RISQUES DANS LE DOMAINE DE LA RÉCONCILIATION DES

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RISQUES DANS LE DOMAINE DE LA RÉCONCILIATION DES
P RATI Q U E C O M PTAB LE
C É L I N E C O U VA L
DAN I E L WI DM E R
RISQUES DANS LE DOMAINE DE LA
RÉCONCILIATION DES COMPTES BANCAIRES
Un domaine qui mérite une attention particulière
Cet article résume le fonctionnement des logiciels de réconciliation, il met en évidence les risques liés à l’utilisation de tels logiciels et propose des procédures de
contrôles et d’audit.
1. INTRODUCTION
La réconciliation des comptes bancaires est probablement le
contrôle le plus basique qui soit et aussi le plus ancien. Certains diront même qu’
«une fois qu’on est sûr que les soldes de la comptabilité correspondent
avec les soldes confirmés par les tiers ou que les différences sont
expliquées, on peut signer les états financiers les yeux fermés».
Le processus de réconciliation a longtemps été un processus
entièrement manuel, long et fastidieux. Puis des logiciels
sont venus remplacer les dizaines de personnes qui effectuaient cette tâche dans les back-offices. Aujourd’hui, nombre
d’établissements financiers utilisent des logiciels tels que
GTMatch (anciennement Stematch), Corona, etc.
Ces outils permettent de réconcilier d’une part les transactions et d’autre part les positions en fin de période. Ce thème
qui concernait quasi-exclusivement la réconciliation des
comptes bancaires pour les banques voire les brokers devient
aussi un sujet pour les assurances, qui trouvent dans ces logiciels de quoi rendre plus efficaces les réconciliations de flux
d’informations de tout genre, bien au-delà des comptes bancaires. Également les acteurs sur le forex pour qui les améliorations successives des logiciels ont permis de sécuriser et accélérer le processus de réconciliation des contrats.
Mais sait-on vraiment ce que ces logiciels font, quels sont
les risques à tout automatiser et qui doit surveiller quoi?
Est-ce seulement une affaire d’informaticiens, ou les responsables de back-office et la direction devraient-ils être impliqués dans la mise en place de cet outil?
Notre expérience montre que les risques liés à l’utilisation
d’un logiciel de réconciliation sont loin d’être si bien mesurés
par les établissements. Evidemment, la direction est souvent
impliquée dans le choix du logiciel, mais ensuite, ce sont
surtout les techniciens informatiques et les utilisateurs qui
échangent avec les prestataires. Pourtant, nous sommes d’avis
que des décisions cruciales quant au paramétrage et à l’utilisation du logiciel devraient être discutées au plus haut niveau.
2. LES RÈGLES DE RÉCONCILIATION: LE NERF
DE LA GUERRE
Les transactions sont réconciliées automatiquement lorsque
plusieurs critères sont communs entre les informations qui
proviennent de la comptabilité (chez nous – home) et les informations qui proviennent de la contrepartie tierce (corresp):
montant, devise, date valeur et référence de la transaction
sont les quatre critères cumulatifs les plus communément
utilisés. Lorsque tous ces critères correspondent, les deux
messages passent alors en statut «confirmé». Lorsqu’une
transaction home ne trouve pas une transaction identique corresp, alors cette transaction home apparaît en suspens (message orphelin) et nécessite qu’un collaborateur back-office
l’analyse. Idem pour une transaction envoyée par la contrepartie et pas enregistrée en comptabilité. La situation intermédiaire, c’est lorsque qu’un message home a un ou plusieurs
critères communs mais pas tous. Les messages sont alors en
statut «proposé» et c’est le back-office qui valide ou ne valide
pas la proposition faite par le logiciel. Si le critère qui est en
défaut est le critère «montant», alors la différence apparaîtra
dans un compte de compensation, qui est un compte qui
n’existe que dans le logiciel, pas dans la comptabilité. Ce
compte doit alors être vidé via une écriture manuelle dans la
comptabilité au compte de résultat.
CÉLINE COUVAL,
DANIEL WIDMER,
EXPERTE-COMPTABLE
EXPERT-COMPTABLE
DIPLÔMÉE,
DIPLÔMÉ,
SOUS-DIRECTRICE
RESPONSABLE DE LA
FINANCIAL SERVICES
RÉVISION INTERNE
BDO SA, SUCCURSALE DE
SUISSE ROMANDE DES
GENÈVE
BANQUES RAIFFEISEN,
LAUSANNE/VD
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R isques dans le domaine de la réconciliation des comptes bancaires
Tableau: SCHÉMA DU PROCESSUS DE LA RÉCONCILIATION AUTOMATIQUE
Système comptable des
correspondants
1. Input des données
Envoie les transactions et
les soldes
Swift, csv,
etc. …
Logiciel de
réconciliation
Système comptable de
l’établissement
Envoie les transactions et
les soldes
«Corresp»
«Home» «Chez nous»
Règles de
rapprochement
– Montant
2. Matching
– Devises
– Date valeur
– Référence
– etc. …
Chaque transaction/solde ressort dans un des 3 status suivants:
3. Output
a) Réconciliation automatique
b) Réconciliation proposée par le logiciel mais qui nécessite une validation manuelle
c) Transaction/solde non réconcilié – en suspens (par exemple: message orphelin)
Source: propre illustration
Pour éviter d’avoir un trop grand nombre de transactions
non-réconciliées automatiquement, les logiciels offrent la
possibilité d’assouplir les règles de réconciliation, en acceptant des «matching» malgré des différences de quelques
centimes, voire quelques unités selon la devise. Ainsi, 80%
des transactions sont réconciliées sans intervention humaine lorsque les règles sont adaptées intelligemment aux
activités et devises de l’établissement. À noter que les règles
sont modulables par compte. Mais ces assouplissements
peuvent concerner toute sorte de critères et à trop vouloir assouplir, l’outil peut réconcilier des transactions qui n’auraient pas dû l’être. Alors ces transactions disparaissent et l’on
croit qu’elles sont réconciliées! Bien évidemment, le risque
que l’on se retrouve face à ce genre de situation dépend largement de la personne qui est autorisée à modifier les règles de
réconciliation, et de la sempiternelle question des droits
d’accès.
De plus, la majorité de ces logiciels de réconciliation
n’obligent pas qu’une modification des règles de réconciliation soit validée par un deuxième utilisateur. Compte tenu
de la pression de plus en plus accrue sur les services de réconciliation pour réduire plus encore le nombre de suspens, il serait évidemment tentant pour un utilisateur d’assouplir à
­outrance les critères de réconciliation automatique (sans parler du risque de fraude).
3. LES SAISIES MANUELLES DANS LE SYSTÈME
DE RÉCONCILIATION
Le logiciel de réconciliation travaille généralement avec des
flux provenant, d’une part, du système comptable et, d’autre
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part, de confirmations de tiers (cf. tableau). Diverses situations peuvent justifier qu’une transaction soit saisie manuellement dans l’outil de réconciliation, en plus des flux automatiques; par exemple s’il y a eu une coupure dans le flux
d’information qui a pour conséquence qu’une donnée envoyée par la contrepartie a été perdue. Il faut donc la saisir
­manuellement directement dans le logiciel. Mais cette possibilité de saisir manuellement des opérations, voire de modifier les soldes utilisés par le logiciel pour faire les balances
carrées, crée des risques d’erreur et de fraude non-négligeables, et difficilement détectables selon les cas. Rien de
plus simple par exemple que la création d’un compte purement technique dans le logiciel de réconciliation, dans lequel l'opérateur contrebalance toutes les écritures de détournement de fond. Un autre moyen de cacher des erreurs:
désactiver le processus de balance carrée pour les comptes
concernés. Bref, il ne s’agit pas de dévoiler dans cet article
les utilisations frauduleuses, mais il est utile de savoir déjà
que tout est possible!
4. OUTSOURCING
Les établissements qui veulent limiter les risques d’erreur
de paramétrage externalisent l’administration des règles, la
gestion des droits d’accès, la création de nouveaux comptes à
réconcilier, etc. Dans le cas d’établissements disposant d’un
service IT suffisamment qualifié, les informaticiens gèrent
eux-mêmes ces aspects. Mais sait-on vraiment si ceux à qui
on a donné les droits pour créer des comptes, créer des accès
ou juste contrôler les flux ont des fonctions compatibles avec
ces droits stratégiques?
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R isques dans le domaine de la réconciliation des comptes bancaires
5. FORMAT DES DONNÉES À RÉCONCILIER
Un établissement n’a pas besoin d’utiliser la messagerie de
type swift pour pouvoir mettre en place une réconciliation
automatisée. En effet, la plupart des logiciels sont capables
de transformer des données de tableur type Excel en données
assimilables/réconciliables. C’est aussi valable dans l’autre
sens, c’est-à-dire qu’un établissement qui utilise swift mais
qui travaille avec quelques contreparties qui n’utilisent pas
de messagerie bancaire peut utiliser des fichiers envoyés par
email par ces contreparties et traiter cette information de
telle manière qu’elle alimente le logiciel de réconciliation
comme si c’était un message swift.
6. PROCÉDURES D’AUDIT
Les contrôleurs internes et les auditeurs ont pour habitude
d’analyser les transactions en suspens, notamment celles aux
montants les plus grands et les plus anciennes. Ils vérifient
également que tous les comptes bancaires au bilan font bien
l’objet d’une réconciliation, soit via un logiciel de réconciliation, soit «en manuel».
Concernant les comptes réconciliés via un logiciel de réconciliation, il serait sans doute utile de compléter avec
d’autres contrôles, tels que:
 analyser toutes les transactions manuelles dans le logiciel:
elles devraient être rares;
 vérifier que les balances carrées sont faites sur tous les
comptes (car la plupart des logiciels permettent de suspendre
le contrôle des soldes home, ou de corriger le solde manuellement)/vérifier qu’aucun élément «solde» n’est désactivé;
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 contrôler les écritures de compensation dans le logiciel de
réconciliation (compte technique) et analyser par quel compte
en comptabilité il a été vidé, et par qui. Il peut y avoir des
écritures de compensation séparées (pour couvrir opération
par opération) ou groupées;
 analyser les «messages sortants», qui doivent rester rares.
En effet, le logiciel de réconciliation ne fait normalement
que recevoir des messages pour les réconcilier (messages en
provenance de la comptabilité d’une part, messages en provenance des contreparties d’autre part). Tout message sortant est un message manuel qui mérite d’être justifié (message de réclamation vers la contrepartie; très peu de raisons
d’avoir des messages sortants vers la comptabilité);
 comprendre quelles sont les tâches de paramétrages et de
surveillance qui sont «inhouse» et celles qui sont déléguées.
S’il s’agit d’un audit du processus de réconciliation dans son
ensemble, d’autres vérifications pourraient venir en sus:
 vérifier que les différents droits octroyés aux collaborateurs
ne créent pas des risques de potentiels abus;
 analyser pour les situations où le principe des 4 yeux a été
levé que des contrôles compensatoires de deuxième niveau
ont été mis en place;
 analyser les règles de réconciliation et la pertinence des assouplissements de règles (assouplissements généraux et individuels aux comptes) et qui a validé ces assouplissements.
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