Chapitre 2

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Chapitre 2
1960-62
mille neuf cent soixante à mille neuf cent soixante-deux
JOHN : Il était une fois trois petits garçons nommés John, George et Paul, de leur nom de baptême. Ils
décidèrent de se mettre ensemble parce qu’ils étaient du genre qui se met ensemble. Quand ils furent
ensemble, ils demandèrent pour quoi faire, après tout. Alors il leur poussa tout à coup des guitares et ils
formèrent un bruit. Curieusement, cela n’intéressait personne, et les trois petits hommes moins encore que
les autres. Alooors…en découvrant un quatrième petit homme encore plus petit nommé Stuart Sutcliffe
qui gambadait autour d’eux, ils dirent, (citation) : « Fiston, trouve-toi une guitare basse et tu feras
l’affaire », et c’est ce qu’il fit – mais il ne faisait pas l’affaire parce qu’il ne savait pas en jouer. Alors ils ne
s’occupèrent plus de lui jusqu’à ce qu’il sache. Mais il n’y avait toujours pas de beat, et un vieil homme
gentiment âgé (citation) : « vous n’avez pas de batterie. » Nous n’avons pas de batterie ! Tous errent-ils.
Alors une succession de tambours arrivèrent et repartirent et arrivèrent. Soudain, en Ecosse, en tournée
avec Johnny Gentle, le groupe (nommé les Beatles nommé) découvrit qu’il ne sonnait pas très bien – parce
qu’il n’avait pas d’amplificateurs. Ils en trouvèrent. Beaucoup de gens demandent : mais que sont les
Beatles ? Pourquoi les Beatles ? Heu, Beatles, comment ce nom est-il arrivé ? Nous allons vous le dire. Il
est venu d’une vision – un homme est apparu sur une tarte flamboyante et leur a dit dans les yeux : « A
partir de ce jour, vous êtes Beatles avec un A.» « Merci, Monsieur Homme», dirent-ils pour le remercier.
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GEORGE : On peut débattre la question de savoir d’où vient le nom. John disait qu’il l’avait inventé,
mais je me rappelle que Stuart était avec lui la nuit précédente.
Il y avait cette analogie avec les Crickets qui accompagnaient Buddy Holly. Mais Stuart était dingue de
Marlon Brando, et dans le film l’Equipée sauvage, il y a une scène dans laquelle Lee Marvin dit :
« Johnny, on t’a cherché, tu as manqué aux beetles (scarabées, Ndt), à tous les beetles. » Peut-être que
John et Stu ont pensé la même chose en même temps, alors on n’en parle plus. On l’attribue moitié-moitié
à Sutcliffe/Lennon.
PAUL : Dans l’Equipée Sauvage, quand il dit : « Même aux beetles, tu leur as manqué ! » il montre les
gonzesses des motards. Un ami a depuis vérifié dans un dictionnaire et découvert que c’est de l’argot
américain pour « filles motards ». Alors, débrouillez-vous avec ça !
JOHN : On a eu un ou deux noms. On a commencé à en changer en fonction des différents engagements,
et on a finalement trouvé « The Beatles ».
Je cherchais un nom qui veuille dire deux choses à la fois, comme les Crickets, et des grillons je suis passé
aux coléoptères. Et j’ai changé en BEA, parce que beetles tel quel ne veut pas dire grand choses. Quand on
prononçait ce nom, les gens pensaient à des choses rampantes, mais quand on le lisait, c’était de la beat
music.64
PAUL : En mai, Larry Parnes est venu à Liverpool pour auditionner. C’était le grand agent londonien.
Ses protégés avaient presque toujours des surnoms violents. Il y avait Ronnie Wycherly, qui était devenu
Billy Fury – et pourtant, de type moins furieux que lui, il n’en est pas encore né. Un gentil gars de
Liverpool – le premier de la région qui ait réussi, de notre point de vue. Marty Wilde était également dans
l’écurie de Larry, autre surnom féroce. Larry Parnes avait de nouveaux chanteurs, il cherchait des
groupes pour les accompagner et on lui avait dit qu’il y en avait quelques-uns à Liverpool. Alors, il est
venu au Blue Angel. Billy Fury était avec lui. Allan Williams dirigeait le Blue Angel et le Jacaranda.
C’était le petit manager local (petit par la taille, je veux dire – un petit Gallois avec une petite voix haut
perchée – un type épatant qui savait motiver les gens, même si on se payait sa tête). Il organisait les
auditions en conjonction avec Larry Parnes. Tous les groupe de Liverpool étaient là et on en faisait partie.
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JOHN : On avait pris un batteur de remplacement pour la journée. Et comme Stu ne savait pas jouer de
la basse, il fallait qu’il tourne le dos au public.72
GEORGE : C’était pas mal le foutoir. Larry Parnes ne s’est pas levé pour dire qu’on était formidable ou
quoi que ce soit du genre. Je me sentais démoralisé. Mais quelques jours plus tard, on a été convoqué pour
partir avec Johnny Gentle. Ils se disaient probablement : « C’est des crétins. On va envoyer un groupe
qu’on n’aura pas besoin de payer.»
PAUL : On était désormais de vrais professionnels, on pouvait réaliser ce dont on avait longtemps rêvé et
qui était de changer nos noms en vrais noms du showbiz. Je suis devenu Paul Ramon, un nom que je
trouvais raisonnablement exotique. Les petites Ecossaises demandaient : « C’est un vrai nom ? C’est
génial.» C’est français, Ramon. Ca se prononce Ra-mon. Stuart est devenu Stuart de Staël, à cause du
peintre. George est devenu Carl Harrison, à cause de Carl Perkins (notre grande idole, l’homme qui a
écrit « Blue Suede Shoes »). John était Long John. Plus tard, les gens ont dit : « Ah ! John, lui, n’avait pas
vraiment changé de nom. C’était très subtil. » Laissez-moi vous dire une bonne chose : il était Long John.
Il n’y a pas de : « il n’a pas changé de nom» ; on a tous changé de nom.
Alors voilà où on en était tout d’un coup : avec le premier des artistes non-tempétueux de Larry, et avec
une tournée en Ecosse alors que j’aurais dû être en train de passer mon GCE. Mes parents ont vu
beaucoup de leurs espoirs s’envoler quand je suis parti avec ces vilains garçons qui se foutaient bien du
GCE.
GEORGE : Je me rappelle avoir demandé à mon frère : « Si tu étais à ma place, tu quitterais ton boulot
pour tenter le coup ?» Il m’a répondu « Pourquoi pas. On ne sait jamais ce qui peut arriver. Et si ça ne
marche pas, tu n’auras rien perdu. » Alors j’ai quitté mon boulot et me suis joint au groupe de façon
permanente. Depuis lors, le train-train neuf heures /cinq heures ne m’a plus jamais traversé l’esprit. John
était encore aux beaux-arts, et Paul faisait une année de rab à l’école.
Ce fut notre premier engagement professionnel : une tournée des salles de danse tout là-haut dans le nord
de l’Ecosse, près d’Inverness. On se disait : « Youpi, on a un engagement !» Et puis on a réalisé qu’on
jouait dans de toutes petites salles, vides jusqu’à ce que les pubs ferment et que cinq ou six Teds écossais
viennent nous reluquer. C’était tout. Il ne se passait rien. On n’était au courant de rien. C’était triste,
parce qu’on se sentait orphelins. Nos chaussures étaient pleines de trous et nos pantalons ne ressemblaient
à rien, alors que Johnny Gentle, lui, avait une tenue de scène très chic. Je me revois essayant de jouer sur
« Won’t you wear my ring around your neck » - il chantait « Teddy Bear » d’Elvis – et on était minables.
Le groupe était épouvantable, une honte. On n’avait ni amplis ni rien.
Comme le peu d’argent qu’on gagnait passait dans les chambres d’hôtel, on a tous dormi dans la
camionnette. On se bagarrait pour avoir de la place. Il n’y avait pas assez de sièges, et l’un de nous devait
s’asseoir sur le garde-boue de la roue arrière. Stu généralement.
JOHN : A cette époque, on avait plein de batteurs différents parce que les gens qui possédaient une
batterie étaient rares ; ça coûtait cher.70
PAUL : Le Grosvernor Ballroom de Wallasey était un des pires endroits. Il y avait toujours une centaine
de mecs de Wallasey qui réglaient leurs comptes avec une centaine d’autres de Seacombe, et à chaque fois,
c’était l’enfer. Je me rappelle qu’une nuit, une bagarre a éclaté avant que je comprenne de quoi il
retournait. J’ai foncé vers la scène pour sauver mon ampli Elpico, ma grande fierté à l’époque. Des poings
volaient dans tous les sens. Un Ted m’a agrippé et m’a dit : « Bouge pas ou t’es mort ! » J’avais peur qu’il
me tue, mais il fallait que j’aille chercher mon ampli.
JOHN : J’ai grandi à Hambourg, pas à Liverpool.71
PAUL : Mona, la mère de Pete Best – une femme très gentille, une Anglo-Indienne – dirigeait le Casbah
dans le West Derby, un quartier de Liverpool. On a commencé à traîner là-bas, et on a fini par repeindre
le club. C’était super d’être impliqué dans la naissance d’un coffee bar – c’était des endroits très
importants, à cette époque. Le béton et le bois de la cave avaient été mis à nu, et on a peint chaque partie
d’une couleur différente. On a tous donné un coup de main, John et George et les autres, et après, c’est
devenu notre club – les Beatles y jouaient souvent. Pete avait une batterie, et il jouait parfois avec nous.
C’était un bon batteur et, quand Hambourg est arrivé, il s’est joint au groupe. Il était très beau garçon et,
de tous les membres du groupe, c’était lui que les filles préféraient.
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GEORGE : On avait probablement rendez-vous devant le Jacaranda, le club d’Allan Williams. Il y avait
nous cinq, Allan, sa femme Beryl et Lord Woodbine.
La camionnette était bondée. Elle n’avait même pas de sièges, on devait s’asseoir sur nos amplis. A
Harwich, on a pris le bateau jusqu’à Hoek van Holland. En traversant la Hollande, on s’est arrêté à
Arnhem, là où tous ces parachutistes ont trouvé la mort (une autre petite entourloupe de Winston
Churchill). Il y avait des centaines de croix blanches dans le cimetière.
PAUL : Mon souvenir le plus étrange, c’est qu’on m’a demandé à la douane si j’avais du café. Je ne
comprenais pas. De la drogue, oui, des armes, oui – de l’alcool ou quelque chose comme ça, on aurait pu
comprendre – mais un trafic de café de contrebande ?
Bref, on est arrivé à Hambourg tard dans la nuit. Ce n’était pas l’heure prévue, et personne ne nous
attendait. On avait trouvé Hambourg sur la carte, mais après ça il a fallu trouver le quartier de St-Pauli,
et ensuite Reeperbahn. Le temps qu’on trouve la rue et le club, c’était fermé. Nous voilà sans hôtel ni rien,
et il était temps d’aller se coucher.
On a demandé à quelqu’un d’un club voisin de se remuer, et il a trouvé notre type qui a ouvert le club. On
a passé la première nuit dans de petites alcôves, sur des banquettes en cuir rouge.
GEORGE : Bien entendu, quand on est arrivé là-bas, rien n’était organisé. Le propriétaire du club, Bruno
Koschmider, nous a conduits chez lui et on a dormi là, tous dans un lit unique. Heureusement que Bruno
n’est pas resté avec nous. Il nous a prêté son appartement pour la première nuit et est allé dormir ailleurs.
Il a fini par nous caser à l’arrière d’un petit cinéma, le Bambi Kino, tout au bout d’une rue appelée
Grosse Freiheit.
Bruno n’était pas un jeune promoteur de rock’n’roll parmi tant d’autres ; c’était un type âgé qui avait été
blessé pendant la guerre. Il boitait et paraissait ne pas connaître grand-chose à la musique ou à quoi que
ce soit d’autre. On ne le voyait qu’une fois par semaine, quand on essayait d’entrer dans son bureau pour
se faire payer.
La ville de Hambourg était épatante : un grand lac, et puis la partie pourrie. Reeperbahn et Grosse
Freiheit étaient les endroits les plus excitants qu’on n’ait jamais vu, des boîtes et des néons partout, et des
tas de restaurants et d’attractions. Ca avait l’air vraiment bien. Il y avait aussi quelques trucs minables
bien sûr, dont les conditions dans lesquelles on a dû vivre quand on est arrivé.
JOHN : On nous a mis dans cette bauge, c’était comme des gogues, dans un cinéma délabré et pouilleux.
On vivait dans des chiottes, tout à côté des toilettes pour dames.72 On se couchait tard et on était réveillé
le lendemain par le bruit du film qui passait. On a d’abord essayé d’aller chez les dames, parce que c’était
les toilettes les plus propres du cinéma, mais de grosses et vieilles Allemandes nous bousculaient pour
entrer.67
On se réveillait le matin, et il y avait de vieilles Frauen allemandes en train de pisser dans la pièce voisine.
C’était là qu’on se lavait. C’était notre salle de bains. Ca nous faisait un choc.72
JOHN : On avait fait la tournée avec Johnny Gentle, mais on ne restait pas longtemps sur scène, vingt
minutes environ, parce que c’était lui qui l’occupait la plupart du temps.72 A Liverpool, on ne jouait que
nos meilleurs morceaux, les mêmes à chaque engagement. A Hambourg, on jouait huit heures d’affilée,
alors il nous a fallu inventer de nouvelles manières de jouer.67 C’était assez stressant, quand on montait
sur scène. C’était un petit night-club, et on était un peu inquiet parce qu’on n’était plus dans une salle de
danse et que tous les gens étaient assis, attendant qu’il se passe quelque chose.
Au début, on a reçu un accueil plutôt frais. La deuxième nuit, le directeur nous a dit : «Vous étiez très
mauvais, il faut faire du spectacle – « mach Schau » - comme cet autre groupe plus bas dans la rue. »67 Et,
bien entendu, quand il y avait un problème, c’était à moi de nous en sortir. Les autres disaient : « Ouais,
ben quoi, John, c’est toi le leader. » Quand tout allait bien, ils disaient : « Pas de leader, c’est de la
merde », mais si ça se passait mal, c’était du genre : « C’est toi le leader, alors tu te bouges et tu fais ton
numéro.»72
Ca nous foutait la trouille, au début, de nous retrouver plongés dans l’impitoyable univers des boîtes de
nuit. Mais puisqu’on venait de Liverpool on était culotté, en tous cas de croire au mythe de Liverpool
engendrant des gars culottés.67 Alors j’ai posé ma guitare et fait Gene Vincent toute la nuit, me cognant
partout, m’allongeant sur la scène, balançant mon micro et faisant semblant d’avoir une jambe infirme.
Ce fut une drôle d’expérience.72 A partir de ce jour-là, on a tous « mach Schau » sans interruption.67
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PAUL : Il a fallu essayer d’attirer les gens à l’intérieur, parce qu’on jouait devant un club totalement
obscur et vide. Dès qu’on voyait quelqu’un passer, on attaquait « Dance In The Street » et on rockait dur
en faisant comme si on ne l’avait pas vu. On a peut-être réussi à en faire entrer quelques-uns. On était
comme des aboyeurs de foire : on voit quatre passants – il nous les faut !
C’était un bon apprentissage parce qu’au début, tout ce qui les intéressait c’était le prix de la bière. On les
voyait (généralement en couple) entrer et nous regarder. « Ouais, pas mal du tout. » Elle lui donnait un
coup de coude et disait : « Un mark cinquante, cet endroit est trop cher pour nous.» Et ils s’en allaient. On
disait à Bruno : « Baisse tes prix, mec. Ca nous démolit. Tu les feras venir si tu baisses un peu tes prix. »
En fin de compte, et en dépit de tout ça, on a fini par se constituer un petit public. On harponnait deux
personnes et on jouait tout ce qu’elles voulaient – tout notre répertoire. « Vous voulez qu’on vous joue
quelque chose ? » (Il n’y avait qu’une table d’occupée.) « Oui. » On sortait toutes les vieilles blagues et on
essayait d’être merveilleux et de leur donner envie de revenir.
GEORGE : On est resté environ un mois à l’Indra, et puis le club a fermé et on est allé jouer au
Kaiserkeller, là où passaient Derry and the Seniors. Ils venaient tout juste de terminer leur engagement.
Ils avaient fait leurs deux mois, et Rory Storm and the Hurricanes allaient arriver.
Le Kaiserkeller était super – au moins il avait une piste de danse et toutes les chaises et les tables étaient
placées à l’intérieur d’éléments de bateaux. Les tables étaient des tonneaux, il y avait des cordages et des
trucs nautiques partout.
RINGO : Hambourg était super. J’y suis allé avec Rory Storm and the Hurricanes. Pas de camionnette
pour nous – on avait des costumes. On y est allé en avion, ce qui était assez excitant. Mais quand on est
arrivé, Koschmider a voulu qu’on dorme dans les coulisses du Kaiserkeller parce que les Beatles logeaient
à l’arrière du cinéma.
Avant nous, Howie Casey et les autres avaient dormi dans les coulisses. Je n’oublierai jamais le moment
où on est arrivé et où on nous a dit : « Oui, c’est là que vous vivez désormais. » Il y avait un ou deux vieux
canapés, avec des drapeaux anglais qui devaient nous servir de draps. On a dit : « Vous plaisentez ? On a
les costumes ! » Alors, Rory, le groupe et moi, on est tous allé habiter dans une chambre unique à la
Mission du Marin, et c’était le grand luxe – le foutu grand luxe.
J’ai rencontré les Beatles quand on jouait en Allemagne. On les avait vus à Liverpool. Mais c’était alors
un petit groupe de rien du tout qui essayait de se monter. En fait, ce n’était pas un groupe du tout.
GEORGE : Au Kaiserkeller, on devait commencer plus tôt et terminer plus tard. On doublait avec l’autre
groupe, alors on devait alterner – d’abord avec Derry and the Seniors, ensuite avec Rory Storm and the
Hurricanes. Le contrat stipulait que nous devions jouer six heures, et l’autre groupe six heures également,
ce qui faisait un spectacle de douze heures. On jouait une heure, ils jouaient une heure et ça tournait
comme ça, jour après jour, pour trois ronds par mois. Mais quand on est môme, on s’en fiche un peu. On
a commencé à traîner avec eux. Je crois qu’on avait déjà rencontré Ringo une fois, en Angleterre. Je sais
qu’il nous a fait la même impression à tous : « Méfiance, il a l’air mauvais.»
Ringo nous paraissait assez frimeur. En comparaison de ce que nous étions à cette époque, le groupe dans
lequel il jouait était très professionnel. Peut-être qu’ils n’auraient pas l’air aussi bons aujourd’hui, mais
ils avaient des costumes de scène, avec cravates et pochettes assorties. Chacun de leurs morceaux était
bien rôdé, ils se succédaient dans un ordre bien défini, et c’était un vrai show. Et il y avait Rory sur le
devant de la scène, toujours en train de sauter dans tous les coins et de « mach Schau ». De tous les
groupes amateurs de Liverpool, ils étaient le plus professionnel. Aussi, quand ils sont venus à Hambourg,
Allan Williams nous a dit : «Vous feriez bien de vous secouer, parce que Rory Storm and the Hurricanes
arrivent, et vous savez combien ils sont bons. Vous allez vous faire bouffer tout cru. »
Ils faisaient leur show, et Ringo était le frimeur derrière. Avec son physique, avec cette mèche grise dans
ses cheveux, un sourcil à moitié gris et son gros nez, il avait vraiment l’air d’un dur. Mais il ne fallait
probablement pas plus d’une demi-heure pour réaliser qu’en fait, c’était…Ringo !
PAUL : Ringo venait très tard dans la nuit. Il aimait les sessions bluesy, quand il n’y avait plus grand
monde. Je peux comprendre pourquoi ça lui plaisait. A cette heure-là, on décompressait, on jouait toutes
les faces B. On jouait un morceau intitulé « Three-Thirty Blues ». Je me rappelle que Ringo venait
toujours, commendait un verre, s’installait et réclamait « Three-Thirty Blues ».
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GEORGE : Il y avait autre chose, Pete ne restait jamais avec nous. Quand on avait terminé, il sortait de
son côté et on restait tous les trois ensemble. Alors quand Ringo était dans le coin, ça faisait comme un
groupe complet, à la fois sur scène et en dehors. Quand on était tous les quatre, avec Ringo, ça dégageait
bien.
STUART SUTCLIFFE : On joue mille fois mieux qu’à notre arrivée, et Allan Williams, qui est ici en ce
moment, nous dit qu’aucun groupe de Liverpool ne nous arrive à la cheville.60
JOHN : Une fois, on a essayé un morceau allemand, on jouait avec le public. On s’est améliorés et on a
pris confiance. Ca ne pouvait pas être autrement, avec toute l’expérience qu’on accumulait, en jouant
toute la nuit. C’était bien que ce soit des étrangers. On devait essayer encore plus fort, y mettre tout notre
cœur et notre âme pour nous faire comprendre.67 Notre spectacle était bon. On jouait et on travaillait des
heures durant – c’est utile à cet âge-là, quand on peut trouver du boulot.76 Et on finissait par sauter dans
tous les coins. Paul chantait « What’d I Say » pendant une heure et demie.72
GEORGE : Le samedi, ça commençait à trois ou quatre heures de l’après-midi et ça durait jusqu’à cinq
ou six heures du matin. Quand on avait terminé, on prenait notre petit-déjeuner. Tout le monde était
bourré – pas seulement le groupe, mais aussi le public et tous les gens de St Pauli. Tout le monde allait
manger un morceau et peut-être boire encore un peu, et puis, le dimanche matin, ils allaient tous au
marché aux poissons (je n’ai jamais compris pourquoi). On errait un peu dans la lumière crue du soleil,
bourrés comme des coings, en manque de sommeil. On finissait par aller se coucher. Le spectacle du
dimanche commençait tôt mais ne se terminait pas trop tard.
Durant les premières heures, le public était bien plus jeune, dans les quinze, seize ou dix-sept ans. Vers
huit ou neuf heures, il devenait un peu plus âgé, et après dix heures il n’y avait plus que des gens de plus
de dix-huit ans. A deux heures du matin, c’était les soiffards endurcis et les propriétaires d’autres boîtes
qui venaient tous passer un moment avec notre proprio à nous. Ils étaient tous assis à une grande table à
se bourrer la gueule, faisant circuler des caisses et des bouteilles de Sekt et de toutes sortes de Schnaps –
sans compter ce qu’on buvait à nos frais parce qu’à ce moment-là, on avait découvert le whisky-Coca.
JOHN : Il y avait tous ces gangsters qui venaient – la mafia locale. Ils faisaient envoyer une caisse de
champagne sur la scène, du faux champagne allemand, et il fallait qu’on boive sans quoi ils nous auraient
tués. Ils disaient : « Buvez, et puis jouez « What’d I Say.» Et il fallait qu’on le fasse, quelle que soit l’heure
de la nuit. S’ils se pointaient à cinq heures du matin et qu’on avait déjà joué pendant sept heures, ils nous
offraient une caisse de champagne et on était censé continuer.
J’avais mal à la gorge à force de chanter. Mais les Allemands nous ont expliqué qu’on pouvait rester
éveillés en prenant des pilules amaigrissantes, alors c’est ce qu’on a fait.67 J’étais tellement bourré que je
m’allongeais derrière le piano, tandis que les autres continuaient à jouer. Et je m’endormais sur la scène.
On mangeait aussi sur scène, parce qu’on n’avait pas le temps de s’arrêter. C’était un sacré spectacle…
Aujourd’hui, ça ferait un spectacle d’avant-garde, de manger et de fumer et de jurer et de se coucher sur
la scène quand on est crevé.72
RINGO : C’est à ce moment-là de nos vies qu’on a découvert les pilules, les amphés. C’était le seul moyen
pour pouvoir continuer à jouer aussi longtemps. Ca s’appelait Preludin, et c’était en vente libre. On n’a
jamais pensé qu’on faisait quelque chose de mal, ça nous donnait un coup de fouet et on pouvait continuer
des jours et des jours. C’est comme ça qu’on survivait, avec de la bière et du Preludin.
PAUL : Mon père était un prolétaire plein de sagesse, et il avait tout prévu. En tant qu’adolescent me
rendant tout seul à Hambourg, j’avais été prévenu : « Drogues et pilules. FAIS GAFFE, OK ? » Alors à
Hambourg, quand le Preludin a commencé à circuler, j’ai probablement été le dernier à en prendre.
C’était : « Oh, je vais rester à la bière, merci. »
Ils planaient tous, et moi, je partais au quart de tour. Je me souviens de John se tournant vers moi : « Blabla-bla, tu marches à quoi, toi ? » Et je répondais : « A rien, bla-bla-bla. » Je parlais aussi vite qu’eux ;
leur planerie me faisait cet effet-là. J’avais vraiment la trouille de ce truc parce que, quand on est jeune,
on nous apprend à nous méfier de ces « drogues du diable ». J’ai vu le danger et, au début, j’ai essayé de
me tenir à distance. Quand j’y repense, je réalise que ce n’était qu’un problème de contrainte sociale, et y
résister paraît plus cool aujourd’hui que ça l’était à l’époque. Il aurait été plus sage et plus mature de ma
part de dire : « Hé, les mecs, je ne suis pas obligé de faire tout ce que vous faites. » Mais à l’époque, ça
m’aurait fait passer pour une gonzesses. Et c’est ce qui l’a emporté.
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GEORGE : Au fil des années, John a balancé toutes sortes de choses sur les gens. Je ne me souviens pas de
ça, mais il l’a dit, ça doit être vrai. Il lui arrivait de jeter des trucs. Il devenait pas mal excité. La descente,
effet inverse de l’alcool et des Preludin qui nous maintenaient en l’air pendant des jours et des jours,
faisait qu’on commençait à avoir des hallucinations et qu’on devenait un peu bizarre. Parfois, John était à
la limite. Il rentrait aux petites heures du matin et se mettait à fulminer tandis que je faisais semblant de
dormir, espérant qu’il ne me remarquerait pas.
Une nuit, Paul était au lit avec une nana. John s’est amené avec une paire de ciseaux et a découpé tous les
vêtements de la fille avant de démolir l’armoire. Il était comme ça, à l’occasion ; c’était à cause des pilules
et des nuits sans sommeil. Et on balançait des trucs sur les Allemands ; tous les groupes le faisaient.
JOHN : On insultait les Allemands en anglais, on les traitait de nazis et on leur disait d’aller se faire
foutre.70
PAUL : Un soir, on faisait notre show quand des gens à l’allure étrange sont arrivés. Ils ne ressemblaient
à personne d’autre, et on s’est immédiatement dit : « Hé-hé…des âmes sœurs… il se passe quelque chose
ici. » Ils sont entrés et se sont assis, et c’était Astrid, Jürgen et Klaus. Klaus Voorman a été plus tard le
bassiste de Manfred Mann. Jürgen était Jürgen Vollmer, qui était toujours un excellent photographe. De
même qu’Astrid Kirchherr, qui allait devenir la petite amie de Stuart – ça a été le grand amour. Bref, ils
sont entrés et se sont assis et on a bien vu qu’ils avaient quelque chose de différent. Et nous aussi, nous
étions ce qu’ils recherchaient.
GEORGE : Ils étaient tous adorables. C’était super pour nous de les avoir rencontrés, parce qu’ils étaient
plus cultivés que les gens du coin. Ils nous appréciaient beaucoup, mais eux-mêmes étaient très artistes et
intéressants. C’était la coterie artiste de Hambourg.
On a commencé à se voir souvent. A cette époque-là, on a plus appris d’eux qu’eux de nous, y compris
pour ce qui est du style. Klaus est lui-même devenu bassiste plus tard, et il a joué sur bon nombre de mes
disques ainsi que sur ceux d’autres gens. Et Astrid était tellement chaleureuse ; elle nous emmenait chez
elle et nous nourrissait. Elle nous a beaucoup aidés, ne serait-ce que pour prendre des bains. Astrid avait
vingt-deux ans à cette époque, et j’en avais dix-sept ; elle me paraissait beaucoup plus vieille que moi et
tellement adulte. En fin de compte, Astrid et Stu se sont mis ensemble. Astrid était vraiment mignonne – et
Stuart aussi, ça se voit sur leurs photos.
PAUL : On est devenu très proche de ces gens. Jürgen et Astrid ont pris quelques-unes de nos premières
photos. On allait dans leur studio, puisqu’ils en avaient un (ou alors ils connaissaient quelqu’un qui en
avait un). On ne nous avait jamais traités comme ça auparavant.
JOHN : C’est Hambourg, le début de tout. C’est là qu’on a vraiment progressé. Pour faire décoller les
Allemands et continuer pendant douze heures chaque soir, on a vraiment dû se lâcher. On n’aurait jamais
autant progressé si on était resté chez nous. Il nous fallait essayer tout ce qui nous passait par la tête, à
Hambourg. Il n’y avait personne à imiter. On jouait ce qu’on aimait le plus, et du moment que c’était fort,
les Allemands aimaient ça.67
GEORGE : Dès l’instant où on les a vus, on a tous eu l’idée de porter du cuir. Les blousons en cuir avaient
toujours été le grand truc – Marlon Brando – avec les jeans. Il y avait du cuir superbe en Allemagne, et
nos amis en portaient. Astrid s’habillait déjà comme ça alors qu’on n’était encore que des morveux de
Liverpool. C’était elle qui avait les vestes en cuir et la coupe Beatles.
On est devenu copains avec quelques autres personnes du coin, les serveurs et les patrons des clubs. Ils
devaient vraiment nous aimer, parce qu’on est retourné encore et encore à Hambourg.
GEORGE : Il y avait un ou deux endroits où on allait manger. Il y en avait un minable et horrible juste au
coin du Kaiserkeller, au bout d’une petite rue adjacente, sur la droite. Les clients étaient des gens du coin
qui avaient tous l’air d’anciens combattants – des gens sans jambes, sans yeux, sans bras – et des chats.
On allait là-bas, et on s’offrait un horrible gueuleton pour pas cher du tout.
Chez Harald, c’était nettement mieux. Il nous servait des cornflakes et des œufs avec des pommes de terre.
Et du lait frais dans cette rue. Quand on se levait le matin, on allait acheter un litre de lait froid dans une
petite crémerie située en face du Bambi Kino. Une fois ou deux, on a pris du babeurre sans savoir ce que
c’était. On a dit : « Pouah ! Qu’est-ce que c’est que ça ? » Ca avait un goût de caillé.
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GEORGE : Le Problème avec les boîtes de nuit de Hambourg, c’était que la plupart des serveurs et des
barmen étaient des gangsters. C’était de vrais durs, en tout cas; c’étaient des bagarreurs, et il y avait
toujours des bagarres. La chanson la plus propice à la bagarre, pas seulement à Hambourg mais aussi à
Liverpool, c’était « Hully Gully ». A chaque fois qu’on jouait « Hully Gully » là-bas, une rixe éclatait. A
Liverpool, ils se tapaient dessus avec des extincteurs. Le samedi soir, ils revenaient tous du pub et on
pouvait être certain de l’effet de « Hully Gully ».
Je me souviens que, à Hambourg, les gaz lacrymogènes étaient souvent de sortie. Une nuit en particulier,
on a senti flotter l’odeur des Capstan et des Players et on s’est dit : « Oh, hé, les Britanniques sont là. »
C’était des soldats, et j’ai conseillé à l’un d’eux de ne pas chercher à s’amuser avec la barmaid parce
qu’elle appartenait au gérant du club – un des gros durs. Mais le soldat s’est saoulé et a dragué la
barmaid. L’instant d’après, « Hully Gully » retentissait et ça a été l’enfer. A la fin de la chanson, on a dû
s’arrêter de jouer à cause des lacrymogènes.
PAUL : Je m’occupais pas mal du cas de Pete. Il restait souvent dehors toute la nuit. Il avait rencontré
une strip-teaseuse et ils s’étaient mis ensemble. Comme elle ne finissait pas avant quatre heures du matin,
il restait avec elle et ne revenait pas avant dix heures pour se mettre au lit à l’heure où on allait travailler.
Je crois que ça a été le début de la rupture.
A peu près à la même époque, il y a eu un peu de tension entre Stuart et moi. Je voulais être sûr qu’on
était musicalement irréprochable, au cas ou quelqu’un serait venu nous entendre. Je me disais qu’il fallait
qu’on soit bon, à cause des dénicheurs de talents. Les gens disent maintenant que c’est mon côté
perfectionniste. Moi, je vois plutôt ça comme une tentative pour faire les choses bien, sans que cela soit
une obsession. Ca a créé quelques tensions, et j’aurais sans doute pu faire preuve de plus de tact. Mais qui
a du tact à cet âge-là ? Certainement pas moi. Stuart et moi, on s’est même bagarrés sur scène. J’étais sûr
de le mettre minable, parce qu’il était plus petit que moi. Mais il était costaud, et au beau milieu du
concert on s’est retrouvé enlacés sur la scène dans une sorte d’étreinte mortelle. C’était horrible. On avait
dû se dire un ou deux mots de trop : « T’es qu’un… » - « Répète voir. » Alors on était là, enlacés, aucun de
nous deux ne voulait aller plus loin et les autres hurlaient : « Arrêtez, vous deux ! » - « J’arrêterai s’il
arrête. »
RINGO : C’était plutôt violent, mais d’un autre côté les putes nous adoraient. Elles me faisaient ma
lessive, et les filles du bar étaient toujours gentilles avec nous.
GEORGE : En Angleterre, à la fin des années 50, ce n’était pas si facile d’y arriver. Les filles portaient
toutes des soutiens-gorge et des corsets qui avaient l’air d’être en acier trempé. En fait, on ne pouvait
jamais se frayer un chemin là-dedans. On se brisait les mains à essayer de défaire tout ça. Je me souviens
de fêtes chez Pete Best ou ailleurs ; ça durait toute la nuit et je bécotais une fille quelconque et je bandais
pendant huit heures jusqu’à en avoir mal à l’aine sans jamais pouvoir me soulager. C’était toujours
comme ça. Ca n’était pas la bonne époque. Cet aspect des choses existera toujours, les sexes opposés et
leurs désirs et toute cette Testa Rossa-stérone qui bouillonne. Et puis il y a l’autre aspect, la pression
sociale : « Quoi, tu l’as pas encore fait ? » Ca devient : « Il faut que j’y arrive», et tout le monde se met à
mentir : « Ouais, je l’ai fait. » - « T’as pu peloter ? » - « Ouais, j’ai peloté. » - « Moi, j’ai mis le doigt ! »
Je n’ai certainement pas eu de strip-teaseuse à Hambourg. Je sais que Pete en a rencontré une. Il y avait
des jeunes filles dans les clubs et on en a connu quelques-unes, mais pour moi ça n’a jamais ressemblé à
une gigantesque partouze. La première fois que j’ai baisé, c’était à Hambourg – avec Paul, John et Pete
Best qui regardaient. On dormait dans des lits superposés. Ils ne pouvaient pas vraiment voir parce que
j’étais sous les couvertures, mais quand j’ai terminé ils ont tous applaudi et m’ont acclamé. Au moins, ils
se sont tenus tranquilles pendant que je le faisais.
PAUL : On est resté silencieux, on s’était tournés vers le mur et on faisait semblant de dormir. On avait
tous un peu plus d’expérience à cette époque-là. George s’y est mis tard. Voilà l’intimité qu’on avait. On
n’arrêtait pas de marcher sur les affaires des uns ou des autres ou de se marcher dessus. Je marchais sur
John en rentrant et voyais un petit derrière monter et descendre avec une fille dessous. C’était
parfaitement normal. On disait : « Oh, merde, désolé », et on ressortait de la chambre. C’était très
ado : « Tu as besoin de cette chambre ? Je voudrais tirer un coup. » Et on poussait la fille à l’intérieur.
C’est pour cette raison que j’ai trouvé très étrange la théorie affirmant que John était homo. Parce que
durant les quinze années où on a partagé des chambres, où on a partagé nos vies, aucun d’entre nous ne
peut prétendre avoir jamais surpris John avec un garçon. Je pense que ce genre de choses se voient et puis
John oubliait toutes ses inhibitions quand il était ivre…
LES PREMIERES ANNEES-27
JOHN : Avec la musique, l’alcool et les filles, comment aurait-on pu trouver le temps de dormir ?
PAUL : Chaque nuit à dix heures, c’était le couvre-feu. La police allemande montait sur la scène et
annonçait : « Il est vingt-deux heures, tous ceux qui ont moins de dix-huit ans doivent quitter le club. Nous
allons faire un Ausweiskontrolle. » A la fin, on était tellement habitué qu’on s’est mis à faire l’annonce
nous-mêmes. On faisait des annonces bidon. Je connaissais un peu d’allemand, George et moi l’avions
étudié à l’école. (Tout le monde apprenait le français, mais nous ils nous enseignaient l’allemand et
l’espagnol.) C’était très pratique et on pouvait raconter des tas de conneries. On a fini par chauffer le club
à blanc, ils nous adoraient.
GEORGE : On a mis deux mois à comprendre ce qu’ils disaient : « Tous ceux qui ont moins de dix-huit
ans, dehors. » Je n’avais que dix-sept ans et j’étais assis là, avec le groupe, à me faire du mauvais sang. Et
puis quelqu’un a fini par découvrir le pot aux roses. Je ne sais pas comment. On n’avait pas de permis de
travail, et avec moi qui, en plus, n’avais pas l’âge, ça a commencé à sentir mauvais. Et puis, un jour, la
police est venue et m’a expulsé. J’ai dû rentrer en Angleterre, et ça tombait extrêmement mal parce qu’on
venait de nous proposer du travail dans un autre club de la rue, le Top Ten, qui était une boîte bien plus
sympa. Pendant notre heure de pause au Kaiserkeller, on allait voir Tony Sheridan ou quiconque y
passait. Le directeur nous avait débauchés de chez Bruno Koschmider, et on avait déjà joué une fois ou
deux là-bas. Il y avait une très bonne ambiance dans ce club. La sono était excellente, c’était beaucoup
plus beau et ils payaient un peu plus. Nous voilà donc en train de quitter le Kaiserkeller pour aller au Top
Ten, vraiment impatients d’aller là-bas, et juste à ce moment-là, ils sont venus m’expulser de la ville.
Tandis que je rentrais chez moi, les autres s’installaient dans ce club génial. Astrid et probablement
Stuart, m’ont déposé à la gare de Hambourg. Le trajet était bien long, tout seul jusqu’au port de Hoek
van Holland. De là, j’ai pris le bateau de jour. Ca a duré une éternité, et je n’avais pas beaucoup d’argent
– je priais le ciel pour en avoir assez. J’ai dû aller de Harwich à Liverpool, je m’en souviens maintenant.
Je portais un ampli que j’avais acheté à Hambourg et une valise minable, et des machins dans des boîtes,
des sacs en papier dans lesquels j’avais mis mes vêtements, et aussi une guitare. J’avais tant de choses à
trimbaler que je suis resté dans le couloir du train avec mes affaires près de moi, et des tas de soldats qui
picolaient. J’ai fini par arriver à Liverpool et j’ai pris un taxi jusqu’à chez moi – j’y étais arrivé de
justesse. Je suis rentré sans un sou. Tout ce que j’avais est passé dans le voyage.
J’étais de retour en Angleterre, tout seul et malheureux, mais il s’est avéré que Paul et Pete avaient été
expulsés en même temps que moi et étaient déjà rentrés. Apparemment, Bruno ne voulait pas que les
Beatles quittent le club et, un incendie accidentel s’étant déclaré, il a appelé la police. Bruno a prétendu
qu’ils avaient mis le feu au cinéma. Paul et Pete ont été emmenés au poste de police de Reeperbahn où on
les a gardés quelques heures avant des les mettre dans l’avion pour l’Angleterre. On les a expulsés. John
est parti quelques jours après, parce qu’il n’avait aucune raison de rester. Quant à Stuart, il est resté un
moment là-bas parce qu’il avait décidé de vivre avec Astrid. C’était super, j’avais obtenu un sursis.
J’imaginais déjà le groupe là-bas, et moi coincé à Liverpool, ça aurait été la fin.
JOHN : Ils ont tous été expulsés et je suis resté seul à Hambourg. J’ai joué avec un autre groupe. Ca a été
une expérience assez traumatisante de me retrouver tout seul et si jeune dans un pays étranger.76 On
avait dépensé tout notre argent au fur et à mesure. Je n’avais plus un rond, et me retrouver à Hambourg
sans pouvoir me payer à manger n’était pas drôle du tout, surtout au moment de Noël. Le retour a été
épouvantable.67 Je m’apitoyais sur moi-même, et ça a été un sacré boulot pour réussir à rentrer à
Liverpool.63 Je portais mon ampli sur mon dos, mort de trouille à l’idée de me le faire piquer. Je ne
l’avais pas payé. J’étais persuadé que je ne trouverais jamais l’Angleterre.67 Quand je suis rentré chez
moi, j’en avais tellement marre que je n’ai pas pris la peine de contacter les autres avant des semaines.
C’est long, un mois, quand on a dix-huit ou dix-neuf ans. Je ne savais pas ce qu’ils faisaient. J’ai pris du
recul pour décider si ça valait ou non la peine de continuer.80 Je me demandais : « C’est ça que je veux
faire ? » J’étais toujours une espèce de poète ou de peintre, et je pensais : « C’est ça ? Les boîtes de nuit et
les scènes miteuses, les expulsions et les gens givrés dans les clubs ? » Aujourd’hui on appelle ça
décadence, mais en ce temps-là ça n’existait qu’à Hambourg dans les boîtes où passaient les groupes, des
boîtes de strip-tease. J’ai réfléchi pour savoir si je devais continuer.76 Quand George et Paul ont su, ils ont
été furieux contre moi parce qu’ils se disaient : « On pourrait être en train de travailler. » Mais j’ai pris
du recul, c’est tout. Vous savez, je suis en partie moine et en partie puce savante. Il est vital pour moi de
savoir quand m’arrêter.80 Bref, au bout d’un moment je me suis dit qu’on devrait profiter de la mode
beat de Liverpool. Les choses prenaient de l’ampleur, et il me paraissait dommage de gâcher l’expérience
qu’on avait acquise à Hambourg en travaillant chaque nuit pendant des heures.63
LES PREMIERES ANNEES-28
PAUL : Après Hambourg, ça n’a pas été brillant. On avait tous besoin de repos. Je m’attendais à ce que
tout le monde m’appelle pour discuter de ce qu’on devait faire, mais silence radio. Aucun de nous n’a
appelé les autres, j’étais moins découragé que stupéfait, je me demandais si ça allait continuer ou si c’était
la fin.
J’ai commencé à travailler dans une usine de bobinage appelée Massey and Coggins. Mon père m’avait dit
d’aller me trouver un job. Je lui ai répondu : « J’ai déjà un job. Je joue dans un groupe. » Mais au bout de
quelques semaines d’inaction avec le groupe, ça a été : « Non, tu dois te trouver un vrai boulot. » Il m’a
presque viré de chez nous : « Trouve-toi un boulot ou ne reviens pas. » Alors je suis allé au bureau de
l’emploi et ai demandé : « Je peux avoir un travail ? Donnez-moi n’importe quoi. » J’ai dit : « je prendrai
ce qu’il y a en haut de cette petite pile, là. » Et le premier job de la liste, c’était balayeur chez Massey and
Coggins. J’ai pris.
J’y suis allé et le chef du personnel m’a dit : « On ne peut pas te faire balayer la cour, tu es fait pour
bosser à la direction. » Et, avec cette idée derrière la tête, ils ont commencé à m’initier au boulot en
atelier. Bien entendu, je n’étais pas très bon à l’atelier – je n’ai jamais été un très bon bobineur.
Un jour, John et George se sont pointés dans la cour que j’aurais dû balayer et m’ont dit qu’on avait un
engagement à la Cavern. J’ai dit : « Non. J’ai trouvé un boulot stable et je me fais 7 livres 14 par semaine.
On m’apprend un métier. C’est pas trop mal, et je ne peux pas prétendre à mieux. » Et j’étais très sérieux.
Et puis – les avertissements de mon père encore à l’esprit – je me suis dit : « Et merde, ça ne vaut pas le
coup ! » J’ai sauté par-dessus le mur, et Massey and Coggins ne m’a plus jamais revu. Judicieuse décision,
quand on connaît la suite.
GEORGE : On a trouvé un engagement. Allan Williams nous a mis en contact avec un type nommé Bob
Wooler qui était animateur dans le circuit des salles de danse. Il nous a pris à l’essai un soir et a fait
publier une annonce dans le journal : « En direct de Hambourg : les Beatles. » Et on avait sans doute l’air
d’Allemands ; on était très différent des autres groupes, avec nos vestes en cuir. On avait un drôle de look
et on jouait différemment. On a fait un tabac.
JOHN : Subitement, on faisait sensation. Certes, les trois quarts du public nous prenaient pour une
sensation allemande, mais on s’en foutait. Même à Liverpool, les gens ne savaient pas qu’on était de
Liverpool. Ils croyaient qu’on était de Hambourg. Ils disaient : « Mince, ce qu’ils parlent bien l’anglais ! »
Forcément, vu qu’on était anglais. C’est ce soir-là qu’on est vraiment sortis de notre coquille et qu’on s’est
lâchés. On a été acclamé pour la première fois. C’est là qu’on a commencé à croire qu’on était bon.
Jusqu’à Hambourg, on se trouvait OK, mais pas assez bon. Ce n’est qu’à notre retour à Liverpool qu’on a
vu la différence et compris ce qui nous était arrivé pendant que tous les autres faisaient de la merde à la
Cliff Richard.67
PAUL : On a commencé à avoir des engagements à la Cavern. La Cavern puait la sueur et était moite et
obscure, bruyante et excitante. Comme d’habitude, on n’a pas eu beaucoup de public au début, et puis les
gens ont commencé à entendre parler de nous. Ils étaient sûrs d’avoir du bon temps avec nous. C’est
devenu notre force plus tard, sur scène ou sur disque – on sortait toujours un truc de notre manche.
JOHN : Neil est notre road manager personnel. Il était là depuis le début – il est allé à l’école avec Paul et
George.64
NEIL ASPINALL : C’est quand ils sont revenus de Hambourg que les Beatles ont eu besoin d’un moyen
de transport pour aller à la Cavern et dans d’autres salles. Ils prenaient des taxis à l’époque, et tout
l’argent qu’ils gagnaient allait aux chauffeurs de taxi. J’avais une camionnette et j’avais besoin d’argent,
alors Pete (on était ami et, à cette époque, je vivais chez lui) a dit aux autres que je voulais bien les
conduire un peu partout. Je faisais ça pour une livre par nuit, ce qui n’était pas si mal ; je me faisais sept
livres par semaine, ce qui était mieux que les 2 livres 50 que je gagnais comme apprenti comptable.
Je les ramenais dans la camionnette, je rentrais chez moi pour étudier mes cours par correspondance et
j’allais les reprendre plus tard. C’est parti de là. Peu après, j’ai laissé tomber la comptabilité – je ne
prenais même plus la peine de me présenter – et ai travaillé à plein temps pour le groupe. C’était super,
parce que c’était le début de la scène rock’n’roll de Liverpool, et c’était très excitant.
J’ai rencontré Paul quand on avait à peu près onze ans, bien qu’on soit devenu amis que des années plus
tard. J’étais à l’école primaire avec lui. La première année on était dans la même classe, et puis on a suivi
des parcours différents. George était dans la même école, mais il avait un an de moins – on allait fumer
ensemble sur le terrain de jeu, derrière l’abri antiaérien.
LES PREMIERES ANNEES-29
Mon premier souvenir de John, c’est à Penny Lane, à Liverpool. Je crois qu’on allait chez Paul. J’avais
quinze ans. C’était la grande mode du skiffle, et on allait les uns chez les autres faire de la musique – dans
mon souvenir, il n’y avait pas de groupe constitués. Je me souviens de ça : on descend du bus à Penny
Lane et on attend tous là, et je demande : « On attend qui ? » Un bus s’arrête et un type en sort avec le
bras passé autour d’un vieil homme à qui il parle – puis il s’éloigne dans la rue.
Au bout d’un moment, il revient et quequ’un lui demande : « Qui c’était ? » - « J’en sais rien. Je l’avais
jamais vu. » Ca a été ma première impression de John : « Qu’est-ce qu’il peut bien foutre avec son bras
autour d’un vieux gonze qu’il connaît même pas ? » C’était John Lennon.
JOHN : Le jazz ne va jamais nul part, ne fait jamais rien. C’est toujours pareil, et tout ce qu’ils font c’est
boire des pintes de bière. On les haïssait, parce qu’ils ne voulaient pas nous laisser passer dans ce genre de
clubs.
RINGO : Notre groupe est lui aussi revenu à Liverpool. Ce n’était pas facile de trouver du boulot et on ne
se faisait pas beaucoup d’argent. Je jouais toujours avec Rory, et les Beatles volaient de leurs propres
ailes. On a fait quelques concerts aux mêmes endroits, et j’ai commencé à aller les observer. J’adorais la
façon dont ils jouaient. J’adorais les chansons, leur façon de se comporter était super et je savais qu’ils
étaient meilleurs que le groupe dans lequel je jouais.
GEORGE : On a commencé à avoir d’autres engagements dans les salles de danse. Il y avait toujours
plein de groupes au programme, cinq peut-être, alors on passait après quelqu’un d’autre, on faisait notre
show et on est devenu de plus en plus populaires. Les gens nous aimaient parce qu’on était un peu voyou.
Il faut dire aussi qu’on s’était beaucoup améliorés en Allemagne. Ils n’en croyaient pas leurs yeux. Tous
les autres faisaient leur petit « dum de dum », et tout d’un coup on arrivait, sautant dans tous les sens et
trépignant. Des mecs déjantés habillés de cuir. Ca nous a pris un moment pour réaliser à quel point on
était devenu meilleurs que les autres groupes. Mais on a commencé à remarquer qu’il y avait foule
partout où on passait. Les gens nous suivaient et venaient nous voir nous, pas seulement pour danser.
A cette époque-là, quand on rockait comme des malades et qu’on devenait populaire dans les petits clubs
où on ne se faisait pas une montagne des Beatles, c’était marrant. Beaucoup de ces vieux clubs étaient
vraiment marrants. Je crois qu’on était un bon petit groupe bien soudé.
JOHN : Une des principales raisons pour lesquelles on monte sur une scène, c’est que c’est la façon la plus
rapide d’établir un contact. Quand on était encore à Liverpool, on allait voir les films d’Elvis, et tous les
gens qui avaient attendu pour le voir (et j’avais attendu aussi) hurlaient quand il apparaissait sur l’écran.
On se disait : « C’est un chouette métier. » C’est pour ça que la plupart des musiciens montent sur une
scène. C’est un bon stimulant pour tous les interprètes.
Au tout début, quand on jouait dans les salles de danse, il y avait un genre de filles qu’on appellerait des
groupies aujourd’hui et qui étaient « disponibles » à la fin de la nuit. La plupart des filles rentraient chez
elles avec leur petit ami, mais il y avait toujours un petit groupe qui se jetait sur n’importe lequel des
artistes. Peu leur importait que ce soit un comique ou un mangeur de verre, du moment qu’il se produisait
sur une scène.75
PAUL : Ce n’était pas toujours une partie de plaisir. On a pas mal trimé aussi. On a joué dans des
endroits où les gens nous balançaient des pennies. Pour les désarmer, on s’arrêtait et on ramassait les
pièces. On se disait : « Ca leur apprendra, maintenant ils vont arrêter. » On avait les poches bourrées de
pennies.
GEORGE : On est revenu à Hambourg en novembre 1960 et on y est retourné en avril 1961. Comme
j’avais dix-huit ans, j’ai eu le droit d’y retourner et, quel qu’ait été le problème concernant l’expulsion de
Paul et de Pete, on s’est débrouillé pour le contourner. Peter Eckhorn a arrangé ça. C’était le propriétaire
du Top Ten, le club où on devait passer, et le fait qu’il ait consenti cet effort démontrait qu’il était très
désireux d’avoir les Beatles. Du coup, on était tout content de travailler là-bas. Cette fois, on jouait au Top
Ten et on habitait au-dessus du club. Une petite piaule miteuse avec cinq lits superposés. Dans la chambre
voisine, il y avait une petite vieille qu’on appelait Mutti. Elle était plutôt crade. C’est elle qui nettoyait les
toilettes – et elles étaient vraiment pourries.
PAUL : Cette fois, à Hambourg, on a testé notre coiffure « Beatle ». Ca faisait partie du jeu pour attirer
les gens à l’intérieur : « Entrez. On fait du très bon rock’n’roll ! »
LES PREMIERES ANNEES-30
GEORGE : Astrid et Klaus y sont pour beaucoup. On est allé à la piscine et, comme mes cheveux mouillés
pendouillaient, ils m’ont dit : « Non, laisse-les comme ça, c’est bien. » Je n’avais pas ma vaseline, de toute
façon, et je me suis dit : « Bon, ces gens sont cool – si eux trouvent que c’est bien, je vais rester comme
ça. » Ils m’ont donné confiance en moi, et quand mes cheveux ont séché ils pendouillaient toujours, ce qui
plus tard est devenu « le look ». Avant ça, je tirais mes cheveux vers l’arrière comme tout bon rocker qui
se respecte, et il fallait que je me bagarre avec eux pour y arriver parce qu’ils tombent naturellement vers
l’avant quand je les lave. (Ils poussent en coupe Beatle !) Il me fallait un bon paquet de vaseline pour les
faire tenir en arrière.
J’ai coupé les cheveux de John un jour, et j’ai voulu qu’il coupe les miens. On ne l’a fait qu’une fois, pour
rigoler, mais je ne crois pas qu’il ait coupé les miens de façon aussi professionnelle que moi les siens.
JOHN : Comme on avait un peu plus d’argent la deuxième fois, on s’est acheté des pantalons en cuir et on
avait l’air de quatre Gene Vincent – en un peu plus jeunes.63
RINGO : C’était super d’être à Hambourg avec Tony Sheridan. J’étais là-bas en 1962 et je
l’accompagnais avec Rory Young et Lou Walters à la basse. C’était tout à fait excitant. Tony était un
agité. Quand quelqu’un dans la boîte parlait à sa petite amie, il se mettait à cogner et à donner des coups
de pieds dans tout ce qui bougeait pendant qu’on continuait à jammer. Et puis il nous rejoignait, couvert
de sang s’il avait perdu. Mais c’était un très bon musicien.
PAUL : On a fait un disque pour Bert Kaempfert, qui était un chef d’orchestre et un producteur. « My
Bonnie », avec Tony Sheridan. En fait, c’était « Tony Sheridan and die Beat Brothers ». Ils n’aimaient pas
notre nom et nous ont dit: « Transformez-le en Beat Brothers, c’est plus compréhensible pour le public
allemand. » On a accepté – c’était un disque.
GEORGE : On a aussi enregistré « Ain’t She Sweet ». Ca a été une grande déception, parce qu’on espérait
décrocher un contrat d’enregistrement en tant que Beatles. Bien qu’on ait fait « Ain’t She Sweet » et
l’instrumental « Cry For A Shadow » sans Sheridan, ils n’ont même pas mis notre nom sur le disque.
C’est pour ça que je trouve tellement minable que, plus tard, quand on a été célèbre, ils aient ressorti le
disque sous le titre de The Beatles With Tony Sheridan. Mais quand il est sorti le première fois, il nous
avaient baptisés les « Beat Brothers ».
On a enregistré avec Lou Walters. C’était le bassiste de Rory Storm, et il se prenait pour un chanteur. Il a
payé pour enregistrer son disque, comme on avait fait à Liverpool pour « That’ll Be The Day ».
GEORGE : Stuart s’était fiancé à Astrid et avait décidé qu’après ce voyage-là, il quitterait le groupe et
resterait vivre en Allemagne, parce qu’Eduardo Paolozzi allait venir donner des conférences aux beauxarts de Hambourg. Stu n’avait jamais été obsédé par la musique. On l’aimait dans le groupe. Il était très
beau et en avait appris assez pour s’en tirer, mais il n’a jamais été vraiment convaincu qu’il allait devenir
musicien. Il nous a dit : « Je quitte le groupe, les gars. Je vais rester à Hambourg avec Astrid. » Alors, j’ai
dit : « On ne va pas prendre une cinquième personne. L’un de nous trois doit se mettre à la basse, et ce ne
sera pas moi. » John a dit : « Ca ne sera pas moi non plus. » Paul, lui, n’avait pas l’air contre. Colin
Milander, le bassiste du trio de Tony Sheridan, avait une basse violon Hofner qui était une imitation de la
basse Gibson. Quand Paul a décidé qu’il deviendrait notre bassiste, il est allé s’acheter la même que Colin.
PAUL : C’est moi qui me suis farci la basse. Personne ne voulait en jouer, et c’est la raison pour laquelle
Stuart était là. On voulait tous être guitaristes et, depuis le début, on avait été trois guitaristes. Il y a une
chose que j’aimerais préciser, parce que c’est en quelque sorte historique – il y a quelques années,
quelqu’un a prétendu que c’était mon ambition dévorante qui avait poussé Stu hors du groupe. On a eu
quelques prises de bec, Stu et moi, mais tout ce que je voulais c’était qu’on soit un groupe formidable, et
Stu – qui était un artiste formidable – nous freinait un peu, pas trop. En fait de le pousser dehors, je me
contentais de me dire, quand quelqu’un nous regardait : « Pourvu que Stu ne foute pas tout en l’air. » Je
pouvais faire confiance aux autres, voilà tout. Stuart se détournait légèrement pour qu’on ne voie pas trop
dans quelle tonalité il jouait, au cas où ça n’aurait pas été la nôtre. Quand il est devenu évident que Stu
allait partir à cause d’Astrid, je lui ai demandé de me prêter sa basse pendant la période de transition.
Pour moi, elle était montée à l’envers, mais je ne pouvais pas inverser les cordes au cas où il aurait voulu
en rejouer. Mais j’avais de tout façon appris à jouer de la guitare à l’envers, parce que John ne voulait
jamais que j’inverse les cordes de sa guitare, et George non plus – ça les fatiguait trop d’avoir à les
remettre à l’endroit.
LES PREMIERES ANNEES-31
JOHN : J’ai écrit pour le Mersey Beat. J’ai repris certaines choses dans En flagrant délire (In His Own
Write), et j’écrivais un truc intitulé « Beatcomber » parce que j’adorais la rubrique « Beachcomber » du
Daily Express. C’est à ce moment-là que j’ai écrit avec George « Un homme est arrivé sur une tarte
flamboyante… » Parce que même à l’époque, les gens nous demandaient : « Où vous avez trouvé ce nom,
les « Beatles » ? »72
JOHN : « Gear » est une expression de Liverpool tirée du français « de rigueur » et voulant dire quelque
chose comme « très cool ».
JOHN : J’ai eu vingt-deux/vingt-trois ans avant que les Beatles arrivent à quoi que ce soit. Et même alors,
cette voix intérieure me disait : « Ecoute, tu es trop vieux. » Avant même qu’on ait enregistré un disque, je
pensais : « Tu es trop vieux. » Je Pensais que j’avais raté le coche, qu’il fallait avoir dix-sept ans – en
Amérique, un tas de vedettes étaient des gosses. Elles étaient bien plus jeunes que moi, ou que Ringo.74
JOHN : Pour fêter ça, Paul m’a offert un hamburger. Je n’étais pas trop ravi d’avoir vingt et un ans. Je
me rappelle qu’une des femmes de ma famille m’a dit : « A partir de maintenant, c’est la descente », et ça
m’a fait un choc. Elle m’a expliqué que ma peau allait se mettre à vieillir, ce genre de baratin.
Paul et moi sommes partis pour Paris en stop. Bon, on devait y aller en stop, mais on a fini par prendre le
train tout du long – par pure flemme.63
On avait des engagements, mais on les a annulés et on est parti.67
PAUL : On a rencontré Jürgen Vollmer dans les rues de Paris. Il prenait toujours des photos.
JOHN : Jürgen portait lui aussi des pantalons pattes d’éléphant, mais on s’est dit qu’à Liverpool, les gens
trouveraient ça trop pédale. On ne voulait pas avoir l’air efféminé parce que, dans notre public de là-bas,
il y avait encore un tas de vrais mecs. (On faisait du rock’n’roll vêtus de cuir, même si les ballades de Paul
attiraient de plus en plus de filles.)67
Bref, Jürgen avait une coupe de cheveux à plat, avec une frange sur le devant, qui nous a bien plu. On est
allé chez lui et il nous a coupé – taillé serait plus approprié – les cheveux comme les siens.63
PAUL : Il était coiffé façon Mod. On lui a demandé : « Tu ne voudrais pas nous couper les cheveux
comme toi ? » On était en vacances, merde. On s’achetait des capes et des pantalons, au diable la
prudence. Il a répondu : « Non, les gars, non. Je vous aime bien en rockers, vous êtes superbes. » Mais on
l’a supplié jusqu’à ce qu’il accepte. Il ne nous a pas fait exactement la même coupe que la sienne.
La sienne était plus longue d’un côté. Comme une espèce de Hitler à cheveux longs, et c’était ça qu’on
voulait, alors c’est arrivé un peu par accident. On était là, dans sa chambre d’hôtel, et il a inventé – la
coupe « Beatle » !
Tout le reste de la semaine, on s’est senti comme des Existentialistes parisiens. Jean-Paul Sartre n’avait
rien de plus que nous. Ca y était. « Qu’ils aillent tous se faire foutre – je pourrais écrire un roman sur ce
que j’ai appris cette semaine-là. » J’avais tout en moi, dorénavant, je pouvais tout accomplir.
RINGO : Quelle allure ils avaient quand ils sont revenus !
JOHN : On suit les modes, on l’a toujours fait. On peut rendre jusqu’à un certain point une mode
populaire – en général, on n’invente pas de vêtements, on porte des choses qu’on aime bien et les gens
nous imiteront peut-être. Notre style d’origine venait du Continent, les Anglais ne portant que des
vêtements anglais. Et les styles à la mode en Europe ont marché en Angleterre aussi.65
Avant qu’on réussisse, j’avais honte d’aller sur le Continent et de dire que j’étais anglais. Les Beatles ont
essayé de changer l’image de la Grande-Bretagne. On a changé la façon de se coiffer et de s’habiller du
monde entier, y compris l’Amérique – ils étaient vraiment tristes et ringards quand on est allé là-bas.69
BRIAN EPSTEIN : Le samedi 28 octobre 1961, un jeune garçon m’a demandé le disque d’un groupe
appelé les Beatles. En matière de disques, notre politique avait toujours été de prendre en compte toute
demande qui nous était faite. J’ai donc écrit sur mon bloc-notes : « « My Bonnie », les Beatles. Verifier
lundi. »
LES PREMIERES ANNEES-32
Je n’avais jamais accordé la moindre attention aux groupes beat qui émergeaient à Liverpool et jouaient
dans les caves. Ils ne faisaient pas partie de mon existence, parce que j’avais passé l’âge et aussi parce que
j’avais été trop occupé. Le nom « Beatles » ne signifiait rien pour moi, même si je me souvenais vaguement
d’une affiche annonçant une soirée dansante au New Brighton Tower. Je m’étais dis que c’était une
orthographe étrange et sans aucune raison d’être.
Le lundi, avant que j’aie eu le temps de vérifier, deux filles sont venues dans le magasin et m’ont demandé
elles aussi un disque de ce groupe. Ce qui, contrairement à ce que prétend la légende, représente la totalité
des demandes pour le disque des Beatles à Liverpool à cette époque. Mais j’étais convaincu que trois
demandes en deux jours pour un disque inconnu, cela signifiait quelque chose.
J’ai interrogé mes contacts et découvert ce que je n’avais pas réalisé, à savoir que les Beatles étaient en
fait un groupe de Liverpool et qu’ils revenaient de jouer dans des clubs du quartier chaud de Hambourg.
Une fille que je connaissais m’a dit : « Les Beatles ? Ce sont les meilleurs. Ils passent cette semaine à la
Cavern… »
PAUL : Brian Epstein avait un magasin appelé NEMS. Il était le fils du propriétaire, Harry Epstein.
NEMS voulait dire North End Music Stores, et c’est là qu’on achetait nos disques. C’était un endroit où
les gens se retrouvaient, un des rares magasins où on pouvait trouver les disques qu’on cherchait.
On s’est bien débrouillés à la Cavern, on a attiré un public nombreux et le bouche à oreille a bien
fonctionné. Ce qui s’était passé, c’est qu’un gamin était entré dans le magasin de Brian et avait demandé
« My Bonnie » des Beatles. Brian avait dû lui dire : « Non, ce n’est pas les Beatles, c’est de Tony
Sheridan », et il l’avait commandé. Et puis Brian a appris qu’on jouait à deux cents mètres de là, alors il
est venu à la Cavern et on a appris la nouvelle : « Brian Epstein est dans le public – peut-être qu’il est
manager ou alors promoteur. En tous cas, c’est un adulte. » A l’époque, c’était Nous d’un côté et les
Adultes de l’autre.
GEORGE : Brian a descendu la rue et est venu voir de quoi il retournait. Je me souviens de Bob Wooler,
le disc-jockey, annonçant : « Nous avons avec nous Mr Brian Epstein, le propriétaire de NEMS. » Et tout
le monde a fait : « Ouah ! Le gros, gros truc. »
Il est resté debout dans le fond à écouter, et ensuite il est venu dans la loge. On s’est dit que c’était un gros
rupin très chic ; c’est mon premier souvenir de Brian. Il voulait qu’on signe, mais je crois qu’il était déjà
venu plusieurs fois avant de décider de devenir notre manager.
PAUL : A cet âge-là, on était très impressionné par quiconque portait un costume ou avait une voiture. Et
Brian était impressionné par nous. Il aimait notre sens de l’humour et notre musique, et il aimait notre
look – en cuir noir.
Alors on est allé un soir au magasin NEMS. C’était très intimidant de pouvoir entrer dans ce grand
magasin de musique après la fermeture, quand il n’y a plus personne. On aurait dit une cathédrale. On est
monté dans le bureau de Brian pour signer le contrat. Je discutais avec lui, j’essayais de le coincer parce
que je connaissais le but du jeu : essayer d’amener le manager à ne prendre qu’un faible pourcentage. Les
autres essayaient aussi, mais lui s’en tenait au chiffre de 25%. Il nous a dit : « Ca ira. A partir de
maintenant, je suis votre manager. » Et on a dit oui.
Ca concordait parfaitement avec le conseil de mon père, qui m’avait dit de prendre un manager juif, et
Brian Epstein est devenu notre manager.
JOHN : Epstein qui bossait dans un magasin de disques et n’avait rien à foutre, a vu ces rockers gominés
qui faisaient de la musique bruyante et tous ces gosses qui écoutaient ça avec attention. Et il s’est dit : « Ca
a l’air d’être un bon business. » Et il a aimé ça – il en a aimé l’aspect. Il voulait nous manager et nous a dit
qu’il pensait pouvoir y arriver, et comme on ne connaissait personne de mieux on lui a dit : « OK, c’est
bon. »75
Jusqu’à ce qu’il arrive, on vivait un rêve éveillé. On n’avait aucune idée de ce qu’on faisait. C’est devenu
très officiel le jour où on a vu notre ordre de route couché sur le papier.67
NEIL ASPINALL : On était très impressionné. Jusqu’alors, tel type qui dirigeait tel ou tel endroit nous
engageait pour les quatre mardis soirs suivants, et c’était inscrit dans l’agenda de quelqu’un – dans celui
de Paul ou dans celui de Pete, ou ailleurs. C’était écrit mais c’était très informel, bricolé au jour le jour.
Quand Epstein est arrivé, la première chose qu’il a faite c’est de multiplier par deux ce que le groupe
gagnait à la Cavern, faisant passer son cachet de 7 livres 10 à 15.
LES PREMIERES ANNEES-33
PAUL : J’ai adoré la Cavern. Un enfer claustrophobe, mais un super endroit.
NEIL ASPINAL : C’était l’expérience théatrale de Brian – c’est de là que sont venus les vêtements et les
saluts au public après chaque chanson, et aussi de couper les extrémités des cordes des guitares. Les
cordes coûtaient cher à cette époque, alors quand l’une d’elles cassait on défaisait l’extrémité, on tirait
dessus pour faire un nœud et puis on la tendait et on pouvait continuer à jouer. Tous ces fils qui
pendouillaient au bout des guitares faisaient un peu désordre, aussi le conseil de Brian a été : « Coupez
l’extrémité de ces trucs et mettez de l’ordre dans votre numéro – rendez-le plus acceptable par le grand
public. »
Au début, il y a eu des résistances à ces suggestions. En ce qui concerne les cordes des guitares, ça
impliquait de les ôter et d’en remettre de nouvelles, ce qui prenait plus longtemps. Et le salut – John le
faisait, mais en râlant. Il agitait ses mains dans tous les sens et balançait toujours un petit sarcasme à
notre attention – nous, dans la foule, on savait ce qu’il faisait et on en riait, mais je ne pense pas que le
public ait jamais saisi.
GEORGE : Brian a passé beaucoup de son temps à nous faire décoller. Il a cru en nous dès le début.
JOHN : Il allait partout, léchant les bottes et charmant tout le monde, les gens des journaux et ils avaient
tous une haute opinion de lui.72
Essayer d’obtenir de la publicité était une sorte de jeu. On traînait dans les bureaux des quotidiens et des
journaux de musique locaux pour leur demander d’écrire sur nous, parce que c’est la chose à faire. Il était
normal qu’on sorte notre meilleur numéro. On devait avoir l’air gentil aux yeux des journalistes, même
les plus arrogants qui nous faisaient comprendre qu’ils nous accordaient une faveur. On les embobinait,
on leur disait combien ils étaient aimables de bien vouloir nous parler. On était vraiment hypocrites.67
Brian est allé à Londres. A son retour, il nous a dit : « Je vous ai obtenu une audition. » On était tous très
excité : c’était Decca. Il avait rencontré ce type, Mike Smith, et il fallait qu’on aille là-bas. On est donc
partis et on a joué tous ces morceaux. Terrifiés et nerveux, ça s’entend : au début, on est morts de trac et
puis on se met progressivement en place.72 On a enregistré « To Know Her Is To Love Her », la chanson
de Phil Spector, et deux des nôtres. On a pratiquement enregistré tout notre show de la Cavern, avec
quelques omissions – autour de vingt chansons.74
On a fait des bandes pour Decca et Pye, mais on n’est pas allé chez Pye.64
NEIL ASPINALL : Le jour de la Saint-Sylvestre 1961 j’ai dû faire la route jusqu’à Londres, à cause de
l’audition des Beatles pour Decca Records. (On s’est perdu quelque part dans les Midlands.) Cette SaintSylvestre a été notre première à Londres.
GEORGE : Il neigeait et je me revois entrant dans les studios Decca. On est entré, on a branché nos
amplis et on a joué.
A cette époque, beaucoup de chansons de rock’n’roll étaient en fait de vieilles chansons des années 40 ou
50 qui avaient été « rockifiées ». C’était la chose à faire quand on n’avait pas de chansons : en rockifier
une vieille. Joe Brown avait enregistré une version rock’n’roll de « The Sheik Of Araby ». Il avait
beaucoup de succès à l’émission de télé du samedi Six-Five Special et à Oh Boy ! Comme j’aimais les
disques de Joe Brown, j’ai chanté « Sheik Of Araby ». Paul a chanté « September In The Rain ». Chacun
choisissait la chanson qu’il voulait chanter.
Il était très inhabituel en ce temps-là de voir un groupe dans lequel tout le monde chantait. C’était partout
le genre Cliff Richard and the Shadows, avec un chanteur solo devant. Tout le groupe en costumes de
scène, avec cravates et pochettes assorties, et des mouvements synchronisés, et un type devant qui
chantait.
L’audition a duré environ deux heures, et puis voilà. On est parti et on est rentré à notre hôtel.
GEORGE : On a rencontré un groupe londonien dont les membres portaient ce qui allait plus tard
devenir connu sous le nom de « Beetle boots ». C’est au cours de ce voyage que j’ai vu ces bottines pour la
première fois. Elles avaient des élastiques sur les côtés, et j’ai découvert qu’elles étaient vendues dans une
boutique de Charing Cross appelée Anello & Davide.
Quant à la réponse de Decca, on n’a pas eu de nouvelles pendant une éternité, même si Brian les harcelait
pour savoir.
LES PREMIERES ANNEES-34
En fin de compte, ils nous ont refusés. Le plus drôle, c’est que ce refus est venu d’un membre de ces
groupes gnangnan, Tony Meehan, un batteur qui était devenu très influent en tant que directeur
artistique de Decca. L’histoire raconte qu’alors que Brian Epstein essayait de lui faire dire s’il nous aimait
ou pas, si on faisait l’affaire ou non, il a répondu : « Je suis un homme occupé, Mr Epstein. » Et ce n’était
qu’un môme !
JOHN : Je l’ai écoutée. Je ne nous aurais pas refusés là-dessus. Je pense que ça n’était pas si mal.
Particulièrement la seconde moitié, pour l’époque. Il n’y avait pas beaucoup de gens qui jouaient ce genre
de musique.72 Je crois que Decca s’attendait à ce que tout soit nickel ; nous on ne faisait qu’enregistrer
une démo. Ils auraient dû sentir notre potentiel.67
GEORGE : Des années plus tard, j’ai découvert qu’ils avaient fait signer Brian Poole an the Tremoloes à
la place. Le patron de Decca, Dick Rowe, a fait une prédiction très clairvoyante : « Les groupes à guitares
vont bientôt disparaître, Mr Epstein. »
PAUL : Il doit se donner des coups de pied au cul, maintenant.
JOHN : J’espère qu’il se botte le cul à en crever !63
NEIL ASPINALL : Il n’y avait pas beaucoup de radios pop. Il y avait Radio Luxembourg le dimanche
soir, et c’était tout. Par les types de la marine marchande, on pouvait se procurer un tas de disques
américains qu’on n’entendait pas en Angleterre. Et c’était le groupe qui entendait un disque le premier
qui le reprenait. Si Gerry Marsden découvrait une chanson avant les autres, elle devenait sa chanson, et si
quelqu’un d’autre l’interprétait, c’était comme s’il plagiait Gerry.
PAUL : Je crois qu’on a pigé très tôt qu’on n’irait nulle part si on était pas différent. Parce que si on ne
faisait pas preuve d’originalité, on risquait de rester en rade. Un exemple : je chantais le « I Remember
You » de Frank Ifield. Partout où je le chantais, ça marchait étonnamment bien ; mais si le groupe qui
nous précédait chantait lui aussi « I Remember You », notre grand moment était foutu. On demandait aux
groupes : « Quelles chansons vous faites, vous ? » S’ils mentionnaient « I Remember You », c’était : « Oh,
merde. » C’est pourquoi on devait chanter des chansons que personne d’autre n’avait, ou alors, si on était
deux groupes à avoir le même titre phare, on négociait.
On en est donc venu à écrire nos propres chansons et on a osé les interpréter en public. Au début, on ne
faisait ça qu’à la Cavern. Je crois que la première chanson originale qu’on ait jamais chantée était une
très mauvaise composition de moi intitulée « Like Dreamers Do » (qui a, elle aussi, été reprise plus tard).
C’était suffisant. On l’a répétée et on l’a jouée et les kids l’ont aimée parce qu’ils ne l’avaient jamais
entendue auparavant. C’était quelque chose qu’ils ne pouvaient entendre qu’en venant nous voir.
A la réflexion, on mettait très habilement, bien qu’instinctivement, tous les éléments en place : on se
transformait nous-mêmes en un groupe différent.
JOHN : On a commencé à interpréter nos propres morceaux à Liverpool et à Hambourg. « Love Me Do »,
une des premières chansons qu’on ait écrites, Paul a commencé à la chanter quand il avait environ quinze
ans. Ca a été la première des nôtres qu’on ait osé jouer en public. C’était assez angoissant, parce qu’on
jouait par ailleurs des morceaux géniaux écrits par d’autres : Ray Charles et Richard, et tous les autres.72
(A la Cavern, je chantais une vieille chanson des Olympics intitulée « Well », un truc de douze mesures.)80
Ca a été plutôt difficile de monter sur scène et de chanter « Love Me Do ». On trouvait nos morceaux un
peu cucul. Mais on a peu à peu surmonté ça et décidé de les essayer.72
NEIL ASPINALL : Le circuit des tournées s’agrandissait sans cesse. Ils allaient jouer de plus en plus loin
de Liverpool. Ils passaient à, disons, Swindon. Ouah ! C’est à des kilomètres de tout. Et puis, Southport, et
puis, Crewe et enfin, Manchester. Des salles de danse, la plupart du temps. Ils voulaient de la publicité et
un contrat d’enregistrement, mais ça a pris longtemps pour en obtenir un, et il y a eu pas mal de
désillusions.
Brian avait une bande de l’enregistrement qu’ils avaient réalisé chez Decca, et il la faisait écouter partout.
JOHN : Ca nous a coûté dans les 15 livres de réaliser l’enregistrement dans un studio de chez Decca.
Brian Epstein allait le proposer partout.
LES PREMIERES ANNEES-35
Il prenait le train tout seul pour Londres avec la bande et il en revenait avec un visage défait et on savait
qu’on avait encore une fois fait un bide. Quand on écoute la bande, c’est plutôt bon. Ce n’est pas génial
mais c’est bon, et c’est certainement bon pour l’époque quand on considère que tout ce qui se passait
alors, c’était les Shadows – particulièrement en Angleterre. Mais ils étaient si bornés que quand ils
écoutaient cet enregistrement d’audition, ils s’attendaient à entendre les Shadows. Donc, ils n’écoutaient
pas du tout. Tout comme aujourd’hui, ils voulaient entendre – vous savez comment sont ces gens – des
choses déjà dépassées. Ils sont incapables d’entendre quoi que ce soit de nouveau.
La situation devenait inconfortable parce que, sans disques, on ne peut aller nulle part.74 On était
persuadé qu’on n’arriverait à rien du tout. Il n’y avait que Brian pour nous dire qu’on allait y arriver, et
aussi George. Brian Epstein et George Harrison.
Brian revenait de Londres et n’osait pas nous regarder en face parce qu’il s’était fait jeter vingt fois. Il
revenait et disait : « Euh, j’ai bien peur qu’ils ne nous aient refusés encore une fois. » A cette époque, on
était devenu proche et il était vraiment mortifié. Il était terrifié à l’idée de nous annoncer qu’on avait été
éconduit encore une fois.72
On a eu quelques disputes avec Brian. On lui disait qu’il ne foutait rien et que c’était nous qui nous
tapions tout le boulot. Ce n’était que des mots, en fait – on savait combien il travaillait dur. C’était Nous
contre Eux.67 Il nous a fait écouter chez EMI, au cours de sa tournée à pied. S’il n’avait pas fait le tour de
Londres à pied avec les bandes sous le bras et s’il n’était pas allé de place en place, et s’il n’avait pas en fin
de compte rencontré George Martin, on n’aurait jamais réussi. On n’avait pas l’énergie pour le faire
nous-mêmes. Paul était le plus motivé, dans ce domaine : « Essayons de gamberger des coups de pub, ou
alors sautons dans la Mersey » - quelque chose comme ça, dans ce genre de termes-là, pour réussir.72
GEORGE : En avril 1962, Stuart Sutcliffe est mort. Il avait déjà quitté le groupe. Peu avant sa mort, il est
revenu à Liverpool (avec la veste Pierre Cardin sans col, il en a eu une avant nous), s’est baladé et a passé
un peu de temps avec nous – presque comme s’il avait le pressentiment qu’il ne nous reverrait plus. Il est
venu me voir chez moi, en plus des fois où je l’ai vu avec les autres, et j’ai été très sensible à sa présence.
J’ignorais que Stuart était malade, mais il essayait d’arrêter de fumer. Il coupait ses cigarettes en petits
morceaux et, à chaque fois qu’il avait envie de fumer, il allumait un de ces morceaux, comme un mégot. Il
y a plusieurs versions de sa mort, mais toutes affirment que quelqu’un l’a frappé à la tête et qu’il est mort
d’une hémorragie. Je me rappelle effectivement que quelqu’un l’a frappé un soir, après un concert à
Liverpool (simplement parce qu’il faisait partie du groupe), mais ça s’était passé deux années plus tôt.
Il y a eu quelque chose de très chaleureux dans son retour et, rétrospectivement, je crois qu’il mettait un
point final à quelque chose. Parce qu’il est retourné à Hambourg et est mort peu après, d’une hémorragie
cérébrale, la veille du jour où on devait retourner là-bas en avion. J’avais la rubéole et je ne suis parti que
le lendemain avec Brian Epstein. C’était la première fois que je prenais l’avion.
On n’est pas allé à l’enterrement. C’était fini. Comme on dit : « Celui qui n’est pas occupé à naître est
occupé à mourir. » Mais on a tous été très tristes, et je me sentais plus triste encore pour Astrid. Elle
continuait à venir nous voir jouer et restait assise là. Je crois que ça l’aidait à se sentir un peu mieux, au
moins, de passer un moment avec nous.
PAUL : Très peu de gens de notre âge étaient morts ; on était tous trop jeunes. C’était les gens plus âgés
qui mouraient, aussi la mort de Stuart a été un vrai choc. Et il s’y ajoutait en ce qui me concerne un léger
sentiment de culpabilité parce que, par moments, je n’avais pas été son meilleur copain. On a terminé
bons amis, mais on a eu quelques frictions, en partie parce qu’on était jaloux de l’amitié que John lui
portait. On se disputait tous l’amitié de John et comme Stuart, qui était son copain aux beaux-arts, passait
beaucoup de temps avec lui, on le jalousait. Et puis je voulais que le groupe soit aussi bon que possible,
alors je faisais la remarque de trop : « Tu n’as pas joué ça comme il faut. » Mais la mort de Stuart a été
terrible, parce qu’il serait à tout le moins devenu un grand peintre – il suffit de regarder ses carnets de
croquis.
On n’était pas aussi proche de Stu que l’était John – ils avaient fait les beaux-arts ensemble et avaient
partagé un appartement – mais on était quand même proche de lui. On a tous été très malheureux, même
si le choc a été atténué par le fait qu’il était resté à Hambourg et qu’on s’était habitués à ne plus être avec
lui. John n’a pas ri, comme on l’a prétendu, quand il a appris la mort de Stuart. Mais on était si jeune
qu’on ne s’est pas attardé là-dessus. Le genre de question qu’on se posait, c’était : « Je me demande s’il va
revenir ? » On avait conclu un pacte entre nous selon lequel, si l’un d’entre nous venait à mourir, il
reviendrait et dirait aux autres s’il y a quelque chose de l’autre côté. Alors, Stuart ayant été le premier à
partir, on s’attendait plus ou moins à le voir réapparaître. N’importe quel bruit de casseroles dans la nuit,
ça aurait pu être lui.
LES PREMIERES ANNEES-36
JOHN : On était à Hambourg en même temps que Gene Vincent et (plus tard) Little Richard, et il y a des
tas d’histoire qui courent au sujet de nos escapades, particulièrement avec Gene Vincent qui était un mec
plutôt allumé. On l’a rencontré dans les coulisses. Par « coulisses » je veux dire chiottes, et on était très
émus.75
PAUL : Le Star-Club était super. Manfred Wissleder, le propriétaire, et Horst Fascher avaient des
Mercedes décapotables drôlement classes. Horst avait fait de la prison pour avoir tué quelqu’un. Il avait
été boxeur et avait tué un marin au cours d’une rixe dans un bar. Mais ils étaient très paternels avec
nous ; on était un peu leurs chouchous. Paradoxalement, on était en sécurité avec ces gens.
GEORGE : L’audition chez Parlophone a eu lieu en juin 1962. Ca ne s’est pas trop mal passé. Je crois que
George Martin a trouvé qu’on était mal dégrossi et cru, mais qu’il y avait là-dedans quelque chose
d’intéressant. On a fait « Love Me Do », « PS I Love You », « Ask Me Why », « Besame Mucho » et «
Your Feet’s Too Big », entre autres. (« Your Feet’s Too Big » est de Fats Waller. C’était l’influence du
père de Paul.)
Ce qui m’a le plus frappé chez George Martin, la première fois qu’on l’a rencontré, c’est son accent. Il
n’avait pas l’accent cockney ni celui de Liverpool ou de Birmingham, et on trouvait que quiconque ne
parlait pas comme ça était très snob. Il était gentil, mais assez professoral : il fallait le respecter mais en
même temps, il nous donnait l’impression qu’il n’était pas coincé – qu’on pouvait plaisanter avec lui. On a
souvent raconté la scène quand on a eu fini de jouer et qu’on a monté l’escalier pour aller dans la régie du
Studio 2. George Martin nous a expliqué des trucs, et puis il a demandé : « Est-ce qu’il y a quelque chose
qui ne vous plaît pas ? » On a réfléchi en silence, et puis j’ai dit : « Ben…j’aime pas votre cravate ! » Il y a
eu un moment de gêne, et puis on s’est mis à rire, et lui aussi. Quand on est natif de Liverpool, il faut être
un comique.
PAUL : George Martin était connu chez EMI pour produire des artistes mineurs – des gens qui n’étaient
pas vraiment des artistes discographiques, comme les Goons. Les grands artistes comme Shirley Bassey
allaient à d’autres producteurs. On laissait les « miettes » à George et nous, on était des miettes. Il a
accepté de nous auditionner, et on a passé une audition pas si terrible que ça au cours de laquelle il n’a pas
été très satisfait de Pete Best. George Martin était habitué à des batteurs jouant « dans le temps », parce
que tous les batteurs de big-bands qu’il employait en studio avaient un grand sens du tempo. Tandis que
nos batteurs de Liverpool avaient l’esprit, l’émotion, la simplicité même, mais pas un sens du tempo
extraordinaire, ce qui agaçait les producteurs de disques. George nous a pris à part et nous a dit : « Je ne
suis pas content du tout de votre batteur. Envisagez-vous d’en changer ? » On a répondu : « Non, c’est
impossible ! » Ca a été un de ces dilemmes affreux auxquels on est confronté quand on est gamin.
Pouvons-nous le trahir ? Non. Mais notre carrière était en jeu. Ils allaient peut-être résilier notre contrat.
Ca a fait toute une histoire à l’époque, la façon dont on a « jeté » Pete. Et je suis désolé pour lui, à cause de
tout ce à quoi il aurait pu participer, mais en ce qui nous concerne, ça a été une décision purement
professionnelle. S’il n’était pas au niveau (légèrement à nos yeux, totalement à ceux du producteur), alors
il n’y avait pas d’alternative. Mais ça a tout de même été très difficile. C’est une des choses les plus
difficiles qu’on ait jamais eues à faire.
JOHN : Au fil des années il s’est créé un mythe affirmant qu’il était super bon mais que Paul était jaloux
de lui parce qu’il était beau gosse, ce genre de merde. Ils ne s’entendaient pas vraiment bien, mais c’était
en partie parce que Peter était lent. Il n’était pas méchant, mais il n’était pas très vif. On avait tous l’esprit
vif, mais lui n’a jamais pu suivre. La raison pour laquelle il était entré dans le groupe en premier lieu,
c’est qu’il nous fallait un batteur pour aller à Hambourg. On a toujours pensé qu’on le virerait dès qu’on
trouverait un batteur décent, mais quand on est revenu d’Allemagne, on lui avait appris à lever et faire
retomber une baguette (quatre-quatre, il ne pouvait pas faire beaucoup plus), et puis il était mignon et les
filles l’aimaient, alors ça faisait l’affaire.74 On s’est conduit comme des lâches quand on l’a viré. On a
demandé à Brian de s’en charger. Mais si on le lui avait dit en face, ça aurait pu être bien pire. Ca se
serait probablement terminé en bagarre.67
PAUL : On a commencé à se dire qu’il nous fallait le « meilleur batteur de Liverpool », et le plus grand à
nos yeux était un type, Ringo Starr, qui avait changé de nom bien avant nous, portait la barbe, était adulte
et connu pour posséder une Zodiac Zéphyr. On a donc proposé à Ringo de se joindre à nous, et il a fallu
annoncer l’épouvantable nouvelle à Pete.
LES PREMIERES ANNEES-37
RINGO : Au moment où les Beatles m’ont fait leur proposition, j’en ai reçu une de King Size Taylor and
the Dominoes, et une autre de Gerry and the Pacemakers. (Gerry voulait que je sois son bassiste ! Je
n’avais et n’ai toujours jamais joué de basse, mais l’idée d’être sur le devant de la scène me séduisait
assez. A l’époque, ne jamais avoir joué d’un instrument n’avait pas grande importance !)
J’allais souvent voir les Beatles, et il existe des photos sur lesquelles on les voit en train de jouer tandis que
je suis assis au bord de la scène : « Salut les gars ! » Et puis un matin, il était midi à peu près, je suis au lit,
ma mère frappe à la porte de ma chambre et me dit : « Brian Epstein est dehors. » Je ne savais pas grandchose de lui, sinon qu’il était vraiment étrange que les Beatles aient un manager parce qu’aucuns de nous
n’en avait vraiment un. Il m’a demandé : « Voulez-vous jouer avec nous à la Cavern pendant l’heure du
déjeuner ? » J’ai répondu : « Laissez-moi le temps de boire une tasse de thé et d’enfiler mon pantalon, et
je descends. » Il m’a emmené à la Cavern dans sa belle voiture, et j’ai joué.
A cette époque, les groupes jouaient souvent les mêmes morceaux. Un soir, à Crosby, on était trois groupes
au programme. Chacun devait jouer deux sets d’une demi-heure chacun, mais aucun des batteurs des
deux autres groupes n’est venu, j’ai joué avec les trois – je suis resté toute la soirée derrière ma batterie.
Quand le rideau se refermait je changeais de veste, le groupe suivant faisait son entrée et moi j’étais
toujours là. Ca se refermait et puis ça se rouvrait et – encore moi ! Six fois de suite comme ça. Ca allait,
parce qu’en ce temps-là j’avais la pêche et connaissais tous les morceaux.
Après la Cavern, on est tous allés boire un verre dans un autre club. Ca a été : « Merci bien, les gars. » On
avait passé un bon moment ensemble, et puis je suis parti. Mais plus tard, on m’a redemandé : « Tu
jouerais encore une fois avec les garçons ? Pete ne peut pas venir. » Comme j’adorais jouer avec eux et
que ça payait bien, j’ai répondu : « Bien sûr. » Ca s’est reproduit trois ou quatre fois – on était potes, on
prenait un verre après le show et je retournais avec Rory.
Et puis un jour, un mercredi – on faisait une fois de plus Butlins, notre troisième saison, trois mois de
boulot à seize livres par semaine, fabuleux – Brian a appelé et m’a demandé : « Voulez-vous vous joindre
au groupe pour de bon ? » J’ignorais que c’était dans l’air depuis un moment, parce que j’étais très
occupé à jouer. En fait, ils en avaient parlé à Brian et George m’avait pistonné.
Les Beatles avaient un bout de bande destiné aux maisons de disques, ils avaient enregistré quelques
morceaux et avaient obtenu un contrat d’enregistrement chez EMI ! Un morceau de plastique, c’était
comme de l’or, c’était plus que de l’or ! On aurait vendu notre âme pour figurer sur un petit disque. Alors
j’ai dit : « OK. Mais il y a quatre autres types ici. On a un engagement de plusieurs mois. Je ne peux pas
m’en aller maintenant et leur faire perdre l’affaire. »
J’ai dit que je viendrais le samedi. On avait nos samedis libres à Butlins, parce que c’était le jour où les
nouveaux campeurs arrivaient. Ca laissait à Rory le jeudi, le vendredi et le samedi pour faire venir
quelqu’un avant de reprendre le dimanche, ce qui était largement suffisant.
Et voilà. John a dit : « Débarrasse-toi de ta barbe, Ring, et change de coiffure. » J’ai coupé mes cheveux,
comme on dit, et me suis joint au groupe. Je ne me suis jamais senti désolé pour Pete Best. Je n’avais rien
à voir là-dedans. De plus, je savais que j’étais bien meilleur que lui.
Notre premier passage ensemble à la Cavern a été plutôt mouvementé. Il y a eu beaucoup de bagarres et
de cris ; la moitié de la salle me haïssait, l’autre m’adorait. George s’est retrouvé avec un œil au beurre
noir, et moi, je ne me suis plus posé de questions.
GEORGE : Certains de nos fans – deux ou trois – hurlaient : « Pete is best ! » et « Ringo, never, Pete Best
forever ! » Mais comme ce n’était qu’un petit groupe, on les a ignorés. Pourtant, au bout d’une demiheure, c’est devenu un peu lassant et j’ai engueulé le public. Quand on est sortis de la loge et qu’on est
entrés dans le tunnel noir, quelqu’un m’en a balancé une et je me suis retrouvé avec un œil au beurre noir.
Ce qu’il faut pas faire pour Ringo !
JOHN : Cynthia a grandi avec ça, avec moi.
On s’est marié juste avant qu’on enregistre le premier disque. J’ai été un peu secoué quand Cynthia me
l’a annoncé (quelle était enceinte), mais j’ai dit : « Oui, il va falloir qu’on se marie. » Je n’ai pas lutté.67
Le jour d’avant, je suis allé voir Mimi. Je lui ai dit que Cyn allait avoir un bébé et qu’on se mariait le
lendemain, est-ce qu’elle voulait venir ? Elle s’est contentée de pousser un grognement, il y avait une
perceuse qui faisait du bruit à l’extérieur du bureau de l’état civil. Je n’entendais rien de ce que le type
disait. Après, on a traversé la rue et on s’est offert un dîner avec du poulet. Ce n’était qu’une blague.
Je pensais que mon mariage m’obligerait à dire adieu au groupe. Aucun de nous n’amenait de filles à la
Cavern, parce qu’on croyait que ça nous ferait perdre des fans (ce qui s’est révélé être une blague, en fin
de compte). Mais je me sentais gêné d’aller et venir en étant marié. C’était comme se balader avec des
chaussettes dépareillées ou la braguette ouverte.65
LES PREMIERES ANNEES-38
BRIAN EPSTEIN : Je leur ai tout d’abord suggéré d’abandonner leurs vestes en cuir et, après quelques
temps, je leur ai interdit de monter sur scène en jeans. Je les ai ensuite persuadés de porter des pulls sur
scène, et enfin, malgré leurs réticences, des costumes. Je me demande s’ils n’ont pas porté leur premier
costume au cours d’une émission en direct et en public de la BBC.
PAUL : Quand on a rencontré Brian Epstein, on portait encore du cuir. Mais quand on se faisait prendre
en photo, les gens ont commencé à dire : « Le cuir, ça donne peut-être une image un peu dure. » Et les
agents étaient d’accord. Même Astrid s’est mise à nous photographier en costume, en Allemagne. D’une
manière ou d’une autre, Brian nous a convaincus de porter des costumes. Il disait avec beaucoup de bon
sens : « Si je décroche un gros contrat, on ne vous acceptera pas habillés en cuir. » Je n’ai pas trouvé que
c’était une mauvaise idée, parce que ça correspondait à ma philosophie qui était qu’on devrait tous se
ressembler. Et puis, comme on a eu des costumes en mohair, ça rappelait un peu les groupes noirs.
On a prétendu plus tard que j’avais trahi notre image « cuir » mais, pour autant que je m’en souvienne, je
n’ai eu à amener personne de force chez le tailleur. On a tous plutôt gaiement traversé l’eau pour aller à
Wirral chez Beno Dorn, un petit tailleur qui faisait des costumes en mohair. Ca a commencé à modifier
notre image et, même si on portait encore du cuir à l’occasion, pour les événements classes, on portait des
costumes. C’étaient des costumes qui convenaient bien aux cabarets. On n’avait toujours pas décroché la
timbale, et le cabaret payait bien. Ca a donc été une sortee d’adieu à l’époque Hambourg.
JOHN : Hors Liverpool, quand on descendait vers le Sud dans nos fringues en cuir, les promoteurs des
salles de danse ne nous appréciaient guère. Ils trouvaient qu’on avait l’air d’une bande de brutes. Et
Epstein a fini par nous dire : « Ecoutez, si vous portiez des costumes vous vous feriez tant d’argent en
plus.» Et tout le monde a voulu un bon costume noir et classe. On aimait le cuir et les jeans, mais on
voulait un bon costume qu’on pourrait aussi porter en dehors de la scène. « Ouais, mec, d’accord. Je vais
porter un costume – je porterais des putains de pantalons bouffants si on me payait pour ça. Je n’aime pas
le cuir à ce point ! »75
GEORGE : Je ne crois pas que John ait particulièrement apprécié de porter un costume, et moi non plus,
mais on voulait travailler plus et on a compris qu’il fallait en passer par là. Les gens étaient plus
conformistes à l’époque, tout le métier l’était.
NEIL ASPINALL : En 1962, ils étaient déjà assez connus dans le Nord-Ouest, à Liverpool et à
Manchester. Granada avait obtenu la franchise télé pour la région en 1956. Ils ont entendu parler des
Beatles et ils sont venus à la Cavern filmer le show pour l’émission Know the North, Ringo venait
d’intégrer le groupe, et ça s’entend au chahut dans le public.
GEORGE : Je me souviens des caméras de Granada TV débarquant à la Cavern ce mois d’août-là. Il
faisait très chaud, et on nous a demandé de nous habiller correctement. On avait des chemises, des
cravates et de petits pulls noirs, on avait l’air plutôt smart. Ce fut notre premier passage à la télévision.
C’était le grand moment, l’excitation du la-télé-vient-nous-filmer – et John participait comme les autres.
PAUL : En septembre, on est allé à Londres avec Ringo et on a rejoué pour EMI. Cette fois, on avait un
contrat. Ce fut notre introduction dans ce monde-là. On est arrivé par l’entrée de service et on a
commencé à installer notre matériel. On était là à dix heures, prêts à travailler à dix heures trente
pétantes, et censés avoir enregistré deux chansons à treize heures trente. On faisait ensuite une pause
d’une heure pour le déjeuner (à nos frais). On allait au pub Alma, au coin de la rue, sur l’arrière de St
John’s Wood. On était jeunes et les pubs étaient encore des endroits réservés aux adultes, alors on
allumait une sèche pour avoir l’air plus âgé et pouvoir commander une pinte de bière et un sandwich au
fromage. Inévitablement, on discutait de la séance. Et puis on retournait au studio de quatorze heures
trente à dix-sept heures trente. Ce furent les séances principales, deux séances de jour, au bout desquelles
on devait avoir mis quatre chansons en boîte.
Si une prise était particulièrement bonne, on nous demandait : « Vous aimeriez l’écouter dans la régie ? »
Et nous, on se disait : « Qui, nous ? En haut de ces marches, au paradis ? » On n’avait jamais vraiment
entendu le son que cela donnait. On s’était entendu jouer « live » dans les casques, mais sur les moniteurs,
c’était très excitant : « On dirait un disque ! Repassons-le encore et encore et encore ! » A partir de ce
jour-là, on est devenu accros à la drogue de l’enregistrement, et quand John et moi nous sommes mis à
écrire la fournée de chansons suivante, c’est avec ça présent à l’esprit : « Tu te rappelles comme c’était
excitant ? Voyons si on peut faire mieux. »
LES PREMIERES ANNEES-39
RINGO : EMI a réagi de façon positive parce qu’on avait auditionné et parce que George Martin voulait
tenter le coup. (Malgré les réactions bizarres des gens quand ils apprenaient qu’on venait du Nord.)
En septembre, quand je suis allé là-bas pour la première fois, on n’a joué que quelques morceaux pour
George Martin. On a même fait « Please Please Me ». je me souviens de ça parce que, pendant qu’on
l’enregistrait, je jouais de la grosse caisse avec des maracas dans une main et un tambourin dans l’autre.
Je pense que c’est pour ça que George Martin a pris Andy White, « le professionnel » quand, une semaine
plus tard, on est revenus enregistrer « Love Me Do ». De toute manière, le type avait déjà été engagé, à
cause de Pete Best. George Martin ne voulait plus prendre le moindre risque, et je me suis retrouvé coincé
là-dedans.
Ca m’a porté un coup terrible que George Martin ne me fasse pas confiance. Je suis arrivé prêt à me
défoncer, et j’ai entendu : « Nous avons un batteur professionnel. » Il s’est excusé à maintes reprises
depuis, ce bon vieux George, mais ça m’a anéanti – je l’ai haï, le salaud, pendant des années, et
aujourd’hui encore, je ne le lâche pas !
C’est donc Andy qui joue sur le simple « Love Me Do » - mais c’est moi qui ai joué plus tard sur la version
album. Andy ne faisait rien de si extraordinaire que je ne puisse reproduire pour l’album. Et depuis, j’ai
joué sur tout. (Bon, à part « Back In The USSR » et deux ou trois autres.)
PAUL : Horreur des horreurs ! George Martin n’aimait pas Ringo. A l’époque, Ringo n’était pas si
rigoureux, question tempo. Aujourd’hui, il l’est. Ca a toujours été sa plus grande qualité, et c’est pour ça
qu’on le voulait. Mais pour George Martin, il n’était pas aussi impeccablement précis qu’un musicien de
studio. Ringo s’est donc fait jeter de ce premier disque. George nous a fait le coup du : « Je peux vous voir
un instant, les garçons ? » - « Ouais ? » - « Hum…sans Ringo. » Il nous a dit : « Je voudrais faire venir un
autre batteur pour ce disque. »
C’était pour nous une décision difficile à accepter. On a dit : « Ringo doit être le batteur. On ne veut pas le
perdre, lui. » Mais George a arrangé le coup, et Ringo n’a pas joué sur le premier simple. Il joue
seulement du tambourin.
Je ne crois pas que Ringo ait jamais digéré ça. Il a fallu rentrer à Liverpool, et tout le monde
demandait : « Comment ça s’est passé à Londres ? » On répondait : « La face B est bonne. » Mais comme
il n’est pas dessus, Ringo n’a jamais voulu admettre qu’il aimait la face A.
PAUL : George Martin nous a expliqué que le music business était composé d’auteurs de chansons et de
groupes. Ordinairement, on se voyait proposer quelques chansons par un éditeur du genre Dick James,
qui était en cheville avec le producteur. Mais nous, on a débuté en tant que groupe possédant ses propres
chansons.
Mitch Murray écrivait des chansons. Il avait trouvé « How do you do it ? How do you do what you do to
me ? » On a écouté la demo et on a dit: « C’est un tube, George, mais on a déjà une chanson, « Love Me
Do ». » George a dit : « Je ne pense pas que la vôtre soit un aussi gros tube. » Nous : « Peut-être pas, mais
c’est la nôtre et c’est ça qu’on aime. On essaie d’être blues, on n’essaie pas d’être « la di da di da ». On est
des étudiants un peu artistes – on ne peut pas rentrer à Liverpool avec cette chanson-là, on nous rirait au
nez. Mais on peut revenir là-bas avec « Love Me Do » : les gens qui jouent dans les groupes qu’on
respecte, des gens comme les Big Three, l’aimeront. On ne veut pas que les autres groupes se foutent de
nous. » Mais George insistait, prétendant que sa chanson ferait vraiment un carton. On a donc dit : « OK,
on va l’apprendre. »
On est rentrés chez nous, on a fabriqué un arrangement acceptable et on a enregistré « How Do You Do
It ». George Martin a dit : « C’est un numéro un. » Mais nous, on a répété qu’on la détestait, alors George
l’a donnée à Gerry and the Pacemakers ; ils l’ont enregistrée en décalquant notre démo et ont obtenu leur
premier grand succès.
GEORGE MARTIN : A cette époque, il était courant de trouver des chansons pour les artistes en allant à
Tin Pan Alley (quartier des éditeurs de musique, NdT) pour écouter ce que les éditeurs avaient en
magasin. Je faisais cela régulièrement : j’ai passé beaucoup de temps à chercher des chansons, et ce que je
voulais pour les Beatles, c’était un tube. J’étais convaincu que « How Do You Do It » était un tube. Pas
une chanson génialement écrite, pas la plus merveilleuse des chansons que j’aie jamais entendues, mais je
pensais qu’elle possédait cet ingrédient essentiel pour plaire à un grand nombre de gens – et nous l’avons
enregistrée. John l’a chantée lead. Ils ne l’ont pas aimée, mais nous avions fait un bon disque et j’ai été
tout près d’en faire le premier simple du groupe.
En fin de compte nous avons pris « Love Me Do », mais nous aurions tout de même sorti « How Do You
Do It » s’ils ne m’avaient pas fait écouter une autre version de « Please Please Me ».
LES PREMIERES ANNEES-40
GEORGE : On a sorti « Love Me Do » et ça a très bien marché. C’est monté jusqu’au numéro dix-sept
dans les charts. C’était en grande partie dû aux ventes dans la région : il y avait pas mal de fans des
Beatles dans le coin parce qu’on jouait dans tout le Wirral, le Chesshire, à Manchester et à Liverpool. On
était pas mal populaire et les ventes étaient de vraies ventes.
Quand j’ai entendu pour la première fois « Love Me Do » à la radio, ça a été mon plus grand pied de tous
les temps. On savait que ça allait passer sur Radio Luxembourg vers sept heures et demie du soir. J’étais
chez moi à Speke, et on a tous écouté. C’était génial, mais après être arrivés à la dix-septième place, je ne
sais pas ce qui lui est arrivé. Elle est probablement sortie et est morte de sa belle mort, mais le résultat de
tout ça c’est que, quand on est retourné chez EMI, les gens étaient bien plus amicaux : « Oh, bonjour, les
gars. Entrez donc. »
JOHN : La meilleure, c’est que la chanson est entrée dans les charts en deux jours et que tout le monde a
pensé que c’était une combine. Comme les magasins de notre manager réclamaient des réassorts, tout le
monde dans le Sud s’est dit : « Ah, ah ! Il les achète lui-même, ou alors il trafique les classements. » Mais
ce n’était pas le cas.63
PAUL : Il était symptomatique de notre groupe qu’on ait refusé « How Do You Do It ». L’autre grande
mutinerie, un peu plus tard, ça a été quand on a dit à Brian Epstein : « On n’ira pas en Amérique avant
d’avoir un numéro un là-bas. » On a attendu, et je crois que c’est une des meilleures décisions que nous
ayons jamais prises. Tout ça à cause de Cliff Richard, qui était allé en Amérique et s’était retrouvé en
troisième position sur l’affiche de Frankie Avalon. On s’était dit : « Oh, mince, Cliff est une plus grande
vedette qu’Avalon ! Comment il a pu accepter ça ? » Et Adam Faith – toutes les stars du début, celles
qu’on admirait, avaient été horriblement mal programmées. Du coup, on a dit : « On n’ira pas tant qu’on
n’aura pas un numéro un et qu’on ne sera pas tête d’affiche. »
GEORGE : Le Ted Taylor Four avait sorti un disque intitulé « Son Of Honky Tonk ». On était dans leur
loge et on est tombé sur leur maquillage de scène, du fond de teint. On s’est dit qu’on devrait s’en mettre
un peu, parce que les lumières étaient dures et parce qu’on supposait que ça se faisait sur scène. On s’est
donc maquillé, et on ressemblait à des oranges. Sur les photos, John a même de l’ombre à paupière et de
l’eye-liner noir. Grosses bouilles orange et yeux au beurre noir.
JOHN : Brian faisait venir les stars du rock’n’roll en perte de vitesse, comme Gene Vincent et Little
Richard. Ce n’est pas une critique, mais ils venaient pour cette raison et lui nous mettait à l’affiche avec
eux, en deuxième position. On se servait d’eux pour attirer du public.
Il est difficile pour les gens d’imaginer combien on était excité tous les quatre de voir ces grands rockers
en chair et en os. On était quasiment paralysé d’adoration devant ces deux-là et, pour la petite histoire,
l’organiste de Little Richard était Billy Preston. Il avait l’air d’avoir dix ans.75
RINGO : On est allé à Hambourg en novembre et en décembre. Je ne sais pas où on logeait pendant ce
dernier séjour, c’est flou. L’endroit n’a guère d’importance, la vie était belle. Ca bougeait dans tous les
sens. J’étais déjà allé là-bas avec Rory Storm et aussi pour accompagner Tony Sheridan (j’ai joué avec lui
pendant un mois). Cette fois, j’étais de retour avec les Beatles et c’était vraiment bien. On commençait à se
sentir chez nous.
Little Richard passait au Star-Club avec Billy Preston. Billy avait seize ans, et il était fabuleux ; il l’est
encore. Six jours durant, j’ai regardé Little Richard deux fois par nuit – il était tellement incroyable. Il
frimait un peu devant nous – il voulait savoir si on était en coulisse, il avait entendu parler de nous, à ce
moment-là.
On n’avait que vingt-deux ans, on adorait encore le Preludin, on aimait bien boire et tout nous allait du
moment qu’on pouvait jouer. La seule chose que les Allemands ne toléraient pas était qu’on ne se présente
pas sur scène, mais on pouvait y monter (et on l’a fait) dans divers états d’esprit.
JOHN : On dormait deux heures et puis il fallait se lever et avaler une pilule et s’y remettre encore et
encore, parce qu’on n’avait pas même un jour de libre. La fatigue nous rendait dingues et on commençait
à se dire qu’on serait content quand tout ça serait terminé. Et puis on rentrait à Liverpool, on ne se
souvenait que du bon temps qu’on avait pris à Hambourg et on était d’accord pour y retourner. Mais
après la dernière fois, on n’a plus voulu.72 On commençait à se sentir un peu las et un peu à l’étroit. Ca
nous démangeait de nous tirer. On en avait marre de cette phase-là et on a décidé de prendre nos cliques
et nos claques dès que la suivante se présenterait.
LES PREMIERES ANNEES-41
L’épisode Hambourg était révolu et on voulait en terminer. On a détesté retourner à Hambourg, les deux
dernières fois. On avait fait le tour de la question.67 Brian nous y a renvoyés pour honorer le contrat – si
on avait eu notre mot à dire, on aurait annulé, parce qu’on estimait qu’on leur devait que dalle – on a fait
de tous ces clubs des endroits connus dans le monde entier.72
GEORGE : Au crédit des Beatles, je dirais qu’ils ont toujours honoré leurs engagements. Pendant des
années, à chaque fois qu’un de nos disques était numéro un, il nous restait toujours six mois de travail à
effectuer dans de petites salles pour 50 livres par soir alors qu’on aurait peut-être pu s’en faire 5000. Mais
on a toujours honoré ces contrats parce que nous, ou plus exactement Brian Epstein, étions des hommes
de parole. Brian refusait de dire : « On les emmerde, faisons plutôt le Palladium. »
GEORGE : Pour moi, Hambourg et les années comprises entre les séjours là-bas, celles où on s’est fait un
nom dans la région de la Mersey, ont été de grands moments. Mais c’est Hambourg qui était le plus
excitant, parce qu’il y avait des taxis Mercedes Benz et les boîtes de nuit. Il se passait des milliers de
choses. Dans mon souvenir, ça ressemble à ces films de jazz des années 50.
Avec le recul, je peux dire que Hambourg n’est pas loin d’être un des meilleurs moments de la vie des
Beatles. Il n’y avait aucun luxe, on n’avait ni salle de bains ni vêtements, on était plutôt crade, et on ne
pouvait rien s’offrir, mais d’un autre côté, on n’était pas encore célèbre et on n’avait pas à se coltiner
toute la merde qui accompagne la célébrité. On pouvait être nous-mêmes et faire tout ce qu’on voulait et
quand on le voulait, même si on ne l’a jamais fait. (John n’a jamais pissé sur des religieuses – on a pissé
depuis un balcon dans une rue déserte à quatre-heures trente du matin.) On était comme tout le monde, et
on pouvait prendre du bon temps et faire du rock.
PAUL : A Hambourg, on se disait : « Il faut qu’on économise de l’argent, au cas où tout ça s’arrêterait. »
Mais on ne l’a jamais fait. Ca me tracassait qu’on soit fauché et qu’on soit peut-être un jour obligé de se
trouver des boulots et de faire des choses qu’on n’avait pas envie de faire pour se retrouver tout aussi
fauchés.65
Hambourg est certainement un grand souvenir d’enfance. Mais je crois que le temps magnifie tout. C’était
très excitant, mais j’ai été plus heureux un peu plus tard quand nos disques ont commencé à se vendre.
JOHN : Si on parle toujours de Hambourg et de la Cavern et des salles de danse, c’est parce que c’est à
cette époque-là qu’on était vraiment chaud musicalement.72 On était des bêtes de scène, et ce qu’on
dégageait était fantastique quand on jouait du vrai rock – personne en Grande-Bretagne ne nous arrivait
à la cheville.
(Quand on est passé dans des salles) il nous a fallu ramener un heure ou deux de musique à vingt minutes
et reproduire chaque nuit les mêmes vingt minutes.70 Il fallait tout d’un coup que tout soit expédié en
vingt minutes et il fallait jouer tous les hits en faire deux shows chaque soir parce que les salles ne
contenaient que quelques milliers de gens.72
Alors, on a toujours regretté le temps des clubs. Plus tard on est devenu des artistes de studio
techniquement efficaces, ce qui est une tout autre chose. On était devenu des gens sûrs d’eux-mêmes et,
quel que soit le média auquel on était confronté, on était capable de produire quelque chose de valable.70
LES PREMIERES ANNEES-42
Love Me Do
Love, love me do,
You know I Love you.
I’ll always be true
So please love me do, who ho love me do.
Love, love me do.
You know I love you.
I’ll always be true
So please love me do, wo ho love me do.
Someone to love, somebody new.
Someone to love, someone like you.
Love, love me do,
You know I love you.
I’ll always be true
So please love me do, who ho love me do.
Love, love me do,
You know I love you.
I’ll always be true
So please love me do, who ho love me do.
Lennon/McCartney
I Saw Her Standing There
Well, she was just seventeen,
You know what I mean,
And the way she looked was way beyond compare,
So how could I dance with another,
Oh when I saw her standing there.
Well she looked at me,
And I, I could see,
That before too long I’d fall in love with her,
She wouldn’t dance with another,
Oh when I saw her dancing there.
Well my heart went zoom when I crossed that room,
And I held her hand in mine.
Oh we danced through the night,
And we held each other tight,
And before too long I fell in love with her,
Now I’ll never dance with another,
Oh when I saw her standing there.
Well my heart went zoom when I crossed that room,
And I held her hand in mine.
Oh we danced through the night,
And we held each other tight,
And before too long I fell in love with her,
Now I’ll never dance with another,
Oh since I saw her standing there.
Oh since I saw her standing there.
Lennon/McCartney
LES PREMIERES ANNEES-43

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