heure où l’éditeur suédois
Norstedts sort en fanfare son Millénium 4, un peu plus de dix ans
après le décès de Stieg Larsson
(et écrit par un autre), Rivages
publie enfin un nouveau chapitre
des aventures du Condor. Les deux
ouvrages présentent grosso modo
le même décor contemporain – soit
le monde de l’après-11 septembre
où sévit le contrôle généralisé des
JAMES GRADY
redonne vie au
Condor quarante
ans après.
mp / leemage
Q
uand il interprète
le rôle principal
des Trois Jours du
Condor, sortis sur
les écrans en 1975,
Robert Redford a
presque 40 ans. Bien
que sa carrière soit
déjà au firmament,
le film de son ami et
réalisateur fétiche Sydney Pollack
lui confère une nouvelle aura. Celle
d’un acteur « engagé », icône d’un
cinéma grand public mais citoyen,
radiographie d’une Amérique désenchantée, déboussolée par le scandale du Watergate, la fin de la guerre
du Vietnam et la défiance grandissante à l’égard des institutions. Redford y campe le personnage d’un
modeste analyste employé dans une
obscure et secrète annexe de la CIA,
Joseph Turner, lequel est brutalement propulsé dans les coulisses
tordues des agences de renseignements où, transfiguré par la traque
dont il est l’objet et surmontant tous
les pièges, il devient « le Condor »,
nom de code porté précédemment
par un des plombiers du Watergate…
Parmi les millions de spectateurs
que le film réunit dans les salles,
combien savent alors qu’il s’agit
de l’adaptation du premier roman,
publié un an auparavant, d’un jeune
écrivain, James Grady, originaire
d’une minuscule bourgade du
Montana, Shelby – qu’il a quittée
pour tenter sa chance à Washington DC ? Il y étudie le journalisme,
collabore comme stagiaire avec
individus –, mais, passé une première suite médiocre publiée en
1975 (l’Ombre du Condor), Grady,
lui, a attendu près de quarante ans
avant de répondre positivement
aux pressions des éditeurs qui lui
réclamaient encore et toujours du
Condor. Entre-temps, une brassée
de scénarios et une poignée de bons
(et moins bons) romans l’ont mis à
l’abri du besoin et lui ont assuré une
place honorifique, sinon tout à fait
méritée, dans le club prestigieux
des maîtres du thriller d’espionnage, aux côtés de John le Carré,
Robert Ludlum ou Robert Littell.
SYDNEY POLLACK
ET ROBERT REDFORD
pendant le tournage
des “Trois Jours
du Condor”,
sorti en 1975.
L’EFFET REDFORD
De son propre aveu, James Grady
met sur le compte de l’énorme succès du film, devenu objet de culte
et symbole d’une période nourrie
d’inquiétudes et aussi de révoltes
contre le système, son hésitation à
se remettre dans les pas du Condor :
« A l’époque, j’ai réalisé que je ne
souhaitais pas entrer en compétition avec Redford, dont j’admirais
le formidable travail. Et puis on
invente un personnage dans sa tête,
on découvre sa traduction artistique à l’écran et on commence à
se dire : “Tiens, je ne le voyais pas si
beau, la taille ne correspond pas…”
Bref, j’ai préféré laissé filer. »
Si un projet d’adaptation du tardif sequel intitulé les Derniers Jours
du Condor devait jamais voir le jour,
Robert Redford, désormais octogénaire fort bien conservé, pourrait
reprendre sans trop de difficulté
le rôle. Le Condor version 2015 lui
rend, certes, quinze bonnes années,
mais, à 65 ans, c’est un homme usé,
plusieurs fois qualifié dans le livre
de vieillard fatigué, désolé de l’être
et de ne pouvoir rien y changer.
dr
L’édition 2015 d’un Aller-retour dans le noir, le salon du polar de Pau,
a pour parrain James Grady. L’Américain vient à la rencontre
de ses fans avec la suite longtemps attendue des “Six Jours
du Condor”, livre phare des lointaines “seventies”. PAR ALAIN LÉAUTHIER
ph. matsas / leemage / payot & rivages
POLAR
CULTURE
Promu un temps « légende dans
la légende » au sein de la CIA, il a
été mis au rebut parce qu’il en sait
trop, déclaré « fou » et à ce titre
longtemps enfermé dans un asile
« qui n’existe pas », celui-là même
probablement dont s’échappait une
brochette d’ex de l’agence dans Mad
Dogs, le dernier et très réjouissant
roman de Grady.
Libéré, le Condor croupit dans
un emploi bidon, une couverture,
à la bibliothèque du Congrès, et
doit se soumettre régulièrement
à la surveillance tatillonne d’évaluateurs chargés de s’assurer que
le légume ne représente plus un
danger pour l’agence. Un beau
jour, de retour chez lui, le Condor
tombe sur l’un d’entre eux, Peter
le Chauve, égorgé et crucifié contre
un mur de sa maison. Les lecteurs
de Grady retrouveront ici la trame
initiale du premier opus, quand,
après s’être brièvement absenté,
Ronald Malcolm découvre ses collègues de travail baignant dans
leur sang. Dans les deux cas, il n’a
d’autre issue que la fuite, passant
instantanément du statut de victime
à celui de coupable potentiel, obligé
de trouver les vrais assassins afin de
sauver sa peau et, accessoirement,
de prouver son innocence. Sauf que,
en la matière, l’innocence est aux
abonnés absents dans tous les paradigmes de l’époque et la littérature
de genre se veut le plus fidèle reflet
de cette désertion. « Nous sommes
tous coupables », soupire ainsi, avec
Les superstitieux
diront que 7 est
un chiffre maudit.
Ou porte-bonheur.
On dira plus
simplement que
c’est l’édition de
la maturité, pour
cet Aller-retour
dans le noir dont
“Marianne” est
partenaire encore
une fois. Et quelle
maturité ! Fort du
soutien réaffirmé
de la municipalité
de Pau conduite
par François
Bayrou, l’autre
grand festival
de littérature
de genre (avec
les Quais du polar
de Lyon), offre, du
1er au 5 octobre,
un exceptionnel
plateau
de 28 auteurs
français
et étrangers.
un accent quasi dostoïevskien,
l’évaluatrice du Condor, devenue
sa coéquipière et ainsi à son tour la
cible de mystérieux tueurs. En 1980,
dans un aller-retour peu banal entre
fiction et réalité, un passage des
Six Jours avait, semble-t-il, inspiré
à un islamiste américain converti la
méthode lui ayant permis d’éliminer
un exilé iranien proche d’opposants
antikhomeynistes. James Grady l’a
su et en a été pas mal secoué.
Les Six Jours se nourrissaient
du lait hautement toxique de la
paranoïa et du doute, composantes
incontournables de tout bon roman
d’espionnage. Mais, bon gré, mal
gré, personnages et lecteurs pouvaient encore se raccrocher à une
vague forme de vérité dont la révélation acrobatique organisait peu
ou prou le monde de manière rassurante. Rien de tel désormais. Les
« méchants », les bad guys ignorent
l’essentiel des raisons qui les
poussent à agir comme ils le font. Le
Condor n’est-il pas lui-même impliqué dans un système appliqué à sa
perte et dont la seule logique profonde est de se perpétuer ? A défaut
d’être un chef-d’œuvre, le livre offre
un assez fascinant panorama des
moyens dont dispose le Big Brother
pour identifier et localiser n’importe quel quidam. A tout moment
et où qu’il soit. n
Les Derniers Jours du Condor,
de James Grady, Rivages, 300 p., 21,50 €.
Programme complet du festival
Un aller-retour dans le noir :
www.unallerretourdanslenoir.com
Dès le 1er octobre, marianne.net consacrera
une page dédiée à l’événement.
25 septembre au 1er octobre 2015 / Marianne / 81

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