Stratégies de légitimation d`une pratique culturelle
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Stratégies de légitimation d`une pratique culturelle
IEP de Toulouse Stratégies de légitimation d’une pratique culturelle marginale : la voyance Mémoire préparé sous la direction de M. Jérémie Nollet Présenté et soutenu par Anne Errelis Année Universitaire 2014/2015 Sommaire INTRODUCTION ...................................................................................................................... 2 I) Pratique active de la voyance: entre rayonnement charismatique et enracinement dans la réalité ........................................................................................................................................ 15 A. L’ascendance du voyant: une manifestation d’autorité charismatique? ........................ 16 1. Un apparent effet de miroir ....................................................................................... 16 2. Des juxtapositions hypothétiquement révélatrices de la présence d’un élément charismatique dans l’autorité du voyant ........................................................................... 23 B. Une normalisation de l’activité du voyant ....................................................................... 30 1. Des voyants ancrés dans le réel ................................................................................. 30 2. Un discours de rationalisation omniprésent ................................................................. 36 II) Démarches d’institutionnalisation d’une pratique culturelle “à part” ................................. 42 A. Incursions dans le champ de la culture légitime ........................................................... 42 1. Une tentative de rapprochement avec des disciplines scientifiques “faisant autorité” 43 2. Une intellectualisation “conformiste” ...................................................................... 48 B. Revendication d’un statut de pratique culturelle auto-suffisante .................................. 56 1. Dessin d’une pratique institutionnalisée .................................................................... 57 2. Création d’un discours autonome porté par des médias (souvent) propres .................. 62 CONCLUSION ........................................................................................................................ 69 Sources ..................................................................................................................................... 72 Annexes .................................................................................................................................... 80 1 INTRODUCTION Il y a quelque mois, une émission de radio captée par hasard retint notre attention. Il s’agissait d’un programme de voyance diffusé sur la station Fun Radio. Destinée à un public jeune, cette radio musicale est aussi connue pour ses programmes divertissants et compte parmi les plus populaires de France1. Au cours de l’émission en question, le voyant Jean-Didier répondit aux questions d’une auditrice choisie parmi les premières personnes à avoir appelé le standard de la radio. Pendant quelques minutes, la jeune femme a pu interroger Jean-Didier sur l’avenir de son flirt avec un jeune homme rencontré récemment. L’enthousiasme apparent de la jeune femme, le sérieux et la bonne foi manifestés par toutes les personnes intervenant sur le plateau - aucune ne semblant remettre en question le bien-fondé de la voyance ou la crédibilité du voyant - l’existence même d’un programme dont le but affiché est de mettre en relation d’heureux élus avec une personne censée prédire leur avenir ont éveillé notre curiosité. Cette émission nous a rappelé que la voyance et les pratiques touchant à l’occulte en général sont une pratique commune, dans le sens où elles impactent la vie de nombreuses personnes, bien qu’à des fréquences et intensités très variables. Pour certains, le contact à l’occulte se limitera peut être à la lecture sporadique et distanciée d’un horoscope, tandis que d’autres y sacrifierons des ressources essentielles, non seulement en terme de temps et d’argent, mais aussi d’investissement émotionnel. Quelle que soit notre attitude vis-à-vis de l’occultisme, nous ne pouvons nier l’existence de pratiques associées à ce courant. Une de ses manifestations les plus banalisées est la présence d’horoscopes dans de nombreux médias. Celui-ci s’invite parmi les nouvelles du jour, les sorties cinémas, les recettes de cuisines etc., il arrive même qu’un simple achat implique d’y être confronté, via des écrans présents dans certains commerces. De la même manière, la voyance a pénétré le champ médiatique, notamment par le biais de la radio et de la télévision, par exemple, le voyant Jean-Didier cumule de nombreuses interventions radio et télédiffusées2 . 1 Durant la période concernée (septembre-octobre 2013) Fun Radio aurait obtenu une part d’audience de 6,6% selon une enquête de Médiamétrie (le document n’est malheureusement plus disponible en ligne). « Audiences radio: Fun Radio devient la 2ème musicale de France » – rtl.fr, Chloë Lebeau - 19/11/2013 http://www.rtl.fr/culture/medias-people/audiences-radio-fun-radio-devient-la-2e-musicale-de-france7766998996 2 Voir son site internet: http://www.google.com/url?q=http%3A%2F%2Fwww.jeandidier.com%2Fcv.html&sa=D&sntz=1&usg=AFQjCNG20ywUU0YFgyE5q2Cx4cGSClTlCA 2 ❖ Concevoir le thème de notre réflexion Appréhension d’une pratique occulte: la voyance La pratique autour de laquelle s’axera notre réflexion est la voyance. Celle-ci fait partie d’un large éventail de pratiques liées à l’”occulte”. Mais à quoi ce terme renvoie-t-il? Le dictionnaire de l’Académie Française définit l’occulte comme “Ce qui est caché, secret”, une propriété peut être qualifiée d’occulte lorsque “l'esprit humain [en] ignore la raison” 3. En ce qui concerne les pratiques liées à l’occulte -c’est à dire l’occultisme- nous nous inspirerons de la définition qu’en a établi le philosophe Pierre Riffard4. Nous le considérerons en effet comme la croyance en des forces cachées reposant sur un système de « fluides » permettant la communication entre le visible et l’invisible et pouvant donner lieu à des pratiques spécialisées. L’occulte a donc un caractère irrationnel et mystérieux qui peut séduire tout en compliquant son analyse scientifique. Mais nous avons pu constater que l’occulte est associé à des pratiques concrètes (les consultations de voyance et les horoscopes). C’est justement sous cet angle, celui de l’exercice concret, que nous appréhenderons l’occulte et plus précisément la voyance. Notre propos ne sera pas purement théorique ; il ne s’agira pas, par exemple de comprendre pourquoi les personnes ont recours à la voyance, mais comment. Nous nous intéresserons aux pratiquants de cette voyance. Parmi ces pratiquants, nous distinguerons les pratiquants actifs: les voyants, et les pratiquants passifs, c’est à dire les personnes faisant appel à ces voyants. Nous les qualifierons de consultants.5 A ces deux groupes, nous ajouterons les personnes intervenant dans les médias touchant à la voyance, notamment à travers la rédaction d’articles. Il nous semble nécessaire de préciser brièvement qui sont les individus que nous désignons sous l'appellation de “voyants”. Il faut d’abord différencier ces praticiens modernes d’autres types de devins tels les haruspices étrusques ou romains qui pratiquaient la lecture d’entrailles ou les oracles tels que la Pythie de Delphes, qui seraient les interprètes d’une parole divine. Les voyants modernes ne se perçoivent pas comme les 3 Dictionnaire de l’Académie Française, neuvième édition, version informatisée http://atilf.atilf.fr/academie9.htm 4 “L'occultisme, c'est d'abord la croyance en des 'forces occultes' et la pratique des 'sciences occultes'. L'occultisme, en tant que croyance, affirme l'existence de 'fluides' manifestant un monde invisible à l'intérieur du monde visible, recherche des analogies et correspondances entre visible et invisible, mais aussi entre les divers êtres ; l'occultisme, en tant que pratique, suppose la connaissance et l'utilisation de la magie, de l'astrologie, des mancies, de la médecine occulte, de l'alchimie. 2. L'occultisme, c'est ensuite, de façon plus étroite, l'ensemble des arts et des sciences occultes.” Riffard Pierre A., Dictionnaire de l'ésotérisme (1983), Paris, Payot, 1993 5 D’après Jeanne Favret-Saada et Arnaud Esquerre qui ont ainsi qualifié les personnes faisant appel respectivement à des « sorciers » et des astrologues - Favret-Saada Jeanne, Désorceler, Éditions de l’Olivier, 2009 - Esquerre Arnaud, Prédire, l’Astrologie en France au XXI° siècle, Éditions Fayard, 2013 3 transmetteurs formels d’une parole divine6. Quant à leurs supports, lorsqu’ils existent (de nombreux voyants s’appuient uniquement sur ce qu’ils appellent “leur ressenti”, concept sur lequel nous nous pencherons au cours de notre analyse), ils se limitent souvent à des jeux de tarots. ; plus rarement, les voyants utilisent le marc de café. Précisons en outre que tous les voyants que nous mentionnerons exercent professionnellement (nous verrons ce que cela suppose). Un aspect problématique de la définition de notre sujet est la différenciation entre la voyance et l’astrologie. Les finalités de la voyance et de l’astrologie sont similaires: ces deux arts divinatoires ont pour objet la prédiction de l’avenir, la révélation de vérités cachées ou encore l’explication du passé d’une personne. Cependant, elles se distinguent par leurs supports et leurs techniques. La pratique de la voyance se fonde sur la mise en œuvre d’un don de prescience tandis que l’astrologie serait une science d’interprétation de la position et des mouvements des astres.7 En pratique, l’astrologie et la voyance sont souvent mêlées en particulier du fait que de nombreuses personnes s’adonnent ces deux activités. Il est donc important de préciser que dans notre analyse nous désignerons certaines personnes comme des “voyants” même si elles pratiquent également l’astrologie. Cependant, lorsque nos sources distingueront explicitement astrologie et voyance, nous respecterons cette différenciation ; ce qui ne veut pas dire que nous nous interdirons de parler d’astrologie, étant donné que celle-ci peut assurément enrichir notre analyse (après tout, elle est également une pratique divinatoire ce qui la lie intimement à notre problématique). Risques et opportunités associés à un sujet peu prisé par la recherche sociologique Dans son ouvrage Prédire, l’Astrologie en France au XXI° siècle (Éditions Fayard, 2013) Arnaud Esquerre déplore que le sujet de l’astrologie et plus largement des arts divinatoire aient rarement été traité par la sociologie. Pour expliquer cette carence, il avance que les chercheurs répugneraient à considérer la pratique de l’astrologie dans leur propre société, préférant l’envisager comme une pratique de peuples qui n’auraient pas atteint un niveau de civilisation équivalent. L’astrologie et plus largement l’occultisme semblent donc souffrir d’un certain désintérêt de la part de la recherche, en particulier française, désintérêt qui pourrait être dû à un sentiment d’illégitimité thématique. Ainsi, alors que les études sur les 6 Même si nous verrons que, dans une certaine mesure, ils se perçoivent comme les interprètes d’une volonté supérieure. 7 Ce qui lui permet de se revendiquer comme plus “scientifique” que la voyance du fait qu’elle se fonderait sur l’observation de phénomènes naturels réels et de calculs savants - Arnaud Esquerre, Prédire, l’Astrologie en France au XXI° siècle - Editions Fayard, 2013 4 séries télévisées, les comics, les jeux vidéo etc. se multiplient aux États-Unis d’Amérique, en France, la recherche sur de tels sujets reste limitée. Cela pourrait s’expliquer par les inquiétudes liées à la reconnaissance de la scientificité de la sociologie.8 La question de savoir exactement ce qui restreint les sociologues dans leurs sujets de recherche reste ouverte, mais il semble important de garder à l’esprit que le champ auquel nous allons nous intéresser souffre d’une mise à distance de la part de la recherche. Cette marginalité a stimulé notre curiosité. En effet, où se situent les limites d’exploration d’un sujet lorsque celui-ci a été si peu étudié? Toutefois, nous ne pouvons pas ignorer les difficultés que cette situation pose. Autant écrire sur un thème “rebattu” présente un danger de répétition compliquant toute innovation, autant l’exploration d’un thème nouveau, sans le bénéfice de l’appui sur un corpus théorique conséquent, peut se solder par un énoncé de supputations sans suite et de digressions hétéroclites. Ce risque renforce la nécessité de définir formellement notre sujet d’étude - ce que nous avons pu faire d’autant plus efficacement que nous nous sommes limité à quelques aspects concrets de la pratique de la voyance- et de structurer rigoureusement notre réflexion afin de ne pas perdre de vue notre objectif. Une pratique culturelle Si l’occultisme ne recoupe pas l’acceptation « intellectuelle » de la culture telle que définie par exemple par Philippe Coulangeon (« Par pratiques culturelles, on entend généralement l’ensemble des activités de consommation ou de participation liées à la vie intellectuelle et artistique, qui engagent des dispositions esthétiques et participent à la définition des styles de vie : lecture, fréquentation des équipements culturels (théâtres, musées, salles de cinéma, salles de concerts, etc.), usages des médias audiovisuels, mais aussi pratiques culturelles amateurs. »9) elle peut être envisagée comme telle selon d’autres définitions, classiquement plus « anthropologiques », donc orientées autour des modes de vie, des croyances des personnes. Marcel Mauss définit la culture comme « l’ensemble des phénomènes sociaux »10 ce qui pose un nouveau problème de définition, étant donné que l’on peut s’interroger sur le sens exact à donner au terme « phénomène social ». Tout de même, cette définition (ou ce rapprochement) permet d’élargir notre conception de la culture en l’appréhendant à la fois 8 Cette inquiétude se reflète dans les propos tenus par Pierre Bourdieu lors d’une interview accordée au magazine La Recherche en mai 2000: « On conteste non seulement son [la sociologie] existence en tant que science, mais son existence tout court. » - “Entretien avec Pierre Bourdieu: La sociologie est-elle une science?” La Recherche, l’actualité des sciences mensuel n°99 daté mai 2000 http://www.larecherche.fr/actualite/aussi/entretien-pierre-bourdieu-sociologie-est-elle-science-texte-01-05-200076057 9 Coulangeon Philippe, Sociologie des pratiques culturelles, La découverte « Repères », 2010, p. 3-4 10 Mauss Marcel, Sociologie et anthropologie, Paris, PUF, 1950 5 comme une conséquence et un moteur des interactions sociales, une sorte de « structure structurante » bourdieusienne. Nous ferons d’ailleurs une incursion dans le domaine bourdieusien en nous intéressant à la question de légitimité des pratiques culturelles. Notre propos ne sera pas de faire de la sociologie militante, mais nous considérerons qu’il existe dans le domaine même de la culture des luttes symboliques qui, selon Pierre Bourdieu, ne sont pas indépendantes des enjeux de répartition des différentes formes de capitaux. Cette lutte s’illustre notamment pour les pratiques culturelles à travers la prétention à divers niveaux de légitimité. Il ne faut pas pour autant croire que celle-ci soit un actif quantifiable et immuable. La sociologie culturelle a déjà mis en valeur son caractère extrêmement contextuel. Par exemple, une personne adepte de jeux vidéo suscitera des réactions très différentes en fonction de l’individu à qui elle s’adresse, ou de la situation dans laquelle elle s’exprime. De la même manière, la perception des pratiques culturelles évolue au cours du temps. Ainsi le gain de légitimité qu’a connu le jazz, passant du statut de divertissement des « bas-fonds » à celui d’art apprécié par des amateurs éclairé est notable. Concernant l’occultisme, nous partirons du postulat suivant : globalement, il souffre, en tant que pratique culturelle, d’un déficit de légitimité et les personnes qui font usage de la voyance ont l’impression que cette pratique est perçue négativement socialement. Notre sujet d’étude: des individus en interaction En accord avec la définition « sociale » de la culture que nous avons retenue, la question des interactions sera centrale à notre analyse. Plutôt que de nous focaliser sur une appréciation collective de la culture, nous adopterons un point de vue plus individuel. Notre sujet sera l’individu inséré dans un réseau d’interactions. Nous nous intéresserons à des actions individuelles, des justifications individuelles, des croyances individuelles11. Cependant, nous garderons à l’esprit que « le fait social est distinct de ses répercussions individuelles »12, nous tenterons donc de replacer ces observations individuelles dans un contexte plus général, même si notre utilisation de la statistique sera limitée du fait du peu de moyens et de temps qui nous alloués pour mener à bien notre analyse. Ainsi, nous tenterons de retirer de nos observations individuelles, de nos cas particuliers, des conclusions mettant en valeur des phénomènes communs, un tout plus révélateur que la somme de ses parties. 11 Ce qui place notre démarche dans le sillage de Max Weber dont Jeanne Favret-Saada a écrit: “Mais ce qui l'intéresse, lui, c'est de partir de ce que les acteurs ont en tête, de ce qu'ils visent, de ce qu'ils perçoivent, de ce qu'ils attendent en fonction de leur évaluation des situations. La préoccupation centrale de Weber, c'est de définir les règles d'engendrement des formes possibles de sociabilité en partant des représentations des acteurs, de leur calcul interprétatif.” Favret-Saada Jeanne, “Weber, les émotions et la religion”, Terrain, n° 22, 1994 12 Durkheim Emile Le Suicide, Paris, PUF, 2007, p8-15 6 ❖ Nos fondements théoriques Parallèlement à un travail de terrain que nous présenterons ultérieurement, notre analyse s’appuie sur l’apport théorique de productions scientifiques existantes. Nous sommes appuyés sur un corpus académique pluridisciplinaire, tout en privilégiant bien évidemment la sociologie. Il est essentiel d’évoquer quelques-unes des sources académiques qui ont nourri et soutenu notre réflexion. Nous commencerons donc par évoquer la sociologie de la religion, puis celle de la culture, ensuite nous introduirons la question des interactions à travers le prisme des questions de reconnaissance et de stigmatisation sociale. La sociologie religieuse Notre intérêt pour les représentations individuelles suppose de traiter la question des croyances. En particulier, celles touchant à la religion nous semblent un excellent intermédiaire pour envisager la mentalité des personnes, surtout lorsque l’on s’attache à traiter un sujet tel que la voyance, qui a une forte portée mystique. Au cours de nos lectures nous nous sommes donc penchés sur des analyses sociologiques classiques de la religion. Nous avons notamment étudié le “religioïde” de Georg Simmel (un concept développé dans son ouvrage Die Religion, publié en 1906). Nous nous sommes également intéressés au rapport entre religion et politique dans l’œuvre d’Émile Durkheim et celle de Max Weber (un article du sociologue allemand Hartmann Tyrell reprenant les principales vue des deux auteurs nous a pour ce faire été très utile13). Nous nous sommes également intéressés à la magie, ce qui nous a amené à lire l’”Esquisse d'une théorie générale de la magie” de Marcel Mauss 14. Mais nous avons également pu bénéficier de l’apport de contributions plus récentes de sociologues tels que Raymond Boudon (notamment à travers un article sur la rationalisation de la magie dans l’œuvre de Max Weber)15 ou son disciple Pascal Sanchez qui a publié une thèse sur le sujet16 ainsi qu’un petit ouvrage très instructif sur les croyances collectives17. La sociologie culturelle 13 Tyrell Hartmann “Religion et politique – Max Weber et Emile Durkheim”, Trivium [En ligne], 13 | 2013, Textes traduits en français, mis en ligne le 28 février 2013 14 Cet essai a été regroupé avec d’autres écrits majeurs de Marcel Mauss dans l’ouvrage Sociologie et Anthropologie, Collection Quadrige, PUF, 1ère édition 1950 15 Boudon Raymond, “La rationalité du religieux selon Max Weber”, L’Année Sociologique vol. 51, 2001/1 16 Sanchez Pascal, La Rationalité des Croyances magiques, Librairie Droz, 2007 17 Sanchez Pascal, Les Croyances Collectives, PUF, 2007 7 Toujours dans notre optique de l’analyse des représentations des personnes, la sociologie culturelle nous a permis de mieux appréhender l’”objet culturel”. L’article classique d’Edgar Morin, “De la culturanalyse à la politique culturelle”18 nous a permis de mieux définir les multiples implications du concept culturel ainsi que les problématiques associées à la définition de ses différents types ainsi que les mécanismes d’émergence d’une culture valorisée. Cette question de la valorisation inégale des cultures nous a amené à mobiliser la sociologie de Pierre Bourdieu en particulier à travers un de ses ouvrages clés sur la question: La Distinction. Critique sociale du jugement19. Nous avons également étudié la contribution plus récente de Bernard Lahire dans La culture des individus Dissonances culturelles et distinction de soi.20 Les interactions sociales: reconnaissance contre stigmatisation La question de la domination culturelle nous a naturellement amenés à approfondir la question de la reconnaissance sociale en particulier en nous appuyant sur l’œuvre d’Axel Honneth21 (il n’est d’ailleurs pas anodin qu’Axel Honneth se soit tant intéressé à l'œuvre de Pierre Bourdieu) afin de mieux comprendre les mécanismes de lutte contre l’exclusion sociale et culturelle. Cette exclusion sociale, nous l’avons envisagée à travers le prisme de la problématique de la stigmatisation posée par Erving Goffman22 qui nous permet de mieux comprendre l’impact du décalage normatif ressenti par les pratiquants de la voyance du fait de la perception négative de leur activité. ❖ Notre problématique Au vu des éléments théoriques dont nous disposons et des pistes de réflexion ouvertes par notre sujet, nous avons décidé d’axer notre analyse autour de l’interrogation suivante: Par quels processus de structuration de son exercice la voyance est-elle envisagée et présentée comme une pratique culturelle légitime ? A partir de cette problématique, nous pouvons ouvrir plusieurs pistes de réflexion que nous explorerons successivement au cours de notre analyse. Ainsi, chacune des sous parties de 18 Morin Edgar, “De la culturanalyse à la politique culturelle” Communications vol. 14, 1969. La politique culturelle. pp. 5-38. 19 Bourdieu Pierre, La Distinction. Critique sociale du jugement, Paris, Minuit, 1979. 20 Lahire Bernard La culture des individus. Dissonances culturelles et distinction de soi, La Découverte, 2004 21 Courtel Yannick, “La lutte pour la reconnaissance dans la philosophie sociale d’Axel Honneth”, Revue des sciences religieuses [En ligne], 82/1 | 2008, mis en ligne le 05 octobre 2012 22 Goffman Erving, Stigmate. Les usages sociaux des handicaps (1963), traduit de l'anglais par Alain Kihm, Éditions de Minuit, 1975 8 notre travail aura pour vocation de répondre à une “sous-problématique” renfermée dans notre problématique englobante et à vérifier une hypothèse. I - A) Sous-problématique: Pouvons-nous expliquer, au moins en partie, la structure des interactions entre voyants et consultants par l’expression d’une forme de domination charismatique weberienne? Hypothèse: L’autorité du voyant peut s’expliquer par une dotation en charisme weberien et/ou l’exercice d’une domination charismatique de type weberien. I- B) Sous-problématique: Supposant que les voyants exercent une autorité charismatique de type wébérien, peut-on dire qu’ils s’adonnent à un exercice de quotidianisation du charisme s’illustrant dans leur cas par une double entreprise de rationalisation et normalisation de leur activité? Hypothèse: La manière dont les voyants structurent et présentent leur activité est assimilable à un processus de quotidianisation d’une autorité charismatique de type wébérien. II - A) Sous-problématique: L’entreprise de légitimation de la voyance consisterait-elle en grande partie à s’approprier la légitimité de champs de l’activité humaine jouissant d’une meilleure reconnaissance culturelle qu’elle? Hypothèse: Conscient du déficit de légitimité dont souffre la voyance, ses pratiquants tentent des rapprochements avec des domaines de l’activité humaine qui jouissent d’une meilleure considération sociale. II- B) Sous-problématique: La voyance s’organiserait-elle de manière autonome, créant ses propres institutions, afin de se forger une légitimité propre? Hypothése: La pratique de la voyance se structure autour d’institutions propres dont le but est autant de faciliter son exercice que de le légitimer. 9 ❖ Notre terrain et nos ressources Notre analyse reposera essentiellement sur le discours des pratiquants de la voyance. Plutôt que de conduire des entretiens avec des voyants (qui sont malaisés à joindre pour quiconque ne faisant pas partie du “milieu”, comme semblent l’indiquer nos nombreuses requêtes et propositions d´entretiens laissées sans réponses) nous avons décidé de prélever la “matière” où elle se trouve; c’est à dire sur internet, espace privilégié de pratique de la voyance. Nous avons ainsi collecté, sur des sites internet de voyance, trente interviews de voyants professionnels. Nous nous appuierons sur ces interviews tout au long de notre réflexion, incluant de nombreuses citations pour illustrer notre propos. Additionnellement, nous mobiliserons divers sites internet et blogs sur lesquels nous pourrons trouver à la fois des interactions entre voyants et pratiquants, des témoignages et des productions intellectuelles sur la voyance et sur d’autres sujets liés à l’ésotérisme (notamment l’astrologie, qui, comme nous avons déjà pu le dire, est, en pratique, souvent très délicate à démêler de la voyance “pure”). Ces sources spécialisées requièrent une présentation afin que le lecteur puisse bien comprendre leur nature. Les ressources internet liées à la pratique de la voyance Pour plus de clarté, nous classifierons les sites internet étudiés en cinq catégories dont les délimitations, si elles peuvent être discutées, nous permettront du moins de clarifier notre analyse. Nous identifierons tout d’abord les “sites personnels”, c’est à dire les sites ou blogs animés par une seule personne (du moins manifestement). Précisons au passage que nous traiterons les blogs comme des sites internet car, même si techniquement ils sont différenciés, dans les faits, leurs usages et fonctions se confondent. Notre seconde catégorie comprendra les sites de services de voyance, dont les principales caractéristiques sont la multiplicité des acteurs qui y interviennent (en particuliers des voyants professionnels) et le caractère commercial de l’activité qui y est mise en avant, avec, en particulier, l’offre récurrente de services de voyance. Nous baptiserons cette catégorie, les “sites de service”. 10 Une troisième catégorie rassemblera les “sites institutionnels”, dont la principale raison d'être est la mise en valeur de l’activité d’une institution dont l’activité est liée à la voyance où à l'occultisme). Ensuite, notre quatrième catégorie diffère des précédentes (en particuliers des deux premières) dans le sens où elle se détache en quelque sorte des pratiquants pour, à l’inverse, s’orienter autour de la pratique elle-même. Dit plus clairement: plutôt que de mettre en avant leur pratique de la voyance, les intervenants de ces sites et blogs produisent des réflexions autour de la voyance et d’autres sujets liés à l’occultisme. A défaut d’un titre plus concis, nous nous référerons à ces sites comme à des “sites dédiés aux productions intellectuelles autour de la voyance et de l’ésotérisme”. Enfin, une cinquième catégorie nous permettra de regrouper les sites qui ne peuvent être classés dans aucune des quatre premières. C’est le cas de certains sites qui n’ont pas trait à la voyance, mais sur lesquels le sujet a cependant pu être évoqué par des moyens plus ou moins détournés. Ainsi, une des interviews de voyants faisant partie de notre corpus, celle de “Ambre Médium Voyant” a été relevé sur le site internet “Bees and Roses”, qui se décrit comme un “Annuaire d’entreprises révélateur de savoirs faire”. Par ailleurs, les magazines féminins en ligne tels que Femina ou Au Féminin abritent de nombreux discours sur la voyance via les forums de discussions qu’ils renferment. Nous qualifierons ces sites de “collatéraux”. Au cours de notre analyse, nous avons constaté que ces catégories peuvent se recouper (en particulier les sites personnels peuvent souvent s’assimiler à des sites de services du fait de leur caractère commercial). Cependant, nous espérons que cette ébauche de typification permettra au lecteur de mieux appréhender la nature des sources citées. Nous ne rappellerons pas le type de chacun de ces sites à chaque citation dans notre analyse, mais nous ferons figurer une classification dans notre bibliographie. Récapitulatif de notre nomenclature des sites internet étudiés: ● Type 1: Sites personnels Se réfère notamment aux blogs et sites servant de supports à l’exercice professionnel de la voyance. 11 Exemples: Cabinet de Voyance Yann Lecoq; Yanis Voyance Astrologue ● Type 2: Sites de services Se réfère notamment aux forums gratuits et aux sites de services payants. Exemples: Voyance en Ligne; Voyance par Tchat ● Type 3: Sites institutionnels Se réfère notamment aux sites d’écoles de voyance, de centres de recherche spécialisés et d’associations. Exemples: Guide de la Voyance; Clé du Tarot ● Type 4: Sites dédiés aux productions intellectuelles autour de la voyance et de l’ésotérisme Se réfère notamment aux magazines en ligne dédiés à la voyance et autres pratiques ésotérique, aux blogs et aux sites d’amateurs sur la voyance. Exemples: Voyance.org; Le Forum Esotérique ● Type 5: Sites collatéraux Se réfère aux sites n’ayant pas trait á la voyance, mais pouvant contenir des discours portant sur la voyance. Exemple. Bees and Roses; Au Féminin ❖ L’organisation de notre réflexion Dans une première partie (I), nous nous intéresserons particulièrement à la pratique active de la voyance, donc aux voyants. Nous tenterons en effet de comprendre en quoi leur activité relève d’une tension entre rayonnement charismatique et enracinement dans la réalité. Nous commencerons par nous demander si l’ascendance du voyant est une manifestation d’autorité charismatique (I-A). Pour répondre à cette question nous verrons que les propriétés magiques supposées, revendiquées ou admises des voyants (I-A-1-a) reflètent des notions associées au charisme wébérien (I-A-1-b). Cela nous amènera à effectuer des juxtapositions entre l’ascendance des voyants et la domination charismatique wébérienne dans l’espoir de révéler la présence d’un élément charismatique dans l’autorité du voyant (I-A-2). Ces rapprochements se feront par le biais de deux caractéristiques majeures du charisme wébérien: sa qualité révolutionnaire (I-A-2-a), et sa substance religieuse (I-A-2-b). Dans un second temps de cette première partie, nous nous intéresserons aux velléités d’ancrage dans la réalité 12 des voyants (I-B). Nous verrons que leur activité est normalisée23 (I-B-1) d’abord du fait de leur exercice d’une activité professionnelle tangible (I-B-1-a) et du caractère concret de leurs préoccupations (I-B-1-b). Puis nous verrons que les voyants ont très régulièrement recours à un discours de rationalisation de leur activité (I-B-2) qui se traduit notamment par l’usage d’une rhétorique positive au sens comtien (I-B-2-a) et une critique ambivalente (mais révélatrice) de la “science officielle” (I-B-2-b). Dans une seconde partie (II), nous nous intéresserons aux diverses démarches d’institutionnalisation de la voyance en tant que pratique culturelle singulière. Pour ce faire, nous commencerons par étudier ses incursions dans le territoire des pratiques culturelles légitimes (II-A). Ainsi nous constaterons qu’elle tente régulièrement de tracer des liens entre elle et des disciplines scientifiques reconnues (II-A-1), que cela soit dans le champ des sciences humaines (II-A-1-a) ou celui des sciences formelles et naturelles (II-A-1-b). Puis nous nous interrogerons sur une intellectualisation “conformiste” de la voyance (II-A-2) à travers un intérêt marqué pour le champ universitaire (II-A-2-a) et une appropriation de sujets considérés comme légitimes (II-A-2-b). Par la suite, nous nous pencherons sur la prétention de la voyance à un statut de pratique culturelle autonome (II-B). Ainsi, la voyance s’institutionnaliserait-elle (II-B-1) notamment à travers la prise en charge des aspects de sa pratique négligés par la Loi (II-B-1-a) ou par le biais de l'événementiel en particulier l’organisation de salons de voyance (II-B-1-b). De plus, les pratiquants de la voyance mettent en place un discours médiatique autonome (II-B-2) à travers une utilisation assidue des médias dits “traditionnels” (II-B-2-a) et celle d’internet (II-B-2-b). Avertissements : - Les citations des pratiquants de la voyance utilisées (c’est-à-dire principalement les extraits d’interviews de voyants) ont été conservées en l’état. Les éventuelles fautes d’orthographe et de grammaire n’ont donc pas été corrigées. - Sauf indication contraire, les traductions d’extraits de sources en allemand et en anglais ont été réalisées par l’auteure. 23 Non pas selon l’appréhension sociologique du terme, mais dans le sens ou une activité incongrue est banalisée au point d'être acceptée comme une composante ordinaire du quotidien. 13 14 I) Pratique active de la voyance: entre rayonnement charismatique et enracinement dans la réalité La tension entre propriétés magiques des voyants et ancrage dans le réel servira de point de départ de notre analyse. Les voyants sont, du fait de leur grande visibilité, des représentants évidents de leur pratique. La question de savoir s’ils sont des escrocs, voire des fous, ou s’ils ont effectivement des pouvoirs magiques est posée par les pratiquants de la voyance euxmêmes. Il est donc difficile de la contourner. Au centre de notre réflexion se trouve la contradiction suivante: la voyance est à la fois une activité aux propriétés magiques et une activité rationnelle-marchande. Pour appréhender cet apparent paradoxe, nous avons choisi le filtre du charisme selon la conception qu’en a Max Weber. En effet, selon sa nomenclature bien connue de l’autorité, le type charismatique semble être celui qui concorde le mieux avec l’ascendance du voyant. Pour appuyer cette appréciation, nous pouvons procéder par élimination. Tout d’abord, l’autorité du voyant semble ne rien devoir à la domination rationnelle-légale du fait qu’elle ne fait pas l’objet d’une inscription dans la loi en vigueur dans la société qui nous intéresse. De la même manière, nous pouvons éliminer la domination traditionnelle car, même si les voyants ont tendance à se revendiquer d’une tradition, il ne faut pas se laisser tenter par un rapprochement lexical mais plutôt noter que le respect de la voyance ne peut pas être considéré comme une coutume largement observée de la société étudiée. En outre, la profusion des termes propres au champ de la magie dans la définition que Max Weber fournit du charisme nous met également sur la voie d’un rapprochement entre figures aux propriétés magiques et mobilisation d’une autorité charismatique. Dans un premier temps, nous emprunterons donc cette voie, nous servant de la notion de charisme weberien comme d’un révélateur de la nature de l’ascendance des voyants pour mieux saisir les modalités de leur activité (A). En particulier, nous effectuerons un rapprochement expérimental entre les voyants et les figures prophétiques que Weber a décrites dans ses écrits portant sur l’autorité charismatique. A cette tentative de déterminer si la nature de l’autorité des voyants s’assimile à celle des figures prophétiques, nous ajouterons la question des contraintes qui pèsent sur le maintien de ces autorités sont les mêmes. Cette réflexion nous permettra de mieux appréhender le type d’ascendance que les voyants peuvent 15 avoir sur leurs consultants ainsi que la manière dont ils envisagent leur pratique et, de façon plus générale, leur rapport au monde. Nous verrons ensuite que, dans une démarche assimilable à une entreprise de quotidianisation du charisme, les voyants prennent leur distance d’avec les attributs magiques émanant de la problématique du charisme weberien pour nous intéresser au travail de normalisation et de rationalisation que fournissent les voyants vis à vis de leur activité. (B) A. L’ascendance du voyant: une manifestation d’autorité charismatique? Ce segment sera entièrement consacré aux rapprochements envisageables entre l’ascendance des voyants, dont nous verrons qu’elle est fondée sur leurs propriétés magiques (supposées, revendiquées ou admises) et le charisme selon sa typologie weberienne, dont nous fournirons une présentation essentielle (1). En partant de deux traits dominants du charisme weberien (son fondement révolutionnaire et sa religiosité) nous observerons qu’il est effectivement possible de distinguer, dans une certaine mesure, des juxtapositions entre autorité médiumnique et autorité charismatique, entre voyant et prophète. (2). 1. Un apparent effet de miroir Nous amorcerons notre réflexion sur les rapprochements possibles entre autorité médiumnique et autorité charismatique weberienne en nous intéressant au caractère magique des voyants (a). Par ce biais, nous pensons pouvoir mieux approcher la notion de charisme weberien étant donné que sa définition est largement inspirée par des concepts puisés non seulement dans le champ religieux, mais plus spécifiquement dans le champ de la magie 24. La définition de ce charisme est d’ailleurs ce qui nous préoccupera dans un second temps de cette section (b). a. Observations sur les propriétés magiques supposées, revendiquées ou admises des voyants Une difficulté qui se pose de manière manifeste dans l’étude de la voyance est son supposé caractère magique. Comme nous l’avons déjà dit dans notre introduction, il est 24 Par magie, nous entendons un « Art qui est censé donner le pouvoir de faire intervenir des puissances occultes afin de modifier le cours de la nature ou d'agir sur la destinée des hommes. » Cf : Dictionnaire de l'Académie Française http://atilf.atilf.fr/dendien/scripts/generic/cherche.exe?15;s=4177966920 16 particulièrement difficile d’appréhender d’un point de vue sociologique une pratique faisant supposément appel à des ressorts surnaturels. Il n’est pas évident (dans les deux sens du terme) de déconstruire ce qui semble inexplicable. Mais cela ne rend pas pour autant tout examen impossible. Nous pouvons faire valoir qu’Emile Durkheim, Max Weber et, plus tard, Marcel Mauss se sont intéressés non seulement à la religion, mais aussi à la magie et à ses rituels. Notre objet dans cette section sera de questionner les manifestations du caractère magique de la voyance et la manière dont celles-ci peuvent gêner, ou au contraire, enrichir notre analyse, en particulier grâce au traçage d’un lien avec la notion de charisme weberien. Taper les mots clés “voyance” et “magie” sur un moteur de recherche majeur fait apparaître près d’un demi-million de résultats. De nombreux sites font ainsi la promotion de services variés qui incluent des rituels magiques comme des séances de voyance. Considérons la description de trois des sites figurants parmi les cinq premiers résultats affichés (recherche Google effectuée le 27/07/2015) : www.voyancemagie.fr : “Rituels de magie très efficaces, voyance gratuite par email, tirages de cartes et du yi-king gratuits, analyses numérologiques gratuites” magie-voyance.info : “Rituels de magie blanche, magie noire, vaudou, voyance gratuite en ligne pour résoudre vos problèmes.” www.angelmavoyance.com/rituel-chance.php: “Découvrez gratuitement des rituels de chance de magie blanche simple pour l'amour l'argent l'abondance sur angelma voyance en ligne gratuite.” Ces descriptions nous amènent à une double conclusion. D’abord la voyance et la magie apparaissent comme étant liées car les pratiquants effectuent eux-mêmes un rapprochement à la fois thématique et pratique (les services sont accessibles sur la même plateforme). Cependant, ces mêmes pratiquants différencient, dans une certaine mesure, la voyance et la magie : bien que ces services soient référencés sur un même site internet, ils constituent des catégories distinctes, avec leur propres pages. Si l’on se fie à ce qu’annoncent ces sites internet, une prestation de service en magie se différencie (par ses modalités, son déroulement, sa qualification etc.) d’une prestation de service en voyance. 17 Capture d’écran du site www.voyancemagie.fr effectuée le 27/07/2015 Capture d’écran du site magie-voyance.info effectuée le 27/07/2015 Sur ces deux captures d’écran nous pouvons clairement constater que magie et voyance sont traitées comme deux catégories distinctes25. Il semble donc que la voyance entretienne avec la magie un lien ambigu que nous pouvons également observer dans les témoignages de voyants que nous avons pu lire. En effet, ceux-ci semblent différencier voyance et magie, tout en prenant leurs distances avec cette dernière. Dans les 30 entretiens que nous avons étudiés et qui s'étendent sur une petite centaine de pages, le mot magie n’est employé que quatre fois. De plus, seulement une personne (Marie Damotte) l’invoque de manière à indiquer clairement qu’elle croit en son existence (“Autant les bonnes ondes peuvent soigner, autant les mauvaises sont nuisibles pour la santé, elles émanent souvent de travaux occultes (magie) sur une personne.”). Les autres fois où la magie est évoquée c’est sans référence au surnaturel et afin de communiquer un enthousiasme: “Il y a la magie de la consultation, c'est extraordinaire!” (Yann Lecoq) ou pour s’en distancier: “Je refuse d'aborder les sujets de retours d’affection ou de pratiques occultes, et je ne pratique pas la magie” (Chris Terret). Quant à Ambre Médium, elle déclare: “nous ne sommes pas des magiciens capables de je ne sais quoi!” Une certaine défiance vis à vis de la magie semble donc prévaloir chez les voyants interrogés. Marie Damotte ainsi qu’une autre voyante, Cécile Medium, sont les deux seules personnes interviewées pratiquant des rituels assimilables à de la magie: “Dans certains cas mes guides m'autorisent à donner au consultant ce qu'il faut pour faire fuir ces entités malveillantes, en général un certain type de prières accompagnées d'un rituel. C'est ce que je préfère !” (Cécile 25 Nous n’avons pas fait figurer de capture d’écran du site www.angelmavoyance.com/rituel-chance.php car celui-ci ne comprend pas de catégories englobante “voyance” et “magie”, mais seulement une liste de services répertoriant différentes prestations relevant tantôt de la voyance tantôt de la magie, ce qui, sans invalider notre analyse, ne présente pas d'intérêt pour elle. 18 Médium); “C'est pourquoi il est parfois nécessaire de pratiquer le « dégagement » de certaines maisons ou appartements qui sont imprégnés d'ondes négatives, d'esprits, d'âmes bloquées sur un lien et qui ne sont pas montées au ciel. On me demande assez souvent ces interventions, même de pays lointains comme le Japon ! Puisque la distance ne fait rien à l'affaire...Cependant il m'est nécessaire de disposer de photos du lieu qui m'aident à localiser le mal. Pour cette intervention je pratique un rituel personnel. Dans certains cas, rares heureusement, cela peut aller jusqu'à l'exorcisme. J'interviens alors avec des prières.” (Marie Damotte). Nous pouvons remarquer une distanciation de la voyance vis à vis de la magie de la part des voyants eux-mêmes. Mais cette différenciation donne lieu à un paradoxe: les voyants semblent affirmer que leurs pratiques ne relèvent pas de la magie, pourtant ils prétendent disposer d’un don de provenance mystérieuse (tous les voyants interrogés sans exception mentionnent ce don). Il semble donc que l’enseignement majeur de cette réflexion sur le rapport des voyants à la magie est que “l’extraordinaire” n’est pas pour autant envisagé comme de la magie. Cette dernière est une pratique restreinte qui possède ses propres codes. Si donc les voyants semblent “flirter” avec l’occulte, il ne faut pas les confondre avec des sorciers 26 ou des mages. Cependant, la revendication de pouvoirs sortant de l’ordinaire (en particulier la prescience ou la communication avec les défunts) confère aux voyants un caractère sortant de l’ordinaire. Les compétences qu’ils revendiquent n’ont pas fait l’objet d’explications scientifiques satisfaisantes. Donc, que l’on concède ou non des capacités effectivement magiques aux voyants, et malgré la distance qu’ils tentent eux-mêmes d’établir entre eux et la magie, ils continuent de bénéficier/pâtir d’une aura magique. La question de cette aura nous ouvre une porte théorique sur le thème du charisme weberien, que nous allons à présent aborder. b. Introduction à la notion de charisme wébérien En conséquence de l’influence majeure que les écrits de Max Weber ont eu sur l’élaboration de la sociologie moderne, nombre de ses concepts se sont insérés dans la panoplie du sociologue contemporain et sont encore aujourd’hui considérés comme des références 26 Si l’œuvre de Jeanne Favret -Saada est donc extrêmement intéressante du point de vue de notre réflexion sur le recours à l’occulte, il ne faut pas oublier que son objet d’étude : les sorciers, est différent du nôtre : les voyants. 19 théoriques incontournables. De par la nature des sujets traités, notre analyse semble donc avoir tout intérêt à faire appel aux idées wébériennes. Cependant, en mobilisant Weber nous commettons en vérité une double imprudence. D’une part nous nous risquons à aborder une œuvre inachevée étant donné que l’ouvrage qui va retenir notre attention, Wirtschaft und Gesellschaft (Economie et Société), a été publié à titre posthume à partir d’un manuscrit non définitif. D’autre part, lorsqu’un sujet a donné naissance à autant de discours, le risque de se perdre en digressions ou en polémiques est élevé. Il est donc nécessaire de prendre nos distance vis à vis du “bric à brac” intellectuel enceignant les concepts de Weber pour nous recentrer sur les écrits du sociologue et donc sur sa pensée telle qu’il a tenté de la communiquer. Le sociologue a établi deux définitions qui guideront notre analyse du charisme. Celui-ci est d’abord définit ainsi: “Charisma soll eine außeralltäglich [...] geltende Qualität einer Persönlichkeit heißen, um derentwillen sie als mit übernatürlichen oder übermenschlichen oder mindestens spezifisch außeralltäglischen, nicht jedem andern zugänglichen Kräften oder Eigenshcaften begabt oder gottgesendet oder als vorbildlich und deshalb als Führer gewertet wird.”27 (en français le charisme est :“la croyance en la qualité extraordinaire […] d'un personnage, qui est, pour ainsi dire, doué de forces ou de caractères surnaturels ou surhumains ou tout au moins en dehors de la vie quotidienne, inaccessible au commun des mortels ; ou encore qui est considéré comme envoyé par Dieu ou comme un exemple, et en conséquence considéré comme un « chef »”28) Parallèlement, la domination (Herrschaft) charismatique fait l’objet de la description suivante: “auf der außeralltäglichen Hingabe an die Heiligkeit oder die Heldenkraft oder die Vorbildlichkeit einer Person und der durch sie offenbarten oder geschaffenen Ordnungen.”29 (en français: "l'autorité fondée sur la grâce personnelle et extraordinaire d'un individu [.] elle se caractérise par le dévouement tout personnel des sujets à la cause d'un homme et par leur confiance en sa seule personne en tant qu'elle se singularise par des qualités prodigieuses, par l'héroïsme ou d'autres particularités exemplaires qui font le chef"30). A partir de ces définitions, nous pouvons énoncer plusieurs observations. Tout d’abord, nous ne pouvons faire autrement que de constater la charge religieuse/magique de la définition du charisme (qui s’explique en partie du fait que Weber ai absorbé la notion du charisme telle 27 Weber Max, WuG: Soziologie, MWS I/23, S.1 Weber Max, Économie et société, Paris, Plon (trad. sous la dir. de J. Chavez & G. de Dampierre), 1971 29 Weber Max, WuG: Soziologie,MWS I/23, S.1 30 Weber Max, Économie et société, Paris, Plon (trad. sous la dir. de J. Chavez & G. de Dampierre), 1971 28 20 qu’elle a été développée par l’historien religieux Rudolph Sohm, qui a étudié la notion de charisme dans la chrétienté). Elle emprunte plusieurs termes au domaine de la religion, voire de la magie: “extraordinaire” “surnaturel”, “mortels”, “Dieu”, ce qui lui confère une forte charge métaphysique. En comparaison, la description de la domination puise moins dans les vocabulaires religieux et magique, mais le mot de “grâce” est significatif (notons qu’il est utilisé pour traduire le mot “heiligkeit” qui, en allemand, signifie littéralement “le sacré” ou “la sainteté”). Ce terme de “grâce” ou de “sacré” semble donc attester le caractère fondamentalement religieux du charisme weberien, d’autant plus que les modalités du dévouement au leader paraissent tout à fait pouvoir s’appliquer à des formes de dévotion à caractère religieux, même s’il s’agit d’une religion dévoyée. Cette observation nous amène à considérer la figure du prophète conceptualisée par Weber. Il ne faut pas oublier que Weber dessine plusieurs types de charisme31 qui lui permettent d’observer différentes formes d’expression de la domination charismatique. Il distingue notamment trois fameux types de figures charismatiques: les berserkers, les chamans et les prophètes. Le premier type se distingue par des traits guerriers et est caractéristique d’un charisme politique, par opposition au charisme religieux définissant les deux autres. Bien que les chamanes présentent des attributs intéressants pour notre analyse, notamment du fait de leur capacité à entrer en transe, nous avons choisi de nous focaliser sur la figure du prophète qui possède le double avantage de se rapprocher le plus de notre sujet et d’avoir fait l’objet d’une description plus avancée de la part de Weber comme de ses successeurs. Weber définit le prophète ainsi: “Wir wollen hier unter einem Prophet verstehen einen rein persönlichen Charismaträger, der Kraft seiner Mission eine religiöse Lehrer oder einen göttlichen Befehl verkündert.”32 (en français le prophète est: “porteur de charismes purement personnels qui, en vertu de sa mission proclame une doctrine religieuse ou un commandement divin”33). Cette définition minimale peut être enrichie par la définition de Len Oakes (bien qu’il soit prudent de préciser que ce dernier n’est pas un sociologue, mais un psychologue, ce qui témoigne du potentiel transdisciplinaire des concepts de Weber): “a prophet is defined as one who: a. espouses a message of salvation that is opposed to conventional values, and: b. attracts a following of people who look to him for guidance in their daily lives."34 (“un 31 Dericquebourg Regis, « Max Weber et les charismes spécifiques », Archives de sciences sociales des religions [En ligne], 137 | janvier - mars 2007, mis en ligne le 05 juin 2010 32 Weber Max, WuG: Soziologie,MWS I/23, S.1 33 Weber Max, Économie et société, Paris, Plon (trad. sous la dir. de J. Chavez & G. de Dampierre), 1971 34 Oakes, Len. Prophetic Charisma: The Psychology of Revolutionary Religious Personalities, Syracuse, NY: Syracuse University Press, 1997. 21 prophète se définit comme un individu qui: a. adhère à un discours de salvation opposé aux valeurs conventionnelles, et b. attire à sa suite des personnes comptant sur lui pour les guider dans leur vie quotidienne”). Cette définition a l’avantage d’embrasser un point de vue plus dynamique tout en soulignant la nécessité de la prise en compte, dans l’analyse, de la présence de disciples. En effet, Weber souligne l’importance du rôle joué par les adeptes dans l’exercice d’une domination charismatique: elle existe par eux. Selon le sociologue JeanMartin Ouedraogo, le charisme weberien serait avant tout un “phénomène relationnel” 35 qui “n’existe que lorsque le charisme est reconnu”36. La question des rapports personnels est centrale à l’exercice du charisme weberien. Ainsi le spécialiste Américain de Max Weber Christopher Adair Toteff écrit: “What he [Weber] is concerned with is emphasizing the personal, and he contrast the personal of the prophet with the office of the priest. The priest offers salvation by virtue of his office; the prophet by virtue of his personal charisma.” 37 (“Ce qui lui [Weber] importe c’est d’accentuer le personnel, il oppose le personnel du prophète à l’office du prêtre. Le prêtre offre la salvation par son office, le prophète par son charisme personnel.”) Cette dimension relationnelle nuance l’aspect “donné” du charisme en introduisant un caractère subjectif qui nous amènera à nous interroger sur les interactions personnelles entre prophètes et disciples, ou selon notre analogie, entre voyants et consultants. Enfin, prenons nos distances (pour un instant seulement) avec la conception des prophètes selon Weber. Il est intéressant de noter qu’une définition “générique” (donc ni sociologique, ni psychologique) du prophète le présente comme une personne “qui est l'interprète d'une divinité, et dont les révélations concernent le plus souvent l'avenir”38. Outre la référence renouvelée à la religion, cette dernière partie est particulièrement intéressante dans le sens où elle nous permet de tracer un lien évident entre prophètes et voyants à travers l’évocation du don de prescience. Au regard des observations que nous avons faites, il semble donc légitime de se demander si les voyants doivent leur ascendance à la reconnaissance d’une dotation charismatique et si l’usage qu’ils font de ce charisme les assimile à des figures prophétiques. 35 Ouedraogo Jean-Martin, « La Réception de la sociologie du charisme de Max Weber / The Acceptance of Max Weber 's Sociology of Charism. » In: Archives de sciences sociales des religions. N. 83, 1993. pp. 141-157. 36 Ibid 37 Adair-Toteff Christopher, “Max Weber’s charismatic prophets” - History of Human Sciences 2014, Vol. 27 (1) 3-20 38 Dictionnaire de l'Académie Française http://atilf.atilf.fr/dendien/scripts/generic/cherche.exe?15;s=4177966920;; 22 2. Des juxtapositions hypothétiquement révélatrices de la présence d’un élément charismatique dans l’autorité du voyant A présent que nous avons exposé la conception weberienne du charisme, nous allons nous adonner à un exercice de superposition de deux de ses aspects centraux avec les manifestations de l’ascendance du voyant. Il est à noter cependant que ces caractéristiques ne sont pas saillantes tant en raison du traitement de son propre concept par Weber que du fait de l’analyse qu’en ont fourni nombre de ces successeurs. C’est donc grâce à la lecture de divers auteurs que nous sommes parvenus à délimiter les deux éléments suivants: la nature révolutionnaire du charisme (a) et sa substance religieuse (b). a. Un principe révolutionnaire Le concept de révolution charismatique a donné lieu à de très nombreux commentaires et d’analyses portant notamment sur des exemples de chefs charismatiques. Cependant, tout comme nous avons pris nos distances avec la figure charismatique du Berserker ou du Kriegsheld, nous écarterons la conception politique de la révolution charismatique de notre réflexion. Plutôt que d’envisager la révolution comme un changement de régime politique, nous nous intéresserons à la signification générique du terme: un changement absolu supposant un nouvel état des choses. Cette acceptation nous procure une grande liberté car elle est transposable dans de multiples contextes. Mais seulement deux niveaux retiendront véritablement notre attention: le social et l’individuel. Weber écrit: “Das Charisma ist die Große revolutionäre Macht in traditional gebundenen Epochen.” et poursuit “durch Intellektualisierung, kann Charisma eine Umformung von innen her sein, die, aus Not oder Begeisterung geboren, eine Wandlung der zentralen Gesinnungsund Tatenrichtung unter völliger Neuorientierung aller Einstellungen zu allen einzelnen Lebensformen und zur “Welt” überhaupt bedeutet.”39 Nous pouvons proposer la traduction suivante de cet extrait: “Le charisme est la force révolutionnaire majeure des époques caractérisées par un lien traditionnel [...] à travers un processus d’intellectualisation, le charisme peut agir comme une transformation de l’intérieur qui, née par besoin ou par conviction, signifie un changement dans les mentalités et la direction des actions accompagné d’une absolue réorientation de la totalité des dispositions portants sur chaque aspect de la vie 39 Weber Max, WuG: Soziologie,MWS I/23, S.1 23 ainsi que sur le “monde” lui-même.”. Dans son commentaire de ce passage der “Die drei reinen Typen der legitimen Herrschaft”, l’historien Wolfgang Mommsen emploi, afin de décrire le processus révolutionnaire du charisme, le mot de “métanoïa”40 qui signifie un changement fondamental de la pensée. Le charisme semble donc nous confronter à une mutation des mentalités individuelles ayant vocation à entraîner des transformations collectives41. Weber lui-même nous permet de tracer un trait d’union entre individuel et collectif ou social. A partir de ce que nous avons appris de la “métanoïa” charismatique nous pouvons nous demander en quoi elle s’apparente au rapport des voyants au monde et à leurs consultants. A première vue, la voyance apparaît comme un phénomène atypique. Mais est-elle pour autant un phénomène révolutionnaire? Suivons l’exemple de Weber et concentrons-nous sur la mentalité des pratiquants de la voyance plutôt que sur les conséquences avérées ou supputées de leurs actions. Pour ce faire, nous pouvons étudier le discours de voyants, pour tenter de déterminer s’ils ont tendance à prétendre que l’art qu’ils pratiquent a des propriétés transformatives radicales. Nous observons que certaines déclarations semblent aller dans ce sens: Yann Lecoq évoque une forme de dépassement absolue en parlant de “Faire voyager des personnes au-delà de leurs frontières et leurs re-distribuer les repères afin qu'il se ré approprie et se partage mieux pour l'autre.” Ambre médium et Ivana Glavic appellent respectivement à des mutations de grande ampleur : “Je suis pour une transformation positive d'amour et de tolérance, dans ce monde dans lequel nous vivons.” ; “Je pense que nous devrions avoir plutôt, une pensée collective positive afin d’améliorer notre planète, voilà mon avis.” Monsieur Olivier Médium remet ouvertement en question un élément extrêmement tangible de notre existence: “Dans les consultations, le temps n'existe pas.” 40 “A partir de l'intérieur « d'une 'métanoia' centrale de la conviction des sujets », le charisme manifeste « sa force révolutionnaire ». Il s'oppose nettement à tous les systèmes bureaucratiques et traditionnels, qu'il détruit en général implacablement quand il ne peut pas les contraindre à le servir.” Mommsen Wolfgang, ”La sociologie politique de Max Weber et sa philosophie de l'histoire universelle” Revue internationale des sciences sociales Volume XVII - 1965 41 Nous noterons encore une fois que Weber accorde un grand poids aux représentations individuelles dont il penserait qu’elles sont le principal moteur de structuration sociale: “ La préoccupation centrale de Weber, c’est de définir les règles d’engendrement des formes possibles de sociabilité en partant des représentations des acteurs, de leur calcul impératif.” Favret-Saada J.,1994, “Weber, les émotions et la religion”, Terrain, numéro 22, pp 93-108. 24 Nous pouvons donc observer une tendance tout à fait intéressante des voyants à attribuer à leur art un pouvoir transformateur particulièrement puissant, voire total et donc révolutionnaire. Cependant, cette aspiration ne se retrouve pas chez tous les voyants. Nous voyons se dessiner grossièrement deux catégories. La première comprend des voyants qui adoptent un discours que nous qualifierons d'enthousiaste et par lequel la voyance apparaît comme la manifestation d’une puissance capable de bouleverser l’individu, voire le monde. La seconde comprend des voyants aux prétentions plus limitées pour qui il existe un ordre sur lequel ils n’ont pas prise et ce, malgré leur don exceptionnel. Ce point de vue s’illustre notamment dans les propos de Réha: “on ne peut pas changer ce qui nous entoure mais seulement la vision qu'on en a. Je citerais volontiers cette belle phrase « On ne peut pas changer la face du monde mais on peut changer le cap de son bateau. » C'est une image très parlante qui laisse à la personne son libre-arbitre. Par exemple si l'on a connaissance d'un événement prédit en voyance on peut freiner ou accélérer sa réalisation par l'attitude que l'on adoptera.”. Malgré son penchant pour les rituels magiques, Maire Damotte fait elle aussi preuve d’une certaine retenue quant aux pouvoirs transformateurs de la voyance: “En définitive le voyant donne l'information qu'il reçoit, il fait un « état des lieux » de la vie du consultant mais celui-ci conserve son libre arbitre, à lui d'utiliser cette information de façon constructive et aidante pour évoluer dans sa vie.”. Ce type de discours minimisant le pouvoir de la voyance tout en mettant l’accent sur l’autonomie des consultants est courant parmi les voyants étudiés et reflète une certaine relativisation de leurs capacités. Les voyants semblent croire en un ordre supérieur (qu’ils désignent en général comme “le destin”42) auquel ils auraient un accès privilégié, mais sans pour autant pouvoir l’influencer de quelque manière que ce soit. Ce positionnement entraîne une certaine mise à distance des propriétés révolutionnaires du charisme weberien. A présent que nous avons établi -sous réserves- le potentiel révolutionnaire de la voyance, intéressons-nous à une autre caractéristique qu’elle pourrait avoir en commun avec le charisme weberien : une qualité religieuse. b. Un phénomène à substance religieuse Nous avons pu, au cours de notre analyse, constater la charge religieuse du charisme weberien. Cette observation nous amène à nous demander où se situe la voyance par rapport à 42 Le mot « destin » apparait à cinquante reprises dans nos interviews de voyants. 25 la religion. Deux interrogations majeures se posent à nous qui sont en réalité les deux faces d’une même problématique. La voyance existe-t-elle dans une sorte de continuum religieux, c’est à dire: entretient-elle un lien significatif avec des religions préexistantes? Ou, au contraire, marque-t-elle une rupture dans le sens où nous pouvons l’envisager comme étant sa propre religion? Pour répondre à ces deux questions, nous nous appuierons une fois de plus sur les propos de nos potentiels porteurs de charisme weberien: les voyants La thèse d’un continuum entre voyance et religion, en particulier catholique semble justifiée par le langage employé par les voyants. Les références à Dieu sont nombreuses (précisons qu’il s’agit bien de “Dieu”, au singulier, avec une majuscule et non précédé d’un article). Elles semblent d’abord faire partie du vocabulaire courant des voyants qui emploient des expressions telles que “ne [...] pas se prendre pour Dieu” (Bérengére Lecoq), “parler à Dieu plutôt qu'à ses saints” (Laurence Larzul) ou “Dieu merci” (Ivana Glavic). Ces expressions semblent indiquer que les voyants interrogés sont issus d’un milieu de culture judéochrétienne. Cet héritage religieux n’explique pas seulement l’origine de certains résidus langagiers, il semble jouer un rôle majeur dans la construction d’une pensée spirituelle. Ainsi, les propos de certains voyants indiquent qu’ils adhérent à des croyances de type judéo-chrétien. Ils font notamment explicitement référence à une puissance supérieure désignée comme “Dieu” ou “le ciel”: “Dieu est la pour chacun et n'a pas besoin d'argent pour nous protéger mais simplement de confiance.” (Barbara Dorveaux), “la voyance est pour moi une véritable passion, un cadeau de Dieu”, “Bien sur je n’annonce pas la mort , par conviction personnelle , je considère qu'il n'y a que Dieu qui décide et connait la date.” (Soraya). “Pour moi ce métier comme vous dites est avant tout un don du ciel.” (Ambre), “Je remercie le ciel tous les jours de pouvoir exercer ce métier merveilleux c'est une énorme chance de la vie.” (Océane), “ce don que le ciel m'a donné j'espère le garder longtemps” (Jade). Nous pouvons également observer des références à la prière: “D'ailleurs un véritable envoûtement est très rare et dans ce cas-là, il n'y a que l'emploi d'une prière que l'on trouve dans la bible, le psaume 32 qui est un des plus efficaces contre ce genre de pratique.” (Barbara Dorveaux) ; “Dans certains cas, rares heureusement, cela peut aller jusqu'à l'exorcisme. J'interviens alors avec des prières.”(Marie Damotte) “Le seul remède est alors la prière, les protections, la purification.” (Cecile Médium). 26 Il est toutefois intéressant de noter que cet usage de la prière est atypique puisqu’associé à une entreprise de désenvoutement, une pratique largement réprouvée par les religions chrétiennes et judaïques (avec éventuellement l’exception de la Kabbale). Néanmoins, le fait que les voyants adaptent les fondements de leurs croyances religieuses traditionnelles à leur pratique de la voyance est en lui-même révélateur de leur attachement à ces croyances. L’ajustement de la foi aux sensibilités et convictions personnelles est une pratique courante chez les croyants. Les voyants n’en ont pas le monopole. Il semble donc que si nous ne pouvons pas assurer que les voyants se conforment parfaitement aux canons d’une Église, ils restent, probablement du fait de leur socialisation, profondément influencés par une certaine tradition religieuse. A présent que nous avons pu constater que, dans une certaine mesure, la tradition religieuse judéo-chrétienne (et probablement en particulier catholique) avait un impact sur les modes de pensée et donc la pratique des voyants nous allons nous intéresser au potentiel religieux propre à la voyance. Plus spécifiquement, nous allons nous demander si les voyants revendiquent une religiosité propre à leur pratique et signifiant une rupture avec la coutume. La première question qui se pose à nous est: la voyance est-elle sa propre religion? Ou, du moins: est-elle vécue comme sa propre religion? Nous ne pouvons malheureusement pas, pour répondre à ces interrogations, nous appuyer sur une définition weberienne de la religion, car il n’en existe pas.43 En revanche, nous pouvons mobiliser la définition élaborée par Georg Simmel: “La religion est seulement l’attitude subjective de l’homme…: elle est tout entière une façon humaine de sentir, de croire, d’agir, et peu importe le terme par lequel tour à tour on désignera la fonction qui, se développant exclusivement chez l’homme, constitue ou exprime sa part à la relation à Dieu. La seule chose qui nous soit donnée comme fait premier et assuré, c’est encore ici certains états ou évènements en notre âme, que nous désignons, dans la mesure où nous les appelons religion, comme le coté immanent à nous d’une relation à un principe supérieur.”44 Cette définition a pour particularité d'être particulièrement ouverte. Simmel n'emploie jamais le mot d’”église”. En revanche, tout comme Weber, il se focalise sur le ressenti des personnes (“façon humaine de sentir, de croire”, “certains états ou évènements en notre âme”) et la manière dont ce ressenti impacte les représentations (“que nous désignons, dans la mesure où 43 “Max Weber a refusé, on le sait, de donner une définition de la notion de religion” Tyrell Hartmann “Religion et politique - Max Weber et Émile Durkheim” Trivium 13, 2013 Textes traduits en français, mis en ligne le 28 février 2013 44 Simmel Georg, « La Religion du point de vue de la théorie de la connaissance », 1er Congrès International de Philosophie, Paris, T. II, Morale Générale. A. Colin, 1903 27 nous les appelons religion…”). La question qui se pose est donc de savoir si la voyance suscite un sentiment religieux. Il semblerait que cela soit en effet le cas. Si la voyance n’est pas une religion, nous pouvons avancer que, de par la portée spirituelle qu’elle a auprès de ses pratiquants, elle présente une certaine forme de religiosité. Le sentiment religieux émerge de la portée transcendante que les pratiquants attribuent à la voyance. Ces réflexions nous rappellent à la problématique de la figure prophétique. Nous avons pu constater que le charisme weberien avait une charge religieuse particulière lorsqu’il se manifestait à travers les prophètes. Comme nous l’avons observé plus haut, ces prophètes incarnent une forme de religion que nous pouvons qualifier de “dévoyée”. En effet, nous avons pu constater que le prophète plutôt que de représenter une église semblait porter le religieux en lui à travers une communication directe avec le divin, communication dont il fait ensuite bénéficier ses adeptes grâce à un rapport personnel intense voire fusionnel. Ce phénomène prophétique semble faire écho aux propos de certains voyants. D’abord, s’ils n’emploient pas le mot de prophète, ils ont tendance à se présenter comme des guides (“Une image me vient : celle du phare qui guide les bateaux, la lumière dans le noir qui montre la route, qui vous dit « c'est par là »”, réponse de Cécile Medium à la question: “Comment considérez-vous votre rôle de voyante ?”), des transmetteurs (Je suis un transmetteur, je reçois donc les informations comme un poste de radio branché”, Estelle Des Enclos) ou encore des messagers (“Au bout d’un moment, les défunts m’apparaissent : quelquefois, il s’agit juste une ombre et d’autres fois, de façon très nette. Ils viennent pour délivrer un message les concernant ou pour l’avenir de la personne qui consulte.”, David de Castaing). Ensuite, ils revendiquent souvent un rapport d’une intimité particulière avec leur consultant. Les voyants requérant un accès “total” à une personne, parlant de “ressenti” (ce nom ainsi que le verbe ”ressentir” apparaissent soixante fois dans notre corpus d’interviews) face à un consultant qui leur permet d’accéder à des sphères spirituelles normalement insondables et ainsi de percevoir des vérités inabordables par les consultants. Ceux-ci n’ont donc pas d’autre recours que le voyant en qui ils doivent avoir une confiance totale. Les voyants semblent donc posséder des qualités prophétiques essentielles. Il s’agit d’une part de leur capacité à attirer des suiveurs chez qui ils suscitent l’admiration (voire une déférence 28 religieuse) et avec lesquels ils entretiennent un rapport très personnel45 et, d’autre part, de leur fonction de guide justifiée par la possession d’un don d’origine mystérieuse mais potentiellement divine46. La perspective du charisme weberien nous a permis de dresser des parallèles instructifs entre voyants et figures prophétiques. Bien que nous ne puissions toujours pas affirmer que ceux-ci soient équivalents en substance, cette mise en perspective nous a permis de mieux saisir à la fois la manière dont les voyants se perçoivent et l’ascendance qu’ils exercent sur leurs consultants. Il est toutefois une problématique centrale au charisme weberien que nous n’avons pas encore évoquée. Il s’agit de la quotidianisation du charisme. En effet, une des caractéristiques essentielles du charisme wébérien est son instabilité47, ce qui a amené le sociologue à problématiser les méthodes employées pour pérenniser une autorité charismatique48. Pareillement, les voyants sont soumis à des pressions remettant en question les fondements de leur autorité. Cette pression prend une forme manifeste dans la remise en question de leur don et donc du bien-fondé de leur activité. Face à ces attaques, les voyants doivent diversifier leurs sources de légitimité pour consolider durablement leur position. Comme nous le verrons, une de leurs stratégies consiste à se distancier des références au surnaturel pour revendiquer un attachement à la réalité et se présenter comme des acteurs rationnels. 45 “A relationship of symbiosis or codependence, perhaps even of mutual exploitation, is set up. [...] The followers are attempting to live their ultimate concerns, to enter into an active, personal relationship with these concerns in daily life. For myriad reasons, life has led them to a point where they need to measure their self against a present God in all His immediacy, not an abstraction or mere routinized charisma. For the passionate seeker, nothing short of a personal encounter with a great truth seems to satisfy.” Oakes, Len. Prophetic Charisma: The Psychology of Revolutionary Religious Personalities, Syracuse, NY: Syracuse University Press, 1997 46 “Charsima, for Sohm, is the special, “personally” God-given gift or grace (Sohm, 1892:6, 54)” [...] “These individuals were singled out and were given the special gift of being able to have an exchange with an “invisible world” (Duhm, 1916:82, 91). It was as if they had to natures: one which could see the things that normal people could and another nature in which they could see God (Marti, 1900:164, 167; Gunkel, 1913:1869; Gunkel 1915: xxii).” Adair-Toteff´ Christopher, “Max Weber’s charismatic prophets” - History of Human Sciences 2014, Vol. 27 (1) 3-20 47 « So muß die charismatische Herrschaft, die sozusagen nur in statu nascendi in idealtypischer Reinheit bestand, ihren Charakter wesentlich ändern sie wird traditionalisiert oder rationalisiert (legalisiert) oder beides in verschiedenen Hinsichten. » Weber Max, WuG: Soziologie,MWS I/23, S.1 48 “Weber lie toujours au charisme un autre concept, celui de la Veralltäglichung, la « quotidianisation » (et non la « routinisation », comme le disent certaines traductions françaises et italiennes à la suite de celle faite par Talcott Parsons) : dès que le charisme aspire à la durée, il se trouve exposé aux conditions du quotidien et aux pouvoirs qui dominent celui-ci, surtout aux intérêts économiques.”[...] “Weber considérait comme le problème principal de la « quotidianisation » du charisme dans les sociétés modernes le passage de la direction et des principes administratifs charismatiques à la direction et aux principes administratifs quotidiens (É&S, I, 334), (« Übergang von den charismatischen Verwaltungsstäben und Verwaltungsprinzipien zu den alltäglichen » (1976, p. 147)), et jugeait comme peu probable que les appareils et structures des bureaucraties étatiques ne finissent par s'imposer, face aux mouvements charismatiques.“ Bruhns Hinnerk, « Le charisme en politique : idée séduisante ou concept pertinent ? », Les Cahiers du Centre de Recherches Historiques, 24 | 2000, mis en ligne le 16 janvier 2009 29 B. Une normalisation de l’activité du voyant Cette section marque un certain éloignement de notre analyse vis à vis de la théorie au profit d’une étude de terrain. Nous garderons à l’esprit les enseignements des sociologues qui ont étançonné la première portion de notre travail tandis que nous nous pencherons sur les discours produits par nos sujets eux-mêmes: les pratiquants de la voyance. Nous commencerons par nous intéresser à la notion de normalisation dont nous adopterons une conception dynamique: “Action de rendre normal, de rétablir dans une situation conforme aux règles habituelles”49. Néanmoins, définir une expression par le biais d'un dérivé étant loin d'être satisfaisant, nous définirons également le terme de “normal” de la manière suivante: “Qui est conforme au plus habituel, qui ne surprend ni dans un sens ni dans un autre.” Nous pouvons noter que cette définition ne se réfère pas à la notion durkheimienne de norme mais, au contraire, adopte un point de vue que nous pouvons qualifier de “naïf”. Ce qui pourrait sembler être une concession faite au sens commun est en réalité un choix délibéré de notre part car cette référence à “ce qui surprend” donne à voir le fondement même du travail intellectuel: la recherche de sens face à ce qui, dans un premier temps, déstabilise et interroge. Ainsi, confronté à un sujet aussi déconcertant que la voyance, nous nous intéresserons à des aspects tangibles de sa pratique (1). Ensuite, nous nous pencherons sur le processus de rationalisation de la voyance. L'étymologie de ce terme renferme le concept de “raison”, qui, elle-même renvoie aux notions de pensée, d’intellect. Nous verrons donc que l’acte de rationalisation de la voyance repose en grande partie sur une intellectualisation dont l’étude est d’autant plus stimulante qu’elle n’est pas structurée (ses auteurs sont divers et non coordonnés) et qu’elle ne repose pas solidement sur des bases préexistantes, ce qui lui donne un caractère à la fois flottant et novateur (2). 1. Des voyants ancrés dans le réel Notre exploration des manifestations tangibles de l’activité des pratiquants de la voyance s’attardera dans un premier temps sur le “métier” de voyant (de manière tout à fait instructive, 49 Cf. : Dictionnaire Larousse en ligne http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/normal/54992?q=normal#54611 30 nous apprendrons que ce terme de “métier” est lui-même très souvent employé par les voyants eux-mêmes). Nous observerons ainsi que les voyants structurent leur activité professionnelle de manière très rationnelle (a) et que celle-ci les confronte à des préoccupations qui le sont tout autant (b). a. Une activité professionnelle tangible Dans l’ensemble des interviews le terme “professionnel” et ses dérivés apparaissent une trentaine de fois tandis que le mot “métier” est employé à cinquante reprises. L’adjectif “professionnel” est largement mobilisé par les intervieweurs (que nous pouvons désigner comme étant des pratiquants de la voyance au sens large étant donné qu’ils collaborent à des médias spécialisés) et par les voyants eux-mêmes pour qualifier leur l’activité. Le Guide Voyance Capa demande ainsi à Pascal: “A quel moment et pourquoi avez-vous choisi de pratiquer la voyance en professionnel ?” et “Quels conseils donneriezvous à de futurs professionnels ?”. Stefy explique: “J’ai débuté professionnellement en tant que médium sur un petit réseau audiotel”. Quant à Chris Terret, elle insiste: “je n ‘ai jamais voulu encaisser de l ‘argent tant que je n ‘étais pas officiellement professionnelle”. Quant au terme de “métier”, il est très largement revendiqué par les voyants.50 A la question “Quel sont vos projets, vos souhaits?”, Barbara Dorveaux répond: “De continuer à effectuer mon métier comme je le fais à présent”, de son coté, Pascal argue: “Il faut vraiment savoir si on veut en (la voyance) faire un métier ou une activité secondaire.” Enfin, faisant part des difficultés qu’elle a rencontré sur son parcours, Réha déclare: “Mais il est vrai qu'au départ je ne pensais pas faire de la voyance un métier car ma famille ne le favorisait pas.” Cet emploi des expressions “métier” et “profession” sont appuyées par de nombreuses références aux modalités d’exercice de la pratique professionnelle de la voyance. Chaque voyant interviewé communique des détails pratiques concernant ses prestations de services. Certes cette évocation systématique est provoquée par les questions de l’interviewer (ce qui 50 Seule Cécile le rejette lorsque son intervieweur l’emploie “Pour moi ce métier comme vous dites est avant tout un don du ciel et cela beaucoup de médiums ont tendance à l'oublier.” “Etre médium ce n'est pas un métier pour moi mais un don je le répète et on ne choisit pas cela s'impose à nous meme”. Notons cependant que devant l’insistance de son interviewer elle finit cependant pas l’employer: “Les points négatifs à exercer ce métier seraient pour moi, d'être confrontée chaque jour à la misère et la méchanceté humaine”, “Le secret de la réussite dans ce métier, je pense en toute franchise qu'il n'en n'existe pas, mais qu'il faut plutot de réelles valeurs.” 31 semble indiquer que les interviews sont destinées à un public consommateur de voyance51), néanmoins, il est intéressant de noter que les voyants répondent systématiquement aux questions portant sur ces sujets. L’abondance et la précision des détails qu’ils fournissent témoignent de l’expérience dont ils disposent en termes d’élaboration de règles touchant à la pratique professionnelle de leur art. Les voyants évoquent notablement la fixation de leurs tarifs: “mes tarifs sont de 55 euros et n’ont pas varié en quinze ans car certaines personnes ont peu de moyens” (Francis), “celle ci (la consultation) est de 40 euros. ” (Didier Beltran). La durée des consultations est extrêmement régulée: “mes consultations dure entre 15 minutes pour une question a 1H pour une consultation complète.” (Lionel Roggia), “Je propose des consultations de voyance par téléphone d’une heure, 30 min ou 20 min. (Steffy), “Mes consultations se font essentiellement avec le support du Tarot de Mle Lenormand et/ou du Marc de Café et durent de 30 min à 1h15 tout dépend du nombre de questions posées et du ou des supports demandés. Par téléphone, je peux proposer des consultations de 10 minutes (pour une question ou un sujet, pas besoin de plus de temps) ou 20 à 30 min voir 1h pour une consultation complète.” (Sylvie Cariou). Souvent le temps même de ces consultations est strictement ordonné: “- Pouvez-vous nous expliquer comment se passe une consultation ? - Elle se passe simplement en prenant 5 minutes pour faire connaissance, ce qui est très important, je ne demande au début pas de précisions , sauf l’âge, je fais des tirages d‘introductions me permettant de situer son état d ‘esprit , ses soucis, et ce qui s ‘est passé l ‘année ou les mois précédents, , si tout démarre bien nous poursuivons, nous passons au développement et aux questions, consultation qui dure environ une heure à une heure 15 pour une première consultation.” (Chris Terret), “Dans un premier temps et dans les premières minutes, je fais connaissance avec le consultant, par téléphone à l'aide son prénom, et sa date de naissance que j'écris sur un papier ce qui m’aide à capter sa personnalité ainsi que des éléments le concernant, puis je vais aborder tous les domaines de sa vie c'est à dire amour, travail, famille, finances. Le dernier quart d’heure, je réponds aux questions du consultant.” (Soraya) De nombreux autres éléments, que nous pouvons évoquer brièvement, font l’objet d’une régulation. Il s’agit par exemple des informations requises de la part du consultant: “En général je demande le prénom et la date de naissance du consultant” (Bérengère Lecoq), “Au départ je 51 Nous nous intéresserons aux questions touchant aux médias de la voyance dans la partie II-B-2 de notre travail. 32 ne demande que le prénom pour ne pas être influencé par d’autres renseignements concernant mon consultant.” (Francis), “je recommande à mes clients de m'envoyer une photographie” (Barbara Dorveaux) “Je demande au consultant son prénom, son signe zodiacal et son âge, une photo n'est pas nécessaire.” (Marie Damotte). Les supports utilisés sont aussi réfléchis: “la voix est un support exceptionnel par rapport au physique qui peut nous influencer par l'impression qu'il produit.” (Bérengère Lecoq), “Je me sers habituellement des cartes mais je complète mes perceptions par le marc de café.” (Sevasty), “J'ai plusieurs supports de grande qualité et très fiables. J'utilise la numérologie, très intéressante pour étudier le chemin de vie de chaque personne, avec les principaux traits de caractère. La nombrologie est la synthèse de plusieurs approches ésotériques permettant, par le symbolisme, de plonger dans les couches profondes de l’inconscient et d'agir sur le quotidien immédiat. Le tarot de Marseille est appréciable pour les questions concernant le domaine affectif. Je n'ai pas de support préféré, car ils sont d'une certaine manière, complémentaires.” (Sylvarine). Enfin, le médium à travers lequel la consultation a lieu est un élément crucial pour le voyant: “Je pratique la voyance par mail et au cabinet. Je ne suis pas voyante auditive [raison pour laquelle elle ne pratique pas la voyance par téléphone].” (Sylvarine), “Je consulte par téléphone, par email, skype et MP avec un support mais pour une première consultation je préfère entendre ou voir la personne” (Océane) “on peut me consulter par téléphone et on pourra bientôt m’appeler en direct sur la nouvelle chaîne Ma Chaîne Voyance.” (David de Castaing) Il ressort donc ces propos que la voyance est envisagée comme une activité professionnelle comme une autre (“nous sommes de vrais professionnels”, Soraya) dont la principale particularité est qu’elle suppose une grande autonomie et que ceux qui l’exercent peuvent en fixer les modalités. Les pratiquants de la voyance ont également organisé une régulation morale de leur art. L’Institut National des Arts Divinatoires a en effet rédigé une Charte de déontologie consultable par tous sur son site internet52. Ses objectifs sont décrits dans son préambule : “Afin de moraliser la Profession des arts Divinatoires, éviter les dérives multiples qui découlent de ces pratiques où n'importe qui peut devenir du jour au lendemain médium, voyant, astrologue, mage, sorcier..., l'Institut National des Arts Divinatoires (INAD), qui est 52 http://inad.info/documents/charte-de-deontologie 33 une association d'information, de prévention et de protection contre les Abus et les Excès de la profession, propose, à l'intention des praticiens désirant instaurer des rapports satisfaisants avec les consultants et dans l'intérêt de tous, cette Charte Morale et Professionnelle.” Les termes de ce préambule mettent l’accent sur les risques liés à une mauvaise pratique de la voyance: “afin de moraliser la profession”, “éviter les dérives”, “de prévention et de protection contre les Abus et les Excès”. Il est donc intéressant de constater que pour les pratiquants de la voyance il y a une bonne et une mauvaise manière d’exercer la voyance, les voyants tombant dans la deuxième catégorie perdant aux yeux de leurs pairs leur respectabilité de professionnels pour devenir des “charlatans” (Sevasty, Reynald, Soraya) ou des “escrocs” (Barbara Dorveaux,). Cette différenciation nous conduit à dresser un double constat: les voyants considèrent que leur profession peut jouir du même niveau de respectabilité que n’importe quelle autre, mais cette respectabilité doit être défendue d’autant plus sévèrement que les dérives sont nombreuses et nourrissent une image négative de la profession auprès du public. Le métier de voyant a donc des implications tout à fait tangibles. De plus, il semble que les professionnels de la voyance soient le plus souvent confrontés à des préoccupations parfaitement ordinaires au cours de l’exercice de leur art. b. Des préoccupations concrètes En tant que prestataires de services, les voyants doivent ajuster leur activité en fonction d’une demande effective. Ainsi, bien qu’ils pratiquent un art atypique, voire extraordinaire, c’est au service des préoccupations de leurs consultants, dont nous verrons qu’elles peuvent être qualifiées de concrètes. En effet, nous pouvons arguer que si les clients se tournent vers des moyens “originaux” pour trouver des réponses à leurs interrogations, leurs problèmes ne sont pas pour autant hors du commun (les séances de désenvoutement faisant exception). Les préoccupations sentimentales et professionnelles sont ainsi celles qui sont le plus mentionnées par les voyants. Mais les voyants ne s’y limitent pas et mentionnent divers autres thèmes : “je goûte un peu à tous les domaines, aussi bien le domaine sentimental, professionnel que financier.” (Alexandre de Manberti), “Je me sens particulièrement à l'aise dans le domaine de la santé et celui de l'habitation. Je ressens bien les problèmes de santé ce qui me permet de conseiller judicieusement mes clients. Dans le domaine de l'habitation je peux visualiser des maisons, 34 voir quelle sera la future résidence de mon consultant parfois de façon très détaillée, lui permettant de faire le meilleur choix possible. Une partie de mon activité consiste d'ailleurs à conseiller les entreprises.” (Estelle des Enclos) “- Dans votre pratique avez-vous un domaine de prédilection ? - Oui, c'est plutôt le monde des affaires. J'obtiens souvent des chiffres précis, des informations sur la bourse…” (Bérengère Lecoq) De manière peut être plus surprenante, nous avons relevé plusieurs références à des interventions dans des cas de disparitions, parfois en collaboration avec les forces de police. Sur le site de Voyance Annuaire Symphonie, un interviewer demande à Annabelle de Villedieu: “avez-vous déjà été contacté, comme il se fait couramment aux États-Unis, par la police pour les aider dans des enquêtes policières bloquées ?”, laquelle répond: “j'ai effectivement été en contact avec la police pour certaines enquêtes. À l'aide de photos, en me rendant sur les lieux, grâce à mes flashes, je leur disais ce que je voyais, ce qui avait eu lieu. J'ai fait un tournage il y a pas très longtemps sur une affaire de meurtre. Lorsque je suis arrivée sur le lieu j'ai eu des flashes, je voyais un homme gisant à terre, la manière dont ça s'était passé et j'ai d'ailleurs donné des informations qui ont beaucoup perturbé les personnes présentes parce que l'on parlait à ce moment-là d'un suicide et je voyais pour ma part un meurtre déguisé en suicide.” Sur le même site internet, Monsieur Olivier Médium se voit poser la question suivante: “Vous est-il arrivé d'être contacté par la police ou des enquéteurs pour les aider dans certaines enquêtes qui piétinent ?”. En réponse il assure : “Effectivement, mais cela reste du domaine du secret professionnel, il y a des choses que je ne pourrais pas dire mais effectivement il y a des personnes dans le domaine juridique ou autre qui font appel à moi pour pouvoir faire avancer des enquêtes ou leur apporter des renseignements.”53 Nous pouvons également mentionner la part que s’attribue Christophe Dy dans la découverte du corps d’une adolescente: “Lors de la disparition en 2011 de Laëtitia en Loire Atlantique, j’ai participé téléphoniquement à la recherche de son corps en conseillant à la gendarmerie de rechercher autour d’un lac ou d’un étang. C’est effectivement dans un étang qu’elle a été rerouvée et mes prémonitions se sont révélées exactes.” ou celle de Sevasty dans la réunion d’une jeune fille avec ses parents: “j’ai participé à une émission consacrée à la recherche de personnes disparues, l’équivalent de “Avis de recherche” en France. Une jeune française 53 Notons une intéressante référence au “secret professionnel” renvoyant aux mécanismes de professionnalisation des voyants que nous avons évoqués précédemment. (I B 1 a) 35 partie en vacances en Grèce n’avait donné aucune nouvelle à ses parents depuis trois mois. Grâce aux précisions que j’ai pu apporter nous avons finalement retrouvé cette jeune fille, au grand soulagement de ses parents !” Toujours sur Annuaire Voyance Symphony, le texte introductif de l’interview de Claude Alexis mentionne explicitement une collaboration approfondie avec la justice: “Passionné par le goût de l’aide et du soutien à autrui, Claude Alexis au fil des années collabore spontanément et étroitement avec la police lors de disparitions d’enfants. Une vocation qui le conduisit à mettre son service de voyant au profit de la justice après avoir rencontré une avocate. Ensemble, ils vont ré-ouvrir des dossiers de personnes victimes d’erreurs judiciaires. Et, grâce à leur pugnacité, la proclamation de non-lieux se fera et des présumés coupables seront innocentés.” Ces témoignages nous conduisent à constater, sinon les résultats concrets de la voyance, l’aspiration à un usage qui produirait des effets tangibles immédiats. En effet, l’achat d’une maison, le traitement d’une maladie, la recherche d’une personne disparue ou la réouverture d’un cas judiciaire sont des aspects éminemment palpables de la vie des personnes. Ces domaines ordinaires de l’activité humaine (santé, immobilier, crime, justice) ne reposent pas sur une systématique intervention de la voyance, pour preuve, il existe d’autres professions spécialisées dans leur gestion. Mais à la lecture de ces entretiens, nous pouvons constater un recours au moins occasionnel à la voyance54. Il apparaît donc que les pratiquants de la voyance mettent plusieurs aspects de leur vie en relation avec la voyance, la mobilisant avec l'intention d’obtenir des réponses à des préoccupations concrètes. Réciproquement, cet usage de la voyance influence, dans une certaine mesure, la perception que les personnes ont de leurs problèmes et, in fine, leurs décisions effectives. Après ces quelques aspects concrets de la pratique de la voyance (autant pour les voyants que les consultants), intéressons à l’entreprise de rationalisation de la voyance par ses pratiquants. 2. Un discours de rationalisation omniprésent Ce segment marque notre entrée dans la problématique du travail d’intellectualisation mené par les pratiquants de la voyance. Dans un second temps, l’objet de notre analyse prendra un 54 Nous partons du principe que, dans leurs propos, les voyants interviewés ne déforment pas volontairement la vérité. 36 tour plus discursif, nous nous intéresserons en effet au caractère positif (dans le sens comtien de recherche rationnelle de “lois effectives” guidant “les choses”55 de la rhétorique employée par les pratiquants de la voyance pour décrire et ainsi justifier plus ou moins explicitement leur pratique (a). Nous serons ainsi amenés à étudier le rapport ambivalent que ceux-ci entretiennent avec ce qu’ils qualifient parfois de “sciences officielle” (b). a. Une pratique justifiée par une rhétorique positive Nous avons déjà pu constater qu’il était commun, chez les voyants, de se distancier du domaine de la magie et de présenter leur pratique de la voyance comme une activité professionnelle concrète. Nous allons à présent observer que le discours des voyants est par ailleurs empreint d’un certain positivisme. Il semble en effet que nous puissions noter des similarités entre la manière dont les voyants évoquent leur don ainsi que leurs pratiques et la rhétorique positiviste comtienne. Pour appuyer notre propos, commençons par tenter d’appréhender adéquatement la pensée de Comte. Dans Auguste Comte et la philosophie positive, Emile Littré écrit: “La philosophie positive est l’ensemble du savoir humain, disposé suivant un certain ordre qui permet d’en saisir les connexions et l’unité et d’en tirer les directions générales pour chaque partie comme pour le tout.” Constatant une rupture revendiquée avec deux influentes sciences de l’esprit: “Elle se distingue de la philosophie théologique et de la philosophie métaphysique” il estime que le positivisme appelle à définir le savoir humain “par l’étude des forces qui appartiennent à la matière, et des conditions ou lois qui régissent ces forces. Nous ne connaissons que la matière et ses forces ou propriétés ; nous ne connaissons ni matière sans propriétés ou propriétés sans matière.” l’enseignement comtien veut donc que le fondement du savoir humain repose sur l’observation et l’expérience par opposition à l’intuition ou aux spéculations, en particulier métaphysiques. Nous ne pouvons nier que la voyance ait une certaine portée métaphysique. Nous avons pu nous-mêmes constater précédemment que la voyance était traversée d’une sorte de sentiment religieux. Cependant, celui-ci est contrasté par une aspiration à la rationalité que nous pouvons qualifier de positiviste. Cette aspiration apparaît sous plusieurs formes mais ces 55 Comte Auguste, Cours de philosophie positive tome 1, éd. Hermann, 1998. 37 manifestations diverses semblent servir un même but: l’écartement d’explications métaphysiques au profit d’explications matérielles qui attachent à chaque conséquence une cause logique et supposent l’exposition de preuves, de préférence chiffrées. Pour illustrer notre propos, considérons un service offert par certains voyants: la communication avec les morts. La prétention à entrer en contact avec les défunts peut sembler farfelue, mais pour certains voyants c’est une pratique justifiable. Elle s’explique du fait que les Hommes sont dotés d’une âme immortelle56. Les personnes décédées perdent ainsi leur matérialité, mais l’existence de l'âme explique qu’elles soient encore “présentes”. Parallèlement, les formes que prennent leurs interventions dépendent de la volonté et donc de la personnalité du défunt ainsi que de l’état de leurs relations à leurs proches vivants. Le don effectif du voyant permet de donner corps à ces manifestations. Pour mesurer l’effet rationalisant de ces explications il suffit de constater le naturel avec lequel Bérengère Lecoq relate un évènement qui pourrait sembler extraordinaire: “une autre fois, recevant une cliente à mon cabinet, je sentis que son père décédé voulait communiquer fortement avec sa fille. Ce monsieur, de caractère impatient, trouvait que les choses n'allaient pas assez vite à son goût et subitement ma bibliothèque est tombée par terre, mes livres ont volé en éclats !! Ma cliente a éclaté de rire en s'esclaffant : « c'est bien mon père, ça ! ».” Le naturel avec lequel la voyante relate cette situation indique qu’elle mobilise un cadre de perception qui lui permet de rendre triviale une situation pour nous extraordinaire. Un élément central de l’explication “logique” des prouesses des voyants est leur don. Nous avons déjà pu constater que celui-ci était évoqué dans chaque entretien, ce qui en fait le thème le plus fédérateur parmi les voyants interviewés. Il est présenté comme une capacité qui peut être mobilisée pour aboutir à des effets concrets. Nous assistons à la formation d’une sorte de logique circulaire dans laquelle les effets (révélations) justifient le don, qui en retour justifie les effets. Il s’agit d’une forme de dévoiement de la dialectique cause/conséquence certes critiquable d’un point de vue logique. Cependant, pour les voyants, elle fait non seulement sens, mais témoigne également de la solidité de leur raisonnement. Ce mécanisme explique que chaque situation dans laquelle les prédictions et intuitions des voyants se vérifient soient exploités pour confirmer le bien-fondé de leur pratique 56 Pour le raisonnement logique résidant derrière la conception d'âme, voir Raymond Boudon: “La notion d'âme, nous dit-il [Weber], a été conçue pour expliquer une multitude de phénomènes immédiatement observables et importants. Dans l’immédiat, la mort laisse le corps intact; seul le souffle vital disparaît.” Boudon Raymond “La rationalité du religieux selon Weber” L’Année Sociologique 2001/1 - Vol 51 - Presses Universitaires de France 38 (“dernièrement j'ai vu la fille d'une de mes amies décédée dans un accident de voiture. Elle m'est apparue telle que sa maman l'avait habillée pour l'inhumation, une jolie chemise bleue imprimée de papillons, preuve irréfutable de la réalité de cette manifestation.” Bérengère Lecoq, “un petit camarade de classe, gravement accidenté, manquait l'école depuis longtemps. Mais je fis un rêve où je le revoyais revenir à l'école. Je me levai et me fis belle, moi qui étais peu coquette ce qui intrigua ma mère qui pensait que c'était pour la photo de classe. Je lui dis tout naturellement que Nicolas allait revenir dans son pantalon marron et son pull orange ce qui était tout à fait improbable. Pour une fois je fus la première à la récréation et... Voilà Nicolas accompagné de sa maman dans son pantalon marron et son pull orange. Ma mère dut reconnaître que j'avais un don que les autres n'avaient pas.” (Réha), “Par la suite cela a pu me poser problème par rapport à mes camarades, en particulier un jeune Camerounais à qui je déclarai qu'il ne viendrait pas à l'école lundi. Il était prévu que cet enfant, Nathan, devait retourner dans son pays et donc quitte l'école définitivement mais il n'était pas au courant.” (Yann Lecoq) Nous avons donc pu observer chez les voyants le recours à une rhétorique positive ayant pour but de rationaliser leur activité. Mais cet usage de la pensée positiviste n’est pas la seule manifestation de l’entreprise de rationalisation menée par les voyants. Un autre effort de leur part sur ce terrain s’illustre dans le traitement qu’ils réservent à une science qu’ils qualifient régulièrement d’ « officielle » b. Une critique ambivalente de la science officielle Le penchant positiviste des voyants nous permet d'appréhender une problématique complexe: le rapport des pratiquants de la voyance à la science57. Afin de l’analyser nous continuerons à nous appuyer sur les mêmes entretiens de voyants, mais nous élargirons également notre analyse grâce à d’autres sources de témoignages de pratiquants de la voyance. En effet, ceuxci ont produit de nombreux discours sur le rapport de la voyance à la science. 57 L’ambivalence de cette relation est observée par le magazine hostile aux parasciences Sciences…&pseudo science.org : “L’attitude des para sciences vis-à-vis de la science est paradoxale. D’un côté elles dénoncent une science officielle jalouse de ses prérogatives et de son territoire qui ne voudrait pas prendre en compte les « nouveaux Galilée », d’un autre côté, elles se proclament elles-mêmes « hors du domaine scientifique » pour justifier un refus des méthodes classiques d’évaluation. Elles se revendiquent alors comme un art ou comme une « science humaine » (sous-entendu, en science humaine, on pourrait tout dire et il n’existerait pas de méthode d’évaluation, de méthode scientifique). Dans le même temps, les parasciences affichent auprès de leurs adeptes la qualité de « scientifique », gage de crédit et de sérieux.” Jean-Paul Krivine « Les pseudo-sciences nuisent-elles à l’image de la science ? » Texte tiré de l’intervention faite lors de l’atelier « Image de la science » au Colloque National sur les Études Scientifiques Universitaires (Bordeaux, 3, 4 et 5 février 2003) http://www.pseudosciences.org/spip.php?article141 39 Pour bien comprendre la position des voyants, commençons par rappeler un de nos constats fondamentaux les concernant: ils considèrent que leur pratique pâtit d’un déficit de légitimité, plus précisément, ils ont le sentiment que sa validité est systématiquement attaquée. Cette méfiance se fonde sur l’existence supposée d’un ordre de pensée hostile entretenu notamment par les médias. Ainsi, Barbara Dorveaux déplore “Les médias se doivent de rester objectifs, certes mais ils ne devraient pas oublier de souligner que certains médiums sont sollicités pour des disparitions, meurtres et affaires non élucidés et cela par des institutions très importantes même si cela reste de manière officieuse.” tandis qu’Annabelle de Villedieu estime “qu'il est temps de réhabiliter cet univers qui a vraiment été démoli en particulier par les médias.” Il ressort du discours des pratiquants de la voyance que cette défiance ordinaire serait due à la domination d’un paradigme scientifique intolérant, dont la principale matérialisation serait une frontière arbitrairement tracée entre disciplines légitimes d’une part et méprisables de l’autre. Ce paradigme scientifique dominant se manifeste de différentes manières dans le discours des voyants. Un terme employé de manière récurrente est par exemple celui de “scientisme”. Ainsi, constatant un récent regain d'intérêt pour l’occulte le site internet Annuaire Voyance Symphony58, dans sa section consacrée à la définition de la voyance, parle d’une “réaction au scientisme du XXème siècle”59, s’attribuant par là même une sorte de victoire limitée vis à vis de la pensée dominante. Une autre expression employée est celle de science “conventionnelle”. Sur la même page du site Annuaire Symphony Voyance on peut ainsi lire: “Du temps des Lumières, dans un monde où tout était centré sur la science, de nombreuses personnes se tournent vers les sciences occultes pour contrer ce tout scientifique et tenter d’apporter des explications auxquelles la science conventionnelle n’a su répondre.” Ici, la voyance est présentée comme une alternative à ces sciences conventionnelles. Une autre expression, qui nous semble révélatrice (au point que nous avons choisi de la faire figurer dans l’intitulé de ce segment) est celle de “science officielle”. Ainsi Stéphane Rieux explique: “Même si la Science a matière pour apporter des éléments de réponses en ce sens, la Science officielle n'ose pas s'investir dans ce type d'approche [occulte] qui pourrait faire 58 http://www.annuaire-voyance-symphony.com/guide-de-la-voyance/quest-ce-que-la-voyance.html Il est intéressant de noter que l’auteur profite de cette sortie contre le scientisme pour situer la voyance dans le camp de la vérité scientifique finale en ajoutant que cette réaction “fait penser à ce qui s’est produit du temps du siècle des Lumières”. 59 40 tomber les clivages délimités par des fils barbelés entre certaines Sciences Humaines et la Science tout court.”60 La domination d’un ordre de pensée hostile aux pratiques occultes est souvent mise en relation avec un processus de perte, par la voyance, d’une légitimité scientifique dont elle aurait bénéficié par le passé. Ainsi sur le site L’Officiel de la Voyance, l’on peut lire : “ne doutons pas que les constats alors faits [par les consultants au terme d’une consultation] ne peuvent que concourir à redonner les lettres de noblesse qu’elle [la science de l’astrologie] n’aurait jamais du perdre.”61 L’idée qui ressort de ces propos est que la carence en légitimité scientifique de l’astrologie et de la voyance serait contextuelle et non absolue. D’ailleurs, les pratiquants de la voyance s’appuient régulièrement sur des références à des civilisations au sein desquelles la voyance jouit d’une plus grande considération.62 En conclusion, L’idée qui prévaut est qu’il existe une vérité cachée (cf: définition de l’ésotérisme), inaccessible à la science telle qu’elle est majoritairement pratiquée dans l’occident contemporain. Nous pouvons subodorer que les pratiquants de la voyance considèrent que le rejet de celle-ci est motivé par la peur de voir les fondements du paradigme dominant menacés par les implications de pratiques occultes. La critique du scientisme, de la science conventionnelle ou de la science officielle ne traduirait donc pas un désir d’abandonner la référence scientifique, mais plutôt de la reconfigurer pour faire place à l’activité des voyants. Les techniques que les pratiquants de la voyance mettent en place pour pénétrer le champ scientifique font partie des sujets qu’il nous semble nécessaire d’aborder dans la section suivante, consacrée à l’institutionnalisation de la voyance. 60 Notons cette intéressante délimitation entre “sciences humaine” et “sciences tout court” sur laquelle nous aurons l’occasion de revenir dans notre section II A 2. 61 Deprets Angélique « Doutes et polémiques en astrologie, déterminisme et libre arbitre ? » http://www.officieldelavoyance.org/Doutes-et-polemiques-en-Astrologie.html?lang=fr 62 Dans sa page consacrée à la description de la voyance, Annuaire Symphony Voyance cite ainsi les Sumériens, les Olmèques, les Romains, la Chine ancienne et contemporaine... 41 II) Démarches d’institutionnalisation d’une pratique culturelle “à part” L’institutionnalisation est un thème fondamentalement sociologique. Plus qu’un sujet, les institutions et processus d'institutionnalisation sont des champs de recherche à part entière, voire la source de courants d’analyse propres en sciences sociales (comme en économie, en particulier à travers le courant néo-institutionnaliste, ou en théorie des organisations). Parallèlement, si nous adoptons le point de vue du sens commun, le terme “institution” évoque deux images: d’abord celle d’une structure solide, durable, qui survit à l’épreuve du temps plus efficacement que ne le font les Hommes; ensuite celle d’une organisation reconnue, dont le statut et l’activité peuvent être qualifiés de légitimes. Dans cette partie, nous allons nous inspirer de ces deux pistes ouvertes par le sens commun. C’est à dire que nous allons à la fois nous intéresser à la solidification d’une structure liée à la pratique de la voyance et à la légitimation de cette pratique, en particulier d’un point de vue intellectuel. Nous avons donc choisi, dans un premier temps, d’évoquer l’incursion de la voyance (et pratiques associées) dans le champ de la culture légitime et ses structures (que celles-ci soient matérielles ou intellectuelles) en particulier scientifiques et académiques (A). Puis nous aborderons une problématique majeure de la sociologie de la culture: la création d’une culture ou d’une pratique culturelle autonome et reconnue. Nous verrons que les efforts des acteurs de la voyance dans ce sens reposent en grande partie sur les médias, en particulier internet (B). A.Incursions dans le champ de la culture légitime Dans notre réflexion sur le rapport de la voyance à la culture légitime nous commencerons par montrer en quoi les pratiquants s’adonnent à une intellectualisation mimant les codes de la “haute culture”63 ou de la “culture cultivée”64 grâce à des stratégies diverses. Ainsi dans un premier temps, nous scruterons la rhétorique scientifique par laquelle les voyants semblent 63 Bourdieu Pierre, La Distinction. Critique sociale du jugement, Paris, Minuit, 1979. Morin Edgar, “De la culturanalyse à la politique culturelle” Communications vol. 14, 1969. La politique culturelle. pp. 5-38. 64 42 construire des juxtapositions entre leur pratique et le domaine des sciences naturelles ou sociales. (1). Dans un second temps, nous nous intéresserons à ce que nous pouvons décrire comme une “’intellectualisation conformiste” reposant à la fois sur l’appropriation de certains thèmes et sur l’incursion dans un lieu majeur d’exercice traditionnel de l’activité intellectuelle reconnue: le milieu académique (2). 1. Une tentative de rapprochement avec des disciplines scientifiques “faisant autorité” En nous appuyant sur notre corpus de témoignages de voyants nous mettrons en lumière les discours par lesquels les voyants tendent à faire entrer la voyance (et autres pratiques occultes) dans le champ des sciences humaines d’une part (a.) et d’autre part, dans celui des sciences formelles et naturelles (b.). Conformément à la définition du Ministère de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche (MESR), nous considérerons que les sciences humaines - ou les sciences de l’Homme et de la Société selon la dénomination du MESR“étudient l'homme en société dans divers contextes historiques et géographiques. Elles l'étudient dans ses déterminismes biologiques et ses mécanismes cognitifs, mais également dans la variété des formes d'organisation sociale et des productions culturelles, artistiques et religieuses qui le caractérisent à des époques diverses.”65. Elles englobent notamment l’histoire, la philosophie, l’anthropologie, la sociologie ou la linguistique. Concernant les sciences formelles, nous les appréhenderons en nous appuyant sur la définition des sciences exactes (largement considérés comme synonymes de sciences formelles) fournie par le Centre National des Ressources Textuelles et Lexicales: “Science qui repose sur le calcul.”66. Nous considérerons ainsi que cette catégorie englobe notamment les mathématiques, la logique. Enfin, nous identifierons les sciences naturelles comme toutes les sciences ayant trait à l’étude des phénomènes naturels, elles comprennent ainsi la biologie, la chimie ou l’astronomie. a. Démarches pour une admission de la voyance dans le champ des sciences humaines Dans les propos de voyants nous pouvons observer plusieurs esquisses de rapprochements entre la voyance et des sciences humaines. Deux disciplines tout particulièrement concernées sont la psychologie et la philosophie. 65 http://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/cid56106/sciences-de-l-homme-et-de-la-societe-l-etude-de-lhomme-en-societe.html 66 http://www.cnrtl.fr/lexicographie/science 43 Concernant la psychologie, la voyante Laurence Larzul fait référence au psychiatre Carl G. Jung (1875-1961) à deux reprises. D’abord pour louer la parenté de sa pensée avec “un chemin vers la connaissance de soi”, ensuite pour s’en revendiquer et marquer une certaine distance par rapport à la voyance (elle se dit astrologue plutôt que voyante). Ce n’est pas la première fois que nous constatons une reprise de certaines des idées de Jung part des pratiquants de la voyance et de l’astrologie. Dans Prédire : l'astrologie au XXIème siècle en France, Arnaud Esquerre évoque l’inclination des astrologues pour Jung67. Sur le site l’Officiel de la Voyance.org quatre articles mentionnent Jung. En particulier, sa pensée est raccordée avec le Yi King à travers la publication d’une traduction française de la préface que Jung a écrit pour The I Ching or the Book of Changes (qui est lui-même une traduction, par Cary F. Baynes et Richard Whilhelm de l’œuvre fondatrice du Yi King, attribuée au personnage légendaire Fu Xi68) et avec le tarot (“Nous allons voir que la mise en relation du Tarot avec les découvertes de la psychologie et de la psychanalyse n’est pas dépourvue d’intérêt, notamment avec les théories de Jung.”69). L’attraction qu’exerce Jung sur les pratiquants de la voyance s’explique par les possibilités offertes par le concept de synchronicité. Celui-ci peut être défini comme un lien causal, voire essentiel entre des phénomènes psychique et physiques.70 Il a valu à Jung de nombreuses critiques d’après lesquelles le psychiatre se serait laissé séduire par des spéculations métaphysiques incongrues qui l’auraient éloigné de la voie de la rigueur scientifique 71. Il 67 Il ajoute que cet intérêt est réciproque: “- Ils lisent beaucoup Jung les astrologues que vous avez vous même lus et rencontrés. - Oui, alors c’est dans les deux sens. C’est á dire que Jung s’est intéressé à l’astrologie et a même travaillé sur des horoscopes par rapport à des couples mariés en mettant en avant son idée de synchronicité, donc d’une part Jung s’est intéressé à l’astrologie et d’autre part les astrologues se sont intéressés du coup à Jung et ont intégré je pense à la fois des éléments théoriques ou en tout cas une idée par rapport à la pratique psychanalytique dans leur propre pratique.” Extrait d’un entretien accordé par Arnaud Esquerre à France Culture dans l’émission “De la Suite dans les Idées” le 23.11.2013 06:55 min-07:33 min http://www.franceculture.fr/emission-la-suite-dans-les-idees-des-astres-en-vue-l-eternel-retour-de-l-astrologie2013-11-23 68 “Carl Jung et le Yi King” - officieldelavoyance.com http://www.officieldelavoyance.org/Carl-Jung-et-le-YiKing.html 69 “Le Champ du Travail avec le Tarot” - officieldelavoyance.com http://www.officieldelavoyance.org/Lechamp-du-travail-avec-le-Tarot.html 70 “The still unknown relationship between what we call uncoscious psyche and what we call matter. In studying this still undefined and unexplained connection it may prove that psyche and matter are actually the same phenomenom, one observed from within and the other from without.” Jung C. G & Franz M.-L. v. (1964). Man and His Symbols - Garden City, N.Y: Doubleday (en français: L’Homme et ses Symboles, Gallimard - 1988) 71 “Depuis toujours, Carl Gustav Jung (1875-1961) est sujet à la controverse; s'agit-il d'un homme de science, d'un psychologue uniquement, d'un philosophe ou d'un mystique ? [...] La position de Jung, sa conception du savoir religieux est parfois ambiguë” – Beaubien Luc, “L’expérience mystique selon C G Jung – La Voie de l’individuation ou la réalisation de soi” Thèse présentée à la Faculté des études supérieures de l'Université Laval dans le cadre du programme de doctorat en philosophie pour l'obtention du grade de Philosophiae Doctor (Ph.D.) - 2009 44 semblerait donc que les mêmes aspects de la pensée de Jung qui ont poussé certains scientifiques à s’en défier aient séduit les pratiquants de la voyance et de l’astrologie. Ceux-ci semblent avoir trouvé en elle un biais par lequel pénétrer le champ de la psychologie, voire de la psychiatrie, donnant ainsi à leur art une dimension nouvelle, qu’il s’agisse de ses fondements théoriques ou des modalités de sa pratique (avec par exemple des consultations dont le déroulement est inspiré de celui de séances de psychanalyse)72. Le témoignage d’une autre voyante, Océane, ajoute une dimension à ce rapport voyancepsychologie. Elle explique ainsi: “Le voyant doit être très prudent dans sa manière d'annoncer les événements à venir, d'où ce côté psychologique dont on nous parle souvent.” Ces propos ne constituent pas une assimilation de la voyance à la psychologie en tant que science mais soutiennent que l’exercice correct de la voyance nécessiterait de mobiliser des savoir-faire touchant au fonctionnement psychologique des personnes et assimile -dans une certaine mesure- le rapport consultant-voyant au rapport consultant-psychologue. Parallèlement, on observe un syncrétisme plus ou moins achevé entre astrologie et psychologie. Ainsi, Allegra explique avoir été formée auprès d’un professeur “spécialisé en astro-psycho.” Une rapide recherche sur internet permet de constater que l’astro-psychologie n’est pas un néologisme de la part d’Allegra. De nombreux sites internet offrent des services d’astro-psychologie. Un d’entre eux, Astro-PsychologieFormation.com décrit cette discipline comme: “une série d’outils, de modèles de comportements humains” et, d’après la définition d’un célèbre astrologue Américain, Stephen Arroyo, comme : “Un langage universel de l’énergie”73. Ces descriptions, qui admettent une grande marge d’interprétation, sont accompagnées de références non seulement à la psychologie (“La véritable tradition astrologique s’est malgré tout perpétuée et se répand aujourd’hui dans les milieux psychologiques.”; “Notre approche est essentiellement humaniste à orientation psychologique”74) mais aussi au champ des sciences humaines (“L’astrologie est avant tout une science humaine et il est totalement faux de la confondre avec une technique prévisionnelle.”75). Dans le cas du site Astro-PsychologieFormation.com nous constatons donc à la fois un rapprochement absolu (il est formulé sans nuance) entre ces deux disciplines 72 Concernant l’astrologie, Arnaud Esquerre explique ainsi “L’astrologie est quelque chose de très plastique et qui s’est profondément transformé au vingtième siècle notamment en rencontrant la psychanalyse.” Extrait d’un entretien accordé par Arnaud Esquerre à France Culture dans l’émission “De la Suite dans les Idées” le 23.11.2013 06:41min -06:48 min http://www.franceculture.fr/emission-la-suite-dans-les-idees-des-astres-envue-l-eternel-retour-de-l-astrologie-2013-11-23 73 https://sites.google.com/site/astropsychoformations/Introduction 74 Ibid 75 Ibid 45 et un flou en ce qui concerne la définition effective de l’astro-psychologie.76 Cette observation est intéressante car elle indique que, dans leur approche d’un certain champ scientifique -ici celui de la psychologie- les personnes s’arrogent une grande liberté, ce qui ne serait pas envisageable dans d’autres contextes institutionnels, en particulier académique.77 Dans notre corpus d’interviews de voyants nous pouvons également observer une juxtaposition entre voyance et philosophie par l’intermédiaire de Sylvarine. Celle-ci revendique en effet un fort attachement à cette discipline, déclarant: “Je considère la pratique de ma voyance très proche de la philosophie. Le philosophe se préoccupe de tout ce qui concerne le sujet humain. La philosophie est une science désintéressée, c'est de cette façon que je réalise chaque consultation de voyance. C'est essentiel de pouvoir appuyer mon don sur ce genre de pensée philosophiques. La philosophie selon Descartes : "je pense, donc je suis". ”. Il est intéressant de constater sur quoi se fonde cette association: il s’agit moins d’une prétention intellectuelle (en dépit la référence à Descartes) que d’une valorisation de qualités telles que l’empathie et la bienveillance. Sylvarine semble envisager la philosophie comme un art du désintéressement et revendique sa pratique comme telle. Ce témoignage ne nous permet donc pas d’affirmer que les voyants prétendent à une véritable démarche philosophique (Sylvarine ne prend pas en compte les exigences d’une pratique rigoureuse de la philosophie, notamment en termes de méthode). Toutefois, il a le mérite de nous rappeler que les voyants ont tendance à doter leur art de sens. Ils adoptent vis à vis de leur pratique une philosophie (ici dans le sens d’une manière d’interpréter le monde) qui suppose éventuellement de revendications intellectuelles, en particulier dans le champ des sciences humaines. Après avoir rapporté quelques formes d’incursions dans le domaine des sciences humaines, intéressons-nous à celles effectuées dans le champ des sciences naturelles et des sciences exactes. b. Démarches pour une admission de la voyance dans le champ des sciences formelles ou naturelles 76 A ce niveau de notre analyse nous pouvons avancer que cette imprécision est une constante dans le milieu de la voyance et de l’astrologie: les définitions des différentes disciplines sont souvent vagues, voire mouvantes. Nous nous garderons cependant de critiquer un manque de rigueur de la part des pratiquants de la voyance et ferons remarquer que malgré des tentatives de structurations (que nous évoquerons dans notre partie II. B.) la voyance reste pratiquée par une grande variété d’acteurs qui, s’ils collaborent en réseau, ne constituent pas pour autant une structure organisée. 77 La prise de distance vis à vis de “techniques prévisionnelles” au profit d’une pratique scientifique légitime telle que la psychologie nous renvoie également à un phénomène que nous avons évoqué en introduction: la propension des astrologues à se démarquer volontairement des voyants du fait que l’astrologie serait à la fois scientifiquement démontrable et praticable contrairement à la voyance. 46 Nous avons précédemment établi (I.B.2.a.) qu’il existait chez les voyants un mouvement de rationalisation de leur pratique qui n’était pas étranger à une forme de pensée positiviste. Nous allons maintenant observer que cette rationalisation peut occasionnellement se manifester sous la forme d’un amalgame entre voyance et sciences formelles ou naturelles. Le lien avec les sciences formelles se manifeste de manière notable par l’emploi d’un vocabulaire mathématique pour décrire la pratique de la voyance. Ainsi Yann Lecoq expliquet-il: “[L’écriture automatique] me permet d'analyser, de décrypter ces informations à la manière d'une lecture d 'ADN. [...] Certains signes annoncent ces rendez-vous, par exemple, des chiffres en double et en sachant les déchiffrer on peut gagner beaucoup de temps. [...] L'écriture automatique s'exprime, donc pas avec des mots et des phrases mais uniquement par symboles. Ceux-ci sont très variés, je les comparerais plutôt à une solution mathématique, musicale.” ” Il semblerait que l’énonciation de prédiction soit envisagée comme l’exécution d’une sorte de calcul. Plutôt que de faire des énoncés sibyllins, les voyants effectueraient un traitement de données rigoureux à partir des informations que leur ressenti ou leurs guides leurs transmettent et fourniraient à leurs consultant le produit de cette opération. Notre analyse du penchant mathématique des voyants rend nécessaire l’évocation de deux pratiques qui semblent particulièrement révélatrices sur l’attirance pour cette discipline. La numérologie, mentionnée par plusieurs des voyants interviewés (Sylvarine, Océane, Claude Alexis, Laurence Larzul et Ivana Glavic), est une technique de divination basée sur une combinaison de chiffres (en particulier ceux de la date de naissance du sujet et ceux de l’année en cours). Quant à la géomancie (mentionnée seulement par Ivana Glavic), il s’agit d’une méthode basée sur le traçage intuitif de figures géométriques. Il est intéressant de constater que ces deux techniques permettent à la voyance de s’approprier deux des branches centrales aux mathématiques modernes: l’arithmétique et la géométrie. Ce ciblage semble indiquer un désir, chez les pratiquants de la voyance, de mobiliser le plus grand nombre d’outils mathématiques possibles. Au-delà cet attrait notable pour un mode de pensée mathématique, les voyants semblent également accuser un certain penchant pour la science physique. Annabelle de Villedieu explique ainsi: “j'ai une formation d'ingénieur scientifique, et je pense qu'aujourd'hui il y a une autre image à donner de cet univers qui est aussi un univers qui travaille dans l'énergétique, et je pense que l'on peut ramener la voyance aussi à tout ce qui est science puisque tout est énergie et vibration.” La finalité de ces propos est double: dans un premier temps, la voyante authentifie la légitimité de son discours scientifique grâce à une référence à 47 sa formation académique, dans un second temps, elle mobilise cette légitimité pour réconcilier voyance et science. Les modalités de ce rapprochement ne sont pas irréprochables (“tout ce qui est science” ne permettant de délimiter que très grossièrement le champ auquel Annabelle de Villedieu fait référence) mais il est révélateur dans la mesure où il permet de tracer des parallèles entre clairvoyance médiumnique et pratique de la science physique78. Le discours d’Annabelle de Villedieu n’est pas atypique. Il apparaît dans un contexte où la science physique a été mobilisée pour expliquer et, dans une certaine mesure, justifier des pratiques ésotériques. Nous pouvons ainsi évoquer la thérapie quantique, forme de médecine alternative qui prétend guérir des maux “ordinaires” en envisageant le corps des patients comme: “un champ vibratoire et énergétique constitué de milliards de particules de lumière – des photons – qui échangent en permanence des informations, un univers lumineux dans lequel l’esprit et la matière ne font qu’un”79 Ces thérapie quantiques peuvent être replacées dans le contexte plus large des thérapies énergétiques, définies comme une approche parallèle et complémentaire en santé (ACPS) fondée sur des “interventions axées sur les champs énergétiques qui se trouvent à l'intérieur du corps (biochamp) ou à l’extérieur de celui-ci (champs électromagnétique).”80 Il semblerait donc que le rapprochement entre la voyance et des sciences formelles ou naturelles comme les mathématiques ou la physique ne se fonde pas que sur la mobilisation d’éléments de langage particuliers (comme les termes de “chiffre” “ADN” ou “énergies”), mais aussi sur le développement d’une pensée à vocation scientifique. En conséquence, les pratiquants de la voyance peuvent tendre à envisager celle-ci comme une pratique scientifique. Néanmoins, lorsqu’elles tentent de se répandre en dehors du contexte de leur apparition, ces théories sont fréquemment rejetées comme des “pseudo-sciences”.81 3. Une intellectualisation “conformiste” 78 Cette corrélation entre des phénomènes mentaux et physiques nous renvoie à nouveau au fameux concept synchronicité de Carl G. Jung. 79 psychologies.com – « L’essor des thérapies quantiques » http://www.psychologies.com/ 80 Soins infirmiers en médecine et en chirurgie: 1. Généralités - Lillian Sholtis Brunner,Suzanne C. Smeltzer, Doris Smith Suddarth, Brenda Bare, 4° édition, De Boeck 81 Nous pouvons ainsi renvoyer le lecteur au site internet de l’Association Française pour l’Information Scientifique, très active sur le front des supposés dérives des pseudos-sciences comme l’indique leur présentation: “L’AFIS se donne pour but de promouvoir la science contre ceux qui nient ses valeurs culturelles, la détournent vers des œuvres malfaisantes ou encore usent de son nom pour couvrir des entreprises charlatanesques.” 48 Dans ce segment, nous nous intéresserons d’abord aux manœuvres mises en place par les pratiquants de la voyance pour tenter de s’introduire (avec plus ou moins de succès) dans le champ académique par la porte de l’enseignement supérieur (a.). Ensuite, nous partirons du constat que les pratiquants de la voyance semblent avoir tendance à se déclarer compétents dans des domaines de l’activité humaine qui bénéficient d’une certaine considération. Ces domaine sont notamment la politique, l’économie et les questions sociales. Évidemment, ces compétences revendiquées se fondent sur la nature de l’activité des voyants. Il ne s’agit en effet pas de dire que les voyants se déclarent économistes ou aspirent à des carrières politiques. Néanmoins, cette incursion dans des domaines dont le degré de sérieux peut paraître bien supérieur à celui accordé à la voyance soulève des problématiques intéressantes que nous nous astreindrons à traiter (b.). a. Un intérêt marqué pour le champ universitaire Dans un article intitulé “Parasciences et procédés de légitimation”82, Gérard Chevalier consacre une section entière de sa réflexion à “La Fascination Universitaire”. Il observe en effet: “Le recours aux hautes autorités universitaires et académiques est une constante des procédés promotionnels de la culture moyenne. Les parasciences en appellent ainsi à un nombre considérable de professeurs et de docteurs en tous genres.”83. Considérant le cas d’un certain “professeur E.B” qui “n'entend ainsi pas laisser passer la moindre occasion de faire état de ses « titres », sans peur des présentations ambiguës ou fallacieuses.”, Gérard Chevalier examine l’impressionnant curriculum vitae du professeur E.B afin de constater que cette “logique d’accumulation” probablement motivée par une “anxiété de la preuve” est fondée sur une série d'embellissements de la vérité. En effet, après examen, les diplômes comme les établissements cités semblent loin de jouir de la légitimité universitaire que le professeur E.B. veut leur conférer84. Cette observation fait écho à la controverse qui a agité le milieu sociologique au début des années 200085: la soutenance, par la célèbre astrologue Elizabeth 82 Chevalier Gérard. Parasciences et procédés de légitimation. In: Revue française de sociologie. 1986, 27-2. pp. 205-219. 83 Gérard Chevalier assimile donc les para-sciences à une pratique culturelle moyenne, une position qui pourrait servir de point de départ à des commentaires intéressants. Malheureusement, nous ne bénéficions pas du temps nécessaire pour nous pencher sur la question de manière satisfaisante. 84 Un exemple emblématique de ces entreprises de détournement de la vérité est le cas de “l'Université internationale — Aupac — Paris V” où le professeur E.B prétend enseigner. Gérard Chevalier parvient à déterminer que L'Alliance universelle pour la paix et la connaissance (AUPAC) est une association à but non lucratif et que son assimilation abusive à l’Université Paris V est uniquement fondée sur “la location d'un amphithéâtre un samedi sur deux, comme peut y prétendre n'importe quelle autre organisation”. - Chevalier Gérard. Parasciences et procédés de légitimation. In: Revue française de sociologie. 1986, 27-2. pp. 205-219. 85 Soit plus de dix ans après la publication de l’article de Gérard Chevalier. 49 Teissier, d’une thèse de sociologie à l'Université Paris Descartes86. Plus de dix ans après les faits, la prétention de Mme Teissier a acquérir le titre de docteur (et le succès de son entreprise) font encore l’objet de commentaires incrédules.87 Non seulement, donc, la revendication de titres universitaires par des pratiquants de la voyance est-elle encore d’actualité, mais elle s’inscrit en outre dans un contexte plus large “d'exploitation du pouvoir symbolique accumulé par l'enseignement supérieur”88 potentiellement polémique. Près de trente ans après la publication de l’article de Gérard Chevalier, nous allons donc nous astreindre à analyser l’état des appropriations de référents académiques ou universitaires par des pratiquants de la voyance. Un procédé courant d’imitation est le rapprochement sémantique. Comme a pu l’observer Gérard Chevalier, les termes de “docteur” et de “professeur” sont particulièrement prisés par les pratiquants de la voyance en quête de légitimité symbolique. Qu’en est-il de celui d’”université”? Les pratiquants de la voyance l’emploient-ils pour désigner les structures d’enseignement de pratiques divinatoires? Nous pouvons effectivement citer deux exemples de cet usage. Il s’agit tout d’abord de l'Université du Temps Présent de Montpellier. Son site internet indique que son activité consiste à organiser “des manifestations culturelles dans les domaines de la parapsychologie, de l'ésotérisme des sciences parallèles de la spiritualité, du symbolisme, etc…”, plus précisément: “elle fait appel à des spécialistes pour animer: STAGES, SEMINAIRES, COURS, CONFERENCES, DEBATS, VISITES ET VOYAGES ESOTERIQUES, MANIFESTATIONS ARTISTIQUES, etc…”. L’appellation d’”Université” semble toutefois relever du vœu pieux. En effet, cette organisation a en réalité le statut d’association loi 86 L’affiliation de cet établissement à l’Université Sorbonne Paris Cité permet à Mme Teissier de parler de “[s]a thèse de sociologie à la Sorbonne” sur son site internet. https://www.eteissier.com/biogra/biog.asp?bouton=11&pagex=3 87 Ainsi, Sylvain Bourmeau, qui s'entretient avec Arnaud Esquerre sur France Culture précise en début d’émission: “on ne va pas revenir sur cette polémique qui a agité le monde de la sociologie voici quelques années alors que cette astrologue professionnelle avait soutenu sa thèse dans cette discipline, la sociologie. Il n’en est même pas question, d’ailleurs cette thèse n’est pas citée dans votre bibliographie”. Il est intéressant de noter que le présentateur mentionne Elizabeth Teissier afin d’écarter son cas de la discussion alors même que, l’ouvrage d’Arnaud Esquerre ne la mentionnant pas, il n’y a pas lieu de l’évoquer lors de l’entretien. Entretien accordé par Arnaud Esquerre à France Culture dans l’émission “De la Suite dans les Idées” le 23.11.2013 01:13min-01:31min http://www.franceculture.fr/emission-la-suite-dans-les-idees-des-astres-en-vue-l-eternelretour-de-l-astrologie-2013-11-23 88 Chevalier Gérard. Parasciences et procédés de légitimation. In: Revue française de sociologie. 1986, 27-2. pp. 205-219. 50 1901.Un autre exemple que nous pouvons mentionner est celui de l’Université Voyance 2, dont le site internet n’est malheureusement plus en activité89. Nous constatons donc que si le terme d’”université” a été et est toujours employé par certains pratiquants de la voyance pour décrire leurs activités d’enseignement ce n’est pas de manière très courante, ni avec beaucoup de succès. Lorsqu’ils offrent des enseignements, les pratiquants de la voyance semblent privilégier des termes aux tonalités plus neutres tels que “cours” (une recherche internet comprenant les termes “cours voyance” produit 763 000 résultats contre 398 000 pour les termes “université voyance”), “formation” (459 000 résultats) ou “école” (586 000 résultats). Les “stages”, qui supposent une approche plus professionnalisante de l’enseignement semblent également jouir d’une certaine popularité (460 000 résultats)90. Au-delà de ces considérations sémantiques, pouvons-nous pour autant affirmer que, parce que les structures ne revendiquent pas l’appellation d’université, elles soient dénuées d’ambitions universitaires? Considérons l’exemple du Centre Lyonnais d’étude de l’Astrologie (ou de l’école Clés de l’Astrologie: les dénominations de cette structure varient). Cette organisation chapeaute trois écoles, une d’astrologie, une de tarot et une de numérologie, chacune possédant son propre site internet. Sur ces trois sites, les internautes peuvent accéder à des listes de cours et de stages ainsi qu’à un “espace élève” privé. A travers des efforts portant sur la structuration et la présentation de son enseignement et de ses sites internet, il semblerait donc que l’école Clés de l’Astrologie adopte à la fois des modes de fonctionnement et des symboles propres à l’enseignement supérieur. Une limite à ce rapprochement nous semble cependant notable: l’absence de mention, sur les trois sites internet de toute forme de diplomation confirme que nous n’avons pas affaire à un établissement d’enseignement supérieur et achève de creuser un fossé avec l’université. Outre la question de la diplomation, une autre problématique contribue à accentuer l’écart entre les structures d’enseignement des pratiques divinatoires et le milieu universitaire, il s’agit de celle de la recherche. En effet, les universités ne sont pas seulement des structures destinées à prodiguer des enseignements ou à délivrer des diplômes. Elles sont également des environnements de recherche et dédient à ce titre des moyens plus ou moins importants à l’élaboration de savoirs nouveaux. Les structures que nous avons évoquées ne poursuivent pas 89 Il a manifestement été désactivé durant la période de notre travail de recherche puisque nous avons pu y accéder en mai 2015, mais pas en août 2015. 90 Recherche effectuée le 06.08.2015. 51 de travail de recherche, mais, au contraire, se limitent assez strictement à la formation de nouveaux pratiquants dans une logique utilitariste plutôt étroite. Parallèlement, les ouvrages ayant trait à la voyance, s’ils témoignent d‘une expertise dans un domaine particulier, ne sont, de manière générale, pas des publications universitaires91. Pouvons-nous donc avancer que les pratiquants de la voyance ont échoué à mettre en place une structure qui remplirait une fonction de recherche par ailleurs essentielle au système universitaire? Il semble que cela ne soit pas absolument le cas. Notre exploration du milieu de la voyance et, plus largement, des para-sciences, nous ont permis de repérer des centres de recherche qui jouissent de statuts divers tout en ayant en commun un fonctionnement relativement autonome. L’Institut Métapsychique International, par exemple, est une “fondation reconnue d’utilité publique”92 française dont la devise “Le “paranormal, nous n’y croyons pas, nous l’étudions” atteste sa mission de recherche. Quant à la Society for Psychical Research, une “registered charity” (“organisme de bienfaisance homologué”) britannique, elle s’est fixée pour but d’ “examiner des phénomène supposément paranormaux en usant de principes scientifiques.” (“examine allegedly paranormal phenomena using scientific principles.”) afin “d’en apprendre plus sur des évènements ou des capacités communément décrites comme “liés à des dons de voyance” ou “paranormaux” en soutenant la recherche, partageant des informations et encourageant le débat.” (“Our aim is to learn more about events and abilities commonly described as "psychic" or "paranormal" by supporting research, sharing information and encouraging debate”).93 Ces exemples nous permettent donc d’observer une appropriation morcelée de l’activité des universités par les pratiquants de la voyance. L’offre de formation à des pratiques de voyance repose sur des organismes hétéroclites aux programmes variés, allant du stage au cours, en passant par la formation “professionnelle”, tandis que d’autres organismes prennent en charge uniquement des activités de recherche. 91 Une exception notable étant bien évidemment la thèse de sociologie d’Elizabeth Teissier intitulée “Situation épistémologique de l’astrologie à travers l’ambivalence fascination/rejet dans les sociétés post-modernes”. Nous reviendrons sur la question des publications des voyants dans notre partie II.B.2.a. 92 http://www.metapsychique.org/-L-equipe-de-l-IMI-et-son-reseau-.html 93 Il est intéressant de constater que cette rhétorique renvoie à l’incursion de la voyance dans le champ scientifique que nous avons évoqué plus haut (II. A. 1.), d’autant plus que le Society for Psychical Research mobilise une citation de Carl G. Jung: "I shall not commit the fashionable stupidity of regarding everything I cannot explain as a fraud." - C.G. Jung (“Je ne commettrai pas la stupidité à la mode consistant à considérer tout ce que je ne peux expliquer comme étant un mensonge.”) 52 En conclusion il apparaît que certains pratiquants de la voyance soient engagés dans un processus mimétique vis à vis du milieu universitaire. Mais plusieurs éléments indiquent que ce processus est loin d'être achevé. Il s’agit principalement de l'inaccessibilité de certains “artefacts” essentiels au milieu universitaire (telle la diplomation) 94 et de la faiblesse et du dispersement de l’activité de recherche. Mais la disposition des pratiquants de la voyance est elle aussi ambivalente, comme l’illustrent les propos de Lisyanne Lacombe: “la formation sur le tas est de mise” [...] “Notez aussi que je considère cela plus comme un loisir que des études intensives. “ Il est donc extrêmement périlleux, sinon impossible, de faire des parallèles entre le système universitaire français et l’enseignement de la voyance95. Nous avons donc pu constater une attirance des pratiquants de la voyance pour le milieu universitaire et ses codes. Au-delà de cet attrait, les voyants semblent partager un penchant pour des sujets que nous pouvons qualifier de légitimes. b. Une appropriation des sujets légitimes Nous avons pu observer que, si les voyants sont essentiellement amenés à faire des prédictions concernant la vie privée ou professionnelle de particuliers, certains mentionnent également des collaborations avec diverses structures (“Une partie de mon activité consiste d'ailleurs à conseiller les entreprises.” Estelle des Enclos, “j'ai effectivement été en contact avec la police pour certaines enquêtes.” Annabelle de Villedieu). Cependant, l’élargissement du champ d’action des voyants va parfois au-delà de ces collaborations. En effet, une pratique que nous pouvons observer chez les voyants consiste à réaliser des prédictions à portée générale, c’est à dire touchant à l’avenir de toute une population. Ainsi, Dominique Lagache, du site GuideVoyance.com interroge Barbara Dorveaux “Vous arrivent-il de faire des prédictions généralistes (pour le monde, la France, des personnalités) ?” Parallèlement, Lionel 94 Mais, paradoxalement, les difficultés qu’a la voyance se à structurer académiquement présente des problématiques proches des enjeux universitaires “ordinaires”.Ainsi, au cours d’un entretien que la fondatrice l’école Clés de l’Astrologie, Lisyanne Lacombe, a accordé au site internet mystere-tv.com (http://forum.mysteretv.com/questions-1ere-ecole-voyance-france-t1267.html ) elle se voit poser la question suivante “Croyez vous que l'on puisse arriver un jour à créer des écoles de voyance reconnues comme telles par l'Etat ?” Elle répond ainsi: “non, il y a trop de dissensions au seing de la profession”. Elle déplore le fait que les pratiquants “considèrent qu’une matière est mieux que l’autre etc.” Et s’interroge: “A partir de là, pourquoi choisir l’un plutôt que l’autre ? Comment et quoi enseigner ? quelle matière utiliser comme référence ?” Il est intéressant que cette réponse négative soit justifiée par des préoccupations qui semblent indiquer que l’enseignement des pratiques divinatoires rencontre des défis similaires à ceux présents au sein du système universitaire ordinaire: les querelles portant sur la constitution des programmes d’étude et la concurrence inter-disciplinaire. 95 Mais cette juxtaposition a le mérite révéler non pas une inadéquation fondamentale entre la voyance et le champ universitaire, mais plutôt les difficultés que toute discipline rencontre pour se cristalliser en discipline académique et sujet de recherche intellectuelle. 53 Roggia affirme “j'ai la faculté de ressentir les personnes décédés et de rentré en contact avec eux, ainsi que de pouvoir voir ce qu'il va se passer dans le MONDE, d'où mes prédictions que j'effectue chaque années”. Quant à Sylvie Cariou, elle explique: “J'interviens aussi en tant que cafédomancienne avec le support du marc de café et de mon oracle sur www.annuairevoyance-symphony.com (ce sont des prédictions sur des sujets de l'actualité)”. Cette aspiration à réaliser des prédictions relatives au “monde” ou à “l’actualité” a d’intéressantes implications car elle suppose le traitement de thèmes que nous pouvons qualifier de “sérieux” par opposition aux préoccupations touchant à la vie personnelle des consultants. Il s’agit de domaines de l’activité humaine qui jouissent d’un certain prestige comme l’économie et la politique96. Considérons par exemple les “prédictions sur des sujets d’actualité” de Sylvie Cariou97. Le lien contenu dans l’interview qu’elle a accordé à Annuaire Voyance Symphony renvoie à un article intitulé “Prédictions 2015 de Sylvie Cariou”98. Les prédictions réalisées sont partagées en plusieurs catégories (politique, environnement, santé, vie publique-médias, monde) ellesmêmes subdivisées en paragraphes thématiques. Nous allons nous intéresser aux deux sections bénéficiant des développements les plus longs: la politique et le monde. La catégorie “politique” contient ainsi une seule section “le gouvernement” qui, de manière discutable englobe trois paragraphes intitulés “François Hollande”, “Nicolas Sarkozy” et “Marine Le Pen”. La section “monde”, elle, est subdivisée en quatre parties: “climat”, “usa, “pays arabes” et “divers monde”. La gravité attachée à la nature de ces thèmes est consolidée par la force des prédictions de la voyante. Dans ces deux catégories, Sylvie Cariou annonce des évènements dont la portée serait considérable. Pour ne citer quelques exemples, dans la section “politique” elle déclare avoir prévu le remaniement du premier gouvernement de François Hollande: “Comme je l'avais annoncé, le gouvernement a été remanié”, dans la section “monde”, elle évoque une menace imminente sur la sécurité du président des États-Unis: “Pour 2015, Je vois et je 96 Nous avons pu constater, au cours de nos observations, que le thème de la politique donnait lieu à de nombreuses spéculations astrologiques et médiumniques. Il est intéressant de noter que, d’un point de vue historique, voyance et politique ont longtemps entretenu des liens particuliers. Au-delà de l’attrait qu’a pu présenter l’astrologie pour certaines figures politiques (il existe nombre d’exemples célèbres de ce type de connivence), en Europe, la voyance a longtemps été perçue comme une potentielle source de menaces pour le pouvoir politique et a, à ce tire fait l’objet d’une certaine régulation impliquant tantôt de strictes interdictions. Cf : Edelman Nicole, Histoire de la voyance et du paranormal du XVIIIème siècle à nos jours, Seuil, 2006 97 http://www.annuaire-voyance-symphony.com/predictions-voyance-2015/predictions-2015-sylvie-cariou.html 98 Notons que cette tendance à effectuer des prédictions couvrant toute une année est en elle-même intéressante car elle implique que les voyants considèrent que leur don leur permet d’apprécier toute une série d’évènements et leur enchaînement entre eux sur une période longue (à échelle humaine). 54 l’avais déjà annoncé dès sa première élection , un attentat sur la personne de Barak Obama” ainsi qu’une atteinte à la souveraineté d’un état Européen “un pays européen dev[iendra] un nouveau pays (racheté comme une société) voir même changer[a] de nom.” et un désastre humanitaire: “Je vois un pays entrant dans la famine à cause d’une catastrophe naturelle”. Non seulement les sujets abordés ont un caractère “sérieux”, mais la manière dont ils sont abordés suppose une certaine gravité. Sylvie Cariou adopte un ton docte. Pour appuyer ses prédictions elle a visiblement été amenée à se documenter notamment sur les aléas du gouvernement français, sur les relations entre états du Proche-Orient, ou encore sur les variations de la croissance économique aux États-Unis. De plus, elle accorde un grand soin à la forme de son article et présente ses observations de manière appliquée. Au-delà de la formidable portée que Sylvie Cariou attribue à ses dons de clairvoyance - que nous nous garderons de juger afin de ne pas prendre le risque de corrompre notre réflexion- ce qui nous semble intéressant est la motivation de sa prise de parole. Ni François Hollande, ni Nicolas Sarkozy, ni Marine Le Pen ne semblent avoir intentionnellement encouragé ces prédictions. Il n’y a ici pas de consultant-client99. Pourquoi alors choisir de s’exprimer sur ces thèmes? Nous pouvons avancer que cette prise de parole spontanée est une entreprise de légitimation de la voyance. L’exemple de Sylvie Cariou n’est pas isolé, d’autres voyants et astrologues s’adonnent à l’exercice de prédictions touchant à l’actualité, parfois sous la forme de prédictions à la fois mondiales et annuelles100. S’approprier des sujets légitimes pourrait permettre aux voyants de pénétrer la sphère de légitimité de ces thèmes et ainsi de “faire déteindre” un peu de cette légitimité sur la pratique de la voyance. Toutefois, le niveau de structuration, de prise de conscience de cette stratégie de légitimation reste à déterminer. Notre hypothèse était que les voyants considèrent que leur pratique souffre d’un déficit de légitimité, mais est-ce réellement le cas? Les voyants s’attaquent-ils à ces sujets pour prouver la pertinence de la voyance en termes de gestion de sphères importantes de l’activité humaine? Ou considéreraient-ils en fait qu’il est tout naturel pour la voyance d’examiner ces sujets puisqu’elle est une de leur (voire leur principale) grille d’analyse du 99 Il serait également intéressant de savoir si la rédaction de cet article a donné lieu à une rétribution financière de la part d’Annuaire Symphony Voyance ou s’il a été produit bénévolement (éventuellement à des fins de publicité de la part de Sylvie Cariou). 100 L’exemple emblématique en la matière est celui de la célèbre astrologue Elizabeth Teissier, qui dresse, pour chaque nouvelle année un état de son “climat cosmique”. Deux autres voyants très actifs en la matière sont Yanis, qui officie également sur Annuaire Voyance Symphony et qui utilise sur son blog des mots clés tels que “#Politique & Astrologie”, “# Ecologie Economie et Astrologie”, ou “#Emploi et Astrologie” et Claude Alexis, “star” de RTV.com, qui publie chaque année un grand livre des prédictions pour l’année suivante. 55 monde ? Avons-nous été influencés par notre propre perception de ce sujet, qui suppose que la voyance serait une pratique honteuse, alors que les voyants eux-mêmes la considéreraient en fait comme toute à fait honorable? Dans la partie suivante, nous aurons l’occasion de mieux envisager la question de cette « respectabilité » de la voyance. B. Revendication d’un statut de pratique culturelle autosuffisante Après avoir vu en quoi les pratiquants de la voyance avaient tendance à adopter des comportements conformistes, mimant les codes de la culture légitime et infiltrant les sphères où elle s’exprime, nous souhaiterions côtoyer à nouveau la thématique révolutionnaire que nous avons évoquée dans notre réflexion concernant le charisme wébérien (I-A) pour étudier le rapport conflictuel que la voyance peut avoir à la culture légitime, ou dominante (l’emploi de ce terme parait particulièrement approprié lorsque l’on se place dans une dimension conflictuelle). Nous avons établi dans notre introduction que, si la pratique de la voyance pouvait être considérée comme une pratique culturelle au sens large, elle n’était manifestement pas une pratique légitime. Il semblerait même que la voyance souffre d’un stigmate (nous garderons à l’esprit l’analyse que fait Ervin Goffman 101 de cette problématique, son approche interactionniste nous permettant d’envisager des perspectives plus globales sur le sentiment d’exclusion). Ceci expliquerait le désir que peuvent ressentir les pratiquants de la voyance de s’arroger le prestige de la culture légitime. Mais comme l’a démontré entre autres, le mouvement “queer”, un stigmate peut être retourné par ceux qui le portent et brandi en étendard d’une revendication de reconnaissance sociale. Notre propos ne sera pas de faire des parallèles entre les pratiquants de la voyance et la lutte pour la reconnaissance sociale menée par certaines minorités discriminées. Néanmoins, nous allons justement nous intéresser aux efforts fournis par les pratiquants de la voyance pour affranchir leur “culture”. Nous verrons que cette autodétermination passe par une institutionnalisation aux formes variées (1.) et par la construction d’un discours autonome porté par des médias spécialisés (2.). 101 Goffman Erving, Stigmate. Les usages sociaux des handicaps (1963), traduit de l'anglais par Alain Kihm, Éditions de Minuit, 1975 56 1. Dessin d’une pratique institutionnalisée Il existe un lien essentiel entre l’idée d’“institutionnalisation” et celle de “loi” dans le sens où les deux termes introduisent à la fois une idée d’autonomie (structure obéissant à ses règles propres), de répétitivité normalisante (existence de rites), d’autonomie (structure obéissant à ses règles propres), d’autorité (reconnaissance de ces règles au-delà du cercle de ses créateurs) et de pérennité (organisation survivant à ses fondateurs). Dans le premier segment de notre section dédiée à l’institutionnalisation de la voyance, il nous a donc paru intéressant d’examiner les rapports entre l’exercice professionnel de la voyance et la loi française. Nous allons voir que face à l’indifférence, voire l’hostilité de cette dernière, les voyants ont trouvé des moyens d’adapter leur activité (a). Dans un second temps, nous nous écarterons du thème légal pour nous intéresser à une autre manifestation matérielle de l’institutionnalisation de la voyance : les salons. La question de l’évènementiel nous apparait en effet essentielle à l’étude de toute pratique culturelle et nous verrons qu’elle l’est effectivement dans le cas de la voyance (b). a. La voyance et la loi: un vide à combler Nous avons déjà pu constater (I. B. 1. a.) que de nombreuses personnes exerçaient la voyance professionnellement, recevant des consultants, déterminant les tarifs de leurs prestations etc. En France, l’exercice de la voyance n’est plus condamné par la loi depuis l'abrogation en 1994 de l’article R.34-7° du code pénal qui punissait « les gens qui font métier de deviner ou pronostiquer, ou d’expliquer les songes »102. Toutefois, il n’existe aucun texte de loi régulant la pratique professionnelle de la voyance. En conséquence, celle-ci “est tolérée mais n’est pas reconnue officiellement”103. Du point de vue de la loi française, la profession de voyant est donc inexistante. Cependant -et tout l'intérêt de notre analyse repose sur ce point- il semblerait que les voyants aient intégré cette difficulté dans leur pratique et se soient organisés pour pallier à ce manque. Ainsi, l’Officiel de la Voyance fournit-il sur son site internet des instructions destinées aux voyants souhaitant exercer leur activité professionnelle légalement. Dans un article non daté 102 “Le Droit face au paranormal (1) - De l’ancien au nouveau code pénal” - Sciences...et pseudo-sciences.org, Mars 2002 - (magazine de l’Association Française pour l’Information Scientifique) http://www.pseudosciences.org/spip.php?article544 103 “Exercer Légalement” officiel de la http://www.officieldelavoyance.org/Exercer-legalement.html 57 voyance.org, 26 novembre 2003 intitulé “Exercer Légalement” et publié le 26 novembre 2003, LOV fournit aux internautes les démarches à suivre pour “Avoir une couverture sociale”, “Déclarer ses revenus professionnels”, “Payer, charges, impôts et taxes, afférents à toute activité”, “Passer de la publicité dans la Presse” et “Avoir un TPE pour CB”104. Ces indications facilitent des ajustements permettant aux voyants professionnels de bénéficier d’avantages sociaux fondamentaux tels que la perception d’une pension de retraite ou l’affiliation à la sécurité sociale105. L’embarras des pratiquants de la voyance face à l’irrégularité de leur activité est également perceptible dans le conseil suivant: “Si vous souhaitez vraiment un n° de Registre du Commerce et contourner le vide juridique :Rendez-vous à la Chambre de Commerce, déclarez-vous en temps que "Conseil" ... en relations humaines" ... "en gestion de patrimoine" ... "familial" ... "matrimonial",...ou (ça marche encore) en tant que "psychothérapeute".” Dans ces lignes, l’auteur ne mentionne pas d’efforts visant à la reconnaissance légale de la profession de voyant. Plutôt que d’envisager des mesures permettant l’affirmation d’une nouvelle catégorie de profession libérale, l’auteur concentre ses efforts sur les manières de “contourner” des difficultés existant présentement. Nous observons ainsi une mobilisation des voyants professionnels, mais leur revendications sont restreintes, elles n’ont donc manifestement pas un caractère “révolutionnaire”. Au-delà de cette adaptation au tissu professionnel et social français, qu’en est-il de la structuration de cette profession par ses membres mêmes? Au silence de la loi française sur le sujet répondent divers textes issus des pratiquants de la voyance eux-mêmes. En particulier, nous pouvons observer une multiplication de chartes dont la forme comme le fond dépassent le strict cadre de l’ajustement des activités de voyance (en particulier en ligne) aux exigences légales. Un exemple notable est celui de la Charte de Déontologie de l’Institut National des Arts Divinatoires que nous avons déjà évoquée plus haut (I. B. 1. a.). Une première observation que nous pouvons formuler concernant cette Charte est son ton impératif. Plus qu’un “mode d’emploi” de la voyance ou qu’un ensemble de suggestions, elle rappelle un contrat: “Tout praticien des arts divinatoires s'engage...”, “Tout praticien des arts divinatoires est tenu...”, “Le praticien s'interdit...”). Une adhésion est d’ailleurs explicitement 104 Ibid Il est également intéressant de constater que des conseils sont fournis concernant l'acquittement d'impôts portants sur des revenus perçus grâce à des activités de voyance. Cette initiative est intéressante car elle inscrit la voyance dans un contexte social plus large: en payant des impôts, les personnes assument une responsabilité sociale, ils prennent part au dispositif de financement des structures étatiques et de redistribution des richesses. 105 58 mentionnée dans le paragraphe “Services audiotels et plateformes” il y est stipulé: “Tout praticien qui adhère à la présente Charte, agit dans une démarche individuelle, librement consentie, et doit se conformer aux règles édictées dans toutes leurs dispositions.” La Charte suppose donc une véritable engagement de la part de ses adhérents, son non-respect entraîne des sanctions infligées par l’INAD. Nous avons donc affaire (hors situations nécessitant un recours judiciaire) à une forme de régulation entre pairs: “En cas de litige avec un consultant et sans préjudice des procédures judiciaires, le praticien s'engage à déployer les efforts nécessaires pour trouver une solution amiable, le cas échéant avec l'assistance ou l'intervention d'une association de consommateurs ou de l'INAD”. La Charte use de deux procédés manifestes de légitimation. Le premier de ces dispositifs est syntaxique. Les rédacteurs de cette Charte usent d’un jargon emprunté au champ juridique (“obligation de moyens”, “sous peine de voir leur responsabilité engagée”...) et de termes faisant explicitement référence à une activité professionnelle (“client”, “prestation”, “secret professionnel”...). Ces choix semblent viser à étayer le caractère réglementaire (voire “sérieux”) de la charte. Néanmoins, certaines formulations informelles (“des personnes passablement fragiles ou accrocs à la voyance”, “Tout praticien s'engage à exercer son activité avec sincérité, loyauté et objectivité”, “[Le praticien] s'interdit d'abuser de la naïveté ou de la crédulité de personnes”) avertissent le lecteur de l’origine associative, et non juridique, du texte. La seconde tactique de légitimation mise en oeuvre est la référence à une autorité supérieure: “La présente Charte a été soumise à la DGCCRF106 « service loyauté » avant sa publication et recommandée par le Secrétariat d'État Chargé du Commerce, de l'Artisanat, des Petites et Moyennes Entreprise, du Tourisme, des Services de la Consommation est susceptible d'être complétée ou modifiée ultérieurement.” L’INAD dépasse donc le cadre de son autorité propre -en tout cas de celle qu’elle revendique- pour se positionner dans le champ de la légitimité institutionnelle d’une instance gouvernementale. Nous observons donc une considérable structuration interne aux professions de la voyance. Celle-ci repose sur des organisations qui prétendent à une légitimité autonome, mais aussi occasionnellement adoubée par des institutions reconnues. 106 C’est à dire la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes. 59 Après la loi, dont nous avons pu établir qu’elle était un enjeu central de la structuration de l’activité -en particulier professionnelle- des pratiquants de la voyance, intéressons-nous à la question de l’évènementiel à travers le prisme des salons de voyance. b. Les salons de voyance, implications d’un mode de rassemblement des pratiquants Après la question légale, mais avant le sujet des médias, intéressons-nous à une thématique que nous avons jusqu’ici laissée intacte: celle de l'événementiel. En effet, dans ce segment, nous orienterons notre réflexion autour d’une forme d’institutionnalisation de la voyance qui nous semble incontournable: les évènements publics visant à mettre les pratiquants de la voyance en relation, c’est à dire les congrès, les conférences, les salons107 etc. La tenue même de ce type de manifestations peut sembler curieuse. Après tout, un des enseignements majeurs que nous avons retiré de la lecture de nos entretiens de voyants est que le cœur de la pratique de la voyance -la consultation- repose essentiellement sur un rapport utilitaire entre deux individus dont l’un se pose des questions auxquelles il pense que l’autre pourra lui fournir des éléments de réponse. Par conséquent, au-delà des sites internet, qui, à travers la mise à disposition d’une pléthore d’informations concernant des potentiels prestataires permettant un meilleur accès à ces services, les salons apparaissent comme une autre forme satisfaisante d’institutionnalisation des relations entre pratiquants de la voyance. Intéressons-nous donc à l’offre de salons de la voyance et à ses implications. Une première observation notable est le fait que la voyance semble être une “invitée” régulière de salons consacrés au bien-être. Parfois cette alliance est revendiquée dans l’intitulé du salon. C’est ainsi le cas pour le “Salon de la Voyance et du Bien Être Voyancielle”108 de Berck sur Mer (14 au 16 août 2015), le “Salon de la Voyance et du BienÊtre d’Avrechy”109 (4 et 5 juillet 2015) ou encore le “Salon de l’Ésotérisme et du Bien Être”110 organisé annuellement à Villeneuve le Guyard. Parfois cette alliance est plus discrète et ne se manifeste pas dans le titre de l’événement mais se constate seulement après étude de son programme111. Ainsi, l’on remarque le traitement de thématiques touchant à la voyance dans les salons suivants: le “Salon du Bien-Être” à Tigne Le Lac (6 au 10 août 2015), le 107 Nous avons choisi de privilégier le terme de salon car il est favorisé par les pratiquants de la voyance euxmêmes. 108 http://www.salon-de-la-voyance.com/ 109 http://www.ldevenemenciel.com/ 110 http://www.villeneuve-la-guyard.com/a366-salon-de-l-esoterisme.html 111 Et éventuellement à travers les supports publicitaires du salon (comme c’est le cas, par exemple, pour l’affiche du salon de Tigne le Lac) 60 “Salon du Bien Être Bio et Thérapie”112 (11 au 13 mars 2016) ou encore le “Salon du Bienêtre”113 de Perpignan (21 et 22 mars 2015). Cette alliance entre bien-être et voyance a des implications très intéressantes. Le rapprochement régulier de l’ensemble des pratiques associées à ces thématiques aboutirait-il á un produit transcendant la somme de ses parties de manière à constituer un art de vivre, voire une philosophie “alternative”? Parallèlement à ces salons “mixtes”, il existe de nombreux salons entièrement dédiés à la voyance. Le plus célèbre est le “Salon Parapsy”, qui prétend avoir accueilli plus de 16 000 visiteurs lors de son édition 2014114. Nous pouvons également mentionner le “Salon de la Voyance” de Poitiers (30 et 31 mai 2015) ou le festival d’Astrologie et de Voyance d’Antibes (13 au 19 août 2015) ou encore celui d’Ajaccio (18-24 avril 2015)115 ou même le Salon Mensuel de la Voyance de Montparnasse116. La profusion d’exemples de salons de la voyance indique donc que les pratiquants de la voyance attachent une certaine importance á ce genre de manifestations. Ce constat est appuyé par l’étude de nos entretiens de voyants. Les salons de voyance sont mentionné par six des voyants interrogés (Bérengére Lecoq, Lionel Roggia, David de Castaing, Sylvie Cariou, Soraya, Christophe Dy). De plus, il n’est pas anodin que deux des interviews aient été menées à l’occasion du salon Parapsy. Pour les voyants, les salons semblent donc revêtir une certaine importance. Ils les associent à des souvenirs forts: “Un jour, dans un salon en compagnie de quelques personnes,une dame me consulte au sujet d'un traitement qu'elle suivait. Tous les médiums qu'elle avait consultés lui avaient anonncé la guérison mais j'ai su tout de suite qu'elle était condamnée... Comment faire?je me suis contentée de lui dire » Tu arrives dans état de libération totale, c'est très beau... » et j'ai su que nous nous étions comprises toutes les deux.” (Bérengére Lecoq). Ils les incorporent dans leurs ambitions professionnelles: “j'ai aussi envie de créer un salon de la voyance ici a CHAUVIGNY, pour remercier ceux qui m'ont suivi depuis le début…” (Lionel Roggia). Ils les saisissent comme des opportunités d'exercice de leur activité: “On peut aussi me rencontrer lors de salons de la Voyance, comme le Salon Parapsy à Paris et à Aix-les-Bains 112 http://www.salonbienetrebiotherapie.com/ http://www.salonlamagys.com/#!exposants/cee5 114 http://www.salonparapsy.com/presentation.htm 115 http://www.lerepertoiredesvoyants.com/agenda/festival-d-astrologie-et-de-la-voyance.html 116 Il serait intéressant d’étudier individuellement chaque salon pour mieux comprendre la dynamique d’une telle entreprise événementielle. Malheureusement, ce genre de projet serait assez complexe pour justifier une analyse entière. De plus, les informations concernant les salons sont relativement opaques. Il est difficile de connaître par exemple leur fréquence. 113 61 qui aura lieu en juillet 2013.” (David de Castaing). Ils les considèrent comme des éléments importants de leur parcours: “Aujourdhui, j'ai un cabinet où l'on peut me consulter à Paris , à Bandol et Marseille depuis 3 ans, j'organise des salons en Corse, Antibes, Limoges.” (Sylvie Cariou). Ils profitent de ces occasions pour rencontrer d’autres professionnels et bénéficier de leur expertise: “Il y a maintenant quelques années, lors d’un salon Parapsy, je travaillais encore comme animatrice radio, j’ai consulté Claude Alexis.” (Soraya). Enfin, ils utilisent cet entraînement pour perfectionner leur art: “j’ai enfin pris la décision de faire de la voyance mon métier et acquis une expérience face aux consultants au gré des Salons” (Christophe Dy). Les salons apparaissent donc comme une dimension essentielle de l’institutionnalisation de la pratique de la voyance. Au-delà des divers offices fondamentaux qu’ils remplissent tels que le développement de compétences, la transmission de savoirs117, le tissage de réseaux, la formulation de discours sur la voyance, la promotion d’idées, de pratiques, de produits, de professionnels et, enfin, tout simplement, la tenue de consultations le rassemblement régulier de pratiquants de la voyance aux profils et aux motivations variés constitue une ritualisation de la pratique de la voyance qui l’assimile à des pratiques culturelles “légitimes” 118 ou en passe de le devenir119. En développant une réflexion sur la situation légale de la voyance puis sur l’évènementiel il nous semble avoir traité deux thèmes essentiels à la problématique de l’institutionnalisation de la voyance. Nous souhaiterions néanmoins considérer maintenant un autre enjeux fondamental à notre analyse de la structuration des activités de voyance : l’utilisation des médias. 2. Création d’un discours autonome porté par des médias (souvent) propres Dans ce segment, nous aborderons l’utilisation des médias par les pratiquants de la voyance. Nous verrons qu’ils font un usage non négligeable des médias traditionnels (nous considérerons que ceux-ci comprennent l’édition, la presse écrite, la télévision et la radio) que cela soit à travers l’incursion dans des supports préexistants ou la création de supports spécialisés (a). Ensuite, nous étudierons la question du net. Il semble en effet que le 117 Le seul fait que les voyants permettent la formulation et la reconnaissance de discours d’”experts” constitue en lui-même un potentiel sujet d’étude soulevant notamment des questions sur les modalités d’apparition d’une intelligentsia. 118 cf: les diverses déclinaisons de salons du livre 119 cf: les évènements type « comic con » (conventions de comics) 62 développement de cet outil ait bouleversé la pratique de la voyance. Cela au point qu’il nous apparaît comme impossible d’étudier les modalités de son exercice contemporain sans couvrir les manières dont celui-ci est accompli et vécu sur internet (b). a. Une utilisation assidue des médias traditionnels Dans ce segment, nous verrons que la voyance s’invite de diverses manières dans les médias traditionnels généralistes (c’est à dire qui traitent d’une variété de sujets autres que la voyance). De plus, il faut compter avec la spécialisation de supports médiatiques de type traditionnel qui se manifeste par l’apparition de titres et émissions entièrement dédiés à la voyance et aux pratiques ésotériques associées. Dans un premier temps, nous évoquerons l’édition, puis la presse magazine et enfin la télévision et la radio. Il semblerait que la voyance ait conquis une place au sein de la littérature mainstream étant donné que les maisons d’édition généralistes publient régulièrement des ouvrages portant sur le sujet. La maison J’ai Lu a créé par exemple une collection intitulée Aventure Secrète et dont les titres sont consacrés, entre autre, à l’utilisation du pendule (Le Guide du pendule, Jocelyne Fangain - 2007), à la médiumnité (Le Livre des Médiums, Allan Kardec - 2007) ou à la communication avec les esprits (Le livre des esprits : Contenant les principes de la doctrine spirite sur l'immortalité de l'âme, la nature des esprits et leurs rapports avec les ... la vie future et l'avenir de l'humanité, Allan Kardec - 2005). De la même manière, la maison québécoise De Mortagne fait figurer dans son catalogue une section “Parapsychologie/Eso/Spiritualité”). Enfin, pouvons mentionner les contributions des éditeurs Larousse (Mini Larousse, S’initier au Tarot de Marseille - Isabelle Weiss, 2012) Hachette (Hachette Pratique, Voyance: Une autre perception - Chris Semet, 2015) et First, qui consacre à la voyance deux ouvrages de sa célèbre collection “pour les nuls” (Le Tarot divinatoire pour les Nuls - Didier Colin, 2010; La Voyance pour les Nuls - Eliane Gauthier, 2015). Parallèlement à ces incursions dans l’édition généraliste, les pratiques occultes bénéficient également de leurs propres circuits d’édition. Ainsi, les éditions Bussière se présentent sur leur site internet comme “l’une des plus anciennes librairie d’édition parisienne spécialisée dans l’ésotérisme.”120 tandis que les éditions Trajectoire revendiquent une “spécialis [ation] dans les domaines des arts divinatoires et de l’ésotérisme, cartes et tarots, mais publie également des ouvrages de fond en histoire, traditions, franc-maçonnerie, religions et 120 http://www.editions-bussiere.com/ 63 spiritualité.”121 Quant à la maison Dangles, elle explique: “la maison Dangles présente des ouvrages en marge de la pensée unique : médecines douces, psychologie, développement personnel, ésotérisme, spiritualité, traditions.”122 Nos observations nous poussent donc à conclure que les pratiques liées à la voyance ont donné lieu à des efforts particuliers dans le secteur de l’édition. La disponibilité, sur le marché du livre, d’ouvrages dédiés aux pratiques ésotériques ne résulte pas seulement de la pugnacité d’une poignée d’auteurs associée à souplesse de certains éditeurs généralistes. Elle est due à des efforts coordonnés en vue de l’accessibilité, par le plus grand nombre, d’informations et de savoir-faire spécifiques à la voyance.123 Ces efforts résultent en une institutionnalisation pérenne de la publication de supports dédiés à la voyance.124 Ajoutons que ces efforts dans le domaine de l’édition sont relayés par des librairies spécialisés. Les éditions Bussière possèdent ainsi leur propre réseau de librairies. Les librairies ésotériques sont relativement courantes dans les villes françaises. Au cours de nos recherches, nous avons notamment trouvé quatre librairies ésotériques à Toulouse: la Librairie Esotérique Plume D’Oie (Rue de la Colombette), Axel Ange - L’Heure Bleue (Rue Matabiau), L’Incunable (Rue de Nazareth) et la Librairie Esotérique La Licorne (rue Maletache). Pour ce qui est de la capitale, dans un article intitulé “Paris, centre du monde ésotérique”, le Figaro.fr propose une sélection de “[leurs] 10 adresses [de librairies ésotériques] préférées à Paris” pour “s'acheter un pendule, des pierres protectrices ou un ouvrage d'initiation à l'astrologie.”125 Sans pour autant être comparable, en quantité, aux librairies généralistes, les librairies ésotériques font donc partie du paysage urbain et tout pratiquant de la voyance (pour peu qu’il habite une grande ville ou soit en mesure de se 121 http://www.editions-trajectoire.fr/index.php?r=24&r2=7&title=Editions%20Trajectoire%20-%20Quisommes-nous-#.VcmbIfnbCjw 122 http://www.editions-dangles.fr/index.php?r=24&r2=7&title=Editions%20Dangles%20-%20Qui-sommesnous-#.VcmbcvnbCjw 123 Chez certains éditeurs spécialisés nous pouvons même observer un retournement du phénomène d’infiltration des thèmes ésotériques dans des maisons d’édition généralistes. Certaines maisons d’éditions traitant principalement de thèmes ésotériques étendant leurs offres à d’autres sujets. Ainsi, l’éditeur ésotérique Guy Trédaniel a élargi son offre à des ouvrages jeunesse ou pratiques (avec par exemple des manuels portant sur des thèmes allant du stage de survie au nail art). 124 Les trois maisons d’édition que nous avons citées insistent sur ancienneté. Ainsi, sur leurs sites internet respectifs, les éditions Bussière se disent en activité depuis 1927, les éditions Trajectoire depuis 1987 et les éditions Dangles depuis 1926. 125 Paris, centre du monde ésotérique - lefigaro.fr Eric Bietry-Rivierre, Valérie Duponchelle, Alexandra Michot 07/02/2012 http://www.lefigaro.fr/sortir-paris/2012/02/07/03013-20120207ARTFIG00625-paris-centre-dumonde-esoterique.php 64 déplacer) peut théoriquement se rendre dans ce type d’établissement pour se procurer des ouvrages et du matériel126 spécialisés. En ce qui concerne le traitement de la voyance par la presse écrite, nous pouvons noter que celle-ci ne bénéficie pas de la même couverture que l’astrologie, qui est, elle, extrêmement médiatisée, principalement par le biais d’horoscopes. Outre d’occasionnels “dossiers” dans la presse féminine,127 la voyance est de toute apparence très peu représentée dans la presse. Nous pouvons cependant noter la présence de publicités portant sur des services de voyance dans les pages dédiées aux petites annonces de journaux et de magazines. La portée de ce type d’incursion est toutefois extrêmement limitée, car les titres de presse accueillant ces publicités ne structurent pas leur contenu de manière à “faire une place” à la voyance, ils se cantonnent à vendre un espace de publicité à des professionnels avec qui, par ailleurs, ils n’entretiennent aucun lien ostensible. Quant à la presse spécialisée dans la voyance, elle apparaît comme un paysage clairsemé -ce que ne doit pas arranger la crise actuelle de la presse écrite. Si, encore une fois, l’astrologie tire son épingle du jeu grâce à des titres tels qu’Astro Revue (Lafont Presse), Astr’Oh (Association Horizons Astraux) ou Horoscope Magazine (Éditions Nuit et Jour), la voyance ne semble pas, à ce jour, bénéficier de titres spécialisés. Elle se contente donc d’apparitions dans des titres spécialisés dans les thématiques ésotériques. Elle semble par exemple apparaître régulièrement dans des titres dédiés à l’astrologie (article sur le “tarot noir” dans le numéro de Septembre 2015 d’Astro Magazine, article sur le tarot de Marseille dans le numéro été 2015 d’Astr’Oh, “cours” de numérologie dans le numéro de printemps 2013 d’Astr’Oh etc.) ou dans des titres “de para-science” comme Inexploré, une publication de l’Institut de Recherche sur les Expériences Extraordinaires (Enquête Profession Medium, numéro 27). Intéressons-nous à présent aux incursions de la voyance dans la radio et la télévision. Concernant la télévision, l’offre de programmes dédiés à la voyance semble plutôt limitée, nos recherches n’ayant mis au jour que deux émissions. Elles sont diffusées sur deux chaînes commerciales, l’une accessible via la télévision numérique terrestre (IDF Voyance sur IDF1) l’autre seulement sur abonnement (ID Voyance diffusée sur Vivolta). Les émissions radiophoniques semblent en revanche plus nombreuses. Ainsi, des émissions consacrées à la 126 Nous avons pu constater, lors de nos visites de librairies spécialisées, que l’offre littéraire s’accompagne souvent d’une sélection de fournitures ésotériques et de “gadgets” divers (tarots, pierres, attrape-rêves, pendules, amulette etc.) 127 Par exemple le Dossier Spécial Voyance, publié en Janvier 2015 (numéro 130) dans le magazine Glamour (Condé Nast) 65 voyance128 sont diffusées sur Skyrock, une radio commerciale dédiée à un public jeune, entre 18h et 20h tous les dimanches129, sur la radio locale FC radio tous les mercredis de 10h à 11h130, sur la radio musicale Radio Mélodie un jeudi soir sur deux131, ou, pour citer un dernier exemple, sur la radio associative Radio Canal Myrtille (RCM) un samedi sur deux de 10h à 11h132. Ces exemples ne sont que quelques cas parmi de nombreux autres. L’existence de ces émissions nous amène donc à constater que la voyance n’est pas totalement absente des ondes de télévision et de radio. Cependant, cette présence apparaît limitée, en particulier en ce qui concerne la télévision, de plus, la structure de ces émissions varie très peu. A ces conclusions s’ajoute un autre constat non négligeable: il n’existe, à ce jour, en France, aucune chaîne de télévision ou station de radio dédiée entièrement à la voyance. Peut-on en déduire que la voyance n’est pas médiatique? Qu’elle a vocation à reposer uniquement sur le “bouche à oreille”? Cela serait oublier un enjeu de taille pour la médiatisation de la voyance: internet. En effet, nous allons voir que la voyance a trouvé en ce nouveau média un exceptionnel moyen de diffusion de son activité. b. Internet: une opportunité en or pour la voyance Les pratiquants de la voyance semblent être extrêmement actifs sur internet. Outre une offre variée de services de voyance133, le web permet également de diffuser une multitude de discours sur la voyance et ses pratiques associées. Nous allons tenter d’approcher ce complexe enlacement à travers quelques exemples emblématiques de la médiatisation de la voyance sur internet (en laissant de côté les communications à des fins strictement publicitaires). Une première observation qui nous semble capitale est la multiplication magazines en ligne. Lors de notre examen de la presse écrite, nous avons pu constater qu’il n’existait visiblement 128 Notons que tous les exemples d’émissions radio ou télé cités semblent construits selon le même modèle: un ou une voyante répond, en direct, aux questions de téléspectateurs/auditeurs, ce qui, une fois de plus, met l’accent sur l’aspect utilitaire de la médiatisation de la voyance. Ces émissions n’ont pas pour but de “discuter” de voyance, elles sont de véritables espaces de pratique de la voyance. 129 http://skyrock.fm/news/pose-ta-question/91 130 http://www.fcradio.fr/portfolio/la-voyance-en-direct/ 131 http://www.radiomelodie.com/emissions/9-voyance.html 132 http://www.rcmlaradio.fr/Animateurs/eddy.php 133 Répertorier tous les sites offrant des services de divination s’apparenterait à un travail de Sisyphe. Notre réflexion se fonde sur le constat de cette immensité, mais elle n’a en aucun cas vocation à consigner les limites de son étendue. 66 aucune publication consacrée exclusivement à la voyance. Sur internet, la situation est à l’opposée: les web-magazines traitant de voyance abondent. Outre des sites que nous avons déjà évoqués tels que l’Officiel de la Voyance ou Annuaire Voyance Symphony, nous pouvons citer des exemples tels que Voyance Magazine134, Voyance EsoPub135, ou Astrowi136. Parallèlement à ces sites de type 4 nous pouvons évoquer ceux de type 1 à travers la profusion de blogs produisant des discours sur la voyance. Ainsi, la version française de la plateforme Overblog.com abrite à elle seule une douzaine de blogs comportant le tag “voyance”137. La quantité et le dynamisme de ces sites et blogs peuvent s’expliquer du fait des avantages que procure internet en termes de coût et de facilités de diffusion: les investissements liés à la création et l’entretien d’un site internet (et à fortiori d’un blog) ne sont pas comparables avec ceux nécessaires à une publication sur papier (du moins lorsque celle-ci est destinée à une large diffusion). Une autre qualité d’internet hautement profitable aux voyants est sa polyvalence. Nous avons constaté récemment (II. B. 2. a.) que l’offre d’émissions télévisuelles et radiophoniques consacrées à la voyance était relativement limitée. Toutefois, internet offre aux pratiquants une possibilité de développer ces activités. Plutôt que d’avoir à “séduire” des chaînes généralistes, les pratiquants sont ainsi relativement libres de programmer les émissions qu’ils souhaitent sur les médias qu’ils contrôlent sur internet. Cette autonomie explique peut-être l’émergence de webradios et web TVs dédiées à la voyance. Ainsi, le site internet Astrocenter.tv propose de nombreuses émissions de voyance aux titres évocateurs tels que “100% Voyance”, “La Carte du Jour” ou “J’aime mon médium”138 ainsi qu’un streaming en direct. En revanche, le concept du site l’Emission de voyance.com139 est axée autour de la diffusion en direct d’interactions entre un voyant et des spectateurs qui ont été sélectionnés pour lui poser une question (les vidéos sont ensuite disponibles en replay). Pour ce qui est des webradios, nous pouvons citer radioastro.fr, dont le slogan est “Le son de votre avenir”140. Malgré son nom, cette webradio traite de voyance plus que d’astrologie comme en témoigne sa grille de programme. La liste des émissions disponibles en podcast141 134 http://www.voyancemagazine.com/ http://www.voyance-magazine.com/ 136 http://www.astrowi.com/ 137 https://www.over-blog.com/tag/voyance 138 http://www.astrocenter.tv/voir-astrocenter-tv-en-direct 139 http://www.emissiondevoyance.com/ 140 http://www.radioastro.fr/ 141 Consultée le 11/08/2015 http://www.radioastro.fr/les-podcasts/ 135 67 annonce ainsi: “Le Tarot”, “Le Marc de Café”, “Le Pendule”, “Les Pierres Précieuses”, “La Boule de Cristal” etc. Ces quelques exemples nous permettent donc de constater que le développement d’internet apparaît comme une opportunité inédite pour les pratiquants de la voyance de développer des activités médiatiques autour de leur art. Notre analyse serait pourtant incomplète sans l’évocation d’un site internet dont l’étude nous parait absolument capitale pour comprendre l’essor impressionnant de la voyance sur internet. Au cours de nos recherches, nous avons croisé à de multiples reprises une figure qui a fini par nous devenir familière: le voyant Claude Alexis. Celui qu’Annuaire Voyance Symphony.com décrit comme un “Altruiste, humaniste, voyant, médium et homme d’affaires hors pair [...´] un des voyants les plus réputés de l’hexagone”142 s’est engagé dans une remarquable entreprise de médiatisation de la voyance. Au-delà de ses interventions radiodiffusées143 ou télévisées144, Claude Alexis a investi le terrain virtuel en fondant RTV (pour Radio Télévision Voyance) Voyance.com.145 Le renom de Claude Alexis se reflète dans la popularité de sa création. En effet, tout semble indiquer que RTV Voyance jouit d’un grand succès et est l’un des médias les plus influents du monde de la voyance. Cette hégémonie se fonde notamment sur la variété des services offerts. En effet, de tous les sites internet que nous avons étudiés jusqu'à présent, RTV Voyance est celui qui est manifestement le mieux parvenu à associer offres de service de voyance (consultation ininterrompue de voyants en ligne, tirage de tarots gratuits, horoscopes etc.) et diffusion de discours sur la voyance (magazine téléchargeable en format PDF et webradio). Dans un contexte de développement des médias consacrés à la voyance, la réussite d’un site combinant des ambitions aussi diverses est significative pour notre analyse. Elle incarne les diverses manières dont internet facilite la pratique de la voyance. En définitive, nous pouvons nous risquer à affirmer - pour nous exprimer de manière triviale- qu’internet est potentiellement “la meilleure chose qui soit arrivée” à la voyance. 142 Interview publiée sur annuairevoyancesymphony.com, tirée de Le Mag - RTV Voyance http://www.annuairevoyance-symphony.com/interviews-de-voyants/interview-claude-alexis-rtv-voyance-tv.html 143 Par exemple sur Europe 1: http://www.europe1.fr/mediacenter/emissions/la-polemique-culturelle/videos/lavoyance-a-t-elle-sa-place-a-la-tele-207462 144 Il officie dans l’émission ID Voyance diffusée sur la chaîne Vivolta et évoquée plus haut (II. B. 2. a.) 145 La référence à deux types de médias traditionnels est intéressante. Le site héberge en effet une webradio, mais la prétention au titre de “télé” reste mystérieuse car RTV ne dispose en vérité d’aucune chaîne de télévision, pas même sur internet. Il pourrait s’agir d’une astuce publicitaire visant à attirer les personnes pour qui la télévision est un média familier. 68 CONCLUSION Le travail de réflexion auquel nous nous sommes adonnés fut motivé par notre étonnement face à une situation à priori paradoxale : la voyance, un « art » dont nous pourrions estimer qu’il est au mieux obsolète, au pire ridicule, voire malhonnête, est encore activement pratiquée par nombre de nos contemporains, au point que des manifestations de cette activité pénètrent occasionnellement le champ de perception de personnes qui n’y sont pas associées. L’immensité des pistes de réflexion ouvertes par cette énigme nous a amenés à circonscrire l’objet de notre analyse à un cadre de références concret. Ainsi notre interrogation de départ a concerné la nature des différents processus de structuration de l’activité de voyance et la part qu’ils jouent dans son entreprise de légitimation en tant que pratique culturelle. Nous avons dans un premier temps pu constater que cette structuration reposait en grande partie sur la manière dont les voyants exercent leur autorité. Ceux que nous avons qualifiés de pratiquants « actifs » de la voyance dans notre introduction semblent endosser une grande part de responsabilité dans l’organisation de la pratique de la voyance et, au-delà, dans sa légitimation. Nous avons fait l’hypothèse que ces voyants exerçaient une forme d’autorité charismatique wébérienne. Le développement de notre réflexion ne nous permet pas de confirmer formellement cette supposition. Mais cette association spéculative nous a permis de déduire que, tels les prophètes wébériens, les voyants exerçaient une domination capable de prendre des aspects révolutionnaires et/ou religieux, ce qui explique leur capacité à doter de sens et ainsi rendre acceptable –voire désirable- une pratique dont nous avons vu qu’elle pouvait paraître saugrenue. Cependant, de la même manière que l’autorité du prophète est en partie générée par la volonté de ses disciples146, la centralité de la fonction du voyant ne signifie pas pour autant que les consultants ne jouent aucun rôle dans le maintien de son autorité et de celle de la voyance en général. Nous ne devons pas conclure à la passivité universelle des consultants. Le fait qu’eux-mêmes poursuivent également une activité de voyance est à prendre en compte dans notre analyse de l’autorité du voyant et de la pérennisation de la voyance. 146 Voire totalement, sans considération pour la volonté du prophète désigné comme c’est le cas dans le film « La vie de Brian » (Terry Jones, 1979, HandMade Films) https://www.youtube.com/watch?v=4MwJOnleriM 69 Par la suite, dans cette optique de superposition de l’autorité du voyant à la domination de type charismatique, nous nous sommes intéressés au processus de quotidianisation du charisme, en avançant que la manière dont les voyants organisent leur pratique lui serait assimilable. Cette perspective nous a permis d’observer la manière dont les voyants, au même titre des prophètes wébériens, fournissent des efforts spécifiques en vue de pérenniser l’ascendance que leur procure leur don. Certes, s’ils définissent les modalités de leur exercice professionnel de la voyance c’est probablement en premier lieu dans une optique d’efficacité. Toutefois, il n’est pas interdit de supposer qu’au-delà du simple désir d’optimaliser leur « temps de travail », cette organisation ait des portées symboliques visant à définir et solidifier leur situation dans le cercle des autres pratiquants de la voyance et au-delà. Dans une seconde partie, nous avons étudié certaines manifestations concrètes des tentatives de légitimation de la voyance en axant notre réflexion autour d’une division méthodologique opposant des efforts de légitimation conformistes à d’autres plus assertive, c’est-à-dire chargés de revendications. Nous avons donc commencé par émettre l’hypothèse selon laquelle les pratiquants de la voyance tenteraient des rapprochements avec des sphères de l’activité humaine dont ils avaient l’impression qu’ils jouissaient d’une meilleure reconnaissance sociale que la voyance afin de s’approprier une part de la légitimité de ceux-ci. Nous en avons déduit que c’était en effet le cas dans plusieurs domaines. Nous avons ainsi constaté diverses amorces de rapprochements entre la voyance et le champ des sciences humaines, des sciences naturelles et des sciences formelles, mais aussi avec le milieu universitaire et des thèmes tels que la politique, l’économie ou l’écologie. Enfin, notre dernière hypothèse, selon laquelle la pratique de la voyance se structurerait également autour d’institutions propres s’est elle aussi vérifiée dans une certaine mesure étant donné que notre analyse a effectivement révélé l’existence de procédés d’institutionnalisation autonomes, sans référence à des domaines « déjà légitimes ». Cette mise à disposition de moyens s’illustre principalement dans l’accomplissement –certes partiel- d’une légalité de la pratique professionnelle de la voyance, dans l’organisation d’évènements destinés aux pratiquants de la voyance et dans l’affectation de divers types de médias (notamment l’édition, la presse, la télévision, la radio et l’internet). Par notre observation des modalités de sa pratique, nous sommes donc parvenus à une meilleure compréhension de la voyance et, surtout, de ses pratiquants. Nous avons appris que non seulement la voyance peut être envisagée comme une pratique culturelle, mais sa portée peut même être décrite comme « totale » dans le sens où elle impacte le regard que ses 70 pratiquants portent sur le monde. Si elle n’est pas une religion, rien ne nous empêche de supposer qu’elle puisse s’intégrer à des grilles mentales de référence, influençant non seulement la manière dont les personnes pensent, mais aussi la manière dont elles se pensent elles-mêmes. Les pratiquants de la voyance remettent en question des éléments qui façonnent notre vie et qui apparaissent comme “donnés”, à l’exemple de la mort -réalité inaltérable s’il en est- qu’ils parviennent à relativiser grâce à la croyance en un « au-delà » qui se manifeste sous la forme d’esprits communiquant avec les vivants. A nos yeux, ces convictions ne disqualifient pas la voyance et ses pratiquants de l’analyse sociologique. Au contraire, travailler sur ces représentations et la manière dont elles structurent le rapport des personnes au monde est un exercice intellectuel fascinant qui nous rappelle aux enjeux intellectuels fondamentaux de la sociologie. 71 Sources Sources internet de nos interviews de voyants Yves Lecoq, http://www.yann-lecoq-voyant-medium.com/interview-medium-voyant1.ws (yann-lecoq-voyant-medium.com, Type 1) Ambre Médium Voyant, http://www.bees-and-roses.com/fiche-metierambre_medium_voyant_biscarrosse_landes.php (bees-and-roses.com, Type 5) Barbara Dorveaux, http://www.guidedelavoyance.com/barbara-dorveaux,3.html (guidevoyance-capa.com, Type 3) Pascal Voyant, http://www.guide-voyance-capa.com/a/Pascal-Voyant-136180742847.php (guide-voyance-capa.com, Type3) Cécile Medium, http://www.guide-voyance-capa.com/a/Cecile-Medium-142703927047.php (guide-voyance-capa.com, Type3) Reha Voyance Magnétisme, http://www.guide-voyance-capa.com/a/Reha-voyancemagnetisme-142450982147.php (guide-voyance-capa.com,Type3) Marie Damotte, http://www.guide-voyance-capa.com/a/Marie-DAMOTTE-142451286047.php (guide-voyance-capa.com, Type3) Lecoq Bérengère, http://www.guide-voyance-capa.com/a/Lecoq-Berengere-medium-pur142451149847.php (guide-voyance-capa.com, Type3) Sevasty Voyante Medium, http://www.guide-voyance-capa.com/a/Sevasty-Voyante-Medium140161732347.php (guide-voyance-capa.com, Type 3) Estelle des Enclos, http://www.guide-voyance-capa.com/a/Estelle-Des-ENCLOS137502290947.php (guide-voyance-capa.com, Type 3) Francis, http://www.guide-voyance-capa.com/a/Francis-136378368747.php (guide-voyancecapa.com, Type 3) Sylvarine, http://www.guide-voyance-capa.com/a/Sylvarine-136370556847.php (guidevoyance-capa.com, Type 3) Lionel Roggia, http://www.annuaire-voyance-symphony.com/interviews-devoyants/interview-lionel-roggia-medium.html (annuaire-voyance-symphony.com, Type 2) Océane Voyance, http://www.annuaire-voyance-symphony.com/interviews-devoyants/interview-oceane-voyance.html 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Monsieur Olivier, http://www.annuaire-voyance-symphony.com/interviews-devoyants/interview-monsieur-olivier-parapsy.html (annuaire-voyance-symphony.com, Type 2) Alexandre de Manberti, http://www.annuaire-voyance-symphony.com/alexandre-demanberti/voyance-interview-du-plus-jeune-medium-de-france-alexandre-de-manbreti.html (annuaire-voyance-symphony.com, Type 2) Laurence Larzul, http://www.annuaire-voyance-symphony.com/laurence-larzul/interviewlaurence-larzul-astrologie-karmique.html (annuaire-voyance-symphony.com, Type 2) Soraya, http://www.annuaire-voyance-symphony.com/interviews-de-voyants/interviewsoraya-medium.html (annuaire-voyance-symphony.com, Type 2) Annabelle de Villedieu, http://www.annuaire-voyance-symphony.com/interviews-devoyants/interview-annabelle-de-villedieu.html (annuaire-voyance-symphony.com, Type 2) Allegra, http://www.annuaire-voyance-symphony.com/interviews-de-voyants/interviewallegra-journaliste-et-astrologue.html (annuaire-voyance-symphony.com, Type 2) Didier Beltran, http://www.annuaire-voyance-symphony.com/interviews-devoyants/interview-didier-beltran.html (annuaire-voyance-symphony.com, Type 2) Stéphane Rieux, http://www.annuaire-voyance-symphony.com/interviews-devoyants/astrologue-stephane-rieux.html (annuaire-voyance-symphony.com, Type 2) Jade Médium, http://www.annuaire-voyance-symphony.com/interviews-de-voyants/jademedium.html (annuaire-voyance-symphony.com, Type 2) Ivana Glavic, http://www.annuaire-voyance-symphony.com/interviews-de-voyants/interviewivana-glavic.html (annuaire-voyance-symphony.com, Type 2) 73 Autres sources internet sur la voyance ● Type 1: Sites personnels jean-didier.com : http://www.jean-didier.com/cv.html yanis-voyance.com : http://www.yanis-voyance.com/ eteissier.com : https://www.eteissier.com/accueil.asp ● Type 2: Sites de services astrowi.com: http://www.astrowi.com/ astrocenter.tv: http://www.astrocenter.tv/voir-astrocenter-tv-en-direct radioastro.fr: http://www.radioastro.fr/ emissiondevoyance.com: 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http://forum.mystere-tv.com/ ● Type 5: Sites collatéraux skyrock.fm: http://skyrock.fm fcradio.fr: http://www.fcradio.fr/ radiomelodie.com: http://www.radiomelodie.com/emissions/9-voyance.html rcmlaradio.fr: http://www.rcmlaradio.fr/ overblog.com: https://www.over-blog.com/tag/voyance youtube.com: https://www.youtube.com/watch?v=4MwJOnleriM psychologies.com: http://www.psychologies.com/ ldevenementiel.com: http://www.ldevenemenciel.com/ villeneuve-la-guyard.com:http://www.villeneuve-la-guyard.com/a366-salon-de-lesoterisme.html salonbienetrebiotherapie.com: http://www.salonbienetrebiotherapie.com/ salonlamagys.com : http://www.salonlamagys.com/#!exposants/cee5 glamourparis.com : http://www.glamourparis.com/ Sources internet sans discours de voyance sciences…&pseudo science.org: http://www.pseudo-sciences.org/ enseignementsup-recherche.gouv.fr: http://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/ Bibliographie Dictionnaires en ligne Dictionnaire de l’Académie Française, neuvième édition, 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Selon Nicole Ellison et Dana Boyd (d. boyd et N. Ellison, « Social Network Sites : Definition, History, and Scholarship », Journal of Computer-Mediated Communication, vol. 13, nº 1, 2007.) les réseaux sociaux sont : « des services web qui permettent aux individus de construire un profil public ou semipublic dans le cadre d’un système délimité, d’articuler une liste d’autres utilisateurs avec lesquels ils partagent des relations, ainsi que de voir et de croiser leurs listes de relations et celles faites par d’autres à travers la plateforme. ». Cette définition ne correspond que partiellement aux forums de voyance qui nous intéressent. En effet, si sur ces derniers les personnes interagissent par le biais de pseudos matérialisant le profil qu’ils ont créé, la gestion de listes d’amis n’est pas le principal objectif recherché. Notre sujet d’étude ne se fond donc pas parfaitement avec la notion de « réseau social ». Toutefois, l’étude des réseaux sociaux peut s’avérer intéressante dans le sens où ces derniers structurent de plus en plus les interactions sur l’internet. 1) Fondements théoriques de la notion de réseau social En tant que sujet d’étude, les réseaux ont ceci de particulier qu’ils impliquent une certaine pluridisciplinarité dans leur approche, ce qui suppose de transcender certaines frontières traditionnelles entre sciences sociales. En particulier, l’analyse des réseaux a participé au rapprochement entre le champ économique et le champ sociologique. Ainsi, des travaux de chercheurs tels qu’Herbert Simon ont contribué à l’émergence de la socio-économie et de l’économie sociologique. Aujourd’hui, des professeurs tels que Mark Granovetter et Harrison White exercent en tant que sociologues tout en appliquant des méthodes et principes économiques à leurs recherches, tandis que leurs découvertes soutiennent des avancées dans la recherche économique comme sociologique. Nous pourrions avancer qu’ils vont encore plus loin dans l’ouverture du champ de la réflexion en citant l’analyse que Michel Grossetti et Frédéric Godart font du travail d’Harrison White lorsqu’ils expliquent que ce dernier «permet un dépassement des oppositions classiques en sociologie (micro/macro, individualisme/holisme, expérience 80 subjective/structure, statique/dynamique) en s’appuyant sur une perspective centrée sur les réseaux sociaux et les réseaux sémantiques et en proposant un certain nombre de concepts nouveaux ou reconstruits de façon non conventionnelle (en particulier : disciplines, styles, rhétoriques, régimes). » (Forsé Michel, « Définir et analyser les réseaux sociaux. Les enjeux de l'analyse structurale», Informations sociales 3/2008 (n° 147), p. 10-19 URL : www.cairn.info/revue-informations-sociales-2008-3-page-10.htm) Ainsi donc, dans notre analyse des réseaux sociaux, nous tenterons de garder à l’esprit l’influence de l’analyse économique dans le champ de la recherche des réseaux sociaux. Nous utiliserons des principes de microéconomie tout en nous astreignant à ne pas perdre de vue la nature sociologique de notre analyse. 2) Structuration des réseaux sociaux : exemple lié aux cas d’interactions entre pratiquants de la voyance Nous pouvons décrire le réseau social comme une structure en « nœuds » ou « liens » reliant des unités. Ce terme d’ « unité » est cependant trompeur du fait que celle-ci peut en réalité être une entité composée de plusieurs éléments. Par exemple, l’analyse des réseaux sociaux semble s’intéresser de plus en plus aux interactions d’institutions, remettant en question la prééminence de l’individualisme méthodologique au sein de la science économique. Toutefois, comme nous l’avons dit dans notre introduction, notre analyse s’intéressera en priorité aux personnes prises individuellement. Il ne sera pas pour nous question de conjecturer sur des prises de positions stratégiques de firmes, mais de faire des observations concernant les dynamiques d’interactions interpersonnelles en réseau. A partir de ces observations, nous pourrons nous risquer à formuler des hypothèses concernant l’impact des réseaux sociaux de l’internet sur les interactions des pratiquants de la voyance. Les éléments de référence concernant la structuration de réseaux nous permettent de mieux comprendre la construction d’interactions réelles (bien que se déroulant en ligne et non pas dans la vie « physique »). Ainsi, la notion de « nœud » permet de constater le nombre de liens reliant une personne à une autre. Il est aussi intéressant de constater « qui est relié à qui ». Les interactions sur les forums dédiés à la voyance sont complexes. Ces forums voient souvent beaucoup de « trafic », c’est-à-dire que de nombreux messages sont postés par une multitude d’utilisateurs qui ont des profils, des aspirations et des contraintes variés. Le schéma suivant va nous permettre de mieux appréhender certains « nœuds » d’interactions types au sein de forums dédiés à la voyance. 81 Exemple fictif de structuration d’un réseau d’interaction sur un forum de voyance gratuite : Avertissement concernant le schéma : Ce schéma découle d’observations effectuées sur des forums de voyance, mais il n’illustre pas formellement une situation donnée. Notre objectif en réalisant ce schéma est de formaliser des connaissances touchant á la structuration de réseaux sociaux tout en introduisant quelques aspects propres aux interactions sur les forums où se pratique la voyance gratuite. Nous laissons volontairement de côté des éléments qui ne servent pas notre démonstration. En particulier, L’on considère ici qu’il existe un lien entre deux personnes à partir du moment où ils ont interagi à une reprise au moins. Nous faisons donc état de l’existence d’interactions entre deux personnes, mais nous ne quantifions pas ces interactions. Voyante Consultant E Consultant D Consultant A Consultant C Consultant B Nombre de « liens », « nœuds » ou « contacts » par personne : Voyante : 5 Consultant A : 3 Consultant C : 4 Consultant D : 2 Consultant E : 4 82 Maintenant, examinons le même schéma en mettant en valeur la différence de « nature » des liens créés : Ici, les liens verts représentent les requêtes adressées à la voyante officiant sur le forum. Les liens orange représentent les interactions basés sur des relations interpersonnelles amicales. Et les liens noirs représentent des requêtes adressées à un « amateur éclairé » de voyance. Voyante Consultant E Consultant D Consultant A Consultant C Consultant B Les liens verts qui représentent les requêtes adressées par des consultants à la voyante du forum sont les plus nombreux. Cette majorité peut s’expliquer du fait que les personnes se rendent souvent sur les forums dédiés à la voyance afin de pouvoir bénéficier de consultations gratuites. La figure de la voyante est donc centrale à l’activité du forum et elle cultive un grand nombre d’interactions avec une multitude d’interlocuteurs différents. Les liens orange figurent des liens amicaux. Nous avons représenté une structure typique dans laquelle des liens entre une personne (B) et deux qui ne se connaissent pas entre elles (A) et (C) vont permettre de former un nouveau lien, dessinant ainsi un réseau en triangle. Ce schéma classique met en relief la dynamique des interactions amicales sur les réseaux et permet de rappeler que même sur les réseaux spécialisés, il peut exister des interactions informelles de socialisation. Les liens noirs permettent d’attirer l’attention sur un autre phénomène récurrent au sein des forums de voyance. Il s’agit de l’existence de nombreux « amateurs éclairés », c’est à dire des personnes qui ne pratiquent pas la voyance professionnellement, mais qui se targuent d’avoir, dans ce domaine, un certain niveau 83 de connaissance et d’expérience. Ils cumulent souvent de nombreuses interventions sur les forums de voyance. Grace à cette mise en valeur de leur érudition ils deviennent, pour de nombreuses personnes, des référents, voire des substitutifs aux voyants « officiels» qui ne disposent pas toujours de beaucoup de temps à accorder à tous. 3) L’intérêt des réseaux sociaux dans la compréhension des interactions liées á la voyance sur internet a) Une ère de réseaux sociaux Plus haut nous avons abordé la définition des réseaux telle qu’elle est posée par la science économique et la sociologie. Nous allons à présent nous intéresser au sujet « réseau social » tel qu’il est appréhendé par le sens commun, c’est-à-dire comme un outil internet permettant principalement de communiquer avec des personnes (amis, famille, connaissances, inconnus…) et de partager du contenu (photos personnelles, articles trouvés sur l’internet, création artistiques…). Selon Dominique Cardon (Réseaux sociaux de l'Internet. In: Communications, 88, 2011. Cultures du numérique [Numéro dirigé par Antonio A. Casilli] pp. 141-148.) les premiers sites internet correspondant au « profil type » des réseaux sociaux (c’est-à-dire plaçant au centre de leurs fonctionnalités la gestion et l’interaction avec des contacts) sont apparu en 2003. Il s’agit entre autres du réseau social professionnel LinkedIn et du réseau de partage de musique MySpace. Créé par Mark Zuckerberg en 2004 et ouvert au public en 2006, Facebook s’est rapidement imposé en leader du réseau social, amassant en une décennie des centaines de millions d’utilisateurs jusqu’à finalement dépasser largement le milliard. En 2015 ce sont donc 1,35 milliards de personnes qui se rendent régulièrement sur la même plateforme, utilisent les mêmes outils et peuvent potentiellement créer des liens relationnels. Ce géant a pourtant dû se résoudre à « partager l’affiche » avec d’autres réseaux extrêmement populaires et dont on peut difficilement dire s’ils sont complémentaires ou en concurrence avec Facebook. Par exemple, bien qu’elle semble se différencier de Facebook par sa finalité et ses fonctionnalités, la plateforme de partage de photographies Instagram a été rachetée par Mark Zuckerberg au prix de 747 millions de dollars. Ces chiffres impressionnants (qu’il s’agisse du nombre d’utilisateurs ou des sommes d’argent générées) ne sont pas la seule manifestation du poids des réseaux social sur l’internet. Leur omniprésence sur d’autres sites en est également une manifestation. Il est par exemple aujourd’hui très souvent possible de partager instantanément sur un réseau social du contenu (tel un article, une photo, une vidéo..) que l’on a apprécié grâce à une fonctionnalité présente sur le site même. Au-delà de cela, les sites internet et autres entreprises utilisent les réseaux sociaux pour promouvoir leur activité. Créant des profils publics dont la gestion a même donné naissance à une nouvelle activité professionnelle : community manager. Ces quelques éléments permettent de comprendre le contexte dans lequel nous situons notre analyse des interactions sur internet. En effet, selon Dominique Cardon, les réseaux sociaux « articulent et recomposent la sociabilité des individus en profitant de leurs nouvelles 84 pratiques d'exposition de soi », participant ainsi à une évolution profonde du web qui « se caractérise par l'importance de la participation des utilisateurs à la production de contenus et par leur mise en relation ». Ces observations semblent capitales à la compréhension des interactions des personnes sur les forums internet. b) Réseaux sociaux et comportement social L’acceptation commune selon laquelle le but premier des réseaux sociaux est de favoriser les interactions sociales semble avoir été confirmée par la recherche. Même au sein de plateforme « interest oriented » (Pinterest, Instagram…) quantité d’outils sont mis à la disposition des utilisateurs afin qu’ils puissent interagir, s’exprimer, lier des contacts, comparer leurs contributions etc. Par exemple, si l’objectif initial d’Instagram semble être la publication de photographies, la dimension sociale est présente à travers les « likes », les « shares » et les commentaires. Ainsi, le nombre de « likes » qu’une photo récoltera, les discussions qu’elle suscitera, le référencement dont elle bénéficiera, font intégralement partie de l’expérience recherchée par les utilisateurs du site. Il s’agit d’une pratique profondément sociale. Comme l’écrit Dominique Cardon, l’on voit émerger une « exposition de soi » qui est en réalité une « technique relationnelle ». Dans ce contexte, il semble opportun de s’interroger sur la manière dont les réseaux sociaux influencent le comportement social. Nous ne chercherons pas à replacer leurs conséquences sur la psychologie des individus dans un contexte général démontrant ainsi que l’utilisation des réseaux sociaux impacterait les formes d’interactions sociales dans la vie physique. Nous nous limiterons à étudier comment les caractéristiques des réseaux sociaux poussent concrètement leurs utilisateurs à adopter certains comportements plutôt que d’autres. En effet, selon Michel Forsé : « la forme du réseau a une incidence sur les ressources qu’un individu peut mobiliser et sur les contraintes auxquelles il est soumis. Elle ne le détermine pas, mais elle explique que tout ne soit pas possible pour lui et que dès lors certains comportements ou stratégies soient, en raison de la position occupée dans le réseau, plus probables que d’autres.» (Forsé Michel, « Définir et analyser les réseaux sociaux », Informations sociales 3/2008 (n° 147), p. 10-19 URL : www.cairn.info/revueinformations-sociales-2008-3-page-10.htm.) En particulier, il est intéressant d’explorer les techniques dialogiques employées par les individus sur les réseaux sociaux. Dominique Cardon décrit une manière de s’exprimer inédite qui questionne la séparation espace privé/espace public. Il semble constater qu’il existe un fossé entre la perception que se font les personnes de leur audience sur les réseaux sociaux et la réalité. Fondamentalement, s’exprimer sur un réseau social consisterait à parler en public, puisque n’importe qui peut potentiellement avoir accès aux contenus publiés, aux propos tenus. Or les utilisateurs des réseaux sociaux ne semblent pas adopter les codes de la prise de parole en public. Il appelle l’environnement voyant naître ce phénomène une « zone de clairobscur » et explique : « Certes, ils parlent en public. Mais, à leurs yeux, ce public est une zone d'interconnaissance, un lieu plus ou moins clos, un territoire qui conservera les propos dans son périmètre avant de les laisser s'évaporer. » Par une sorte d’illusion, le réseau social parviendrait donc en quelque sorte à libérer la parole : « La conversation emprunte beaucoup plus aux formes dialogiques de l’espace interpersonnel entre interlocuteurs ratifiés qu’à la prise de parole publique distanciée. ». L’on peut avancer qu’en ratifiant la liste des personnes 85 qu’ils laissent entrer dans leur cercle virtuel, les utilisateurs pensent créer un espace de sociabilité maîtrisée. Le réseau social est un « opérateur de territorialisation » créant une « zone de familiarité contrôlée ». Cette illusion de contrôle et d’intimité semble être à l’origine de nombreux types de comportements adoptés par les utilisateurs des réseaux sociaux. Nous garderons ce phénomène à l’esprit tandis que nous nous intéresserons aux forums internet. B) Etude d’un lieu privilégié d’interactions entre pratiquants de la voyance : les forums internet 1) Comprendre le phénomène des forums internet, l’intérêt scientifique qu’ils offrent et les limitations méthodologiques qu’ils posent a) Définition et genèse Les forums de discussion peuvent être définis comme « un espace de discussion asynchrone sur un site web ou sur un service en ligne qui permet aux internautes d’échanger, de poser des questions ou de poster des réponses sur les thématiques proposées. » (définition webmarketing.com). Le terme « asynchrone » indique que les forums ne fonctionnent pas sur le modèle de la messagerie instantanée contrairement à de nombreuses autres plateformes. Sur les forums de discussion (nous laisserons de côté les forums répondant au modèle question/réponse), chacun peut écrire un message à n’importe quel moment de la journée ou de la nuit. Celui-ci s’insèrera dans un fil de messages organisé chronologiquement. Certaines options cependant, comme celle donnée de « répondre » directement au message d’un internaute, peuvent permettre de rompre dans une certaine mesure cette linéarité. Réseaux et forums ont en commun qu’ils permettent d’exprimer un point de vue, de relater une expérience personnelle, d’échanger avec des internautes et de publier du contenu. Mais la gestion d’une liste de contacts n’est pas la fonctionnalité principale des forums. L’on peut opposer schématiquement les réseaux sociaux dans lesquels les rapports aux personnes l’emportent sur la discussion aux forums dans lesquels la discussion l’emporte sur les rapports aux personnes. En effet, bien que les forums permettent parfois de tisser ou consolider des liens interpersonnels, cette dimension sociale n’est le but premier que d’une certaine sous-catégorie non représentative de l’ensemble des forums et à laquelle nous ne nous intéresserons pas ici. Capture d’écran de la page d’accueil des forums du site internet Madmoizelle.com le 29/03/2015 86 La capture d’écran ci-haut illustre l’importance des thèmes de conversation dans la structuration des forums. Ce sont eux qui déterminent les interactions. Les personnes entrent en contact car elles souhaitent s’exprimer sur un même sujet plutôt que parce qu’elles cherchent à entretenir un lien amical préexistant. Cependant, cela n’empêche pas l’émergence d’une certaine dimension sociale que nous évoquerons plus loin, lorsque nous nous intéresserons aux communautés virtuelles. Les forums de discussion ont connu un développement exponentiel depuis le milieu des années 1990 avec la création du protocole WIT par le Worl Wide Web Consortium. Il en existe aujourd’hui des milliers au bas mot et leurs utilisateurs se comptent en millions. (Joel Lee, “How we talk online: A History of Online Forums, From Cavemen Days To The Present” 23/10/2012, http://www.makeuseof.com/tag/how-we-talk-online-a-history-of-onlineforums-from-cavemen-days-to-the-present/). Certains observateurs affirment cependant percevoir un déclin des forums, peu rentables économiquement, au profit des réseaux sociaux notamment. C’est le constat que tire une bloggeuse affiliée au New York Times dans un article déjà ancien (2011) elle écrit « The Internet forum, that great old standby of Web 1.0., has become an endangered species.” (« Le forum internet, ce bon vieux pilier du web 1.0, est devenu une espèce en voie de disparition. » Virginia Heffernan, « The Old Internet Neighborhood », 10/07/2011 http://opinionator.blogs.nytimes.com/2011/07/10/remembranceof-message-boards-past/.). Ce déclin donne aux forums un aspect presque suranné qu’il semble important de garder à l’esprit lors de leur analyse. L’on peut en effet de demander s’il existe des disparités vis-à-vis de la maîtrise de l’outil internet entre les utilisateurs des « modernes » réseaux sociaux et les utilisateurs des « obsolètes » forums. Cette question n’est pas anodine lorsque l’on a affaire à un sujet aussi socialement dévalorisé que la voyance. b) Intérêts propres à l’analyse des forums de discussion sur internet et limites méthodologiques Comme les réseaux sociaux, les forums internet ont suscité un grand nombre d’analyse ces dernières années. Pour Michel Marcoccia, le forum est « un corpus idéal pour l’analyse des conversations et l’analyse du discours » (Michel Marcoccia, « L’analyse conversationnelle des forums de discussion : questionnements méthodologiques », Les Carnets du Cediscor [En ligne], 8 | 2004, mis en ligne le 01 novembre 2006, consulté le 24 août 2015. URL : http://cediscor.revues.org/220) pour deux raisons principales. La première raison est leur authenticité. Les échanges qui ont lieu sur les forums et consultables par le chercheur ont été produits sans qu’il interfère et sont ainsi libres de son influence. La seconde est leur homogénéité : lorsque l’on étudie un corpus de messages prélevé sur un forum, l’on a affaire à une matière certes plurielle du fait de la diversité des contributeurs, mais finalement relativement cohérente du fait que les messages sont tous référencés sur une même plateforme et en ordre chronologique. Un autre avantage à l’analyse des forums est qu’ils permettent d’appréhender de nouveaux modes de transmissions de connaissances. Cela est particulièrement prégnant pour les forums portant sur les questions de santé. Ainsi, plusieurs chercheurs se sont intéressés à la manière dont les personnes échangent sur les questions de santé. Dans un article introduisant une série de réflexion sur l’appréhension des questions médicales par les forums internet, la chercheuse Christine Thoër a ainsi établi que le recours aux forums impacte de manière significative le rapport des personnes à leur propre santé (http://blogsgrms.com/internetsante/author/christine87 thor/). D’abord, les forums leur permettent d’avoir accès à une grande quantité d’informations (notamment concernant les effets secondaires de certains médicaments, la durée moyenne d’une convalescence liée à un certain type de pathologie etc.). Christine Thoër parle d’une « diffusion et [d’une] vulgarisation de l’information scientifique » qui permettent aux personnes de mieux appréhender leurs pathologies en une sorte de processus d’enpowerment remettant éventuellement en question l’autorité traditionnelle du corps médical. Surtout, et nous y reviendrons, les forums représenteraient un véritable vecteur de soutien moral (Christine Thoër parle de « soutien émotionnel » puis de « soutien social ») résultant en une augmentation significative du bien être des personnes. Cette dimension émotionnelle, voire affective semble endémique aux des forums portant sur la santé, mais nous observerons qu’elle ne se limite pas à ces derniers. En particulier, les interventions sur les forums de voyance peuvent être chargés d’une forte dimension émotionnelle et les liens affectifs y jouent un rôle important. D’un point de vue méthodologique, les forums, comme tout corpus analysable scientifiquement, posent des problèmes spécifiques. Pour Michel Marcoccia, le caractère atypique des forums, qui fait leur intérêt, complique également leur appréhension par les chercheurs, car ces derniers auraient tendance à se référer à des grilles d’analyses inappropriées. Il parle d’« une démarche qui consiste à appliquer des catégories d’analyse définies pour l’étude du face-à-face aux échanges médiatisés par ordinateur ». Il faudrait donc repenser les fondements de l’analyse dialogique et élargir la définition d’une conversation : « Les paramètres considérés comme nécessaires pour définir une conversation ne sont pas tous adaptés pour catégoriser les échanges en ligne ; des participants entrent et sortent de l’espace de communication, la discussion est relativement décousue, etc. Ces caractéristiques obligent ainsi à repenser ce qu’est une interaction, en proposant une définition plus souple, apte à tenir compte du caractère discontinu des échanges. » Ce qui intéressant car cela implique qu’un phénomène aussi « trivial » que le développement de forums internet force un des fondements des sciences sociales : l’analyse discursive à repenser ses fondements et ses méthodes. Le fait de prendre en considération l’écart entre les conceptions habituelles associées à l’analyse discursives et les caractéristiques atypiques des discussions ayant lieu sur les forums (par exemple, sur les forums, les personnes ne sont pas strictement émettrices ou destinataires d’un message, mais les deux de manière successive) permettrait de contourner de nombreuses difficultés et ainsi de produire une analyse intéressante. 2) Les forums internet : un espace atypique d’interaction a) Sous l’apparence du chaos, un espace obéissant à ses propres règles Le caractère « démocratique » des forums où chacun peut théoriquement s’exprimer est tempéré par l’existence de « chartes de bonne conduite » et de « modérateurs ». 88 Extrait de la Charte de respect du forum des forums du site internet Madmoizelle.com (capture d’écran effectuée le 29/03/2015) Ci-dessus est fourni un extrait de la « Charte de respect du Forum » du magazine internet Madmoizelle.com. On observe que parallèlement à des conseils abstraits tel que « respecter » ou « Savoir se remettre en question » sont listées des règles plus concrètes telles que « Ne pas poster de pub ». Cette charte semble donc avoir pour but à la fois la valorisation d’une certaine philosophie propre au forum (écoute, tolérance, diplomatie etc.) et la publication de règles de fonctionnement que les utilisateurs enfreindront à leurs risques et périls. Intéressons-nous à présent à un des supports majeurs de notre analyse : le forum FF.voyance.com (http://www.ff-voyance.com/). La particularité de cette plateforme est qu’audelà de discussions portant sur des thèmes allant de la numérologie au spiritisme, elle offre la possibilité de consultations gratuites avec des voyants. Les forums se partagent donc en deux catégories : ceux dédiés aux conversations générales et ceux dédiés à la pratique non rémunérée de services de voyance. Contrairement à d’autres sites tels comme Madmoizelle.com, FF.voyance.com ne contient aucune section dédiée à une charte de bonne conduite. L’attitude attendue des utilisateurs est dessinée en deux temps. D’abord certaines règles sont précisées lors de l’inscription du nouvel utilisateur. Il doit les accepter pour mener à bien la création de son profil. Voici un extrait du texte que l’aspirant utilisateur doit valider : « Vous acceptez de ne pas publier de contenu abusif, obscène, vulgaire, diffamatoire, choquant, menaçant, à caractère sexuel ou autre qui peut transgresser les lois de votre pays, du pays où « Forum de voyance gratuite - FF-Voyance.com » est hébergé ou les lois internationales. Le faire peut vous mener à un bannissement immédiat et permanent, avec une notification à votre fournisseur d’accès à Internet si nous le jugeons nécessaire. L’adresse IP de tous les messages est enregistrée pour aider au renforcement de ces conditions. Vous acceptez que « Forum de voyance gratuite - FF-Voyance.com » supprime, édite, déplace ou verrouille n’importe quel sujet lorsque nous estimons que cela est nécessaire. En tant qu’utilisateur, vous acceptez que toutes les informations que vous avez entrées soient stockées dans notre base de données. Bien que ces informations ne soient pas diffusées à une tierce partie sans votre consentement, ni « Forum de voyance gratuite - FF-Voyance.com », ni 89 phpBB ne pourront être tenus comme responsables en cas de tentative de piratage visant à compromettre les données. » Extrait des conditions d’utilisations du forum FF.voyance.com On observe que ces exigences et avertissements se différencient de manière significative de la profession de foi qu’est la Charte de respect du forum du site Madmoizelle.com. Le site ff.voyance.com semble se limiter à une appréhension légale des règles d’utilisation du forum, plaçant ses utilisateurs face aux risques juridiques qu’ils encourent à travers la publication de certains contenus. Le cadre de référence de ces interdits est la loi française plutôt que la philosophie du site. Nous pouvons également observer que la charte de Madmoizelle.com semble mettre en avant des valeurs de bien-être commun : les membres du forum se doivent d’amender leur comportement car ils ont une responsabilité envers leurs semblables et doivent œuvrer en faveur de la synergie de la collectivité qu’ils forment. En revanche, les consignes adressées aux utilisateurs des forums de FF.voyance.com semblent dessiner un cadre de référence « égoïste » au sein duquel l’utilisateur se soucie en priorité des conséquences que son comportement peut avoir sur son propre bien être. En effet, les conditions d’utilisation de ff.voyance.com ne prétendent pas que l’attitude déplacée d’un membre aura des conséquences sur l’ensemble de la collectivité formée par les utilisateurs du site. De la même manière, les pénalités sont clairement individualisées (« bannissement immédiat et permanent » de l’utilisateur). Outre les règles précisées dans les conditions d’utilisation du forum, les voyants actifs sur ff.voyance.com peuvent édicter leurs propres conditions concernant l’exercice de leur activité sur le site. La page d’accueil fait référence à ces règles dans la section « Bienvenue sur FF.Voyance.com » : « Pour poser une question, rendez-vous dans le forum des voyants. Pensez à consulter les règles afin d'être sûr d'obtenir une réponse. ». Pour lire ces règles, il faut se rendre sur le forum personnel des voyants. Certains voyants affichent les règles d’utilisation de leur forum (donc de leurs consultations) en haut de la page d’accueil de leur forum (c’est le cas de Sandra et de Gwenola). D’autres utilisent la section « Annonces ». D’autres encore n’ont pas publié de règles (c’est notamment le cas d’Héléna ou d’Arnaud). Le contenu même des prescriptions varie en fonction des voyants. De manière générale, ces règles semblent participer d’un rapport hiérarchique entre voyants et consultants au profit des premiers. Le fait de proposer des séances de voyance gratuites est un atout pour le site. La voyance est typiquement un service monétarisé qui peut s’avérer couteux du fait de son mode tarification (souvent à la minute) voire de son caractère répétitif (fréquences assimilables à un comportement addictif). En sollicitant une prédiction gratuite de la part de voyants professionnels qui ont pour habitude de tarifer leurs services les consultants demandent en quelque sorte qu’on leur rende un service, voire qu’on leur fasse une faveur. Les voyants semblent tirer profit de cette situation. Ils stipulent ainsi un certain nombre de conditions dont on peut supposer qu’elles sont non négociables considérant la manière dont elles sont énoncées. Ainsi, dans un message rappelant ses conditions, la voyante Sandra écrit : «ATTENTION, IL FAUDRA UN DELAI DE DEUX MOIS POUR POUVOIR ME REPOSER OU LA MEME QUESTION OU UNE AUTRE VIA CE FORUM ». Elle reconnaît elle-même que ce délais peut être perçu comme contraignant, et propose à ses consultants de contourner cette limitation en ayant recours à son site internet personnel (donc à un service tarifé) : « cependant, mon site reste ouvert si vous souhaitez ne pas attendre ce long délai ». Ce faisant, Sandra rappelle aux utilisateurs de ff.voyance.com qu’en sollicitant des prestations gratuites ils ne peuvent prétendre aux mêmes avantages que les consultants qui 90 la rémunèrent. Elle espère ainsi probablement convertir des interactions non monétarisées en des rapports lucratifs. De la même manière, dans son message intitulé « Comment ça marche » le tarologue Merlin explique : « vous devez attendre quatre mois entre chaque demande sur le forum ou pour les plus pressés vous pouvez me contacter sur mon site ». Cette profusion de règles non négociables ajoutée à la pression symbolique que subit le consultant maintenu dans un rôle de solliciteur contredit la qualité habituellement « horizontale » des forums. Dans son analyse des forums consacrés à la sexualité post-partum, la chercheuse Christine de Pierrepont évoque ainsi : « un mode d’échanges de type horizontal où les interactions entre les pairs sont centraux » (Catherine de Pierrepont, « La sexualité post-partum dans les fora internet »,Civilisations [En ligne], 59-1 | 2010, mis en ligne le 29 juin 2013, consulté le 24 août 2015. URL : http://civilisations.revues.org/2246). En vertu de nos observations, nous pouvons avancer que les forums consacrés à la voyance gratuite abolissent cette relation d’égal à égal, posant les bases d’un rapport hiérarchisé entre un solliciteur-non doté (d’un quelconque talent de préscience) et un fournisseur-doté. Cela souligne le caractère atypique des forums de voyance où encore plus qu’ailleurs, les interactions sont régulées. Dans cette optique, les marques de bienveillances des voyants envers leurs consultants semblent plus tenir du rapport de « séduction » existant traditionnellement entre un fournisseur de service et un client potentiel que de la relation amicale. Les forums dédiés à la voyance gratuite se différencient donc de manière notable des autres forums par la structuration des rapports entre utilisateurs. En revanche, l’autre catégorie de forums présente sur le site, c’est-à-dire les forums consacrés aux discussions à caractère général présentent une classique structure horizontale. Comme l’écrit Catherine de Pierrepont : « On est en effet ici dans le cadre d’une socialisation entre pairs, qui passe par des échanges explicites et intentionnels d’expériences, relatées par les uns, délibérément recherchées comme points d’appuis par les autres. Les internautes, à partir de leurs expériences personnelles et de leurs questions, se mettent en quête d’informations, de conseils et du soutien de leurs pairs. » b) Les forums comme creuset d’une communauté virtuelle Non avons vu que les forums dédiés à la voyance gratuite s’opposaient par leur caractéristiques et leur fonctionnement à la conception démocratique, horizontale, sociale et solidaires des forums de l’internet. En revanche, nous pouvons nous demander ce qu’il en est des forums de « discussions générales » hébergés sur le site FF.voyance.com. Dans cette section, nous questionnerons la relation entre ces forums et le concept de « communauté virtuelle ». Ce terme est régulièrement employé dans les analyses portant sur les interactions au sein des forums. La communauté virtuelle peut être définie comme un « regroupement d’internautes autour d’un thème fédérateur ou d’une passion commune. La communauté constitue une cible extrêmement qualifiée. On distingue généralement les communautés professionnelles et les communautés grand public. La communauté se distingue du simple portail thématique par les services d’échanges (forum, chat, albums, mailing liste, etc..) qu’elle comporte. » (Définition webmarketing.com). Selon cette analyse il semblerait que trois éléments principaux soient nécessaires à la création d’une communauté virtuelle : des internautes, un intérêt commun et des outils de communication. A priori le site internet ff.voyance.com permet la réunion de ces trois éléments : - les internautes se manifestent sous la forme de profils virtuels 91 - les intérêts communs touchent aux divers thèmes occultes traités (cartomancie, spiritisme, intuition magique etc.) - les posts ainsi que les messages privés permettent d’échanger des informations, des opinions, des ressentis etc. Cependant, cette définition d’une communauté virtuelle semble relativement limitée. Elle établit la possibilité de la formation d’un regroupement de personnes interagissant autour de centres d’intérêt communs, mais elle n’explique pas en quoi cette communauté est un nouveau mode de socialisation, elle n’explore pas ce qui la rend atypique ni ne questionne ses limites. Il semble donc nécessaire d’affiner notre compréhension des communautés virtuelles et des enjeux qu’elles soulèvent. Citant Michel Marcoccia, Christine de Pierrepont liste les critères suivants pour établir l’existence d’une communauté virtuelle : « création d’un sentiment d’appartenance, possibilité de construire son identité dans la communauté, importance de la dimension relationnelle, engagement réciproque, partage des valeurs et des finalités, émergence d’une histoire commune, durée des échanges, existence de principes de pilotage des comportements des membres et mécanismes de résolution de conflits, réflexivité du groupe ». L’on constate que si la définition de Webmarketing.com s’attache à répertorier les éléments clés à la formation d’une communauté internet et à décrire concrètement comment ceux-ci s’articulent. Le point de vue adopté par Pierrepont et Marcoccia soulève bien plus d’enjeux théoriques telles que la formation d’un sentiment d’appartenance, d’une identité ou la mise en place d’une dynamique des conflits. Il est intéressant de s’interroger sur l’existence de ces phénomènes au sein des forums de conversations générales de ff.voyance.com. Il existe quatre catégories thématiques de forums de conversations générales sur le site. Il s’agit de « Voyance, Intuition, Prémonition », « Tarot divinatoire, Cartomancie et Oracles », « Numérologie, analyse de profil et chemin de vie » et « Esotérisme, Paranormal, Spiritisme ». La catégorie « Voyance, Intuition, Prémonition » est intéressante dans le sens où les conversations qui y sont créées rappellent les forums des voyants pratiquant des consultations gratuites. En effet, beaucoup de conversations portent sur des offres ou recherches de services liés à la voyance. 92 Capture d’écran de la première page des conversations créées dans le forum « Voyance, Intuition, Prémonition » effectuée le 5 avril 2015 Dans la capture d’écran ci-haut on peut observer que les offres et demandes de service de voyance sont prépondérantes. Les internautes ne discutent pas de voyance, ils la pratiquent, ou du moins cherchent à la pratiquer. Les sujets qui suscitent le plus de réponses sont ceux créés par des personnes qui offrent des services de voyance. Ainsi, le sujet « Voyance offert » comptabilise 460 réponse et 7280 vues au 5 avril 2015 tandis qu’un sujet intitulé « Je propose de vous aider avec les Tarots » a récolté 310 réponses et 5719 vues à la même date. En revanche des sujets comme « grossesse », « je me lance » (créés tous deux par des femmes ne parvenant pas à tomber enceintes) ou « bonjour besoin d’aide » (créé par une femme expliquant qu’elle voudrait l’aide d’un voyant pour vaincre les doutes qui l’assaillent) n’ont donné lieu à aucune réponse et ont été visionnés respectivement par 41, 78 et 98 personnes. Le contraste entre le nombre d’interactions que suscitent les sujets créés par des personnes offrant leurs services de voyances et les sujets créés par des personnes en quête de service de voyance (voire de soutien moral) nous amène à faire deux conclusions : - le forum intitulé « Voyance, Intuition, Prémonition » semble imiter les forums animés par les voyants du site. En effet, on y trouve à nouveaux des personnes offrant des services de voyance et d’autres briguant ces services. La principale différence est le fait que ces voyants (ou ces aspirants voyants) ne bénéficient pas d’un forum qui leur soit propre et au sein duquel ils pourraient établir leurs propres règles et jouir d’une certaine reconnaissance. - Le lieu ne semble pas propice au développement d’interactions sociales au vu de l’échec répété de sujets créés par des personnes cherchant à obtenir des conseils. On peut en outre s’interroger sur le fossé existant entre le nombre de vues dont ces sujets bénéficient (souvent plusieurs dizaines) et le nombre de réponses qu’ils provoquent (souvent aucune). Qu’est-ce qui pousse les personnes à visualiser un sujet sans y répondre ? Si ces personnes ne répondent pas car elles ne se sentent pas qualifiées, 93 pourquoi ont-elles lu le sujet ? Elles devaient déjà estimer, avant lecture, qu’elles n’étaient pas qualifiées pour faire des prémonitions. Cette observation soulève des questions dans le champ de la psychologie sociale et des interactions sur internet. Tenter d’y répondre serait sûrement extrêmement intéressant, mais nous éloignerait malheureusement de l’objet de notre étude. De ce que nous avons pu observer du forum « Voyance, Intuition, Prémonition » nous pouvons conclure qu’il n’a pas donné transcender les interactions des internautes en une communauté virtuelle telle que l’envisage Christine de Pierrepont ou Michel Marcoccia. La construction d’une identité ou l’apparition d’un sentiment d’appartenance collective ne semblent pas être des enjeux apparents de ce forum au sein duquel chacun semble poursuivre ses propres intérêts dans une logique utilitariste. Toutes les observations que nous avons faites semblent aller à l’encontre de l’existence d’une communauté virtuelle sur le site ff.voyance.com. Les personnes semblent faire une utilisation égoïste des forums, plaçant la poursuite de leurs intérêts (se rassurer ou en apprendre plus sur leur avenir) avant la formation de liens amicaux ou solidaires. Mais si l’on ne peut pas assimiler ff.voyance.com à une communauté virtuelle parfaite donnant lieu à la création de lien émotionnels forts il semble nécessaire d’approfondir notre analyse pour mettre en valeur certains éléments qui permettent de rapprocher les interactions sur le site ff.voyance.com d’un outil de partage social. -Même si elles ne reçoivent pas toujours des réponses les personnes postent en quantité. Il y a de nombreux messages sur le site. -Lorsque l’on s’éloigne de la recherche « pure » de prestation, on observe plus d’interactions à caractère social. -En particulier, les personnes échangeront de manière plus soutenue lorsque qu’elles sont dans un processus d’apprentissage d’une pratique occulte. Cela renvoie au partage de connaissances qu’évoquait Christine Thoër à propos des forums consacrés à la santé. Nous pouvons donc conclure de nos observations que, malgré les limites du caractère social des forums dédiés à la voyance, l’on peut considérer ces derniers comme un vecteur de facilitation de l’activité des pratiquants de la voyance, voire comme un moyen de renforcer leur croyance. En effet, si les personnes ne semblent pas nécessairement entrer un cercle social solide lorsqu’elles interviennent sur les forums, le fait d’être confronté à une quantité de témoignages de personnes croyant en la voyance et la pratiquant n’est pas anodin. En permettant la publication de messages en rapport avec l’expérience occulte, en leur donnant une visibilité et une valeur (notamment à travers la mise en place d’outils de comptabilité) le site internet ff.voyance.com remplit une double mission de diffusion et de légitimation de l’occulte. Ainsi, il joue un rôle central dans la pérennisation dans les mœurs du recours à la voyance. 94