Contrat et Patrimoine n°17 (Décembre 2011)

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Contrat et Patrimoine n°17 (Décembre 2011)
déc 2011
#
17
Votre avocat vous informe
contrat
& patrimoine
dans ce numéro
Contrat
Arbitrage
Assurance
Banque
Société
Civ. 1re, 4 nov. 2011,
n° 10-24.007
#Contrat
Admission de l’exception de jeu
Une personne assigne une autre en paiement d’un
montant d’environ 1 750 000 c qu’il soutenait lui avoir
prêtée pendant plus d’un an et demi, la seconde soulève l’exception de jeu, qui est accueillie, ce, à tous les
stades de la procédure. Parmi les arguments avancés
par le prêteur figurait le fait qu’il ignorait la destination
des sommes litigieuses et leur utilisation pour le jeu.
Pour les juges du fond, dont l’analyse est pleinement validée par la Cour de cassation, le prêteur,
compte tenu des circonstances, ne pouvait précisément ignorer cette destination : outre l’énormité de la somme globale prêtée, ils relèvent l’établissement de reconnaissances de dette mensuelles
par l’emprunteur, l’une d’entre elles indiquant, au surplus, qu’il s’était adonné aux jeux d’argent. Il
était ainsi « établi qu’il s’agissait de fonds destinés au jeu, ayant permis à l’emprunteur aussi bien
de payer ses dettes que de continuer à jouer en dehors d’un établissement dans lequel le jeu est
régulièrement autorisé ». D’où le droit de l’emprunteur de se prévaloir de l’article 1965 du Code
civil, selon lequel « La loi n’accorde aucune action pour une dette du jeu ou pour le paiement d’un
pari ». Si ce texte ne suscite plus guère de jurisprudence, il conserve tout son intérêt, comme le
montre cet arrêt, s’agissant des relations entre non-professionnels, dans l’hypothèse où un particulier prête à un autre particulier une certaine somme d’argent pour le jeu.
#Arbitrage
Civ. 1re, 26 oct. 2011,
n° 10-17.708
Arbitrage en matière de sous-traitance internationale
Un contrat de construction de yachts donne lieu à des sous-traitances en cascade dans un contexte
international (le chantier naval, l’entrepreneur principal, une société française, ayant sous-traité
les travaux de peinture à un sous-traitant suédois, ce dernier ayant lui-même sous-traité ces travaux à un sous-traitant de second rang, une société allemande), le contrat de sous-traitance de
premier rang comportant une clause compromissoire. L’entrepreneur principal ayant rompu le
contrat principal, puis le sous-traité, les sous-traitants, de premier rang et de second rang, ont
tous deux assigné l’entrepreneur principal en paiement de diverses sommes devant le juge des
référés du tribunal de commerce, tribunal du siège du chantier naval, qui s’est déclaré compétent,
malgré la clause compromissoire. Cela n’est pas surprenant, puisqu’il est admis que l’existence
d’une convention d’arbitrage ne suffit pas, en elle-même, à faire échec à l’intervention du juge
des référés antérieurement à la saisine du tribunal arbitral.
L’arrêt du 26 octobre 2011 de la Cour de cassation admet également que la clause compromissoire, stipulée uniquement dans le contrat de sous-traitance de premier rang, s’impose au
sous-traitant de second rang, dans la mesure où il « en a eu connaissance lors de la signature
de son contrat et qui est directement impliqué dans l’exécution du premier contrat ». Là encore,
la solution n’est pas surprenante, car la Cour de cassation n’est pas hostile à ce que l’effet de la
clause compromissoire s’étende au-delà de ses signataires ; elle se fonde précisément, très généralement, sur le critère de l’implication directe dans l’exécution du contrat dans lequel est insérée
ladite clause.
Enfin cet arrêt apporte une utile contribution au droit de la sous-traitance, en précisant quelle est
la « cible » de l’action directe prévue par l’article 12 de la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975
en cas de sous-traitance en cascade. La Cour de cassation affirme, dans un attendu de principe
que, « les sous-traitants, quel que soit leur rang, n’ont une action directe que contre celui pour le
compte de qui la construction est réalisée et qui conserve la qualité de maître de l’ouvrage ». En
d’autres termes, le sous-traitant de second rang a une action directe non pas contre l’entrepreneur principal, mais contre le maître de l’ouvrage.
#Assurance
Civ. 3e, 16 nov. 2011,
n° 10-25.246
Reproduction des articles L. 14-1 et L. 114-2 du Code des assurances sous peine d’inopposabilité
Un contrat d’assurance litigieux était libellé dans les termes suivants « toutes actions dérivant
de ce contrat sont prescrites par deux ans à compter de l’événement qui y donne naissance (C.
assur., art. L. 114-1 et L. 114-2) ». La cour d’appel avait estimé que ces stipulations répondaient
aux exigences légales puisqu’étaient mentionnés le délai biennal ainsi que les articles L. 114-1 et
L. 114-2 du Code des assurances. Ainsi, selon elle, « l’assuré bénéficiait d’une information suffisante puisque le délai ainsi que les textes essentiels y étaient expressément visés, l’article R. 112-1
n’exigeant pas de l’assureur la reproduction in extenso des articles du Code des assurances ».
Ce raisonnement est entièrement censuré par la Cour de cassation, au motif que l’assureur est
tenu de rappeler dans le contrat d’assurance, sous peine d’inopposabilité à l’assuré du délai de
prescription édicté par l’article L. 114-1 du Code des assurances, les causes d’interruption de la
prescription biennale prévues à l’article L. 114-2 du même Code.
En critiquant la cour d’appel d’avoir estimé que le Code des assurances n’exigeait pas la reproduction in extenso des articles L. 114-1 et L. 114-2 du Code des assurances, la troisième Chambre
civile franchit un pas supplémentaire. En pratique, bien qu’elle ne le dise pas expressément, la
reproduction expresse de ces textes semble désormais de rigueur.
Enfin, cet arrêt confirme que la sanction encourue lorsque les mentions sont lacunaires ou inexistantes est l’inopposabilité de la prescription à l’assuré. Pour éviter cette sanction, il est conseillé de
régulariser les polices lacunaires par la signature d’un avenant afin de respecter la lettre de l’article
R. 112-1 du Code des assurances.
#Banque
Com. 11 oct. 2011,
n° 10-21.954
Opposition au paiement par carte bancaire dans le contexte d’une procédure collective
Un particulier a passé, le 6 octobre 2008, à la Camif une commande réglée au moyen d’une
carte bancaire. Ayant appris que la Camif avait été mise en liquidation judiciaire, il a fait, le
29 octobre 2008, opposition auprès de sa banque au paiement de la somme correspondant à
cet achat. Malheureusement, cette somme avait déjà été passée au débit de son compte, par la
banque, antérieurement à cette opposition. L’intéressé a alors assigné la caisse en remboursement
et obtient gain de cause devant une juridiction de proximité. Cette décision est cassée par la Cour
de cassation.
La Cour de cassation se range, en effet, totalement aux arguments de la banque et affirme,
dans un attendu de principe, que : « le porteur d’une carte ne peut contester, dans le délai [de
soixante-dix jours], la régularité d’une opération effectuée au moyen de cet instrument au profit
d’un bénéficiaire mis en procédure collective que s’il a notifié une opposition pour ce motif à
l’émetteur de sa carte, avant que ce dernier ne procède au règlement des sommes dues entre les
mains du banquier du bénéficiaire ».
Étendue du cautionnement et usure
Le gérant d’une société avait souscrit trois engagements de caution solidaire de sa société, pour
des montants de 76 221,66 c, de 609 886,64 c et de 152 472,67 c. La société ayant fait l’objet
d’un redressement puis d’une liquidation judiciaires, il fut condamné à payer à la banque les
sommes de 76 221,66 et de 609 886,64 c qui correspondent respectivement aux deux premiers
prêts.
L’admission par le juge-commissaire d’une créance au passif du débiteur acquiert, quant à son
existence et à son montant, l’autorité de la chose jugée à l’égard de la caution, sauf contestation
par celle-ci de l’état des créances déposé au greffe dans le délai requis. Ici, la créance de la banque
à l’égard du débiteur principal avait été définitivement admise pour la somme de 1 625 644,77 c,
en d’autres termes pour une somme bien supérieure, à l’issue de la période de couverture de la caution, au montant maximum des engagements de caution cumulés. Même si les engagements étaient
à durée déterminée, l’obligation de règlement subsistait à cette date pour leur montant maximum.
La Cour de cassation estime que n’étend pas les cautionnements au-delà de la limite dans laquelle ils
ont été contractés une cour d’appel qui, après avoir relevé que la créance de la banque à l’égard du
débiteur principal avait été définitivement admise pour la somme de 1 625 644,77 c, retient que les
montants dus par le débiteur à l’issue de la période de couverture de la caution sont bien supérieurs au montant maximum des engagements de caution cumulés, de sorte que la caution reste
tenue de son obligation de règlement au titre de ces trois engagements.
Quant à l’usure, sa sanction n’est pas la nullité de la stipulation d’intérêts sur le fondement de
l’article 1304 du Code civil, mais l’imputation des perceptions excessives sur les intérêts normaux
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Com. 11 oct. 2011,
n° 10-14.359
alors échus et, subsidiairement, sur le capital de la créance et, si la créance est éteinte, leur restitution avec intérêt au taux légal du jour où elles auront été payées. Dès lors, la prescription quinquennale de l’article 1304 ne pouvait être appliquée. C’est la prescription décennale de l’article
L. 110-4 du Code de commerce applicable avant l’entrée en vigueur de la loi n° 2008-161 du
17 juin 2008 (la prescription est désormais de 5 ans) qui devait l’être ; et ce, quand bien même il
était par ailleurs relevé que le TEG mentionné était erroné. En définitive, la réduction de la partie
usuraire des intérêts devait avoir lieu sur dix ans.
#Société
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Votre avocat vous informe
déc 2011
Com. 15 nov. 2011,
n° 10-15.049
Non-concurrence, loyauté : devoirs respectifs de l’associé et du gérant
Sauf stipulation contraire, l’associé d’une société à responsabilité limitée n’est, en cette qualité,
tenu ni de s’abstenir d’exercer une activité concurrente de celle de la société ni d’informer celle-ci
d’une telle activité et doit seulement s’abstenir d’actes de concurrence déloyaux. En revanche, les
actes de concurrence du gérant constituent des manquements à son obligation de loyauté et de
fidélité.
La Cour de cassation déclare que « sauf stipulation contraire, l’associé d’une société à responsabilité limitée n’est, en cette qualité, tenu ni de s’abstenir d’exercer une activité concurrente de
celle de la société ni d’informer celle-ci d’une telle activité et doit seulement s’abstenir d’actes de
concurrence déloyaux ». Rien n’empêche donc le « simple » associé de concurrencer librement la
SARL, à qui est ainsi reconnue, comme à tout un chacun, la liberté d’entreprise, pas même entravée par une obligation d’information de la personne morale de l’exercice d’une activité concurrente. Une telle obligation d’information reviendrait pareillement, en droit, à découvrir un devoir
de loyauté de l’associé et, en fait, sans doute, à interdire le cumul de la qualité d’associé et de
celle d’entrepreneur dans le même secteur, mais sous la réserve de droit commun, évidemment,
des actes de concurrence déloyale (par ex., le débauchage massif de salariés).
S’agissant du gérant, l’arrêt n’est pas moins important, qui, implicitement mais sans équivoque,
affirme, au visa de l’article L. 223-22 du Code de commerce, siège de la responsabilité du gérant
de SARL à l’égard de la société, l’existence à la charge du gérant de la société, et donc de l’associégérant (d’où la nuance à propos de l’associé : « en cette qualité »), d’une « obligation de loyauté
et de fidélité pesant sur lui en raison de sa qualité de gérant de la société […], lui interdisant de
négocier, en qualité de gérant d’une autre société, un marché dans le même domaine d’activité ».
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