Senghor_Aux soldats négro

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Senghor_Aux soldats négro
 Léopold Sédar Senghor Hosties noires (1948) : des chants très sombres sur les années de guerre, durant lesquelles il a été prisonnier de l’armée allemande, et régulièrement soumis à un racisme assassin, duquel transparaît un profond désir de paix et de réconciliation, malgré l’ingratitude de la mère patrie face aux sacrifiés de l’armée coloniale. (http://defis5continents.wordpress.com/tag/senghor/) Préambule : «Ainsi débute le poème de L.S. Senghor, « Aux soldats négro-­‐américains » ( inspiré par la rencontre avec l’armée des États-­‐Unis débarquée en Europe pendant la Deuxième Guerre mondiale. De quelle reconnaissance parle ici le poète ? À un premier niveau, il se réfère à la difficulté de distinguer à distance le soldat noir du blanc « sous la calebasse du casque sans panache ». Ce n’est qu’en s’en approchant et en touchant « la chaleur de [sa] main brune que le poète s’écrie « Afrika ! » […] et « retrouve le rire perdu ... la voix ancienne et le grondement des cascades du Congo ». Mais la fraternité ainsi décelée ne dissipe pas pour autant le doute et l’appréhension. D’où le deuxième niveau de reconnaissance : « Frères je ne sais… Si vous êtes la foudre dont la main de Dieu a brûlé Sodome et Gomorrhe » ou « les messagers de sa merci, le souffle du Printemps après l’Hiver ». Dans l’espace des quelques lignes de ce poème, Senghor résume admirablement le caractère ambivalent de l’image du Noir américain et antillais qui ressort de la littérature africaine.» K. MUHINDI, «Du séraphique au satanique : Perspectives africaines sur l’Amérique noire» : http://www.politique-­‐africaine.com/numeros/pdf/015065.pdf Aux soldats négro-­‐américains À Mercier Cook Je ne vous ai pas reconnus sous votre prison d’uniformes couleur de tristesse ... Je ne vous ai pas reconnus sous la calebasse du casque sans panache Je n’ai pas reconnu le hennissement chevrotant de vos chevaux de fer, qui boivent mais ne mangent pas. Et ce n’est plus la noblesse des éléphants, c’est la lourdeur barbare des monstres des prétemps du monde. Sous votre visage fermé, je ne vous ai pas reconnus. J’ai touché seulement la chaleur de votre main brune, je me suis nommé : « Afrika ! » Et j’ai retrouvé le rire perdu, j’ai salué la voix ancienne et le grondement de la cascade du Congo. Frères, je ne sais si c’est vous qui avez bombardé les cathédrales, orgueil de l’Europe. Si vous êtes la foudre dont la main de Dieu a brûlé Sodome et Gomorrhe. Non, vous êtes les messagers de sa merci, le souffle du Printemps après l’Hiver. À ceux qui avaient oublié le rire – ils ne se servaient plus que d’un sourire oblique Qui ne connaissaient plus que la saveur salée des larmes et l’irritante odeur de sang Vous apportez le printemps de la Paix et l’espoir au bout de l’attente. Et leur nuit se remplit d’une douceur de lait, les champs bleus du ciel se couvrent de fleurs, le silence chante suavement. Vous leur apportez le soleil. L’air palpite de murmures liquides et de pépiements cristallins et de battements soyeux d’ailes Les cités aériennes sont tièdes de nids. Par les rues de joie ruisselante, les garçons jouent avec leurs rêves. Les hommes dansent devant leurs machines et se surprennent à chanter. Les paupières des écolières sont pétales de roses, les fruits mûrissent à la poitrine des vierges Et les hanches des femmes – oh ! douceur – généreusement s’alourdissent. Frères noirs, guerriers dont la bouche est fleur qui chante -­‐ Oh ! délice de vivre après l’Hiver – je vous salue comme des messagers de la paix. Extrait de Poèmes / Hosties noires, Éditions du Seuil, Paris, 1964, 256p. (p.88-­‐90) 

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