Le mistral de la légende à l`histoire
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Le mistral de la légende à l`histoire
Le vent rouge dans le ciel bleu LE MISTRAL I. DE LA LEGENDE A L’HISTOIRE... Quand les dieux eurent fait la Terre et qu’assez d’éléments leur restèrent pour aménager une région avec plus de soin, ils transformèrent la Provence en un canton d’Olympe, en “un coin de paradis”, comme on y dit toujours. Conférées la douceur à son climat, à son la bonhomie à ses habitants, animées par un soleil attentif, ils craignirent alors que leurs créatures d’eux ne se détournassent et décidèrent de contrebalancer par deux inconvénients: la Durance et Mistral. La mesure fut consignée en ce dicton : “Lou Mistrau emé la Durènço Gaston la mita de Prouvènço”. Ainsi, de la légende est né, légendaire lui-même, le maître-vent de la Provence. Au fait, a-t-il une légende ? — Il a beaucoup mieux, répond Marie Mauron, il en crée ! 1. Du Temps même des dieux, il guide Héraclès du Caucase vers les Hespérides par la Gaule méridionale. Le héros a délivré Prométhée de l’aigle reçu de son foie : celui-ci l’engage en remerciements à se méfier dans son voyage d’un vent violent. Eschyle, dans son Prométhée enchaîné le fait ainsi parler : - Tu arriveras, ô Hercule, en des lieux battus par Borée. Prends garde ! La violence du vent peut t’enlever de terre. Mais ce vent devait, au contraire, sauver Hercule attaqué dans la Crau par les géants ligures d’Albion et de Bergion les fils de Neptune (dont les noms, selon Michelet, signifient “montagnards”); alors qu’il n’était pas loin de succomber sous leurs coups, Jupiter vint à son secours, sous la forme de Circius; accumulant sur la plaine d’épais et lourds nuages, il en suscita le plus violent orage qui fut depuis le déluge des origines, un orage de cailloux assommant les bandits, qu’acheva l’illustre voyageur. Depuis lors, Circius, sur ce “campus”, devenu “lapideus”, “Cravensis” ou “Cravus”, a retenu dans son souffle la rudesse du chef des héros et la puissance du roi des dieux. Au delà des temps historiques, aux époques incertaines où l’homme n’avait pas encore pris pied sur les terres provençales émergées de la mer primordiale, ne s’y installa-t-il pas, pour les assécher et les purifier ! 2. Monsieur le Commandant Emmanuel Davin, Ingénieur principal de Marine de Toulon, dans son étude sur le “Mistral et autres vents en Provence”, a écrit: “Le mistral semble avoir fait son apparition à l’époque miocène”. Passant d’une ère géologique à l’âge archéologique du Chelléen. BérengerFéraud précise qu’alors : “il régnait des brises fréquentes souvent assez fortes; c’est-à-dire que le mistral y soufflait déjà comme aujourd’hui”. 3. Monsieur Rougetet, qui est l’homme connaissant le mieux le mistral pour l’avoir fréquenté, pour avoir avec lui sympathisé, pendant quarante ans, de Montélimar à Marignane et Toulon, dont il a été le Directeur des Stations Météorologiques, interrogé sur son antiquité, m’a répondu : “Le mistral étant dû à une distribution de pressions particulières, on ne peut guère avancer que telle disposition soit apparue au Miocène, car il est probable qu’à cette époque, la répartition des continents et des mers était différente de ce qu’elle est aujourd’hui. Il n’y a pas de raison pour que le mistral n’ait pas soufflé dès que la figure continentale fut la même qu’actuellement”. Le mistral serait donc né dans les premiers siècles du Quaternaire, précédant en Provence l’homme d’environ un millier de millénaires. Mieux, selon M.Rougetet “ce souffle puissant a bercé la naissance de notre Provence au temps où celle-ci émergeait définitivement des flots méditerranéens”. 4. Aux confins de l’histoire, “nos ancêtres, les Gaulois”, qui ne redoutaient rien, ni personne, et se riaient des dieux étrangers, avalent peur de ce roi à plusieurs couronnes, dont le Ventaux était le royaume favori: dans la basse vallée du Rhône, ils lui auraient dressé des autels et offert des sacrifices. (D’après les “Pages Vauclusiennes” de Gabriel Constant). La crainte de ce vent aurait stoppé la marche des Cimbres en Provence, lors des grandes invasions. Et l’inquiétude devant ses colères aurait conduit en Espagne les Celtes établis en Narbonnaise. La légende du mistral prenait ainsi pied dans les annales historiques provençales. 5. Les navigateurs grecs, leurs bateaux de commerce, passées, en Méditerranée, les “chèvres d’Amphytrite”, image des vagues moutonnières que le Kertios poussait contre leurs flancs, le retrouvait souvent à terre. Ferdinand Lallemand, présentant le carnet de bord qu’il a fait tenir à Markos Sestios, riche armateur et marchand de l’île appolinienne de Délos, que Tite-Live dit agent secret de Rome en Grèce, lors d’un dernier voyage sur son Delphinophore, a transcrit : “C’est à partir de la Néapolis (La Napoule actuelle, proche de Cannes) qu’on subit ses effets dévastateurs et il est souvent terrible à Massalia (Marseille) ou à Agatha Polis (Agde)”. 6. Le Kertios, ou Skiron, devint, sous l’occupation romaine, le Circius, qui avait déjà la force, la brutalité du Mistral moderne. Marche latine, la Provence prospéra jusqu’à ne plus se distinguer quasi de l’Italie : sa population, dit un auteur ancien, augmenta considérablement; pendant plus de quatre siècles elle jouit d’une paix qui ne fut troublée que par des actions guerrières de peu d’importance. Des auteurs latins, Caton, Diodore de Sicile, Strabon, Aulu-Gelle, un peu avant, un peu après le commencement de l’ère chrétienne, y découvraient qu”aucun terrain n’y est en friche, si ce n’est les parties occupées par des bois”. De grandes coupes cependant y furent entreprises et poursuivies, et de non moins importants défrichements, tant qu’ils auraient nui partiellement à la régularité des Saisons, et “les vents qui auparavant étaient arrêtés par l’épaisseur des forêts soufflèrent avec violence; les nuages furent tantôt écartés, tantôt pressés et accumulés; de là, des excês de température.. “. En fait, depuis qu’il y a des hommes en Provence, depuis plus de trente mille ans, ils ont été plus longtemps les auteurs que les témoins de l’anéantissement de la forêt primitive: ils y ouvrirent d’abord des trouées, des clairières pour leurs établissements. Les colons romains y gagnèrent des terres à cultures et pâturages. Au Moyen Age, les animaux domestiques en troupeaux, les chèvres en particulier, prirent une grande part à la déforestation. Enfin, l’exploitation intensive et désordonnée du bois, le défrichage par le feu contribuèrent à transformer de vastes régions provençales en somme en une “Arabie pétrée”, selon le mot de Michelet. Ces auteurs, a-t-on souvent rapporté, à propos du Circius, notaient en leurs écrits “C’est la mélamborée (vent noir), bise glaciale assez forte pour soulever et faire rouler une partie de ces cailloux (dans la plaine de la Crau), voire pour renverser, sur les voies Aurélienne, Domitienne et autres, les hommes de dessus leurs montures, en leur enlevant du même coup armes et vêtements”, et “porter les navires de la Gaule au port d’Ostie, à travers la mer de Ligurie”. Les autochtones et les colons surtout, inhabitués encore à ses malheureux effets, marquèrent un étonnement craintif devant ce vent fougueux, rageur, puissamment, dont la méchante renommée fut jusqu’à Rome : ce qui expliquerait notamment que l’empereur Auguste ait commandé la construction de temples, comme sur le Ventour, et prescrit un culte en l’honneur de ce dieu bourru, avec son cérémonial et ses rites, ses prêtres et ses sacrifices, ce qui ne dut pas déplaire aux méridionaux de l’époque. Sous Auguste, en effet, entre 23 et 15 Av JC, le légat romain de Gaule, au nom de l’empereur, aurait ordonné le déboisement des Cévennes et de l’Auvergne, sous un prétexte de colonisation, fondant Augustonemetum, qui devait devenir Clermont-Ferrand, pour la raison surtout de parvenir ainsi, définitivement, à la soumission des Gaulois du cru. Mais, d’après l’historien Alexandre, précepteur de Néron, César, durant l’insurrection générale des peuples gaulois, sous le commandement de l’Arverne VercingétoriX, en 52 Av JC, avait déjà fait incendié par ses légions les forêts cévenoles, d’où le harcelaient les révoltés. Alors serait né, puis aurait été déchaîné sur la Provence le Mistral, qu’on n’y aurait ainsi pas connu jusqu’au milieu du dernier siècle avant notre ère. Senèque, qui prit femme en Provence en épousant en deuxièmes noces la fille d’un affréteur d’Arles, prénommée Pauline, Sénèque a noté dans ses “Questions Naturelles”: “L’Atalubus tourmente l’Apulie; l’Iapys, la Calabre; le Sciron, Athènes; la Catégis, la Pamphylie; le Circius, la Gaule. Bien que ce dernier renverse même des édifices, les habitants lui rendent grâces : ils croient lui devoir la salubrité de leur ciel. Ce qu’il y a de sûr, c’est qu’Auguste, pendant son séjour en Gaule, lui voua un temple qu’il bâtit...” “On aimerait savoir en quel endroit, s’est interrogé Camille Jullian, dans son “Histoire de la Gaule”. Les ruines en restent à découvrir. 7. Nouvelle divinité de l’Eden romain, en tous cas, soulevant les sables en tourbillons, transformant le Rhône en fleuve tumultueux et les étangs sans profondeur en mers tempétueuses, ce vent terrible, agaçant, irritant, énervant, plus que tout autre, dont les habitants de la “Province” se protégeaient, au dire de Pline, en s’oignant d’huile, loué, plus souvent exécré, avec excès, à son imitation, car “il ne sait rien faire avec mesure”, d’où venaitil ? Il était “inconnu dans la ville de Vienne qui est dans la province” car “il se trouve arrêté à quelques milles de cette ville par la rencontre d’une chaîne de montagnes élevées”. Sénèque le faisait sortir d’une antre rocheuse; dans la fin du XIX ème siècle, Daruty, dans son livre “Le Mistral, ses causes, ses effets...”, maintenait quant à lui cette opinion : “Les paysans de Vaucluse donnent une singulière origine au Mistral. Il existe, disent-ils, dans le Vivarais, un village entouré de marais et dominé par un rocher percé de part en part. Le Mistral sort de ce rocher et se répand de là, dans le Midi, avec la violence qu’on connaît. Les gens de l’endroit, incommodés par ce vent impétueux, ont fermé, à l’aide d’une porte, solidement établie, le trou du rocher, mais lorsque les miasmes des marais compromettent la santé publique, on ouvre la porte et le Mistral souffle et purifie l’atmosphère. Cette croyance, un peu affaiblie aujourd’hui, est encore répandue dans beaucoup de localités du Comtat. Il y a cent ans à peine les habitants de Morières, petit village dans les environs d’Avignon, envoyèrent une députation au Vice-Légat pour le supplier d’intervenir auprès des autorités du Vivarais afin qu’on ouvrît moins fréquemment la porte qui donnait passage au Mistral”. 8. La légende du Mistral allait du même pied avec la foi paysanne. Quelque trente kilomètres au Sud de Vienne, selon J.M. de Peretti, à la limite occidentale de l’Isère et de la Drôme, “la ville de Saint-Rambert d’Albon, fière de ses vergers d’oliviers, l’est tout autant d’avoir, plantées dans ses terres, les racines du Mistral”. Pour Monsieur Rougetet, dans sa “Détermination des points critiques aériens aux environs de Montélimar (1931)”, une trentaine de kilomètres plus bas, dans le couloir du Rhône, “c’est à Tain que le Mistral prend naissance”. Mistral, dans “Le Rhône”, fixe aux Roches de Condrieu, dans l’Isère, non loin de Vienne, le lieu de naissance du vent, son homonyme. A la vérité, des racines de ce vent, depuis des siècles de siècles de saisons, allongées, ramifiées en véritables “coulants” marcottés, naissent indéfiniment, aux confins septentrionaux de la Provence, appelés déjà BasDauphiné, des surgeons d’air épars rapidement développés en un Mistral maître, à lui—même toujours pareil dans son essence, et dès Valence. Aussi peut—on, après le Conseiller Gilbert, qui fut l’ami de François 1er, et se piquait d’écrire en vers latins, l’y reconnaître ainsi : “Salut donc, ô Valence ! Ici, une bise violente siffle en se jouant des nuages. Mais grâce à cette bise, le ciel reprend bien vite sa sérénité, qui se communique à toute la nature”.