SENGHOR : LA PARENTHESE POLITIQUE
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SENGHOR : LA PARENTHESE POLITIQUE
SENGHOR : LA PARENTHESE POLITIQUE Par Oumar KANOUTE1 L’ambition du poète Senghor était de devenir professeur au Collège de France. Il sera président de la République. Professeur, il le sera pendant dix ans. · 1936 au Lycée Descartes à Tours, · 1938 au Lycée Marcelin-Berthelot dans la banlieue parisienne. En 1945, deux événements vont modifier sa trajectoire : - Il est sollicité, avec Sourou Migan Apithy, comme expert dans la commission Monnerville chargée d’étudier la représentation des colonies dans la future Assemblée Constituante. - Il obtient une bourse du CNRS pour faire des recherches sur la poésie sérère. L’enfant prodigue retourne au pays et découvre la misère du monde rural. Lamine Guèye lui demande de représenter sur la liste de la Fédération socialiste du Sénégal, le deuxième Collège, celui du petit peuple. Senghor accepte d’être le porte-parole du monde rural avec la bénédiction de sa famille qui prend en charge une partie de ses frais de campagne électorale. Le 21 Octobre 1945, la liste Lamine Guèye (1er collège) et Léopold Senghor (2ème collège), soutenue par la SFIO obtient une majorité écrasante de voix. C’est ainsi, dira Senghor, que « je suis tombé dans la politique ».2 La parenthèse ouverte ne se fermera que trente cinq ans plus tard, en 1980 quand il abandonne volontairement ses charges de Président de la République du Sénégal et de Secrétaire Général du Parti Socialiste. Entre temps il aura été député, député-maire (de Thiès), Secrétaire d’Etat à la Présidence du Conseil dans le Gouvernement Edgar Faure, Président de l’Assemblée Fédérale du Mali. Senghor a toujours envisagé le pouvoir politique comme une étape à franchir. « Dès 1946, dit-il, mon but, c’était de mener le Sénégal à l’indépendance et après quoi, je prendrai ma retraite politique ». (Sorel Senghor, 84) Contraint de rester aux commandes pour asseoir les bases de la jeune République après l’éclatement de l’éphémère Fédération du Mali, le Président s’organise de manière à ce que l’étape de son passage au gouvernement n’entrave pas son travail d’homme de lettres. « Je ne voulais jouer un rôle politique que sur le plan de l’élaboration de la doctrine, des idées… cela me permettait d’avoir du temps pour écrire… cela convenait beaucoup mieux à mon tempérament. » (Sorel Senghor, 149). Senghor a connu le dilemme de l’intellectuel écartelé entre la Parole et l’Action. Par devoir il choisit l’engagement, un engagement qu’il voulait limité dans le temps. Ce choix douloureux c’est par la poésie qu’il l’exprimera. 1 2 maître de conférence, Université de Bamako, FLASH, chef de DER Lettres et Arts, BP 241, Bamako,Mali Confidences autour d’un micro Archives RTS 1960-1980 L’intellectuel face à l’engagement politique occupe une bonne place dans Ethiopiques (Seuil, 1979). Le personnage de Chaka du poème dramatique à plusieurs voix du même nom, c’est Senghor lui-même. Le poème exprime le drame intérieur du poète descendu dans l’arène politique. Chaka c’est la lutte entre Amour et Devoirs de chef, la lutte entre Poésie et Politique. La poésie c’est l’amour de Nolivé, la politique l’amour du Peuple noir. Le poète a une vision : celle de la souffrance infligée par ceux qui débarquent avec des règles, des équerres, des compas, des sextants, aux peuples du sud ségrégés dans les kraals de la misère et crevant de faim. « Pouvais-je rester sourd à tant de souffrances bafouées ? » dit Chaka. (P122) Senghor revenu au pays après une longue absence, découvre la misère de son peuple et s’interroge. Comment en effet poursuivre une carrière universitaire en France alors que le pays a besoin de ses enfants instruits ? « Un politique, tu l’as dit-je tuai le poète–un homme d’action seul ». (P123) Son programme politique est des plus nobles. « Je dis qu’il n’est pas de paix armée, de paix sous l’oppression, de fraternité sans égalité. J’ai voulu tous les hommes frères P123». Ce n’est pas haïr que d’aimer son peuple mais le pouvoir exige un immense sacrifice. Chaka –Senghor doit offrir ce qu’il a de plus cher : sa poésie. « La poésie est dans notre vie non pas le métier, mais l’activité majeure : la vie de notre vie, sans qui celle-ci ne serait pas vie » (Dialogue sur la Poésie Francophone, P 93). La politique devient passion au sens religieux du terme. Tout au long du poème revient de façon récurrente des mots comme « calvaire, souffrances, martyre… ». « J’ai longtemps parlé dans la solitude des palabres et beaucoup combattu dans la solitude de la mort contre ma vocation. Telle fut l’épreuve, et le purgatoire du poète. » (P127) L’action politique est une parenthèse. Quand s’achève la mission de l’homme d’action, le poète re-naît. « Bien mort le politique, et vive le poète » (p128). Si l’on peut parler de parenthèse politique dans la vie de l’homme, il n’existe aucune contradiction entre sa vie politique et sa vie littéraire. La première enrichit au contraire la seconde de toute son expérience humaine. De 1946 à 1960, Senghor député se considère comme l’Ambassadeur du peuple noir, le dyali de sa culture. Face au pouvoir colonial il est le porte-parole des territoires d’Outre-Mer. « Demain je reprendrai le chemin de l’Europe, chemin de l’ambassade. Dans le regret du Pays Noir » (Chants d’ombre : le retour de l’Enfant prodigue p 50). Celui qu’on a nommé l’itinérant est très populaire dans le milieu paysan. Il rompt avec Lamine Guèye, crée avec Mamadou DIA le Bloc Démocratique Sénégalais (BDS) et remporte les élections législatives de 1951 qui ont fortement inspiré « L’Absente » (Ethiopiques). En 1958, Senghor et Lamine Guèye se réconcilient et fondent l’UPS (Union Progressiste Sénégalaise). En 1959, il forme une union avec le Soudan de Modibo KEITA. L’UPS et l’US-RDA fusionnent dans le PFA (Parti Fédéral Africain). Le 20 juin 1960 est proclamée l’indépendance de la Fédération du Mali. Le 20 Août 1960, c’est l’éclatement. Senghor devient président de la République du Sénégal. Mamadou DIA est Premier ministre. En 1962, Mamadou DIA est arrêté pour tentative de coup d’Etat. Senghor en déduit que le bicéphalisme a été une erreur psychologique et, partant, politique. Il propose un exécutif fort et un régime présidentiel. « Une seule tête sous un même bonnet » est son slogan de campagne. En décembre 1963, les élections présidentielles sont perturbées par des manifestations violentes : onze morts et 80 blessés. Senghor devient chef de l’Etat, Président du Conseil, Secrétaire Général du Parti unique de fait. Si le député Senghor se voulait dyali, ambassadeur de son peuple et de sa culture, le président Senghor conçoit sa mission comme une charge sacrée. Il devient le chef de village, le patriarche dont la fonction est essentiellement d’arbitrage. « Maître des Initiés, j’ai besoin je le sais de ton savoir pour percer le chiffre des choses. Prendre connaissance de mes fonctions de père et lamarque. Mesurer exactement le champ de mes charges, répartir la moisson sans oublier un ouvrier ni orphelin (Elégie des circoncis en Poèmes, p200). Le Président démocratiquement élu croit que sa charge est un héritage patriarcal. Il perd de plus en plus sa popularité. Le 22 Mars 1967 il échappe à un assassinat à la Grande Mosquée de Dakar. En mars 1968, éclatent grèves estudiantines et émeutes urbaines avec comme slogan : « Sénégalisation des entreprises et de la main d’œuvre ». Le monde rural fortement dépendant de la monoculture de l’arachide assiste à la chute vertigineuse de ses revenus à cause de la sécheresse et de la détérioration des termes de l’échange. Le président Senghor mesure l’ampleur du mécontement et entame des réformes. En 1970, Abdou DIOUF devient Premier Ministre. Les grèves estudiantines se poursuivent et un étudiant Oumar Blondin DIOP meurt en prison en 1971. Le président commence à prendre ses distances envers la politique. Il est fatigué du pouvoir, fatigué de tout. « Car je suis fatigué. La sirène du paquebot derrière Gorée sonne l’hallali. Or je suis fatigué qu’il soit l’heure du thé, et le jardin est clair. Autour de la fontaine, sous la statuette d’Afrique…. Et je suis fatigué, non las hélas ! Mais fatigué… ». Lettres d’hivernage p 238 En 1974 Abdoulaye WADE est autorisé à créer un parti. Mamadou DIA et ses compagnons sont libérés. En 1976 Senghor autorise un multipartisme limité. En 1978, il brigue un cinquième mandat de cinq ans. En 1980 Léopold Sédar Senghor se retire de la vie politique. Le 20 Décembre 2001 la retraite politique est devenue le repos éternel. « S’il fallait choisir que voudriez-vous sauver de votre triple vie d’homme politique, de professeur, de poète ? J’ai toujours répondu : Mes poèmes. C’est, là, l’essentiel.(Senghor, 1979, 94) Le Guélowar de l’esprit, coiffé de la mitre double ,tenant dans sa main la récade bicéphale, continuera de parler à l’eau , à l’air, aux arbres, le langage du cœur car la poésie ne saurait périr, sinon où serait l’espoir du monde ?. Que restera t-il alors de l’homme politique ? Senghor a prôné un socialisme démocratique adapté à l’Afrique et qui fait reposer le développement sur la culture. « Comme chef d’Etat, j’ai toujours pensé que l’homme, c’est à dire la culture, était au commencement et à la fin de Développement (Notre Librairie, n°81, 106) Le premier Festival mondial des arts nègres organisé à Dakar en 1966 magnifie la richesse de la culture noire et son apport à la civilisation de l’Universel. Ce qui fera dire à André Malraux, ministre français de la Culture à l’époque : « Nous voici donc dans l’histoire. Pour la première fois un chef d’Etat prend entre ses mains périssables le destin d’un continent… » (SOREL Senghor,165) Pour Senghor la politique doit reposer sur l’éthique. Il a cru à l’alternance et s’est volontairement retiré du pouvoir. Il n’a pas dilapidé le trésor de son pays. En vrai démocrate, il a su éviter à son pays la tentation prétorienne et le régime d’exception, mais il limitera arbitrairement le pluralisme politique L’humaniste maintiendra pendant douze ans, Mamadou DIA dans des conditions de détention atroces (cf. Mémoires d’un militant du Tiers Monde, Paris, Publisud, 1985), et laissera exécuter Moustapha Lô condamné à la peine de mort, pour avoir tenter d’assassiner le président de la République. Senghor a commis des erreurs et a eu l’honnêteté de les reconnaître. « L’essentiel est que devant les périls qui menacent la Nation, qui menacent notre indépendance, nous dialoguions, nous aboutissions à un accord conciliant dans l’établissement de la justice sociale, le maintien des libertés publiques mais aussi de l’autorité de l’Etat… » (Discours à la Nation 14/06/68) (Archives RTS). Voilà ce que Léopold Sédar Senghor lègue au Sénégal : l’esprit d’ouverture, de droiture, de tolérance. Son prestige a donné à son pays un rayonnement exceptionnel et lui a permis de bénéficier d’une aide au développement considérable. Dans une interview accordée à Jeune Afrique, à l’occasion des 90 ans de l’ancien chef de l’Etat sénégalais, Siradiou DIALLO affirme : « Senghor a été un grand poète mais sa carrière a été essentiellement politique. Il a mis son talent et sa réputation de poète au service de sa politique. La poésie, en somme, a été son fonds de commerce ». Vaste sujet de dissertation. Le 29 décembre 2001, le peuple Sénégalais a rendu un dernier hommage au père de l’indépendance. Ce jour là c’est le politique qui a été inhumé. Devant la dépouille de Kaya Magan, « la personne première Roi de la nuit noire de la nuit d’argent, Roi de la nuit de verre » l’Hommage de la Nation a été lu par le Président démocratiquement élu, l’opposant de toujours, en présence de son prédécesseur, lui-même dauphin du défunt. Quelle belle leçon de démocratie pour l’Afrique et le monde ! BIBLIOGRAPHIE DIA M. : Mémoires d’un militant du Tiers Monde, Paris, Publisud, 1985 DIALLO S. : « Senghor m’a dit », Jeune Afrique n°1867-1868, du 16 au 29 octobre 1996 J.A L’Intelligent, Hors Série n°3, Janvier 2002. KOM A. (sous la direction de) : Dictionnaire des œuvres littéraires négro-africaines de Langue Française, Paris, Nathan, 1983. Senghor L.S. : Poèmes, Paris, Seuil, 1973 Senghor L. S. : Dialogue sur la poésie Francophone, Paris, Seuil, 1979 Sorel Senghor J. : Senghor, l’émotion et la raison, Paris, SEPIA, 1995 Notre Librairie : « La littérature Sénégalaise », n°81, Oct – Nov. 1985.