Stratégies de légitimation d`une pratique culturelle

Transcription

Stratégies de légitimation d`une pratique culturelle
IEP de Toulouse
Stratégies de légitimation
d’une pratique culturelle
marginale : la voyance
Mémoire préparé sous la direction de M. Jérémie Nollet
Présenté et soutenu par Anne Errelis
Année Universitaire 2014/2015
Sommaire
INTRODUCTION ...................................................................................................................... 2
I) Pratique active de la voyance: entre rayonnement charismatique et enracinement dans la
réalité ........................................................................................................................................ 15
A. L’ascendance du voyant: une manifestation d’autorité charismatique? ........................ 16
1.
Un apparent effet de miroir ....................................................................................... 16
2. Des juxtapositions hypothétiquement révélatrices de la présence d’un élément
charismatique dans l’autorité du voyant ........................................................................... 23
B. Une normalisation de l’activité du voyant ....................................................................... 30
1.
Des voyants ancrés dans le réel ................................................................................. 30
2. Un discours de rationalisation omniprésent ................................................................. 36
II) Démarches d’institutionnalisation d’une pratique culturelle “à part” ................................. 42
A. Incursions dans le champ de la culture légitime ........................................................... 42
1. Une tentative de rapprochement avec des disciplines scientifiques “faisant autorité” 43
2.
Une intellectualisation “conformiste” ...................................................................... 48
B. Revendication d’un statut de pratique culturelle auto-suffisante .................................. 56
1.
Dessin d’une pratique institutionnalisée .................................................................... 57
2. Création d’un discours autonome porté par des médias (souvent) propres .................. 62
CONCLUSION ........................................................................................................................ 69
Sources ..................................................................................................................................... 72
Annexes .................................................................................................................................... 80
1
INTRODUCTION
Il y a quelque mois, une émission de radio captée par hasard retint notre attention. Il s’agissait
d’un programme de voyance diffusé sur la station Fun Radio. Destinée à un public jeune, cette
radio musicale est aussi connue pour ses programmes divertissants et compte parmi les plus
populaires de France1. Au cours de l’émission en question, le voyant Jean-Didier répondit aux
questions d’une auditrice choisie parmi les premières personnes à avoir appelé le standard de
la radio. Pendant quelques minutes, la jeune femme a pu interroger Jean-Didier sur l’avenir de
son flirt avec un jeune homme rencontré récemment. L’enthousiasme apparent de la jeune
femme, le sérieux et la bonne foi manifestés par toutes les personnes intervenant sur le plateau
- aucune ne semblant remettre en question le bien-fondé de la voyance ou la crédibilité du
voyant - l’existence même d’un programme dont le but affiché est de mettre en relation
d’heureux élus avec une personne censée prédire leur avenir ont éveillé notre curiosité. Cette
émission nous a rappelé que la voyance et les pratiques touchant à l’occulte en général sont
une pratique commune, dans le sens où elles impactent la vie de nombreuses personnes, bien
qu’à des fréquences et intensités très variables. Pour certains, le contact à l’occulte se limitera
peut être à la lecture sporadique et distanciée d’un horoscope, tandis que d’autres y
sacrifierons des ressources essentielles, non seulement en terme de temps et d’argent, mais
aussi d’investissement émotionnel. Quelle que soit notre attitude vis-à-vis de l’occultisme,
nous ne pouvons nier l’existence de pratiques associées à ce courant. Une de ses
manifestations les plus banalisées est la présence d’horoscopes dans de nombreux médias.
Celui-ci s’invite parmi les nouvelles du jour, les sorties cinémas, les recettes de cuisines etc.,
il arrive même qu’un simple achat implique d’y être confronté, via des écrans présents dans
certains commerces. De la même manière, la voyance a pénétré le champ médiatique,
notamment par le biais de la radio et de la télévision, par exemple, le voyant Jean-Didier
cumule de nombreuses interventions radio et télédiffusées2 .
1
Durant la période concernée (septembre-octobre 2013) Fun Radio aurait obtenu une part d’audience de 6,6%
selon une enquête de Médiamétrie (le document n’est malheureusement plus disponible en ligne). « Audiences
radio: Fun Radio devient la 2ème musicale de France » – rtl.fr, Chloë Lebeau - 19/11/2013
http://www.rtl.fr/culture/medias-people/audiences-radio-fun-radio-devient-la-2e-musicale-de-france7766998996
2
Voir
son
site
internet:
http://www.google.com/url?q=http%3A%2F%2Fwww.jeandidier.com%2Fcv.html&sa=D&sntz=1&usg=AFQjCNG20ywUU0YFgyE5q2Cx4cGSClTlCA
2
❖ Concevoir le thème de notre réflexion
Appréhension d’une pratique occulte: la voyance
La pratique autour de laquelle s’axera notre réflexion est la voyance. Celle-ci fait partie d’un
large éventail de pratiques liées à l’”occulte”. Mais à quoi ce terme renvoie-t-il? Le
dictionnaire de l’Académie Française définit l’occulte comme “Ce qui est caché, secret”, une
propriété peut être qualifiée d’occulte lorsque “l'esprit humain [en] ignore la raison” 3. En ce
qui concerne les pratiques liées à l’occulte -c’est à dire l’occultisme- nous nous inspirerons de
la définition qu’en a établi le philosophe Pierre Riffard4. Nous le considérerons en effet
comme la croyance en des forces cachées reposant sur un système de « fluides » permettant la
communication entre le visible et l’invisible et pouvant donner lieu à des pratiques
spécialisées. L’occulte a donc un caractère irrationnel et mystérieux qui peut séduire tout en
compliquant son analyse scientifique. Mais nous avons pu constater que l’occulte est associé à
des pratiques concrètes (les consultations de voyance et les horoscopes). C’est justement sous
cet angle, celui de l’exercice concret, que nous appréhenderons l’occulte et plus précisément
la voyance. Notre propos ne sera pas purement théorique ; il ne s’agira pas, par exemple de
comprendre pourquoi les personnes ont recours à la voyance, mais comment. Nous nous
intéresserons aux pratiquants de cette voyance. Parmi ces pratiquants, nous distinguerons les
pratiquants actifs: les voyants, et les pratiquants passifs, c’est à dire les personnes faisant
appel à ces voyants. Nous les qualifierons de consultants.5 A ces deux groupes, nous
ajouterons les personnes intervenant dans les médias touchant à la voyance, notamment à
travers la rédaction d’articles. Il nous semble nécessaire de préciser brièvement qui sont les
individus que nous désignons sous l'appellation de “voyants”. Il faut d’abord différencier ces
praticiens modernes d’autres types de devins tels les haruspices étrusques ou romains qui
pratiquaient la lecture d’entrailles ou les oracles tels que la Pythie de Delphes, qui seraient les
interprètes d’une parole divine. Les voyants modernes ne se perçoivent pas comme les
3
Dictionnaire
de
l’Académie
Française,
neuvième
édition,
version
informatisée
http://atilf.atilf.fr/academie9.htm
4
“L'occultisme, c'est d'abord la croyance en des 'forces occultes' et la pratique des 'sciences occultes'.
L'occultisme, en tant que croyance, affirme l'existence de 'fluides' manifestant un monde invisible à l'intérieur du
monde visible, recherche des analogies et correspondances entre visible et invisible, mais aussi entre les divers
êtres ; l'occultisme, en tant que pratique, suppose la connaissance et l'utilisation de la magie, de l'astrologie, des
mancies, de la médecine occulte, de l'alchimie. 2. L'occultisme, c'est ensuite, de façon plus étroite, l'ensemble
des arts et des sciences occultes.” Riffard Pierre A., Dictionnaire de l'ésotérisme (1983), Paris, Payot, 1993
5
D’après Jeanne Favret-Saada et Arnaud Esquerre qui ont ainsi qualifié les personnes faisant appel
respectivement à des « sorciers » et des astrologues - Favret-Saada Jeanne, Désorceler, Éditions de l’Olivier,
2009 - Esquerre Arnaud, Prédire, l’Astrologie en France au XXI° siècle, Éditions Fayard, 2013
3
transmetteurs formels d’une parole divine6. Quant à leurs supports, lorsqu’ils existent (de
nombreux voyants s’appuient uniquement sur ce qu’ils appellent “leur ressenti”, concept sur
lequel nous nous pencherons au cours de notre analyse), ils se limitent souvent à des jeux de
tarots. ; plus rarement, les voyants utilisent le marc de café. Précisons en outre que tous les
voyants que nous mentionnerons exercent professionnellement (nous verrons ce que cela
suppose).
Un aspect problématique de la définition de notre sujet est la différenciation entre la voyance
et l’astrologie. Les finalités de la voyance et de l’astrologie sont similaires: ces deux arts
divinatoires ont pour objet la prédiction de l’avenir, la révélation de vérités cachées ou encore
l’explication du passé d’une personne. Cependant, elles se distinguent par leurs supports et
leurs techniques. La pratique de la voyance se fonde sur la mise en œuvre d’un don de
prescience tandis que l’astrologie serait une science d’interprétation de la position et des
mouvements des astres.7 En pratique, l’astrologie et la voyance sont souvent mêlées en
particulier du fait que de nombreuses personnes s’adonnent ces deux activités. Il est donc
important de préciser que dans notre analyse nous désignerons certaines personnes comme
des “voyants” même si elles pratiquent également l’astrologie. Cependant, lorsque nos
sources distingueront explicitement astrologie et voyance, nous respecterons cette
différenciation ; ce qui ne veut pas dire que nous nous interdirons de parler d’astrologie, étant
donné que celle-ci peut assurément enrichir notre analyse (après tout, elle est également une
pratique divinatoire ce qui la lie intimement à notre problématique).
Risques et opportunités associés à un sujet peu prisé par la recherche sociologique
Dans son ouvrage Prédire, l’Astrologie en France au XXI° siècle (Éditions Fayard, 2013)
Arnaud Esquerre déplore que le sujet de l’astrologie et plus largement des arts divinatoire
aient rarement été traité par la sociologie. Pour expliquer cette carence, il avance que les
chercheurs répugneraient à considérer la pratique de l’astrologie dans leur propre société,
préférant l’envisager comme une pratique de peuples qui n’auraient pas atteint un niveau de
civilisation équivalent. L’astrologie et plus largement l’occultisme semblent donc souffrir
d’un certain désintérêt de la part de la recherche, en particulier française, désintérêt qui
pourrait être dû à un sentiment d’illégitimité thématique. Ainsi, alors que les études sur les
6
Même si nous verrons que, dans une certaine mesure, ils se perçoivent comme les interprètes d’une volonté
supérieure.
7
Ce qui lui permet de se revendiquer comme plus “scientifique” que la voyance du fait qu’elle se fonderait sur
l’observation de phénomènes naturels réels et de calculs savants - Arnaud Esquerre, Prédire, l’Astrologie en
France au XXI° siècle - Editions Fayard, 2013
4
séries télévisées, les comics, les jeux vidéo etc. se multiplient aux États-Unis d’Amérique, en
France, la recherche sur de tels sujets reste limitée. Cela pourrait s’expliquer
par les
inquiétudes liées à la reconnaissance de la scientificité de la sociologie.8 La question de savoir
exactement ce qui restreint les sociologues dans leurs sujets de recherche reste ouverte, mais il
semble important de garder à l’esprit que le champ auquel nous allons nous intéresser souffre
d’une mise à distance de la part de la recherche. Cette marginalité a stimulé notre curiosité.
En effet, où se situent les limites d’exploration d’un sujet lorsque celui-ci a été si peu étudié?
Toutefois, nous ne pouvons pas ignorer les difficultés que cette situation pose. Autant écrire
sur un thème “rebattu” présente un danger de répétition compliquant toute innovation, autant
l’exploration d’un thème nouveau, sans le bénéfice de l’appui sur un corpus théorique
conséquent, peut se solder par un énoncé de supputations
sans suite et de digressions
hétéroclites. Ce risque renforce la nécessité de définir formellement notre sujet d’étude - ce
que nous avons pu faire d’autant plus efficacement que nous nous sommes limité à quelques
aspects concrets de la pratique de la voyance- et de structurer rigoureusement notre réflexion
afin de ne pas perdre de vue notre objectif.
Une pratique culturelle
Si l’occultisme ne recoupe pas l’acceptation « intellectuelle » de la culture telle que définie
par exemple par Philippe Coulangeon (« Par pratiques culturelles, on entend généralement
l’ensemble des activités de consommation ou de participation liées à la vie intellectuelle et
artistique, qui engagent des dispositions esthétiques et participent à la définition des styles de
vie : lecture, fréquentation des équipements culturels (théâtres, musées, salles de cinéma,
salles de concerts, etc.), usages des médias audiovisuels, mais aussi pratiques culturelles
amateurs. »9) elle peut être envisagée comme telle selon d’autres définitions, classiquement
plus « anthropologiques », donc orientées autour des modes de vie, des croyances des
personnes. Marcel Mauss définit la culture comme « l’ensemble des phénomènes sociaux »10
ce qui pose un nouveau problème de définition, étant donné que l’on peut s’interroger sur le
sens exact à donner au terme « phénomène social ». Tout de même, cette définition (ou ce
rapprochement) permet d’élargir notre conception de la culture en l’appréhendant à la fois
8
Cette inquiétude se reflète dans les propos tenus par Pierre Bourdieu lors d’une interview accordée au
magazine La Recherche en mai 2000: « On conteste non seulement son [la sociologie] existence en tant que
science, mais son existence tout court. » - “Entretien avec Pierre Bourdieu: La sociologie est-elle une science?”
La
Recherche,
l’actualité
des
sciences
mensuel
n°99
daté
mai
2000
http://www.larecherche.fr/actualite/aussi/entretien-pierre-bourdieu-sociologie-est-elle-science-texte-01-05-200076057
9
Coulangeon Philippe, Sociologie des pratiques culturelles, La découverte « Repères », 2010, p. 3-4
10
Mauss Marcel, Sociologie et anthropologie, Paris, PUF, 1950
5
comme une conséquence et un moteur des interactions sociales, une sorte de « structure
structurante » bourdieusienne. Nous ferons d’ailleurs une incursion dans le domaine
bourdieusien en nous intéressant à la question de légitimité des pratiques culturelles. Notre
propos ne sera pas de faire de la sociologie militante, mais nous considérerons qu’il existe
dans le domaine même de la culture des luttes symboliques qui, selon Pierre Bourdieu, ne sont
pas indépendantes des enjeux de répartition des différentes formes de capitaux. Cette lutte
s’illustre notamment pour les pratiques culturelles à travers la prétention à divers niveaux de
légitimité. Il ne faut pas pour autant croire que celle-ci soit un actif quantifiable et immuable.
La sociologie culturelle a déjà mis en valeur son caractère extrêmement contextuel. Par
exemple, une personne adepte de jeux vidéo suscitera des réactions très différentes en
fonction de l’individu à qui elle s’adresse, ou de la situation dans laquelle elle s’exprime. De
la même manière, la perception des pratiques culturelles évolue au cours du temps. Ainsi le
gain de légitimité qu’a connu le jazz, passant du statut de divertissement des « bas-fonds » à
celui d’art apprécié par des amateurs éclairé est notable. Concernant l’occultisme, nous
partirons du postulat suivant : globalement, il souffre, en tant que pratique culturelle, d’un
déficit de légitimité et les personnes qui font usage de la voyance ont l’impression que cette
pratique est perçue négativement socialement.
Notre sujet d’étude: des individus en interaction
En accord avec la définition « sociale » de la culture que nous avons retenue, la question des
interactions sera centrale à notre analyse. Plutôt que de nous focaliser sur une appréciation
collective de la culture, nous adopterons un point de vue plus individuel. Notre sujet sera
l’individu inséré dans un réseau d’interactions. Nous nous intéresserons à des actions
individuelles, des justifications individuelles, des croyances individuelles11. Cependant, nous
garderons à l’esprit que « le fait social est distinct de ses répercussions individuelles »12, nous
tenterons donc de replacer ces observations individuelles dans un contexte plus général, même
si notre utilisation de la statistique sera limitée du fait du peu de moyens et de temps qui nous
alloués pour mener à bien notre analyse. Ainsi, nous tenterons de retirer de nos observations
individuelles, de nos cas particuliers, des conclusions mettant en valeur des phénomènes
communs, un tout plus révélateur que la somme de ses parties.
11
Ce qui place notre démarche dans le sillage de Max Weber dont Jeanne Favret-Saada a écrit: “Mais ce qui
l'intéresse, lui, c'est de partir de ce que les acteurs ont en tête, de ce qu'ils visent, de ce qu'ils perçoivent, de ce
qu'ils attendent en fonction de leur évaluation des situations. La préoccupation centrale de Weber, c'est de définir
les règles d'engendrement des formes possibles de sociabilité en partant des représentations des acteurs, de leur
calcul interprétatif.” Favret-Saada Jeanne, “Weber, les émotions et la religion”, Terrain, n° 22, 1994
12
Durkheim Emile Le Suicide, Paris, PUF, 2007, p8-15
6
❖ Nos fondements théoriques
Parallèlement à un travail de terrain que nous présenterons ultérieurement, notre analyse
s’appuie sur l’apport théorique de productions scientifiques existantes. Nous sommes appuyés
sur un corpus académique pluridisciplinaire, tout en privilégiant bien évidemment la
sociologie. Il est essentiel d’évoquer quelques-unes des sources académiques qui ont nourri et
soutenu notre réflexion.
Nous commencerons donc par évoquer la sociologie de la religion, puis celle de la culture,
ensuite nous introduirons la question des interactions à travers le prisme des questions de
reconnaissance et de stigmatisation sociale.
La sociologie religieuse
Notre intérêt pour les représentations individuelles suppose de traiter la question des
croyances. En particulier, celles touchant à la religion nous semblent un
excellent
intermédiaire pour envisager la mentalité des personnes, surtout lorsque l’on s’attache à traiter
un sujet tel que la voyance, qui a une forte portée mystique. Au cours de nos lectures nous
nous sommes donc penchés sur des analyses sociologiques classiques de la religion. Nous
avons notamment étudié le “religioïde” de Georg Simmel (un concept développé dans son
ouvrage Die Religion, publié en 1906). Nous nous sommes également intéressés au rapport
entre religion et politique dans l’œuvre d’Émile Durkheim et celle de Max Weber (un article
du sociologue allemand Hartmann Tyrell reprenant les principales vue des deux auteurs nous
a pour ce faire été très utile13). Nous nous sommes également intéressés à la magie, ce qui
nous a amené à lire l’”Esquisse d'une théorie générale de la magie” de Marcel Mauss 14. Mais
nous avons également pu bénéficier de l’apport de contributions plus récentes de sociologues
tels que Raymond Boudon (notamment à travers un article sur la rationalisation de la magie
dans l’œuvre de Max Weber)15 ou son disciple Pascal Sanchez qui a publié une thèse sur le
sujet16 ainsi qu’un petit ouvrage très instructif sur les croyances collectives17.
La sociologie culturelle
13
Tyrell Hartmann “Religion et politique – Max Weber et Emile Durkheim”, Trivium [En ligne], 13 | 2013,
Textes traduits en français, mis en ligne le 28 février 2013
14
Cet essai a été regroupé avec d’autres écrits majeurs de Marcel Mauss dans l’ouvrage Sociologie et
Anthropologie, Collection Quadrige, PUF, 1ère édition 1950
15
Boudon Raymond, “La rationalité du religieux selon Max Weber”, L’Année Sociologique vol. 51, 2001/1
16
Sanchez Pascal, La Rationalité des Croyances magiques, Librairie Droz, 2007
17
Sanchez Pascal, Les Croyances Collectives, PUF, 2007
7
Toujours dans notre optique de l’analyse des représentations des personnes, la sociologie
culturelle nous a permis de mieux appréhender l’”objet culturel”. L’article classique d’Edgar
Morin, “De la culturanalyse à la politique culturelle”18 nous a permis de mieux définir les
multiples implications du concept culturel ainsi que les problématiques associées à la
définition de ses différents types ainsi que les mécanismes d’émergence d’une culture
valorisée. Cette question de la valorisation inégale des cultures nous a amené à mobiliser la
sociologie de Pierre Bourdieu en particulier à travers un de ses ouvrages clés sur la question:
La Distinction. Critique sociale du jugement19. Nous avons également étudié la contribution
plus récente de Bernard Lahire dans La culture des individus Dissonances culturelles et
distinction de soi.20
Les interactions sociales: reconnaissance contre stigmatisation
La question de la domination culturelle nous a naturellement amenés à approfondir la question
de la reconnaissance sociale en particulier en nous appuyant sur l’œuvre d’Axel Honneth21 (il
n’est d’ailleurs pas anodin qu’Axel Honneth se soit tant intéressé à l'œuvre de Pierre
Bourdieu) afin de mieux comprendre les mécanismes de lutte contre l’exclusion sociale et
culturelle. Cette exclusion sociale, nous l’avons envisagée à travers le prisme de la
problématique de la stigmatisation posée par Erving Goffman22 qui nous permet de mieux
comprendre l’impact du décalage normatif ressenti par les pratiquants de la voyance du fait de
la perception négative de leur activité.
❖ Notre problématique
Au vu des éléments théoriques dont nous disposons et des pistes de réflexion ouvertes par
notre sujet, nous avons décidé d’axer notre analyse autour de l’interrogation suivante:
Par quels processus de structuration de son exercice la voyance est-elle envisagée et
présentée comme une pratique culturelle légitime ?
A partir de cette problématique, nous pouvons ouvrir plusieurs pistes de réflexion que nous
explorerons successivement au cours de notre analyse. Ainsi, chacune des sous parties de
18
Morin Edgar, “De la culturanalyse à la politique culturelle” Communications vol. 14, 1969. La politique
culturelle. pp. 5-38.
19
Bourdieu Pierre, La Distinction. Critique sociale du jugement, Paris, Minuit, 1979.
20
Lahire Bernard La culture des individus. Dissonances culturelles et distinction de soi, La Découverte, 2004
21
Courtel Yannick, “La lutte pour la reconnaissance dans la philosophie sociale d’Axel Honneth”, Revue des
sciences religieuses [En ligne], 82/1 | 2008, mis en ligne le 05 octobre 2012
22
Goffman Erving, Stigmate. Les usages sociaux des handicaps (1963), traduit de l'anglais par Alain Kihm,
Éditions de Minuit, 1975
8
notre travail aura pour vocation de répondre à une “sous-problématique” renfermée dans notre
problématique englobante et à vérifier une hypothèse.
I - A)
Sous-problématique: Pouvons-nous expliquer, au moins en partie, la structure des
interactions entre voyants et consultants par l’expression d’une forme de domination
charismatique weberienne?
Hypothèse: L’autorité du voyant peut s’expliquer par une dotation en charisme weberien
et/ou l’exercice d’une domination charismatique de type weberien.
I- B)
Sous-problématique: Supposant que les voyants exercent une autorité charismatique de type
wébérien, peut-on dire qu’ils s’adonnent à un exercice de quotidianisation du charisme
s’illustrant dans leur cas par une double entreprise de rationalisation et normalisation de leur
activité?
Hypothèse: La manière dont les voyants structurent et présentent leur activité est assimilable
à un processus de quotidianisation d’une autorité charismatique de type wébérien.
II - A)
Sous-problématique: L’entreprise de légitimation de la voyance consisterait-elle en grande
partie à s’approprier la légitimité de champs de l’activité humaine jouissant d’une meilleure
reconnaissance culturelle qu’elle?
Hypothèse: Conscient du déficit de légitimité dont souffre la voyance, ses pratiquants tentent
des rapprochements avec des domaines de l’activité humaine qui jouissent d’une meilleure
considération sociale.
II- B)
Sous-problématique: La voyance s’organiserait-elle de manière autonome, créant ses propres
institutions, afin de se forger une légitimité propre?
Hypothése: La pratique de la voyance se structure autour d’institutions propres dont le but est
autant de faciliter son exercice que de le légitimer.
9
❖ Notre terrain et nos ressources
Notre analyse reposera essentiellement sur le discours des pratiquants de la voyance. Plutôt
que de conduire des entretiens avec des voyants (qui sont malaisés à joindre pour quiconque
ne faisant pas partie du “milieu”, comme semblent l’indiquer nos nombreuses requêtes et
propositions d´entretiens laissées sans réponses) nous avons décidé de prélever la “matière”
où elle se trouve; c’est à dire sur internet, espace privilégié de pratique de la voyance. Nous
avons ainsi collecté, sur des sites internet de voyance, trente interviews de voyants
professionnels. Nous nous appuierons sur ces interviews tout au long de notre réflexion,
incluant de nombreuses citations pour illustrer notre propos. Additionnellement, nous
mobiliserons divers sites internet et blogs sur lesquels nous pourrons trouver à la fois des
interactions entre voyants et pratiquants, des témoignages et des productions intellectuelles
sur la voyance et sur d’autres sujets liés à l’ésotérisme (notamment l’astrologie, qui, comme
nous avons déjà pu le dire, est, en pratique, souvent très délicate à démêler de la voyance
“pure”).
Ces sources spécialisées requièrent une présentation afin que le lecteur puisse bien
comprendre leur nature.
Les ressources internet liées à la pratique de la voyance
Pour plus de clarté, nous classifierons les sites internet étudiés en cinq catégories dont les
délimitations, si elles peuvent être discutées, nous permettront du moins de clarifier notre
analyse.
Nous identifierons tout d’abord les “sites personnels”, c’est à dire les sites ou blogs animés
par une seule personne (du moins manifestement). Précisons au passage que nous traiterons
les blogs comme des sites internet car, même si techniquement ils sont différenciés, dans les
faits, leurs usages et fonctions se confondent.
Notre seconde catégorie comprendra les sites de services de voyance, dont les principales
caractéristiques sont la multiplicité des acteurs qui y interviennent (en particuliers des voyants
professionnels) et le caractère commercial de l’activité qui y est mise en avant, avec, en
particulier, l’offre récurrente de services de voyance. Nous baptiserons cette catégorie, les
“sites de service”.
10
Une troisième catégorie rassemblera les “sites institutionnels”, dont la principale raison d'être
est la mise en valeur de l’activité d’une institution dont l’activité est liée à la voyance où à
l'occultisme).
Ensuite, notre quatrième catégorie diffère des précédentes (en particuliers des deux premières)
dans le sens où elle se détache en quelque sorte des pratiquants pour, à l’inverse, s’orienter
autour de la pratique elle-même. Dit plus clairement: plutôt que de mettre en avant leur
pratique de la voyance, les intervenants de ces sites et blogs produisent des réflexions autour
de la voyance et d’autres sujets liés à l’occultisme. A défaut d’un titre plus concis, nous nous
référerons à ces sites comme à des “sites dédiés aux productions intellectuelles autour de la
voyance et de l’ésotérisme”.
Enfin, une cinquième catégorie nous permettra de regrouper les sites qui ne peuvent être
classés dans aucune des quatre premières. C’est le cas de certains sites qui n’ont pas trait à la
voyance, mais sur lesquels le sujet a cependant pu être évoqué par des moyens plus ou moins
détournés. Ainsi, une des interviews de voyants faisant partie de notre corpus, celle de
“Ambre Médium Voyant” a été relevé sur le site internet “Bees and Roses”, qui se décrit
comme un “Annuaire d’entreprises révélateur de savoirs faire”. Par ailleurs, les magazines
féminins en ligne tels que Femina ou Au Féminin abritent de nombreux discours sur la
voyance via les forums de discussions qu’ils renferment. Nous qualifierons ces sites de
“collatéraux”.
Au cours de notre analyse, nous avons constaté que ces catégories peuvent se recouper (en
particulier les sites personnels peuvent souvent s’assimiler à des sites de services du fait de
leur caractère commercial). Cependant, nous espérons que cette ébauche de typification
permettra au lecteur de mieux appréhender la nature des sources citées. Nous ne rappellerons
pas le type de chacun de ces sites à chaque citation dans notre analyse, mais nous ferons
figurer une classification dans notre bibliographie.
Récapitulatif de notre nomenclature des sites internet étudiés:
● Type 1: Sites personnels
Se réfère notamment aux blogs et sites servant de supports à l’exercice professionnel
de la voyance.
11
Exemples: Cabinet de Voyance Yann Lecoq; Yanis Voyance Astrologue
● Type 2: Sites de services
Se réfère notamment aux forums gratuits et aux sites de services payants.
Exemples: Voyance en Ligne; Voyance par Tchat
● Type 3: Sites institutionnels
Se réfère notamment aux sites d’écoles de voyance, de centres de recherche spécialisés
et d’associations.
Exemples: Guide de la Voyance; Clé du Tarot
● Type 4: Sites dédiés aux productions intellectuelles autour de la voyance et de
l’ésotérisme
Se réfère notamment aux magazines en ligne dédiés à la voyance et autres pratiques
ésotérique, aux blogs et aux sites d’amateurs sur la voyance.
Exemples: Voyance.org; Le Forum Esotérique
● Type 5: Sites collatéraux
Se réfère aux sites n’ayant pas trait á la voyance, mais pouvant contenir des discours
portant sur la voyance.
Exemple. Bees and Roses; Au Féminin
❖ L’organisation de notre réflexion
Dans une première partie (I), nous nous intéresserons particulièrement à la pratique active de
la voyance, donc aux voyants. Nous tenterons en effet de comprendre en quoi leur activité
relève d’une tension entre rayonnement charismatique et enracinement dans la réalité. Nous
commencerons par nous demander si l’ascendance du voyant est une manifestation d’autorité
charismatique (I-A). Pour répondre à cette question nous verrons que les propriétés magiques
supposées, revendiquées ou admises des voyants (I-A-1-a) reflètent des notions associées au
charisme wébérien (I-A-1-b). Cela nous amènera à effectuer des juxtapositions entre
l’ascendance des voyants et la domination charismatique wébérienne dans l’espoir de révéler
la présence d’un élément charismatique dans l’autorité du voyant (I-A-2). Ces
rapprochements se feront par le biais de deux caractéristiques majeures du charisme wébérien:
sa qualité révolutionnaire (I-A-2-a), et sa substance religieuse (I-A-2-b). Dans un second
temps de cette première partie, nous nous intéresserons aux velléités d’ancrage dans la réalité
12
des voyants (I-B). Nous verrons que leur activité est normalisée23 (I-B-1) d’abord du fait de
leur exercice d’une activité professionnelle tangible (I-B-1-a) et du caractère concret de leurs
préoccupations (I-B-1-b). Puis nous verrons que les voyants ont très régulièrement recours à
un discours de rationalisation de leur activité (I-B-2) qui se traduit notamment par l’usage
d’une rhétorique positive au sens comtien (I-B-2-a) et une critique ambivalente (mais
révélatrice) de la “science officielle” (I-B-2-b).
Dans une seconde partie (II), nous nous intéresserons aux diverses démarches
d’institutionnalisation de la voyance en tant que pratique culturelle singulière. Pour ce faire,
nous commencerons par étudier ses incursions dans le territoire des pratiques culturelles
légitimes (II-A). Ainsi nous constaterons qu’elle tente régulièrement de tracer des liens entre
elle et des disciplines scientifiques reconnues (II-A-1), que cela soit dans le champ des
sciences humaines (II-A-1-a) ou celui des sciences formelles et naturelles (II-A-1-b). Puis
nous nous interrogerons sur une intellectualisation “conformiste” de la voyance (II-A-2) à
travers un intérêt marqué pour le champ universitaire (II-A-2-a) et une appropriation de sujets
considérés comme légitimes (II-A-2-b). Par la suite, nous nous pencherons sur la prétention
de la voyance à un statut de pratique culturelle autonome (II-B). Ainsi, la voyance
s’institutionnaliserait-elle (II-B-1) notamment à travers la prise en charge des aspects de sa
pratique négligés par la Loi (II-B-1-a) ou par le biais de l'événementiel en particulier
l’organisation de salons de voyance (II-B-1-b). De plus, les pratiquants de la voyance mettent
en place un discours médiatique autonome (II-B-2) à travers une utilisation assidue des
médias dits “traditionnels” (II-B-2-a) et celle d’internet (II-B-2-b).
 Avertissements :
-
Les citations des pratiquants de la voyance utilisées (c’est-à-dire principalement les
extraits d’interviews de voyants) ont été conservées en l’état. Les éventuelles fautes
d’orthographe et de grammaire n’ont donc pas été corrigées.
-
Sauf indication contraire, les traductions d’extraits de sources en allemand et en anglais
ont été réalisées par l’auteure.
23
Non pas selon l’appréhension sociologique du terme, mais dans le sens ou une activité incongrue est banalisée
au point d'être acceptée comme une composante ordinaire du quotidien.
13
14
I)
Pratique active de la voyance: entre
rayonnement charismatique et
enracinement dans la réalité
La tension entre propriétés magiques des voyants et ancrage dans le réel servira de point de
départ de notre analyse. Les voyants sont, du fait de leur grande visibilité, des représentants
évidents de leur pratique. La question de savoir s’ils sont des escrocs, voire des fous, ou s’ils
ont effectivement des pouvoirs magiques est posée par les pratiquants de la voyance euxmêmes. Il est donc difficile de la contourner. Au centre de notre réflexion se trouve la
contradiction suivante: la voyance est à la fois une activité aux propriétés magiques et une
activité rationnelle-marchande. Pour appréhender cet apparent paradoxe, nous avons choisi le
filtre du charisme selon la conception qu’en a Max Weber. En effet, selon sa nomenclature
bien connue de l’autorité, le type charismatique semble être celui qui concorde le mieux avec
l’ascendance du voyant. Pour appuyer cette appréciation, nous pouvons procéder par
élimination. Tout d’abord, l’autorité du voyant semble ne rien devoir à la domination
rationnelle-légale du fait qu’elle ne fait pas l’objet d’une inscription dans la loi en vigueur
dans la société qui nous intéresse. De la même manière, nous pouvons éliminer la domination
traditionnelle car, même si les voyants ont tendance à se revendiquer d’une tradition, il ne
faut pas se laisser tenter par un rapprochement lexical mais plutôt noter que le respect de la
voyance ne peut pas être considéré comme une coutume largement observée de la société
étudiée. En outre, la profusion des termes propres au champ de la magie dans la définition que
Max Weber fournit du charisme nous met également sur la voie d’un rapprochement entre
figures aux propriétés magiques et mobilisation d’une autorité charismatique.
Dans un premier temps, nous emprunterons donc cette voie, nous servant de la notion
de charisme weberien comme d’un révélateur de la nature de l’ascendance des voyants pour
mieux saisir les modalités de leur activité (A). En particulier, nous effectuerons un
rapprochement expérimental entre les voyants et les figures prophétiques que Weber a
décrites dans ses écrits portant sur l’autorité charismatique. A cette tentative de déterminer si
la nature de l’autorité des voyants s’assimile à celle des figures prophétiques, nous ajouterons
la question des contraintes qui pèsent sur le maintien de ces autorités sont les mêmes. Cette
réflexion nous permettra de mieux appréhender le type d’ascendance que les voyants peuvent
15
avoir sur leurs consultants ainsi que la manière dont ils envisagent leur pratique et, de façon
plus générale, leur rapport au monde.
Nous verrons ensuite que, dans une démarche assimilable à une entreprise de quotidianisation
du charisme, les voyants prennent leur distance d’avec les attributs magiques émanant de la
problématique du charisme weberien pour nous intéresser au travail de normalisation et de
rationalisation que fournissent les voyants vis à vis de leur activité. (B)
A. L’ascendance du voyant: une manifestation
d’autorité charismatique?
Ce segment sera entièrement consacré aux rapprochements envisageables entre l’ascendance des
voyants, dont nous verrons qu’elle est fondée sur leurs propriétés magiques (supposées, revendiquées
ou admises) et le charisme selon sa typologie weberienne, dont nous fournirons une présentation
essentielle (1). En partant de deux traits dominants du charisme weberien (son fondement
révolutionnaire et sa religiosité) nous observerons qu’il est effectivement possible de distinguer, dans
une certaine mesure, des juxtapositions entre autorité médiumnique et autorité charismatique, entre
voyant et prophète. (2).
1. Un apparent effet de miroir
Nous amorcerons notre réflexion sur les rapprochements possibles entre autorité
médiumnique et autorité charismatique weberienne en nous intéressant au caractère magique
des voyants (a). Par ce biais, nous pensons pouvoir mieux approcher la notion de charisme
weberien étant donné que sa définition est largement inspirée par des concepts puisés non
seulement dans le champ religieux, mais plus spécifiquement dans le champ de la magie 24. La
définition de ce charisme est d’ailleurs ce qui nous préoccupera dans un second temps de cette
section (b).
a. Observations sur les propriétés magiques supposées, revendiquées ou admises des
voyants
Une difficulté qui se pose de manière manifeste dans l’étude de la voyance est son supposé
caractère magique. Comme nous l’avons déjà dit dans notre introduction, il est
24
Par magie, nous entendons un « Art qui est censé donner le pouvoir de faire intervenir des puissances occultes
afin de modifier le cours de la nature ou d'agir sur la destinée des hommes. » Cf : Dictionnaire de l'Académie
Française http://atilf.atilf.fr/dendien/scripts/generic/cherche.exe?15;s=4177966920
16
particulièrement difficile d’appréhender d’un point de vue sociologique une pratique faisant
supposément appel à des ressorts surnaturels. Il n’est pas évident (dans les deux sens du
terme) de déconstruire ce qui semble inexplicable. Mais cela ne rend pas pour autant tout
examen impossible. Nous pouvons faire valoir qu’Emile Durkheim, Max Weber et, plus tard,
Marcel Mauss se sont intéressés non seulement à la religion, mais aussi à la magie et à ses
rituels. Notre objet dans cette section sera de questionner les manifestations du caractère
magique de la voyance et la manière dont celles-ci peuvent gêner, ou au contraire, enrichir
notre analyse, en particulier grâce au traçage d’un lien avec la notion de charisme weberien.
Taper les mots clés “voyance” et “magie” sur un moteur de recherche majeur fait apparaître
près d’un demi-million de résultats. De nombreux sites font ainsi la promotion de services
variés qui incluent des rituels magiques comme des séances de voyance. Considérons la
description de trois des sites figurants parmi les cinq premiers résultats affichés (recherche
Google effectuée le 27/07/2015) :
www.voyancemagie.fr : “Rituels de magie très efficaces, voyance gratuite par email, tirages
de cartes et du yi-king gratuits, analyses numérologiques gratuites”
magie-voyance.info : “Rituels de magie blanche, magie noire, vaudou, voyance gratuite en
ligne pour résoudre vos problèmes.”
www.angelmavoyance.com/rituel-chance.php: “Découvrez gratuitement des rituels de
chance de magie blanche simple pour l'amour l'argent l'abondance sur angelma voyance en
ligne gratuite.”
Ces descriptions nous amènent à une double conclusion. D’abord la voyance et la magie
apparaissent comme étant liées car les pratiquants effectuent eux-mêmes un rapprochement à
la fois thématique et pratique (les services sont accessibles sur la même plateforme).
Cependant, ces mêmes pratiquants différencient, dans une certaine mesure, la voyance et la
magie : bien que ces services soient référencés sur un même site internet, ils constituent des
catégories distinctes, avec leur propres pages. Si l’on se fie à ce qu’annoncent ces sites
internet, une prestation de service en magie se différencie (par ses modalités, son
déroulement, sa qualification etc.) d’une prestation de service en voyance.
17
Capture d’écran du site www.voyancemagie.fr effectuée le 27/07/2015
Capture d’écran du site magie-voyance.info effectuée le 27/07/2015
Sur ces deux captures d’écran nous pouvons clairement constater que magie et voyance sont
traitées comme deux catégories distinctes25. Il semble donc que la voyance entretienne avec la
magie un lien ambigu que nous pouvons également observer dans les témoignages de voyants
que nous avons pu lire. En effet, ceux-ci semblent différencier voyance et magie, tout en
prenant leurs distances avec cette dernière.
Dans les 30 entretiens que nous avons étudiés et qui s'étendent sur une petite centaine de
pages, le mot magie n’est employé que quatre fois. De plus, seulement une personne (Marie
Damotte) l’invoque de manière à indiquer clairement qu’elle croit en son existence (“Autant
les bonnes ondes peuvent soigner, autant les mauvaises sont nuisibles pour la santé, elles
émanent souvent de travaux occultes (magie) sur une personne.”). Les autres fois où la magie
est évoquée c’est sans référence au surnaturel et afin de communiquer un enthousiasme: “Il y
a la magie de la consultation, c'est extraordinaire!” (Yann Lecoq) ou pour s’en distancier: “Je
refuse d'aborder les sujets de retours d’affection ou de pratiques occultes, et je ne pratique pas
la magie” (Chris Terret). Quant à Ambre Médium, elle déclare: “nous ne sommes pas des
magiciens capables de je ne sais quoi!” Une certaine défiance vis à vis de la magie semble
donc prévaloir chez les voyants interrogés.
Marie Damotte ainsi qu’une autre voyante, Cécile Medium, sont les deux seules personnes
interviewées pratiquant des rituels assimilables à de la magie: “Dans certains cas mes guides
m'autorisent à donner au consultant ce qu'il faut pour faire fuir ces entités malveillantes, en
général un certain type de prières accompagnées d'un rituel. C'est ce que je préfère !” (Cécile
25
Nous n’avons pas fait figurer de capture d’écran du site www.angelmavoyance.com/rituel-chance.php car
celui-ci ne comprend pas de catégories englobante “voyance” et “magie”, mais seulement une liste de services
répertoriant différentes prestations relevant tantôt de la voyance tantôt de la magie, ce qui, sans invalider notre
analyse, ne présente pas d'intérêt pour elle.
18
Médium); “C'est pourquoi il est parfois nécessaire de pratiquer le « dégagement » de certaines
maisons ou appartements qui sont imprégnés d'ondes négatives, d'esprits, d'âmes bloquées sur
un lien et qui ne sont pas montées au ciel. On me demande assez souvent ces interventions,
même de pays lointains comme le Japon ! Puisque la distance ne fait rien à
l'affaire...Cependant il m'est nécessaire de disposer de photos du lieu qui m'aident à localiser
le mal. Pour cette intervention je pratique un rituel personnel. Dans certains cas, rares
heureusement, cela peut aller jusqu'à l'exorcisme. J'interviens alors avec des prières.” (Marie
Damotte).
Nous pouvons remarquer une distanciation de la voyance vis à vis de la magie de la part des
voyants eux-mêmes. Mais cette différenciation donne lieu à un paradoxe: les voyants
semblent affirmer que leurs pratiques ne relèvent pas de la magie, pourtant ils prétendent
disposer d’un don de provenance mystérieuse (tous les voyants interrogés sans exception
mentionnent ce don).
Il semble donc que l’enseignement majeur de cette réflexion sur le rapport des voyants à la
magie est que “l’extraordinaire” n’est pas pour autant envisagé comme de la magie. Cette
dernière est une pratique restreinte qui possède ses propres codes. Si donc les voyants
semblent “flirter” avec l’occulte, il ne faut pas les confondre avec des sorciers 26 ou des mages.
Cependant, la revendication de pouvoirs sortant de l’ordinaire (en particulier la prescience ou
la communication avec les défunts) confère aux voyants un caractère sortant de l’ordinaire.
Les compétences qu’ils revendiquent n’ont pas fait l’objet d’explications scientifiques
satisfaisantes. Donc, que l’on concède ou non des capacités effectivement magiques aux
voyants, et malgré la distance qu’ils tentent eux-mêmes d’établir entre eux et la magie, ils
continuent de bénéficier/pâtir d’une aura magique.
La question de cette aura nous ouvre une porte théorique sur le thème du charisme weberien,
que nous allons à présent aborder.
b. Introduction à la notion de charisme wébérien
En conséquence de l’influence majeure que les écrits de Max Weber ont eu sur l’élaboration
de la sociologie moderne, nombre de ses concepts se sont insérés dans la panoplie du
sociologue contemporain et sont encore aujourd’hui considérés comme des références
26
Si l’œuvre de Jeanne Favret -Saada est donc extrêmement intéressante du point de vue de notre réflexion sur le
recours à l’occulte, il ne faut pas oublier que son objet d’étude : les sorciers, est différent du nôtre : les voyants.
19
théoriques incontournables. De par la nature des sujets traités, notre analyse semble donc
avoir tout intérêt à faire appel aux idées wébériennes. Cependant, en mobilisant Weber nous
commettons en vérité une double imprudence. D’une part nous nous risquons à aborder une
œuvre inachevée étant donné que l’ouvrage qui va retenir notre attention, Wirtschaft und
Gesellschaft (Economie et Société), a été publié à titre posthume à partir d’un manuscrit non
définitif. D’autre part, lorsqu’un sujet a donné naissance à autant de discours, le risque de se
perdre en digressions ou en polémiques est élevé. Il est donc nécessaire de prendre nos
distance vis à vis du “bric à brac” intellectuel enceignant les concepts de Weber pour nous
recentrer sur les écrits du sociologue et donc sur sa pensée telle qu’il a tenté de la
communiquer.
Le sociologue a établi deux définitions qui guideront notre analyse du charisme. Celui-ci est
d’abord définit ainsi: “Charisma soll eine außeralltäglich [...] geltende Qualität einer
Persönlichkeit heißen, um derentwillen sie als mit übernatürlichen oder übermenschlichen
oder mindestens spezifisch außeralltäglischen, nicht jedem andern zugänglichen Kräften oder
Eigenshcaften begabt oder gottgesendet oder als vorbildlich und deshalb als Führer gewertet
wird.”27 (en français le charisme est :“la croyance en la qualité extraordinaire […] d'un
personnage, qui est, pour ainsi dire, doué de forces ou de caractères surnaturels ou surhumains
ou tout au moins en dehors de la vie quotidienne, inaccessible au commun des mortels ; ou
encore qui est considéré comme envoyé par Dieu ou comme un exemple, et en conséquence
considéré comme un « chef »”28) Parallèlement, la domination (Herrschaft) charismatique fait
l’objet de la description suivante: “auf der außeralltäglichen Hingabe an die Heiligkeit oder
die Heldenkraft oder die Vorbildlichkeit einer Person und der durch sie offenbarten oder
geschaffenen Ordnungen.”29 (en français: "l'autorité fondée sur la grâce personnelle et
extraordinaire d'un individu [.] elle se caractérise par le dévouement tout personnel des sujets
à la cause d'un homme et par leur confiance en sa seule personne en tant qu'elle se singularise
par des qualités prodigieuses, par l'héroïsme ou d'autres particularités exemplaires qui font le
chef"30).
A partir de ces définitions, nous pouvons énoncer plusieurs observations. Tout d’abord, nous
ne pouvons faire autrement que de constater la charge religieuse/magique de la définition du
charisme (qui s’explique en partie du fait que Weber ai absorbé la notion du charisme telle
27
Weber Max, WuG: Soziologie, MWS I/23, S.1
Weber Max, Économie et société, Paris, Plon (trad. sous la dir. de J. Chavez & G. de Dampierre), 1971
29
Weber Max, WuG: Soziologie,MWS I/23, S.1
30
Weber Max, Économie et société, Paris, Plon (trad. sous la dir. de J. Chavez & G. de Dampierre), 1971
28
20
qu’elle a été développée par l’historien religieux Rudolph Sohm, qui a étudié la notion de
charisme dans la chrétienté). Elle emprunte plusieurs termes au domaine de la religion, voire
de la magie: “extraordinaire” “surnaturel”, “mortels”, “Dieu”, ce qui lui confère une forte
charge métaphysique. En comparaison, la description de la domination puise moins dans les
vocabulaires religieux et magique, mais le mot de “grâce” est significatif (notons qu’il est
utilisé pour traduire le mot “heiligkeit” qui, en allemand, signifie littéralement “le sacré” ou
“la sainteté”). Ce terme de “grâce” ou de “sacré” semble donc attester le caractère
fondamentalement religieux du charisme weberien, d’autant plus que les modalités du
dévouement au leader paraissent tout à fait pouvoir s’appliquer à des formes de dévotion à
caractère religieux, même s’il s’agit d’une religion dévoyée.
Cette observation nous amène à considérer la figure du prophète conceptualisée par Weber. Il
ne faut pas oublier que Weber dessine plusieurs types de charisme31 qui lui permettent
d’observer différentes formes d’expression de la domination charismatique. Il distingue
notamment trois fameux types de figures charismatiques: les berserkers, les chamans et les
prophètes. Le premier type se distingue par des traits guerriers et est caractéristique d’un
charisme politique, par opposition au charisme religieux définissant les deux autres. Bien que
les chamanes présentent des attributs intéressants pour notre analyse, notamment du fait de
leur capacité à entrer en transe, nous avons choisi de nous focaliser sur la figure du prophète
qui possède le double avantage de se rapprocher le plus de notre sujet et d’avoir fait l’objet
d’une description plus avancée de la part de Weber comme de ses successeurs.
Weber définit le prophète ainsi: “Wir wollen hier unter einem Prophet verstehen einen rein
persönlichen Charismaträger, der Kraft seiner Mission eine religiöse Lehrer oder einen
göttlichen Befehl verkündert.”32 (en français le prophète est: “porteur de charismes purement
personnels qui, en vertu de sa mission proclame une doctrine religieuse ou un commandement
divin”33). Cette définition minimale peut être enrichie par la définition de Len Oakes (bien
qu’il soit prudent de préciser que ce dernier n’est pas un sociologue, mais un psychologue, ce
qui témoigne du potentiel transdisciplinaire des concepts de Weber): “a prophet is defined as
one who: a. espouses a message of salvation that is opposed to conventional values, and: b.
attracts a following of people who look to him for guidance in their daily lives."34 (“un
31
Dericquebourg Regis, « Max Weber et les charismes spécifiques », Archives de sciences sociales des religions
[En ligne], 137 | janvier - mars 2007, mis en ligne le 05 juin 2010
32
Weber Max, WuG: Soziologie,MWS I/23, S.1
33
Weber Max, Économie et société, Paris, Plon (trad. sous la dir. de J. Chavez & G. de Dampierre), 1971
34
Oakes, Len. Prophetic Charisma: The Psychology of Revolutionary Religious Personalities, Syracuse, NY:
Syracuse University Press, 1997.
21
prophète se définit comme un individu qui: a. adhère à un discours de salvation opposé aux
valeurs conventionnelles, et b. attire à sa suite des personnes comptant sur lui pour les guider
dans leur vie quotidienne”). Cette définition a l’avantage d’embrasser un point de vue plus
dynamique tout en soulignant la nécessité de la prise en compte, dans l’analyse, de la présence
de disciples. En effet, Weber souligne l’importance du rôle joué par les adeptes dans
l’exercice d’une domination charismatique: elle existe par eux. Selon le sociologue JeanMartin Ouedraogo, le charisme weberien serait avant tout un “phénomène relationnel” 35 qui
“n’existe que lorsque le charisme est reconnu”36. La question des rapports personnels est
centrale à l’exercice du charisme weberien. Ainsi le spécialiste Américain de Max Weber
Christopher Adair Toteff écrit: “What he [Weber] is concerned with is emphasizing the
personal, and he contrast the personal of the prophet with the office of the priest. The priest
offers salvation by virtue of his office; the prophet by virtue of his personal charisma.” 37 (“Ce
qui lui [Weber] importe c’est d’accentuer le personnel, il oppose le personnel du prophète à
l’office du prêtre. Le prêtre offre la salvation par son office, le prophète par son charisme
personnel.”) Cette dimension relationnelle nuance l’aspect “donné” du charisme en
introduisant un caractère subjectif qui nous amènera à nous interroger sur les interactions
personnelles entre prophètes et disciples, ou selon notre analogie, entre voyants et consultants.
Enfin, prenons nos distances (pour un instant seulement) avec la conception des prophètes
selon Weber. Il est intéressant de noter qu’une définition “générique” (donc ni sociologique,
ni psychologique) du prophète le présente comme une personne “qui est l'interprète d'une
divinité, et dont les révélations concernent le plus souvent l'avenir”38. Outre la référence
renouvelée à la religion, cette dernière partie est particulièrement intéressante dans le sens où
elle nous permet de tracer un lien évident entre prophètes et voyants à travers l’évocation du
don de prescience.
Au regard des observations que nous avons faites, il semble donc légitime de se demander si
les voyants doivent leur ascendance à la reconnaissance d’une dotation charismatique et si
l’usage qu’ils font de ce charisme les assimile à des figures prophétiques.
35
Ouedraogo Jean-Martin, « La Réception de la sociologie du charisme de Max Weber / The Acceptance of Max
Weber 's Sociology of Charism. » In: Archives de sciences sociales des religions. N. 83, 1993. pp. 141-157.
36
Ibid
37
Adair-Toteff Christopher, “Max Weber’s charismatic prophets” - History of Human Sciences 2014, Vol. 27
(1) 3-20
38
Dictionnaire
de
l'Académie
Française
http://atilf.atilf.fr/dendien/scripts/generic/cherche.exe?15;s=4177966920;;
22
2. Des juxtapositions hypothétiquement révélatrices de la présence d’un
élément charismatique dans l’autorité du voyant
A présent que nous avons exposé la conception weberienne du charisme, nous allons nous
adonner à un exercice de superposition de deux de ses aspects centraux avec les
manifestations
de l’ascendance du voyant. Il est à noter cependant que ces
caractéristiques ne sont pas saillantes tant en raison du traitement de son propre concept par
Weber que du fait de l’analyse qu’en ont fourni nombre de ces successeurs. C’est donc grâce
à la lecture de divers auteurs que nous sommes parvenus à délimiter les deux éléments
suivants: la nature révolutionnaire du charisme (a) et sa substance religieuse (b).
a. Un principe révolutionnaire
Le concept de révolution charismatique a donné lieu à de très nombreux commentaires et
d’analyses portant notamment sur des exemples de chefs charismatiques. Cependant, tout
comme nous avons pris nos distances avec la figure charismatique du Berserker ou du
Kriegsheld, nous écarterons la conception politique de la révolution charismatique de notre
réflexion. Plutôt que d’envisager la révolution comme un changement de régime politique,
nous nous intéresserons à la signification générique du terme: un changement absolu
supposant un nouvel état des choses. Cette acceptation nous procure une grande liberté car
elle est transposable dans de multiples contextes. Mais seulement deux niveaux retiendront
véritablement notre attention: le social et l’individuel.
Weber écrit: “Das Charisma ist die Große revolutionäre Macht in traditional gebundenen
Epochen.” et poursuit “durch Intellektualisierung, kann Charisma eine Umformung von innen
her sein, die, aus Not oder Begeisterung geboren, eine Wandlung der zentralen Gesinnungsund Tatenrichtung unter völliger Neuorientierung aller Einstellungen zu allen einzelnen
Lebensformen und zur “Welt” überhaupt bedeutet.”39 Nous pouvons proposer la traduction
suivante de cet extrait: “Le charisme est la force révolutionnaire majeure des époques
caractérisées par un lien traditionnel [...] à travers un processus d’intellectualisation, le
charisme peut agir comme une transformation de l’intérieur qui, née par besoin ou par
conviction, signifie un changement dans les mentalités et la direction des actions accompagné
d’une absolue réorientation de la totalité des dispositions portants sur chaque aspect de la vie
39
Weber Max, WuG: Soziologie,MWS I/23, S.1
23
ainsi que sur le “monde” lui-même.”. Dans son commentaire de ce passage der “Die drei
reinen Typen der legitimen Herrschaft”, l’historien Wolfgang Mommsen emploi, afin de
décrire le processus révolutionnaire du charisme, le mot de “métanoïa”40 qui signifie un
changement fondamental de la pensée. Le charisme semble donc nous confronter à une
mutation des mentalités individuelles ayant vocation à entraîner des transformations
collectives41. Weber lui-même nous permet de tracer un trait d’union entre individuel et
collectif ou social.
A partir de ce que nous avons appris de la “métanoïa” charismatique nous pouvons nous
demander en quoi elle s’apparente au rapport des voyants au monde et à leurs consultants. A
première vue, la voyance apparaît comme un phénomène atypique. Mais est-elle pour autant
un phénomène révolutionnaire? Suivons l’exemple de Weber et concentrons-nous sur la
mentalité des pratiquants de la voyance plutôt que sur les conséquences avérées ou supputées
de leurs actions. Pour ce faire, nous pouvons étudier le discours de voyants, pour tenter de
déterminer s’ils ont tendance à prétendre que l’art qu’ils pratiquent a des propriétés
transformatives radicales. Nous observons que certaines déclarations semblent aller dans ce
sens:
Yann Lecoq évoque une forme de dépassement absolue en parlant de “Faire voyager des
personnes au-delà de leurs frontières et leurs re-distribuer les repères afin qu'il se ré approprie
et se partage mieux pour l'autre.”
Ambre médium et Ivana Glavic appellent respectivement à des mutations de grande ampleur :
“Je suis pour une transformation positive d'amour et de tolérance, dans ce monde dans lequel
nous vivons.” ; “Je pense que nous devrions avoir plutôt, une pensée collective positive afin
d’améliorer notre planète, voilà mon avis.”
Monsieur Olivier Médium remet ouvertement en question un élément extrêmement tangible
de notre existence: “Dans les consultations, le temps n'existe pas.”
40
“A partir de l'intérieur « d'une 'métanoia' centrale de la conviction des sujets », le charisme manifeste « sa
force révolutionnaire ». Il s'oppose nettement à tous les systèmes bureaucratiques et traditionnels, qu'il détruit en
général implacablement quand il ne peut pas les contraindre à le servir.” Mommsen Wolfgang, ”La sociologie
politique de Max Weber et sa philosophie de l'histoire universelle” Revue internationale des sciences sociales
Volume XVII - 1965
41
Nous noterons encore une fois que Weber accorde un grand poids aux représentations individuelles dont il
penserait qu’elles sont le principal moteur de structuration sociale: “ La préoccupation centrale de Weber, c’est
de définir les règles d’engendrement des formes possibles de sociabilité en partant des représentations des
acteurs, de leur calcul impératif.” Favret-Saada J.,1994, “Weber, les émotions et la religion”, Terrain, numéro
22, pp 93-108.
24
Nous pouvons donc observer une tendance tout à fait intéressante des voyants à attribuer à
leur art un pouvoir transformateur particulièrement puissant, voire total et donc
révolutionnaire. Cependant, cette aspiration ne se retrouve pas chez tous les voyants. Nous
voyons se dessiner grossièrement deux catégories. La première comprend des voyants qui
adoptent un discours que nous qualifierons d'enthousiaste et par lequel la voyance apparaît
comme la manifestation d’une puissance capable de bouleverser l’individu, voire le monde.
La seconde comprend des voyants aux prétentions plus limitées pour qui il existe un ordre sur
lequel ils n’ont pas prise et ce, malgré leur don exceptionnel. Ce point de vue s’illustre
notamment dans les propos de Réha: “on ne peut pas changer ce qui nous entoure mais
seulement la vision qu'on en a. Je citerais volontiers cette belle phrase « On ne peut pas
changer la face du monde mais on peut changer le cap de son bateau. » C'est une image très
parlante qui laisse à la personne son libre-arbitre. Par exemple si l'on a connaissance d'un
événement prédit en voyance on peut freiner ou accélérer sa réalisation par l'attitude que l'on
adoptera.”. Malgré son penchant pour les rituels magiques, Maire Damotte fait elle aussi
preuve d’une certaine retenue quant aux pouvoirs transformateurs de la voyance: “En
définitive le voyant donne l'information qu'il reçoit, il fait un « état des lieux » de la vie du
consultant mais celui-ci conserve son libre arbitre, à lui d'utiliser cette information de façon
constructive et aidante pour évoluer dans sa vie.”.
Ce type de discours minimisant le pouvoir de la voyance tout en mettant l’accent sur
l’autonomie des consultants est courant parmi les voyants étudiés et reflète une certaine
relativisation de leurs capacités. Les voyants semblent croire en un ordre supérieur (qu’ils
désignent en général comme “le destin”42) auquel ils auraient un accès privilégié, mais sans
pour autant pouvoir l’influencer de quelque manière que ce soit. Ce positionnement entraîne
une certaine mise à distance des propriétés révolutionnaires du charisme weberien.
A présent que nous avons établi -sous réserves- le potentiel révolutionnaire de la voyance,
intéressons-nous à une autre caractéristique qu’elle pourrait avoir en commun avec le
charisme weberien : une qualité religieuse.
b. Un phénomène à substance religieuse
Nous avons pu, au cours de notre analyse, constater la charge religieuse du charisme
weberien. Cette observation nous amène à nous demander où se situe la voyance par rapport à
42
Le mot « destin » apparait à cinquante reprises dans nos interviews de voyants.
25
la religion. Deux interrogations majeures se posent à nous qui sont en réalité les deux faces
d’une même problématique. La voyance existe-t-elle dans une sorte de continuum religieux,
c’est à dire: entretient-elle un lien significatif avec des religions préexistantes? Ou, au
contraire, marque-t-elle une rupture dans le sens où nous pouvons l’envisager comme étant sa
propre religion? Pour répondre à ces deux questions, nous nous appuierons une fois de plus
sur les propos de nos potentiels porteurs de charisme weberien: les voyants
La thèse d’un continuum entre voyance et religion, en particulier catholique semble justifiée
par le langage employé par les voyants. Les références à Dieu sont nombreuses (précisons
qu’il s’agit bien de “Dieu”, au singulier, avec une majuscule et non précédé d’un article).
Elles semblent d’abord faire partie du vocabulaire courant des voyants qui emploient des
expressions telles que “ne [...] pas se prendre pour Dieu” (Bérengére Lecoq), “parler à Dieu
plutôt qu'à ses saints” (Laurence Larzul) ou “Dieu merci” (Ivana Glavic). Ces expressions
semblent indiquer que les voyants interrogés sont issus d’un milieu de culture judéochrétienne.
Cet héritage religieux n’explique pas seulement l’origine de certains résidus langagiers, il
semble jouer un rôle majeur dans la construction d’une pensée spirituelle. Ainsi, les propos de
certains voyants indiquent qu’ils adhérent à des croyances de type judéo-chrétien. Ils font
notamment explicitement référence à une puissance supérieure désignée comme “Dieu” ou “le
ciel”: “Dieu est la pour chacun et n'a pas besoin d'argent pour nous protéger mais simplement
de confiance.” (Barbara Dorveaux), “la voyance est pour moi une véritable passion, un cadeau
de Dieu”, “Bien sur je n’annonce pas la mort , par conviction personnelle , je considère qu'il
n'y a que Dieu qui décide et connait la date.” (Soraya). “Pour moi ce métier comme vous
dites est avant tout un don du ciel.” (Ambre), “Je remercie le ciel tous les jours de pouvoir
exercer ce métier merveilleux c'est une énorme chance de la vie.” (Océane), “ce don que le
ciel m'a donné j'espère le garder longtemps” (Jade).
Nous pouvons également observer des références à la prière: “D'ailleurs un véritable
envoûtement est très rare et dans ce cas-là, il n'y a que l'emploi d'une prière que l'on trouve
dans la bible, le psaume 32 qui est un des plus efficaces contre ce genre de pratique.” (Barbara
Dorveaux) ; “Dans certains cas, rares heureusement, cela peut aller jusqu'à l'exorcisme.
J'interviens alors avec des prières.”(Marie Damotte) “Le seul remède est alors la prière, les
protections, la purification.” (Cecile Médium).
26
Il est toutefois intéressant de noter que cet usage de la prière est atypique puisqu’associé à une
entreprise de désenvoutement, une pratique largement réprouvée par les religions chrétiennes
et judaïques (avec éventuellement l’exception de la Kabbale). Néanmoins, le fait que les
voyants adaptent les fondements de leurs croyances religieuses traditionnelles à leur pratique
de la voyance est en lui-même révélateur de leur attachement à ces croyances. L’ajustement
de la foi aux sensibilités et convictions personnelles est une pratique courante chez les
croyants. Les voyants n’en ont pas le monopole. Il semble donc que si nous ne pouvons pas
assurer que les voyants se conforment parfaitement aux canons d’une Église, ils restent,
probablement du fait de leur socialisation, profondément influencés par une certaine tradition
religieuse.
A présent que nous avons pu constater que, dans une certaine mesure, la tradition religieuse
judéo-chrétienne (et probablement en particulier catholique) avait un impact sur les modes de
pensée et donc la pratique des voyants nous allons nous intéresser au potentiel religieux
propre à la voyance. Plus spécifiquement, nous allons nous demander si les voyants
revendiquent une religiosité propre à leur pratique et signifiant une rupture avec la coutume.
La première question qui se pose à nous est: la voyance est-elle sa propre religion? Ou, du
moins: est-elle vécue comme sa propre religion? Nous ne pouvons malheureusement pas, pour
répondre à ces interrogations, nous appuyer sur une définition weberienne de la religion, car il
n’en existe pas.43 En revanche, nous pouvons mobiliser la définition élaborée par Georg
Simmel: “La religion est seulement l’attitude subjective de l’homme…: elle est tout entière
une façon humaine de sentir, de croire, d’agir, et peu importe le terme par lequel tour à tour
on désignera la fonction qui, se développant exclusivement chez l’homme, constitue ou
exprime sa part à la relation à Dieu. La seule chose qui nous soit donnée comme fait premier
et assuré, c’est encore ici certains états ou évènements en notre âme, que nous désignons, dans
la mesure où nous les appelons religion, comme le coté immanent à nous d’une relation à un
principe supérieur.”44
Cette définition a pour particularité d'être particulièrement ouverte. Simmel n'emploie jamais
le mot d’”église”. En revanche, tout comme Weber, il se focalise sur le ressenti des personnes
(“façon humaine de sentir, de croire”, “certains états ou évènements en notre âme”) et la
manière dont ce ressenti impacte les représentations (“que nous désignons, dans la mesure où
43
“Max Weber a refusé, on le sait, de donner une définition de la notion de religion” Tyrell Hartmann “Religion
et politique - Max Weber et Émile Durkheim” Trivium 13, 2013 Textes traduits en français, mis en ligne le 28
février 2013
44
Simmel Georg, « La Religion du point de vue de la théorie de la connaissance », 1er Congrès International de
Philosophie, Paris, T. II, Morale Générale. A. Colin, 1903
27
nous les appelons religion…”). La question qui se pose est donc de savoir si la voyance
suscite un sentiment religieux.
Il semblerait que cela soit en effet le cas. Si la voyance n’est pas une religion, nous pouvons
avancer que, de par la portée spirituelle qu’elle a auprès de ses pratiquants, elle présente une
certaine forme de religiosité. Le sentiment religieux émerge de la portée transcendante que les
pratiquants attribuent à la voyance.
Ces réflexions nous rappellent à la problématique de la figure prophétique. Nous avons pu
constater que le charisme weberien avait une charge religieuse particulière lorsqu’il se
manifestait à travers les prophètes. Comme nous l’avons observé plus haut, ces prophètes
incarnent une forme de religion que nous pouvons qualifier de “dévoyée”. En effet, nous
avons pu constater que le prophète plutôt que de représenter une église semblait porter le
religieux en lui à travers une communication directe avec le divin, communication dont il fait
ensuite bénéficier ses adeptes grâce à un rapport personnel intense voire fusionnel. Ce
phénomène prophétique semble faire écho aux propos de certains voyants.
D’abord, s’ils n’emploient pas le mot de prophète, ils ont tendance à se présenter comme des
guides (“Une image me vient : celle du phare qui guide les bateaux, la lumière dans le noir qui
montre la route, qui vous dit « c'est par là »”, réponse de Cécile Medium à la question:
“Comment considérez-vous votre rôle de voyante ?”), des transmetteurs (Je suis un
transmetteur, je reçois donc les informations comme un poste de radio branché”, Estelle Des
Enclos) ou encore des messagers (“Au bout d’un moment, les défunts m’apparaissent :
quelquefois, il s’agit juste une ombre et d’autres fois, de façon très nette. Ils viennent pour
délivrer un message les concernant ou pour l’avenir de la personne qui consulte.”, David de
Castaing). Ensuite, ils revendiquent souvent un rapport d’une intimité particulière avec leur
consultant. Les voyants requérant un accès “total” à une personne, parlant de “ressenti” (ce
nom ainsi que le verbe ”ressentir” apparaissent soixante fois dans notre corpus d’interviews)
face à un consultant qui leur permet d’accéder à des sphères spirituelles normalement
insondables et ainsi de percevoir des vérités inabordables par les consultants. Ceux-ci n’ont
donc pas d’autre recours que le voyant en qui ils doivent avoir une confiance totale.
Les voyants semblent donc posséder des qualités prophétiques essentielles. Il s’agit d’une part
de leur capacité à attirer des suiveurs chez qui ils suscitent l’admiration (voire une déférence
28
religieuse) et avec lesquels ils entretiennent un rapport très personnel45 et, d’autre part, de leur
fonction de guide justifiée par la possession d’un don d’origine mystérieuse mais
potentiellement divine46.
La perspective du charisme weberien nous a permis de dresser des parallèles instructifs entre
voyants et figures prophétiques. Bien que nous ne puissions toujours pas affirmer que ceux-ci
soient équivalents en substance, cette mise en perspective nous a permis de mieux saisir à la
fois la manière dont les voyants se perçoivent et l’ascendance qu’ils exercent sur leurs
consultants. Il est toutefois une problématique centrale au charisme weberien que nous
n’avons pas encore évoquée. Il s’agit de la quotidianisation du charisme. En effet, une des
caractéristiques essentielles du charisme wébérien est son instabilité47, ce qui a amené le
sociologue à problématiser les méthodes employées pour pérenniser une autorité
charismatique48. Pareillement, les voyants sont soumis à des pressions remettant en question
les fondements de leur autorité. Cette pression prend une forme manifeste dans la remise en
question de leur don et donc du bien-fondé de leur activité. Face à ces attaques, les voyants
doivent diversifier leurs sources de légitimité pour consolider durablement leur position.
Comme nous le verrons, une de leurs stratégies consiste à se distancier des références au
surnaturel pour revendiquer un attachement à la réalité et se présenter comme des acteurs
rationnels.
45
“A relationship of symbiosis or codependence, perhaps even of mutual exploitation, is set up. [...] The
followers are attempting to live their ultimate concerns, to enter into an active, personal relationship with these
concerns in daily life. For myriad reasons, life has led them to a point where they need to measure their self
against a present God in all His immediacy, not an abstraction or mere routinized charisma. For the passionate
seeker, nothing short of a personal encounter with a great truth seems to satisfy.” Oakes, Len. Prophetic
Charisma: The Psychology of Revolutionary Religious Personalities, Syracuse, NY: Syracuse University Press,
1997
46
“Charsima, for Sohm, is the special, “personally” God-given gift or grace (Sohm, 1892:6, 54)” [...] “These
individuals were singled out and were given the special gift of being able to have an exchange with an “invisible
world” (Duhm, 1916:82, 91). It was as if they had to natures: one which could see the things that normal people
could and another nature in which they could see God (Marti, 1900:164, 167; Gunkel, 1913:1869; Gunkel 1915:
xxii).” Adair-Toteff´ Christopher, “Max Weber’s charismatic prophets” - History of Human Sciences 2014, Vol.
27 (1) 3-20
47
« So muß die charismatische Herrschaft, die sozusagen nur in statu nascendi in idealtypischer Reinheit
bestand, ihren Charakter wesentlich ändern sie wird traditionalisiert oder rationalisiert (legalisiert) oder beides in
verschiedenen Hinsichten. » Weber Max, WuG: Soziologie,MWS I/23, S.1
48
“Weber lie toujours au charisme un autre concept, celui de la Veralltäglichung, la « quotidianisation » (et non
la « routinisation », comme le disent certaines traductions françaises et italiennes à la suite de celle faite par
Talcott Parsons) : dès que le charisme aspire à la durée, il se trouve exposé aux conditions du quotidien et aux
pouvoirs qui dominent celui-ci, surtout aux intérêts économiques.”[...] “Weber considérait comme le problème
principal de la « quotidianisation » du charisme dans les sociétés modernes le passage de la direction et des
principes administratifs charismatiques à la direction et aux principes administratifs quotidiens (É&S, I, 334),
(« Übergang von den charismatischen Verwaltungsstäben und Verwaltungsprinzipien zu den alltäglichen »
(1976, p. 147)), et jugeait comme peu probable que les appareils et structures des bureaucraties étatiques ne
finissent par s'imposer, face aux mouvements charismatiques.“ Bruhns Hinnerk, « Le charisme en politique :
idée séduisante ou concept pertinent ? », Les Cahiers du Centre de Recherches Historiques, 24 | 2000, mis en
ligne le 16 janvier 2009
29
B. Une normalisation de l’activité du voyant
Cette section marque un certain éloignement de notre analyse vis à vis de la théorie au profit
d’une étude de terrain. Nous garderons à l’esprit les enseignements des sociologues qui ont
étançonné la première portion de notre travail tandis que nous nous pencherons sur les
discours produits par nos sujets eux-mêmes: les pratiquants de la voyance. Nous
commencerons par nous intéresser à la notion de normalisation dont nous adopterons une
conception dynamique: “Action de rendre normal, de rétablir dans une situation conforme aux
règles habituelles”49. Néanmoins, définir une expression par le biais d'un dérivé étant loin
d'être satisfaisant, nous définirons également le terme de “normal” de la manière suivante:
“Qui est conforme au plus habituel, qui ne surprend ni dans un sens ni dans un autre.” Nous
pouvons noter que cette définition ne se réfère pas à la notion durkheimienne de norme mais,
au contraire, adopte un point de vue que nous pouvons qualifier de “naïf”. Ce qui pourrait
sembler être une concession faite au sens commun est en réalité un choix délibéré de notre
part car cette référence à “ce qui surprend” donne à voir le fondement même du travail
intellectuel: la recherche de sens face à ce qui, dans un premier temps, déstabilise et interroge.
Ainsi, confronté à un sujet aussi déconcertant que la voyance, nous nous intéresserons à des
aspects tangibles de sa pratique (1).
Ensuite, nous nous pencherons sur le processus de rationalisation de la voyance. L'étymologie
de ce terme renferme le concept de “raison”, qui, elle-même renvoie aux notions de pensée,
d’intellect. Nous verrons donc que l’acte de rationalisation de la voyance repose en grande
partie sur une intellectualisation dont l’étude est d’autant plus stimulante qu’elle n’est pas
structurée (ses auteurs sont divers et non coordonnés) et qu’elle ne repose pas solidement sur
des bases préexistantes, ce qui lui donne un caractère à la fois flottant et novateur (2).
1. Des voyants ancrés dans le réel
Notre exploration des manifestations tangibles de l’activité des pratiquants de la voyance
s’attardera dans un premier temps sur le “métier” de voyant (de manière tout à fait instructive,
49
Cf. : Dictionnaire Larousse en ligne
http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/normal/54992?q=normal#54611
30
nous apprendrons que ce terme de “métier” est lui-même très souvent employé par les voyants
eux-mêmes). Nous observerons ainsi que les voyants structurent leur activité professionnelle
de manière très rationnelle (a) et que celle-ci les confronte à des préoccupations qui le sont
tout autant (b).
a. Une activité professionnelle tangible
Dans l’ensemble des interviews le terme “professionnel” et ses dérivés apparaissent une
trentaine de fois tandis que le mot “métier” est employé à cinquante reprises.
L’adjectif “professionnel” est largement mobilisé par les intervieweurs (que nous pouvons
désigner comme étant des pratiquants de la voyance au sens large étant donné qu’ils
collaborent à des médias spécialisés) et par les voyants eux-mêmes pour qualifier leur
l’activité. Le Guide Voyance Capa demande ainsi à Pascal: “A quel moment et pourquoi
avez-vous choisi de pratiquer la voyance en professionnel ?” et “Quels conseils donneriezvous à de futurs professionnels ?”. Stefy explique: “J’ai débuté professionnellement en tant
que médium sur un petit réseau audiotel”. Quant à Chris Terret, elle insiste: “je n ‘ai jamais
voulu encaisser de l ‘argent tant que je n ‘étais pas officiellement professionnelle”.
Quant au terme de “métier”, il est très largement revendiqué par les voyants.50 A la question
“Quel sont vos projets, vos souhaits?”, Barbara Dorveaux répond: “De continuer à effectuer
mon métier comme je le fais à présent”, de son coté, Pascal argue: “Il faut vraiment savoir si
on veut en (la voyance) faire un métier ou une activité secondaire.” Enfin, faisant part des
difficultés qu’elle a rencontré sur son parcours, Réha déclare: “Mais il est vrai qu'au départ je
ne pensais pas faire de la voyance un métier car ma famille ne le favorisait pas.”
Cet emploi des expressions “métier” et “profession” sont appuyées par de nombreuses
références aux modalités d’exercice de la pratique professionnelle de la voyance. Chaque
voyant interviewé communique des détails pratiques concernant ses prestations de services.
Certes cette évocation systématique est provoquée par les questions de l’interviewer (ce qui
50
Seule Cécile le rejette lorsque son intervieweur l’emploie “Pour moi ce métier comme vous dites est avant tout
un don du ciel et cela beaucoup de médiums ont tendance à l'oublier.” “Etre médium ce n'est pas un métier pour
moi mais un don je le répète et on ne choisit pas cela s'impose à nous meme”. Notons cependant que devant
l’insistance de son interviewer elle finit cependant pas l’employer: “Les points négatifs à exercer ce métier
seraient pour moi, d'être confrontée chaque jour à la misère et la méchanceté humaine”, “Le secret de la réussite
dans ce métier, je pense en toute franchise qu'il n'en n'existe pas, mais qu'il faut plutot de réelles valeurs.”
31
semble indiquer que les interviews sont destinées à un public consommateur de voyance51),
néanmoins, il est intéressant de noter que les voyants répondent systématiquement aux
questions portant sur ces sujets. L’abondance et la précision des détails qu’ils fournissent
témoignent de l’expérience dont ils disposent en termes d’élaboration de règles touchant à la
pratique professionnelle de leur art. Les voyants évoquent notablement la fixation de leurs
tarifs: “mes tarifs sont de 55 euros et n’ont pas varié en quinze ans car certaines personnes ont
peu de moyens” (Francis), “celle ci (la consultation) est de 40 euros. ” (Didier Beltran). La
durée des consultations est extrêmement régulée: “mes consultations dure entre 15 minutes
pour une question a 1H pour une consultation complète.” (Lionel Roggia), “Je propose des
consultations de voyance par téléphone d’une heure, 30 min ou 20 min. (Steffy), “Mes
consultations se font essentiellement avec le support du Tarot de Mle Lenormand et/ou du
Marc de Café et durent de 30 min à 1h15 tout dépend du nombre de questions posées et du ou
des supports demandés. Par téléphone, je peux proposer des consultations de 10 minutes (pour
une question ou un sujet, pas besoin de plus de temps) ou 20 à 30 min voir 1h pour une
consultation complète.” (Sylvie Cariou).
Souvent le temps même de ces consultations est strictement ordonné: “- Pouvez-vous nous
expliquer comment se passe une consultation ? - Elle se passe simplement en prenant 5
minutes pour faire connaissance, ce qui est très important, je ne demande au début pas de
précisions , sauf l’âge, je fais des tirages d‘introductions me permettant de situer son état d
‘esprit , ses soucis, et ce qui s ‘est passé l ‘année ou les mois précédents, , si tout démarre
bien nous poursuivons, nous passons au développement et aux questions, consultation qui
dure environ une heure à une heure 15 pour une première consultation.” (Chris Terret), “Dans
un premier temps et dans les premières minutes, je fais connaissance avec le consultant, par
téléphone à l'aide son prénom, et sa date de naissance que j'écris sur un papier ce qui m’aide à
capter sa personnalité ainsi que des éléments le concernant, puis je vais aborder tous les
domaines de sa vie c'est à dire amour, travail, famille, finances. Le dernier quart d’heure, je
réponds aux questions du consultant.” (Soraya)
De nombreux autres éléments, que nous pouvons évoquer brièvement, font l’objet d’une
régulation.
Il s’agit par exemple des informations requises de la part du consultant: “En général je
demande le prénom et la date de naissance du consultant” (Bérengère Lecoq), “Au départ je
51
Nous nous intéresserons aux questions touchant aux médias de la voyance dans la partie II-B-2 de notre
travail.
32
ne demande que le prénom pour ne pas être influencé par d’autres renseignements concernant
mon consultant.” (Francis), “je recommande à mes clients de m'envoyer une photographie”
(Barbara Dorveaux) “Je demande au consultant son prénom, son signe zodiacal et son âge,
une photo n'est pas nécessaire.” (Marie Damotte).
Les supports utilisés sont aussi réfléchis: “la voix est un support exceptionnel par rapport au
physique qui peut nous influencer par l'impression qu'il produit.” (Bérengère Lecoq), “Je me
sers habituellement des cartes mais je complète mes perceptions par le marc de café.”
(Sevasty), “J'ai plusieurs supports de grande qualité et très fiables. J'utilise la numérologie,
très intéressante pour étudier le chemin de vie de chaque personne, avec les principaux traits
de caractère. La nombrologie est la synthèse de plusieurs approches ésotériques permettant,
par le symbolisme, de plonger dans les couches profondes de l’inconscient et d'agir sur le
quotidien immédiat. Le tarot de Marseille est appréciable pour les questions concernant le
domaine affectif. Je n'ai pas de support préféré, car ils sont d'une certaine manière,
complémentaires.” (Sylvarine).
Enfin, le médium à travers lequel la consultation a lieu est un élément crucial pour le voyant:
“Je pratique la voyance par mail et au cabinet. Je ne suis pas voyante auditive [raison pour
laquelle elle ne pratique pas la voyance par téléphone].” (Sylvarine), “Je consulte par
téléphone, par email, skype et MP avec un support mais pour une première consultation je
préfère entendre ou voir la personne” (Océane) “on peut me consulter par téléphone et on
pourra bientôt m’appeler en direct sur la nouvelle chaîne Ma Chaîne Voyance.” (David de
Castaing)
Il ressort donc ces propos que la voyance est envisagée comme une activité professionnelle
comme une autre (“nous sommes de vrais professionnels”, Soraya)
dont la principale
particularité est qu’elle suppose une grande autonomie et que ceux qui l’exercent peuvent en
fixer les modalités.
Les pratiquants de la voyance ont également organisé une régulation morale de leur art.
L’Institut National des Arts Divinatoires a en effet rédigé une Charte de déontologie
consultable par tous sur son site internet52. Ses objectifs sont décrits dans son préambule :
“Afin de moraliser la Profession des arts Divinatoires, éviter les dérives multiples qui
découlent de ces pratiques où n'importe qui peut devenir du jour au lendemain médium,
voyant, astrologue, mage, sorcier..., l'Institut National des Arts Divinatoires (INAD), qui est
52
http://inad.info/documents/charte-de-deontologie
33
une association d'information, de prévention et de protection contre les Abus et les Excès de
la profession, propose, à l'intention des praticiens désirant instaurer des rapports satisfaisants
avec les consultants et dans l'intérêt de tous, cette Charte Morale et Professionnelle.”
Les termes de ce préambule mettent l’accent sur les risques liés à une mauvaise pratique de la
voyance: “afin de moraliser la profession”, “éviter les dérives”, “de prévention et de
protection contre les Abus et les Excès”. Il est donc intéressant de constater que pour les
pratiquants de la voyance il y a une bonne et une mauvaise manière d’exercer la voyance, les
voyants tombant dans la deuxième catégorie perdant aux yeux de leurs pairs leur
respectabilité de professionnels pour devenir des “charlatans” (Sevasty, Reynald, Soraya) ou
des “escrocs” (Barbara Dorveaux,). Cette différenciation nous conduit à dresser un double
constat: les voyants considèrent que leur profession peut jouir du même niveau de
respectabilité que n’importe quelle autre, mais cette respectabilité doit être défendue d’autant
plus sévèrement que les dérives sont nombreuses et nourrissent une image négative de la
profession auprès du public.
Le métier de voyant a donc des implications tout à fait tangibles. De plus, il semble que les
professionnels de la voyance soient le plus souvent confrontés à des préoccupations
parfaitement ordinaires au cours de l’exercice de leur art.
b. Des préoccupations concrètes
En tant que prestataires de services, les voyants doivent ajuster leur activité en fonction d’une
demande effective. Ainsi, bien qu’ils pratiquent un art atypique, voire extraordinaire, c’est au
service des préoccupations de leurs consultants, dont nous verrons qu’elles peuvent être
qualifiées de concrètes.
En effet, nous pouvons arguer que si les clients se tournent vers des moyens “originaux” pour
trouver des réponses à leurs interrogations, leurs problèmes ne sont pas pour autant hors du
commun (les séances de désenvoutement faisant exception). Les préoccupations sentimentales
et professionnelles sont ainsi celles qui sont le plus mentionnées par les voyants. Mais les
voyants ne s’y limitent pas et mentionnent divers autres thèmes : “je goûte un peu à tous les
domaines, aussi bien le domaine sentimental, professionnel que financier.” (Alexandre de
Manberti), “Je me sens particulièrement à l'aise dans le domaine de la santé et celui de
l'habitation. Je ressens bien les problèmes de santé ce qui me permet de conseiller
judicieusement mes clients. Dans le domaine de l'habitation je peux visualiser des maisons,
34
voir quelle sera la future résidence de mon consultant parfois de façon très détaillée, lui
permettant de faire le meilleur choix possible. Une partie de mon activité consiste d'ailleurs à
conseiller les entreprises.” (Estelle des Enclos) “- Dans votre pratique avez-vous un domaine
de prédilection ? - Oui, c'est plutôt le monde des affaires. J'obtiens souvent des chiffres précis,
des informations sur la bourse…” (Bérengère Lecoq)
De manière peut être plus surprenante, nous avons relevé plusieurs références à des
interventions dans des cas de disparitions, parfois en collaboration avec les forces de police.
Sur le site de Voyance Annuaire Symphonie, un interviewer demande à Annabelle de
Villedieu: “avez-vous déjà été contacté, comme il se fait couramment aux États-Unis, par la
police pour les aider dans des enquêtes policières bloquées ?”, laquelle répond: “j'ai
effectivement été en contact avec la police pour certaines enquêtes. À l'aide de photos, en me
rendant sur les lieux, grâce à mes flashes, je leur disais ce que je voyais, ce qui avait eu lieu.
J'ai fait un tournage il y a pas très longtemps sur une affaire de meurtre. Lorsque je suis
arrivée sur le lieu j'ai eu des flashes, je voyais un homme gisant à terre, la manière dont ça
s'était passé et j'ai d'ailleurs donné des informations qui ont beaucoup perturbé les personnes
présentes parce que l'on parlait à ce moment-là d'un suicide et je voyais pour ma part un
meurtre déguisé en suicide.”
Sur le même site internet, Monsieur Olivier Médium se voit poser la question suivante: “Vous
est-il arrivé d'être contacté par la police ou des enquéteurs pour les aider dans certaines
enquêtes qui piétinent ?”. En réponse il assure : “Effectivement, mais cela reste du domaine
du secret professionnel, il y a des choses que je ne pourrais pas dire mais effectivement il y a
des personnes dans le domaine juridique ou autre qui font appel à moi pour pouvoir faire
avancer des enquêtes ou leur apporter des renseignements.”53
Nous pouvons également mentionner la part que s’attribue Christophe Dy dans la découverte
du corps d’une adolescente: “Lors de la disparition en 2011 de Laëtitia en Loire Atlantique,
j’ai participé téléphoniquement à la recherche de son corps en conseillant à la gendarmerie de
rechercher autour d’un lac ou d’un étang. C’est effectivement dans un étang qu’elle a été
rerouvée et mes prémonitions se sont révélées exactes.” ou celle de Sevasty dans la réunion
d’une jeune fille avec ses parents: “j’ai participé à une émission consacrée à la recherche de
personnes disparues, l’équivalent de “Avis de recherche” en France. Une jeune française
53
Notons une intéressante référence au “secret professionnel” renvoyant aux mécanismes de professionnalisation
des voyants que nous avons évoqués précédemment. (I B 1 a)
35
partie en vacances en Grèce n’avait donné aucune nouvelle à ses parents depuis trois mois.
Grâce aux précisions que j’ai pu apporter nous avons finalement retrouvé cette jeune fille, au
grand soulagement de ses parents !”
Toujours sur Annuaire Voyance Symphony, le texte introductif de l’interview de Claude
Alexis mentionne explicitement une collaboration approfondie avec la justice: “Passionné par
le goût de l’aide et du soutien à autrui, Claude Alexis au fil des années collabore
spontanément et étroitement avec la police lors de disparitions d’enfants. Une vocation qui le
conduisit à mettre son service de voyant au profit de la justice après avoir rencontré une
avocate. Ensemble, ils vont ré-ouvrir des dossiers de personnes victimes d’erreurs judiciaires.
Et, grâce à leur pugnacité, la proclamation de non-lieux se fera et des présumés coupables
seront innocentés.”
Ces témoignages nous conduisent à constater, sinon les résultats concrets de la voyance,
l’aspiration à un usage qui produirait des effets tangibles immédiats. En effet, l’achat d’une
maison, le traitement d’une maladie, la recherche d’une personne disparue ou la réouverture
d’un cas judiciaire sont des aspects éminemment palpables de la vie des personnes.
Ces domaines ordinaires de l’activité humaine (santé, immobilier, crime, justice) ne reposent
pas sur une systématique intervention de la voyance, pour preuve, il existe d’autres
professions spécialisées dans leur gestion. Mais à la lecture de ces entretiens, nous pouvons
constater un recours au moins occasionnel à la voyance54. Il apparaît donc que les pratiquants
de la voyance mettent plusieurs aspects de leur vie en relation avec la voyance, la mobilisant
avec l'intention d’obtenir des réponses à des préoccupations concrètes. Réciproquement, cet
usage de la voyance influence, dans une certaine mesure, la perception que les personnes ont
de leurs problèmes et, in fine, leurs décisions effectives.
Après ces quelques aspects concrets de la pratique de la voyance (autant pour les voyants que
les consultants), intéressons à l’entreprise de rationalisation de la voyance par ses pratiquants.
2. Un discours de rationalisation omniprésent
Ce segment marque notre entrée dans la problématique du travail d’intellectualisation mené
par les pratiquants de la voyance. Dans un second temps, l’objet de notre analyse prendra un
54
Nous partons du principe que, dans leurs propos, les voyants interviewés ne déforment pas volontairement la
vérité.
36
tour plus discursif, nous nous intéresserons en effet au caractère positif (dans le sens comtien
de recherche rationnelle de “lois effectives” guidant “les choses”55 de la rhétorique employée
par les pratiquants de la voyance pour décrire et ainsi justifier plus ou moins explicitement
leur pratique (a). Nous serons ainsi amenés à étudier le rapport ambivalent que ceux-ci
entretiennent avec ce qu’ils qualifient parfois de “sciences officielle” (b).
a. Une pratique justifiée par une rhétorique positive
Nous avons déjà pu constater qu’il était commun, chez les voyants, de se distancier du
domaine de la magie et de présenter leur pratique de la voyance comme une activité
professionnelle concrète.
Nous allons à présent observer que le discours des voyants est par ailleurs empreint d’un
certain positivisme. Il semble en effet que nous puissions noter des similarités entre la
manière dont les voyants évoquent leur don ainsi que leurs pratiques et la rhétorique
positiviste comtienne.
Pour appuyer notre propos, commençons par tenter d’appréhender adéquatement la pensée de
Comte. Dans Auguste Comte et la philosophie positive, Emile Littré écrit: “La philosophie
positive est l’ensemble du savoir humain, disposé suivant un certain ordre qui permet d’en
saisir les connexions et l’unité et d’en tirer les directions générales pour chaque partie comme
pour le tout.” Constatant une rupture revendiquée avec deux influentes sciences de l’esprit:
“Elle se distingue de la philosophie théologique et de la philosophie métaphysique” il estime
que le positivisme appelle à définir le savoir humain “par l’étude des forces qui appartiennent
à la matière, et des conditions ou lois qui régissent ces forces. Nous ne connaissons que la
matière et ses forces ou propriétés ; nous ne connaissons ni matière sans propriétés ou
propriétés sans matière.” l’enseignement comtien veut donc que le fondement du savoir
humain repose sur l’observation et l’expérience par opposition à l’intuition ou aux
spéculations, en particulier métaphysiques.
Nous ne pouvons nier que la voyance ait une certaine portée métaphysique. Nous avons pu
nous-mêmes constater précédemment que la voyance était traversée d’une sorte de sentiment
religieux. Cependant, celui-ci est contrasté par une aspiration à la rationalité que nous
pouvons qualifier de positiviste. Cette aspiration apparaît sous plusieurs formes mais ces
55
Comte Auguste, Cours de philosophie positive tome 1, éd. Hermann, 1998.
37
manifestations diverses semblent servir un même but: l’écartement d’explications
métaphysiques au profit d’explications matérielles qui attachent à chaque conséquence une
cause logique et supposent l’exposition de preuves, de préférence chiffrées.
Pour illustrer notre propos, considérons un service offert par certains voyants: la
communication avec les morts. La prétention à entrer en contact avec les défunts peut sembler
farfelue, mais pour certains voyants c’est une pratique justifiable. Elle s’explique du fait que
les Hommes sont dotés d’une âme immortelle56. Les personnes décédées perdent ainsi leur
matérialité, mais l’existence de l'âme explique qu’elles soient encore “présentes”.
Parallèlement, les formes que prennent leurs interventions dépendent de la volonté et donc de
la personnalité du défunt ainsi que de l’état de leurs relations à leurs proches vivants. Le don
effectif du voyant permet de donner corps à ces manifestations. Pour mesurer l’effet
rationalisant de ces explications il suffit de constater le naturel avec lequel Bérengère Lecoq
relate un évènement qui pourrait sembler extraordinaire: “une autre fois, recevant une cliente
à mon cabinet, je sentis que son père décédé voulait communiquer fortement avec sa fille. Ce
monsieur, de caractère impatient, trouvait que les choses n'allaient pas assez vite à son goût et
subitement ma bibliothèque est tombée par terre, mes livres ont volé en éclats !! Ma cliente a
éclaté de rire en s'esclaffant : « c'est bien mon père, ça ! ».” Le naturel avec lequel la voyante
relate cette situation indique qu’elle mobilise un cadre de perception qui lui permet de rendre
triviale une situation pour nous extraordinaire.
Un élément central de l’explication “logique” des prouesses des voyants est leur don. Nous
avons déjà pu constater que celui-ci était évoqué dans chaque entretien, ce qui en fait le thème
le plus fédérateur parmi les voyants interviewés. Il est présenté comme une capacité qui peut
être mobilisée pour aboutir à des effets concrets. Nous assistons à la formation d’une sorte
de logique circulaire dans laquelle les effets (révélations) justifient le don, qui en retour
justifie les effets. Il s’agit d’une forme de dévoiement de la dialectique cause/conséquence
certes critiquable d’un point de vue logique. Cependant, pour les voyants, elle fait non
seulement sens, mais témoigne également de la solidité de leur raisonnement.
Ce mécanisme explique que chaque situation dans laquelle les prédictions et intuitions des
voyants se vérifient soient exploités pour confirmer le bien-fondé de leur pratique
56
Pour le raisonnement logique résidant derrière la conception d'âme, voir Raymond Boudon: “La notion d'âme,
nous dit-il [Weber], a été conçue pour expliquer une multitude de phénomènes immédiatement observables et
importants. Dans l’immédiat, la mort laisse le corps intact; seul le souffle vital disparaît.” Boudon Raymond “La
rationalité du religieux selon Weber” L’Année Sociologique 2001/1 - Vol 51 - Presses Universitaires de France
38
(“dernièrement j'ai vu la fille d'une de mes amies décédée dans un accident de voiture. Elle
m'est apparue telle que sa maman l'avait habillée pour l'inhumation, une jolie chemise bleue
imprimée de papillons, preuve irréfutable de la réalité de cette manifestation.” Bérengère
Lecoq, “un petit camarade de classe, gravement accidenté, manquait l'école depuis longtemps.
Mais je fis un rêve où je le revoyais revenir à l'école. Je me levai et me fis belle, moi qui étais
peu coquette ce qui intrigua ma mère qui pensait que c'était pour la photo de classe. Je lui dis
tout naturellement que Nicolas allait revenir dans son pantalon marron et son pull orange ce
qui était tout à fait improbable. Pour une fois je fus la première à la récréation et... Voilà
Nicolas accompagné de sa maman dans son pantalon marron et son pull orange. Ma mère dut
reconnaître que j'avais un don que les autres n'avaient pas.” (Réha), “Par la suite cela a pu me
poser problème par rapport à mes camarades, en particulier un jeune Camerounais à qui je
déclarai qu'il ne viendrait pas à l'école lundi. Il était prévu que cet enfant, Nathan, devait
retourner dans son pays et donc quitte l'école définitivement mais il n'était pas au courant.”
(Yann Lecoq)
Nous avons donc pu observer chez les voyants le recours à une rhétorique positive ayant pour
but de rationaliser leur activité. Mais cet usage de la pensée positiviste n’est pas la seule
manifestation de l’entreprise de rationalisation menée par les voyants. Un autre effort de leur
part sur ce terrain s’illustre dans le traitement qu’ils réservent à une science qu’ils qualifient
régulièrement d’ « officielle »
b. Une critique ambivalente de la science officielle
Le penchant positiviste des voyants nous permet d'appréhender une problématique complexe:
le rapport des pratiquants de la voyance à la science57. Afin de l’analyser nous continuerons à
nous appuyer sur les mêmes entretiens de voyants, mais nous élargirons également notre
analyse grâce à d’autres sources de témoignages de pratiquants de la voyance. En effet, ceuxci ont produit de nombreux discours sur le rapport de la voyance à la science.
57
L’ambivalence de cette relation est observée par le magazine hostile aux parasciences
Sciences…&pseudo science.org :
“L’attitude des para sciences vis-à-vis de la science est paradoxale. D’un côté elles dénoncent une science
officielle jalouse de ses prérogatives et de son territoire qui ne voudrait pas prendre en compte les « nouveaux
Galilée », d’un autre côté, elles se proclament elles-mêmes « hors du domaine scientifique » pour justifier un
refus des méthodes classiques d’évaluation. Elles se revendiquent alors comme un art ou comme une « science
humaine » (sous-entendu, en science humaine, on pourrait tout dire et il n’existerait pas de méthode
d’évaluation, de méthode scientifique). Dans le même temps, les parasciences affichent auprès de leurs adeptes
la qualité de « scientifique », gage de crédit et de sérieux.” Jean-Paul Krivine « Les pseudo-sciences nuisent-elles
à l’image de la science ? » Texte tiré de l’intervention faite lors de l’atelier « Image de la science » au Colloque
National sur les Études Scientifiques Universitaires (Bordeaux, 3, 4 et 5 février 2003) http://www.pseudosciences.org/spip.php?article141
39
Pour bien comprendre la position des voyants, commençons par rappeler un de nos constats
fondamentaux les concernant: ils considèrent que leur pratique pâtit d’un déficit de légitimité,
plus précisément, ils ont le sentiment que sa validité est systématiquement attaquée. Cette
méfiance se fonde sur l’existence supposée d’un ordre de pensée hostile entretenu notamment
par les médias. Ainsi, Barbara Dorveaux déplore “Les médias se doivent de rester objectifs,
certes mais ils ne devraient pas oublier de souligner que certains médiums sont sollicités pour
des disparitions, meurtres et affaires non élucidés et cela par des institutions très importantes
même si cela reste de manière officieuse.” tandis qu’Annabelle de Villedieu estime “qu'il est
temps de réhabiliter cet univers qui a vraiment été démoli en particulier par les médias.”
Il ressort du discours des pratiquants de la voyance que cette défiance ordinaire serait due à la
domination d’un paradigme scientifique intolérant, dont la principale matérialisation serait
une frontière arbitrairement tracée entre disciplines légitimes d’une part et méprisables de
l’autre.
Ce paradigme scientifique dominant se manifeste de différentes manières dans le discours des
voyants. Un terme employé de manière récurrente est par exemple celui de “scientisme”.
Ainsi, constatant un récent regain d'intérêt pour l’occulte le site internet Annuaire Voyance
Symphony58, dans sa section consacrée à la définition de la voyance, parle d’une “réaction au
scientisme du XXème siècle”59, s’attribuant par là même une sorte de victoire limitée vis à vis
de la pensée dominante.
Une autre expression employée est celle de science “conventionnelle”. Sur la même page du
site Annuaire Symphony Voyance on peut ainsi lire: “Du temps des Lumières, dans un monde
où tout était centré sur la science, de nombreuses personnes se tournent vers les sciences
occultes pour contrer ce tout scientifique et tenter d’apporter des explications auxquelles la
science conventionnelle n’a su répondre.” Ici, la voyance est présentée comme une alternative
à ces sciences conventionnelles.
Une autre expression, qui nous semble révélatrice (au point que nous avons choisi de la faire
figurer dans l’intitulé de ce segment) est celle de “science officielle”. Ainsi Stéphane Rieux
explique: “Même si la Science a matière pour apporter des éléments de réponses en ce sens, la
Science officielle n'ose pas s'investir dans ce type d'approche [occulte] qui pourrait faire
58
http://www.annuaire-voyance-symphony.com/guide-de-la-voyance/quest-ce-que-la-voyance.html
Il est intéressant de noter que l’auteur profite de cette sortie contre le scientisme pour situer la voyance dans le
camp de la vérité scientifique finale en ajoutant que cette réaction “fait penser à ce qui s’est produit du temps
du siècle des Lumières”.
59
40
tomber les clivages délimités par des fils barbelés entre certaines Sciences Humaines et la
Science tout court.”60
La domination d’un ordre de pensée hostile aux pratiques occultes est souvent mise en
relation avec un processus de perte, par la voyance, d’une légitimité scientifique dont elle
aurait bénéficié par le passé. Ainsi sur le site L’Officiel de la Voyance, l’on peut lire : “ne
doutons pas que les constats alors faits [par les consultants au terme d’une consultation] ne
peuvent que concourir à redonner les lettres de noblesse qu’elle [la science de l’astrologie]
n’aurait jamais du perdre.”61 L’idée qui ressort de ces propos est que la carence en légitimité
scientifique de l’astrologie et de la voyance serait contextuelle et non absolue. D’ailleurs, les
pratiquants de la voyance s’appuient régulièrement sur des références à des civilisations au
sein desquelles la voyance jouit d’une plus grande considération.62
En conclusion, L’idée qui prévaut est qu’il existe une vérité cachée (cf: définition de
l’ésotérisme), inaccessible à la science telle qu’elle est majoritairement pratiquée dans
l’occident contemporain. Nous pouvons subodorer que les pratiquants de la voyance
considèrent que le rejet de celle-ci est motivé par
la peur de voir les fondements du
paradigme dominant menacés par les implications de pratiques occultes. La critique du
scientisme, de la science conventionnelle ou de la science officielle ne traduirait donc pas un
désir d’abandonner la référence scientifique, mais plutôt de la reconfigurer pour faire place à
l’activité des voyants.
Les techniques que les pratiquants de la voyance mettent en place pour pénétrer le champ
scientifique font partie des sujets qu’il nous semble nécessaire d’aborder dans la section
suivante, consacrée à l’institutionnalisation de la voyance.
60
Notons cette intéressante délimitation entre “sciences humaine” et “sciences tout court” sur laquelle nous
aurons l’occasion de revenir dans notre section II A 2.
61
Deprets Angélique « Doutes et polémiques en astrologie, déterminisme et libre arbitre ? »
http://www.officieldelavoyance.org/Doutes-et-polemiques-en-Astrologie.html?lang=fr
62
Dans sa page consacrée à la description de la voyance, Annuaire Symphony Voyance cite ainsi les Sumériens,
les Olmèques, les Romains, la Chine ancienne et contemporaine...
41
II)
Démarches d’institutionnalisation
d’une pratique culturelle “à part”
L’institutionnalisation est un thème fondamentalement sociologique. Plus qu’un sujet, les
institutions et processus d'institutionnalisation sont des champs de recherche à part entière,
voire la source de courants d’analyse propres en sciences sociales (comme en économie, en
particulier à travers le courant néo-institutionnaliste, ou en théorie des organisations).
Parallèlement, si nous adoptons le point de vue du sens commun, le terme “institution”
évoque deux images: d’abord celle d’une structure solide, durable, qui survit à l’épreuve du
temps plus efficacement que ne le font les Hommes; ensuite celle d’une organisation
reconnue, dont le statut et l’activité peuvent être qualifiés de légitimes.
Dans cette partie, nous allons nous inspirer de ces deux pistes ouvertes par le sens commun.
C’est à dire que nous allons à la fois nous intéresser à la solidification d’une structure liée à la
pratique de la voyance et à la légitimation de cette pratique, en particulier d’un point de vue
intellectuel.
Nous avons donc choisi, dans un premier temps, d’évoquer l’incursion de la voyance (et
pratiques associées) dans le champ de la culture légitime et ses structures (que celles-ci soient
matérielles ou intellectuelles) en particulier scientifiques et académiques (A). Puis nous
aborderons une problématique majeure de la sociologie de la culture: la création d’une culture
ou d’une pratique culturelle autonome et reconnue. Nous verrons que les efforts des acteurs de
la voyance dans ce sens reposent en grande partie sur les médias, en particulier internet (B).
A.Incursions dans le champ de la culture légitime
Dans notre réflexion sur le rapport de la voyance à la culture légitime nous commencerons par
montrer en quoi les pratiquants s’adonnent à une intellectualisation mimant les codes de la
“haute culture”63 ou de la “culture cultivée”64 grâce à des stratégies diverses. Ainsi dans un
premier temps, nous scruterons la rhétorique scientifique par laquelle les voyants semblent
63
Bourdieu Pierre, La Distinction. Critique sociale du jugement, Paris, Minuit, 1979.
Morin Edgar, “De la culturanalyse à la politique culturelle” Communications vol. 14, 1969. La politique
culturelle. pp. 5-38.
64
42
construire des juxtapositions entre leur pratique et le domaine des sciences naturelles ou
sociales. (1). Dans un second temps, nous nous intéresserons à ce que nous pouvons décrire
comme une “’intellectualisation conformiste” reposant à
la fois sur l’appropriation de
certains thèmes et sur l’incursion dans un lieu majeur d’exercice traditionnel de l’activité
intellectuelle reconnue: le milieu académique (2).
1.
Une tentative de rapprochement avec des disciplines
scientifiques “faisant autorité”
En nous appuyant sur notre corpus de témoignages de voyants nous mettrons en lumière les
discours par lesquels les voyants tendent à faire entrer la voyance (et autres pratiques
occultes) dans le champ des sciences humaines d’une part (a.) et d’autre part, dans celui des
sciences formelles et naturelles (b.). Conformément à la définition du Ministère de
l'Enseignement Supérieur et de la Recherche (MESR), nous considérerons que les sciences
humaines - ou les sciences de l’Homme et de la Société selon la dénomination du MESR“étudient l'homme en société dans divers contextes historiques et géographiques. Elles
l'étudient dans ses déterminismes biologiques et ses mécanismes cognitifs, mais également
dans la variété des formes d'organisation sociale et des productions culturelles, artistiques et
religieuses qui le caractérisent à des époques diverses.”65. Elles englobent notamment
l’histoire, la philosophie, l’anthropologie, la sociologie ou la linguistique. Concernant les
sciences formelles, nous les appréhenderons en nous appuyant sur la définition des sciences
exactes (largement considérés comme synonymes de sciences formelles) fournie par le Centre
National des Ressources Textuelles et Lexicales: “Science qui repose sur le calcul.”66. Nous
considérerons ainsi que cette catégorie englobe notamment les mathématiques, la logique.
Enfin, nous identifierons les sciences naturelles comme toutes les sciences ayant trait à l’étude
des phénomènes naturels, elles comprennent ainsi la biologie, la chimie ou l’astronomie.
a. Démarches pour une admission de la voyance dans le champ des sciences humaines
Dans les propos de voyants nous pouvons observer plusieurs esquisses de rapprochements
entre la voyance et des sciences humaines. Deux disciplines tout particulièrement concernées
sont la psychologie et la philosophie.
65
http://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/cid56106/sciences-de-l-homme-et-de-la-societe-l-etude-de-lhomme-en-societe.html
66
http://www.cnrtl.fr/lexicographie/science
43
Concernant la psychologie, la voyante Laurence Larzul fait référence au psychiatre Carl G.
Jung (1875-1961) à deux reprises. D’abord pour louer la parenté de sa pensée avec “un
chemin vers la connaissance de soi”, ensuite pour s’en revendiquer et marquer une certaine
distance par rapport à la voyance (elle se dit astrologue plutôt que voyante). Ce n’est pas la
première fois que nous constatons une reprise de certaines des idées de Jung part des
pratiquants de la voyance et de l’astrologie. Dans Prédire : l'astrologie au XXIème siècle en
France, Arnaud Esquerre évoque l’inclination des astrologues pour Jung67. Sur le site
l’Officiel de la Voyance.org quatre articles mentionnent Jung. En particulier, sa pensée est
raccordée avec le Yi King à travers la publication d’une traduction française de la préface que
Jung a écrit pour The I Ching or the Book of Changes (qui est lui-même une traduction, par
Cary F. Baynes et Richard Whilhelm de l’œuvre fondatrice du Yi King, attribuée au
personnage légendaire Fu Xi68) et avec le tarot (“Nous allons voir que la mise en relation du
Tarot avec les découvertes de la psychologie et de la psychanalyse n’est pas dépourvue
d’intérêt, notamment avec les théories de Jung.”69).
L’attraction qu’exerce Jung sur les pratiquants de la voyance s’explique par les possibilités
offertes par le concept de synchronicité. Celui-ci peut être défini comme un lien causal, voire
essentiel entre des phénomènes psychique et physiques.70 Il a valu à Jung de nombreuses
critiques d’après lesquelles le psychiatre se serait laissé séduire par des spéculations
métaphysiques incongrues qui l’auraient éloigné de la voie de la rigueur scientifique 71. Il
67
Il ajoute que cet intérêt est réciproque: “- Ils lisent beaucoup Jung les astrologues que vous avez vous même
lus et rencontrés. - Oui, alors c’est dans les deux sens. C’est á dire que Jung s’est intéressé à l’astrologie et a
même travaillé sur des horoscopes par rapport à des couples mariés en mettant en avant son idée de
synchronicité, donc d’une part Jung s’est intéressé à l’astrologie et d’autre part les astrologues se sont intéressés
du coup à Jung et ont intégré je pense à la fois des éléments théoriques ou en tout cas une idée par rapport à la
pratique psychanalytique dans leur propre pratique.” Extrait d’un entretien accordé par Arnaud Esquerre à
France Culture dans l’émission “De la Suite dans les Idées” le 23.11.2013 06:55 min-07:33 min
http://www.franceculture.fr/emission-la-suite-dans-les-idees-des-astres-en-vue-l-eternel-retour-de-l-astrologie2013-11-23
68
“Carl Jung et le Yi King” - officieldelavoyance.com http://www.officieldelavoyance.org/Carl-Jung-et-le-YiKing.html
69
“Le Champ du Travail avec le Tarot” - officieldelavoyance.com http://www.officieldelavoyance.org/Lechamp-du-travail-avec-le-Tarot.html
70
“The still unknown relationship between what we call uncoscious psyche and what we call matter. In studying
this still undefined and unexplained connection it may prove that psyche and matter are actually the same
phenomenom, one observed from within and the other from without.” Jung C. G & Franz M.-L. v. (1964). Man
and His Symbols - Garden City, N.Y: Doubleday (en français: L’Homme et ses Symboles, Gallimard - 1988)
71
“Depuis toujours, Carl Gustav Jung (1875-1961) est sujet à la controverse; s'agit-il d'un homme de science,
d'un psychologue uniquement, d'un philosophe ou d'un mystique ? [...] La position de Jung, sa conception du
savoir religieux est parfois ambiguë” – Beaubien Luc, “L’expérience mystique selon C G Jung – La Voie de
l’individuation ou la réalisation de soi” Thèse présentée à la Faculté des études supérieures de l'Université Laval
dans le cadre du programme de doctorat en philosophie pour l'obtention du grade de Philosophiae Doctor (Ph.D.)
- 2009
44
semblerait donc que les mêmes aspects de la pensée de Jung qui ont poussé certains
scientifiques à s’en défier aient séduit les pratiquants de la voyance et de l’astrologie. Ceux-ci
semblent avoir trouvé en elle un biais par lequel pénétrer le champ de la psychologie, voire de
la psychiatrie, donnant ainsi à leur art une dimension nouvelle, qu’il s’agisse de ses
fondements théoriques ou des modalités de sa pratique (avec par exemple des consultations
dont le déroulement est inspiré de celui de séances de psychanalyse)72.
Le témoignage d’une autre voyante, Océane, ajoute une dimension à ce rapport voyancepsychologie. Elle explique ainsi: “Le voyant doit être très prudent dans sa manière d'annoncer
les événements à venir, d'où ce côté psychologique dont on nous parle souvent.” Ces propos
ne constituent pas une assimilation de la voyance à la psychologie en tant que science mais
soutiennent que l’exercice correct de la voyance nécessiterait de mobiliser des savoir-faire
touchant au fonctionnement psychologique des personnes et assimile -dans une certaine
mesure- le rapport consultant-voyant au rapport consultant-psychologue.
Parallèlement, on observe un syncrétisme plus ou moins achevé entre astrologie et
psychologie. Ainsi, Allegra explique avoir été formée auprès d’un professeur “spécialisé en
astro-psycho.” Une rapide recherche sur internet permet de constater que l’astro-psychologie
n’est pas un néologisme de la part d’Allegra. De nombreux sites internet offrent des services
d’astro-psychologie. Un d’entre eux, Astro-PsychologieFormation.com décrit cette discipline
comme: “une série d’outils, de modèles de comportements humains” et, d’après la définition
d’un célèbre astrologue Américain, Stephen Arroyo, comme : “Un langage universel de
l’énergie”73. Ces descriptions, qui admettent une grande marge d’interprétation, sont
accompagnées de références non seulement à la psychologie (“La véritable tradition
astrologique s’est malgré tout perpétuée et se répand aujourd’hui dans les milieux
psychologiques.”;
“Notre
approche
est
essentiellement
humaniste
à
orientation
psychologique”74) mais aussi au champ des sciences humaines (“L’astrologie est avant tout
une science humaine et il est totalement faux de la confondre avec une technique
prévisionnelle.”75). Dans le cas du site Astro-PsychologieFormation.com nous constatons
donc à la fois un rapprochement absolu (il est formulé sans nuance) entre ces deux disciplines
72
Concernant l’astrologie, Arnaud Esquerre explique ainsi “L’astrologie est quelque chose de très plastique et
qui s’est profondément transformé au vingtième siècle notamment en rencontrant la psychanalyse.” Extrait d’un
entretien accordé par Arnaud Esquerre à France Culture dans l’émission “De la Suite dans les Idées” le
23.11.2013 06:41min -06:48 min http://www.franceculture.fr/emission-la-suite-dans-les-idees-des-astres-envue-l-eternel-retour-de-l-astrologie-2013-11-23
73
https://sites.google.com/site/astropsychoformations/Introduction
74
Ibid
75
Ibid
45
et un flou en ce qui concerne la définition effective de l’astro-psychologie.76 Cette observation
est intéressante car elle indique que, dans leur approche d’un certain champ scientifique -ici
celui de la psychologie- les personnes s’arrogent une grande liberté, ce qui ne serait pas
envisageable dans d’autres contextes institutionnels, en particulier académique.77
Dans notre corpus d’interviews de voyants nous pouvons également observer une
juxtaposition entre voyance et philosophie par l’intermédiaire de Sylvarine. Celle-ci
revendique en effet un fort attachement à cette discipline, déclarant: “Je considère la pratique
de ma voyance très proche de la philosophie. Le philosophe se préoccupe de tout ce qui
concerne le sujet humain. La philosophie est une science désintéressée, c'est de cette façon
que je réalise chaque consultation de voyance. C'est essentiel de pouvoir appuyer mon don sur
ce genre de pensée philosophiques. La philosophie selon Descartes : "je pense, donc je suis".
”. Il est intéressant de constater sur quoi se fonde cette association: il s’agit moins d’une
prétention intellectuelle (en dépit la référence à Descartes) que d’une valorisation de qualités
telles que l’empathie et la bienveillance. Sylvarine semble envisager la philosophie comme un
art du désintéressement et revendique sa pratique comme telle. Ce témoignage ne nous permet
donc pas d’affirmer que les voyants prétendent à une véritable démarche philosophique
(Sylvarine ne prend pas en compte les exigences d’une pratique rigoureuse de la philosophie,
notamment en termes de méthode). Toutefois, il a le mérite de nous rappeler que les voyants
ont tendance à doter leur art de sens. Ils adoptent vis à vis de leur pratique une philosophie (ici
dans le sens d’une manière d’interpréter le monde) qui suppose éventuellement de
revendications intellectuelles, en particulier dans le champ des sciences humaines.
Après avoir rapporté quelques formes d’incursions dans le domaine des sciences humaines,
intéressons-nous à celles effectuées dans le champ des sciences naturelles et des sciences
exactes.
b. Démarches pour une admission de la voyance dans le champ des sciences formelles
ou naturelles
76
A ce niveau de notre analyse nous pouvons avancer que cette imprécision est une constante dans le milieu de
la voyance et de l’astrologie: les définitions des différentes disciplines sont souvent vagues, voire mouvantes.
Nous nous garderons cependant de critiquer un manque de rigueur de la part des pratiquants de la voyance et
ferons remarquer que malgré des tentatives de structurations (que nous évoquerons dans notre partie II. B.) la
voyance reste pratiquée par une grande variété d’acteurs qui, s’ils collaborent en réseau, ne constituent pas pour
autant une structure organisée.
77
La prise de distance vis à vis de “techniques prévisionnelles” au profit d’une pratique scientifique légitime
telle que la psychologie nous renvoie également à un phénomène que nous avons évoqué en introduction: la
propension des astrologues à se démarquer volontairement des voyants du fait que l’astrologie serait à la fois
scientifiquement démontrable et praticable contrairement à la voyance.
46
Nous avons précédemment établi (I.B.2.a.) qu’il existait chez les voyants un mouvement de
rationalisation de leur pratique qui n’était pas étranger à une forme de pensée positiviste.
Nous allons maintenant observer que cette rationalisation peut occasionnellement se
manifester sous la forme d’un amalgame entre voyance et sciences formelles ou naturelles.
Le lien avec les sciences formelles se manifeste de manière notable par l’emploi d’un
vocabulaire mathématique pour décrire la pratique de la voyance. Ainsi Yann Lecoq expliquet-il: “[L’écriture automatique] me permet d'analyser, de décrypter ces informations à la
manière d'une lecture d 'ADN. [...] Certains signes annoncent ces rendez-vous, par exemple,
des chiffres en double et en sachant les déchiffrer on peut gagner beaucoup de temps. [...]
L'écriture automatique s'exprime, donc pas avec des mots et des phrases mais uniquement par
symboles. Ceux-ci sont très variés, je les comparerais plutôt à une solution mathématique,
musicale.” ” Il semblerait que l’énonciation de prédiction soit envisagée comme l’exécution
d’une sorte de calcul. Plutôt que de faire des énoncés sibyllins, les voyants effectueraient un
traitement de données rigoureux à partir des informations que leur ressenti ou leurs guides
leurs transmettent et fourniraient à leurs consultant le produit de cette opération.
Notre analyse du penchant mathématique des voyants rend nécessaire l’évocation de deux
pratiques qui semblent particulièrement révélatrices sur l’attirance pour cette discipline. La
numérologie, mentionnée par plusieurs des voyants interviewés (Sylvarine, Océane, Claude
Alexis, Laurence Larzul et Ivana Glavic), est une technique de divination basée sur une
combinaison de chiffres (en particulier ceux de la date de naissance du sujet et ceux de
l’année en cours). Quant à la géomancie (mentionnée seulement par Ivana Glavic), il s’agit
d’une méthode basée sur le traçage intuitif de figures géométriques. Il est intéressant de
constater que ces deux techniques permettent à la voyance de s’approprier deux des branches
centrales aux mathématiques modernes: l’arithmétique et la géométrie. Ce ciblage semble
indiquer un désir, chez les pratiquants de la voyance, de mobiliser le plus grand nombre
d’outils mathématiques possibles.
Au-delà cet attrait notable pour un mode de pensée mathématique, les voyants semblent
également accuser un certain penchant pour la science physique. Annabelle de Villedieu
explique ainsi: “j'ai une formation d'ingénieur scientifique, et je pense qu'aujourd'hui il y a
une autre image à donner de cet univers qui est aussi un univers qui travaille dans
l'énergétique, et je pense que l'on peut ramener la voyance aussi à tout ce qui est science
puisque tout est énergie et vibration.” La finalité de ces propos est double: dans un premier
temps, la voyante authentifie la légitimité de son discours scientifique grâce à une référence à
47
sa formation académique, dans un second temps, elle mobilise cette légitimité pour réconcilier
voyance et science. Les modalités de ce rapprochement ne sont pas irréprochables (“tout ce
qui est science” ne permettant de délimiter que très grossièrement le champ auquel Annabelle
de Villedieu fait référence) mais il est révélateur dans la mesure où il permet de tracer des
parallèles entre clairvoyance médiumnique et pratique de la science physique78.
Le discours d’Annabelle de Villedieu n’est pas atypique. Il apparaît dans un contexte où la
science physique a été mobilisée pour expliquer et, dans une certaine mesure, justifier des
pratiques ésotériques. Nous pouvons ainsi évoquer la thérapie quantique, forme de médecine
alternative qui prétend guérir des maux “ordinaires” en envisageant le corps des patients
comme: “un champ vibratoire et énergétique constitué de milliards de particules de lumière –
des photons – qui échangent en permanence des informations, un univers lumineux dans
lequel l’esprit et la matière ne font qu’un”79 Ces thérapie quantiques peuvent être replacées
dans le contexte plus large des thérapies énergétiques, définies comme une approche parallèle
et complémentaire en santé (ACPS) fondée sur des “interventions axées sur les champs
énergétiques qui se trouvent à l'intérieur du corps (biochamp) ou à l’extérieur de celui-ci
(champs électromagnétique).”80
Il semblerait donc que le rapprochement entre la voyance et des sciences formelles ou
naturelles comme les mathématiques ou la physique ne se fonde pas que sur la mobilisation
d’éléments de langage particuliers (comme les termes de “chiffre” “ADN” ou “énergies”),
mais aussi sur le développement d’une pensée à vocation scientifique. En conséquence, les
pratiquants de la voyance peuvent tendre à envisager celle-ci comme une pratique
scientifique. Néanmoins, lorsqu’elles tentent de se répandre en dehors du contexte de leur
apparition, ces théories sont fréquemment rejetées comme des “pseudo-sciences”.81
3. Une intellectualisation “conformiste”
78
Cette corrélation entre des phénomènes mentaux et physiques nous renvoie à nouveau au fameux concept
synchronicité de Carl G. Jung.
79
psychologies.com – « L’essor des thérapies quantiques » http://www.psychologies.com/
80
Soins infirmiers en médecine et en chirurgie: 1. Généralités - Lillian Sholtis Brunner,Suzanne C. Smeltzer,
Doris Smith Suddarth, Brenda Bare, 4° édition, De Boeck
81
Nous pouvons ainsi renvoyer le lecteur au site internet de l’Association Française pour l’Information
Scientifique, très active sur le front des supposés dérives des pseudos-sciences comme l’indique leur
présentation: “L’AFIS se donne pour but de promouvoir la science contre ceux qui nient ses valeurs culturelles,
la détournent vers des œuvres malfaisantes ou encore usent de son nom pour couvrir des entreprises
charlatanesques.”
48
Dans ce segment, nous nous intéresserons d’abord aux manœuvres mises en place par les
pratiquants de la voyance pour tenter de s’introduire (avec plus ou moins de succès) dans le
champ académique par la porte de l’enseignement supérieur (a.). Ensuite, nous partirons du
constat que les pratiquants de la voyance semblent avoir tendance à se déclarer compétents
dans des domaines de l’activité humaine qui bénéficient d’une certaine considération. Ces
domaine sont notamment la politique, l’économie et les questions sociales. Évidemment, ces
compétences revendiquées se fondent sur la nature de l’activité des voyants. Il ne s’agit en
effet pas de dire que les voyants se déclarent économistes ou aspirent à des carrières
politiques. Néanmoins, cette incursion dans des domaines dont le degré de sérieux peut
paraître bien supérieur à celui accordé à la voyance soulève des problématiques intéressantes
que nous nous astreindrons à traiter (b.).
a. Un intérêt marqué pour le champ universitaire
Dans un article intitulé “Parasciences et procédés de légitimation”82, Gérard Chevalier
consacre une section entière de sa réflexion à “La Fascination Universitaire”. Il observe en
effet: “Le recours aux hautes autorités universitaires et académiques est une constante des
procédés promotionnels de la culture moyenne. Les parasciences en appellent ainsi à un
nombre considérable de professeurs et de docteurs en tous genres.”83. Considérant le cas d’un
certain “professeur E.B” qui “n'entend ainsi pas laisser passer la moindre occasion de faire
état de ses « titres », sans peur des présentations ambiguës ou fallacieuses.”, Gérard Chevalier
examine l’impressionnant curriculum vitae du professeur E.B afin de constater que cette
“logique d’accumulation” probablement motivée par une “anxiété de la preuve” est fondée sur
une série d'embellissements de la vérité. En effet, après examen, les diplômes comme les
établissements cités semblent loin de jouir de la légitimité universitaire que le professeur E.B.
veut leur conférer84. Cette observation fait écho à la controverse qui a agité le milieu
sociologique au début des années 200085: la soutenance, par la célèbre astrologue Elizabeth
82
Chevalier Gérard. Parasciences et procédés de légitimation. In: Revue française de sociologie. 1986, 27-2. pp.
205-219.
83
Gérard Chevalier assimile donc les para-sciences à une pratique culturelle moyenne, une position qui pourrait
servir de point de départ à des commentaires intéressants. Malheureusement, nous ne bénéficions pas du temps
nécessaire pour nous pencher sur la question de manière satisfaisante.
84
Un exemple emblématique de ces entreprises de détournement de la vérité est le cas de “l'Université
internationale — Aupac — Paris V” où le professeur E.B prétend enseigner. Gérard Chevalier parvient à
déterminer que L'Alliance universelle pour la paix et la connaissance (AUPAC) est une association à but non
lucratif et que son assimilation abusive à l’Université Paris V est uniquement fondée sur “la location d'un
amphithéâtre un samedi sur deux, comme peut y prétendre n'importe quelle autre organisation”. - Chevalier
Gérard. Parasciences et procédés de légitimation. In: Revue française de sociologie. 1986, 27-2. pp. 205-219.
85
Soit plus de dix ans après la publication de l’article de Gérard Chevalier.
49
Teissier, d’une thèse de sociologie à l'Université Paris Descartes86. Plus de dix ans après les
faits, la prétention de Mme Teissier a acquérir le titre de docteur (et le succès de son
entreprise)
font encore l’objet de commentaires incrédules.87 Non seulement, donc, la
revendication de titres universitaires par des pratiquants de la voyance est-elle encore
d’actualité, mais elle s’inscrit en outre dans un contexte plus large “d'exploitation du pouvoir
symbolique accumulé par l'enseignement supérieur”88 potentiellement polémique.
Près de trente ans après la publication de l’article de Gérard Chevalier, nous allons donc nous
astreindre à analyser l’état des appropriations de référents académiques ou universitaires par
des pratiquants de la voyance.
Un procédé courant d’imitation est le rapprochement sémantique. Comme a pu l’observer
Gérard Chevalier, les termes de “docteur” et de “professeur” sont particulièrement prisés par
les pratiquants de la voyance en quête de légitimité symbolique. Qu’en est-il de celui
d’”université”? Les pratiquants de la voyance l’emploient-ils pour désigner les structures
d’enseignement de pratiques divinatoires?
Nous pouvons effectivement citer deux exemples de cet usage. Il s’agit tout d’abord de
l'Université du Temps Présent de Montpellier. Son site internet indique que son activité
consiste à organiser “des manifestations culturelles dans les domaines de la parapsychologie,
de l'ésotérisme des sciences parallèles de la spiritualité, du symbolisme, etc…”, plus
précisément: “elle fait appel à des spécialistes pour animer: STAGES, SEMINAIRES,
COURS, CONFERENCES,
DEBATS,
VISITES
ET VOYAGES
ESOTERIQUES,
MANIFESTATIONS ARTISTIQUES, etc…”. L’appellation d’”Université” semble toutefois
relever du vœu pieux. En effet, cette organisation a en réalité le statut d’association loi
86
L’affiliation de cet établissement à l’Université Sorbonne Paris Cité permet à Mme Teissier de parler de “[s]a
thèse
de
sociologie
à
la
Sorbonne”
sur
son
site
internet.
https://www.eteissier.com/biogra/biog.asp?bouton=11&pagex=3
87
Ainsi, Sylvain Bourmeau, qui s'entretient avec Arnaud Esquerre sur France Culture précise en début
d’émission: “on ne va pas revenir sur cette polémique qui a agité le monde de la sociologie voici quelques
années alors que cette astrologue professionnelle avait soutenu sa thèse dans cette discipline, la sociologie. Il
n’en est même pas question, d’ailleurs cette thèse n’est pas citée dans votre bibliographie”. Il est intéressant de
noter que le présentateur mentionne Elizabeth Teissier afin d’écarter son cas de la discussion alors même que,
l’ouvrage d’Arnaud Esquerre ne la mentionnant pas, il n’y a pas lieu de l’évoquer lors de l’entretien. Entretien
accordé par Arnaud Esquerre à France Culture dans l’émission “De la Suite dans les Idées” le 23.11.2013 01:13min-01:31min
http://www.franceculture.fr/emission-la-suite-dans-les-idees-des-astres-en-vue-l-eternelretour-de-l-astrologie-2013-11-23
88
Chevalier Gérard. Parasciences et procédés de légitimation. In: Revue française de sociologie. 1986, 27-2. pp.
205-219.
50
1901.Un autre exemple que nous pouvons mentionner est celui de l’Université Voyance 2,
dont le site internet n’est malheureusement plus en activité89.
Nous constatons donc que si le terme d’”université” a été et est toujours employé par certains
pratiquants de la voyance pour décrire leurs activités d’enseignement ce n’est pas de manière
très courante, ni avec beaucoup de succès. Lorsqu’ils offrent des enseignements, les
pratiquants de la voyance semblent privilégier des termes aux tonalités plus neutres tels que
“cours” (une recherche internet comprenant les termes “cours voyance” produit 763 000
résultats contre 398 000 pour les termes “université voyance”), “formation”
(459 000
résultats) ou “école” (586 000 résultats). Les “stages”, qui supposent une approche plus
professionnalisante de l’enseignement semblent également jouir d’une certaine popularité
(460 000 résultats)90.
Au-delà de ces considérations sémantiques, pouvons-nous pour autant affirmer que, parce que
les structures ne revendiquent pas l’appellation d’université, elles soient dénuées d’ambitions
universitaires? Considérons l’exemple du Centre Lyonnais d’étude de l’Astrologie (ou de
l’école Clés de l’Astrologie: les dénominations de cette structure varient). Cette organisation
chapeaute trois écoles, une d’astrologie, une de tarot et une de numérologie, chacune
possédant son propre site internet. Sur ces trois sites, les internautes peuvent accéder à des
listes de cours et de stages ainsi qu’à un “espace élève” privé. A travers des efforts portant sur
la structuration et la présentation de son enseignement et de ses sites internet, il semblerait
donc que l’école Clés de l’Astrologie adopte à la fois des modes de fonctionnement et des
symboles propres à l’enseignement supérieur.
Une limite à ce rapprochement nous semble cependant notable: l’absence de mention, sur les
trois sites internet de toute forme de diplomation confirme que nous n’avons pas affaire à un
établissement d’enseignement supérieur et achève de creuser un fossé avec l’université.
Outre la question de la diplomation, une autre problématique contribue à accentuer l’écart
entre les structures d’enseignement des pratiques divinatoires et le milieu universitaire, il
s’agit de celle de la recherche. En effet, les universités ne sont pas seulement des structures
destinées à prodiguer des enseignements ou à délivrer des diplômes. Elles sont également des
environnements de recherche et dédient à ce titre des moyens plus ou moins importants à
l’élaboration de savoirs nouveaux. Les structures que nous avons évoquées ne poursuivent pas
89
Il a manifestement été désactivé durant la période de notre travail de recherche puisque nous avons pu y
accéder en mai 2015, mais pas en août 2015.
90
Recherche effectuée le 06.08.2015.
51
de travail de recherche, mais, au contraire, se limitent assez strictement à la formation de
nouveaux pratiquants dans une logique utilitariste plutôt étroite. Parallèlement, les ouvrages
ayant trait à la voyance, s’ils témoignent d‘une expertise dans un domaine particulier, ne sont,
de manière générale, pas des publications universitaires91. Pouvons-nous donc avancer que les
pratiquants de la voyance ont échoué à mettre en place une structure qui remplirait une
fonction de recherche par ailleurs essentielle au système universitaire?
Il semble que cela ne soit pas absolument le cas. Notre exploration du milieu de la voyance et,
plus largement, des para-sciences, nous ont permis de repérer des centres de recherche qui
jouissent de statuts divers tout en ayant en commun un fonctionnement relativement
autonome. L’Institut Métapsychique International, par exemple, est une “fondation reconnue
d’utilité publique”92 française dont la devise “Le “paranormal, nous n’y croyons pas, nous
l’étudions” atteste sa mission de recherche. Quant à la Society for Psychical Research, une
“registered charity” (“organisme de bienfaisance homologué”) britannique, elle s’est fixée
pour but d’ “examiner des phénomène supposément paranormaux en usant de principes
scientifiques.” (“examine allegedly paranormal phenomena using scientific principles.”) afin
“d’en apprendre plus sur des évènements ou des capacités communément décrites comme
“liés à des dons de voyance” ou “paranormaux” en soutenant la recherche, partageant des
informations et encourageant le débat.” (“Our aim is to learn more about events and abilities
commonly described as "psychic" or "paranormal" by supporting research, sharing
information and encouraging debate”).93
Ces exemples nous permettent donc d’observer une appropriation morcelée de l’activité des
universités par les pratiquants de la voyance. L’offre de formation à des pratiques de voyance
repose sur des organismes hétéroclites aux programmes variés, allant du stage au cours, en
passant par la formation “professionnelle”, tandis que d’autres organismes prennent en charge
uniquement des activités de recherche.
91
Une exception notable étant bien évidemment la thèse de sociologie d’Elizabeth Teissier intitulée “Situation
épistémologique de l’astrologie à travers l’ambivalence fascination/rejet dans les sociétés post-modernes”. Nous
reviendrons sur la question des publications des voyants dans notre partie II.B.2.a.
92
http://www.metapsychique.org/-L-equipe-de-l-IMI-et-son-reseau-.html
93
Il est intéressant de constater que cette rhétorique renvoie à l’incursion de la voyance dans le champ
scientifique que nous avons évoqué plus haut (II. A. 1.), d’autant plus que le Society for Psychical Research
mobilise une citation de Carl G. Jung: "I shall not commit the fashionable stupidity of regarding everything I
cannot explain as a fraud." - C.G. Jung (“Je ne commettrai pas la stupidité à la mode consistant à considérer tout
ce que je ne peux expliquer comme étant un mensonge.”)
52
En conclusion il apparaît que certains pratiquants de la voyance soient engagés dans un
processus mimétique vis à vis du milieu universitaire. Mais plusieurs éléments indiquent que
ce processus est loin d'être achevé. Il s’agit principalement de l'inaccessibilité de certains
“artefacts” essentiels au milieu universitaire (telle la diplomation) 94 et de la faiblesse et du
dispersement de l’activité de recherche. Mais la disposition des pratiquants de la voyance est
elle aussi ambivalente, comme l’illustrent les propos de Lisyanne Lacombe: “la formation sur
le tas est de mise” [...] “Notez aussi que je considère cela plus comme un loisir que des études
intensives. “ Il est donc extrêmement périlleux, sinon impossible, de faire des parallèles entre
le système universitaire français et l’enseignement de la voyance95.
Nous avons donc pu constater une attirance des pratiquants de la voyance pour le milieu
universitaire et ses codes. Au-delà de cet attrait, les voyants semblent partager un penchant
pour des sujets que nous pouvons qualifier de légitimes.
b. Une appropriation des sujets légitimes
Nous avons pu observer que, si les voyants sont essentiellement amenés à faire des
prédictions concernant la vie privée ou professionnelle de particuliers, certains mentionnent
également des collaborations avec diverses structures (“Une partie de mon activité consiste
d'ailleurs à conseiller les entreprises.” Estelle des Enclos, “j'ai effectivement été en contact
avec la police pour certaines enquêtes.” Annabelle de Villedieu). Cependant, l’élargissement
du champ d’action des voyants va parfois au-delà de ces collaborations. En effet, une pratique
que nous pouvons observer chez les voyants consiste à réaliser des prédictions à portée
générale, c’est à dire touchant à l’avenir de toute une population. Ainsi, Dominique Lagache,
du site GuideVoyance.com interroge Barbara Dorveaux “Vous arrivent-il de faire des
prédictions généralistes (pour le monde, la France, des personnalités) ?” Parallèlement, Lionel
94
Mais, paradoxalement, les difficultés qu’a la voyance se à structurer académiquement présente des
problématiques proches des enjeux universitaires “ordinaires”.Ainsi, au cours d’un entretien que la fondatrice
l’école Clés de l’Astrologie, Lisyanne Lacombe, a accordé au site internet mystere-tv.com (http://forum.mysteretv.com/questions-1ere-ecole-voyance-france-t1267.html ) elle se voit poser la question suivante “Croyez vous
que l'on puisse arriver un jour à créer des écoles de voyance reconnues comme telles par l'Etat ?” Elle répond
ainsi: “non, il y a trop de dissensions au seing de la profession”. Elle déplore le fait que les pratiquants
“considèrent qu’une matière est mieux que l’autre etc.” Et s’interroge: “A partir de là, pourquoi choisir l’un
plutôt que l’autre ? Comment et quoi enseigner ? quelle matière utiliser comme référence ?” Il est intéressant que
cette réponse négative soit justifiée par des préoccupations qui semblent indiquer que l’enseignement des
pratiques divinatoires rencontre des défis similaires à ceux présents au sein du système universitaire ordinaire:
les querelles portant sur la constitution des programmes d’étude et la concurrence inter-disciplinaire.
95
Mais cette juxtaposition a le mérite révéler non pas une inadéquation fondamentale entre la voyance et le
champ universitaire, mais plutôt les difficultés que toute discipline rencontre pour se cristalliser en discipline
académique et sujet de recherche intellectuelle.
53
Roggia affirme “j'ai la faculté de ressentir les personnes décédés et de rentré en contact avec
eux, ainsi que de pouvoir voir ce qu'il va se passer dans le MONDE, d'où mes prédictions que
j'effectue chaque années”. Quant à Sylvie Cariou, elle explique: “J'interviens aussi en tant que
cafédomancienne avec le support du marc de café et de mon oracle sur www.annuairevoyance-symphony.com (ce sont des prédictions sur des sujets de l'actualité)”.
Cette aspiration à réaliser des prédictions relatives au “monde” ou à “l’actualité” a
d’intéressantes implications car elle suppose le traitement de thèmes que nous pouvons
qualifier de “sérieux” par opposition aux préoccupations touchant à la vie personnelle des
consultants. Il s’agit de domaines de l’activité humaine qui jouissent d’un certain prestige
comme l’économie et la politique96.
Considérons par exemple les “prédictions sur des sujets d’actualité” de Sylvie Cariou97. Le
lien contenu dans l’interview qu’elle a accordé à Annuaire Voyance Symphony renvoie à un
article intitulé “Prédictions 2015 de Sylvie Cariou”98. Les prédictions réalisées sont partagées
en plusieurs catégories (politique, environnement, santé, vie publique-médias, monde) ellesmêmes subdivisées en paragraphes thématiques.
Nous allons nous intéresser aux deux sections bénéficiant des développements les plus longs:
la politique et le monde. La catégorie “politique” contient ainsi une seule section “le
gouvernement” qui, de manière discutable englobe trois paragraphes intitulés “François
Hollande”, “Nicolas Sarkozy” et “Marine Le Pen”. La section “monde”, elle, est subdivisée
en quatre parties: “climat”, “usa, “pays arabes” et “divers monde”.
La gravité attachée à la nature de ces thèmes est consolidée par la force des prédictions de la
voyante. Dans ces deux catégories, Sylvie Cariou annonce des évènements dont la portée
serait considérable. Pour ne citer quelques exemples, dans la section “politique” elle déclare
avoir prévu le remaniement du premier gouvernement de François Hollande: “Comme je
l'avais annoncé, le gouvernement a été remanié”, dans la section “monde”, elle évoque une
menace imminente sur la sécurité du président des États-Unis: “Pour 2015, Je vois et je
96
Nous avons pu constater, au cours de nos observations, que le thème de la politique donnait lieu à de
nombreuses spéculations astrologiques et médiumniques. Il est intéressant de noter que, d’un point de vue
historique, voyance et politique ont longtemps entretenu des liens particuliers. Au-delà de l’attrait qu’a pu
présenter l’astrologie pour certaines figures politiques (il existe nombre d’exemples célèbres de ce type de
connivence), en Europe, la voyance a longtemps été perçue comme une potentielle source de menaces pour le
pouvoir politique et a, à ce tire fait l’objet d’une certaine régulation impliquant tantôt de strictes interdictions.
Cf : Edelman Nicole, Histoire de la voyance et du paranormal du XVIIIème siècle à nos jours, Seuil, 2006
97
http://www.annuaire-voyance-symphony.com/predictions-voyance-2015/predictions-2015-sylvie-cariou.html
98
Notons que cette tendance à effectuer des prédictions couvrant toute une année est en elle-même intéressante
car elle implique que les voyants considèrent que leur don leur permet d’apprécier toute une série d’évènements
et leur enchaînement entre eux sur une période longue (à échelle humaine).
54
l’avais déjà annoncé dès sa première élection , un attentat sur la personne de Barak Obama”
ainsi qu’une atteinte à la souveraineté d’un état Européen “un pays européen dev[iendra] un
nouveau pays (racheté comme une société) voir même changer[a] de nom.” et un désastre
humanitaire: “Je vois un pays entrant dans la famine à cause d’une catastrophe naturelle”.
Non seulement les sujets abordés ont un caractère “sérieux”, mais la manière dont ils sont
abordés suppose une certaine gravité. Sylvie Cariou adopte un ton docte. Pour appuyer ses
prédictions elle a visiblement été amenée à se documenter notamment sur les aléas du
gouvernement français, sur les relations entre états du Proche-Orient, ou encore sur les
variations de la croissance économique aux États-Unis. De plus, elle accorde un grand soin à
la forme de son article et présente ses observations de manière appliquée. Au-delà de la
formidable portée que Sylvie Cariou attribue à ses dons de clairvoyance - que nous nous
garderons de juger afin de ne pas prendre le risque de corrompre notre réflexion- ce qui nous
semble intéressant est la motivation de sa prise de parole. Ni François Hollande, ni Nicolas
Sarkozy, ni Marine Le Pen ne semblent avoir intentionnellement encouragé ces prédictions. Il
n’y a ici pas de consultant-client99. Pourquoi alors choisir de s’exprimer sur ces thèmes?
Nous pouvons avancer que cette prise de parole spontanée est une entreprise de légitimation
de la voyance. L’exemple de Sylvie Cariou n’est pas isolé, d’autres voyants et astrologues
s’adonnent à l’exercice de prédictions touchant à l’actualité, parfois sous la forme de
prédictions à la fois mondiales et annuelles100. S’approprier des sujets légitimes pourrait
permettre aux voyants de pénétrer la sphère de légitimité de ces thèmes et ainsi de “faire
déteindre” un peu de cette légitimité sur la pratique de la voyance.
Toutefois, le niveau de structuration, de prise de conscience de cette stratégie de légitimation
reste à déterminer. Notre hypothèse était que les voyants considèrent que leur pratique souffre
d’un déficit de légitimité, mais est-ce réellement le cas? Les voyants s’attaquent-ils à ces
sujets pour prouver la pertinence de la voyance en termes de gestion de sphères importantes
de l’activité humaine? Ou considéreraient-ils en fait qu’il est tout naturel pour la voyance
d’examiner ces sujets puisqu’elle est une de leur (voire leur principale) grille d’analyse du
99
Il serait également intéressant de savoir si la rédaction de cet article a donné lieu à une rétribution financière de
la part d’Annuaire Symphony Voyance ou s’il a été produit bénévolement (éventuellement à des fins de publicité
de la part de Sylvie Cariou).
100
L’exemple emblématique en la matière est celui de la célèbre astrologue Elizabeth Teissier, qui dresse, pour
chaque nouvelle année un état de son “climat cosmique”. Deux autres voyants très actifs en la matière sont
Yanis, qui officie également sur Annuaire Voyance Symphony et qui utilise sur son blog des mots clés tels que
“#Politique & Astrologie”, “# Ecologie Economie et Astrologie”, ou “#Emploi et Astrologie” et Claude Alexis,
“star” de RTV.com, qui publie chaque année un grand livre des prédictions pour l’année suivante.
55
monde ? Avons-nous été influencés par notre propre perception de ce sujet, qui suppose que
la voyance serait une pratique honteuse, alors que les voyants eux-mêmes la considéreraient
en fait comme toute à fait honorable?
Dans la partie suivante, nous aurons l’occasion de mieux envisager la question de cette
« respectabilité » de la voyance.
B. Revendication d’un statut de pratique culturelle autosuffisante
Après avoir vu en quoi les pratiquants de la voyance avaient tendance à adopter des
comportements conformistes, mimant les codes de la culture légitime et infiltrant les sphères
où elle s’exprime, nous souhaiterions côtoyer à nouveau la thématique révolutionnaire que
nous avons évoquée dans notre réflexion concernant le charisme wébérien (I-A) pour étudier
le rapport conflictuel que la voyance peut avoir à la culture légitime, ou dominante (l’emploi
de ce terme parait particulièrement approprié lorsque l’on se place dans une dimension
conflictuelle). Nous avons établi dans notre introduction que, si la pratique de la voyance
pouvait être considérée comme une pratique culturelle au sens large, elle n’était
manifestement pas une pratique légitime. Il semblerait même que la voyance souffre d’un
stigmate (nous garderons à l’esprit l’analyse que fait Ervin Goffman 101 de cette
problématique, son approche interactionniste nous permettant d’envisager des perspectives
plus globales sur le sentiment d’exclusion). Ceci expliquerait le désir que peuvent ressentir les
pratiquants de la voyance de s’arroger le prestige de la culture légitime. Mais comme l’a
démontré entre autres, le mouvement “queer”, un stigmate peut être retourné par ceux qui le
portent et brandi en étendard d’une revendication de reconnaissance sociale. Notre propos ne
sera pas de faire des parallèles entre les pratiquants de la voyance et la lutte pour la
reconnaissance sociale menée par certaines minorités discriminées. Néanmoins, nous allons
justement nous intéresser aux efforts fournis par les pratiquants de la voyance pour affranchir
leur “culture”. Nous verrons que cette autodétermination passe par une institutionnalisation
aux formes variées (1.) et par la construction d’un discours autonome porté par des médias
spécialisés (2.).
101
Goffman Erving, Stigmate. Les usages sociaux des handicaps (1963), traduit de l'anglais par Alain Kihm,
Éditions de Minuit, 1975
56
1. Dessin d’une pratique institutionnalisée
Il existe un lien essentiel entre l’idée d’“institutionnalisation” et celle de “loi” dans le sens où
les deux termes introduisent à la fois une idée d’autonomie (structure obéissant à ses règles
propres), de répétitivité normalisante (existence de rites), d’autonomie (structure obéissant à
ses règles propres), d’autorité
(reconnaissance de ces règles au-delà du cercle de ses
créateurs) et de pérennité (organisation survivant à ses fondateurs). Dans le premier segment
de notre section dédiée à l’institutionnalisation de la voyance, il nous a donc paru intéressant
d’examiner les rapports entre l’exercice professionnel de la voyance et la loi française. Nous
allons voir que face à l’indifférence, voire l’hostilité de cette dernière, les voyants ont trouvé
des moyens d’adapter leur activité (a). Dans un second temps, nous nous écarterons du thème
légal pour nous intéresser à une autre manifestation matérielle de l’institutionnalisation de la
voyance : les salons. La question de l’évènementiel nous apparait en effet essentielle à l’étude
de toute pratique culturelle et nous verrons qu’elle l’est effectivement dans le cas de la
voyance (b).
a. La voyance et la loi: un vide à combler
Nous avons déjà pu constater (I. B. 1. a.) que de nombreuses personnes exerçaient la voyance
professionnellement, recevant des consultants, déterminant les tarifs de leurs prestations etc.
En France, l’exercice de la voyance n’est plus condamné par la loi depuis l'abrogation en
1994 de l’article R.34-7° du code pénal qui punissait « les gens qui font métier de deviner ou
pronostiquer, ou d’expliquer les songes »102. Toutefois, il n’existe aucun texte de loi régulant
la pratique professionnelle de la voyance. En conséquence, celle-ci “est tolérée mais n’est pas
reconnue officiellement”103. Du point de vue de la loi française, la profession de voyant est
donc inexistante.
Cependant -et tout l'intérêt de notre analyse repose sur ce point- il semblerait que les voyants
aient intégré cette difficulté dans leur pratique et se soient organisés pour pallier à ce manque.
Ainsi, l’Officiel de la Voyance fournit-il sur son site internet des instructions destinées aux
voyants souhaitant exercer leur activité professionnelle légalement. Dans un article non daté
102
“Le Droit face au paranormal (1) - De l’ancien au nouveau code pénal” - Sciences...et pseudo-sciences.org,
Mars 2002 - (magazine de l’Association Française pour l’Information Scientifique) http://www.pseudosciences.org/spip.php?article544
103
“Exercer
Légalement”
officiel
de
la
http://www.officieldelavoyance.org/Exercer-legalement.html
57
voyance.org,
26
novembre
2003
intitulé “Exercer Légalement” et publié le 26 novembre 2003, LOV fournit aux internautes les
démarches à suivre pour “Avoir une couverture sociale”, “Déclarer ses revenus
professionnels”, “Payer, charges, impôts et taxes, afférents à toute activité”, “Passer de la
publicité dans la Presse” et “Avoir un TPE pour CB”104. Ces indications facilitent des
ajustements permettant aux voyants professionnels de bénéficier d’avantages sociaux
fondamentaux tels que la perception d’une pension de retraite ou l’affiliation à la sécurité
sociale105. L’embarras des pratiquants de la voyance face à l’irrégularité de leur activité est
également perceptible dans le conseil suivant: “Si vous souhaitez vraiment un n° de Registre
du Commerce et contourner le vide juridique :Rendez-vous à la Chambre de Commerce,
déclarez-vous en temps que "Conseil" ... en relations humaines" ... "en gestion de patrimoine"
... "familial" ... "matrimonial",...ou (ça marche encore) en tant que "psychothérapeute".”
Dans ces lignes, l’auteur ne mentionne pas d’efforts visant à la reconnaissance légale de la
profession de voyant. Plutôt que d’envisager des mesures permettant l’affirmation d’une
nouvelle catégorie de profession libérale, l’auteur concentre ses efforts sur les manières de
“contourner” des difficultés existant présentement. Nous observons ainsi une mobilisation des
voyants professionnels, mais leur revendications sont restreintes, elles n’ont donc
manifestement pas un caractère “révolutionnaire”.
Au-delà de cette adaptation au tissu professionnel et social français, qu’en est-il de la
structuration de cette profession par ses membres mêmes? Au silence de la loi française sur le
sujet répondent divers textes issus des pratiquants de la voyance eux-mêmes. En particulier,
nous pouvons observer une multiplication de chartes dont la forme comme le fond dépassent
le strict cadre de l’ajustement des activités de voyance (en particulier en ligne) aux exigences
légales. Un exemple notable est celui de la Charte de Déontologie de l’Institut National des
Arts Divinatoires que nous avons déjà évoquée plus haut (I. B. 1. a.).
Une première observation que nous pouvons formuler concernant cette Charte est son ton
impératif. Plus qu’un “mode d’emploi” de la voyance ou qu’un ensemble de suggestions, elle
rappelle un contrat: “Tout praticien des arts divinatoires s'engage...”, “Tout praticien des arts
divinatoires est tenu...”, “Le praticien s'interdit...”). Une adhésion est d’ailleurs explicitement
104
Ibid
Il est également intéressant de constater que des conseils sont fournis concernant l'acquittement d'impôts
portants sur des revenus perçus grâce à des activités de voyance. Cette initiative est intéressante car elle inscrit la
voyance dans un contexte social plus large: en payant des impôts, les personnes assument une responsabilité
sociale, ils prennent part au dispositif de financement des structures étatiques et de redistribution des richesses.
105
58
mentionnée dans le paragraphe “Services audiotels et plateformes” il y est stipulé: “Tout
praticien qui adhère à la présente Charte, agit dans une démarche individuelle, librement
consentie, et doit se conformer aux règles édictées dans toutes leurs dispositions.” La Charte
suppose donc une véritable engagement de la part de ses adhérents, son non-respect entraîne
des sanctions infligées par l’INAD. Nous avons donc affaire (hors situations nécessitant un
recours judiciaire) à une forme de régulation entre pairs: “En cas de litige avec un consultant
et sans préjudice des procédures judiciaires, le praticien s'engage à déployer les efforts
nécessaires pour trouver une solution amiable, le cas échéant avec l'assistance ou
l'intervention d'une association de consommateurs ou de l'INAD”.
La Charte use de deux procédés manifestes de légitimation. Le premier de ces dispositifs est
syntaxique. Les rédacteurs de cette Charte usent d’un jargon emprunté au champ juridique
(“obligation de moyens”, “sous peine de voir leur responsabilité engagée”...) et de termes
faisant explicitement référence à une activité professionnelle (“client”, “prestation”, “secret
professionnel”...). Ces choix semblent viser à étayer le caractère réglementaire (voire
“sérieux”) de la charte. Néanmoins, certaines formulations informelles (“des personnes
passablement fragiles ou accrocs à la voyance”, “Tout praticien s'engage à exercer son activité
avec sincérité, loyauté et objectivité”, “[Le praticien] s'interdit d'abuser de la naïveté ou de la
crédulité de personnes”) avertissent le lecteur de l’origine associative, et non juridique, du
texte.
La seconde tactique de légitimation mise en oeuvre est la référence à une autorité supérieure:
“La présente Charte a été soumise à la DGCCRF106 « service loyauté » avant sa publication et
recommandée par le Secrétariat d'État Chargé du Commerce, de l'Artisanat, des Petites et
Moyennes Entreprise, du Tourisme, des Services de la Consommation est susceptible d'être
complétée ou modifiée ultérieurement.” L’INAD dépasse donc le cadre de son autorité
propre -en tout cas de celle qu’elle revendique- pour se positionner dans le champ de la
légitimité institutionnelle d’une instance gouvernementale.
Nous observons donc une considérable structuration interne aux professions de la voyance.
Celle-ci repose sur des organisations qui prétendent à une légitimité autonome, mais aussi
occasionnellement adoubée par des institutions reconnues.
106
C’est à dire la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes.
59
Après la loi, dont nous avons pu établir qu’elle était un enjeu central de la structuration de
l’activité -en particulier professionnelle- des pratiquants de la voyance, intéressons-nous à la
question de l’évènementiel à travers le prisme des salons de voyance.
b. Les salons de voyance, implications d’un mode de rassemblement des pratiquants
Après la question légale, mais avant le sujet des médias, intéressons-nous à une thématique
que nous avons jusqu’ici laissée intacte: celle de l'événementiel. En effet, dans ce segment,
nous orienterons notre réflexion autour d’une forme d’institutionnalisation de la voyance qui
nous semble incontournable: les évènements publics visant à mettre les pratiquants de la
voyance en relation, c’est à dire les congrès, les conférences, les salons107 etc.
La tenue même de ce type de manifestations peut sembler curieuse. Après tout, un des
enseignements majeurs que nous avons retiré de la lecture de nos entretiens de voyants est que
le cœur de la pratique de la voyance -la consultation- repose essentiellement sur un rapport
utilitaire entre deux individus dont l’un se pose des questions auxquelles il pense que l’autre
pourra lui fournir des éléments de réponse. Par conséquent, au-delà des sites internet, qui, à
travers la mise à disposition d’une pléthore d’informations concernant des potentiels
prestataires permettant un meilleur accès à ces services, les salons apparaissent comme une
autre forme satisfaisante d’institutionnalisation des relations entre pratiquants de la voyance.
Intéressons-nous donc à l’offre de salons de la voyance et à ses implications.
Une première observation notable est le fait que la voyance semble être une “invitée”
régulière de salons consacrés au bien-être.
Parfois cette alliance est revendiquée dans
l’intitulé du salon. C’est ainsi le cas pour le “Salon de la Voyance et du Bien Être
Voyancielle”108 de Berck sur Mer (14 au 16 août 2015), le “Salon de la Voyance et du BienÊtre d’Avrechy”109 (4 et 5 juillet 2015) ou encore le “Salon de l’Ésotérisme et du Bien
Être”110 organisé annuellement à Villeneuve le Guyard. Parfois cette alliance est plus discrète
et ne se manifeste pas dans le titre de l’événement mais se constate seulement après étude de
son programme111. Ainsi, l’on remarque le traitement de thématiques touchant à la voyance
dans les salons suivants: le “Salon du Bien-Être” à Tigne Le Lac (6 au 10 août 2015), le
107
Nous avons choisi de privilégier le terme de salon car il est favorisé par les pratiquants de la voyance euxmêmes.
108
http://www.salon-de-la-voyance.com/
109
http://www.ldevenemenciel.com/
110
http://www.villeneuve-la-guyard.com/a366-salon-de-l-esoterisme.html
111
Et éventuellement à travers les supports publicitaires du salon (comme c’est le cas, par exemple, pour
l’affiche du salon de Tigne le Lac)
60
“Salon du Bien Être Bio et Thérapie”112 (11 au 13 mars 2016) ou encore le “Salon du Bienêtre”113 de Perpignan (21 et 22 mars 2015).
Cette alliance entre bien-être et voyance a des implications très intéressantes. Le
rapprochement régulier de l’ensemble des pratiques associées à ces thématiques aboutirait-il á
un produit transcendant la somme de ses parties de manière à constituer un art de vivre, voire
une philosophie “alternative”?
Parallèlement à ces salons “mixtes”, il existe de nombreux salons entièrement dédiés à la
voyance. Le plus célèbre est le “Salon Parapsy”, qui prétend avoir accueilli plus de 16 000
visiteurs lors de son édition 2014114. Nous pouvons également mentionner le “Salon de la
Voyance” de Poitiers (30 et 31 mai 2015) ou le festival d’Astrologie et de Voyance d’Antibes
(13 au 19 août 2015) ou encore celui d’Ajaccio (18-24 avril 2015)115 ou même le Salon
Mensuel de la Voyance de Montparnasse116. La profusion d’exemples de salons de la voyance
indique donc que les pratiquants de la voyance attachent une certaine importance á ce genre
de manifestations.
Ce constat est appuyé par l’étude de nos entretiens de voyants. Les salons de voyance sont
mentionné par six des voyants interrogés (Bérengére Lecoq, Lionel Roggia, David de
Castaing, Sylvie Cariou, Soraya, Christophe Dy). De plus, il n’est pas anodin que deux des
interviews aient été menées à l’occasion du salon Parapsy. Pour les voyants, les salons
semblent donc revêtir une certaine importance. Ils les associent à des souvenirs forts: “Un
jour, dans un salon en compagnie de quelques personnes,une dame me consulte au sujet d'un
traitement qu'elle suivait. Tous les médiums qu'elle avait consultés lui avaient anonncé la
guérison mais j'ai su tout de suite qu'elle était condamnée... Comment faire?je me suis
contentée de lui dire » Tu arrives dans état de libération totale, c'est très beau... » et j'ai su que
nous nous étions comprises toutes les deux.” (Bérengére Lecoq). Ils les incorporent dans leurs
ambitions professionnelles: “j'ai aussi envie de créer un salon de la voyance ici a
CHAUVIGNY, pour remercier ceux qui m'ont suivi depuis le début…” (Lionel Roggia). Ils
les saisissent comme des opportunités d'exercice de leur activité: “On peut aussi me
rencontrer lors de salons de la Voyance, comme le Salon Parapsy à Paris et à Aix-les-Bains
112
http://www.salonbienetrebiotherapie.com/
http://www.salonlamagys.com/#!exposants/cee5
114
http://www.salonparapsy.com/presentation.htm
115
http://www.lerepertoiredesvoyants.com/agenda/festival-d-astrologie-et-de-la-voyance.html
116
Il serait intéressant d’étudier individuellement chaque salon pour mieux comprendre la dynamique d’une telle
entreprise événementielle. Malheureusement, ce genre de projet serait assez complexe pour justifier une analyse
entière. De plus, les informations concernant les salons sont relativement opaques. Il est difficile de connaître par
exemple leur fréquence.
113
61
qui aura lieu en juillet 2013.” (David de Castaing). Ils les considèrent comme des éléments
importants de leur parcours: “Aujourdhui, j'ai un cabinet où l'on peut me consulter à Paris , à
Bandol et Marseille depuis 3 ans, j'organise des salons en Corse, Antibes, Limoges.” (Sylvie
Cariou). Ils profitent de ces occasions pour rencontrer d’autres professionnels et bénéficier de
leur expertise: “Il y a maintenant quelques années, lors d’un salon Parapsy, je travaillais
encore comme animatrice radio, j’ai consulté Claude Alexis.” (Soraya). Enfin, ils utilisent cet
entraînement pour perfectionner leur art: “j’ai enfin pris la décision de faire de la voyance
mon métier et acquis une expérience face aux consultants au gré des Salons” (Christophe Dy).
Les salons apparaissent donc comme une dimension essentielle de l’institutionnalisation de la
pratique de la voyance. Au-delà des divers offices fondamentaux qu’ils remplissent tels que
le développement de compétences, la transmission de savoirs117, le tissage de réseaux, la
formulation de discours sur la voyance, la promotion d’idées, de pratiques, de produits, de
professionnels et, enfin, tout simplement, la tenue de consultations le rassemblement régulier
de pratiquants de la voyance aux profils et aux motivations variés constitue une ritualisation
de la pratique de la voyance qui l’assimile à des pratiques culturelles “légitimes” 118 ou en
passe de le devenir119.
En développant une réflexion sur la situation légale de la voyance puis sur l’évènementiel il
nous semble avoir traité deux thèmes essentiels à la problématique de l’institutionnalisation
de la voyance. Nous souhaiterions néanmoins considérer
maintenant un autre enjeux
fondamental à notre analyse de la structuration des activités de voyance : l’utilisation des
médias.
2. Création d’un discours autonome porté par des médias (souvent)
propres
Dans ce segment, nous aborderons l’utilisation des médias par les pratiquants de la voyance.
Nous verrons qu’ils font un usage non négligeable des médias traditionnels (nous
considérerons que ceux-ci comprennent l’édition, la presse écrite, la télévision et la radio) que
cela soit à travers l’incursion dans des supports préexistants ou la création de supports
spécialisés
(a). Ensuite, nous étudierons la question du net. Il semble en effet que le
117
Le seul fait que les voyants permettent la formulation et la reconnaissance de discours d’”experts” constitue
en lui-même un potentiel sujet d’étude soulevant notamment des questions sur les modalités d’apparition d’une
intelligentsia.
118
cf: les diverses déclinaisons de salons du livre
119
cf: les évènements type « comic con » (conventions de comics)
62
développement de cet outil ait bouleversé la pratique de la voyance. Cela au point qu’il nous
apparaît comme impossible d’étudier les modalités de son exercice contemporain sans couvrir
les manières dont celui-ci est accompli et vécu sur internet (b).
a. Une utilisation assidue des médias traditionnels
Dans ce segment, nous verrons que la voyance s’invite de diverses manières dans les médias
traditionnels généralistes (c’est à dire qui traitent d’une variété de sujets autres que la
voyance). De plus, il faut compter avec la spécialisation de supports médiatiques de type
traditionnel qui se manifeste par l’apparition de titres et émissions entièrement dédiés à la
voyance et aux pratiques ésotériques associées. Dans un premier temps, nous évoquerons
l’édition, puis la presse magazine et enfin la télévision et la radio.
Il semblerait que la voyance ait conquis une place au sein de la littérature mainstream étant
donné que les maisons d’édition généralistes publient régulièrement des ouvrages portant sur
le sujet. La maison J’ai Lu a créé par exemple une collection intitulée Aventure Secrète et
dont les titres sont consacrés, entre autre, à l’utilisation du pendule (Le Guide du pendule,
Jocelyne Fangain - 2007), à la médiumnité (Le Livre des Médiums, Allan Kardec - 2007) ou à
la communication avec les esprits (Le livre des esprits : Contenant les principes de la doctrine
spirite sur l'immortalité de l'âme, la nature des esprits et leurs rapports avec les ... la vie
future et l'avenir de l'humanité, Allan Kardec - 2005). De la même manière, la maison
québécoise
De
Mortagne
fait
figurer
dans
son
catalogue
une
section
“Parapsychologie/Eso/Spiritualité”). Enfin, pouvons mentionner les contributions des éditeurs
Larousse (Mini Larousse, S’initier au Tarot de Marseille - Isabelle Weiss, 2012) Hachette
(Hachette Pratique, Voyance: Une autre perception - Chris Semet, 2015) et First, qui consacre
à la voyance deux ouvrages de sa célèbre collection “pour les nuls” (Le Tarot divinatoire pour
les Nuls - Didier Colin, 2010; La Voyance pour les Nuls - Eliane Gauthier, 2015).
Parallèlement à ces incursions dans l’édition généraliste, les pratiques occultes bénéficient
également de leurs propres circuits d’édition. Ainsi, les éditions Bussière se présentent sur
leur site internet comme “l’une des plus anciennes librairie d’édition parisienne spécialisée
dans l’ésotérisme.”120 tandis que les éditions Trajectoire revendiquent une “spécialis [ation]
dans les domaines des arts divinatoires et de l’ésotérisme, cartes et tarots, mais publie
également des ouvrages de fond en histoire, traditions, franc-maçonnerie, religions et
120
http://www.editions-bussiere.com/
63
spiritualité.”121 Quant à la maison Dangles, elle explique: “la maison Dangles présente des
ouvrages en marge de la pensée unique : médecines douces, psychologie, développement
personnel, ésotérisme, spiritualité, traditions.”122
Nos observations nous poussent donc à conclure que les pratiques liées à la voyance ont
donné lieu à des efforts particuliers dans le secteur de l’édition. La disponibilité, sur le marché
du livre, d’ouvrages dédiés aux pratiques ésotériques ne résulte pas seulement de la pugnacité
d’une poignée d’auteurs associée à souplesse de certains éditeurs généralistes. Elle est due à
des efforts coordonnés en vue de l’accessibilité, par le plus grand nombre, d’informations et
de savoir-faire spécifiques à la voyance.123 Ces efforts résultent en une institutionnalisation
pérenne de la publication de supports dédiés à la voyance.124
Ajoutons que ces efforts dans le domaine de l’édition sont relayés par des librairies
spécialisés. Les éditions Bussière possèdent ainsi leur propre réseau de librairies. Les
librairies ésotériques sont relativement courantes dans les villes françaises. Au cours de nos
recherches, nous avons notamment trouvé quatre librairies ésotériques à Toulouse: la Librairie
Esotérique Plume D’Oie (Rue de la Colombette), Axel Ange - L’Heure Bleue (Rue
Matabiau), L’Incunable (Rue de Nazareth) et la Librairie Esotérique La Licorne (rue
Maletache). Pour ce qui est de la capitale, dans un article intitulé “Paris, centre du monde
ésotérique”, le Figaro.fr propose une sélection de “[leurs] 10 adresses [de librairies
ésotériques] préférées à Paris” pour “s'acheter un pendule, des pierres protectrices ou un
ouvrage d'initiation à l'astrologie.”125 Sans pour autant être comparable, en quantité, aux
librairies généralistes, les librairies ésotériques font donc partie du paysage urbain et tout
pratiquant de la voyance (pour peu qu’il habite une grande ville ou soit en mesure de se
121
http://www.editions-trajectoire.fr/index.php?r=24&r2=7&title=Editions%20Trajectoire%20-%20Quisommes-nous-#.VcmbIfnbCjw
122
http://www.editions-dangles.fr/index.php?r=24&r2=7&title=Editions%20Dangles%20-%20Qui-sommesnous-#.VcmbcvnbCjw
123
Chez certains éditeurs spécialisés nous pouvons même observer un retournement du phénomène d’infiltration
des thèmes ésotériques dans des maisons d’édition généralistes. Certaines maisons d’éditions traitant
principalement de thèmes ésotériques étendant leurs offres à d’autres sujets. Ainsi, l’éditeur ésotérique Guy
Trédaniel a élargi son offre à des ouvrages jeunesse ou pratiques (avec par exemple des manuels portant sur des
thèmes allant du stage de survie au nail art).
124
Les trois maisons d’édition que nous avons citées insistent sur ancienneté. Ainsi, sur leurs sites internet
respectifs, les éditions Bussière se disent en activité depuis 1927, les éditions Trajectoire depuis 1987 et les
éditions Dangles depuis 1926.
125
Paris, centre du monde ésotérique - lefigaro.fr Eric Bietry-Rivierre, Valérie Duponchelle, Alexandra Michot 07/02/2012
http://www.lefigaro.fr/sortir-paris/2012/02/07/03013-20120207ARTFIG00625-paris-centre-dumonde-esoterique.php
64
déplacer) peut théoriquement se rendre dans ce type d’établissement pour se procurer des
ouvrages et du matériel126 spécialisés.
En ce qui concerne le traitement de la voyance par la presse écrite, nous pouvons noter que
celle-ci ne bénéficie pas de la même couverture que l’astrologie, qui est, elle, extrêmement
médiatisée, principalement par le biais d’horoscopes. Outre d’occasionnels “dossiers” dans la
presse féminine,127 la voyance est de toute apparence très peu représentée dans la presse.
Nous pouvons cependant noter la présence de publicités portant sur des services de voyance
dans les pages dédiées aux petites annonces de journaux et de magazines. La portée de ce type
d’incursion est toutefois extrêmement limitée, car les titres de presse accueillant ces publicités
ne structurent pas leur contenu de manière à “faire une place” à la voyance, ils se cantonnent à
vendre un espace de publicité à des professionnels avec qui, par ailleurs, ils n’entretiennent
aucun lien ostensible. Quant à la presse spécialisée dans la voyance, elle apparaît comme un
paysage clairsemé -ce que ne doit pas arranger la crise actuelle de la presse écrite. Si, encore
une fois, l’astrologie tire son épingle du jeu grâce à des titres tels qu’Astro Revue (Lafont
Presse), Astr’Oh (Association Horizons Astraux) ou Horoscope Magazine (Éditions Nuit et
Jour), la voyance ne semble pas, à ce jour, bénéficier de titres spécialisés. Elle se contente
donc d’apparitions dans des titres spécialisés dans les thématiques ésotériques. Elle semble
par exemple apparaître régulièrement dans des titres dédiés à l’astrologie (article sur le “tarot
noir” dans le numéro de Septembre 2015 d’Astro Magazine, article sur le tarot de Marseille
dans le numéro été 2015 d’Astr’Oh, “cours” de numérologie dans le numéro de printemps
2013 d’Astr’Oh etc.) ou dans des titres “de para-science” comme Inexploré, une publication
de l’Institut de Recherche sur les Expériences Extraordinaires (Enquête Profession Medium,
numéro 27).
Intéressons-nous à présent aux incursions de la voyance dans la radio et la télévision.
Concernant la télévision, l’offre de programmes dédiés à la voyance semble plutôt limitée,
nos recherches n’ayant mis au jour que deux émissions. Elles sont diffusées sur deux chaînes
commerciales, l’une accessible via la télévision numérique terrestre (IDF Voyance sur IDF1)
l’autre seulement sur abonnement (ID Voyance diffusée sur Vivolta). Les émissions
radiophoniques semblent en revanche plus nombreuses. Ainsi, des émissions consacrées à la
126
Nous avons pu constater, lors de nos visites de librairies spécialisées, que l’offre littéraire s’accompagne
souvent d’une sélection de fournitures ésotériques et de “gadgets” divers (tarots, pierres, attrape-rêves, pendules,
amulette etc.)
127
Par exemple le Dossier Spécial Voyance, publié en Janvier 2015 (numéro 130) dans le magazine Glamour
(Condé Nast)
65
voyance128 sont diffusées sur Skyrock, une radio commerciale dédiée à un public jeune, entre
18h et 20h tous les dimanches129, sur la radio locale FC radio tous les mercredis de 10h à
11h130, sur la radio musicale Radio Mélodie un jeudi soir sur deux131, ou, pour citer un dernier
exemple, sur la radio associative Radio Canal Myrtille (RCM) un samedi sur deux de 10h à
11h132. Ces exemples ne sont que quelques cas parmi de nombreux autres.
L’existence de ces émissions nous amène donc à constater que la voyance n’est pas
totalement absente des ondes de télévision et de radio. Cependant, cette présence apparaît
limitée, en particulier en ce qui concerne la télévision, de plus, la structure de ces émissions
varie très peu. A ces conclusions s’ajoute un autre constat non négligeable: il n’existe, à ce
jour, en France, aucune chaîne de télévision ou station de radio dédiée entièrement à la
voyance.
Peut-on en déduire que la voyance n’est pas médiatique? Qu’elle a vocation à reposer
uniquement sur le “bouche à oreille”? Cela serait oublier un enjeu de taille pour la
médiatisation de la voyance: internet. En effet, nous allons voir que la voyance a trouvé en ce
nouveau média un exceptionnel moyen de diffusion de son activité.
b. Internet: une opportunité en or pour la voyance
Les pratiquants de la voyance semblent être extrêmement actifs sur internet. Outre une offre
variée de services de voyance133, le web permet également de diffuser une multitude de
discours sur la voyance et ses pratiques associées. Nous allons tenter d’approcher ce
complexe enlacement à travers quelques exemples emblématiques de la médiatisation de la
voyance sur internet (en laissant de côté les communications à des fins strictement
publicitaires).
Une première observation qui nous semble capitale est la multiplication magazines en ligne.
Lors de notre examen de la presse écrite, nous avons pu constater qu’il n’existait visiblement
128
Notons que tous les exemples d’émissions radio ou télé cités semblent construits selon le même modèle: un
ou une voyante répond, en direct, aux questions de téléspectateurs/auditeurs, ce qui, une fois de plus, met
l’accent sur l’aspect utilitaire de la médiatisation de la voyance. Ces émissions n’ont pas pour but de “discuter”
de voyance, elles sont de véritables espaces de pratique de la voyance.
129
http://skyrock.fm/news/pose-ta-question/91
130
http://www.fcradio.fr/portfolio/la-voyance-en-direct/
131
http://www.radiomelodie.com/emissions/9-voyance.html
132
http://www.rcmlaradio.fr/Animateurs/eddy.php
133
Répertorier tous les sites offrant des services de divination s’apparenterait à un travail de Sisyphe. Notre
réflexion se fonde sur le constat de cette immensité, mais elle n’a en aucun cas vocation à consigner les limites
de son étendue.
66
aucune publication consacrée exclusivement à la voyance. Sur internet, la situation est à
l’opposée: les web-magazines traitant de voyance abondent. Outre des sites que nous avons
déjà évoqués tels que l’Officiel de la Voyance ou Annuaire Voyance Symphony, nous
pouvons citer des exemples tels que Voyance Magazine134, Voyance EsoPub135, ou
Astrowi136. Parallèlement à ces sites de type 4 nous pouvons évoquer ceux de type 1 à travers
la profusion de blogs produisant des discours sur la voyance. Ainsi, la version française de la
plateforme Overblog.com abrite à elle seule une douzaine de blogs comportant le tag
“voyance”137. La quantité et le dynamisme de ces sites et blogs peuvent s’expliquer du fait des
avantages que procure internet en termes de coût et de facilités de diffusion: les
investissements liés à la création et l’entretien d’un site internet (et à fortiori d’un blog) ne
sont pas comparables avec ceux nécessaires à une publication sur papier (du moins lorsque
celle-ci est destinée à une large diffusion).
Une autre qualité d’internet hautement profitable aux voyants est sa polyvalence. Nous avons
constaté récemment (II. B. 2. a.) que l’offre d’émissions télévisuelles et radiophoniques
consacrées à la voyance était relativement limitée. Toutefois, internet offre aux pratiquants
une possibilité de développer ces activités. Plutôt que d’avoir à “séduire” des chaînes
généralistes, les pratiquants sont ainsi relativement libres de programmer les émissions qu’ils
souhaitent sur les médias qu’ils contrôlent sur internet. Cette autonomie explique peut-être
l’émergence de webradios et web TVs dédiées à la voyance. Ainsi, le site internet
Astrocenter.tv propose de nombreuses émissions de voyance aux titres évocateurs tels que
“100% Voyance”, “La Carte du Jour” ou “J’aime mon médium”138 ainsi qu’un streaming en
direct. En revanche, le concept du site l’Emission de voyance.com139 est axée autour de la
diffusion en direct d’interactions entre un voyant et des spectateurs qui ont été sélectionnés
pour lui poser une question (les vidéos sont ensuite disponibles en replay).
Pour ce qui est des webradios, nous pouvons citer radioastro.fr, dont le slogan est “Le son de
votre avenir”140. Malgré son nom, cette webradio traite de voyance plus que d’astrologie
comme en témoigne sa grille de programme. La liste des émissions disponibles en podcast141
134
http://www.voyancemagazine.com/
http://www.voyance-magazine.com/
136
http://www.astrowi.com/
137
https://www.over-blog.com/tag/voyance
138
http://www.astrocenter.tv/voir-astrocenter-tv-en-direct
139
http://www.emissiondevoyance.com/
140
http://www.radioastro.fr/
141
Consultée le 11/08/2015 http://www.radioastro.fr/les-podcasts/
135
67
annonce ainsi: “Le Tarot”, “Le Marc de Café”, “Le Pendule”, “Les Pierres Précieuses”, “La
Boule de Cristal” etc.
Ces quelques exemples nous permettent donc de constater que le développement d’internet
apparaît comme une opportunité inédite pour les pratiquants de la voyance de développer des
activités médiatiques autour de leur art. Notre analyse serait pourtant incomplète sans
l’évocation d’un site internet dont l’étude nous parait absolument capitale pour comprendre
l’essor impressionnant de la voyance sur internet.
Au cours de nos recherches, nous avons croisé à de multiples reprises une figure qui a fini par
nous devenir familière: le voyant Claude Alexis. Celui qu’Annuaire Voyance Symphony.com
décrit comme un “Altruiste, humaniste, voyant, médium et homme d’affaires hors pair [...´]
un des voyants les plus réputés de l’hexagone”142 s’est engagé dans une remarquable
entreprise de médiatisation de la voyance. Au-delà de ses interventions radiodiffusées143 ou
télévisées144, Claude Alexis a investi le terrain virtuel en fondant RTV (pour Radio Télévision
Voyance) Voyance.com.145 Le renom de Claude Alexis se reflète dans la popularité de sa
création. En effet, tout semble indiquer que RTV Voyance jouit d’un grand succès et est l’un
des médias les plus influents du monde de la voyance. Cette hégémonie se fonde notamment
sur la variété des services offerts. En effet, de tous les sites internet que nous avons étudiés
jusqu'à présent, RTV Voyance est celui qui est manifestement le mieux parvenu à associer
offres de service de voyance (consultation ininterrompue de voyants en ligne, tirage de tarots
gratuits, horoscopes etc.) et diffusion de discours sur la voyance (magazine téléchargeable en
format PDF et webradio).
Dans un contexte de développement des médias consacrés à la voyance, la réussite d’un site
combinant des ambitions aussi diverses est significative pour notre analyse. Elle incarne les
diverses manières dont internet facilite la pratique de la voyance. En définitive, nous pouvons
nous risquer à affirmer - pour nous exprimer de manière triviale- qu’internet est
potentiellement “la meilleure chose qui soit arrivée” à la voyance.
142
Interview publiée sur annuairevoyancesymphony.com, tirée de Le Mag - RTV Voyance http://www.annuairevoyance-symphony.com/interviews-de-voyants/interview-claude-alexis-rtv-voyance-tv.html
143
Par exemple sur Europe 1: http://www.europe1.fr/mediacenter/emissions/la-polemique-culturelle/videos/lavoyance-a-t-elle-sa-place-a-la-tele-207462
144
Il officie dans l’émission ID Voyance diffusée sur la chaîne Vivolta et évoquée plus haut (II. B. 2. a.)
145
La référence à deux types de médias traditionnels est intéressante. Le site héberge en effet une webradio, mais
la prétention au titre de “télé” reste mystérieuse car RTV ne dispose en vérité d’aucune chaîne de télévision, pas
même sur internet. Il pourrait s’agir d’une astuce publicitaire visant à attirer les personnes pour qui la télévision
est un média familier.
68
CONCLUSION
Le travail de réflexion auquel nous nous sommes adonnés fut motivé par notre étonnement
face à une situation à priori paradoxale : la voyance, un « art » dont nous pourrions estimer
qu’il est au mieux obsolète,
au pire ridicule, voire malhonnête, est encore activement
pratiquée par nombre de nos contemporains, au point que des manifestations de cette activité
pénètrent occasionnellement le champ de perception de personnes qui n’y sont pas associées.
L’immensité des pistes de réflexion ouvertes par cette énigme nous a amenés à circonscrire
l’objet de notre analyse à un cadre de références concret. Ainsi notre interrogation de départ a
concerné la nature des différents processus de structuration de l’activité de voyance et la part
qu’ils jouent dans son entreprise de légitimation en tant que pratique culturelle.
Nous avons dans un premier temps pu constater que cette structuration reposait en grande
partie sur la manière dont les voyants exercent leur autorité. Ceux que nous avons qualifiés de
pratiquants « actifs » de la voyance dans notre introduction semblent endosser une grande part
de responsabilité dans l’organisation de la pratique de la voyance et, au-delà, dans sa
légitimation. Nous avons fait l’hypothèse que ces voyants exerçaient une forme d’autorité
charismatique wébérienne. Le développement de notre réflexion ne nous permet pas de
confirmer formellement cette supposition. Mais cette association spéculative nous a permis
de déduire que, tels les prophètes wébériens, les voyants exerçaient une domination capable
de prendre des aspects révolutionnaires et/ou religieux, ce qui explique leur capacité à doter
de sens et ainsi rendre acceptable –voire désirable- une pratique dont nous avons vu qu’elle
pouvait paraître saugrenue. Cependant, de la même manière que l’autorité du prophète est en
partie générée par la volonté de ses disciples146,
la centralité de la fonction du voyant ne
signifie pas pour autant que les consultants ne jouent aucun rôle dans le maintien de son
autorité et de celle de la voyance en général. Nous ne devons pas conclure à la passivité
universelle des consultants. Le fait qu’eux-mêmes poursuivent également une activité de
voyance est à prendre en compte dans notre analyse de l’autorité du voyant et de la
pérennisation de la voyance.
146
Voire totalement, sans considération pour la volonté du prophète désigné comme c’est le cas dans le film « La
vie de Brian » (Terry Jones, 1979, HandMade Films) https://www.youtube.com/watch?v=4MwJOnleriM
69
Par la suite, dans cette optique de superposition de l’autorité du voyant à la domination de
type charismatique, nous nous sommes intéressés au processus de quotidianisation du
charisme, en avançant que la manière dont les voyants organisent leur pratique lui serait
assimilable. Cette perspective nous a permis d’observer la manière dont les voyants, au même
titre des prophètes wébériens, fournissent des efforts spécifiques en vue de pérenniser
l’ascendance que leur procure leur don. Certes, s’ils définissent les modalités de leur exercice
professionnel de la voyance c’est probablement en premier lieu dans une optique d’efficacité.
Toutefois, il n’est pas interdit de supposer qu’au-delà du simple désir d’optimaliser leur
« temps de travail », cette organisation ait des portées symboliques visant à définir et
solidifier leur situation dans le cercle des autres pratiquants de la voyance et au-delà.
Dans une seconde partie, nous avons étudié certaines manifestations concrètes des tentatives
de légitimation de la voyance en axant notre réflexion autour d’une division méthodologique
opposant des efforts de légitimation conformistes à d’autres plus assertive, c’est-à-dire
chargés de revendications. Nous avons donc commencé par émettre l’hypothèse selon laquelle
les pratiquants de la voyance tenteraient des rapprochements avec des sphères de l’activité
humaine dont ils avaient l’impression qu’ils jouissaient d’une meilleure reconnaissance
sociale que la voyance afin de s’approprier une part de la légitimité de ceux-ci. Nous en avons
déduit que c’était en effet le cas dans plusieurs domaines. Nous avons ainsi constaté diverses
amorces de rapprochements entre la voyance et le champ des sciences humaines, des sciences
naturelles et des sciences formelles, mais aussi avec le milieu universitaire et des thèmes tels
que la politique, l’économie ou l’écologie. Enfin, notre dernière hypothèse, selon laquelle la
pratique de la voyance se structurerait également autour d’institutions propres s’est elle aussi
vérifiée dans une certaine mesure étant donné que notre analyse a effectivement révélé
l’existence de procédés d’institutionnalisation autonomes, sans référence à des domaines
« déjà légitimes ». Cette mise à disposition de moyens s’illustre principalement dans
l’accomplissement –certes partiel- d’une légalité de la pratique professionnelle de la voyance,
dans l’organisation d’évènements destinés aux pratiquants de la voyance et dans l’affectation
de divers types de médias (notamment l’édition, la presse, la télévision, la radio et l’internet).
Par notre observation des modalités de sa pratique, nous sommes donc parvenus à une
meilleure compréhension de la voyance et, surtout, de ses pratiquants. Nous avons appris que
non seulement la voyance peut être envisagée comme une pratique culturelle, mais sa portée
peut même être décrite comme « totale » dans le sens où elle impacte le regard que ses
70
pratiquants portent sur le monde.
Si elle n’est pas une religion, rien ne nous empêche de
supposer qu’elle puisse s’intégrer à des grilles mentales de référence, influençant non
seulement la manière dont les personnes pensent, mais aussi la manière dont elles se pensent
elles-mêmes. Les pratiquants de la voyance remettent en question des éléments qui façonnent
notre vie et qui apparaissent comme “donnés”, à l’exemple de la mort -réalité inaltérable s’il
en est- qu’ils parviennent à relativiser grâce à la croyance en un « au-delà » qui se manifeste
sous la forme d’esprits communiquant avec les vivants. A nos yeux, ces convictions ne
disqualifient pas la voyance et ses pratiquants de l’analyse sociologique. Au contraire,
travailler sur ces représentations et la manière dont elles structurent le rapport des personnes
au monde est un exercice intellectuel fascinant qui nous rappelle aux enjeux intellectuels
fondamentaux de la sociologie.
71
Sources
 Sources internet de nos interviews de voyants
Yves Lecoq, http://www.yann-lecoq-voyant-medium.com/interview-medium-voyant1.ws
(yann-lecoq-voyant-medium.com, Type 1)
Ambre Médium Voyant, http://www.bees-and-roses.com/fiche-metierambre_medium_voyant_biscarrosse_landes.php (bees-and-roses.com, Type 5)
Barbara Dorveaux, http://www.guidedelavoyance.com/barbara-dorveaux,3.html (guidevoyance-capa.com, Type 3)
Pascal Voyant, http://www.guide-voyance-capa.com/a/Pascal-Voyant-136180742847.php
(guide-voyance-capa.com, Type3)
Cécile Medium, http://www.guide-voyance-capa.com/a/Cecile-Medium-142703927047.php
(guide-voyance-capa.com, Type3)
Reha Voyance Magnétisme, http://www.guide-voyance-capa.com/a/Reha-voyancemagnetisme-142450982147.php (guide-voyance-capa.com,Type3)
Marie Damotte, http://www.guide-voyance-capa.com/a/Marie-DAMOTTE-142451286047.php
(guide-voyance-capa.com, Type3)
Lecoq Bérengère, http://www.guide-voyance-capa.com/a/Lecoq-Berengere-medium-pur142451149847.php (guide-voyance-capa.com, Type3)
Sevasty Voyante Medium, http://www.guide-voyance-capa.com/a/Sevasty-Voyante-Medium140161732347.php (guide-voyance-capa.com, Type 3)
Estelle des Enclos, http://www.guide-voyance-capa.com/a/Estelle-Des-ENCLOS137502290947.php (guide-voyance-capa.com, Type 3)
Francis, http://www.guide-voyance-capa.com/a/Francis-136378368747.php (guide-voyancecapa.com, Type 3)
Sylvarine, http://www.guide-voyance-capa.com/a/Sylvarine-136370556847.php (guidevoyance-capa.com, Type 3)
Lionel Roggia, http://www.annuaire-voyance-symphony.com/interviews-devoyants/interview-lionel-roggia-medium.html (annuaire-voyance-symphony.com, Type 2)
Océane Voyance, http://www.annuaire-voyance-symphony.com/interviews-devoyants/interview-oceane-voyance.html (annuaire-voyance-symphony.com, Type 2)
72
Reynald Voyant Medium, http://www.annuaire-voyance-symphony.com/interviews-devoyants/interview-reynald-voyant-medium.html (annuaire-voyance-symphony.com, Type 2)
Stefy voyante medium, http://www.annuaire-voyance-symphony.com/interviews-devoyants/interview-stefy-voyante-medium.html (annuaire-voyance-symphony.com, Type 2)
David de Castaing, http://www.annuaire-voyance-symphony.com/interviews-devoyants/interview-david-de-castaing-medium-spirite.html (annuaire-voyance-symphony.com,
Type 2)
Christophe Dy, http://www.annuaire-voyance-symphony.com/interviews-devoyants/interview-christophe-dy-voyant-magnetiseur.html (annuaire-voyance-symphony.com,
Type 2)
Sylvie Cariou, http://www.annuaire-voyance-symphony.com/interviews-de-voyants/sylviecariou.html (annuaire-voyance-symphony.com, Type 2)
Claude Alexis, http://www.annuaire-voyance-symphony.com/interviews-devoyants/interview-claude-alexis-rtv-voyance-tv.html (annuaire-voyance-symphony.com, Type
2)
Monsieur Olivier, http://www.annuaire-voyance-symphony.com/interviews-devoyants/interview-monsieur-olivier-parapsy.html (annuaire-voyance-symphony.com, Type 2)
Alexandre de Manberti, http://www.annuaire-voyance-symphony.com/alexandre-demanberti/voyance-interview-du-plus-jeune-medium-de-france-alexandre-de-manbreti.html
(annuaire-voyance-symphony.com, Type 2)
Laurence Larzul, http://www.annuaire-voyance-symphony.com/laurence-larzul/interviewlaurence-larzul-astrologie-karmique.html (annuaire-voyance-symphony.com, Type 2)
Soraya, http://www.annuaire-voyance-symphony.com/interviews-de-voyants/interviewsoraya-medium.html (annuaire-voyance-symphony.com, Type 2)
Annabelle de Villedieu, http://www.annuaire-voyance-symphony.com/interviews-devoyants/interview-annabelle-de-villedieu.html (annuaire-voyance-symphony.com, Type 2)
Allegra, http://www.annuaire-voyance-symphony.com/interviews-de-voyants/interviewallegra-journaliste-et-astrologue.html (annuaire-voyance-symphony.com, Type 2)
Didier Beltran, http://www.annuaire-voyance-symphony.com/interviews-devoyants/interview-didier-beltran.html (annuaire-voyance-symphony.com, Type 2)
Stéphane Rieux, http://www.annuaire-voyance-symphony.com/interviews-devoyants/astrologue-stephane-rieux.html (annuaire-voyance-symphony.com, Type 2)
Jade Médium, http://www.annuaire-voyance-symphony.com/interviews-de-voyants/jademedium.html (annuaire-voyance-symphony.com, Type 2)
Ivana Glavic, http://www.annuaire-voyance-symphony.com/interviews-de-voyants/interviewivana-glavic.html (annuaire-voyance-symphony.com, Type 2)
73
 Autres sources internet sur la voyance
● Type 1: Sites personnels
jean-didier.com : http://www.jean-didier.com/cv.html
yanis-voyance.com : http://www.yanis-voyance.com/
eteissier.com : https://www.eteissier.com/accueil.asp
● Type 2: Sites de services
astrowi.com: http://www.astrowi.com/
astrocenter.tv: http://www.astrocenter.tv/voir-astrocenter-tv-en-direct
radioastro.fr: http://www.radioastro.fr/
emissiondevoyance.com: http://www.emissiondevoyance.com/
angelmavoyance.com: www.angelmavoyance.com/rituel-chance.php
voyancemagie.fr : http://www.voyancemagie.fr/
magie-voyance.info : http://magie-voyance.info/
● Type 3: Sites institutionnels
inad.info: http://inad.info/
metapsychique.org: http://www.metapsychique.org/-L-equipe-de-l-IMI-et-son-reseau-.html
editions-bussiere.com: http://www.editions-bussiere.com/
editions-trajectoire.fr: http://www.editions-trajectoire.fr/index.php#.Vdrbe_nbCjw
editions-dangles.fr : http://www.editions-dangles.fr/index.php#.VdrbnPnbCjw
salon-de-la-voyance.com: http://www.salon-de-la-voyance.com/
salonparapsy.com: http://www.salonparapsy.com/presentation.htm
lerepertoiredesvoyants.com: http://www.lerepertoiredesvoyants.com/
astropsychoformations https://sites.google.com/site/astropsychoformations/home
● Type 4: Sites dédiés aux productions intellectuelles autour de la voyance et de
l’ésotérisme
74
voyancemagazine.com: http://www.voyancemagazine.com/
mystere-tv.com : http://forum.mystere-tv.com/
● Type 5: Sites collatéraux
skyrock.fm: http://skyrock.fm
fcradio.fr: http://www.fcradio.fr/
radiomelodie.com: http://www.radiomelodie.com/emissions/9-voyance.html
rcmlaradio.fr: http://www.rcmlaradio.fr/
overblog.com: https://www.over-blog.com/tag/voyance
youtube.com: https://www.youtube.com/watch?v=4MwJOnleriM
psychologies.com: http://www.psychologies.com/
ldevenementiel.com: http://www.ldevenemenciel.com/
villeneuve-la-guyard.com:http://www.villeneuve-la-guyard.com/a366-salon-de-lesoterisme.html
salonbienetrebiotherapie.com: http://www.salonbienetrebiotherapie.com/
salonlamagys.com : http://www.salonlamagys.com/#!exposants/cee5
glamourparis.com : http://www.glamourparis.com/
 Sources internet sans discours de voyance
sciences…&pseudo science.org: http://www.pseudo-sciences.org/
enseignementsup-recherche.gouv.fr: http://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/
Bibliographie
 Dictionnaires en ligne
Dictionnaire
de
l’Académie
Française,
neuvième
édition,
version
http://atilf.atilf.fr/academie9.htm
Dictionnaire Larousse en ligne : http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais
Centre National de Ressources Textuelles en Ligne : http://www.cnrtl.fr/
75
informatisée
 Ouvrages scientifiques
Bourdieu Pierre, La Distinction. Critique sociale du jugement, Paris, Minuit, 1979
Comte Auguste, Cours de philosophie positive tome 1, éd. Hermann, 1998
Coulangeon Philippe, Sociologie des pratiques culturelles, La découverte « Repères », 2010
Durkheim Emile Le Suicide, Paris, PUF, 2007
Edelman Nicole, Histoire de la voyance et du paranormal du XVIIIème siècle à nos jours,
Seuil, 2006
Esquerre Arnaud, Prédire, l’Astrologie en France au XXI° siècle, Éditions Fayard, 2013
Favret-Saada Jeanne, Désorceler, Éditions de l’Olivier, 2009
Goffman Erving, Stigmate. Les usages sociaux des handicaps (1963), traduit de l'anglais par
Alain Kihm, Éditions de Minuit, 1975
Lahire Bernard La culture des individus. Dissonances culturelles et distinction de soi, La
Découverte, 2004
Mauss Marcel Sociologie et Anthropologie, Collection Quadrige, PUF, 1ère édition 1950
Oakes, Len. Prophetic Charisma: The Psychology of Revolutionary Religious Personalities,
Syracuse, NY: Syracuse University Press, 1997
Riffard Pierre A., Dictionnaire de l'ésotérisme (1983), Paris, Payot, 1993
Sanchez Pascal, La Rationalité des Croyances magiques, Librairie Droz, 2007
Sanchez Pascal, Les Croyances Collectives, PUF, 2007
Simmel Georg, La Religion du point de vue de la théorie de la connaissance , 1er Congrès
International de Philosophie, Paris, T. II, Morale Générale. A. Colin, 1903
Weber Max, WuG: Soziologie, MWS I/23, S.1
76
Weber Max, Économie et société, Paris, Plon (trad. sous la dir. de J. Chavez & G. de
Dampierre), 1971
Lillian Sholtis Brunner,Suzanne C. Smeltzer, Doris Smith Suddarth, Brenda Bare Soins
infirmiers en médecine et en chirurgie: 1. Généralités -, 4° édition, De Boeck
 Articles scientifiques
Adair-Toteff Christopher, “Max Weber’s charismatic prophets” - History of Human Sciences
2014, Vol. 27 (1) 3-20
Beaubien Luc, “L’expérience mystique selon C G Jung – La Voie de l’individuation ou la
réalisation de soi” Thèse présentée à la Faculté des études supérieures de l'Université Laval
dans le cadre du programme de doctorat en philosophie pour l'obtention du grade de
Philosophiae Doctor (Ph.D.) – 2009
Bruhns Hinnerk, “Le charisme en politique : idée séduisante ou concept pertinent ? ”, Les
Cahiers du Centre de Recherches Historiques, 24 | 2000, mis en ligne le 16 janvier 2009
Chevalier Gérard, “Parasciences et procédés de légitimation”, Revue française de sociologie.
1986, 27-2. pp. 205-219.
Courtel Yannick,
“La lutte pour la reconnaissance dans la philosophie sociale d’Axel
Honneth”, Revue des sciences religieuses [En ligne], 82/1 | 2008, mis en ligne le 05 octobre
2012
Dericquebourg Regis, « Max Weber et les charismes spécifiques », Archives de sciences
sociales des religions[En ligne], 137 | janvier - mars 2007, mis en ligne le 05 juin 2010
Favret-Saada Jeanne, “Weber, les émotions et la religion”, Terrain, n° 22, 1994
Mommsen Wolfgang, ”La sociologie politique de Max Weber et sa philosophie de l'histoire
universelle” Revue internationale des sciences sociales Volume XVII – 1965
77
Morin Edgar, “De la culturanalyse à la politique culturelle” Communications vol. 14, 1969.
La politique culturelle. pp. 5-38.
Oakes, Len. Prophetic Charisma: The Psychology of Revolutionary Religious Personalities,
Syracuse, NY: Syracuse University Press, 1997.
Ouedraogo Jean-Martin. La Réception de la sociologie du charisme de Max Weber / The
Acceptance of Max Weber 's Sociology of Charism. In: Archives de sciences sociales des
religions. N. 83, 1993. pp. 141-157.
Tyrell Hartmann “Religion et politique – Max Weber et Emile Durkheim”, Trivium [En
ligne], 13 | 2013, Textes traduits en français, mis en ligne le 28 février 2013
Boudon Raymond, “La rationalité du religieux selon Max Weber”, L’Année Sociologique
vol. 51, 2001/1
“Entretien avec Pierre Bourdieu: La sociologie est-elle une science?”
La Recherche, l’actualité des sciences - mensuel n°99 daté mai 2000
 Articles d’actualité
« Audiences radio: Fun Radio devient la 2ème musicale de France » – rtl.fr, Chloë Lebeau 19/11/2013 http://www.rtl.fr/culture/medias-people/audiences-radio-fun-radio-devient-la-2emusicale-de-france-7766998996
« Paris, centre du monde ésotérique » - lefigaro.fr Eric Bietry-Rivierre, Valérie Duponchelle,
Alexandra
Michot
-
07/02/2012
http://www.lefigaro.fr/sortir-paris/2012/02/07/03013-
20120207ARTFIG00625-paris-centre-du-monde-esoterique.php
 Emissions radiodiffusées
« Les
ghostbusters
de
l'Intérieur »
Arte
Radio,
diffusion
http://www.arteradio.com/son/616140/les_ghostbusters_de_l_interieur/
78
le
29/01/2013
« La Voyance a-t-elle sa place à la télévision ? », Europe 1, diffusion le 03/06/2010
http://www.europe1.fr/mediacenter/emissions/la-polemique-culturelle/videos/la-voyance-a-telle-sa-place-a-la-tele-207462
« De
la
Suite
dans
les
Idées»,
France
Culture,
diffusion
le
23/11/2013
http://www.franceculture.fr/emission-la-suite-dans-les-idees-des-astres-en-vue-l-eternelretour-de-l-astrologie-2013-11-23
79
Annexes
 Réflexions sur les modalités d’interactions entre pratiquants de la voyance sur
internet
Réseaux sociaux et forums : spécificité des interactions sur internet dans le cas de la
pratique de la voyance
A) Les réseaux sociaux : de nouveaux espaces d’interaction virtuelle
Les forums ne sont pas nécessairement des réseaux sociaux. Selon Nicole Ellison et Dana
Boyd (d. boyd et N. Ellison, « Social Network Sites : Definition, History, and Scholarship »,
Journal of Computer-Mediated Communication, vol. 13, nº 1, 2007.) les réseaux sociaux
sont : « des services web qui permettent aux individus de construire un profil public ou semipublic dans le cadre d’un système délimité, d’articuler une liste d’autres utilisateurs avec
lesquels ils partagent des relations, ainsi que de voir et de croiser leurs listes de relations et
celles faites par d’autres à travers la plateforme. ». Cette définition ne correspond que
partiellement aux forums de voyance qui nous intéressent. En effet, si sur ces derniers les
personnes interagissent par le biais de pseudos matérialisant le profil qu’ils ont créé, la gestion
de listes d’amis n’est pas le principal objectif recherché.
Notre sujet d’étude ne se fond donc pas parfaitement avec la notion de « réseau social ».
Toutefois, l’étude des réseaux sociaux peut s’avérer intéressante dans le sens où ces derniers
structurent de plus en plus les interactions sur l’internet.
1) Fondements théoriques de la notion de réseau social
En tant que sujet d’étude, les réseaux ont ceci de particulier qu’ils impliquent une certaine
pluridisciplinarité dans leur approche, ce qui suppose de transcender certaines frontières
traditionnelles entre sciences sociales. En particulier, l’analyse des réseaux a participé au
rapprochement entre le champ économique et le champ sociologique. Ainsi, des travaux de
chercheurs tels qu’Herbert Simon ont contribué à l’émergence de la socio-économie et de
l’économie sociologique.
Aujourd’hui, des professeurs tels que Mark Granovetter et Harrison White exercent en tant
que sociologues tout en appliquant des méthodes et principes économiques à leurs recherches,
tandis que leurs découvertes soutiennent des avancées dans la recherche économique comme
sociologique. Nous pourrions avancer qu’ils vont encore plus loin dans l’ouverture du champ
de la réflexion en citant l’analyse que Michel Grossetti et Frédéric Godart font du travail
d’Harrison White lorsqu’ils expliquent que ce dernier «permet un dépassement des
oppositions classiques en sociologie (micro/macro, individualisme/holisme, expérience
80
subjective/structure, statique/dynamique) en s’appuyant sur une perspective centrée sur les
réseaux sociaux et les réseaux sémantiques et en proposant un certain nombre de concepts
nouveaux ou reconstruits de façon non conventionnelle (en particulier : disciplines, styles,
rhétoriques, régimes). » (Forsé Michel, « Définir et analyser les réseaux sociaux. Les enjeux
de
l'analyse
structurale», Informations
sociales 3/2008
(n°
147),
p. 10-19
URL : www.cairn.info/revue-informations-sociales-2008-3-page-10.htm)
Ainsi donc, dans notre analyse des réseaux sociaux, nous tenterons de garder à l’esprit
l’influence de l’analyse économique dans le champ de la recherche des réseaux sociaux. Nous
utiliserons des principes de microéconomie tout en nous astreignant à ne pas perdre de vue la
nature sociologique de notre analyse.
2) Structuration des réseaux sociaux : exemple lié aux cas d’interactions entre
pratiquants de la voyance
Nous pouvons décrire le réseau social comme une structure en « nœuds » ou « liens » reliant
des unités. Ce terme d’ « unité » est cependant trompeur du fait que celle-ci peut en réalité
être une entité composée de plusieurs éléments. Par exemple, l’analyse des réseaux sociaux
semble s’intéresser de plus en plus aux interactions d’institutions, remettant en question la
prééminence de l’individualisme méthodologique au sein de la science économique.
Toutefois, comme nous l’avons dit dans notre introduction, notre analyse s’intéressera en
priorité aux personnes prises individuellement. Il ne sera pas pour nous question de
conjecturer sur des prises de positions stratégiques de firmes, mais de faire des observations
concernant les dynamiques d’interactions interpersonnelles en réseau. A partir de ces
observations, nous pourrons nous risquer à formuler des hypothèses concernant l’impact des
réseaux sociaux de l’internet sur les interactions des pratiquants de la voyance. Les éléments
de référence concernant la structuration de réseaux nous permettent de mieux comprendre la
construction d’interactions réelles (bien que se déroulant en ligne et non pas dans la vie
« physique »). Ainsi, la notion de « nœud » permet de constater le nombre de liens reliant une
personne à une autre. Il est aussi intéressant de constater « qui est relié à qui ». Les
interactions sur les forums dédiés à la voyance sont complexes. Ces forums voient souvent
beaucoup de « trafic », c’est-à-dire que de nombreux messages sont postés par une multitude
d’utilisateurs qui ont des profils, des aspirations et des contraintes variés. Le schéma suivant
va nous permettre de mieux appréhender certains « nœuds » d’interactions types au sein de
forums dédiés à la voyance.
81
Exemple fictif de structuration d’un réseau d’interaction sur un forum de voyance
gratuite :
Avertissement concernant le schéma : Ce schéma découle d’observations effectuées sur des
forums de voyance, mais il n’illustre pas formellement une situation donnée. Notre objectif
en réalisant ce schéma est de formaliser des connaissances touchant á la structuration de
réseaux sociaux tout en introduisant quelques aspects propres aux interactions sur les forums
où se pratique la voyance gratuite. Nous laissons volontairement de côté des éléments qui ne
servent pas notre démonstration. En particulier, L’on considère ici qu’il existe un lien entre
deux personnes à partir du moment où ils ont interagi à une reprise au moins. Nous
faisons donc état de l’existence d’interactions entre deux personnes, mais nous ne quantifions
pas ces interactions.
Voyante
Consultant E
Consultant D
Consultant A
Consultant C
Consultant B
Nombre de « liens », « nœuds » ou « contacts » par personne :
Voyante : 5
Consultant A : 3
Consultant C : 4
Consultant D : 2
Consultant E : 4
82
Maintenant, examinons le même schéma en mettant en valeur la différence de « nature » des
liens créés :
Ici, les liens verts représentent les requêtes adressées à la voyante officiant sur le forum. Les
liens orange représentent les interactions basés sur des relations interpersonnelles amicales. Et
les liens noirs représentent des requêtes adressées à un « amateur éclairé » de voyance.
Voyante
Consultant E
Consultant D
Consultant A
Consultant C
Consultant B
 Les liens verts qui représentent les requêtes adressées par des consultants à la voyante
du forum sont les plus nombreux. Cette majorité peut s’expliquer du fait que les
personnes se rendent souvent sur les forums dédiés à la voyance afin de pouvoir
bénéficier de consultations gratuites. La figure de la voyante est donc centrale à
l’activité du forum et elle cultive un grand nombre d’interactions avec une multitude
d’interlocuteurs différents.
 Les liens orange figurent des liens amicaux. Nous avons représenté une structure
typique dans laquelle des liens entre une personne (B) et deux qui ne se connaissent
pas entre elles (A) et (C) vont permettre de former un nouveau lien, dessinant ainsi un
réseau en triangle. Ce schéma classique met en relief la dynamique des interactions
amicales sur les réseaux et permet de rappeler que même sur les réseaux spécialisés, il
peut exister des interactions informelles de socialisation.
 Les liens noirs permettent d’attirer l’attention sur un autre phénomène récurrent au
sein des forums de voyance. Il s’agit de l’existence de nombreux « amateurs
éclairés », c’est à dire des personnes qui ne pratiquent pas la voyance
professionnellement, mais qui se targuent d’avoir, dans ce domaine, un certain niveau
83
de connaissance et d’expérience. Ils cumulent souvent de nombreuses interventions
sur les forums de voyance. Grace à cette mise en valeur de leur érudition ils
deviennent, pour de nombreuses personnes, des référents, voire des substitutifs aux
voyants « officiels» qui ne disposent pas toujours de beaucoup de temps à accorder à
tous.
3) L’intérêt des réseaux sociaux dans la compréhension des interactions liées á la
voyance sur internet
a) Une ère de réseaux sociaux
Plus haut nous avons abordé la définition des réseaux telle qu’elle est posée par la science
économique et la sociologie. Nous allons à présent nous intéresser au sujet « réseau social »
tel qu’il est appréhendé par le sens commun, c’est-à-dire comme un outil internet permettant
principalement de communiquer avec des personnes (amis, famille, connaissances,
inconnus…) et de partager du contenu (photos personnelles, articles trouvés sur l’internet,
création artistiques…).
Selon Dominique Cardon (Réseaux sociaux de l'Internet. In: Communications, 88, 2011.
Cultures du numérique [Numéro dirigé par Antonio A. Casilli] pp. 141-148.) les premiers
sites internet correspondant au « profil type » des réseaux sociaux (c’est-à-dire plaçant au
centre de leurs fonctionnalités la gestion et l’interaction avec des contacts) sont apparu en
2003. Il s’agit entre autres du réseau social professionnel LinkedIn et du réseau de partage de
musique MySpace. Créé par Mark Zuckerberg en 2004 et ouvert au public en 2006, Facebook
s’est rapidement imposé en leader du réseau social, amassant en une décennie des centaines
de millions d’utilisateurs jusqu’à finalement dépasser largement le milliard. En 2015 ce sont
donc 1,35 milliards de personnes qui se rendent régulièrement sur la même plateforme,
utilisent les mêmes outils et peuvent potentiellement créer des liens relationnels.
Ce géant a pourtant dû se résoudre à « partager l’affiche » avec d’autres réseaux extrêmement
populaires et dont on peut difficilement dire s’ils sont complémentaires ou en concurrence
avec Facebook. Par exemple, bien qu’elle semble se différencier de Facebook par sa finalité et
ses fonctionnalités, la plateforme de partage de photographies Instagram a été rachetée par
Mark Zuckerberg au prix de 747 millions de dollars. Ces chiffres impressionnants (qu’il
s’agisse du nombre d’utilisateurs ou des sommes d’argent générées) ne sont pas la seule
manifestation du poids des réseaux social sur l’internet. Leur omniprésence sur d’autres sites
en est également une manifestation. Il est par exemple aujourd’hui très souvent possible de
partager instantanément sur un réseau social du contenu (tel un article, une photo, une vidéo..)
que l’on a apprécié grâce à une fonctionnalité présente sur le site même. Au-delà de cela, les
sites internet et autres entreprises utilisent les réseaux sociaux pour promouvoir leur activité.
Créant des profils publics dont la gestion a même donné naissance à une nouvelle activité
professionnelle : community manager.
Ces quelques éléments permettent de comprendre le contexte dans lequel nous situons notre
analyse des interactions sur internet. En effet, selon Dominique Cardon, les réseaux sociaux
« articulent et recomposent la sociabilité des individus en profitant de leurs nouvelles
84
pratiques d'exposition de soi », participant ainsi à une évolution profonde du web qui « se
caractérise par l'importance de la participation des utilisateurs à la production de contenus et
par leur mise en relation ». Ces observations semblent capitales à la compréhension des
interactions des personnes sur les forums internet.
b) Réseaux sociaux et comportement social
L’acceptation commune selon laquelle le but premier des réseaux sociaux est de favoriser les
interactions sociales semble avoir été confirmée par la recherche. Même au sein de plateforme
« interest oriented » (Pinterest, Instagram…) quantité d’outils sont mis à la disposition des
utilisateurs afin qu’ils puissent interagir, s’exprimer, lier des contacts, comparer leurs
contributions etc. Par exemple, si l’objectif initial d’Instagram semble être la publication de
photographies, la dimension sociale est présente à travers les « likes », les « shares » et les
commentaires. Ainsi, le nombre de « likes » qu’une photo récoltera, les discussions qu’elle
suscitera, le référencement dont elle bénéficiera, font intégralement partie de l’expérience
recherchée par les utilisateurs du site. Il s’agit d’une pratique profondément sociale. Comme
l’écrit Dominique Cardon, l’on voit émerger une « exposition de soi » qui est en réalité une
« technique relationnelle ». Dans ce contexte, il semble opportun de s’interroger sur la
manière dont les réseaux sociaux influencent le comportement social. Nous ne chercherons
pas à replacer leurs conséquences sur la psychologie des individus dans un contexte général
démontrant ainsi que l’utilisation des réseaux sociaux impacterait les formes d’interactions
sociales dans la vie physique. Nous nous limiterons à étudier comment les caractéristiques des
réseaux sociaux poussent concrètement leurs utilisateurs à adopter certains comportements
plutôt que d’autres. En effet, selon Michel Forsé : « la forme du réseau a une incidence sur
les ressources qu’un individu peut mobiliser et sur les contraintes auxquelles il est soumis.
Elle ne le détermine pas, mais elle explique que tout ne soit pas possible pour lui et que dès
lors certains comportements ou stratégies soient, en raison de la position occupée dans le
réseau, plus probables que d’autres.» (Forsé Michel, « Définir et analyser les réseaux
sociaux », Informations sociales 3/2008 (n° 147), p. 10-19 URL : www.cairn.info/revueinformations-sociales-2008-3-page-10.htm.)
En particulier, il est intéressant d’explorer les techniques dialogiques employées par les
individus sur les réseaux sociaux. Dominique Cardon décrit une manière de s’exprimer inédite
qui questionne la séparation espace privé/espace public. Il semble constater qu’il existe un
fossé entre la perception que se font les personnes de leur audience sur les réseaux sociaux et
la réalité. Fondamentalement, s’exprimer sur un réseau social consisterait à parler en public,
puisque n’importe qui peut potentiellement avoir accès aux contenus publiés, aux propos
tenus. Or les utilisateurs des réseaux sociaux ne semblent pas adopter les codes de la prise de
parole en public. Il appelle l’environnement voyant naître ce phénomène une « zone de clairobscur » et explique : « Certes, ils parlent en public. Mais, à leurs yeux, ce public est une zone
d'interconnaissance, un lieu plus ou moins clos, un territoire qui conservera les propos dans
son périmètre avant de les laisser s'évaporer. » Par une sorte d’illusion, le réseau social
parviendrait donc en quelque sorte à libérer la parole : « La conversation emprunte beaucoup
plus aux formes dialogiques de l’espace interpersonnel entre interlocuteurs ratifiés qu’à la
prise de parole publique distanciée. ». L’on peut avancer qu’en ratifiant la liste des personnes
85
qu’ils laissent entrer dans leur cercle virtuel, les utilisateurs pensent créer un espace de
sociabilité maîtrisée. Le réseau social est un « opérateur de territorialisation » créant une
« zone de familiarité contrôlée ».
Cette illusion de contrôle et d’intimité semble être à l’origine de nombreux types de
comportements adoptés par les utilisateurs des réseaux sociaux. Nous garderons ce
phénomène à l’esprit tandis que nous nous intéresserons aux forums internet.
B) Etude d’un lieu privilégié d’interactions entre pratiquants de la voyance : les
forums internet
1) Comprendre le phénomène des forums internet, l’intérêt scientifique qu’ils offrent et
les limitations méthodologiques qu’ils posent
a) Définition et genèse
Les forums de discussion peuvent être définis comme « un espace de discussion asynchrone
sur un site web ou sur un service en ligne qui permet aux internautes d’échanger, de poser des
questions ou de poster des réponses sur les thématiques proposées. » (définition
webmarketing.com). Le terme « asynchrone » indique que les forums ne fonctionnent pas sur
le modèle de la messagerie instantanée contrairement à de nombreuses autres plateformes.
Sur les forums de discussion (nous laisserons de côté les forums répondant au modèle
question/réponse), chacun peut écrire un message à n’importe quel moment de la journée ou
de la nuit. Celui-ci s’insèrera dans un fil de messages organisé chronologiquement. Certaines
options cependant, comme celle donnée de « répondre » directement au message d’un
internaute, peuvent permettre de rompre dans une certaine mesure cette linéarité.
Réseaux et forums ont en commun qu’ils permettent d’exprimer un point de vue, de relater
une expérience personnelle, d’échanger avec des internautes et de publier du contenu. Mais la
gestion d’une liste de contacts n’est pas la fonctionnalité principale des forums. L’on peut
opposer schématiquement les réseaux sociaux dans lesquels les rapports aux personnes
l’emportent sur la discussion aux forums dans lesquels la discussion l’emporte sur les
rapports aux personnes. En effet, bien que les forums permettent parfois de tisser ou
consolider des liens interpersonnels, cette dimension sociale n’est le but premier que d’une
certaine sous-catégorie non représentative de l’ensemble des forums et à laquelle nous ne
nous intéresserons pas ici.
Capture d’écran de la page d’accueil des forums du site internet Madmoizelle.com le 29/03/2015
86
La capture d’écran ci-haut illustre l’importance des thèmes de conversation dans la
structuration des forums. Ce sont eux qui déterminent les interactions. Les personnes entrent
en contact car elles souhaitent s’exprimer sur un même sujet plutôt que parce qu’elles
cherchent à entretenir un lien amical préexistant. Cependant, cela n’empêche pas l’émergence
d’une certaine dimension sociale que nous évoquerons plus loin, lorsque nous nous
intéresserons aux communautés virtuelles.
Les forums de discussion ont connu un développement exponentiel depuis le milieu des
années 1990 avec la création du protocole WIT par le Worl Wide Web Consortium. Il en
existe aujourd’hui des milliers au bas mot et leurs utilisateurs se comptent en millions. (Joel
Lee, “How we talk online: A History of Online Forums, From Cavemen Days To The
Present” 23/10/2012, http://www.makeuseof.com/tag/how-we-talk-online-a-history-of-onlineforums-from-cavemen-days-to-the-present/). Certains observateurs affirment cependant
percevoir un déclin des forums, peu rentables économiquement, au profit des réseaux sociaux
notamment. C’est le constat que tire une bloggeuse affiliée au New York Times dans un
article déjà ancien (2011) elle écrit « The Internet forum, that great old standby of Web 1.0.,
has become an endangered species.” (« Le forum internet, ce bon vieux pilier du web 1.0, est
devenu une espèce en voie de disparition. » Virginia Heffernan, « The Old Internet
Neighborhood », 10/07/2011 http://opinionator.blogs.nytimes.com/2011/07/10/remembranceof-message-boards-past/.). Ce déclin donne aux forums un aspect presque suranné qu’il
semble important de garder à l’esprit lors de leur analyse. L’on peut en effet de demander s’il
existe des disparités vis-à-vis de la maîtrise de l’outil internet entre les utilisateurs des
« modernes » réseaux sociaux et les utilisateurs des « obsolètes » forums. Cette question n’est
pas anodine lorsque l’on a affaire à un sujet aussi socialement dévalorisé que la voyance.
b) Intérêts propres à l’analyse des forums de discussion sur internet et limites
méthodologiques
Comme les réseaux sociaux, les forums internet ont suscité un grand nombre d’analyse ces
dernières années. Pour Michel Marcoccia, le forum est « un corpus idéal pour l’analyse des
conversations et l’analyse du discours » (Michel Marcoccia, « L’analyse conversationnelle
des forums de discussion : questionnements méthodologiques », Les Carnets du Cediscor [En
ligne], 8 | 2004, mis en ligne le 01 novembre 2006, consulté le 24 août 2015. URL :
http://cediscor.revues.org/220) pour deux raisons principales.
La première raison est leur authenticité. Les échanges qui ont lieu sur les forums et
consultables par le chercheur ont été produits sans qu’il interfère et sont ainsi libres de son
influence. La seconde est leur homogénéité : lorsque l’on étudie un corpus de messages
prélevé sur un forum, l’on a affaire à une matière certes plurielle du fait de la diversité des
contributeurs, mais finalement relativement cohérente du fait que les messages sont tous
référencés sur une même plateforme et en ordre chronologique.
Un autre avantage à l’analyse des forums est qu’ils permettent d’appréhender de nouveaux
modes de transmissions de connaissances. Cela est particulièrement prégnant pour les forums
portant sur les questions de santé. Ainsi, plusieurs chercheurs se sont intéressés à la manière
dont les personnes échangent sur les questions de santé. Dans un article introduisant une série
de réflexion sur l’appréhension des questions médicales par les forums internet, la chercheuse
Christine Thoër a ainsi établi que le recours aux forums impacte de manière significative le
rapport des personnes à leur propre santé (http://blogsgrms.com/internetsante/author/christine87
thor/). D’abord, les forums leur permettent d’avoir accès à une grande quantité d’informations
(notamment concernant les effets secondaires de certains médicaments, la durée moyenne
d’une convalescence liée à un certain type de pathologie etc.). Christine Thoër parle d’une
« diffusion et [d’une] vulgarisation de l’information scientifique » qui permettent aux
personnes de mieux appréhender leurs pathologies en une sorte de processus d’enpowerment
remettant éventuellement en question l’autorité traditionnelle du corps médical. Surtout, et
nous y reviendrons, les forums représenteraient un véritable vecteur de soutien moral
(Christine Thoër parle de « soutien émotionnel » puis de « soutien social ») résultant en une
augmentation significative du bien être des personnes. Cette dimension émotionnelle, voire
affective semble endémique aux des forums portant sur la santé, mais nous observerons
qu’elle ne se limite pas à ces derniers. En particulier, les interventions sur les forums de
voyance peuvent être chargés d’une forte dimension émotionnelle et les liens affectifs y
jouent un rôle important.
D’un point de vue méthodologique, les forums, comme tout corpus analysable
scientifiquement, posent des problèmes spécifiques. Pour Michel Marcoccia, le caractère
atypique des forums, qui fait leur intérêt, complique également leur appréhension par les
chercheurs, car ces derniers auraient tendance à se référer à des grilles d’analyses
inappropriées. Il parle d’« une démarche qui consiste à appliquer des catégories d’analyse
définies pour l’étude du face-à-face aux échanges médiatisés par ordinateur ». Il faudrait donc
repenser les fondements de l’analyse dialogique et élargir la définition d’une conversation :
« Les paramètres considérés comme nécessaires pour définir une conversation ne sont pas
tous adaptés pour catégoriser les échanges en ligne ; des participants entrent et sortent de
l’espace de communication, la discussion est relativement décousue, etc. Ces caractéristiques
obligent ainsi à repenser ce qu’est une interaction, en proposant une définition plus souple,
apte à tenir compte du caractère discontinu des échanges. »
Ce qui intéressant car cela implique qu’un phénomène aussi « trivial » que le développement
de forums internet force un des fondements des sciences sociales : l’analyse discursive à
repenser ses fondements et ses méthodes. Le fait de prendre en considération l’écart entre les
conceptions habituelles associées à l’analyse discursives et les caractéristiques atypiques des
discussions ayant lieu sur les forums (par exemple, sur les forums, les personnes ne sont pas
strictement émettrices ou destinataires d’un message, mais les deux de manière successive)
permettrait de contourner de nombreuses difficultés et ainsi de produire une analyse
intéressante.
2) Les forums internet : un espace atypique d’interaction
a) Sous l’apparence du chaos, un espace obéissant à ses propres règles
Le caractère « démocratique » des forums où chacun peut théoriquement s’exprimer est
tempéré par l’existence de « chartes de bonne conduite » et de « modérateurs ».
88
Extrait de la Charte de respect du forum des forums du site internet Madmoizelle.com (capture d’écran effectuée
le 29/03/2015)
Ci-dessus est fourni un extrait de la « Charte de respect du Forum » du magazine internet
Madmoizelle.com. On observe que parallèlement à des conseils abstraits tel que « respecter »
ou « Savoir se remettre en question » sont listées des règles plus concrètes telles que « Ne pas
poster de pub ». Cette charte semble donc avoir pour but à la fois la valorisation d’une
certaine philosophie propre au forum (écoute, tolérance, diplomatie etc.) et la publication de
règles de fonctionnement que les utilisateurs enfreindront à leurs risques et périls.
Intéressons-nous à présent à un des supports majeurs de notre analyse : le forum
FF.voyance.com (http://www.ff-voyance.com/). La particularité de cette plateforme est qu’audelà de discussions portant sur des thèmes allant de la numérologie au spiritisme, elle offre la
possibilité de consultations gratuites avec des voyants. Les forums se partagent donc en deux
catégories : ceux dédiés aux conversations générales et ceux dédiés à la pratique non
rémunérée de services de voyance. Contrairement à d’autres sites tels comme
Madmoizelle.com, FF.voyance.com ne contient aucune section dédiée à une charte de bonne
conduite. L’attitude attendue des utilisateurs est dessinée en deux temps. D’abord certaines
règles sont précisées lors de l’inscription du nouvel utilisateur. Il doit les accepter pour mener
à bien la création de son profil. Voici un extrait du texte que l’aspirant utilisateur doit valider :
« Vous acceptez de ne pas publier de contenu abusif, obscène, vulgaire, diffamatoire,
choquant, menaçant, à caractère sexuel ou autre qui peut transgresser les lois de votre pays, du
pays où « Forum de voyance gratuite - FF-Voyance.com » est hébergé ou les lois
internationales. Le faire peut vous mener à un bannissement immédiat et permanent, avec une
notification à votre fournisseur d’accès à Internet si nous le jugeons nécessaire. L’adresse IP
de tous les messages est enregistrée pour aider au renforcement de ces conditions. Vous
acceptez que « Forum de voyance gratuite - FF-Voyance.com » supprime, édite, déplace ou
verrouille n’importe quel sujet lorsque nous estimons que cela est nécessaire. En tant
qu’utilisateur, vous acceptez que toutes les informations que vous avez entrées soient stockées
dans notre base de données. Bien que ces informations ne soient pas diffusées à une tierce
partie sans votre consentement, ni « Forum de voyance gratuite - FF-Voyance.com », ni
89
phpBB ne pourront être tenus comme responsables en cas de tentative de piratage visant à
compromettre les données. »
Extrait des conditions d’utilisations du forum FF.voyance.com
On observe que ces exigences et avertissements se différencient de manière significative de la
profession de foi qu’est la Charte de respect du forum du site Madmoizelle.com. Le site
ff.voyance.com semble se limiter à une appréhension légale des règles d’utilisation du forum,
plaçant ses utilisateurs face aux risques juridiques qu’ils encourent à travers la publication de
certains contenus. Le cadre de référence de ces interdits est la loi française plutôt que la
philosophie du site.
Nous pouvons également observer que la charte de Madmoizelle.com semble mettre en avant
des valeurs de bien-être commun : les membres du forum se doivent d’amender leur
comportement car ils ont une responsabilité envers leurs semblables et doivent œuvrer en
faveur de la synergie de la collectivité qu’ils forment. En revanche, les consignes adressées
aux utilisateurs des forums de FF.voyance.com semblent dessiner un cadre de référence
« égoïste » au sein duquel l’utilisateur se soucie en priorité des conséquences que son
comportement peut avoir sur son propre bien être. En effet, les conditions d’utilisation de
ff.voyance.com ne prétendent pas que l’attitude déplacée d’un membre aura des conséquences
sur l’ensemble de la collectivité formée par les utilisateurs du site. De la même manière, les
pénalités sont clairement individualisées (« bannissement immédiat et permanent » de
l’utilisateur).
Outre les règles précisées dans les conditions d’utilisation du forum, les voyants actifs sur
ff.voyance.com peuvent édicter leurs propres conditions concernant l’exercice de leur activité
sur le site. La page d’accueil fait référence à ces règles dans la section « Bienvenue sur
FF.Voyance.com » : « Pour poser une question, rendez-vous dans le forum des voyants.
Pensez à consulter les règles afin d'être sûr d'obtenir une réponse. ». Pour lire ces règles, il
faut se rendre sur le forum personnel des voyants. Certains voyants affichent les règles
d’utilisation de leur forum (donc de leurs consultations) en haut de la page d’accueil de leur
forum (c’est le cas de Sandra et de Gwenola). D’autres utilisent la section « Annonces ».
D’autres encore n’ont pas publié de règles (c’est notamment le cas d’Héléna ou d’Arnaud). Le
contenu même des prescriptions varie en fonction des voyants.
De manière générale, ces règles semblent participer d’un rapport hiérarchique entre voyants et
consultants au profit des premiers. Le fait de proposer des séances de voyance gratuites est un
atout pour le site. La voyance est typiquement un service monétarisé qui peut s’avérer couteux
du fait de son mode tarification (souvent à la minute) voire de son caractère répétitif
(fréquences assimilables à un comportement addictif). En sollicitant une prédiction gratuite
de la part de voyants professionnels qui ont pour habitude de tarifer leurs services les
consultants demandent en quelque sorte qu’on leur rende un service, voire qu’on leur fasse
une faveur. Les voyants semblent tirer profit de cette situation. Ils stipulent ainsi un certain
nombre de conditions dont on peut supposer qu’elles sont non négociables considérant la
manière dont elles sont énoncées. Ainsi, dans un message rappelant ses conditions, la voyante
Sandra écrit : «ATTENTION, IL FAUDRA UN DELAI DE DEUX MOIS POUR POUVOIR
ME REPOSER OU LA MEME QUESTION OU UNE AUTRE VIA CE FORUM ». Elle
reconnaît elle-même que ce délais peut être perçu comme contraignant, et propose à ses
consultants de contourner cette limitation en ayant recours à son site internet personnel (donc
à un service tarifé) : « cependant, mon site reste ouvert si vous souhaitez ne pas attendre ce
long délai ». Ce faisant, Sandra rappelle aux utilisateurs de ff.voyance.com qu’en sollicitant
des prestations gratuites ils ne peuvent prétendre aux mêmes avantages que les consultants qui
90
la rémunèrent. Elle espère ainsi probablement convertir des interactions non monétarisées en
des rapports lucratifs. De la même manière, dans son message intitulé « Comment ça
marche » le tarologue Merlin explique : « vous devez attendre quatre mois entre chaque
demande sur le forum ou pour les plus pressés vous pouvez me contacter sur mon site ».
Cette profusion de règles non négociables ajoutée à la pression symbolique que subit le
consultant maintenu dans un rôle de solliciteur contredit la qualité habituellement
« horizontale » des forums. Dans son analyse des forums consacrés à la sexualité post-partum,
la chercheuse Christine de Pierrepont évoque ainsi : « un mode d’échanges de type horizontal
où les interactions entre les pairs sont centraux » (Catherine de Pierrepont, « La sexualité
post-partum dans les fora internet »,Civilisations [En ligne], 59-1 | 2010, mis en ligne le 29
juin 2013, consulté le 24 août 2015. URL : http://civilisations.revues.org/2246). En vertu de
nos observations, nous pouvons avancer que les forums consacrés à la voyance gratuite
abolissent cette relation d’égal à égal, posant les bases d’un rapport hiérarchisé entre un
solliciteur-non doté (d’un quelconque talent de préscience) et un fournisseur-doté. Cela
souligne le caractère atypique des forums de voyance où encore plus qu’ailleurs, les
interactions sont régulées. Dans cette optique, les marques de bienveillances des voyants
envers leurs consultants semblent plus tenir du rapport de « séduction » existant
traditionnellement entre un fournisseur de service et un client potentiel que de la relation
amicale.
Les forums dédiés à la voyance gratuite se différencient donc de manière notable des autres
forums par la structuration des rapports entre utilisateurs. En revanche, l’autre catégorie de
forums présente sur le site, c’est-à-dire les forums consacrés aux discussions à caractère
général présentent une classique structure horizontale. Comme l’écrit Catherine de
Pierrepont : « On est en effet ici dans le cadre d’une socialisation entre pairs, qui passe par des
échanges explicites et intentionnels d’expériences, relatées par les uns, délibérément
recherchées comme points d’appuis par les autres. Les internautes, à partir de leurs
expériences personnelles et de leurs questions, se mettent en quête d’informations, de conseils
et du soutien de leurs pairs. »
b) Les forums comme creuset d’une communauté virtuelle
Non avons vu que les forums dédiés à la voyance gratuite s’opposaient par leur
caractéristiques et leur fonctionnement à la conception démocratique, horizontale, sociale et
solidaires des forums de l’internet. En revanche, nous pouvons nous demander ce qu’il en est
des forums de « discussions générales » hébergés sur le site FF.voyance.com. Dans cette
section, nous questionnerons la relation entre ces forums et le concept de « communauté
virtuelle ». Ce terme est régulièrement employé dans les analyses portant sur les interactions
au sein des forums. La communauté virtuelle peut être définie comme un « regroupement
d’internautes autour d’un thème fédérateur ou d’une passion commune. La communauté
constitue une cible extrêmement qualifiée. On distingue généralement les communautés
professionnelles et les communautés grand public. La communauté se distingue du simple
portail thématique par les services d’échanges (forum, chat, albums, mailing liste, etc..)
qu’elle comporte. » (Définition webmarketing.com). Selon cette analyse il semblerait que
trois éléments principaux soient nécessaires à la création d’une communauté virtuelle : des
internautes, un intérêt commun et des outils de communication. A priori le site internet
ff.voyance.com permet la réunion de ces trois éléments :
-
les internautes se manifestent sous la forme de profils virtuels
91
-
les intérêts communs touchent aux divers thèmes occultes traités (cartomancie,
spiritisme, intuition magique etc.)
-
les posts ainsi que les messages privés permettent d’échanger des informations, des
opinions, des ressentis etc.
Cependant, cette définition d’une communauté virtuelle semble relativement limitée. Elle
établit la possibilité de la formation d’un regroupement de personnes interagissant autour de
centres d’intérêt communs, mais elle n’explique pas en quoi cette communauté est un
nouveau mode de socialisation, elle n’explore pas ce qui la rend atypique ni ne questionne ses
limites. Il semble donc nécessaire d’affiner notre compréhension des communautés virtuelles
et des enjeux qu’elles soulèvent. Citant Michel Marcoccia, Christine de Pierrepont liste les
critères suivants pour établir l’existence d’une communauté virtuelle : « création d’un
sentiment d’appartenance, possibilité de construire son identité dans la communauté,
importance de la dimension relationnelle, engagement réciproque, partage des valeurs et des
finalités, émergence d’une histoire commune, durée des échanges, existence de principes de
pilotage des comportements des membres et mécanismes de résolution de conflits, réflexivité
du groupe ». L’on constate que si la définition de Webmarketing.com s’attache à répertorier
les éléments clés à la formation d’une communauté internet et à décrire concrètement
comment ceux-ci s’articulent. Le point de vue adopté par Pierrepont et Marcoccia soulève
bien plus d’enjeux théoriques telles que la formation d’un sentiment d’appartenance, d’une
identité ou la mise en place d’une dynamique des conflits. Il est intéressant de s’interroger sur
l’existence de ces phénomènes au sein des forums de conversations générales de
ff.voyance.com.
Il existe quatre catégories thématiques de forums de conversations générales sur le site. Il
s’agit de « Voyance, Intuition, Prémonition », « Tarot divinatoire, Cartomancie et Oracles »,
« Numérologie, analyse de profil et chemin de vie » et « Esotérisme, Paranormal,
Spiritisme ». La catégorie « Voyance, Intuition, Prémonition » est intéressante dans le sens où
les conversations qui y sont créées rappellent les forums des voyants pratiquant des
consultations gratuites. En effet, beaucoup de conversations portent sur des offres ou
recherches de services liés à la voyance.
92
Capture d’écran de la première page des conversations créées dans le forum « Voyance, Intuition, Prémonition »
effectuée le 5 avril 2015
Dans la capture d’écran ci-haut on peut observer que les offres et demandes de service de
voyance sont prépondérantes. Les internautes ne discutent pas de voyance, ils la pratiquent,
ou du moins cherchent à la pratiquer. Les sujets qui suscitent le plus de réponses sont ceux
créés par des personnes qui offrent des services de voyance. Ainsi, le sujet « Voyance offert »
comptabilise 460 réponse et 7280 vues au 5 avril 2015 tandis qu’un sujet intitulé « Je propose
de vous aider avec les Tarots » a récolté 310 réponses et 5719 vues à la même date. En
revanche des sujets comme « grossesse », « je me lance » (créés tous deux par des femmes ne
parvenant pas à tomber enceintes) ou « bonjour besoin d’aide » (créé par une femme
expliquant qu’elle voudrait l’aide d’un voyant pour vaincre les doutes qui l’assaillent) n’ont
donné lieu à aucune réponse et ont été visionnés respectivement par 41, 78 et 98 personnes.
Le contraste entre le nombre d’interactions que suscitent les sujets créés par des personnes
offrant leurs services de voyances et les sujets créés par des personnes en quête de service de
voyance (voire de soutien moral) nous amène à faire deux conclusions :
-
le forum intitulé « Voyance, Intuition, Prémonition » semble imiter les forums animés
par les voyants du site. En effet, on y trouve à nouveaux des personnes offrant des
services de voyance et d’autres briguant ces services. La principale différence est le
fait que ces voyants (ou ces aspirants voyants) ne bénéficient pas d’un forum qui leur
soit propre et au sein duquel ils pourraient établir leurs propres règles et jouir d’une
certaine reconnaissance.
-
Le lieu ne semble pas propice au développement d’interactions sociales au vu de
l’échec répété de sujets créés par des personnes cherchant à obtenir des conseils. On
peut en outre s’interroger sur le fossé existant entre le nombre de vues dont ces sujets
bénéficient (souvent plusieurs dizaines) et le nombre de réponses qu’ils provoquent
(souvent aucune). Qu’est-ce qui pousse les personnes à visualiser un sujet sans y
répondre ? Si ces personnes ne répondent pas car elles ne se sentent pas qualifiées,
93
pourquoi ont-elles lu le sujet ? Elles devaient déjà estimer, avant lecture, qu’elles
n’étaient pas qualifiées pour faire des prémonitions. Cette observation soulève des
questions dans le champ de la psychologie sociale et des interactions sur internet.
Tenter d’y répondre serait sûrement extrêmement intéressant, mais nous éloignerait
malheureusement de l’objet de notre étude.
De ce que nous avons pu observer du forum « Voyance, Intuition, Prémonition » nous
pouvons conclure qu’il n’a pas donné transcender les interactions des internautes en une
communauté virtuelle telle que l’envisage Christine de Pierrepont ou Michel Marcoccia.
La construction d’une identité ou l’apparition d’un sentiment d’appartenance collective ne
semblent pas être des enjeux apparents de ce forum au sein duquel chacun semble
poursuivre ses propres intérêts dans une logique utilitariste.
Toutes les observations que nous avons faites semblent aller à l’encontre de l’existence
d’une communauté virtuelle sur le site ff.voyance.com. Les personnes semblent faire une
utilisation égoïste des forums, plaçant la poursuite de leurs intérêts (se rassurer ou en
apprendre plus sur leur avenir) avant la formation de liens amicaux ou solidaires.
Mais si l’on ne peut pas assimiler ff.voyance.com à une communauté virtuelle parfaite
donnant lieu à la création de lien émotionnels forts il semble nécessaire d’approfondir
notre analyse pour mettre en valeur certains éléments qui permettent de rapprocher les
interactions sur le site ff.voyance.com d’un outil de partage social.
-Même si elles ne reçoivent pas toujours des réponses les personnes postent en quantité. Il
y a de nombreux messages sur le site.
-Lorsque l’on s’éloigne de la recherche « pure » de prestation, on observe plus
d’interactions à caractère social.
-En particulier, les personnes échangeront de manière plus soutenue lorsque qu’elles sont
dans un processus d’apprentissage d’une pratique occulte. Cela renvoie au partage de
connaissances qu’évoquait Christine Thoër à propos des forums consacrés à la santé.
Nous pouvons donc conclure de nos observations que, malgré les limites du caractère
social des forums dédiés à la voyance, l’on peut considérer ces derniers comme un vecteur
de facilitation de l’activité des pratiquants de la voyance, voire comme un moyen de
renforcer leur croyance. En effet, si les personnes ne semblent pas nécessairement entrer
un cercle social solide lorsqu’elles interviennent sur les forums, le fait d’être confronté à
une quantité de témoignages de personnes croyant en la voyance et la pratiquant n’est pas
anodin. En permettant la publication de messages en rapport avec l’expérience occulte, en
leur donnant une visibilité et une valeur (notamment à travers la mise en place d’outils de
comptabilité) le site internet ff.voyance.com remplit une double mission de diffusion et de
légitimation de l’occulte. Ainsi, il joue un rôle central dans la pérennisation dans les
mœurs du recours à la voyance.
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