la princesse de glace - e

JUDEDEVERAUX
LAPRINCESSEDE
GLACE
FRANCELOISIRS123,BoulevarddeGrenelle,ParisTitreoriginal:TWINOFICEPubliépar
PocketBooks,IncNewYork
TraductionfrançaisedeFrançoisCharlonnaiEditionduClubFranceLoisirs,Parisavecl'autorisation
desPressesdelaCitéLaloidu11mars1957n'autorisant,auxtermesdesalinéas2et3del'Article41.
d'unepart,queles•copiesoureproductionsstrictementréservéesàl'usageprivéducopisteetnon
destinéeskuneutilisationcollective»et,d'autrepart,quelesanalysesetlescourtescitationsdansun
butd'exempleetd'illustration,«toutereprésentationoureproductionintégrale,oupartielle,faitesans
leconsentementdel'auteuroudesesayantsdroitouayantscause,estillicite»(alinéa1"del'article
40).
Cettereprésentationoureproduction,parquelqueprocédéquecesoit,constitueraitdoncune
contrefaçonsanctionnéeparlesArticles425etsuivantsduCodePénal.
©1985byDeverauxInc.
©PressesdelaCité1986pourlatraductionfrançaise.
ISBN2-7242-3506-1
PROLOGUE
Lagrossefemmeâgée,auxdentsnoirciesetauxcheveuxgris,sehissasurlesiègedesonchariot
avecuneremarquableagilité.Derrièreelles'entassaittoutunstockdelégumesrecouvertd'unetoile
humide.
—Sadie...
LavieillefemmeregardaleRévérendThomas,dontlefrontsebarraitd'unplisoucieux.
—Vousserezprudente,n'est-cepas?N'allezpascommettreunefolieetattirerl'attentionsurvous.
—C'estpromis,répondit-elled'unevoixjeuneetdouce.
Jeseraitrèsvitederetour.
Surcesmots,Sadiefitclaquersonfouetetlelourdchariots'ébranlaencahotant.
LaroutequireliaitlavilledeChandlerauxminesdecharbonétaitlongueetmalcarrossée.Sadiedut
bientôts'arrêterpourlaisserpasseruntrain.Chacundesdix-septcampsdemineursavaitunevoie
ferréequipermettaitdetransporterlecharbonjusqu'àlagaredetriage.
Unefoisengagéedansl'embranchementquiconduisaitauxminesFenton,Sadiecroisaunattelage
semblableausien,conduitégalementparunevieillefemme.Lesdeuxvéhiculess'arrêtèrent.
—Aucunproblème?demandaSadie.
—Aucun,maislessyndicatsfontdeplusenplusparlerd'eux.Ettoi,desnouvelles?
—Ilyaeuunéboulementdanslepuitsnuméro6lasemainedernièreetleshommessontplus
occupésàdéblayerqu'àdiscuter.
—Soisprudente,Sadie.LecampdeLittlePamelaestundesplusdangereuxetRafeTaggertmefait
peur.
—Ilfaitpeuràbeaucoupdegens,réponditSadie.Maisvoiciunautrechariot,nousferionsbiende
libérerlepassage.Alasemaineprochaine,Addie!
Sadiefitclaquersonfouetetrepritsaroute.Ellefinitpararriverdevantlesgrillesquifermaientle
campdeLittlePamelaet,malgréelle,sagorgesenouatandisqu'elleseretrouvaitfaceauxgardes
armés.
—Bonjour,Sadie.Vousavezdesnavets?
—Desnavetssuperbes,rétorqua-t-elle,sonsourirerévélantsesdentscariées.
—Mettez-m'enunsacdecôté,enchaînalegarde,toutenouvrantleslourdesgrillesdefer.
Iln'étaitpasquestionqu'illadédommage:laisserpénétreruneétrangèredansl'enceinteducamp
méritaittouslespaiementsdumonde.
Lesgardesétaientpostéslàpours'assurerqu'aucunsyndicalistenerentreraitdanslamineetne
tenteraitdesouleverlesmineurs.Aumoindresoupçon,ceshommesarmésavaientlaréputationde
tirerd'abordetdeposerdesquestionsensuite...Encasdebavure,ilsuffisaitauxmiliciensde
prétendrequ'ilsavaientabattuunsyndicalistepourqu'aussitôtlesjugess'empressentd'étouffer
l'affaire.
Sadiedutfairebienattentionpourpénétreravecsonpesantchariottiréparquatrechevauxdansles
ruellesétroitessouilléesdesuienoirâtre.Lesmaisonsdesmineursn'étaientautresquedescabanesde
boisoùilss'entassaientavecleursnombreusesfamilles.Unlopindeterreàl'arrièreabritaitles
commoditéslesplusrudimentairesetunepetiteréservedecharbonpourqu'ilspuissentsechauffer.
Aucunedeceshabitationsn'avaitl'eaucourante;chacunvenaitpuiseraupuitscommun,polluépar
lespoussièresdecharbon.
Sadiepassadevantlemagasingénéraletsaluafroidementsonpropriétaire:ilsétaientdesennemis
quasihéréditaires.
Lesmineurstouchaientdesbonsd'alimentationuniquementcompensablesaumagasindelamineet
d'aucunsallaientjusqu'àprétendrequelespropriétairesdesgisementstiraientplusdeprofitdece
commercequedel'exploitationdelamineelle-même.
Sadieviraàdroitedansl'AlléeduSoleil,nomd'uneironieférocepourdésignercetterangéede
masurespeintesenjaune,coincéesentreleflancdelamontagneetlesrailsdechemindefer.
Enfin,ellearrêtasonchariot.
—Sadie!s'exclamaunejoliejeunefemme,enessuyantsesmainshumidesàsonampletablierbleu.
Jecroyaisquetuneviendraispas!
—Tusaiscommentjesuis,rétorqualaconductricesuruntonbourru,descendantpéniblementdeson
siège.J'aimebienfairelagrassematinée.Commentvas-tu,Jane?
JaneTaggertdécochaàSadieunsourirecomplice,soulagéedevoirquelesgardesencoreunefois
n'avaientpasfouillésonchariotàl'entrée.
—Qu'as-tuapporté?souffla-t-elle.
—Dusiroppourlatoux,duliniment,unpeudemorphinepourMmeCarsonetunedouzainede
pairesdechaussures.Tusais,onnepeutpasdissimulertoutcequ'onveutàl'intérieurd'unchou.J'ai
aussidesrideauxdedentellepourlajeuneépoused'Ezra.
—Desrideauxdedentelle!s'écriaJane.Aprèstout,tuassansdouteraison.C'estcequiluiferale
plusplaisir.Bon,autravail.
JaneetSadienemirentpasloindetroisheuresàdistribuerlesmarchandises.Lesménagèrespayaient
Sadieavecdesreconnaissancesdedettequelavieillefemmedétruiraitsitôtsortieducamp.
Quandlechariotfutvide,SadieraccompagnaJanechezelle.
—CommentvaRafe?demandalavieillefemme.
—Iltravailletrop,toutcommesonpère,d'ailleurs.Maisilfautquetut'enailles,maintenant.Jene
voudraispasquetuaiesdesennuis.
—Net'enfaispaspourmoi,souritSadieenluiserrantlamain.Depuisletemps,j'ail'habitude.
Sadieremontasursonchariot,donnauncoupdefouetets'enretournaverslesgrilles.Uneheureplus
tard,elles'arrêtaitderrièrelepresbytèredeChandler.Laportearrièren'étaitpasferméeetelle
pénétrasansdifficultédanslebâtiment.Elletraversaunlongcouloiretseprécipitadanslasallede
bainsoùdesvêtementspropresl'attendaient.
D'ungeste,elleôtasaperruquegrisonnante,lavaàgrandeeausonvisagepourledébarrasserdetout
maquillageetsebrossalonguementlesdents.
Lesvêtementsgrossiers,savammentrembourréspourlagrossir,netardèrentpasàtombersurlesol,
pourêtreremplacéspardesdessousdefinedentelleetunejolierobedeveloursvertmousse.
Commeelleachevaitd'ennouerlaceinture,onfrappaàlaporte.
—Entrez!
LeRévérendThomasparutets'immobilisauninstantsurleseuilpouradmirerlajeunefemme.
Avecsescheveuxsombresauxrefletscuivrés,sesgrandsyeuxturquoisepailletésd'or,sonnezfinet
aristocratiqueetsabouchefinementourlée,AryaneChandlerétaitunejeunefilleravissante.
—Sijecomprendsbien,fitlepasteur,Sadieestmorteetneressusciteraquelasemaineprochaine?
Bien,Aryane,ilfautquetut'enaillesmaintenant,tonpèreva...
—Monbeau-père,corigea-t-elle.
—Pèreoubeau-père,sacolèreseralamême...
—AnneetTiasont-ellesbienrentrées?coupaAryane.
—Depuislongtemps.Allez,va-t'en.
—D'accord.Amercrediprochain.
Aryanesortitdupresbytèreparlaporteprincipaleetrentrachezelleàgrandspas.
CHAPITREPREMIER
Mai1892
Aryaneparcourutquelquescentainesdemètresets'arrêtadevantuneimposantedemeuredebrique
rougequetoutlemondeenvilleappelaitlemanoirChandler.Ellegrimpavivementlesdegrésdu
perronetpénétradanslevestibule.
Commeelledéposaitsonombrelledansleporte-para-pluiesdeporcelaine,lavoixdesonbeau-père
luiparvintdusalon.Unefoisdeplus,ilsermonnaitlasœurdelajeunefille.
—Jenetoléreraipasuntellangagesousmontoit!criaitDuncanGates.Lefaitquevousprétendiez
êtredocteurnevousautoriseaucunementàconfondremamaisonavecunesalledegarde!
DorianeChandler,lasœurjumelled'Aryane,lançaunregardmeurtrieràsonbeau-père.
—Depuisquandêtes-vousicichezvous?lança-t-elle.Monpère...
L'arrivéed'Aryanel'interrompit.
—N'est-cepasl'heuredudîner?dit-elle,s'interposantentreDorianeetDuncanGates.Sinous
passionsàtable?
Aryanejetaunregardsuppliantàsasœurmaiscettedernièretournaledos,sansdissimulersacolère.
—Aumoins,j'aiunefillebienélevée,ditDuncan,glissantsonbrassousceluid'Aryaneetl'entraînant
verslasalleàmanger.
Aryanesecrispaenentendantcequiétaitdevenuaufildesannéesunvéritableleitmotiv.Elledétestait
êtrecomparéeàDoriane,etpar-dessustoutêtrelevainqueurdelacompétition.
Apeineavaient-ilsprisplaceàlagrandetabled'acajou,Duncanàunbout,faisantfaceàOpalGates,
etlesdeuxsœursdechaquecôté,queDuncanGatesrevintàlacharge:
—Aumoinsvouspourriezfaireuneffortpourfaireplaisiràvotremère,Doriane.Compte-t-ellesi
peuàvosyeux?
Lamâchoirecrispée,Dorianefixasamère,quin'étaitplusquelapâlecopiedesesdeuxravissantes
filles.
—Maman,fit-elle,souhaites-tuvraimentmevoirabandonnermesétudesdemédecineetrevenir
m'installericipourépouserunbanquierimbécilequimeferaunedouzainedegaminsbraillards?
OpalGatespritunpeudurôtiqueluiprésentaitladomestiqueetsouritàsafille.
—Jeveuxavanttoutquetusoisheureuse,Doriane,répondit-elle.Etjetrouveaussitrèsnobledeta
partdevouloirvenirenaideàceuxquisouffrent.
Dorianetournaverssonbeau-pèreunvisagetriomphant.
—Aryaneadéjàrenoncéàsaviepourvoussatisfaire,dit-elle.Celanevoussuffit-ilpas?Voulezvouségalementbriserlamienne?
—Aryane!explosaDuncan,lesdoigtscrispéssurlecouteaudeservice.Allez-vouslaisservotre
sœurdistillerdetellesinsanités?
Aryaneregardatouràtourlesdeuxduellistes.Ellen'avaitaucuneintentiondeprendreparti,d'autant
qu'aprèslemariageDorianeretourneraittranquillementenPennsylvaniealorsqu'elle,Aryane,
continueraitàvivredanslamêmevillequesonbeau-père.
Aryaneentenditavecsoulagementlaportes'ouvriretundomestiqueannoncerleDrLeander
Westfield.
—Susan,ditAryaneàlaservante,vousrajouterezuncouvert.
Ungrandjeunehommebrun,extrêmementséduisant,parut.IlsaluaM.etMmeGates,puisfitletour
delatablepourvenirdéposerunbaisersurlajoued'Aryane.
—Veux-tudîneravecnous,Leander?proposalajeunefille,désignantd'ungestel'assiettequel'on
venaitd'installeràcôtédelasienne.
—Nonmerci,c'estdéjàfait,réponditLeanderens'installantquandmême.Jeprendraiseulementle
café.
Bonjour,Doriane.
Dorianesecontentadeluilancerunregardpeuamène.
—Vouspourriezavoirlapolitessederépondrequandonvousadresselaparole,Doriane,jeta
DuncanGates.
—Cen'estrien,monsieurGates,ditLeander,souriant.Tuesravissante,cesoir,Doriane.Aussi
fraîcheetrosequ'unejeunemariée!
Commesasœurmenaçaitdes'étrangler,Aryanes'empressadefairediversion:
—Leander,nedevions-nouspasdiscuterdumariage?Sinousnousretirions?
—Excellenteidée.Allons-ymaintenant,situasfini.
LeanderescortaAryanejusqu'àlarueetlafitmonterdanssacalèche.Ilsnetardèrentpasàs'arrêter
dansunepetiteruequelanuittombanterendaitsombre.
—Maintenant,fit-il,dis-moicequisepasse.Tum'asl'airpresqueaussicontrariéequeDoriane.
Aryaneluttacontreseslarmes.Commec'étaitbondesetrouverenfinseuleavecLeander!Sa
présenceétaitsirassurante,sifamilière...Illuisemblaitsonseulsecoursencebasmonde.
—C'estàcausedeM.Gates,expliquaAryane.Ilpassesontempsàlaréprimander,luirépétantque
déjàtoutepetiteellenefaisaitriendebon.Ilvoudraitqu'elleabandonnelamédecineetresteà
Chandler.Etlepiredetout,c'estqu'illuiditsanscessequejesuismieuxqu'elle.
—Mais,monamour,c'estvraiquetuesparfaite,souritLeanderenlaprenantdanssesbras.Tues
douceetbonne,etsiconciliante...
—Conciliante!s'écria-t-elleensedégageant.Tuveuxdirequejen'aiaucunepersonnalité!
—Maisnon,tuesformidableetjet'admiredet'inquiéterpourtasœur.MaisDorianeauraitbiendûse
douterqu'enétudiantlamédecineelles'attireraitdesreproches.
—Tun'estimestoutdemêmepastoiaussiqu'elledevraitrenonceràsesétudes?
—Jen'aiaucuneopinionsurlesujet.Dorianen'estenriensousmaresponsabilité.Maisàquoibon
parlerd'elle?
reprit-ilenl'enlaçantànouveau.N'avons-nouspaslaviedevantnous,Aryane?
Leanders'étaitencorerapprochéetavaitenfouisonvisagedanslecoudelajeunefille.Aryane
détestaitcesmoments.
AutantelleappréciaitlacompagniedeLeander,autantelleavaitenviedelerepousserlorsqu'ilse
faisaitentreprenant.
Ilsseconnaissaientdepuisl'enfance.Elleavaitalorssixans,Leanderdouze,etdéjàchacunpensait
qu'ilssemarieraientunjour.Toutesavie,Aryaneavaitgrandidanscetteidéeettoutesonéducation
avaitétéconçuedanscetteoptique.
Maisquelquesmoisplustôt,alorsqu'ilrevenaitd'Europeoùilavaitachevésesétudesdemédecine,
Leanderavaitcommencéàembrasserlajeunefille,àl'entraînerdanssacalèchepourmieuxla
caresser,etelledétestaitcela.
Invariablement,lejeunehommefinissaitparsemettreencolère,luireprochaitderesterdeglaceetla
ramenaitsansunmotchezelle.
Aryaneseculpabilisaiténormément.Ellen'étaitpasuneoieblancheetsavaitcommentunejeunefille
auraitdûréagir.
Maisellen'ypouvaitrien:lesbaisers,lescaressesdeLeanderlalaissaientindifférente.
Encoreunefois,Leanderreculaetposasurlajeunefilleunregardpleindereproches.
—C'estdansmoinsdetroissemaines,dit-elle.Nousseronsmariésetalors...
—Alorsquoi?Laprincessedeglacesemettrasoudainàfondre?
—Jelesouhaite.Nulnelesouhaiteautantquemoi.
—Es-tuprêtepouralleràlaréceptiondedemainsoirchezlegouverneur?demandaLeanderaprès
unsilence.
Ilsortitunmincecigaredesapocheetl'alluma.
—Finprête.Maplusbelleroben'attendplusquemoi.
—Legouverneurvaêtrevertdejalousie,souritLeander.
Direquebientôtj'auraipourfemmelaplusjoliefilledel'Etat
!...Jevaisenville,demain,veux-tuveniravecmoi?
—Avecplaisir.Tiens,çamefaitpenserqueDorianeveutpasseràlaposte.Elleattendsansdouteune
decesrevuesmédicalesqu'ellecommanderégulièrement.
Commelacalècherepartait,Aryanesecalasurlabanquette,sedemandantcommentLeander
réagiraits'ilapprenaitque,chaquesemaine,laparfaiteprincessedeglacesecommettaitdanslapire
illégalité!
—JenevoisvraimentpaspourquoiLeanderdoitnousaccompagner,ditDoriane,achevantdese
préparer.Noussommesassezgrandespoursortirenvilletoutesseules.Etpuis,ilyasilongtemps
quenousn'avonspasétéseulesquelaprésenced'unetiercepersonnemesemblevraimentsuperflue.
Aryanesouritdufonddesonfauteuil.
—Leanders'estgentimentoffertdevenir,c'esttout.Parmoments,j'airéellementl'impressionquetu
ledétestes.Jenevoispaspourquoi.Ilestgentil,bienélevé,etilaunehonorablepositionsocialedans
notreville.
—Etilesttonseigneuretmaître!explosaDoriane.Nevois-tupasquetucoursàlacatastrophe?Tu
nepeuxsavoircombienj'aivudefemmesfinirparsesuicidertellementellesétouffaientauprèsde
mariscommeLeander.Onmeurtdesoumission,Aryane,crois-moi,c'estlavérité.
—Maispourquoiirais-jemesuicider?Jenecomprendspasuntraîtremotàcequeturacontes.Je
suistrèsheureusecommejesuis,Doriane.
—Faux!
—Vrai.
—Maisregarde-toi!Tuaschangédutoutautout.Ontediraitéteinte.Dansletemps,turiais,tu
aimaist'amuser.
Aujourd'huitunesongesplusqu'àfairecequisefait,àêtrelaparfaitelady.Maisoùesttaviedans
toutça?JemerendsbiencomptequetuasdûfairedeseffortsdanscesenspourqueM.
Gatestelaissetranquille,maisquandmême!Tuterendscomptequetuvasbientôtépouserun
hommequiluiressemble?
—Leandern'estpascommeM.Gates,rétorquacalmementAryane.Ilestmêmetrèsdifférentet...je
l'aime,Doriane.Jel'aimedepuisdesannéesetj'aitoujoursrêvédememarieretd'avoirdesenfants.
Jenesuispascommetoi.Nepeux-tul'admettre?
—J'aimeraistecroiremaisjen'yarrivepas.Etpuis,jen'aimepaslafaçondontLeandertetraite.On
diraitquetuluiappartiens;quetuessachose.Quandonvousvoitensemble,onal'impressionque
vousêtesmariésdepuisdéjàaumoinsvingtans.
—C'estparcequ'onseconnaîtdepuistoujours!Quepuis-jerêverdemieuxqu'unmariaveclequelje
m'entendsbien?
—Jenesaispas.Pourmoi,unboncouple,cesontdeuxpersonnesquis'étonnentmutuellement.
Leanderettoi,vousvousressembleztrop.S'ilétaitfemme,ilseraitcommetoiunelady
irréprochable.
—Jenesuispasaussiirréprochablequeça.Jefaisparfoisdeschosesqui...
—CommeSadie?
—Commentsais-tu?
—C'estMeredithquimel'adit.Maintenant,quecrois-tuquetoncherLeanderdiraquandil
apprendraqueturisquestavietouslesmercredis?Etcommentunrespectablemédecintelquelui
s'accommodera-t-ild'uneépousequienfreintleslois
?
—At'entendre,jesuisunecriminelle,protestaAryane.Aucontraire,jedéfendsunecausejuste.Pour
cequiestdeLeander,jenesaispascommentilréagira.Lemieuxseraitqu'ilnelesachejamais.
—Illesaura.Ettelquejeleconnais,cepetit-bourgeoisbornéetbourrédeprincipest'interdirade
continuer.
Evidemment,enbonneépousesoumise,tuobéiras.
—Peut-êtrevaudrait-ilmieuxqueSadiedisparaisseavecmonmariage,soupiraAryane.
Dorianes'agenouillaalorsdevantsasœuretluipritlesmains.
—Jem'inquiètevraimentpourtoi,Aryane.Tun'espluslasœurquej'aiconnue.GatesetWestfield
sontentraindetedétruire.Oùestpasséelapetitefillequijetaitdesboulesdeneige,quiriait,courait,
grimpaitauxarbres?Aujourd'hui,ondiraitquelemondetefaitpeur.Mêmequandtutemontres
audacieuseetquetudeviensSadie,tudoislefaireencachette.
Aryane,je...
Descoupsfrappésàlaportel'interrompirent.
—MademoiselleAryane,leDrLeanderestlà.
—Trèsbien,Susan,dites-luiquejedescendstoutdesuite.Désoléedetedéplaire,Doriane,
poursuivit-elled'untonfroid.Maisjesaiscequejeveuxetcequimeconvient.Jetiensàépouser
Leander,parcequejel'aime.
Surcesmots,lajeunefilletournalestalonsetquittalapièce.
Malgrétoussesefforts,AryaneavaitdumalàoublierlesparolesdeDoriane.Entantquejumelles,
ellesétaientencoreplusprochesquenelesonthabituellementdeuxsœursetAryanenedoutaitpasde
lasincéritédeDoriane.
MaiscommentimaginerdenepasépouserLeander?
Leursviesavaienttoujourssuividescoursparallèleset,tandisqueLeanderétudiaitlamédecine,la
jeunefilles'étaitsoigneusementpréparéeàêtrefemmededocteur.
TandisqueDorianeentraitàl'Universitépourétudierlamédecine,Aryanes'enfermaitdansuninstitut
dejeunesfilles,augrandscandaledesasœur.
—Commentpeux-turenonceràfairedesétudes,s'était-elleindignée,pourapprendreàmettrela
tableetmarcheravecunetraînededixmètresdelongsansteretrouverlesquatrefersenl'air?
Leanderlaprenantparlecoudepourl'aideràmonterencalèchelatiradesespensées.Déjà,Doriane
étaitinstalléesurlabanquetteaprèsavoirrefusélesservicesdubeaumédecin.
—Leander,soufflaAryane,metrouves-tuintéressante?
—Aryane,répondit-ilenposantsurelleunregardinsistant,jetetrouvefascinante.
—Cen'estpascequejevoulaisdire.Crois-tuquenousayonsassezdechosesànousdire?
—Jem'étonneparfoisd'arriverencoreàparlerlorsquetuesprèsdemoi-Surcesmotsquise
voulaientgalants,Leanderpritlesrênesetlacalèches'élança.
CHAPITREII
Chandler,dansleColorado,necomptaitquehuitmillehabitants,maislecharbon,lesélevagesde
bovinsetdemoutonsainsiquelesbrasseriesquiappartenaientàM.Gatesenfaisaientunepetiteville
fortprospère.Déjàilyavaitl'électricitéetletéléphone;quantauxtroislignesdechemindeferqui
s'ycroisaient,ellespermettaientderejoindrefacilementdescitésplusimportantes,tellesque
ColoradoSpringsouDenver.
Grâceauxcarrièreslocales,lesmaisonsétaientconstruitesenunepierredetailled'ungrisclair
légèrementbleutéquicontrastaitagréablementaveclerosesafranédestuiles.
Disséminéessurleshauteursalentour,desdemeuresrésidentiellesfaisaientl'orgueildeleurs
propriétaires.Parmicelles-ci,ungrandmanoirdebriquerougeappartenantàlafamilleFentonavait
étélongtempslaplussomptueuse.
Maisàl'ouest,toujourssurunehauteur,KaneTaggertavaitfaitérigerunemaisonsigrandequele
manoirdesFentonauraitpratiquementputenirdansunedesescaves.
—Est-cequetoutlemonderêvetoujoursdepénétreràl'intérieur?demandaDorianecommeau
détourdelarue,ilspouvaientapercevoirlafameusebâtisseàtraverssonrideaud'arbres.
—Toutlemonde,confirmaAryane.MaisM.Taggertarefusétouteslesinvitationsqu'onapului
faireetpoursapartn'aconviépersonneàvenirchezlui.Ducoup,lesplusterriblesrumeurscourent
surlui.
—Jenesuispascertainquecenesoientquedesrumeurs,intervintLeander.JacobFentonditque...
—Fenton!coupaDoriane.Cetescroc!Desgenscommeluidevraient...
Aryanen'écoutapaslasuite,préférants'absorberdanssespenséestandisqueDorianeetLeander
discutaientâprement.
Aryaneignoraitsicequ'ondisaitsurKaneTaggertétaitvraiounon.Unechoseétaitsûre:sa
demeureétaitbienlaplusbellequ'elleeûtjamaisvue.
OnignoraitaussiquiétaitexactementKaneTaggert.Cinqansplustôt,unecentained'ouvriersavaient
débarquéàChandler.Untraindemarchandisessurchargédematériauxdeconstructionavaitsuiviet,
trèsvite,l'immensedemeureétaitsortiedeterre.
Lespotinsavaientcommencéàallerbontrain;onracontaitquepasunseuldesouvriersn'avait
jamaispayélemoindrerepas,tantlesfemmesdeChandlerétaientprêtesàlesnourrirgratuitement,
dansl'espoirdeleursoutirerquelqueinformation.Chacunmouraitd'enviedeconnaîtrel'identitéde
cetoriginalquiavaitdécidédesefaireconstruireunvéritablepalaisaufinfondduColorado...
Lestravauxdurèrentdeuxansmaislerésultatavaitdequoicouperlesouffle.Lecorpsdebâtiment
principal,hautdedeuxétages,étaitflanquédedeuxaileslatérales,formantunecourd'honneurd'où
montaitunescalierdemarbreàdoublevolée.L'architecteavaitsudonneràl'ensembleune
impressiondelégèretémalgrélecaractèreimposantdelaconstruction.
Unanavaitencorepassé,puisuntrainentieravaitdébarquéunnombreincalculabledecaissesen
provenancedesquatrecoinsd'Europe:France,Angleterre,Espagne,Portugal,Autriche.Toutesces
caisses,contenantsansdoutelemobilier,avaientétésoigneusementtransportéesdanslamaison.On
ignoraittoujoursquiétaitlepropriétaire.
Puis,unjour,deuxhommesétaientdescendusdutrain.
Tousdeuxgrandsetlargesd'épaules.L'unblondetsympathique,l'autrebrun,barbu,hirsute,le
regardfarouche.
Tousdeuxvêtusdegrossierspantalonsretenuspard'épaissesbretelles,dechemisesdeflanelleà
carreauxetdelourdsgodillots.
Quandilsavaientremontéàpiedlarueprincipale,lesfemmess'étaientécartéessurleurpassage.
Lebruns'étaitrenduchezJacobFenton.Chacunpensaqu'ilallaitluidemanderdetravaillerdansl'une
desesmines.
Mais,aulieudecela,ilavaitditcalmement:
—Alors,Fenton,tuvois,jesuisderetour.Quepenses-tudemamaison?
Cenefutquelorsquel'inconnueutgravilacolline,montélesdegrésdemarbreetsortiuneclefdesa
pochequel'oncompritdequellemaisonilavaitvouluparler!
Lesmoisquisuivirent,audiredeDuncanGates,virentselivrerunevéritablebataille.Toutesles
femmesquis'étaientàl'originedétournéesdugéantbarbun'eurentdecessedeluijeterleursfillesà
marierdanslesbras.
LescouturiersdeDenver,appelésenhâtepourréaliserlestoiletteslesplusbelles,firentdesaffaires
d'or.Onnecomptaitpluslesjouvencellesquis'évanouissaientfortopportunémentsurlepassagede
KaneTaggert—onconnaissaitdésormaissonnom—etilyeutmêmeunefemmepouraller
accoucherdevantchezluidansl'espoirdelevoirluivenirenaide.Sonenfantnedutlaviequ'àune
lavandièrequipassaitparlà.Lemaîtredemaison,lui,étaitalorsabsentpourquelquesjours...
Auboutdecessixmoisdevainsefforts,lacuriositécédalaplaceàl'amertumedanslescœurs
fémininsdelatranquillepetitebourgadedeChandler.Qui,aufond,auraitvoulud'unhommequine
savaitpass'habillercorrectementets'exprimaitcommeuncharretier?D'abord,quiétait-il?
Qu'avait-ilvouludireendéclarantàJacobFenton:«Jesuisderetour»?
UneenquêteminutieusefutmenéeetondécouvritunvieuxserviteurdesFentonquisesouvenait
qu'uncertainKaneTaggertavaitétédansletempsgarçond'écuriechezsesmaîtres.Lejeunehomme
s'étaitmisàcourtiserPamelaFenton,lafilledeJacob,etlepèreoutragés'étaitempressédejeter
l'impertinentàlaportecommeunmalotruqu'ilétait.
Cettehistoirefitlesdélicesdelaville.Pourquidoncseprenaitcevulgairepalefrenier,suborneurde
surcroît?Dequeldroitvenait-iltroublerlecalmedelapetitecommunautéensefaisantbâtircette
pâtisserievraimentdignedudernierdesparvenus?Cherchait-ilàsevengerdecebonetgénéreux—
etôcombienrespectable—JacobFenton?
Denouveau,cesdamessedétournèrentsursonpassage.
Taggertparuttoujoursindifférentàtoutesceshistoires.Laplupartdutemps,ilrestaitchezluietne
paraissaitenvillequ'unefoisparsemainepourremplirsonvieuxchariotdeprovisions.Parfois,des
inconnusdébarquaientd'untrainetdemandaientàunpassantlechemindesamaison.Ilsrepartaient
souventlejourmêmeparlederniertrain.
Hormiscesvisiteursoccasionnels,seulsTaggertlui-mêmeetEdan,l'hommeblondvenuavecluile
premierjour,entraientdanslavastedemeure.
—CettemaisonfaitrêverAryane,ditLeander,sonaltercationavecDorianeenfinachevée.Jecrois
quesiellenem'avaitpaseu,elleauraitrejointlafiledetoutescesfemmesquionttentédesependre
auxbasquesdecerustre.
—C'estvraiquej'aimeraisenconnaîtrel'intérieur,avouaAryane.Tupeuxmelaisserdevantchez
Wilson,Leander?JeteretrouveraidansuneheurechezFarrell.
Aryanefutcontentedeseretrouverseule.LesperpétuellesdisputesdeDorianeetdeLeanderla
fatiguaient.
LebazardeM.Wilsonn'étaitplusdepuislongtempslemagasinleplusmodernedeChandler,mais
Aryanelepréféraitauxautres.Peut-êtreparcequ'ellesesouvenaityêtrevenueenfantavecsonpère,
quiétaitunamidelonguedatedupatron.
Ellepoussalaportedesamaingantéeetlecarillontintinnabulagaiement,samusiqueéveillantde
vieuxsouvenirs.
Lajeunefillefuttoutdesuitesurprisedevantlesilencequirégnaitdanslaboutiqueauxrayonnages
d'acajouetauxcomptoirsrecouvertsdemarbregrisveinédebrun.
Derrièrel'und'euxsetenaitDavey,lefilsdeM.Wilson.Lestylographequ'ilserraitentresesdoigts
neluiservaitnullementàécriredansl'épaisregistreouvertdevantlui.
Immobile,silencieux,ilparaissaitattendrequelqueévénementdéroutant.Demême,lesquelques
clientssemblaientfigés.
Aryanenetardapasàcomprendrecequisepassait:KaneTaggertétaitlà,ledostournéauxautres.
Aryanegagnaunprésentoiretseplongeadanslacontemplationdeparfumsbonmarchéqu'elle
n'avaitaucuneintentiond'acquérir.
—Maman,tun'ypensespas!fitsoudainlavoixhautperchéed'AlicePendergast.Pourrienau
monde,jeneporteraisunetellerobe.J'auraisl'airdecesfillesdecuisinequisortentavecdes
mineursaucourougeetauxonglescrasseux.
Pire,aveccespalefreniersmalodorants!
Aryaneserralespoingssansmêmes'enrendrecompte.
NuldoutequecesdeuxpimbêchescherchaientàprovoquerTaggert.Depuisquecedernieravait
déclinélesavancesdetoutescesfemmesavidesd'argent,ellesnedécoléraientplus.
Lajeunefillecoulaunregarddansladirectiondel'hommeetaperçutsonvisagedanslerefletd'un
miroirmural.Sescheveuxhirsutesetsabarbeenbroussailledissimulaientsestraitsmaiselleput
voirsesyeux.Detouteévidence,ilavaitentenduet,àenjugerparlepliquimarquaitsessourcils,il
n'appréciaitpas.
—Alice,intervintAryane,commentvas-tu?Jetetrouveunpeupâleaujourd'hui.
—Tiens,bonjour,Daryane,répliquaAlice,utilisantlevocableadoptédepuistoujoursparles
habitantsdeChandlerpours'adresserauxjumellesqu'ilsneparvenaientjamaisàdistinguer.Non,je
vaistrèsbien.
—J'avaispeurquetunet'évanouisses,repritAryane,faisantdélibérémentallusionauxdeux
pâmoisonsdontAliceavaitétévictimequandKaneTaggertavaittoutd'aborddébarquéàChandler.
—Daryane!Commentpeux-tu...
—Viens,machérie,intervintsamère.Nerestonspasici.
Quandlesdeuxfemmesfurentsorties,Aryanesepritàregrettersesparoles.Tantpis,ilétaittrop
tard.Ellen'auraitqu'àprésenterdesexcuseslaprochainefoisqu'ellelesrencontrerait.
LajeunefilleallaitquitteràsontourlemagasinquandellecroisaleregarddeKaneTaggertdansle
miroir.L'hommeseretourna.
—VousêtesAryaneChandler,n'est-cepas?
—C'estexact,répondit-ellefroidement.
Ellen'avaitpasl'intentiondefairelaconversationàcetinconnuetn'arrivaitmêmeplusàcomprendre
pourquoielleavaitprissadéfensefaceàquelqu'unqu'elleconnaissaitpourtantdepuistoujours.
—Pourquoicettefillevousa-t-elleappeléeDoriane?
N'est-cepasplutôtleprénomdevotresœur?
—Vousavezmalentendu,monsieur.Alicem'aappeléeDaryane.C'estlenomquelesgensemploient
quandilsnesaventpasexactementàlaquelledenousdeuxilsontaffaire.
Noussommesjumelles,voyez-vous.Maintenant,sivousvoulezbienm'excuser...
—Vousneressemblezpourtantpasàvotresœur.Vousêtesbeaucoupplusjoliequ'elle.
Aryanedemeuraquelquesinstantsbouchebée.Jusqu'àcejour,personnen'avaitétécapabledefairela
différenceentreDorianeetelle.Enfin,elleseressaisitetgagnarésolumentlaporte.
EllevenaitdeposerlamainsurlapoignéequandTaggertl'arrêtaparlebras.
Plusd'unefemmeàChandlerneseséparaitjamaisdesonombrellepourpouvoirenassenerunbon
coupàtoutopportun.Aryanen'avaitpasrecoursàcetustensile:sesyeuxluisuffisaientamplement.
Sesprunellesturquoisepouvaientvirerenunéclairaubleudeglaceetclouerquiconquesurplace.
KaneTaggertenfitl'expérience.Certes,ilnereculapas,maissamainabandonnaaussitôtlebras
qu'ellevenaitdesaisir.
—Attendez,dit-il,jevoudraisvousposerunequestion...
Sivousmelepermettez,ajouta-t-il,sontonsefaisantmoqueur.
—Jevousécoute.
—Voilà,sivous,quiêtesunelady,aviezàchoisirdesrideauxpourvotremaison—lamienneestla
grandeblanche,là-hautsurlacolline—quelestceluidecestissusquevousprendriez?
—Sij'avaisvotremaison,jeferaistisserdirectementmesrideauxàLyon,enFrance.Aurevoir,
monsieur.
Aryanesortitleplusvitequ'elleputdanslarueets'éloignarapidement,sestalonsclaquantsurle
trottoirdebois.
Lajeunefilles'amusaitdelatêtequeferaientsesamieslorsqu'elleleurraconteraitsarencontreavec
KaneTaggert.Nuldoutequelaplupartd'entreelleseussentsautésurl'occasionetproposédevenir
mesurersesfenêtresafindeconnaîtreenfinl'intérieurdesamaison.
Aryanesesouriaitàelle-mêmequandunemainlasaisitetl'entraînadansuneruelle,justeavant
d'arriverauthéâtremunicipal.Ellen'eutpasletempsdecrier,uneautremainlabâillonnaitetellese
retrouvaitdosaumur.EllelevaunregardterrorisésurKaneTaggert.
—Jenevaispasvousfairedemal.Jeveuxjustevousparleretjesaisquecen'étaitpaspossible
devantlesautres.
Vousn'allezpascrier?
AryanesecoualatêteetKaneôtasamain.
—Vousêtesencoreplusbelledeprès,reprit-il.Etvousavezvraimenttoutd'unelady,ajouta-t-il,
détaillantd'unairapprobateursatoilette.
—MonsieurTaggert,ditAryanelepluscalmementpossible,sachezquejen'apprécieguèred'être
ainsitraitée.
Maintenant,sivousavezquelquechoseàmedire,dites-leetvite!
Taggerts'appuyatranquillementd'unemainaumuretregardaAryane.Lajeunefillenotamalgréelle
lespetitesridesquiplissaientsesyeux,sonnezfin,salèvreinférieurepleinequeseulerévélait
l'épaissebarbe.
—Commentsefait-ilquevousayezprismonpartidanscemagasin?Pourquoiavez-vousrappeléà
cettepéronnellesesévanouissementspassés?
—Je...,hésitaAryane.Jesupposequejen'aimepaslesgensquicherchentàblesserlesautres.
—Touscesévanouissementsnousontbeaucoupfaitrire,Edanetmoi.
—Unvraigentlemannesemoquepasd'unelady!cinglaAryane.
—Toutescesfemmestombaientautourdemoicommedesmouchesparcequ'ellesmesavaientriche.
Amesyeux,ellesn'agissaientpascommedesladies,maisplutôtcommedesprostituées.
Aryanesursauta.Jamaisunhommenes'étaitencorepermisd'employeruntelmotdevantelle.
—Pourquoin'avez-vousjamaischerchéàattirermonattention?Monargentnevousintéressedonc
pas?
—Non,monsieur!Maintenant,sivousvoulezbienm'excuser,j'aidiverseschosesàfaire.Jevous
prieraisdeneplusjamaism'importuner.
Aryanequittalaruelledansungrandbruissementderobeetgagnalarue.
Elleétaittellementencolèreentraversantqu'ellemanquasefairerenverserparunlourdchariot.
L'idéequeTaggertpuissepenserqu'elleavaitprissadéfenseaumagasinuniquementdanslebut
d'attirersonattentionluiétaitdétestable.
ElleretrouvaLeanderàl'endroitconvenuetdutluifairerépétercequ'ildisait,tantelleétaitabsorbée
danssespensées.
—J'aiditqu'ilétaittempsqueturentrescheztoietquetutepréparespourlaréceptiondecesoir
chezlegouverneur.
Aryanemontadanslacalècheenacquiesçant.
LajeunefillefutpresqueheureusequandLeanderetDorianerecommencèrentàsedisputer.Celalui
permettaitderéfléchirtranquillementàsarencontreavecKaneTaggert.
CommentKaneavait-ilpulareconnaître?Jamaisencorequelqu'unn'avaitréussiàpercerdupremier
coupd'œilladifférenceentrelesdeuxjumelles.Cesserd'êtreDaryaneétaitvraimenttrèstroublant...
Soudain,leurcalèchefutdoubléeparlevieuxchariotdeKane,queconduisaitEdan.Arrivéàleur
hauteur,KaneTaggertsoulevasonchapeauetsalualesdeuxsœurstouràtour.
—Qu'est-cequeçasignifie?demandaLeander.J'ignoraisquevousconnaissiezTaggert.
—C'estlui,l'hommemystérieuxquiaconstruitcettemaison?enchaînaDoriane.Jecommenceà
comprendrepourquoiiln'yinvitejamaispersonne.Ilsaittropbienquetoutlemonderefuserait.Au
fait,commenta-t-ilfaitpournousdifférencier?
—Grâceànosvêtements,réponditvivementAryane.Jel'aivucematinaubazar.
DorianeetLeanderrecommencèrentàsechamailleretAryaneseperditencoreunefoisdansses
pensées.
CHAPITREIII
LagrandemaisondesChandlerdissimulaitàl'arrièreunvastejardinquiétaitlafiertéd'Opal.Elle
avaitelle-mêmeplantélesormesqui,désormaisgrands,ombrageaientlavastepelouseoù
serpentaientdesalléesdefingravierbordéesdeparterresmulticoloresetdepetitsbosquetsodorants.
Icic'étaitunestatuedisparaissantsouslelierre,làunevasquedemarbreoùlesoiseauxduvoisinage
venaientserafraîchir.UnenclosdethuyasdissimulaitlesplantationsdefleursdontOpalremplissait
chaquejourlesvasesdelamaison.
—Jeveuxsavoircequisepasse,annonçaDorianeàsasœur,penchéesurunbuissonderoses-thé.
—Jenevoispasdequoituveuxparler.
—DeKaneTaggert.
Aryanesetut,respirantledélicatparfumdesfleurs.
—Iln'yarienàexpliquer,fit-elleenfin.Jel'aitoutd'abordcroiséchezWilson,puisilnousasaluées,
commetuaspuleconstater.
—Jesuissûrequetunemedispastout.
—Jen'auraissansdoutepasdûm'enmêler,maisj'aidûintervenircarilrisquaitdesemettreen
colère.
AryaneracontaalorsàDorianel'incidentdontAliceavaitfaitlesfrais.
—Jen'aimepastevoirfréquentercethomme.
—Doriane,jet'enprie,j'ail'impressiond'entendreLeander!
—Pourunefois,ilaraison.
—Cettephraseresteradanslesannalesdelafamille!
s'exclamaAryane,éclatantderire.Ecoute,Doriane,jeteprometsqu'aprèscesoirjeneprononcerai
plusjamaislenomdeKaneTaggert.
—Cesoir?Pourquoicesoir?
Aryanesortitunbilletdesamanche.
—Lisça,fit-elle.Unmessagervientdemel'apporter.
KaneTaggertm'inviteàdînerchezlui.
—Vraiment?Maistun'espaslibre.TusorsavecLeander.
—Doriane,tuneterendspascomptedel'émotionquecettemaisonacrééeàChandler.Toutle
monde,absolumenttoutlemonde,atentéd'yentrer.Desgenssontvenusdesquatrecoinsdel'Etat
pourlavoir.Nuln'ajamaisétéinvitéàypénétrer.Ilyamêmeeuunefoisunducanglais.Onaessayé
defairecomprendreàTaggertqu'ilseraitbondeleconvieràentrer,iln'arienvouluentendre.Et
aujourd'hui,moijesuisinvitée!
—Maistudoisallerailleurs.LegouverneurseralàetilestplusimportantqueKaneTaggert.
—Tuneterendsvraimentpascompte,Doriane!ToutChandler,pendantprèsdecinqans,avucette
maisonseconstruire.Cefutunenoriaincessantedecaisses.Lesdernièresétaientimmenseset
venaientdesquatrecoinsd'Europe.
Sûrementdesmeubles.Destapisseriesaussi,carcertainesprovenaientd'Aubusson.Turéalises?Des
tapisseriesd'Aubusson!
—Mais,Aryane,tunepeuxêtreàdeuxendroitsenmêmetemps.
Lajeunefillesetut,jouantavecunerose.
—Quandnousétionsenfants,nousétionssouventàdeuxendroitsenmêmetemps,murmura-t-elle.
—Tuveuxquenouséchangionsnosplaces?Tuveuxquemoi,jepasselasoiréeavecLeander?Que
jeprétendel'aimerpendantquetuiraschezcesatyre?
—QuiteditqueKaneestunsatyre?
—Kane?Tiensdonc?Jecroyaisquetuleconnaissaisàpeine.
—Nechangepasdesujet,Doriane.Toutcequejetedemande,c'estdeprendremaplaceunsoir.Une
telleoccasionnesereprésenteraplus,jelesens.Allez,laisse-moifaireunedernièrepetitefolie
avantmonmariage.
—Tuparlesdumariagecommesituentraisaucouvent.
Etpuis,detoutefaçon,Leanderserendratoutdesuitecomptequejenesuispastoi.
—Passitujouesbienlejeu.Tusaisparfaitementquenoussommestouteslesdeuxdouéespourla
comédie.Regardecommejemefaispasserpourunevieillefemmetouslesmercredis.Toutcequetu
aurasàfaire,ceseraderestercalmeetdenepasdiscutersanscessecequeLeandertedira.Oubliela
médecine,tiens-toidroiteetmarchelentementcommeuneladyaulieudecourirsanscessecommetu
lefais.Avectoi,ondiraittoujoursqu'ilyalefeu.
Dorianeneditrien,maisAryaneserendaitcomptequ'ellecommençaitàfléchir.
—Doriane,jet'ensupplie,pourunefoisquejetedemandequelquechose...
—Tuoubliesquetum'asdéjàdemandédevenirpasserplusieursmoisici,chezGatesquejen'aime
pas,etdesupporterlaprésencedeLeanderquejedétestecarrément.
—Doriane,j'aitellementenviedevoircettemaison!
—C'estseulementlamaisonquit'intéresse,pasTaggert?
Enes-tubiensûre?
—Doriane,jet'enprie!Jesuisdéjàalléeàdescentainesdedînerssanspourautanttomberdansles
brasdumaîtredemaison!Etpuis,jeneseraipasseule,ajoutaAryane,espérantqu'elledisaitlàla
vérité.
Dorianedemeuraencorequelquesinstantssilencieuse,puissonvisages'éclairad'unsourire.
—Quandtuserasmariée,tuaccepterasquejerévèleàLeanderqu'ilapasséunesoiréeavecmoisans
lesavoir?Jerêvedevoirlatêtequ'ilferaàcemoment-là.
—Pourquoipas?D'ailleurs,Leanderaunexcellentsensdel'humouretjesuiscertainequ'ilserale
premieràenrire.
—Jen'ensuispassisûre.Entoutcas,moi,jeriraibien.
—Allonsnouspréparer,fitAryaneensejetantaucoudesasœur.Jeveuxquelquechosequi
convienneàcettesomptueusedemeure.Toi,tumettrasmarobedesatinbleu.
—Pourquelasubstitutionsoitparfaite,tudevraisplutôtportermesknikerbockers,rétorqua
Doriane,unelueurespiègledansleregard.Maisjesupposequec'esttroptedemander...
Lesheuresquisuivirentfurentplacéessouslesignedel'indécisionlaplustotale,Aryanepassanten
revuetoutesagarde-robe.
Ellesedécidafinalementpourunelonguerobedesoiemauverehausséedebroderiesargent,au
décolletécarré,bordéd'hermine,etdontlesmanchestransparentesflottaientdélicatementautourde
sesbrasdéliés.EllemitsatoilettedansunedecessacochesdecuirdontDorianeneseséparait
jamais,ytransportanttoujoursdesinstrumentschirurgicauxetdesmanuelsdemédecine.Lajeune
fillesechangeraitchezsonamieTiaavantdegagnerlarésidencedeKaneTaggert.
EllefitporterunmotàTiapourlaprévenir,n'osantlefairepartéléphone,depeurquequelqu'un
n'entendîtsaconversation.Aucasoùl'onchercheraitDoriane,elleseraitofficiellementchezTia
Mankin.
Doriane—lavraie—necessadeselamenter.Lecorsetqu'elledevaitpasserétaittroppetitet
l'étouffait.Leschaussureslafaisaientsouffrir,lajupeétaittroplongueetentravaitsespas.Mais
lorsqu'ellefutprêteetqu'elleseregardadanslapsyché,Aryanevitbienquesasœursetrouvaitbelle.
Aryanes'amusabeaucouppendantlesquelquesminutesqu'ellespassèrentausalonencompagniede
leurmèreetdeM.Gates.Trèsàl'aisedanslesvêtementsconfortablesdeDoriane,
elle
prit
un
malin
plaisir
à
contredire
systématiquementsonbeau-père.
QuandLeanderparut,elles'amusaégalementàl'agresser.
Lafroideurdujeunehommeàsonégardetlespetitsairssupérieursqu'ilprenaitdèsqu'elledisait
quelquechosefinirentparlamettreréellementencolèreetelefutbiencontentedepartirchezTia,
laissantLeanderetDorianesuivreleurroute.
—Mais,Doriane,ditTia,j'ignoraistotalementquetuconnaissaisM.Taggert.J'aimeraisbienpouvoir
veniravectoi.
Jesuissûrequ'Aryaneaimeraitveniraussi.
—Bon,j'yvais,ditAryane.Souhaite-moibonnechance.
—Bonnechance,Doriane.Tumeraconterastoutdemain.
Jeveuxunedescriptiondecettemaisondanssesmoindresdétails.
—Promis,lançaAryaneens'engageantdansl'avenuequigrimpaitjusquechezKaneTaggert.
Lajeunefillefranchitlesgrillesetpénétradanslacourd'honneur.Ellegravitleperronparlavolée
dedroiteetseretrouvadevantl'imposanteportedechêne.
Là,ellemarquauntempsd'arrêt,remettantdel'ordredanslesplisdesarobeenattendantenvainque
soncœurcessâtdebattreàtoutrompre.Enfin,ellesonna.
Auboutdequelquesminutes,unpaslourdrésonnasurdesdallesetlebattants'ouvrit.KaneTaggert
parut,plushirsutequejamais,portantlesmêmesvêtementsgrossiersquelematin.
—J'espèrenepasêtretropenavance,ditAryane,s'appliquantàleregarderdroitdanslesyeux,
malgrél'irrésistibleenviequ'elleavaitd'observerpar-dessussonépaule.
—Non,vousêtesjusteàl'heure.Ledînerestprêt.
KaneTaggerts'effaçapourlalaisserentreretAryaneeutsapremièrevisiondelademeure.
Unescalierpartaitdechaquecôtédel'immensevestibulepourrejoindreunpaliercommun,formant
galerie.Celle-ciétaitsoutenueparunerangéedepiliersdemarbreblancveinédesanguine.Le
plafondàcaissonsdechênevenaitapporterunpeudechaleuràl'ensemble.
—Celavousplaît?
Aryanedutfaireuneffortpournepasdemeurerbouchebée.
—Jen'aijamaisrienvudeplusbeau,avoua-t-elle.
—Voulez-vousvisiteroudînertoutdesuite?demandaKane,redressantletorse.
—Visiter.
—Danscecas,suivez-moi.
—Cettepetitepièceestmonbureau,annonçaKaneenouvrantuneportepourdécouvrirunespace
quiauraitpucontenirtoutlerez-de-chausséedumanoirChandler.
Troismursétaientlambrissésdenoyerauxrefletsfauvestandisqu'unecheminéedemarbreblanc
occupaittoutlequatrième.Etrangement,lemobilierselimitaitàunevieilletabledeboisblancetà
deuxchaisesdecuisinequiparaissaientperduesaumilieudelapièce.Latablecroulaitsousles
papiers,bonnombred'entreeuxjonchaientégalementleplanchernu.
—Voicimaintenantlabibliothèque.
Aryanedécouvrituneimmensesalleauxrayonnagesd'acajou.Paslemoindrelivre!Videsaussi,
troisespacesdemurblanc.
—Ildoityavoirlàdestapisseries,expliquaKane.Maisjenelesaipasencoreaccrochées.
Onpassaensuiteaugrandsalon,puisaupetit,puisàlasalleàmangeretaufumoir.Chaquepièceétait
aussimagnifiquequedéserte.Paslemoindremeuble,pasunseultapis,rien!
—Etvoicilacuisine,conclutKaneTaggert.Asseyez-vous.
Aryanepritplaceàlalonguetable,sœuraînéedecelledubureau,maiss'abstintdes'yaccouderà
causedestachesdegraisse.
Kanegagnalesfourneauxetremplitunbolqu'ilvintdéposerdevantlajeunefille.
—Mangezavantqueçarefroidisse.
Aryanefixalesmorceauxdeviandequinageaientdansunesubstancebruneetgraisseuse.
—Dites-moi,monsieurTaggert,quiadessinévotremaison?
—UnarchitectedelacôteEst,répondit-il.Pourquoi?Ellenevousplaîtpas?
—Si,beaucoup.Simplement,jevoudraisbiensavoir...
—Savoirquoi?s'enquit-il,labouchepleine.
—Toutestsinu!Oùsontpasséslesmeubles?Onavutantdecaissesvenirici,unefoislamaison
achevée!Chacunpensaitqu'ils'agissaitdumobilier.
—J'aieffectivementachetépleindemeubles,destatuesetdetapis,expliqua-t-il.Toutestdansles
greniers.
—Danslesgreniers!Maispourquoidonc?Vousavezunedemeuresuperbeetpourtantvousyvivez
seulavecununiqueserviteuretmêmepasunfauteuilconfortablepourvousasseoir.
—Map'titedame,c'estpourçaquejevousaidemandédevenir.Vousnemangezpasça?ajouta-t-il
endésignantlebold'Aryaneet,commeellefaisaitsignequenon,ils'empressadeleprendrepourlui.
—Vousvoulezbienm'expliquer?
—Jesupposequevoussavezquejesuisriche.Mêmetrès,trèsriche.Mais,sijesuisdouépourfaire
del'argent,jen'aiaucuneidéedelafaçondeledépenser.
—Jenecomprendspascequeje...
—Voyez-vous,coupa-t-il,pourdépensermonargent,jedoistoujoursfaireappelàdes
intermédiaires.C'estlecaspourcettemaison.Lafemmed'unamim'adonnélenomdel'architecte,je
l'aiconvoquéetils'estoccupédetout.Pourlesmeubles,c'estpareil,c'estluiquiatrouvéquelqu'un
pourlesréunir.Jenelesaimêmejamaisvus.
—Pourquoinepasluiavoirégalementdemandédelesinstaller?
—Parcequerienneprouvequemafemmeaimeracettedisposition.Ellevoudrapeut-êtretout
changeretjenevoispasl'utilitédefairecetravaildeuxfois.
—J'ignoraisquevousétiezmarié,ditAryane.
—Jenelesuispas,maisj'aitrouvécellequ'ilmefallait.
—Toutesmesfélicitations.
Kanesouritdanssabarbe.
—Jenepeuxpasavoirn'importequellefemmedanscettemaison.Ilfautquecesoitunevéritable
dame,unelady.Onm'aexpliquéunjourqu'unevraieladyétaitunebattante;unefemmecapabledese
battrepourunecauseengardanttoujourssonchapeaubiendroitsursatête.C'estaussiquelqu'unen
mesuredefigerunhommesurplaced'unseulregard.C'estexactementcequevousm'avezfait
aujourd'hui.
—Jevousdemandepardon?
Kanerepoussadevantluisondeuxièmebolvideets'accoudaàlatable.
—Quandjesuisarrivédanscetteville,lesfemmessesontruéessurmoicommedevraiesidiotes.
Quandellesontvuqueçanemarchaitpas,ellessesontmisesàmemépriser.Aucunen'ajamaisété
gentilleavecmoi,àpartvous.
—Jesuissûre,monsieurTaggert,qu'ilyad'autresfemmesqui...
—Aucuned'ellesn'aoséprendremadéfensecommevousl'avezfaitcematin.Etlorsquejevousai
touchée,votreregardm'aglacésurplace.
Aryanesemitàavoirpeur.Quefaisait-elleentêteàtêteaveccethommemaldégrossi?Personnene
savaitqu'elleétaitlà!
—Jecroisqu'ilfautquejem'enaille,dit-elleenselevant.
—Impossible.J'aiencoredeschosesàvousdire.
—Jedoisvraimentpartir.Vousn'avezqu'àm'écrireunelettre.
—Venezaumoinsfaireuntourdehors.J'yaipleindeplantes.
«Pleindeplantes»?SansdouteKaneTaggertparlait-ild'unjardin.Aryaneneputrésisteràla
tentationd'allervoir.
C'étaitbienunjardin,emplidesessenceslesplusrares,d'unebeautéàcouperlesouffle.
—Ilestaussibeauquevotremaison,reconnutlajeunefille.Quevouliez-vousencoremedire,
monsieurTaggert?Ilfautvraimentquejerentre.
—Jevousaiconnuepetitefille,répondit-il.VousveniezjoueravecMarcFenton.Biensûr,vous
n'avezjamaisfaitattentionàmoi.Jen'étaisqu'ungarçond'écurie.Jemesuistoujoursdemandéceque
vousdeviendriez,vous,lapetiteChandlerquis'amusaitaveclejeuneFenton.Vousêtesuneréussite.
—Merci.
—Voyez-vous,j'aimaintenanttrente-quatreans.Jesuisricheàmilliards,j'aiunegrandemaisonet
desgrenierspleinsdemeubles.J'aimeraisquequelqu'unlesensorte.Quecequelqu'unengageaussi
unecuisinièrepourqu'Edanetmoin'ayonsplusàfairenous-mêmesnotrecuisine.Cequ'ilmefaut,
mademoiselleAryaneChandler,c'estunefemme,etj'aidécidéquecettefemme,ceseraitvous.
—Moi?s'étranglalajeunefille.
—Oui,vous.JetrouvelogiquequecesoituneChandlerquivivedanslaplusgrandemaisonde
Chandler.Jemesuisrenseignésurvous.Vousêtesalléedanslesmeilleuresécolesetdirigerune
maisonn'aaucunsecretpourvous.Voussaurezorganiserlesplusbellesréceptions.Sivousvoulez,
jevousachèteraidelavaisselleenor.
Remisedesasurprise,Aryanefitlaseulechosequ'elledevaitfaire:elletournalestalonsets'éloigna.
—Attendez,fitKane,luiemboîtantlepas.Aquandfixons-nousladatedumariage?
Aryaneseretournaetleregardadroitdanslesyeux.
—Jevaisêtreaussiclairequepossible,monsieurTaggert
!Primo,jesuisdéjàfiancée.Secundo,mêmesijenel'étaispas,jenevousconnaispas.Maréponse
estnon!Jenevousépouseraipas,mêmesivousfaisiezunedemandeenbonneetdueformeaulieu
deposerundiktat!
—C'estçaquevousvoulez?Quejevousfasselacour?Jevaisvousenvoyerdesrosestousles
joursjusqu'àcequenousnousmariions.
—Jeneveuxpasquevousmefassiezlacour.Jenesuismêmepascertained'avoirenviedevous
revoir.Jesuisvenueicipourvoirvotremaisonetjevousremerciedelavisite.
Maintenant,aurevoir,monsieurTaggert.Sivoussouhaitezvraimentunefemme,vousdevriezplutôt
chercherducôtédecellesquisontlibresàChandler.Jesuissûrequevousfinirezpastrouverceque
vousappelezsigalammentune«vraielady».
Surce,Aryanetournadéfinitivementlestalons,etsiellenecourutpasjusqu'àlaporte,cefuttout
juste.
Unefoisseul,Kanelaissaéchapperunjuronetmontaàl'étage.Edanl'attendaitsurlepalier.
—Alors?demanda-t-il.
—Elleaditnon,fitKane,dégoûté.EllepréfèreceminabledeWestfield.Etnevienspasmerépondre
quetum'avaisprévenu!Jen'aipasditmonderniermot.Quandjelâcherailemorceau,ladyChandler
seramafemme.Maintenant,viens,allonsmangerquelquechose.
CHAPITREIV
Aryanerentrachezellesurlapointedespieds,prenantgrandsoindenepasfairecraquerlesmarches
del'escalier.IlavaitdetoutefaçonfortpeudechancesdetrouverM.Gatesauxaguets,celui-cifaisant
uneconfiancetotaleàLeanderlorsqu'ilsortaitavecsabelle-fille.
Commeelleatteignaitsachambre,elleaperçutsamèrequilaregardaitparl'entrebâillementdesa
porte.AryanesouritàOpaletrentrachezelle.Elleréalisasoudainquesamèreavaitfroncéle
sourcil.Nuldoutequ'Opaln'aitcompris,envoyantcellequiétaitvêtue,commeDorianepénétrer
chezAryane,quelesdeuxjumellesavaientéchangéleursrôlespourunsoir...
Lajeunefillehaussalesépaules.Opalaimaittropsesfillespourêtreréellementfâchéeetneposerait
sûrementpasdequestions.
Toutensedéshabillant,Aryanerepensaàsasoirée.Unemaisonsibelleetsivide!Unemaisonque
sonpropriétairen'avaitpashésitéàluioffrir.Certes,l'hommefaisaitpartiedulot,maisyavait-ildes
cadeauxsanspapiernificelle?
Uniquementvêtuedesoncaracoetdesonjupon,lajeunefilles'installadevantsatabledetoiletteetse
nettoyasoigneusementlevisageavecuncotonimbibéd'eauderose.
Jamaisaucunhommenel'avaittraitéecommeKaneTaggert.Quellesurpriseceseraitpourtousles
habitantsdeChandlersielledécidaitd'accepterl'offrequ'illuiavaitfaite!Etqueporterait-illejour
dumariage?Unhabitrougeavecdesbrandebourgs,peut-être!
Aryanefutprisedefourire.Elleachevad'ôtersesvêtementsetenfilasachemisedenuit.
Malgrél'absurditédelasituation,lajeunefillen'avaitpastrouvésidésagréabledesevoirdemander
samainparunautrequeLeander.Leanderétaittellementsanssurprise!Elleconnaissaitabsolument
toutdelui:cequ'ilprenaitaupetitdéjeuner,lafaçondontilaimaitqu'onrepasseseschemises...
Laseuleinconnuedemeuraitleurnuitdenoces...Peutêtrequ'aprèscelle-ciiln'exigeraitpasderecommencertoutdesuite.Leshommesnelaissaientpas
Aryaneindifférente,maisavoirunerelationphysiqueavecLeanderluifaisaitpresquel'effetd'un
inceste.
ElleaimaitLeander;ellesavaitqu'ellen'auraitaucunedifficultéàvivreaveclui.Maisdormiràses
côtés...
Aryanesecouchaetremontalescouverturessurelle.
Ques'était-ilpassécesoirentreDorianeetLeander?
Sûrementilsavaientdûfinirparsedisputeretdemainlejeunehommeluiferaitdesreproches.
Lajeunefillepoussaunprofondsoupiretfermalespaupières.Enfin,aprèslesémotionsdelasoirée,
demain,toutrentreraitdéfinitivementdansl'ordre.
AryanedutrepousserlesavancesdeLeanderlorsqu'ill'aidaàprendreplacedanslacalèche.
Décidément,ilsemblaitqu'aujourd'huichacunsefûtdonnélemotpourseconduirebizarrement!
Déjà,toutelamatinée,Dorianeavaiteul'airdelafuir.Ellesedébrouillaitpourquitterlapiècesitôt
quesasœurparaissaitetellesemblaitavoirpleuré.Aryaneespéraitqu'ellenes'étaitpastrop
violemmentdisputéeavecLeanderlaveille.
QuandàonzeheuresLeanderétaitarrivépourl'emmenerpique-niquer,Aryaneavaitentendusasœur
crierquelquechose.Et,quandelles'étaittrouvéefaceàfaceaveclejeunehomme,ils'étaitmontrési
entreprenantqu'elleavaitfaillilegifler.
Déroutée,AryaneobservaitLeandermenantleschevaux.
Ilnedisaitrien,maisilsouriait.Cesourirelarassura.SiDorianeetluis'étaientgravementdisputésla
veille,iln'auraitpasétédesibonnehumeur.
Leanderlesconduisittrèsloindelaville,dansunepetiteclairièreentouréedehautsrochers.Ilfit
descendrelajeunefilleavecprécipitationet,sitôtqu'ellefutàterre,illapritpassionnémentdansses
bras.
—Jen'aipascessédepenseràtoidepuishier,dit-il.Jesentaisleparfumenivrantdetescheveux,la
douceurdeteslèvressurlesmiennes,ton...
—Comment!s'écriaAryane,parvenantàéchapperàsonétreinte.
—Aryane,dit-ilenlareprenantdanssesbras,tunevaspasrecommenceràfairel'effarouchée!Pas
aprèshiersoir.
Inutilederedevenirlaprincessedeglace.Jeconnaislefeuquibrûleentoi.Allez,embrasse-moi
commetum'embrassaishier.
Unefoisdeplus,Aryaneselibéra,lesjouesenfeu.
—Veux-tudirequ'hierj'étaisdifférente?Quej'étaismieux?
—Tulesaistrèsbien.Tuétaiscommejenet'avaisencorejamaisvue.Jenesavaismêmepasquetu
pouvaisêtrecommeça.Jevaistefairerire,maisj'enarrivaisparfoisàpenserquetuétaisincapable
d'unepassionréelle...
Leanderconclutsadéclarationd'unlongbaiser.Lorsquelajeunefilleparvintàluiéchapper,lacolère
s'emparadelui.
—Tupoussescejeuunpeutroploin,accusa-t-il.Tunepeuxêtrepassionnéeunjouretcomplètement
froidelelendemain.Quies-tu?Fais-tududédoublementdepersonnalité?
Aryaneposaitsurluiunregardhorrifié.Elleavaitenviedeluicrierqu'ilsetrompait,qu'ellen'était
paslajeunefillepassionnéequ'ilappréciaittant,maisl'autre,l'insensible.
Leanderparutavoirludanssespenséesetsonvisages'assombrit.
—Aryane,c'estimpossible.Dis-moiquejemetrompe.
Lajeunefillesutquecequiavaitcommencécommeunefarcebasculaitsoudaindanslatragédie.
Leanders'éloignaetselaissatombersurunrocher.
—Vousavezéchangévosplaceshiersoir,c'estça?J'aipassélasoiréeavecDoriane,pasavectoi?
—Oui,souffla-t-elle.
—J'auraisdûm'endouter,pourtant.Elleparaissaitnepasreconnaîtrecettemaisonquej'aiachetée
pournous.Etlorsqu'onm'aappelépourcesuicide,elleainsistépourveniravecmoi.J'étaissi
heureuxdelavoirréagirainsiquej'airefusédemeposerdesquestions.Etquandnousnoussommes
embrassés...Soyeztouteslesdeuxmaudites!Vousvousêtesbienmoquéesdemoi!
—Leander,murmuraAryane,posantunemainsursonépaule,maisnetrouvantrienàajouter.
—Tais-toi!J'ignorepourquoivousavezdécidédemejouercetour,maisjepeuxtegarantirqueje
nesuispasprèsdetelepardonner.Maintenant,ilfautquejeréfléchissesurcequis'estpasséhiersoir
etquej'entirelesconclusionsquis'imposent.
LeanderramenaAryanechezellesansunmotetlajetapresqueaubasdelacalèche,pourrepartir
aussitôt.
Dorianeattendaitsurleperron.
—Nousavonsàparler,fitAryane.
Ensilence,Dorianesuivitsasœurjusqu'àlaroseraie.
—Commentas-tupumefaireça?N'as-tudoncaucunemoralitépourtejeteraucoud'unhomme
aveclequeltusorspourlapremièrefois?Tuascouchéaveclui,n'est-cepas?Jenemetrompepas?
Dorianehochasilencieusementlatête.
—Lepremiersoir!
—Maisj'étaistoi!J'étaiscenséeêtresafiancéeet,d'aprèslafaçondontilm'aembrassée,j'enai
concluqueluiettoi...
—Quoi!s'étranglaAryane.Tuascruquej'étaissamaîtresse?Tucroisvraimentquejet'aurais
demandédemeremplacersitelavaitétélecas?
—Jen'ensaisrien.Jen'arrivaisplusàpenser.Aprèslasoiréechezlegouverneur,ilm'aemmenée
chezluiet...
—Cheznous,tuveuxdire!C'estnotremaison!J'aipassédessemainesàl'arranger,àlapréparer
pourquandnousserionsmariés.
—Unsouperfroidnousattendait.Caviar,Champagne,saumon.Latableétaitdressée,lesbougies
allumées.Leanderm'aembrassée,nousavonsbuduChampagne,tropdeChampagne...Aryane,je
suisdésolée.JevaisquitterChandler.
Leanderfiniraparnouspardonner-Ecoute,Aryane,jevaisallerletrouver.Jeluidiraiquel'idéeétait
demoi,quec'estmoiquit'aidemandédeprendretaplace.Ilnepourrapastereprocherunechoseoù
tun'espourrien.Ilcomprendracequis'estpassé.
—Tucrois?Commentluiexpliqueras-tuquejevoulaispasserlasoiréeavecunautrehomme?Ettu
luiexpliquerassansdouteaussiqu'ilasuffiqu'iltetouchepourquetuperdeslatête?Entoutcas,ça
faituncontrasteavecAryaneChandler,lafrigide.
—Mais,Aryane,tun'espasfrigide!
—Aujourd'hui,Leandernepouvaitparlerderiend'autrequedetoi.Combientuavaisétéformidable,
extraordinaire,hiersoir.Aprèsça,ilnesecontenteraplusdequelqu'und'aussiinexpérimentéque
moi.
—Jen'avaisjamaisfaitl'amourauparavant,ditDorianeenôtantsesmainsdesonvisage.Leanderest
lepremier.
Aryanen'enrevenaitpas.Sanuitdenocesl'avaittoujoursterrifiéeetelleétaitsûrequetoutle
Champagnedumonden'yauraitrienchangé.
—Tumedétestes,n'est-cepas?murmuraDoriane.
Aryaneréfléchit.C'étaitbizarre:ellen'étaitmêmepasjalouse!Ellesedisaitsimplementque
désormaisLeanderattendraitd'ellecequeDorianeluiavaitdonnéetqu'ellesesentaitincapabledelui
apporter.DorianeavaitdûapprendreàlaFacultédeschosesqu'elleignorait.Sitoutcequisefaisait
dansunemaisonn'avaitplusaucunsecretpourAryane,sesconnaissancess'arrêtaientauseuildela
chambreàcoucher.
—Pourquoimeregardes-tuainsi?demandaDoriane.
Aryanefutsurlepointdedemanderdesdétailsàsasœur.
—Rassure-toi,jenesuispasfâchée.J'aiseulementbesoinderéfléchir.Es-tuamoureusedeLeander?
—MonDieu,non!Quellehorreur!
—Bon,n'enparlonsplus.Quetoutcelaresteentrenousetneviennepasentamernotreamitié.
J'expliqueraileschosesàLeanderquandilseraremisdesacolère.
—Oh,merci,Aryane!Personnen'aunesœuraussibonnequetoi.
Dorianesemblaitrassurée,maisAryanenel'étaitpas.
ElleaimaitLeanderetLeanderl'aimait.Ilsavaienttoujourssuqu'ilssemarieraientunjour.Se
pouvait-ilqu'uneseulesoiréeviennebalayerdesannéesdecomplicité?
—Biensûrquenon,dit-elleàhautevoix,etelleretournaverslamaison.
CHAPITREV
Aquatreheures,MmeGatesetsesfillesétaientausalon.
Dorianelisaitunlivre•demédecinetandisqu'Aryaneetsamèrebrodaient.
Ellesentendirentsoudainlaported'entrées'ouvrirpourêtreaussitôtclaquéeavecunetelleviolence
quelelustretinta.
—Oùest-elle?hurlaDuncanGates.Oùestcettecréature,cettefilleperdue?
Rougedecolère,l'hommeentradanslesalonetsejetasurDorianequ'iltiradesonfauteuil.
—Duncan!s'exclamaOpal.Maisenfin,quesepasse-t-il?
—Cette...cettetraînéeapassélanuitavecLeander!Et,bienqu'ellesoitdésormaissouillée,ilveutlui
donnersonnom!
—Quoi?firentenchœurlestroisfemmes.
—J'aiditqueLeandervoulaitépousercettecatin,répétaGates,etsansattendre,iltraînaDorianehors
delamaison.
Aryaneselaissaretombersursonfauteuil,incapabledecomprendrecequisepassait.
—Aryane,fitOpal,vousvousêtesfaitpasserl'unepourl'autrelanuitdernière,n'est-cepas?
Aryanehochaaffirmativementlatêteetrepritsonouvragesansriendire.
Lejourbaissant,uneservantevintallumerleslampes,maislesdeuxfemmescontinuèrentàbroder
sanséchangerlemoindremot.
UnepetitephraserevenaitsanscesseharcelerAryane,toujourslamême:«Fini,c'estfini.»
Aminuit,DuncanGatesrevintetpoussaDorianedevantluidanslesalon.
—Toutestarrangé,annonça-t-il.DorianeetLeandersemarientdansquinzejours.L'annoncesera
faiteenchairedèsdimanche.
IlsetournaensuiteversAryane,sincèrementaffecté.
—Mafille,dit-il,jesuisprofondémentnavré.
Aryanesortittrèsdroitedelapièceetgagnalesescaliers.
—Aryane,suppliaDorianedanssondos,Aryane,jet'enprie...
Lajeunefilleétaitincapabledeprêterlamoindreattentionàsasœuret,quandcettedernièreéclata
enfinensanglots,elleneseretournapas.
Elledemeuraunlongmomentimmobileaumilieudesachambre,puissesyeuxseposèrentsurson
diplômedefind'étudessoigneusementencadréetaccrochéaumur.Sousl'impulsiondumoment,elle
seprécipita,ledécrochaetlejetaàtoutevoléeàl'autreboutdesachambre.Lebruitduverrequise
brisaitneluiapportaaucunsoulagement.
D'unemaintremblante,ellesedéshabillaetpassasachemisedenuit,puisseretrouvadenouveau
statufiéeaucentredelapièce.Ellen'entenditmêmepassamèreentrer.
—Aryane,murmura-t-elleenlaprenantparlesépaules.
—Valavoir.Dorianeabesoindetoi.SielleresteicietépouseLeander,elledevrarenoncerà
beaucoupdechoses.
—Toiaussi,machérie,tuasperdubeaucoupdechosescesoir.
—Cequej'aiperduaujourd'hui,jel'avaisperdudepuislongtemps.Allez,vatrouverDoriane.Jen'ai
besoinderien.
—Mets-toiaumoinsaulit,quejeteborde.
—Tuvois,j'aiobéi,repritAryane,unefoiscouchée.J'aitoujoursobéi.Amesparents,àLeander.J'ai
toujoursétéunebonnepetitefillebiensage.Etqu'yai-jegagné?
—Aryane,tutefaisdumal.
—Va-t'en!hurlabrusquementlajeunefille.Va-t'en!
Ledimanchematin,unsoleilradieuxilluminalapetitevilledeChandler,maissesrayons
resplendissantsneparvinrentpasàréchaufferlecœurdesdeuxjumelles.
M.Gateslesemmenaàl'église,chacuned'ellesàunbras,Opalayantdûsoudaingarderlachambreà
lasuited'uneindisposition.Ellen'assisteraitpasàlahontepubliquedesafilleAryane.
Leanderlesattendaitàleurbanc,danslanef.CommeAryanearrivaitàsahauteur,ilvoulutlui
prendrelamainmaisellel'évitaetallas'asseoirenboutdebanc.M.Gateslasuivit,puisDoriane,puis
enfinLeander.
Leservicesemblapasseràtouteallureetarrivèrentenfinlesannoncesparoissiales.Cen'étaitpasle
RévérendThomasqui,hélas,officiaitcejour-là,maissonremplaçant,lepasteurSmithson,quinesut
pasmontrerlemêmetact.
—Jedoisvousannoncer,fit-il,queLeanderWestfieldachangéd'avis.Iln'épouserapasAryanemais
DorianeChandler.
Toutesmesfélicitationsquandmême,Leander.
Unmomentdestupeurparcourutl'assistance,puisonentenditquelquesriresétouffésetles
chuchotementsallèrentbontraincommechacungagnaitlasortie.
—Aryane,ilfautquetum'écoutes,murmuraLeanderenlaprenantparlebras.Jeveuxt'expliquer.
—Tum'asdonnéplusd'explicationsqu'iln'étaitnécessairelelendemaindetasoiréeavecDoriane.
Aurevoir.
—Bonjour,Aryane,àmoinsquecenesoitDoriane,fitquelqu'un.
—Toutesmesfélicitations,Leander,ditunhommeenassenantunelourdeclaquesurl'épauledu
médecin.
—Aryane,jet'enprie,allonsailleurs.
—Pourquoinevas-tupasretrouverta...fiancée?ledéfia-t-elle.
—Aryane,jet'ensupplie...
—Leander,situn'ôtespasimmédiatementtamaindemonbras,jetejurequejehurle!Jetrouveque
tum'assuffisammentmisedansl'embarrascommeça.
—Leander,intervintDuncanGates,Dorianevousattend.
Lejeunehommes'éloignad'Aryaneàregret,pritDorianeparlebrasetl'entraînaverssacalèche.
Sitôtqu'ellefutseule,lescommèrestombèrentsurAryanetelleunevoléedemoineaux.
—Aryane,ques'est-ilpassé?Leanderetvoussembliezsiheureux!
—Quandcettedécisiona-t-elleétéprise?
—Ya-t-ilquelqu'und'autre?
—Vousaveztoutàfaitraison,mesdames,fitbrusquementunevoixdestentor.
ToutlemondesursautaendécouvrantKaneTaggert,quin'avaitguèrehabituélapetitecommunautéà
detellesapparitions.
Ons'écartasurlecheminducolossemalvêtu,àlabarbeplusenbroussaillequejamais.Chacun
demeuraitbouchebée,Aryaneétantloind'êtrelamoinssurprise.
—Désoléd'avoirmanquéleservice,j'auraispuêtreàvoscôtés,ditTaggert.Allonschérie,n'ayez
pasl'airsiétonnée.Jesaisquej'avaispromisdegarderlesecretmaismaintenantquecevieux
Leanderacassélemorceau...
—Unsecret?Quelsecret?interrogeaunefemme.
Kanepassaunbrasautourdesépaulesd'Aryane.Ilsformaientàeuxdeuxuncoupleétrange,
incongru.
—Mesdames,Aryanearompusesfiançaillesparcequ'elleesttombéefollementamoureusedemoi.
—Quandcelas'est-ilpassé?fitunevoix.
—ToutacommencéquandM.Taggertetmoi-mêmeavonsdînéensemble,articulaAryane,qui
reprenaitsesesprits.
—MaisLeander?
—L'amourdeDorianel'aviteconsolé,enchaînaKane.
Maintenant,mesdames,sivousvoulezbiennousexcuser.
J'espèrequevousviendreztoutesànotremariage,dansquinzejours.Normalquedesjumellesse
marientenmêmetemps,non?
KanepritAryaneparlatailleetl'emmenajusqu'àsonvieuxchariot.
Toutlelongduchemin,Aryanedemeuratrèsdroitesurlesiègeetnedesserrapaslesdents.Kane
finitpars'arrêterdevantsapropriété.Enhautdelacolline,onapercevaitsafièredemeure.
—Sinousparlions?fit-il.Jeseraisbienvenuavecvousàl'églisemaisj'avaisdutravail.Enfin,il
étaittempsquej'arrive.
Uneminutedeplusettoutescespiesvousdévoraient.
—Jevousdemandepardon?ditAryane,semblantsortird'unrêve,ouplutôtd'uncauchemar.
—Vousm'écoutez,ouiounon?Quevousarrive-t-il?
—Maisrien,voyons.J'aisimplementétéhumiliéeenpublic,toutvabien!Jevouspriedem'excuser,
monsieurTaggert,repritlajeunefilleaprèsuncourtsilence.Jenevoulaispasvousennuyeravec
mesproblèmes.
—Vousn'avezrienentendu,n'est-cepas?Vousn'avezpasréaliséquejeleuraiditquenousallions
nousmarieretqu'ilsétaienttousinvitésàlacérémonie?
—Si,si,j'aitoutentenduetjevousenremercie.C'étaittrèsaimableàvousdevenirainsiàmon
secours.Vousétieztrèsbiendanslerôleduchevalier.Bien,maintenant,ilvaudraitmieuxqueje
rentrechezmoi.
—Vousfinirezparmerendrefou!Sivousnevouleztoujourspasm'épouser,quediablecomptezvousfaire?Vouscroyezvraimentquetousceshommesdevotresoi-disantbonnesociétévoudront
biendevous?Vousespérezpeut-êtreépouserMarcFenton?
—MarcFenton?répétaAryane,sidérée.PourquoiMarcsouhaiterait-ilm'épouser?
—Uneidée,commeça.Allez,mariez-vousavecmoi,poursuivit-ilenserapprochantsurlesiègedu
chariot.Jesuisriche,j'aiunebellemaison,onvientdevouslaissertomberetvousn'avezriend'autre
àfaire.
Aryanel'observa.Ilétaitfort,puissant,ladominaitdetoutesataille,maisellen'avaitplusdutoutpeur
delui.
Bizarrement,DorianeetLeandern'étaientplusqu'unlointainsouvenir.
—Parcequejenevousaimepas,monsieurTaggert.
J'ignoreégalementtoutdevous.Qu'est-cequimeprouvequevousn'avezpasétédéjàmariéune
bonnedouzainedefois?
VousaveztoutdeBarbe-Bleue.Vousserieztrèsbiendanslerôle.
CefutautourdeKanederegarderlajeunefille,sidéré.
—C'estvraimentcequevouspensez?dit-ilenfin.
Comprenez-moibien.Jen'aijamaisétémarié,parcequejen'enaipaseuletemps.Depuisl'âgede
dix-huitans,quandFentonm'ajetédehors,jen'aieuqu'uneactivité:gagnerdel'argent.Pendanttrois
ans,jen'aimêmepratiquementpasdormi.Etvousvenezmeraconterdeshistoiresdemariagesà
répétition!
—J'aipeut-êtrefaitfausseroute,sourit-ellequandileutterminé.
—Voussavezquevousêteslaplusjoliefemmequej'aiejamaisvue.
Aryanen'eutpasletempsderépondre.Unbrass'étaitenrouléautourdesataille,unemains'était
enfouiedanssescheveuxetleslèvresdeKaneTaggerts'étaientemparéesdessiennes.
Cebaiserviolent,profond,balayatousceuxqueLeanderavaitpudonneràAryane.Elleensortit
essoufflée,perdue.
—Sivousêtescapabledem'embrasserainsienenaimantunautre,ditKane,jemepasseraidevotre
amour!Allez,jevousramènechezvousetvousallezpouvoirvousoccupertoutdesuitedenotre
mariage.Acheteztoutcequevousjugereznécessaire;jedéposeraidel'argentàvotrebanquedès
demain.Jeveuxqu'ilyaitdesfleurspartout.Faites-lesvenirdeCaliforniesivousnetrouvezpasce
qu'ilfautdansmesserres.
Onsemarierachezmoi.Ilyatoutesleschaisesqu'ilfautaugrenier.Jeveuxquetouslesgensde
Chandlerviennent.
—Maisattendez!Jen'aipasditoui.Laissez-moiaumoinsunpeudetempspourréfléchir.
Taggertpritlamaind'Aryaneetellecrutqu'ilallaityposerleslèvres.
—Ilfautquejevousachèteunebague,dit-ilàlaplace.
Quevoulez-vous?Desdiamants?Desémeraudes?Comments'appellentlespierresbleues?
—Dessaphirs,répondit-ellesansréfléchir.Maisjevousenprie,nem'achetezpasdebague.Le
mariageestunechosesérieuse.Onnes'engagepasainsiàlalégère...
—Vousaveztoutvotretempspourréfléchir.Cen'estquedansquinzejours.
—MonsieurTaggert,s'énervaAryane,vousarrive-t-ild'écoutercequ'onvousdit?
—Non,jamais,rit-il.C'estcommeçaquejesuisdevenuriche.Chaquefoisquequelquechosem'a
plu,jel'aiprissanshésiter.
—Etjesuisladernièrechosedevotreliste?
—Pasladernière,lapremière.AvecunappartementàNewYork.Maintenant,jevaisvous
raccompagnerchezvouspourquevouspuissiezleurexpliquerquej'airemplacéWestfield.Ilvale
regretter.Ilapeut-êtredécrochéuneChandler,maismoi,j'aicellequiestunevraielady!
Kanefitclaquersonfouetetl'attelagedémarrasibrusquementquelajeunefillefutprojetéesurle
dossier.
ArrivédevantchezAryane,illapoussalittéralementhorsduchariot.
—Fautquejerentre.Parlezdemoiàvosparentsetjevousenverraiunebaguedemain.Sivousavez
besoindequoiquecesoit,prévenez-moioudites-leàEdan.J'essaieraidevenirdemain.
Deboutdevantchezelle,Aryaneregardalevieuxchariots'éloignerdansungrandnuagede
poussière.Elleavaitl'impressiond'avoirétévictimed'unouragan.
OpaletDuncanGatesl'attendaientausalon.Opal,effondréedansunfauteuil,Gatesbrascroiséssurla
poitrine,arpentantnerveusementlapièce.
—Oùétiez-vous?s'écriaDuncan,sitôtsabelle-filleentrée.
—Aryane,sanglotaOpal,tun'aspasbesoind'épousercethomme.Tutrouverasquelqu'und'autre.Ce
n'estpasparcequeLeanderafaitunebêtisequetudoisencommettreuneaussi.
—Aryane,repritM.Gates,vousaveztoujoursétélaplusraisonnabledesdeux.Déjàtoutepetite,
quandDorianeaccumulaitlesâneries—etDieusaitsiellenousenafaitvoir!
—vousfaisiezpreuved'uneremarquablesagesse.VousdeviezépouserLeander...
—EtLeandernem'épouseplus,coupalajeunefille.
—MaisKaneTaggert!gémitOpal,enfouissantsonmincevisagedansunmouchoirdedentelle.
—Maisenfin,qu'a-t-ilfaitpoursusciterunetellehostilité
?s'enflammasoudainAryane.Jen'aipasencoreacceptésaproposition,maisjenevoispasnonplus
pourquoijelarefuserais.
Opalquittasonsiègeetseprécipitasursafille.
—Maisc'estunmonstre!Regarde-le.Tutevoisvivreaveccetoursmalléché?Toustesamiste
tourneraientaussitôtledos.Ilyadeshistoiresterriblesquicourentsurlui.
—Opal!Jet'enprie!s'exclamaM.Gates.
Opal,soumise,setutetallareprendresaplace.
—Aryane,poursuivitGates,jevaisvousparlercommeàunhomme.JememoquequeTaggertait
desalluresdebûcheron.C'estvraiqu'unbainluiferaitsansdoutedubien,maiscen'estpasl'essentiel.
Ilyadesalesrumeursquicirculentsursoncompte.Ilauraitaumoinsdeuxmortssurlaconscience.
—Deuxmorts!Quivousaditça?
—Peuimportentmessources...
—Aucontraire,c'esttrèsimportant!Nevoyez-vouspasque,vexées,touteslesfemmesdecetteville
sesontingéniéesàfairecourirsurluitouslesbruitspossiblesetimaginables?
Sansparlerdeshommes!Leanderm'aracontéqueplusd'unavaitcherchéàl'escroquerententantde
luivendredefaussesminesd'or.Quivousditquel'und'euxnecherchepasàsevenger?
—Cequejesais,jel'aiapprisdesourcesûre.
—JacobFenton,murmuraAryane,aprèsunsilence,etàl'expressiondesonbeau-père,ellevit
qu'elleavaitviséjuste.
D'aprèscequej'aientendudire,poursuivitlajeunefille,KaneTaggertauraitcourtisélafillechérie
deJacobFenton,Pamela.
Pourmapart,jemesouvienstrèsbienquePamelaétaituneenfantgâtéeetjenetrouveriend'étonnant
queFentonenveuilleàsonancienpalefrenierd'avoirsongéàépousersafille.
—Etes-vousentraind'insinuerqueFentonestunmenteur?s'indignaDuncanGates.Préférez-vous
prendrelepartid'uninconnuaudétrimentd'unefamillerespectable?
—Sij'épouseKaneTaggert—j'aibienditsi—,oui,monsieurGates,jeprendrailepartidemon
mari.Maintenant,sivousvoulezbienm'excuser,jevaisallerm'al-longerunpeu,jemesensépuisée.
Aryanesortitdusalonavecuneinfiniedignité,gagnasachambreetselaissatombersursonlit.
EpouserKaneTaggert?Epouserunhommequisetenaitplusmalqueledernierdescochers?Un
goujatquilatrimbalaitdanssonvieuxchariotcommeunsacdepommesdeterre?Unhommequi
l'avaitembrasséecommeladernièredesfillesdecuisine?
Oui,maisquelbaiser!
—Etpourquoipas?murmuraAryane.
CHAPITREVI
Lelendemainmatin,leschosesétaientredevenuesclairespourAryane:illuiétaittoutàfait
impossibled'épouserKaneTaggert.Aupetitdéjeuner,Opalnecessadeselamentersurlafaçondont
Dorianeavaitruinéàjamaislaviedesasœur.
Auxyeuxd'Aryane,cen'étaitpaslàunevéritabledispute,carlesdeuxprotagonistessemblaient
parfaitementd'accordsurlefonddelaquestion.
Lepetitdéjeunerterminé,les«bravesgens»
commencèrentàfairedesvisitesimpromptues.
—ChèreOpal,jefaisaisjustementdestartesauxprunes.
Commejesaisquevouslesadorez,jemesuisdit:«Tienssij'enportaisuneàOpal?»Aufait,
commentvontlesjumelles
?...
Amidi,onnecomptaitpluslesgâteauxetlamaisonétaitpleinedemonde.M.Gatessefitporterà
déjeunerdanssonbureau;aussilestroisfemmesdurent-ellefairefaceseules.
—Etes-vousvraimenttombéeamoureusedeM.Taggert,Aryane?
—ChèremadameTreesdale,répondaitlajeunefille,vousreprendrezbienunepartdecedélicieux
gâteau.
Dorianeparvintàs'éclipseretnereparutqu'àtroisheuresdel'après-midi.Elleconstataaveceffroi
qu'unegarden-partyimproviséesetenaitsurlapelouse.
Atroisheuresetdemie,unlandaus'arrêtadevantlaporte.Nuln'enavaitencorevudesibeauà
Chandler.Laquédeblanc,surmontéd'unecapotecrème,lesiègeenétaitcapitonnédecuirrouge.
Lesilencesefitquandl'ouvrierquileconduisaitdescenditdel'attelageettraversalapelouse.
—QuiestMlleAryaneChandler?demanda-t-il.
Aryaneavançad'unpas.
—Cettevoiturevousestofferteparvotrefuturmari,M.
KaneTaggert.Prenezbiensoinducheval,ilesttrèsbon.
L'hommerepartaitdéjàquandilfitdemi-tour.
—J'allaisoublier,fit-il,ilyaaussiça.
IlextirpaunpetitpaquetdesapocheetlelançaàAryane.
Cettefois,l'hommedisparutensifflotant,lesmainsdanslespoches.
—Alors,Aryane,fitTia,tun'ouvrespastoncadeau?
Aryanehésitait.Sielledéfaisaitlepaquetetacceptaitlabague—carellenedoutaitpasquec'enfût
une—nedevait-ellepasaussiaccepterledonateur?
L’écrinrecelaitleplusgrosdiamantqu'elleeûtjamaisvu.
Lapierre,d'uneeauparfaite,étaitentouréedeneufémeraudesformantétoile.
Aryanerefermalaboîted'unclaquementsecetsanshésitationsedirigeaverslelandau.Laseconde
suivante,elleétaitenroutepourlademeuredeKaneTaggert.
Lescoupsqu'elleassenaàlalourdeporterestantsanseffet,lajeunefilleentra.
ElletrouvaKanepenchésursespapiersdanslebureau,gribouillantdesnotesetdonnantdebrèves
instructionsàEdan,assisenfacedelui.Lesdeuxhommesétaientenveloppésdel'épaissefuméede
mauvaiscigares.
Edanlavitenpremier.Aussitôtilselevaetdonnaunebourradeàsoncompagnon.
—JesupposequevousêtesEdan,ditAryane,s'approchantdeluietluitendantlamain.JesuisAryane
Chandler.
—Enchanté.
—MonsieurTaggert,j'aimeraisvousparler.
—Sic'estpourlespréparatifsdumariage,jesuistropoccupépourl'instant.Sic'estpourdel'argent,
voyezçadirectementavecEdan.
—Vousnedevriezpasresterdanscetteatmosphèreenfumée,fitlajeunefille.
Elleallaouvrirlesfenêtres.
—Ditesdonc,ditTaggert,cen'estpasparcequevousallezêtremafemmequ'ilfautmedonnerdes
ordres.
—Autantqu'ilm'ensouvienne,jen'aijamaisacceptédedevenirvotreépouseet,sijenepeuxmême
pasvousparlercinqminutesenprivé,jenecroispasquejeleseraijamais!Aurevoir,monsieur
Taggert.Aurevoir,Edan.
—Aurevoir,Aryane,réponditEdan,unpetitsourireaucoindeslèvres.
LajeunefilleentenditKanesoupirerquelquechosesurlesfemmesetleurfaçondefaireperdreleur
tempsauxhommesetpressalepas.
KaneTaggertlarejoignitpourtantcommeellearrivaitauperron.
—Jemesuispeut-êtremontréunpeubrusque,fit-il.Maisj'aihorreurd'êtredérangépourrienquand
jetravaille.Ilfautquevouscompreniezça.
—Jenevousauraispasinterrompusicelan'avaitétéimportant.
—Entronsicipourdiscuter,dit-ilenouvrantlaportedelabibliothèque.Jenevousoffrepasune
chaise,iln'yenapas.
Maissivoustenezabsolumentàvousasseoir,onpeutallerdansmachambre.
—Iln'enestpasquestion!MonsieurTaggert,jeveuxsavoirsivotreoffredemariageestsérieuseou
non.
—Vouscroyezvraimentquejeperdraistoutcetempsàvousfairelacoursijen'étaispassérieux?
—Lacour!...Oui,jesupposequec'estainsiquevousnommez
votre
attitude
d'hier.
Bon,
répondez-moi
franchement.Avez-voustuéoufaitassassinerquelqu'un?
KaneTaggertdemeuraquelquessecondesbouchebée.
Unelueursombretraversasonregardpuiscédaviteplaceàuncertainamusement.
—Non.Jen'aijamaistuépersonne.D'autresquestionsmeconcernant?
—Toutcequevousestimerezdevoirmedire.
—Iln'yapasgrand-chose.J'aigrandidanslesécuriesdeFenton.J'aieuuneaventureavecsafilleet
ilm'afichudehors.
Depuis,j'aitoutfaitpourfairefortunemaisjen'ainituénivolé.Jen'aijamaisbattuunefemmeetj'ai
assommélenombred'hommesqu'ilestraisonnabled'assommerdansunevie.Est-cetoutcequevous
vouliezsavoir?
—Oui.Maintenant,autrechose.Vousm'avezdemandéd'arrangervotremaison,maisquedois-je
faireencequivousconcerne?
—Maiscequevousvoudrez,répondit-il,posantsurelleunregardlourddesous-entendusqu'elleeut
dumalàsoutenir.
—MonsieurTaggert,repritAryane,jeconnaisdeshommesquitravaillentdanslesminesetquisont
mieuxvêtusquevous.Votrelangage,sansparlerdevosmanières,estabominable.Mamèreestmorte
deterreuràl'idéequejepuisseépouserunbarbaredevotreacabit.Commejen'aipasl'intentionde
fairevivremamèredansl'horreurjusqu'àlafindesesjours,voudrez-voussuivremesinstructions?
—Vosinstructions?Maisquediablevoulez-vousm'apprendre?
—Tout.Commentvoushabiller,commentmanger...
—Maisjemangetrèsbien.J'aiunexcellentappétit!
—MonsieurTaggert,vousaimeriezêtrecomparéàdesmilliardairescommelesVanderbiltetles
Gould.Avez-vousjamaisétéinvitéchezeuxenprésencedeleursfemmes?
—Non,setroubla-t-il.C'est-à-direoui,unefois.Maisilyaeudelavaissellebrisée.
—Jevois,soupiralajeunefille.Jemedemandecommentvouspouvezespérerfairedemoivotre
femme,medemanderdem'occuperdevotredemeuréetdedonnercesréceptionsquivoustiennent
tantàcœursivousnesavezmêmepasmangerunepêcheavecvotrefourchetteetvotrecouteau.Car
vousnesavezpas,n'est-cepas?
—Quelleimportance?Jenemangejamaisdepêche.J'aihorreurdeça.Cequ'ilfautàunhomme,
c'estdelaviandeetiln'apasbesoind'unefemmepour...
—Aurevoir,monsieurTaggert.
—Attendez!Vousrefusezdem'épousersijenesuispasvosleçons?
—Parfaitement.Ilfaudraaussiquevousvoushabilliezetquevousvousrasiez.
—Vousavezenviedevoirmonvisage,hein?C'estbon,combiendetempsai-jepourréfléchir?
—Jevousdonnedixminutes.
—Quivousaapprisàtraiterainsilesaffaires?grimaça-t-il.Trèsbien,àmontourdeposermes
conditions.Jesaisquevousm'épousezpourmonargent.Taisez-vous!Çasertàriendedirele
contraire.Vousn'accepteriezjamaisdem'épouseravecvoshistoiresdefourchettessijen'avaispas
cettemaisonàvousoffrirenéchange.Normalement,uneladycommevousn'accepteraitmêmepas
d'adresserlaparoleàunhommecommemoi.Jeveuxquevousfassiezcroireauxgensque...
.C'est-à-dire...Enfin,quevousêtesréellementtombéeamoureusedemoi.Quevousnem'épousezpas
parcequevotresœurajetésonbonnetpar-dessuslesmoulinsetqueparhasardjepassaisparlà.
Mêmevotresœur,jeveuxqu'ellecroiequevousêtesfolledemoi.Pareilpourvotremère.Pas
questionqu'elleaitpeurdemoi.
Aryanes'étaitattendueàtoutsaufàcela.Entenantcediscours,KaneTaggertavaitsoudaineul'air
toutàfaitdésemparé,presquepitoyable.
Lajeunefillecompritbrusquementquel'hommequ'elleavaitdevantelleétaitundéclasséetqu'ilen
souffrait.Ilétaittroprichepourêtreacceptéparlesgensdontpourtantilavaitlesmanières.Etceux
dontsafortunelefaisaitl'égallerejetaientparcequ'iln'étaitpasdeleurmonde.
«Ilabesoindemoi,pensa-t-elle.Plusquequiconquejusqu'àcejourdansmavie.PourLeander,je
n'étaisqu'unesatisfactiondeplus.Jeneluiétaispasnécessaire.Pourcethomme,toutcequej'aipu
apprendreestindispensable.»
—Jememontrerailaplusaimantedesfemmes,dit-elle.
—Vousallezvraimentm'épouser?
—Jecroisbien,s'entendit-ellerépondre.
—NomdeDieu!s'écriaTaggert.Edan!Arriveicitoutdesuite.LadyChandleraditoui!
Aryaneselaissatombersurlereborddelafenêtre.SiKaneTaggertépousait«ladyChandler»,qui
doncépousait-elle?
LanuitapprochaitquandAryanerepartitchezelle.
DiscuteravecKaneTaggertétaituneinterminablepartiedebras-de-feretellesesentaitépuisée.
Ilavaitcruqu'elleassisteraitseuleàtouteslesréceptionsavantleurmariageetqu'ilpourrait
tranquillementresterdanssonbureauàbrassersesaffaires.
—Sil'onnenousvoitpasensemble,personnenecroiraquenousnousaimons.Ilfautquevous
veniezàlagarden-partyd'après-demainetd'icilàvousdevezêtreraséetavoiruncostumedécentà
porter.
—Jesuisentraind'acheterdesterrainsenVirginie.Unhommedoitveniricidemainetiln'estpas
questionquejesorte.
—Vouspouveztrèsbienparleraffairespendantlesessayages.
—Vousvoulezquejemelaissetripoterparundecestypesmaniérés?Jamais.Faites-moivenirdes
costumesicietj'enchoisiraiun.
—Rougeouviolet?
—Rouge.Unefois,j'enaivuunrougeàcarreaux...
Aryanevitlemomentoùelleallaitcrier.
—Ecoutez-moibien,untailleurvavousfaireuncostumesurmesureetc'estmoiquichoisiraile
tissu.Vousviendrezavecmoiàcettegarden-partyetvousassisterezégalementàdiversesréceptions
danslesdeuxsemainesàvenir.
—Vousêtessûrequelesvraiesladiessontaussiautoritaires?Jecroyaisqu'ellesn'élevaientjamaisla
voix.
—Jamaisaveclesgentlemen,eneffet.Maisavecdeshommesquiveulentsepavanerencostumeà
carreaux,ellesdoiventavoirrecoursàdesméthodesplusexpéditives.
Kaneavaitalorsprisuneexpressionboudeuse,maisilavaitfiniparcéder.
—C'estbon,jemeferaifaireuncostumeetj'iraiàvotremaudite...pardon,charmanteréunion.Par
contre,lesautres,jenesaispas...
—Chaquechoseensontemps.Maintenant,jerentreàlamaison,mesparentsdoivents'inquiéter.
—Attendez,venezunpeuici.
Pensantqu'ilvoulaitluimontrerquelquechose,Aryaneobéit.Ellefutprisesansménagementparun
poignetetseretrouvasurlesgenouxdel'homme.
—Amontourdevousdonnerdesleçons,fit-il.Jesuissûrquej'aipleindechosesàvousapprendre.
LeslèvresdeKaneremontèrentlelongdesoncou,mordillèrentdoucementlelobedesonoreille
puisvinrentseposersurlessiennes.Aryaneavaitenviedeprotestermaissoncorpslatrahissait.
—Kane,fitsoudainEdan,entrantdanslebureau.Oh,pardon...
TaggertremitAryanedeboutavecunepetitetapequilafitrougirjusqu'àlaracinedescheveuxetelle
s'empressadesortirdelapièce.
Lajeunefilleralentitlacoursedesonchevalenapercevantsamaison.Maintenant,ilallaitfalloir
annoncerlanouvelleàsesparents!
Pourquoiavait-elleacceptéd'épouserunhommequ'ellen'aimaitpas,quinel'aimaitpas?Unhomme
quilamettaitsanscesseencolère?Unhommequilatraitaitcommeunobjet?
Aryanetrouvatrèsvitelaréponse:KaneTaggertlafaisaitsesentirvivante.KaneTaggertavait
besoind'elle.
Etsesentirsoudainréellementutilefitbondirsoncœurjoyeusementdanssapoitrine.
CHAPITREVII
Asagrandesurprise,maisaussiàsongrandsoulagement,lamaisonétaitremarquablementcalme
quandAryaneypénétraparlaportedelacuisine.ElleytrouvalacuisinièreetSusanentraindefaire
lavaisselle.
—Est-cequetoutlemondeestcouché?demanda-t-elle.
—Oui,MademoiselleDaryane,plusoumoins.
—Aryane,répondit-ellemachinalement.Susan,vousvoulezbienmepréparerunplateauetmele
monter?
Danslevestibule,Aryaneaperçutunesuperbegerbedefleurs.Surlebristol,cesquelquesmots:«A
mafutureépouse,Doriane.Leander.»
Duranttoutletempsdeleursfiançailles,jamaisLeanderneluiavaitfaitparvenirlemoindrebouquet
!
Aryaneredressafièrementlementonetgravitl'escalier.
Lajeunefilleretrouvaavecplaisirsagrandechambreblancheetturquoise.Ellecommençaitàse
déshabillerquandSusanentra.
—Jesaisqu'ilesttard,maisj'aimeraisquevousenvoyiezWillieencourse.Qu'ilportecemotàM.
Bagly,letailleurdeLeadAvenue.Qu'illeluiremetteenmainpropre,mêmesipourcefaireildoitle
sortirdulit.Ilfautqu'ilsoitaumanoirTaggertdèsdemainmatinàhuitheuresprécises.
—AumanoirTaggert?C'estdoncvrai,Mademoiselle,quevousallezl'épouser?
—Quediriez-vousderesteràmonserviceetdevenirtravaillerlà-bas,Susan?
—Jenesaispas,Mademoiselle.Est-cequeM.Taggertestaussiépouvantablequ'onledit?
—Quevousa-t-onraconté?
—Qu'ilsemetsouventencolère,qu'ilcrietoutletempsetqu'iln'estjamaissatisfait.
—J'aipeurquecenesoitunpeuvrai,soupiraAryane.Entoutcas,ilnebatpaslesfemmesetil
n'escroquepaslesgens.
—Sivousn'avezpaspeurd'allervivreaveclui,MademoiselleAryane,jeviendraiavecvous.Jene
croispasqueceseratrèsdrôlederestericiquandMlleDorianeetvousserezparties.
AryanepoussaunnouveausoupiretrédigeaunautremotpourqueM.Applegate,lebarbier,passe
chezKaneTaggertàneufheures.
—Dites-moi,Susan,n'avez-vouspasdeuxfrères?
—Si,Mademoiselle.
—Ilmefaudraitunedemi-douzained'hommessolidespourtoutelajournéededemain.C'estpour
bougerdesmeubles.IlsserontbienpayésetbiennourrisetdevrontêtrechezM.Taggertàhuitheures
etdemie.Pensez-vouspouvoirmelestrouver?
—Oui,Mademoiselle.
Aryaneécrivitencoreunmot.
—Tenez,queWillieportececiàMmeMurchinson.
Qu'elleviennelà-basfairelacuisine.QueWillieluirépètebienqu'ilyatouteslesprovisionsà
acheteretqu'ellefassemettrelanotesurlecomptedeM.Taggert.DiteségalementàWilliequ'illoue
unchariotetqu'ill'accompagnedanslescourses.
Quelquesminutesplustard,Aryaneseglissaitavecdélicessouslescouvertures.Pourlapremière
foisdepuisplusieursjours,ellenesesentaitpastristeàmourir,maisplutôtsatisfaite.
Elleavaitobtenudesasœurunesoiréed'aventureetilsemblaitquecelle-civeuilleseprolonger!
QuandSusanvintfrapperàsaporte,àsixheuresdumatin,Aryaneavaitfinisatoiletteetétaitdéjà
touthabillée.
Elledescenditsurlapointedespiedspourneréveillerpersonne,déposaunmotsurlatabledelasalle
àmangerafindeprévenirsamèrequ'ellepartaitpourlajournée,puisallaprendreunrapidepetit
déjeuneràlacuisine.
Ellegagnaensuitelesécuriesoù,soussesinjonctions,Willie,encoretoutendormi,attelalelandau.
—As-tubiendonnétouslesmessages,Willie?
—Oui,Mademoiselle.J'airendez-vousavecunchariotàsixheuresetdemieavecMmeMurchinson.
Ellevoulaitsavoircombiendepersonneselledevraitnourrir.
—Dis-luiunevingtaine,commeçaonnemanqueraderien.Dis-luiaussid'achetertouteunebatterie
decuisine.
JedoutequeM.Taggertaitçachezlui.Ettâchezd'êtrelàbasleplusvitepossible.
AryanearrivadevantchezKane,dételasonchevaletallal'attacheràl'ombre.Lagrandedemeure
paraissaittoujoursendormie.
Elleallafrapperàlaportedelacuisineet,commepersonneneluirépondait,elleentra.Lavaste
pièceétaitdéserteetlajeunefilleentrepritd'enexplorerlesplacards.
Commeelles'yétaitattendue,ilsnerecelaientpratiquementrien.Apartquelquesboîtesdeconserves,
unemauvaisecasseroleetunevieillepoêle,lesrayonnagesétaientdésespérémentvides.
Elleexploraensuitelescommunspuis,ayantdécouvertl'escalierdeservice,partitàlarecherchedes
greniers.
CequeKaneTaggertavaitnommé«greniers»étaitenfaitleschambresdesdomestiquesquipour
l'instantservaientd'entrepôt.Chacuned'ellesétaitbourréedecaissesetdemeublesrecouvertsde
houssespoussiéreuses.
Aryaneensoulevauneauhasardetdécouvrituneravissantebergèredoréeàlafeuille,dontla
tapisseriefanéeétaitunfouillisderoses,d'amoursetderubans.Ellelutl'étiquetteattachéeaufauteuil
etenrestalesoufflecoupé.
«MilieuXVIII*,était-ilinscrit.TapisseriedesGobelins.AuraitappartenuàMmedePompadour.Fait
partied'unesériedesixsiègesetdeuxcanapés.»
Unecaissecontenantapparemmentuntableauétaitsuccinctementlibellée:«Watteau.»Uneautre
portaitlamention:«Gainsborough.»
LajeunefilledécouvritlabergèredeMmedePompadourets'yassit.Latêteluitournaitunpeu
depuisqu'elleavaitcomprisquetoutcequisetrouvaitlàméritaitd'êtredansunmusée.
L'arrivéed'unattelagemaltraitantlegravierdelacourlatiradesespensées.
—MonDieu,M.Bagly!s'écria-t-elle.
M.Baglyétaitunpetithommemalingrequisoussesalluresfragilescachaituntempérament
tyranniquequesaréputationdemeilleurtailleurdeChandlerluipermettaitd'extérioriser.
—Bonjour,Daryane,fitBaglyens'approchant,suividesonassistant.
—Bonjour,entrez.JenesaispassivousêtesaucourantmaisM.Taggertetmoi-mêmenousmarions
dansquinzejoursetilabesoind'unegarde-robecomplète.Maisdansl'immédiat,illuifautunhabit
pourserendredemainàuneréception.Pantalonetgiletenvigognegriseetvesteencachemire.
Pensez-vousquecelapourraitêtreprêtpourdemainquatorzeheures?
—Jenesaispas.J'aid'autresclients.
—Jesuiscertainequ'aucund'euxn'estaussipresséqueM.Taggert.Mettezautantd'ouvriersqu'ilsera
nécessairesurcetravailetneregardezpasàladépense.
—Jepensequejepourraiarrangercela.Maintenant,sinouspouvionsprendrelesmesuresdeM.
Taggert...
—Ilestàl'étage,jecrois.
—Ecoutez,Daryane,jevousconnaisdepuistoujoursetjesuisprêtàmettretousmesautrestravaux
enattentepourvousfaireplaisir.Jesuisvenucematintrèstôtpourlamêmeraisonmaissachezqu'en
aucuncasjenemonteraiencorecesmarches.JecroisquenousreviendronsquandM.Taggertsera
réveillé.
—Mais,danscecas,vousn'aurezplusassezdetempspourfairesoncostume.MonsieurBagly,je
vousenprie.
—Ecoutez,jeveuxbienattendreunedemi-heure.Si,passécedélai,M.Taggertn'estpasdescendu,
nouspartirons.
Aryanehochalatête,réunittoutsoncourageetmontaàl'étage.
Lepremierledisputaitensplendeuraurez-de-chausséeetlajeunefilledemeuraquelquesinstants
méduséesurlepalierformantgalerie.Unevastesallecirculairepavéedemarbrevertetblanc
s'ouvraitdevantelle.Lalumièreypénétraitàflotsparuneverrièreenformededômeetl'immense
baievitréeenarcdecerclequidonnaitsurlejardin.Desplantestropicales,véritablesarbres,
plongeaientleursracinesdansdesbacsdepierresculptéeetentouraientlebassincentralquiattendait
toujourssamiseeneau.Çàetlà,desbancsdeferforgélaquésdeblancincitaientàlarêverieencet
étrangejardinexotique.
—J'ymettraidesoiseaux,murmuraAryane.
Dansl'immédiat,lajeunefilleavaitpourtantd'autreschatsàfouetter:illuifallaittrouverKaneau
plusvite.
Elles'engageadanslecouloiretcommençaàouvrirlesporteslesunesaprèslesautres.Auboutdela
troisième,elleaperçutunetêteblondeémergeantdecouverturesendésordre.Evan.Inutiledele
réveiller.
Cenefutquetoutauboutducorridorqu'elletrouvaenfinlachambredumaîtredemaison.
Unecouverturesuspenduesurunfildeferdevantlafenêtrelaplongeaitdansunedemi-obscurité.Le
mobilierselimitaitàungrandlitdechêne,unemauvaisetablecouvertedepaperassesetdeux
fauteuilsbonmarché,tapissésdepelucherougeetfrangésdejaune.
—Pardon,madamedePompadour,murmuraAryane,levantlesyeuxauciel.
D'unpasdécidé,ellegagnalafenêtreetarrachalacouverture.
—Bonjour,monsieurTaggert!dit-elled'unevoixforteens'approchantdulit.
Kaneseretournasurledos,grognaetcontinuaimperturbablementàdormir.
Sonlargetorsenuémergeaitdesdrapsfroissésetlajeunefillerougitenpensantquesanuditéne
s'arrêtaitsûrementpaslà.
Commeelleatteignaitleborddulit,unemainlasaisitetelles'yretrouvaallongée,desbraspuissants
l'enlaçant,unebouchecherchantlasienne.
—Vousnepouviezplusattendre,hein?Vousavezraison,j'aitoujoursaiméfairel'amourauréveil.
Aryanetentadesedébattremaiscomprittrèsvitequ'ellen'yarriveraitpas.Ilfallaittrouverautre
chose.Elleparvintàs'emparerdelacruchequisetrouvaitsurlatabledechevetetl'abattitsans
vergognesurlatêtedeKane.
Commeilseredressaitd'unbond,dégoulinantd'eauaumilieudesdébris,elleenprofitapour
s'échapper.
—Maisvousêtescomplètementfolle!Vousauriezpumetuer!
—Maisnon,jemedoutaisbienquecettecruchen'étaitpasdemeilleurequalitéquevosmeubles.
—Ditesdonc,espècedepetite...
—Assez,monsieurTaggert!Sivousvoulezquejedeviennevotrefemme,apprenezdèsmaintenantà
memontrerdurespect.Jen'aipasl'intentiond'êtretraitéecommeunefillequevousavezlouéepour
lanuit!Dites-vousbienquejenesuispasiciparcequejemeursd'enviedepartagervotrecouche.Il
yaenbasuntailleurquiattendpourprendrevosmesures.Desdéménageursdoiventégalement
arriverd'uneminuteàl'autre,ainsiqu'unecuisinière,etunbarbierpourvousdébarrasserdetoutce
poilquivousmangelevisage.Aucasoùvousl'auriezoublié,unmariagedoitavoirlieuicidans
moinsdedeuxsemainesetjedoispourcelanonseulementmettrecettemaisonenordremaisvous
faireégalementressembleràunêtrehumain.Danscesconditions,iln'estpasquestionquevousvous
vautriezdansvotrelittoutelajournée!
Compris?
—Est-cequejesaigne?demanda-t-il,portantlamainàsoncuirchevelu.
Aryanepoussaunsoupiretvintàluipourl'examiner.
Aussitôt,unbrasmuscléenlaçasatailleetKaneenfouitsonvisagedanssoncorsage.
—C'estàvous,toutça?
—Vousêtesinsupportable!s'écria-t-elleenlerepoussant.Allez,debout!Etsoyezenbasleplusvite
possible.
Lajeunefilletournalestalonsetsortitàgrandspas,ignorantlescommentairesdésobligeantsqui
ponctuaientsasortie.
Aneufheures,lesmensurationsdeKaneavaientétéprisesnonsansmal.Ilnesupportaitpaslesmains
deM.Baglyetdesonassistant,pasplusqu'ilnesupportaitqu'Aryanechoisisselesétoffesàsaplace.
Lajeunefilleavaitdûrenvoyersur-le-champdeuxdesdéménageursquiluiavaientmanquéde
respect.QuantàMmeMurchinson,elles'étaitenferméedanslacuisineenpestantcontrel'absencede
toutustensile.
Quandlebarbierparut,Aryanes'empressadesortirdanslejardinetd'allerexplorerlesserresdont
ellerêvaitdepuislongtemps.
Ellerefermaderrièreellelelourdpanneauvitréetpoussaunsoupirdesatisfaction:enfinunpeude
calmeetdebeauté!
—Ilcommençaitàyavoirtropdebruitpourvous,n'est-cepas?
AryanedécouvritEdanrempotantunesuperbeazalée.IlétaitaussigrandetfortqueKanemaisdevait
êtreunpeuplusjeune.
—Jesupposequenousvousavonsréveillé,dit-elle.Lamaisonn'acesséderetentirdecris...
—J'ail'habitude.DèsqueKaneestquelquepart,toutlemondesemetàcrier!Venezquejevous
montremesplantes.
—C'estvousquivousoccupezdujardin?
—Pastoutàfait.IlyaunefamilledeJaponaisquivitdansunpavillonàl'autreboutduparc.Mon
domaineréservéselimiteauxserres.J'aidesplantesquiviennentdesquatrecoinsdumonde.
Avecunegrandefierté,lejeunehommemontraàAryanecertainesdesesmerveilles:simples
cyclamensouprimevères,maisaussiorchidéesraresetfougèresarborescentes.
—Commevousavezdelachancedepouvoirvenirvousisolerici,soupiraAryane.
—Kanevousdonnedufilàretordre,n'est-cepas?
—Sil'onveut.Jeluiaicasséunecruchesurlatêtecematin.
Edanpritunairéberluépuiséclataderire.
—Ilm'estaussiarrivéplusd'unefoisd'envenirauxmains,confia-t-il.Dites-moi,avez-vous
vraimentl'intentiond'enfaireunhommecivilisé?
—J'espèreréussir,maisilmefaudratrouverd'autresmoyensquelescoups.Maisaufait,Edan,
j'ignoretoutdevous.
Commentenêtes-vousarrivéàvivreavecKane?
—Ilm'atrouvédansuneruelledeNewYorkoùjeparvenaisàsurvivreenfaisantlespoubelles.
J'avaisdix-septans.Quelquessemainesauparavant,mesparentsetmasœurétaientmortsasphyxiés
parlesémanationsdupoêle,dansletaudisoùnousvivions.J'étaissansaucuneressourceetjevenais
justededéciderdem'ensortirendévalisantlespassants.Manquedechance,ouplutôtgrâceauciel,
mapremièrevictimes'esttrouvéeêtreKane.
—Sacarrurenevousapasdissuadé?
—Peut-êtrequ'inconsciemmentjen'avaispasenviederéussir.Toujoursest-ilqueKanem'a
neutraliséendeuxtempstroismouvements.Maisaulieudemelivreràlapolice,ilm'aemmenéchez
luietm'adonnéàmanger.Iln'avaitquevingt-deuxans,maisilavaitdéjàcommencédefairefortune.
—Etvousnel'avezplusquitté.
—Exact.Maisjen'aipasvécuàsescrochetspourautant.
Ilm'afaittravaillertoutelajournéeet,lesoir,ilm'expédiaitàdescours.C'estunhommequiestime
quedormirestunepertedetemps.Onnesecouchejamaisavantquatreheuresdumatin,c'est
pourquoivousnousavezencoretrouvésaulitenarrivantaujourd'hui.
Edans'interrompitetregardaàtraverslesvitresdelaserre.
—Ah!Ilsembleraitquelebarbieraitfaitsonoffice.
AryaneobservaàsontourlesolidegaillardquivenaitverseuxdanslesvêtementsdeKane.Elle
tournaversEdanunregardétonnétandisqueKaneentraitdanslaserre.
—Aryane!Vousêteslà?Cen'estpasmal,n'est-cepas?
fit-ilenl'apercevant.J'avaisoubliéàquelpointj'étaisjoligarçon.
Lajeunefilleneputs'empêcherderirecarildisaitvrai.
Rasédeprès,l'hommedesboiss'étaittransforméendieudel'Antiquité.
—Sivousavezfiniaveclesplantesd'Edan,venezavecmoi.Ilyadesodeurssensationnellesqui
sortentdelacuisineetjemeursdefaim.
Aryanelesuivitetlorsqu'ilsfurentdehors,Kanelapritparlebras.
—Ilfautquejevousdisequelquechose,Aryane,commença-t-il,embarrassé.Jenevoulaispasvous
sauterdessuscematin.J'étaisencoreàmoitiéendormietvousétiezsijolie!Jenevousauraispasfait
demal,voussavez.Jesupposequejenesaispasm'yprendreaveclesfemmes...Maisj'apprendrai
trèsvite!ajouta-t-ilavecunsourire.
—Asseyez-voussurcebanc,répondit-elle,etlaissez-moiconstaterlesdégâts.Çavousfaittrèsmal?
demanda-t-elleentâtantl'œufdepigeonqu'ilavaitsurlesommetducrâne.
—Plusmaintenant.Vousvouleztoujoursm'épouser?
Aryaneduts'avouerqu'ilétaitbienplusséduisantqueLeanderet,quandillaregardaitainsi,elle
sentaitsesgenouxsurlepointdesedérober.
—Oui,jeveuxbien.
—Parfait!fit-il,selevantd'unbond.Allonsmanger.Edanetmoidevonstravailleretquelqu'unnous
attenddéjàdansmonbureau.Etpuis,ilfautquevoussurveilliezcesimbécilesavecleursmeubles.
Kanes'élançaverslacuisineetAryanedutpratiquementcourirpourresteràsahauteur.
Lajeunefillepassasonaprès-midiàsuperviserlesdéménageurs.Lecontenudedeuxchambresde
domestiquefutdescenduaurez-de-chausséeetdestapisinstallésdanstroispièces.Kaneétaitenfermé
encompagnied'Edanetduvisiteurdanssonbureau.Detempsàautreseséclatsdevoixs'en
échappaient,couvrantuninstantlebruitdesouvriers.
Aunmoment,Kanepassalatêteparl'entrebâillementdesaporteetaperçutlessiègesdusalonLouis
XV.
—Vouscroyezqueçavatenirlecoup?fit-il,sceptique.
—Celafaitdeuxcentsansquecesfauteuilsrésistent,Kane.
Ilseletintpourditetréintégrasonbureau.
Acinqheures,Aryaneallarejoindreleshommespourlesinformerdesondépart.C'esttoutjustesi
Kaneluijetauncoupd'œil.Edanfitcependantl'effortdelaraccompagnerdehors.
—Edan,dites-luiquejeviendraidemainàmidiavecsoncostumeetquenousdevonsêtreàla
garden-partyàdeuxheures.
—J'espèrequ'ilaccepterad'yaller.
—Ilira.
CHAPITREVIII
SeulsAryaneetDuncanGatesfirenthonneuraupetitdéjeuner.Opalavaitl'aird'avoirperducinq
kilosenunenuit;quantàDoriane,elles'enfermaitdansunmutismepesant.
Toutenmangeant,AryanerepensaitàcequeSusanluiavaitditlematinmêmesurlecomportement
deDorianeetdeLeanderlaveille.DorianeétaitalléefairedelabarquesurlelacduparcFentonen
compagnied'unjeunehommeblond.
Ilsétaientaubeaumilieudel'eaulorsqueLeanderlesavaitrejointsàbordd'uneautreembarcationde
louageetavaitprécipitélecompagnondeDorianedanslelac.Tandisqu'ilrefaisaitsurface,Leander
avaitobligéDorianeàmonterdanssabarqueetl'avaitramenéejusqu'àlaberge.
Maiscommeilsatteignaientlebord,Dorianes'étaitemparéed'unerameetavaitjetéLeanderdansla
boue,souslesyeuxgoguenardsdespromeneurs.
AryaneauraitdûêtrefroisséedelafaçondontLeanderetsasœursedonnaientainsienspectacle;
jalousedecetex-fiancéquinemanquaitpasuneoccasiondeproclamerhautetfortsonamourpour
Doriane;jalousedesgerbesdefleursquiemplissaientquotidiennementlamaison.Iln'enétaitrien.
Lajeunefilleétaitbienpluspréoccupéedesavoiroùelleallaitplacercebureaudosd'âneen
marqueteriequipourl'instantattendaitdanslevestibuledelamaisonTaggert.
Commentfairepourtrouverquelqu'unquil'aideraitàaccrocherlesdoublesrideauxdebrocart
découvertsaugrenier
?EtKaneTaggert?Commentallait-ilsecomporteràcettegarden-party?
—Aryane,ilfautquejevousparle,ditM.Gates,lacollationachevée,faisantsursauterlajeunefille.
GatesemmenaAryanedanssonbureauetlafitasseoir,puisallaseplanter,mainsderrièreledos,
devantlafenêtre.
—Sij'aibiencompris,vousavezacceptélademandeenmariagedecethomme?
—C'estexact,réponditlajeunefille,s'apprêtantàessuyerl'orage.
Gatesgagnasonbureauetselaissalourdementtomberdanssonfauteuil.
—Aryane,soupira-t-il,jesaisquecettemaisonn'aplusjamaisétélamêmedepuisledécèsdevotre
père,maisjenepensaispasquevousauriezunjourrecoursàdetellesextrémitéspourlaquitter.
—Vouspensezvraimentquej'épouseM.Taggertpourpartird'ici?
—C'estunedesraisons,àmesyeux.Jeconçoisquel'attitudedeLeandersoitpourvousuneterrible
humiliation,maiscroyez-moi,Aryane,cen'esttoutdemêmepaslafindumonde.Vousêteslaplus
joliejeunefilledelaville,peut-êtremêmedetoutl'Etat.Voustrouverezquelqu'und'autre.Sivousle
désirez,jepeuxvousemmeneràDenveretvousfaireentrerdanslemonde.
Aryaneallal'embrassersurlajoue,sincèrementtouchée.
Jusqu'àcejour,ellen'avaitjamaiseupleinementconsciencedel'affectionqueluiportaitsonbeaupère.Lerespectdesconventionsn'avaitjamaisautorisédetelsépanchements.
—Mercidevotregentillesse.Maisnecroyezpasquej'épouseKaneTaggertparcequ'ilestleseul
hommedisponible.
—Enêtes-voussisûre?Necherchez-vouspasàprouverauxgensd'iciquevousêtescapablede
trouverunautrepartiàlasecondemême?Quesavez-vousdeTaggert?Quivousditqu'iln'yapas
quelquetarecachéedanssafamille?Sononclealaréputationd'êtreunevraietêtebrûlée.
—Sononcle?
—RafeTaggert.Iltravailleàlamine.IlnecessedecréerdesennuisàJacobFenton.
Aryanedétournaleregard.Taggertétaitunnomtrèsrépandudanslarégionetjamaisellen'avaitfait
derapprochemententreKaneetsonamieJane.Entoutcas,s'ilsétaientparents,ellen'avaitpasà
redouterdetarecachéedansl'ascendancedesonfuturmari.
—Jerefusedecroireàceshistoiresd'hérédité,dit-elle.
—Jeneparvienspasàvousreconnaître,Aryane.VousétiezsiraisonnableavecLeander!Vousaviez
apprisàvousconnaître,àvousapprécier,avantdevousengager.Etvoiciquevousacceptezce
Taggertalorsquevousneleconnaissezquedepuisquelquesjoursàpeine.
Lajeunefillesetut.Qu'aurait-ellepurépondre?DuncanGatesénonçaitdesvéritéstoutesfrappéesau
coindubonsens.
—Lemariageestunechosesérieuse,poursuivit-il.
Réfléchissezunpeuàcequevousêtesentraindefaire.
—J'aidéjàdonnémonconsentement.
—Dorianevousapourtantprouvéavecsesfoliesquetantquelacérémonien'avaitpasencoreeulieu
toutpouvaitêtreremisenquestion.Nelaissezpascettemalheureuseaffairegâchervotrevie.
Renseignez-voussurTaggert.Pourquoin'allez-vouspasvoirMarcFenton?
Ildoitbiensavoirdeschoses.J'aiessayédelecontacter,maisilrefused'entendreparlerdeTaggert.
Avous,ilnepourrarefuserdeparler.Jevousenprie,Aryane,n'agissezpasàlalégère.
Lajeunefillen'avaitpasenvied'écoutercesconseils.Ellesouhaitaitpoursuivrel'aventure.Elle
préféraitqueKaneTaggertgardesonmystère...
Maiscequeluidemandaitsonbeau-pèreétaitparfaitementsenséetellenetrouvapaslemoyendele
luirefuser.
—Jevousprometsdeprendretouslesrenseignementspossibles,dit-elle.Maissijenedécouvrerien
deterrible,jel'épouseraile20.
—Encoreunechose,Aryane.Avez-voustoujoursétéattiréeparl'argent?Vivredanscettemaison
voussemblait-ilàcepointmisérable?
—Parcequevouscroyezaussiquejememarieavecluipoursafortune!
—Evidemment.Pourquelleautreraisoniriez-vousépousercerustre?S'iln'avaitpastoutcetargent,
ilneseraitqu'unvulgairemineur,commelerestedesafamille,etnulneluiprêteraitlamoindre
attention.
—Unvulgairemineur?Vouscroyez?N'oubliezpasqu'ilacommencépalefrenieravantdedevenir
milliardaire.Ils'estfaitàlaforcedupoignet.Personnenel'aaidé.C'estjustementçaquimeplaîtchez
lui:KaneTaggertn'estpasn'importequi.Jemedemanded'ailleurspourquoipersonnenes'interroge
surlefaitqu'ilveuilleépouserunefilled'ici.Ilauraitpusemarieravecuneprincesses'ill'avait
voulu.
—Mais,Aryane,vousêtesuneprincesse!
Lajeunefillesouritetsedirigeaverslaporte.
—Ilfautquejem'enaille.JedoispasserchezM.Baglycommanderunegarde-robepourmonfutur
marietégalementunerobedemariée.JedoutequeDorianeyaitpensé.
—J'endouteégalement.Aryane,ledirecteurdelabanqueaapportécecihier,ajouta-t-ilentirantune
enveloppedesapoche.
C'étaitunreçuinformantAryanequedeuxcentcinquantemilledollarsavaientétédéposésàsonnom.
—Merci,dit-elle,tremblantunpeu,etellesortit.
Uneheureplustard,lajeunefilleétaitchezletailleurentouréed'unemultituded'échantillons.Elle
commandaunnombreimpressionnantdevêtementsentoutgenrepuisdemandaunrendez-vouspour
Edanafinqu'onluiprépareuncostumepourlemariage.
LajeunefillerepassachezelleetSusanl'aidaàsechanger.
QuandellearrivaenfinchezKaneTaggert,elleportaitunebruissanterobedesatinjaunepailleetune
capelineassortieornéedecaméliasblancs.
Ellearrêtasavoitureàl'arrièredelavastedemeureetdutreleversesjupespourendescendre.Un
longsifflementadmiratifl'accueillit.
—Superbe!fitKaneTaggertens'approchant.Jen'aijamaisvud'aussijoliesjambes,mêmechezles
plusbellesdanseusesdeLaNouvelle-Orléans!
—Jevousaiapportévotrecostume!Vousavezjusteletempsdevouspréparer.
—Mepréparerpourquoi?
Aryaneposasurluiunregardlasmaisneputs'empêcherdenoteraupassagecombienilétait
séduisantsanssabarbe.
—Lagarden-party,àdeuxheures.
—Ah,ça!ditKane,luitournantledosetrepartantverslamaison.
—Oui,ça,fit-elle,luiemboîtantlepas.J'aipenséqu'ilseraitbonquejevousdonnequelquesconseils
avantd'yaller.
Vousvoussentirezplusàl'aise.Etpuis,ilvousfautdutempspourvoushabiller...
Arrivédanslebureau,KaneramassaunpapiersursatableetregardaAryane.
—Jesuisdésolé,maisjen'aipasletempsd'yaller.Jedoistravailler.Maisallez-y,vousêtesprête.
Pourquoinepasapporterdesfleursdemapart?
—Pourquoipasdel'argent?
—Vouscroyezqueçaleurferaitplaisir?
—Aeux,non,maisàvous,oui.Vousêtesprêtàtoutpournepasavoiràlesaffronter.
—Vousvoulezdirequej'aipeurdecesbuveursdethé?
Cettebandedesnobsqui...Jen'iraipas,conclut-il,boudeur,selaissanttombersursachaise.
—Cen'estpassidramatique,Kane.Nejugezpascesgensenfonctiondeceuxquevousavezpuvoir
enville.Ceux-làsontmesamis.Jevousjurequepersonnenes'évanouirasurvotrepassage.
—Pasuneseulenetourneradel'œilenmevoyantsansbarbe?
—Essayez-vousdemefairedirequevousserezleplusbelhommedecetteréunion?
Kanetentadeluiprendrelamainmaiselles'esquiva.
—Restonsicitouslesdeux,dit-il.Noustrouveronsbienànousoccuper.Votrerobeestmagnifique.
—Pasquestion,monsieurTaggert,ritAryane.Jenemelaisseraipastenter.Ilfautquevousalliez
vouspréparerpourcettegarden-party.
Commel'hommeavançaitverselle,lajeunefillereculaetfinalement,elleseretrouvaadosséeau
mur.Alors,Kanes'yappuya,unemaindechaquecôtédesatête.
—Nousnenousconnaissonspasencore,murmura-t-il.
Vousnecroyezpasqu'uncoupledevraitavoirdesmomentsd'intimitéavantlemariage?
—Inutiledemefaireducharme,monsieurTaggert,rétorquaAryane,lefuyantunefoisencore.J'ai
l'impressionquevousavezpeurd'allerlà-bas.Sitelestlecas,jenecroispasquej'aieenvie
d'épouserunhommecommevous.
—C'estfaux!fit-il,encolère.Jen'aipeurderien.
—Alorsprouvez-leetallezvoushabiller.
Kanerangeaitnerveusementsespapierssursonbureauetenlevoyantsiagité,manifestementen
proieàunvéritableconflitintérieur,lajeunefillesesentitsurlepointdecéder.
Vite,elleseressaisit.
—C'estbon,dit-ilenfin.J'irai.Maisj'espèrequevousn'aurezpasàleregretter.
—Moiaussi,jel'espère,soupiraAryanequandKanefutsortienclaquantlaportederrièrelui.
TandisqueKanesepréparait,Aryaneinspectalesmeublesdisséminésauhasarddespièces.Aubout
d'unedemi-heure,alorsqu'ellecommençaitàpenserqueKanes'étaitenfuiensautantparlafenêtre
desachambre,Aryanel'aperçutsurlepasdelaporte.
Vêtud'unevestenoire,d'unpantalondeflanellegriseetd'unechemiseblanche,iltenaitàlamainune
cravatedesoiegrisperle.
—Jenesaispaslanouer,avoua-t-il.
Lajeunefilleneputs'empêcherdel'admirer.Lesvêtementsbiencoupésfaisaientressortirlalargeur
desesépaulesetl'étroitessedeseshanches;quantàlavestesombre,elleaccentuaitlesténèbresde
sescheveuxetlehâledesonvisage.L'idéedeparaîtreàlaréceptionencompagnied'unaussi
séduisantcavaliergonflasoudainsapoitrined'uneboufféedefierté.
—Savez-vousattachercetruc?insistaKane.
—Ce«truc»estunecravate,corrigeaAryane.Etoui,jesaislanouer.Asseyez-vous,jevousprie.
Kaneselaissatombersurl'unedesbergèresavecdesairsdemartyr.
—Lagarden-partysetientchezunedemesamies,TiaMankin,expliqualajeunefilletouten
officiant.Lebuffetserainstallésurdelonguestablesoùchacuniraseservir.Toutcequevousaurezà
faire,ceserad'allerd'ungroupeàl'autreetdedirequelquesmotsaimables.J'essaieraidenepasvous
quitter.
Kanerestaitsilencieux.Quandelleeutfinideluiarrangersacravate,Aryaneleregardadansles
yeux,sedemandants'ilétaitbienl'hommesurlequelelleavaitbrisésansvergogneunpichetd'eau.
—Ceseravitefini,reprit-elle,etnouspourronsrevenirici.
Brusquement,Kanelapritdanssesbrasetl'embrassapassionnément,semblantpuisersoncourageà
lasourcefraîchedeseslèvres.
—Bon,débarrassons-nousdecettecorvée,dit-ilenlarelâchantetengagnantrapidementlaporte.
Aryanenepouvaitplusbouger.SiKanenesemblaitnullementperturbéparlebaiserqu'ilsvenaient
d'échanger,elleneparvenaitpasencoreàreprendresesesprits.
—Alors,vousvenez?s'impatienta-t-il.
—Oui,oui,j'arrive,sourit-elle.
Tandisqu'ilsroulaientverschezTia,Aryanedonnaàsoncompagnonsesdernièresinstructions.
—Sivousvoulezquelesgensprennentnosfiançaillesausérieux,ilfaudravousmontrerprévenantà
monégard.Restezprèsdemoi,tenez-moiparlebras...Vousvoyezcequejeveuxdire.Ah,aussi,
n'oubliezpasdem'ai-deràdescendredevoiture.
Toutenmenantsoncheval,Kanesecontentaitdehochersilencieusementlatête.
—Etsouriez!reprit-elle.Lemariagen'esttoutdemêmepasunecatastrophe!
—Ilfaudraitdéjàquej'arriveàsurvivreauxfiançailles...
LesgensquisepressaientdanslejardindesMankinbrûlaientdecuriositéetd'impatiencedevoir
arriverAryaneetKane.Malgrétousleurseffortspourdemeurerdistants,ilsnepurents'empêcherde
seprécipiterautourdelacalèchelorsqu'elles'arrêtadevantlagrille.Ungrandsilencesefitalors:
l'oursmalléchés'étaitmétamorphoséengentleman!
Kanenesemblaitpasvoirlesréactionsdesgens,maistandisqu'ilaidaitAryaneàquittersonsiège,
cettedernièrelessavourait.
Unefoisàterre,lajeunefillepassadélicatementsonbrassousceluidesoncavalieretl'entraînavers
lesinvités.
—Permettez-moidevousprésentermonfiancé,KaneTaggert,dit-elle.
Vingtminutesplustard,KaneavaitétéprésentéàtoutlemondeetAryanecommençaitàsedétendre.
—Alors,cen'étaitpassidifficilequeça,murmura-t-elleàKane.
—Pastrop,grogna-t-il.Voulez-vousmangerquelquechose?
—Paspourl'instant,maisjeboiraisvolontiersunpunch.
Vousvoulezm'excuserquelquesinstants,jedoisparleràquelqu'un.
Aryanes'éloignapuiss'arrêtapourobserveràladérobéeKanesedirigeantverslebuffet.Nombrede
femmesluijetaientdesregardsadmiratifsetMeredithLechnerl'arrêtapourluiparler,nonsansavoir
auparavantjetéunœilinterrogateuràAryane,commepourluidemandersapermission.
Lajeunefilles'amusaitbeaucoupdevoirquelehideuxcrapauds'étaitchangéenPrinceCharmantque
toutlemondeluienviait.«Direqu'ilasuffid'unboncoupdecruchesurlatête»,sedit-elleen
pouffantderire.
LajeunefillerepritsonsérieuxetallarejoindreleRévérendThomasquisetenaitunpeuàl'écart.
—Lemoinsqu'onpuissedire,c'estquetul'aschangé,sourit-il,endésignantKane,quedésormais
troisfemmesentouraient.
—Peut-êtreunpeuensurface,oui.Ilfautquejevousparle,repritAryane.Lasemainedernièreàla
mine,JaneTaggertm'afaitl'impressiondetoutsavoirdemoi.Est-cevrai?
—Oui,ellesaittout.
—Mais,commenta-t-ellefait?
—Jeleluiaidit.Illefallait.Jevoulaisquetuaiesunealliéeentièrementdévouéedansl'enceintedu
camp.
—Maissijamaisonmedécouvre?Janerisqued'avoirencoreplusd'ennuissielleestaucourant.
—Aryane,tunepeuxprendresurtoitouteslesresponsabilités.Janeestvenuemetrouvervoici
quelquesmoisetm'ademandédeluidiretoutelavérité.Jel'aifait.
—Saviez-vous,Révérend,queJaneetKaneétaientparents?
—Cousinsgermains,précisalepasteur.Dèsquej'aiapprisvosfiançailles,jesuisallétrouverJane.
Biensûr,lesgardesnevoulaientpasmelaisserentrer,maisjesersunmaîtrepluspuissantqueleleur
etilsontfinipars'incliner.NiJaneniaucunmembredesafamillen'ontjamaisvuKane.Ilsemble
qu'ilyaitunsecretautourdesanaissance.Quelquechoseconcernantsamère.Janepensequ'elle
était...unefemmelégèreetquelepèredeKaneavaitdesdoutessursapaternité.Celaexplique
pourquoiKaneagrandichezFentonetnonpasdanslafamilleTaggert.
—Savez-vouscequesontdevenussesparents?
—Janeestpersuadéequ'ilssontmorts.Aryane,poursuivitlepasteurenposantunemainsurlebras
delajeunefille,es-tusûredevouloirl'épouser?JesaisqueLeandert'ablessée,mais...
—J'ensuiscertaine,coupaAryane,incapabledesupporterunnouveausermon.Maintenant,sivous
voulezbienm'excuser,jevaisrejoindremonfiancéavantqu'onmelevole.
Lesinvitéssebousculèrentsurlepassaged'Aryanepourl'interroger.
—Es-tuvraimenttombéeamoureusedeluialorsquetusortaisavecLeander?
—Ilesttrèsséduisant,Aryane.Vousavezfaitdesmerveilles.
—Leandera-t-ileulecœurbriséquandtuluiasannoncélanouvelle?
—Aryane,ilfautabsolumenttoutnousdire!
Lajeunefilleparvintenfinàrejoindresonfiancéetglissasonbrassouslesien.
—Vousenavezmis,untemps,murmura-t-il.Savez-vouscequecesperruchesvoulaientsavoir?
—Non,maisj'imagine,rit-elle.Avez-vousmangéunpeu?
—Seulementdeuxdecespetitssandwichesridicules.Unhommepourraitlesavalertousd'uncoupet
avoirencorefaimaprès!Ilfautencoreresterlongtemps?Avecquiparliez-vous?
—LeRévérendThomas.
—Ahoui,celuiquevousallezaidertouslesmercredis.Nefaitespascettetêteétonnée.Jesaisplein
dechosessurvous.
Quediriez-vousd'allervousasseoiretquejevousapporteuneassiette?J'aivuquec'étaitceque
faisaientlesautreshommes.
Aryaneallas'installersousunarbre,pensantquesielleavaitétéavecLeander,ilauraitsu
naturellementaccomplirlesgestesqu'ilfallaitaumomentoùillefallait.
Soudain,uneombreluimasqualesoleil.Kaneétaitdevantelle,uneassiettepleineàlamain.
—Vousregrettezdenepasêtreavecquelqu'undeplusexpérimenté,n'est-cepas?
Lajeunefilleallaitrépondremaisellen'eneutpasletemps:unegrosseportiondepudding
spongieuxarrosédecouliscascadaitmollementlelongdesajupe.
Kaneneditrien.Sonvisages'étaitfigé:cequ'ilredoutaitdepuisledébutdelaréceptionvenaitdese
produire.
Unsilencedemorts'étaitfaitdansl'assistance,puislesrirescommencèrentàfuser,autant
d'aiguillonsdanslecœurd'Aryane.
Elleselevad'unbond,lepuddingachevantsalentedescentesurl'herbesoignéedelapelouse.
—Emmenez-moi,souffla-t-elle.Prenez-moidansvosbras,portez-moijusqu'àlavoitureetpartons.
Vite!insista-t-elle,commeilnebougeaitpas.
Kaneparutenfinsortirdesastupeur.Ilsoulevalajeunefillecommeuneplumeetl'emportaversla
calèche,tandisqu'elleseblottissaitcontresontorsepuissant.
—Pourquoim'avez-vousdemandédefaireça?s'enquit-ilsurlecheminduretour.Jenevoispasce
queçachange!
—Lestroisquartsdeshommesprésentsauraientétéincapablesdevousimiter,Kane.Ilsnesontpas
assezsolides.Etplusd'unefemmeauraitvolontierssacrifiésarobepourpouvoirfaireunesortie
aussichevaleresque.
—Maisvousnepesezrien!
—Jenepèserienpourvous,répondit-elledoucement,appuyantuninstantsatêtesursarobuste
épaule.
Kanearrêtabrusquementlecheval.
—Vousêtesunevraielady,mademoiselleChandler!Unevraiedevraie!
CHAPITREIX
Aryaneentraencoupdeventdanslesalonoùsamèrebrodaitpaisiblement.
—Vite,maman,ilfautm'aider!
—Aryane!Tarobe!Tucroisqueçapartira?
—Jenesaispas,onverrabien.JevoudraisquetuaillestenircompagnieàKanependantquejevais
mechanger.Ilattenddehorsetj'aipeurqu'ilnes'enaillesitun'yvaspas.
—TuveuxdireceM.Taggert!Ilestici?
—Ecoute,maman,ilfautyaller.Ilesttrèsmalheureux.Ilarenverséuneassiettepleinedegâteausur
marobeàlagarden-partyettoutlemondes'estmisàrire.Situavaispuvoirsonvisage!Jecrois
quejamaisjen'avaisvuquelqu'und'aussihumilié.Jet'enprie,valuitenircompagniequelques
minutes.Jeneveuxpasqu'ils'enaille.
—Jenevoispaspourquoiilssesontmoquésdelui.Cegenred'accidentpeutarriveràtoutlemonde
!
—Oh,merci,maman!s'écrialajeunefilleenl'embrassant.
—Maisjen'aipaspromisd'yaller!Etquevais-jeluidire?
Troptard:Aryaneavaitdéjàquittélapièce.
Susanattendaitsamaîtressedanssachambreetl'aidaàsedéshabiller.
—Vite,portecetterobeàlabuanderiependantquelatachen'estpasencoresèche!
Quandlaservanterevint,Aryaneétaitentraind'écrire.
—JefaisunmotqueWilliedevraporterimmédiatementàMmeMurchinson.Dis-luiqu'unefoischez
M.Taggert,jeveuxqu'ilmontedirectementaugrenier.Arrivélà-haut,qu'ilprennelecouloirde
gaucheetqu'ilentredansladeuxièmepiècesurladroite.Elleestpleinedemeubles.Contrelemurdu
fond,ilyauntapisdeBoukhara.Non,dis-luiuntapisrougeàmotifsgéométriques.Ilyaaussiun
énormesacpleindecoussinsetuncandélabred'argentàtroisbranches.Qu'ildescendeletoutdansle
petitsalon.Qu'ilydérouleletapis,qu'ilydisposelescoussinsetqu'ilplacelechandelieraucentre.
Tiens,j'aitoutmarquésurcepapier.Qu'ildiseaussiàMmeMurchinsonquejeferaitoutmon
possiblepourretardernotrearrivéeafinqu'elleaitletempsdefairelacuisine.Tuasbiencompris?
—Oui,Mademoiselle.Est-cevraiqueM.Taggertarenversétoutlebuffetsurlesinvités?
—Quit'aracontéça?
—J'airencontréElliequitravaillechezlesvoisinsdesMankin.
—Ehbien,c'estcomplètementfaux.Maintenant,dépêche-toidefairecequejet'aidit.
QuandSusanfutsortie,Aryanes'aperçutquesesjuponsétaientégalementtachés.Elles'empressade
sedévêtir,puistiradesapenderieunerobedesoievertamandequ'ellesedépêchad'enfiler.Susan
revintàtempspourl'aideràenattacherlesmultiplesboutonsdansledos.
—Quesepasse-t-ilenbas?demanda-t-elle.
—Rien,Mademoiselle.Madameestausalonmaisjen'airienentendu.Voulez-vousquej'aillevoir?
—Non,c'estinutile.
Aryaneétaitquandmêmeinquiète.Samères'effarouchaitpoursipeu!SiKanedécidaitdeluidonner
unéchantillondesonlangagechâtié,ellerisquaitdes'évanouirsansqu'ilsecroieobligédefaireun
geste...
—Ya-t-ilquelqu'und'autredanslamaison?s'enquitAryane.Non?Alorsdescendonsdiscrètement
voircequisepasse.Tufinirasdemeboutonnerpendantcetemps-là.
Maîtresseetservantedescendirentl'escaliersurlapointedespiedsetbientôtAryaneputjeterunœil
danslesalon.
KaneetOpalétaientsagementassissurlecanapéetregardaientdesdaguerréotypes.
—Jen'ysuisjamaisalléemoi-même,disaitOpal,maisilparaîtquec'esttrèsimpressionnant.
—J'aivéculongtempsàNewYork,maisj'ignoraisquecetendroitexistait.Ças'appellecomment?
—LeschutesduNiagara.
—Vousaimeriezvoirça,n'est-cepas?ditKane,reposantlaplaquesurlatable.
—Oui,beaucoup.Envérité,monsieurTaggert,j'aitoujoursrêvédepouvoirlouerunwagonde
chemindeferprivéetdefaireletourdesEtats-Unis.
—Alors,jevaisréaliservotrerêve,madameChandler,ditKaneenprenantsamainentrelessiennes.
Dequelcouleurvoulez-vousvotrewagon?Jeparledel'intérieur.Rouge?
—Cen'estpaspossible...
—J'aiunevraiefaiblessepourlesladies,madameChandler.Etvous,vousêtesuneaussigrandelady
quevotrefille.
IlyeutunlongsilencependantlequelAryaneetSusanretinrentleursouffle.
—Rose,murmuraOpal,rêveuse.J'aimeraisbienunwagontoutrose.
—Vousl'aurez!Autrechose,madameChandler?
—Jepréféreraisquevousm'appeliezOpal.Jenecroispasquemonmariapprécieraitdevous
entendremedonnerlenomdemonpremierépoux.
Kanesouritetposaungrosbaisersonoresurlamainqu'iltenaittoujours.
—Jecommenceàcomprendrepourquoivotrefilleestunevraielady,dit-il.
—Jecroisquevotremamanval'épousersivousnelefaitespas,soufflaSusanàl'oreilledesa
maîtresse.
—Tais-toi!Occupe-toiplutôtdemesboutons!
—Fini,annonçaSusanquelques,secondesplustard.
Aryaneseredressa,pritsarespirationetfitsonentréeausalon.
—J'espèrequejenevousaipasfaittropattendre.Vousnevousêtespastropimpatienté,monsieur
Taggert?
—Non,pasdutout.Maisilfautquej'yaille.J'aidupainsurlaplanche.
—MonsieurTaggert,repritAryane,celavousennuierait-ildemeconduirechezmacouturière?Je
luiaipromisdeluiapporterquelquespatrons.
Kanefronçalesourcilmaisilcédalorsquelajeunefilleluiassuraquecettecourseneprendraitpas
plusd'unquartd'heure.
—Jeneseraipasderetouravantcesoir,maman.
—Jenem'inquiètepas,tuesenbonnecompagnie,réponditOpal,dédiantsonplusbeausourireà
Kane.
—Alors,avez-vousbienbavardéavecmamère?
demandalajeunefillelorsqu'ilsfurentenvoiture.
—Votremèreestunebravefemme.Oùsetrouvecettecouturière?Vousêtessûrequeçanedurera
quedixminutes?
—J'aiditquinze.Ma...précédenterobedemariéeavaitétéfaiteàDenvermaisjevoudraislafaire
copier.
—Ahoui,pourledoublemariage.C'estquand,aufait?
—Lundi20.J'espèrequevousn'aurezpastropdetravailcejour-làetquevousréussirezàvous
libérer...
Kaneluijetaunregardencoinetfinalementsourit.
—Jeserailàpourlemariagesivouspromettezd'êtrelàpourlanuitdenoces.
EtiléclataderirequandAryanedevintrougecommeunepivoine.
KanearrêtalavoituredevantchezlacouturièreetaidaAryaneàendescendre.
—Jecroisquejevaisallerboireuncoupenattendant,dit-ilendésignantd'ungesteundesnombreux
saloons.
J'espèrequ'ilestplusfaciled'êtreunmariqu'unfiancé!
Etsurcesmots,Kaneplantalàlajeunefille,quisepritàregretterletempsoùLeanderétaitson
chevalierservant.
Aryanenerestachezlacouturièrequeseptminutesexactement.Lavieilledamepoussaleshautscris
ensevoyantdemanderd'accomplirunteltravailensipeudetemps,etredoublad'imprécationsen
apprenantquesaclientevoulaitégalementqu'ellecouseunerobepourJaneTaggert.
Finalement,ellejetalittéralementAryaneàlaporte,luidisantqu'ilfallaitqu'ellesemetteàl'ouvrage
àlasecondemêmesiellevoulaittenirlesdélais.
Lajeunefilleseretrouvasurletrottoir,jetantunœilanxieuxendirectiondusaloonoùKaneavait
disparu.Elleespéraitqu'ilneseraitpastroplong.
—Alors,mabelle,fitunevoix,c'estnousqu'onattend?
Aryaneseretrouvaentouréedetroiscow-boysdontlatenueetsurtoutleseffluvesprouvaientqu'ils
venaientdepasseraumoinstroissemainesàcheval.
—Arrête,Cal,ditunsecond.Tuvoisbienquec'estunedame.
—Justement,j'adorelesdames!
Aryane,prétendantnepaslesvoir,fitdemi-touretposasamaingantéesurlapoignéedumagasin
qu'ellevenaitdequitter.Unemainrugueuseauxphalangesveluesvintseposersurlasienne.
—Monsieur!Jevousenprie!fit-elle,fusillantlemalotruduregard.
—Elleparlevraimentcommeunedame,commental'homme.Alors,poupée,poursuivit-il,que
dirais-tusinousallionsensembleboirequelquesbièresausaloon?
—Cal,répétal'autre,unenuanced'avertissementdanslavoixquesoncompagnonrefusad'entendre.
—Allez,viens,jeteprometsqu'onvas'offrirdubontempstoietmoi...
—Lebontemps,c'estensemblequ'onval'avoir,fitbrusquementlamâlevoixdeKaneàsonoreille.
L'impudentvacherfutprestementsaisiaucolletetàlaceintureet,aprèsavoirdécritunsuperbearc
decercleentrecieletterre,seretrouvaaumilieudelarue,mordantlapoussièreàdentscariées.
Ilsemettaitpéniblementàquatrepattesensecouantlatête—sansdouteparidentificationaux
bovidésqu'ilétaittoutjustebonàgarder—quedéjàlasilhouetteimpressionnantedeKanesedressait
au-dessusdelui.
—Tuesicidansunevillerespectable,gronda-t-il.Situveuxunefille,tun'asqu'àalleràDenver.
Sachequ'icionsaitprendresoindenosfemmes!Compris?
—Oui,m'sieur.Bienm'sieur.JeparsàDenversur-le-champ.
—Çameparaîtuneexcellenteidée,ditKane,attrapantAryaneparunbrasetlapropulsantà
l'intérieurdelacalèche.
Ilatteignitrapidementsamaison.
—Mince!fitKaneens'arrêtantdevantchezlui,vousvouliezpeut-êtrerentrerchezvous?J'espère
quececrétinnevousapasfaitmal?
—Non,ditdoucementAryane.Mercid'êtrevenuàmonsecours.
—Cen'étaitrien.
Kanel'aidaàdescendredevoiture,maisilparaissaitpréoccupé.
—J'aipeut-êtreoutrepassémesdroits,ditlajeunefille,maisjemesuispermisdedemanderàMme
Murchinsondenouspréparerunrepas.Cela,biensûr,sivousnevoyezpasd'objectionàdîneravec
moi.
—Jen'airiencontre,maisj'espèrequevousavezamenéavecvousunerobederechangecarjene
suispastrèsdoué.
—Jesuissûrequetoutirabien.
—Danscecas...Maisjedoisvousprévenirquedutravailm'attend.Entrezdanslamaison,jevais
attacherlecheval.
Sitôtqu'elleeutpénétrédanslavastedemeure,Aryaneseprécipitaauxcuisines.
—Est-cequetoutestprêt?s'enquit-elle.
—ToutestaupointetilyaduChampagneaufrais,réponditlacuisinière.
—DuChampagne?s'affolalajeunefille,sesouvenantdecequiétaitarrivéàDorianelesoiroùelle
enavaittropbuencompagniedeLeander.
—Etj'aipréparétouslesplatsfavorisdeM.Taggert,poursuivitMmeMurchinson.
«Çayest,seditAryane,encoreunequiesttombéeamoureusedelui!»
—C'esttrèsbien,fitlajeunefille...Commetoutcequevousfaites,d'ailleurs.
Aryanes'empressadequitterlacuisineetgagnalepetitsalon:toutyétaitcommeellel'avaitsouhaité.
Lesbougiesavaientétéallumées,leChampagneattendaitaufraisdanssonseaud'argentetles
canapésétaientlà.Parlabaievitrée,unrayondesoleilcouchantvenaitmourirsurletapis,
réverbérantunedoucelumièrepourpre.
—C'estvousquiavezorganiséça?fitlavoixdeKanedanssondos.
—J'aipenséquevousauriezpeut-êtrefaim,réponditlajeunefille,hésitante.Etpuis,vousavezdit
quevousvouliezmeparler.
Aryaneregrettaitdésormaissamiseenscène:soncôtéthéâtraldonnaitl'impressionqu'ellecherchait
àleséduire.
—Sijenevousconnaissaispas,grogna-t-il,jecroiraisquevousvoulezfaireplusqueparler.C'est
bon,mangeons.Ilfautqueje...
—Travaille,conclut-elle,blessée.
Kanevintàelleetpritsonfinmentondanssagrandemain.
—Vousn'allezpasvousmettreàpleurer?murmura-1t-il.
—Iln'enestpasquestion!Mangeons,voulez-vous?Ilfautquejerentrecarmoiaussij'aipleinde
chosesà...
Elles'arrêtacommeKanelaprenaitdanssesbras.Elleseretrouvablottiecontresonlargetorse,se
demandantsicen'étaitpascequ'elleavaitinconsciemmentattendu.C'étaitsibondesentirlachaleur
decegrandcorpscontrelesien!
—Voussentezbon,dit-il,enfouissantsonvisagedanslecreuxdesoncou.Vousavezétéformidable
aujourd'hui.Vousêtessûredenepasregretterd'épouserunpalefreniercommemoi?
Aryaneneréussitpasàrépondre.Ellesentaitsesjambesl'abandonner,maisKanen'eutaucune
difficultéàlagardercontrelui,lapressantdeplusenplusfort,seslèvress'égarantsurlachair
fragiledesonoreille.
—Là-bas,vousétiezvraimentlaplusbelle,etvousemporterdansmesbrasétaitmerveilleux.Sije
melaissaisaller,jevousemporteraisdelamêmefaçon,toutdesuite,jusqu'àmachambre.
Aryaneneparvenaitpasàrépondreet,pourêtrehonnête,n'étaitpascertainedevouloirparler.Une
touxgênéeretentitdanslapièce.
—Allez-vous-en!grondaKane,n'abandonnantpaslachairnacréequ'ilmeurtrissait
voluptueusement.
CetteapostropheramenaAryaneàlaréalité.
Ellefuitl'étreintedeKane,tandisqueMmeMurchinsontraversaitlapièceunesoupièredansles
mains,gratifiantaupassagelajeunefilled'unregardscandalisé.
Aryanefeignitdenepasleremarquer,s'appliquantàretrouversoncalme.
Queluiavait-ilpris?Ils'enétaitfallud'unrienqu'ellenesuccombâtauxardeursdeKane!Elleavait
pourtantpromisàsonbeau-pèredeprendredesrenseignementssurluiavantdeconsentir
définitivementaumariage...
Quesepasserait-ilsielledécouvraitqu'ilétaitbeletbienuncriminel?
Aryaneleregardaôtersavesteets'asseoirentailleursurletapis.Ilretroussasesmanchessurses
avant-brasbrunsetmusclésetentrepritd'ouvrirlabouteilledeChampagne.Neferait-ellepasmieux
desedonneràlui?Ainsi,elledevraitl'épouserquelquesoitsonpassé...
Non,ceseraittricher.
Lajeunefilles'assitàsontour,arrangeantsoigneusementlesplisdesajupeautourd'elle.
—J'aimeraisvousdemanderunefaveur,murmura-t-elle.
—Faites,répondit-il,labouchepleine.
—Voilà...jevoudraisresterviergejusqu'aumariage.
KaneavaladetraversetilluifallutbienlamoitiédelabouteilledeChampagnepourseremettre.
—Contentd'apprendrequevousl'êtesencore!Euh...Jeveuxdire...aprèsWestfield...
Aryaneseredressa,lesjouesenfeu.
—Allons,nemontezpassurvosgrandschevaux.Buvezplutôtdoncça,poursuivit-il,luitendantune
flûtedeChampagne.Ainsi,voussouhaitezrestervierge?Jesupposequecelaveutdirequevousne
voulezpasquejevoustouche?
—Celavaudraiteneffetpeut-êtremieux.
UneombrepassasurlevisagedeKaneetsonregardsefitdur.Lajeunefilleserenditcomptequ'il
croyaitqu'ellemettaitcesdistancesparcequ'ilsn'étaientpasdumêmemondeetcherchaàl'en
dissuader.Maiscommentfaire?Luidireques'ilcontinuaitàl'embrassercommeilvenaitdelefaire
ellefiniraitparsuccomber?Non,impossible.
—Kane,dit-elle,posantsamainsursonbras,cen'estpascequevouspensez.
Ilsedégagead'ungeste.
—Jecroisaucontraireavoirtrèsbiencompris,fit-ilsèchement.Nousavonspasséunaccord.Vous
deviezfairesemblantd'êtreamoureusedemoienpublic,etvousaveztenuvotreparole.C'estvrai
quevousn'êtesplusobligéedelefaireenprivé.Promis,jenevoustoucheraiplus.D'ailleursjecrois
qu'ilvautmieuxquejem'enaille.Mangeztranquillement,moi,jevaistravailler.
—Non!Attendez!s'écriaAryane,selançantàsapoursuite.Jeveuxêtrevotrefemmeautantenprivé
qu'enpublic.Simplement,j'aimeraisattendrequenoussoyonsmariés.
—Quivousenempêche?Jenevoustraînepasparlescheveuxjusqu'àmachambreetjenecherche
pasàvousjeterdeforcedansmonlit!Lamaisonestassezgrandepourquevouspuissiezm'évitersi
vousyteneztantqueça!
—Jesais,Kane,maisvoussavezvousmontrertellementpersuasif...
—Persuasif?répéta-t-il,unéclairs'allumantdanssonregard.J'ignoraisquelespalefreniersavaient
unteleffetsurlesladies.Allez,mangeons,dit-ilenserasseyant.Persuasif,tiens,tiens...
LepetitsouperintimeorganiséparAryanenesedéroulapasdutoutcommeellel'avaitprévu.A
peinelepotageterminé,EdanvintlesrejoindrepourfairelireetsignerdespapiersàKane.Ce
dernierl'invitaàsejoindreàeuxetilsparlèrentaffairespendanttoutlerepas.
Versneufheures,Aryaneselevaetvoulutprendrecongé.
—Nepartezpas,ditKaneenlaretenantparlebasdesarobe.J'aiàvousparler.
Immobilisée,Aryanenesavaitquefaire.Ellefixait,absente,lagrandefenêtreobscurcieparlanuit,
ignorantlesdeuxhommesassisàsespieds.
—Jecroisquec'estplutôtàmoidepartir,ditEdanensemettantdebout.
—Nousn'avonspasencorefini,l'arrêtaKane.
—Tunecroispasquetuferaismieuxderesterunpeuseulavectafiancée?Mercipourlesouper,
Aryane,c'étaitdélicieux.
Edansorti,lajeunefilledemeuratoujoursimmobile,refusantderemarquerlescoupsquedonnait
Kaneentirantsursarobe.Deguerrelasse,ilselevaàsontour.
—Jecroisquevousm'envoulez,dit-il.
—Pasdutout,monsieurTaggert,maisilesttardetjedoisrentrer.Mesparentsvonts'inquiéter.
—C'étaittrèsgentild'organisercepetitsouper,reprit-il,salonguemainempaumantlefinmenton
delajeunefille.
—Raviedevousavoirfaitplaisir.Maintenant...
Kanelapritdanssesbrasetlaserracontrelui.
—Persuasif,murmura-t-il.J'yaipensétoutelasoirée.
Lesmainsdel'hommeremontèrentjusqu'àsanuqueetôtèrentlesépinglesquiretenaientsescheveux.
Lorsqu'ilscascadèrentsursesépaules,ilyenfouitsesdoigtsensoupirant.
—Commevousêtesbelle...
Ilcherchaseslèvresetelleneparvintpasàlesluirefuser.
Luidonnantleplustendreetleplusbrûlantdesbaisers,illafits'allongersurlescoussins,songrand
corpsmusclésepressantcontrelesien,leursjambess'emmêlant.
Kanecaressalonguementlejeunecorpsd'Aryaneàtraversletissubruissantdesarobe.Puisses
doigtssefirentplusinsistants.Ilsseglissèrentsousl'étoffe,dessinantlegalbed'unmollet,l'arrondi
d'ungenou,lefuseaud'unecuisse,pourvenirs'arrêtersuruneplagedepeaunueetsatinée.
Aryaneneparvenaitplusàpenser.Elleselaissaitentièrementallerauxsensationsnouvelleset
exquisesqueKanesavaitfairenaîtreenelle.
Soudain,illarepoussa,lafixal'espaced'unesecondeetseremitdebout.
Allongéesurlescoussins,sesamplesjupesdéployéesautourdesesjambes,Aryanesesentit
brusquementsouillée,humiliée,rejetée,etdeslarmesluivinrentauxyeuxquandelleseredressapour
tenterderemettredel'ordredanssatoilette.
—Allezvousrecoiffer,commanda-t-il,jevousramèneraichezvotremère.
Aryanes'enfuitplutôtqu'ellenequittalapièceetmontaàl'étage.
Lorsqu'ellefutenferméedansunedesnombreusessallesdebains,elleselaissaalleràsonchagrin.
Kanevoulaitépouserunelady,elles'étaitconduitecommeunefille!Voilàpourquoiill'avaitrejetée.
Seslarmesredoublèrentlorsqu'elledécouvritdanslemiroircevisageauxcheveuxdéfaits,auxlèvres
gonfléesparlesbaisers,auxjouesenfiévrées...
Sitôtlajeunefillesortie,KaneallarejoindreEdandanslebureau.
—Aryaneest-ellepartie?demandalejeunehommeblond,tandisqueKaneseservaitungrandverre
dewhiskyd'unemaintremblante.Queluias-tufait?reprit-il.Jet'avaisditqu'ellen'étaitpascomme
lesautres.
—Qu'ensais-tu?Tuferaismieuxdemedemandercequ'ellem'afait?Vaplutôtcherchersavoiture
etramène-lachezelle.
—Ques'est-ilpassé?
—Rien.Lesfemmessonttouteslesmêmes,jesuppose.
Ellesneréagissentjamaiscommeons'yattend.Quandjepensequelaseuleraisonquimepousseà
vouloirépouserunelady...
—PasencoreFenton!coupaEdan.
—Si,Fenton,justement!Toutcequej'aipufairedepuisdesannéesaétépourmevengerdece
salopardettulesaistrèsbien.Jen'aiqu'unbut,lefairevenirunjourici,danscettemaisonquatrefois
plusgrandequelasienne,etluioffriràdîner,avecmafemmeàmescôtés.Unefemmedesonmonde.
L'idéalauraitétésachèrePamela!
—Maistuasdûyrenoncer.Aryaneneteconvient-ellepas?
—Jedoisadmettrequ'ellejouebienlacomédie.Elledoitvraimentteniràmonargent.
—Enes-tusisûr?Etsiellesouhaitaitsimplementsemarierpouravoirunmari,desenfants?
—Elleauratoutletempsd'ypenseraprès.Cequejeveux,c'estécraserFenton.Cequ'ilmefaut,c'est
épouserunedessœursChandleretinviterFentonàdîner.
—Quecomptes-tufaired'Aryaneensuite?Onnejettepasunefemmecommeunepairede
chaussuresusées.
—Jeluiachèteraidesbijouxetsijenetrouvepersonnepourmerachetercettemaison,jelalui
laisserai.
—Commeça!s'indignaEdan.Tutedébarrasserasd'ellesansexplication?
—C'estellequiseracontentedesedébarrasserdemoi!
Detoutefaçon,iln'yapasdeplacepourunefemmedansmavie.Maintenant,valaraccompagner
chezelle.
CHAPITREX
Cettenuit-là,Aryanepleuralongtempsetfinitpars'endormir,épuisée.
Ellenecomprenaitplusrien.Savieentièreavaitétévouéeàdevenirunedame.Unefemme
irréprochablequetoutlemondesaluaitpoursesqualités,citaitenexemple.SouslaféruledeM.
Gates,elleétaitdevenuel'imageparfaitedelalady.
Etpourtant,Leanderl'avaitrejetéeàcausedecela.Ilavaitfinalementchoisid'épousersoncontraire.
Kaneavaitsouhaitésemarieravecunelady,etcommeelleavaituninstantdérogéàsacondition,il
l'avaitluiaussirejetée.Maisquefallait-ildoncqu'ellefassepourréussirenfinàretenirunhomme?
QuandlelendemainmatinDorianeentrachezAryaneetvitsesyeuxrougisparleslarmes,ellevint
sansunmots'asseoirprèsd'elledanslelit.
Auboutd'unmoment,Aryaneéclatadenouveauensanglots.
—Tuessimalheureusequeça?demandaDoriane.
Aryane,touteàseslarmes,futincapablederépondre.
—Est-ceàcausedeTaggert?
—Oui...Jenesaispascequ'ilattenddemoi.
—Tun'espasobligéedel'épouser,Aryane.Personnenet'yforce.Ilestencoretempsdereconquérir
Leander.
—Maisc'esttoiqu'ilveut.
—Ilmeveutparcequejeluiaidonnécequetuluirefusais.Aryane,tuaimesLeander.Dieuseulsait
pourquoi,maistul'astoujoursaimé.Tupeuxencorevivredanslamaisonqu'ilaconstruitepourtoi;
avoirdesenfants...
—Non!Jesuissûrequec'esttoiqu'ilpréfère.
—Tudisn'importequoi.11nem'aimepasdutout.Cematinencoreàl'hôpital,ilm'atraitéede
docteurdepacotille.Ilditquejefaisplusdemalquedebienet...
—Iln'aimepeut-êtrepastafaçond'exercerlamédecine,maisilapprécietesbaisers!Oh,pardonnemoi,Doriane,jenesaispluscequejedis.
—Ques'est-ilpasséavecTaggert?
—Rien.Bon,ilfautquejemesecoue.Ilyaencoretantdechosesàmettreaupointavantlemariage.
—Parcequetucomptesvraimentl'épouser?
—S'ilveutbienencoredemoi,soupiraAryane.
Soudain,uneviesansKaneTaggert,sanssessautesd'humeur,sescolèreset...sesbaisers,luifitl'effet
d'unelonguetraverséedudésert.Elles'imagina,vieillissantedansunrocking-chair,passantses
journéesàfaireducrochet,unchatsurlesgenoux...
—Souhaites-tum'aiderdanslespréparatifsdelacérémonie,Doriane,oupréfères-tumelaisserme
débrouillertouteseule?
—Jen'aiaucuneenviedepenseràça.Ecoute,Leanderestencolèrepourcequis'estpassé,maisje
suissûrequesitu...
—Toutestfinientreluietmoi!Leanderteveut,toi!
Moi,j'épouseraiKaneTaggertdansdixjours.Unpointc'esttout.
—Tucroispeut-êtreavoirperduLeander,maisc'estfaux,rétorquaDoriane,quittantlelitàsontour.
Jenevoispaspourquoituveuxtepunirenépousantcerustre.Iln'estmêmepascapabledetenirune
assiettesanslarenverser.
Dorianes'arrêtanet,portantunemainincréduleàsajoue,làoùsasœurvenaitdelagifler
violemment.
—Kaneestl'hommequejevaisépouseretjenelaisseraipersonneendiredumal!
Lesyeuxpleinsdelarmes,Dorianesortitdelachambre.
Aryaneselaissatombersursonlit,plustroubléequejamais.Commentavait-ellepuenarriverà
leverlamainsursasœur?Cettequestionfutviteremplacéeparuneautreencoreplusangoissante:
Kanevoulait-ilencored'elle?
Elles'assitàsonsecrétaireet,d'unemaintremblante,écrivitquelqueslignesàsonfiancé:«Cher
monsieurTaggert,
«Monattituded'hiersoirestimpardonnableetjecomprendraistrèsbienquevousvouliezrompre
nosengagements.
«AryaneChandler.»
QuandKanereçutlemessage,illaissaéchapperunjuron.
—Demauvaisesnouvelles?demandaEdan.
Kaneallapourluipasserlalettremaisilseravisaetlaglissadanssapoche.
—C'estd'Aryane,expliqua-t-il.Ellemesurprendratoujours...Dis-moi,tun'avaispasl'intention
d'allerenville?
—Si.
—Alors,passechezlebijoutier,choisisunedouzainedebaguesetfais-lesporteràAryane.
—Pasdemessage?
—Lesbaguessuffiront.
Aquatreheuresdel'après-midi,M.Weatherly,lejoaillier,sonnachezlesChandler.
—J'aiunelivraisonàfairepourMlleAryane,dit-ilàSusan,venueluiouvrir.
LadomestiquelemenaausalonoùOpaletsafilledressaientlaborieusementdeslistes.
—Bonjour,monsieurWeatherly,ditOpal.Désirez-vousunetassedethé?
—Non,merci,jesuisvenuporterceciàAryane.
Lepetithommetenditàlajeunefilleunlongécrindeveloursnoir.Lecœurbattant,Aryanel'ouvritet
retintsarespiration.
Surlesatinblancdelaboîtescintillaientdouzebagues,soigneusementalignées:deuxémeraudes,
uneperle,unrubis,unsaphir,troisdiamants,uneaméthyste,unanneauavectroisopales,undecorail
etundejade.
—J'aieul'impressionderêver,racontaM.Weatherly.
Quandcegrandgaillardblondestentrédansmonmagasinilyaàpeineuneheurepourme
commandercesdouzebaguesdelapartdeM.Taggert.
—ParcequeM.Taggertnelesapaschoisieslui-même?
ditAryane.
—Non,maisl'idéeétaitdelui,m'aprécisél'hommeblond.
Lajeunefilleselevaenrefermantl'écrin.
—Mercidevousêtredérangé,monsieurWeatherly.
Aryaneremontaàsachambre,lecœurléger.Certes,Kanen'avaitpascherchéàlavoir,maisces
baguesprouvaientqu'ilavaitlusonmotetqu'ilvoulaittoujoursfaired'ellesafemme.
Elleentrepritdes'habillerpourledîner.
AryanesouritàMarcFentonassisenfaced'elledanslesalondethéroseetblancdeMissEmily.Non
loin,àuneautretable,Opaldégustaitquelquespâtisseries.M.Gatesavaittenuàcequesonépouse
assistâtàlarencontre,nefaisantplusdésormaisconfianceauxjeuneshommes,dequelquemonde
soient-ils.
—Jemesuislaissédirequevousaviezdécrochélegroslot,Aryane.OnditenvillequeKane
Taggertestaussimaldégrossiqu'ilpeutsemontrerchevaleresque.Qu'enest-ilexactement?
—Jepensaisquevouspourriezmeledire.Ilalongtempstravailléchezvous,non?
—Jen'avaisqueseptansquandilestparti.Jem'ensouviensàpeine.
—Vousdevezcependantavoirquelquessouvenirs.
—Jemerappelleavoireutrèspeurdelui,ritMarc.Ilconsidéraitlesécuriescommesondomaineet
mêmemonpèren'avaitpasledroitd'yentrer!
—Cetinterdits'appliquait-ilaussiàvotresœur,Pamela?
—Ainsi,voilàcequevousdésirezsavoir!J'ignoretoutdecequiapusepasser.Unbeaujour,ma
sœuretTaggertontdisparu...Voussavez,encoreaujourd'hui,jemesenscoupablequandjevais
prendreunchevalàl'écuriesansendemanderlapermission!
—Pourquoivotresœurest-ellepartie?
—Pèrel'amariéeauplusvite.Jecroisqu'ilnetenaitpasàlavoirtomberencoreunefoisamoureuse
d'undesesgarçonsd'écurie.
—Oùest-ellemaintenant?
—Jelavoisrarement.Elleestallées'installeràClevelandavecsonmari.Elleaeuunenfant.Mon
beau-frèreestmortvoiciquelquesmoisetmonneveuaétélongtempstrèsmalade.Jecroisquelavie
n'aguèreétéfacilepourPamela.
Ecoutez,sivoustenezàensavoirplussurvotrefiancé,vousferiezmieuxdedemanderàPoïkilia.
—Jenevoispasquic'est.
—Ça,jeveuxbienlecroire,réponditMarc.C'estlapetiteamiedeTaggert.
—Samaîtresse?
—Vousaveztoutcompris.Bon,ilfautquejem'enaille.
Aryaneselevaenmêmetempsqueluietleretintparlebras.
—Oùpuis-jetrouvercettePoïkilia?
—DansCrescentStreet.
—Maisjenesuisjamaisalléelà-bas!
—EnvoyezWillieetdemandez-luidelarencontrerdansunendroitdiscret...Ettousmesvœuxde
bonheur,Aryane.
—Alors?demandapeuaprèsOpal.As-tuapprisquelquechose?
—Plusquejenelesouhaitais.
Aryanepassatoutlerestedesonvendredietlesamedientieràpréparerledoublemariage.Elle
commandadesmassesdefleursetdestonnesdevictuailles.
Kanen'avaittoujourspasdonnélemoindresignedevie,maisellen'avaitaucunementl'intentionde
fairelepremierpas.
Arriveraitcequidevaitarriver.
Lesamedi,M.Gatesmittoutelamaisonenémoidèscinqheuresdumatin.C'étaitunscandale!
Dorianen'étaitpasencorerentrée!Elleavaitpassétoutelanuitdehorsetc'étaitinacceptable.
AryaneetOpaldurentdéployerdestrésorsdepersuasionpourlecalmeretlefaireasseoiràlatable
dupetitdéjeuner.IlsvenaientàpeinedecommencerquandDorianearriva,flanquéedeLeander.
Dorianeportaitunpantaloncouvertdetachesetunechemised'hommequiluibattaitlesreins.Ses
cheveuxdéfaitsétaientsalesetsonvisageétaitcouvertdeboue.
Leandernevalaitguèremieux.Sansvestenicravate,sachemiseetsonpantalonétaientdéchirés.
—Leander!s'écriaOpal,onvousatirédessus?
—Possible,sourit-il.Entoutcasvousconstaterezquejevousairamenévotrefillesaineetsauve.
Bien,jevaisallerdormirunpeucarjesuisdeservicecetaprès-midi.Aurevoir,docteur,dit-ilà
Dorianeenluicaressantdoucementlajoue.
—Aurevoir,docteur,répondit-elleenleregardantsortir.
Aryanequittalatableets'approchadesasœur,fronçantlenez.
—Qu'as-tudanslescheveux?
—Dufumierdechevalprobablement...
—Nerestonspasici,montons!
Lesdeuxjumellesallèrents'enfermerdanslasalledebainsetAryaneaidasasœuràsedévêtir.
—Maisenfin,ques'est-ilpassé?
Aryaneeutdroitàunrécitconfusautantqueprécipitéoùilétaitquestiondebandits,derèglementde
comptes,d'artèressectionnéesetdecorpsàcorpsavecunefemme.
Danschaqueépisode,Leanderapparaissaittoujoursaubonmomentpoursauveruneviehumaine,y
compriscelledeDoriane.
—Tuterendscompte?Cetypeavaitquatorzetrousdansl'intestinetLeanderlesatousrecoususun
parun!
Aryaneneputluttercontrelesmorsuresdelajalousie.Enquelquesjours,DorianeetLeander
semblaientavoirpartagéplusdechosesqu'elle-mêmeenplusieursannéesdesortiesrégulières.
Tandisquesasœurdormait,AryanepassasajournéeàespérerenvainlavisitedeKane...
Ledimanchematin,lajeunefilles'habillaavecsoinetserenditavecsafamilleàl'office.Comme
l'assembléeallaitentonnerlepremiercantique,unsilencepesantsefitsoudaindansl'église.
—Poussez-vousunpeu,fitlavoixdeKaneàl'oreilled'Aryane.
LajeunefilleobtempéraetKanerestasilencieuxduranttoutelacérémonie,fixantleRévérend
Thomasd'unregardennuyé.
L'officeterminé,KanepritAryaneparlebrasetl'entraînarapidementverslasortie.Sansprêterla
moindreattentionàceuxquilessaluaient,KanefitmonterAryaneàborddesacalèche,s'emparades
rênesetpartitaugalop.
—Qu'avez-vousmanigancéavecMarcFenton?accusa-t-ilenarrêtantsonchevalsitôtsortisdela
ville.
—JeconnaisMarcdepuistoujoursetj'aiparfaitementledroitdelerencontrersij'enaienvie!
—JevousaidemandécequevousfaisiezavecMarcFenton.
Aryanepoussaunsoupiretdécidadéluidirelavérité.
—Monbeau-pèrem'afaitpromettredeprendredesrenseignementssurvous.C'estluiquiaarrangé
cerendez-vous.IlauraitsouhaitéquejevoieM.Fenton,maiscedernierarefusé.Jecompte
égalementrencontrerPoïkilia.
—Poïkie?souritKane.C'estGatesquivousl'aconseillé?
Ilestplusfortquejenepensais...Etquesepas-sera-t-ilsiquelqu'unvousditdumaldemoi?
—Jemeverraidansl'obligationderemettrenotremariageenquestion.
—Quoi!s'emportaTaggert.Nousdevonsnousunirdanshuitjoursetvousêtesprêteàtoutremettre
enquestiond'uneminuteàl'autre!Ecoutez-moibien,mademoiselleChandler!
Vouspouvezinterrogertousleshommesquej'aipurencontrerettouteslesfemmesaveclesquelles
j'aipucoucherdansmavie.S'ilssontréellementhonnêtes,aucunnevousdiradumaldemoi.
Furieux,ilsautaàterreets'éloignamainsdanslespoches.
—Edanm'avaitpourtantprévenuquefréquenterdesladiesnem'attireraitquedesennuis!J'auraisdû
l'écouter,épouserunefilledefermeetalleréleverdubétailloind'ici.
—Jenevoulaispasvousblesser,fitAryane,venuelerejoindre.
—Meblesser!Vousenavezdebonnes!Depuisquejevousconnais,jen'aiquedesennuis.Unjour
vousvoulezm'épouseretlelendemainvouschangezd'avis!Vouspassezdesjoursentierschezmoià
menertoutlemondeàlabaguetteetsoudainvousnousfuyezcommesinousavionstousattrapéla
peste.Jemeréveilleunmatinetvousêtesdevantmoiàmecouverduregardetlaseconded'après
vousessayezdem'assommeravecunpichet.Lecoupd'après,vousvousroulezparterreavecmoien
m'arrachantpratiquementmesvêtements.Jerespectevotrechèrevirginité,commevousmel'avez
demandé,etqu'est-cequej'obtiensenrécompense?
Vousdisparaissezdelacirculation...Cematin,reprit-il,votremèreestvenuemetrouver.Ellem'adit
quelcostumemettrepouralleràl'égliseetm'ainvitéàdéjeuner.Commeuncrétin,jefaiscequ'on
medemande,etmevoilàdansmesbeauxatoursavecunefiancéequimeditqu'ellenesaittoujours
passiellevam'épouser.Quetoutdépenddecequelesautresluidiront.J'enaiassez,Aryane.J'exige
uneréponsedéfinitiveettoutdesuite.Etjevouspréviens,sivousmeditesouimaintenantetquele
matindumariagec'estnon,jevoustraîneparlescheveuxjusqu'àl'autel!J'attends!
—C'estoui.
—Etsiquelqu'unvousracontequejesuislepiredescriminels?
—Ceseratoujoursoui.Kane,quediriez-voussinousallionsnouspromenerauparcFenton,comme
touslesautrescouples,aprèslerepas?
—Sivousvouleztoujoursvousmontrerenmacompagnieaprèsledéjeunerchezvosparents,je
veuxbien.
—Vousn'aurezqu'àfairecommemoi.Neparlezpaslabouchepleine,n'élevezpaslavoixetsurtout
nejurezpas.
—Ceseratout?
—Vousn'aurezqu'àvousdirequedecedéjeunerdépendlesortdevotreappartementàNewYork.
—Çamefaitpenserqu'ilfautqueje...Non,j'iraiauparc.
Çafaitdessièclesquejen'aipasprisunejournéedecongé.
Kaneparutapprécierhautementsonrepasdominical.
OpallecouvatoutparticulièrementetM.Gatesluidemandaconseilpoursesaffaires.Toutsepassa
trèsbienetAryanefutcontentequesafamillepuisseconstaterqueceluiqu'ilstenaientpourun
monstreétaitenfaitquelqu'und'agréableetdegénéreux.
—Votresœurn'estvraimentpascommevous,ditKanequandilsquittèrentlamaison.
Dorianen'avaitpasprislaparoleuneseulefoisetquandAryaneluidemandacequ'ilvoulaitdire,
Kanerefusades'expliquer.
Auparc,ilsretrouvèrentdenombreuxcouplesquicommeeuxétaientfiancés.Aryanefitles
présentationsetKanesemontraparticulièrementcharmant.Ilinvitamêmetoutlemondeàaller
prendredesrafraîchissements.
QuandKaneramenalajeunefillechezelle,elleétaitaucombledubonheur.
—J'aitoujourscruquepasserdetellesjournéesétaitunepertedetemps,avoua-t-il.Maisj'avaistort:
c'esttrèsagréable.
J'espèrequejenemesuispastropcomportécommeungarçond'écurie.
—Paslemoinsdumonde.
—Voussavezmonteràcheval?
—Oui,répondit-elle,pleined'espoir.
—Alors,jepasseraivousprendredemainmatinetnousironsfaireunebalade.Çavousdit?
—Toutàfait.
Surcesmots,Kanel'aidaàdescendredevoitureets'enfut.
CHAPITREXI
Kanearrivalelundimatinàcinqheuresalorsquepersonnen'étaitencoredebout.
Aryanesautadulitdèsqu'elleentenditdubruitdehorsetjamaisjeunefillenes'habillaplusvite
qu'elle.
—Vousenavezmis,untemps,reprocha-t-illorsqu'ellel'eutrejoint.
Illapritparlamainetlaconduisitauxchevauxchargésdesacoches.
—Desprovisions,dit-il,laconique.
Ilsfirentrouteversl'ouest,endirectiondesRocheuses,grimpant,grimpantàn'enplusfinirlelong
d'étroitsraidillonsquisemblaientn'avoiraucunsecretpourKane.
Ilsfinirentpars'arrêtersuruneplate-formed'oùl'ondécouvraitunesuperbevuedelavillede
Chandler.
—Commentavez-vousdécouvertcetendroit?
—C'esticiquejeviensquandvousallezprendrelethéchezvosamies.J'aiunecabaneunpeuplus
haut,ajouta-t-il,maisl'accèsenesttropdifficilepourunedame.
Ilspique-niquèrentsurl'herbetoutenbavardant.
—Commentavez-vousbâtivotrefortune?demandaAryane.
—QuandFentonm'ajetédehors,Pamelam'adonnécinqcentsdollars.Jesuispartipourla
Californie,où,aveccetargent,j'aiachetéunpermisdechercheurd'or.Lachancem'asouri:j'ai
réussiàquadruplermoncapital.Aveclui,j'aiensuiteachetédesterrainsàSanFrancisco.Deuxjours
plustard,jelesrevendaispourunefoisetdemielamise.J'enairachetéd'autres,lesairevenduspour
acheterunefabriquedeclous,puisl'aiéchangéecontreunepetitelignedechemindeferetainside
suite.Vousvoyezleprocessus?
—VoussaviezquePamelaétaitveuvedésormais?
—Depuisquand?
—Jecroisquesonmariestmortvoiciquelquesmois.
Kanefixaunmomentlajeunefilleensilence.
—Lavieestbizarre,dit-il.
—Quevoulez-vousdire?
—Sijenevousavaispasinvitéechezmoi,votresœurneseraitpassortieavecWestfieldàvotre
place.C'estluiquevousauriezépouséetpasmoi.
—EtsivousaviezsuquePamelaétaitveuve,enchaînaAryane,vousnem'auriezpasinvitéechez
vous.MonsieurTaggert,vousavezparfaitementledroitderenoncerànotremariage.Sivous
préférez...
—Ah,non!Vousn'allezpasrecommencer!Vousnepourriezpasessayerdechangerderefrain?
—Jepensaisquepeut-être...
—Taisez-vous,ordonna-t-ilens'emparantdeseslèvres.
Lemardimatin,trèstôt,WillievintdireàAryanequePoïkilial'attendraitlejourmêmeàneufheures
devantlekiosqueàmusiqueduparcFenton.
Poïkiliaétaituneroussepulpeuse,vêtuedefaçonunpeutropvoyante.
—Bonjour,mademoiselle.Jevousremerciedevousêtredéplacéesitôt.
—Pourmoi,iln'estpastôt,ilesttard.Jenemesuispasencorecouchée.Ainsi,c'estvousqueKane
épouse?Jeluiavaisbienditqu'ilpouvaits'offrirunelady.
Aryanelafoudroyaduregard.
—Oh,çava!Vousnevousattendieztoutdemêmepasàcequejevousserresurmoncœur!Après
tout,àcausedevousjeperdsdel'argent.
—Est-celàtoutcequeM.Taggertreprésenteàvosyeux?
—C'estunbonamantsic'estcequevousvoulezsavoir,maisdevousàmoi,ilmefaitpeur.Jenesais
jamaiscequ'ilattend.Maisqu'espérez-vousdemoi,exactement?
—Quevousmeparliezdelui.Moi,jeneleconnaisquedepuistrèspeudetemps.
—Vousvoulezsavoircommentilestaulit?
—Absolumentpas!Jeveuxquevousmeparliezdel'homme.Quelgenred'hommeest-il?
—Jenesaispas.Parfois,j'ail'impressionquepersonnenel'ajamaisaimé.Maisc'estidiot,biensûr,
avectoutl'argentqu'ila,iladûavoirdestasdefemmesfollesdelui.
—Etvous?L'aimez-vous?Jeveuxdire:s'iln'avaitpasd'argent?
—S'iln'enavaitpas,jenelelaisseraism'approcherpourrienaumonde.Jevousl'aidit:ilmefait
peur.
AryanesortitunchèquedesonréticuleetletenditàPoïkilia.
—Ledirecteurdelabanqueapourordredenevouslepayerquesivouspouvezluimontrerunbillet
dechemindeferprouvantquevousquittezcetEtat.
—Dites-vousbienquejeprendscechèquenonpaspourl'argent,maisparcequej'enaiassezdecette
ville.
—Jen'endoutepas.Aurevoir,mademoiselle!
Lemardiaprès-midi,commeAryanecommençaitàêtrelassed'organiserlemariage,LeoraVaughn
etsonfiancé,JimMichaelson,passèrentchezelleentandem.Ilsproposèrentàlajeunefillede
persuaderKanedelouerunautretandemetd'allertouslesquatresepromenerauparc.
Aryaneempruntaàsasœurundesespantalonsetsenichasurlecadre;toustroisserendirentàla
demeureTaggert.
LeséclatsdelavoixcourroucéedeKaneleurparvinrentparunefenêtreouvertecommeils
s'arrêtaientdevantlavastemaison.
—Jevaisallerluidemanders'ilconsentàveniravecnous,ditAryane.
—Vouscroyezqu'ilnousenvoudrasinousattendonsàl'intérieur?interrogeaLeora,lesyeux
brillantsdecuriosité.
—Aucontraire,jecroisqu'ilseraravi.
AryanenesavaitjamaiscommentKaneaccueilleraitunedesesvisites,maiscelle-ciparutcréeràses
yeuxuneagréablediversion.
L'idéedemonteràbicyclettelelaissatoutd'abordsceptiquecarilnel'avaitencorejamaisfait,mais
entrèspeudetempsilsutmaîtriserl'engin.Et,auparc,iln'eutdecessed'organiserdescourses.
Quand,enfindejournée,ilsallèrentrendreleurstandemsauloueur,Kaneenvisageaitd'acheterune
usineetd'enfabriquer.
—Jen'entireraipeut-êtreaucunprofit,maisj'aimeprendredesrisques.Récemment,j'aiinvestidans
uneentreprisequifabriqueunenouvelleboisson,leCoca-Cola.Çanemerapporteraprobablement
rien,maisonnesaitjamais.
Lesoir,ilsfurenttouteunebandeàs'amuseràdesjeuxdesociétéchezSarahOakley.Kane,s'ilétait
deloinleplusâgé,n'enétaitpasmoinsleplusenthousiastecartouscesdivertissementsluiétaient
encoreinconnus.
Lesjeunesgensprésentssemblèrentappréciersacompagnie,mêmesisonfranc-parlernemanquait
pasdedésarçonner.Ainsi,iln'hésitapasàdireàJimMichael-sonqu'ilétaitunimbéciledese
contenterdereprendrelemagasindesonpère.Qu'ilferaitmieuxdes'agrandiretd'allertentersa
chanceàDenverplutôtquedecroupiràChandler.SarahOakleysevitconseillerdedemanderà
Aryanel'adressedesacouturière,lesrobesqu'elleportaitn'étantpasàlahauteurdesabeauté.Quant
àCordéliaFarrel,ellesevitfermementdissuaderd'épouserJohnSilverman,quin'étaitqu'un
incapable,uniquementsoucieuxdesetrouverunenouvelleépousepours'occuperdesestroisenfants
!
Finalement,KaneinvitatoutlemondeàvenirdînerchezluilelendemainsoiretAryaneeutenviede
disparaîtresousterrelorsqu'ildéclaraenriant:
—Jen'aipasdemeublesenbas,maisonferacommeavecAryanel'autresoir:onmangeratous
assisparterre!
Aryaneapprittrèsvitequ'avecKanetoutsujetétaitsourcededispute.Ilappelaitcela«discuter»...
Ainsi,lemardisoir,lajeunefilleluidemandadebienvouloirapposersasignatureàcôtédelasienne
surdesbristolsviergesquiseraientglissésdanslescartonscontenantunmorceaudugâteaudenoces
quel'onoffriraitensouvenirauxinvitésdumariage.
—Jeveuxbienêtrependusijesignemonnomsurunefeuilleblanche!s'exclamaKane.Onpourrait
rajoutern'importequoiau-dessus.
—Maisc'estlatradition!protestaAryane.
—Traditionoupas,jem'enfiche.S'ilsveulentdugâteau,ilsn'ontqu'àlemangersurplace.Detoute
façon,ilseraenmiettesquandilsarriverontchezeux.
Aryaneneréussitjamaisàleconvaincre.Enrevanche,elleobtintqu'onengagedeslaquaispouraider
lesinvitéesàdescendredevoitureetdesfemmesdechambrepours'occuperduvestiairequiserait
installédanslepetitsalon.
—Aufait,demandaKane,combiendegenscomptez-vousinviter?
—Audernierrecensement,cinqcentvingt.Ya-t-ildesgensquevoussouhaitiezvoirveniràpartvos
onclesetvoscousinsTaggert?
—Mesquoi?
Cefutlepointdedépartd'unenouvelledispute.Kanenevoyaitpaspourquoiilauraitinvitédes
parentsqu'iln'avaitjamaisvus.Aryaneavaitenviedeluidirequ'elleconnaissaitJaneTaggert,mais
commeelleeûtétéincapabledeleluiexpliquer,elleseretint.
—Jelesinvite,queçavousplaiseounon!
—Ilsvontavoirl'airfin,habillésenmineurs!
—Vousn'êtesqu'unsnob!
Opalentradanslesalonàcemoment-làetfutpriseàpartie.
—C'esttrèssimple,dit-elle,vousn'avezqu'àleurfairefairedesvêtementspourl'occasion.
Aryanes'abstintderévélerqu'elles'enétaitdéjàoccupée.
QuandKanes'enalla,lajeunefilleavaitl'impressiond'avoiraffrontéunvéritablecyclone.Ellele
raccompagnajusqu'auperron,oùill'embrassa,nullementtroublé.
—Devrai-jeainsimebattrepourtout?soupiraAryaneenselaissaittombersurlesofaauxcôtésde
samère.
—J'enaibienpeur,souritOpal.Pourquoinevas-tupasprendreunlongbainchaudpourtedétendre
?
—Ilfaudraitquejeresteaumoinstroisjoursdanslabaignoirepourqueçamefassedel'effet!
Mainsdanslespoches,cigareauxlèvres,Kaneregardaitfixementparlafenêtredesonbureau.
—Tuasl'intentiondetravailleroudepassertajournéeàrêver?interrogeaEdan.
—Cesontdesgosses,fitKane,seretournant.
—Quiça?
—Aryaneetsesamis.Ilsn'ontjamaiseuàsebattre,àsedemanders'ilsaurontquelquechosedans
leurassiettelelendemain.PourAryane,lanourriturevientdelacuisine,lesvêtementsdechezla
couturièreetl'argentdelabanque.
—Jen'ensuispassisûr.Aryanemesembleavoirlatêtesurlesépaulesetlefaitd'avoirété
abandonnéeparWestfieldl'aencoreéquilibrée.
—Elleatrouvélargementdequoiseconsoler,ditKaneenembrassantd'ungestelavastedemeureoù
ilssetrouvaient.
—Jenecroispasqu'ellesoitintéresséepartonargent.
—Benvoyons!C'estsansdoutemonartdemanierunetassedethéquil'aséduite.Jevoudraisquetu
lasurveilles.
—Tuveuxquejel'espionne?
—Jesuistrèsricheetc'estmafiancée.J'aipeurqu'onlakidnappe.
—C'estvraimentça,oucrains-tuqu'ellenerevoieFenton
?
—Ellepassepresquetoussesmercredisdanssamauditeégliseetj'aimeraisbiensavoircequ'elley
fricote.
—C'estvraiqueleRévérendThomasestplutôtbelhomme.
—JemefousduRévérendThomas,tum'entends?
s'emportaKane.Faiscequejetedisetarrêtedeposerdesquestions.
Edanseleva,l'airdégoûté.
—JemedemandesiAryaneserendcompteduguêpierdanslequelelleestentraindesefourrer,fitil.
—Lesfemmessontprêtesàtoutpourmettrelamainsurdesmilliards,rétorquaKane.
EngoncéedanssondéguisementdeSadie,Aryanemenaitsonlourdchariotverslamine.Ellepassa
lesgrillessansencombreetnetardapasàs'arrêterdevantchezlesTaggert,oùJanel'attendaitsurle
pasdelaporte.
—Pasdeproblème?soufflaJane.Jesuiscontentequetusachesenfinquejesais...
—Distribuonsd'abordlesprovisions,nousparleronsensuite,ditAryane.
Plusieursheuresplustard,lesdeuxfemmesseretrouvèrentdanslapetitemaisondeJane.
—Tiens,c'estpourtoi,ditAryaneentendantàsonamieunpaquetdethé.
—Ainsi,nousallonsdevenirparentesparalliance?
—Danscinqjours.Tuviendras,n'est-cepas?
—Biensûr,ironisaJane.J'aisortimarobedeCendrillondelanaphtalineetmoncarrossedeverre
estprêt.
—Tun'aspasàtefairedesouci.JacobFentonaautorisétouslesTaggertàsortirducampcejour-là.
MacouturièreetM.Baglysontprévenus.Toutcequetuasàfaire,c'estd'amenertonpère,RafeetIan.
—Facileàdire.Monpèreneserapasunproblème.MaisRafe,c'estuneautrehistoire,sansparlerde
Ianquiahéritédumauvaiscaractèredesononcle.
—JepariequetuesincapabledesavoircommentRafevaréagiràl'idéedeveniràcemariage.Il
peutêtreravicommeilpeutsemettreencolèreetdirenon.C'estça?
—J'ail'impressionqueKaneestunvraiTaggert!Pourquoil'épouses-tu,Aryane?
—Franchement,jenesaispas.Jecroisquenousn'avonsjamaispasséuneheureensemblesansnous
disputer.Jemeretrouveentraindeluifairedesreprochescommeunevraiemarchandedepoisson,et
enmêmetempsj'aienviedeleprendredansmesbrasetdeleprotéger.Jecroisquejesuisdevenue
folle.Aucunefemmesenséen'iraitépouseruntelhomme.
—Alors,pourquoi?
—Jeteledis,jenesaispas.Peut-êtreparceque,lorsquejesuisaveclui,jemesensvraimentvivre.
C'estuneimpressionquejen'avaisencorejamaiseueavantdelerencontrer.Enfait,jecroisque
Kaneestl'homme...
—Oui,jet'écoute?
—L'hommequej'aime,s'entenditdireAryane.
—Est-cedoncunetellecatastrophed'aimerunTaggertpourquetufassesunetêtepareille?s'amusa
Jane.
—L'aimer,cen'estrien,maisvivreavec...
—Inutiled'ypenser,tun'arriverasjamaisàimaginercequeçapeutêtre,ritencoreJane.
—Est-cequetoutetafamilleestcommeKane?
—Monpèretientdesamère.C'estunechance.MaisRafeetIansontdesTaggertcentpourcent.Mais
jepensaisquetonKane,avectoutsonargent...
—Jecroisqueçalerendencorepire.Aufait,commentestIan?Jecroisquejenel'aijamaisvu.Et
quiestsonpère?
—Lyle,lefrèredeRafe.Ilestmortdansuncoupdegrisouàvingt-troisans.QuantàIan,c'est
normalquetunel'aiesjamaisvu.Ilabeaun'avoirqueseizeans,celafaitdéjàdesannéesqu'il
travailleaufonddelamine.IlestcommesononcleRafe:grand,beauetperpétuellementencolère.
—EtlepèredeKane?
—C'étaitFrank,l'aînédesfrères.Ilestmortavantmanaissance.JecroismêmequeKanen'étaitpas
encorenénonplusàl'époque.Maislanuitcommenceàtomber.Ilvaudraitmieuxquetut'enailles
maintenant.
—Tuviendrasaumariage,n'est-cepas?J'aimeraistantquetusoislà!Etpuis,ajoutaAryaneen
souriant,çatedonneraitl'occasiondemevoirhabilléeautrementqu'aveccesoripeaux!
—Detoiàmoi,jecroisquejemesensplusàl'aiseavecSadiequ'avecAryaneChandler.
—Jane,nedispasça!
—Rassure-toi,jeviendrai.
—Ettuirasvoirmacouturièredèsdemainpourtarobe.
Tiens,voicisonadresse.
Janepritleboutdepapieretsourit.
—EtjeteprometsdefairetoutmonpossiblepourRafeetIan.
Surlecheminduretour,AryanerepensaàloisiràsaconversationavecJaneTaggertetàl'incroyable
découvertequ'elleluiavaitpermisdefaire.Oui,elleaimaitKane!Jamaisenfaitellen'avaitaimé
Leander.Cetteidéeluidonnaitenviedechanteràtue-tête.
Lajeunefillefitclaquersonfouet.Ilfallaitqu'ellesedépêchederentrer,defairesatoiletteetdese
changer.
Unsourireespièglecourutsurseslèvresenpensantàlasoiréedevendredi.Elledemanderaità
Leanderd'inviterKaneetEdanàsoncercle.Ainsi,elleauraitlagrandemaisonàelletouteseulepour
recevoirsesamiespourunpetitdînerd'adieux.Unefaçonàelled'enterrersaviedejeunefille.
Pourvuqu'elleobtiennedecethommeaperçudanscettebaraqueforainedeCoalAvenuecequ'elle
attendaitdelui...
Aryaneétaittellementperduedanssespenséesqu'ellenefitpaspreuvecesoir-làdesavigilance
habituelle.Ellenevitpasl'hommequisetenaitcachéàl'ombred'unbosquetetquilaregardapasser
ensilence.
Commeillasuivaitdeloinsursoncheval,Edanfronçaitlessourcils...
CHAPITREXII
LejourdesnocesapprochaitavecunerapiditéétonnanteetAryanenesavaitplusoùdonnerdelatête.
LedînerdumercredisoiroffertparKanefutunsuccès.
—J'airompumesfiançaillesavecJohnaujourd'hui,monsieurTaggert,annonçaCordéliaFarrell.
—Voilàunebonnenouvelle!s'écriaKaneenprenantlajeunefilledanssesbraspourl'embrasser.
Vousméritezbienmieuxquecevieuxjeton!
—Merci,monsieurTaggert,fitCordélia,touterougissante.
—Commentsefait-ilquetoutlemondem'appellemonsieurTaggert?
—Parceque,monsieurTaggert,répliquaAryane,vousn'avezjamaisdemandéàpersonnedevous
appelerKane.
Decejour-làonn'appelaplusKanequeparsonprénom.
Aryanepassasonjeudiàdonnerdesordresàlanuéed'extraengagéspourlemariage,tandisque
KaneetEdanrestaientenfermésdanslebureauàtravailler.
Levendredisedérouladelamêmemanièremais,lesoirvenu,elleeutbiendumalàconvaincre
KanederejoindreLeanderàsoncercle.
—Jen'aipasletemps!Cestypesnetravaillent-ilsdoncjamais?Déjàquejen'auraiplusbeaucoupde
tempsaprèslemariage,avecunefemmetoutletempssurlesbras...Euh,jenevoulaispasdireça...
Aryanenedisaitrien,secontentantdeletoiserduregard.
—C'estbon,céda-t-il.Maisjenevoispaspourquoicettepetiteréuniondoitsetenirchezmoietpas
chezvous!
Tournantlestalons,Kaneallaserenfermerdanssonbureau.
—Mauditesfemmes!s'écria-t-il.
—QuellenouvelletortureAryanet'a-t-elleencoreimposée?souritEdan.
—IlfautquenousallionspasserlasoiréeaucercledeWestfield.Nousdevonsêtrepartisàsept
heuresetnepasreveniravantminuit.Oùestpasséletempsoùlesfemmesobéissaientàleursmaris?
—Cebonvieuxtempsn'estqu'unmythe.Lapremièrefemmes'estempresséededésobéiraupremier
homme.QuecomptefaireAryanependantcetemps?
—Elledonneunthépoursesamiesetjeveuxqueturestesicipourlasurveiller.
—Quoi?
—Elleadonnécongéauxdomestiquespourlasoiréeetjen'aimepasl'idéedetoutescesjeunesfilles
seulesici.Laréuniondoitsetenirdanslasalleàmangeret,tusais,ilyaceréduitdissimuléparun
rideauqui...
—Hein?Tuveuxm'enfermerdansunplacardpourespionnercesdemoiselles?
—C'estpourleurbienetj'estimequejetepaiesuffisammentcherpourquetufassescepetitboulot
pourmoi
!
—Unpetitboulotqui...
Unpeuplustard,AryanecroisaEdandansuncouloiretremarquaunesérieuseecchymoseàsa
mâchoire.
—Quevousest-ilarrivé?
—Rien,jemesuisheurtéàunmur!
Asixheures,lesderniersdomestiquess'enfurentet,versseptheuresmoinslequart,lespremières
amiesd'Aryanecommencèrentàarriver,chacuneapportantquiunetarte,quiunetourte,quiunpâté.
Kane,pestanttoujours,montaàborddesavieillecarriole,àcôtéd'unEdanglacial.
DixjeunesfillesplusDorianeseretrouvèrentdanslavastesalleàmanger.
—Sommes-nousbienseules?demandaTia.
—Oui,enfin,soupiraAryaneenfermantsoigneusementladoubleporte.Passonsauxchoses
sérieuses,maintenant.
Unebouteilledescotchàlamain,assissurunemauvaisechaisedanssoncagibi,Edanbroyaitdu
noir.Parunjourpratiquédanslasoiedurideau,ilpouvaitapercevoirMissEmilydonnantungrand
coupdepoingsurlatable.
—Silence!Silence!Laréunionestouverte!
Edanavalaunebonnelampéede-whisky.
—LaparoleestàAryanequivanousfaireunrapportsurlasituationdanslescampsdemineurs.
Pétrifié,EdanécoutaAryanefaireuncompterendudesmultiplesinjusticesquisévissaientdansles
mines.Certes,ill'avaitsuiviequelquesjoursplustôtetsavaitqu'ellelivraitdeslégumesàlamine,
maiscettefoislafiancéeparlaitdesyndicatsetdegrèves.Lejeunehommeavaitvudeshommesse
fairetuerpourlequartdecequ'Aryaneétaitentraindedire!
NinaWestfieldsemitensuiteàparlerd'unmagazinequ'ellespourraientmonteretfaireentrer
clandestinementdanslescamps.
Edanposasabouteilleàterreetl'oublia.
OnparladeFentonetdesreprésaillesdontilnemanqueraitpasdelesaccablers'ildécouvraitcequi
sepassait.
—JeresteencontactavecJane,ditAryane.J'ignorepourquoi,maisFentonsembleavoirpeurdetous
lesTaggert.Illesaautorisésàveniraumariage.
—EtJanealedroitdevenirfairedescoursesenville,renchéritMissEmily.JesaisquetonKanea
autrefoistravailléchezFenton,maisj'ail'impressionqu'ilyaautrechose.Jepensaisquepeut-êtretu
étaisaucourant.
—Non,jenesaisrien.ChaquefoisquelenomdeFentonestprononcédevantlui,Kanesemeten
colère.
Danssonréduit,Edanavaitl'impressionderêver.Cesjeunesfillesdebonnefamilleneparlaientque
decomplots,desoulèvements,etsemblaientvouloirmenerunevéritableguerrecontreFenton!
Ilfutensuitequestiond'ouvroiretd'oeuvrescharitables,puisonpassaàl'ouverturedescadeaux
qu'ellesavaientapportésàAryane.
Lepremierpaquetrévélaunecaissedevinqu'Aryanes'empressadeserviràlaronde.
—Atanuitdenocesetàtouteslesnuitsdenoces!s'écriaMissEmily,levantsonverre.Qu'elles
soientprécédéesd'unmariageounon,ajouta-t-elle.
Lesautrespaquetsrévélèrentdesdessousdedentellesqu'Edantrouvatoutàfaitaffriolantsmaisguère
enharmonieavecl'idéequ'ilsefaisaitdesjeunesfillesdelabonnesociété.
IlfaillitensuitetomberdesachaisequandDorianesemitàunpianoqu'iln'avaitpasvudansunangle
delapièceetquetoutessemirentàdanserunfrench-cancan,n'hésitantpasàreleverbienhautleurs
jupes.
—Chèresamies,fitenfinAryane,toutessoufflée,àmontourdevousfaireunesurprise.Ellenous
attendenhaut.Vousvenez?
Lapetitetroupequittalapièceenriantetensebousculant.
Restéseul,Edanputenfinsortirdesacachetteetgagnalejardin.Quellepouvaitêtrecettefameuse
surprise?Sanshésiter,ilescaladalerosiergrimpantquicouraitsurlafaçadeetallaépierparla
fenêtre.
Lesjeunesfillesétaientassisesparterre,sepassantgaiementlesbouteillesdevin.Al'autreboutdela
pièce,suruneestradedefortune,unhommevêtuentoutetpourtoutd'unminusculeslipoffraità
l'assistancehilarelespectacleimpressionnantdesamusculaturedelutteur.Chaquenouvelleposeétait
saluéederires,d'applaudissementsetdecris.
Edanredescenditensilencedesonperchoir.Kaneavaitvouluqu'ilrestepourprotégerlesjeunes
filles,maisc'étaitplutôtdesjeunesfillesqu'ilfallaitapprendreàseprotéger!
Lesamedimatin,Kaneentraunefoisdeplusdanssonbureauenclaquantlaportederrièrelui.
—AryanechoisitvraimentsonjourpourêtremaladelTucroisquec'estparcequ'onsemarie
demain?
—Non,jenepensepas.Sansdoutea-t-ellemangé...oubuquelquechosequineluiapasréussi.J'ai
entendudirequ'ellen'étaitpaslaseulejeunefilledeChandleràgarderlachambrecematin.
—Sansdouteserepose-t-elleenprévisiondedemain,grognaKane.
Ils'assitàsonbureauetfarfouilladanssespapiers.
—Nerveux?
—Pasdutout!rétorquaKane,sansserendrecomptequ'iltenaitàl'enverslepapierqu'ilétaitcensé
lire.
Edansepencha,leluipritdesmainsetleremitàl'endroit.
—Merci,soupiraKane.
CHAPITREXIII
Lematindumariage,lesoleilétaitsiresplendissantqu'ilsemblaitavoirétécrééspécialementpource
jour-là.Opalréveillasamaisonnéedèscinqheuresdumatinetentrepritdepliersoigneusementles
robesdesesfillesdansdescartons.
Malgrél'agitationdurez-de-chaussée,Aryanerestaencoreunpeuaulit.Sanuitavaitétéplutôt
troubléeetsonsommeilrare.SespenséesrevenaientsanscesseversKaneetellefitunemuetteprière
pourqu'ilfinisseparl'aimercommeellel'aimait.
Adixheures,Opal,AryaneetDorianeétaientfinprêtespourgagnerlademeureTaggert.Elless'y
rendirentàborddulandaud'Aryane,Willielessuivantenmenantunlourdchariot.
Touteslesjeunesfillesayantparticipéàlasoiréed'adieuxd'Aryaneétaientdéjàlà.
—Lestablessontprêtes,ditTia.
—Etlestentesontétédresséesdanslejardin,ajoutaSarah.
—QuantàMmeMurchinson,elleestdevantsesfourneauxdepuisquatreheures.
—Etlesfleurs?s'enquitAryane.Ont-ellesétéarrangéescommejel'avaisdemandé?
—Jecrois,fitTia.
—Aryane,intervintMissEmily,tuferaisbiend'allervérifiertoi-même.Jevaisfaireensortequeton
marinecroisepastonchemin.
TandisqueMissEmilysepostaitensentinelledevantlaportedubureaudeKane,Aryanepassad'une
pièceàl'autre.
LesmultiplescadeauxenprovenancedesquatrecoinsdesEtats-Unistrônaientsurtroislongues
tablesdresséesdanslepetitsalon.Kaneavaitbeauprétendrequ'iln'avaitpasd'amisàNewYork,de
nombreuxprésentssemblaientvouloirledémentir.IlyavaitlàdesverresdeVeniseenvoyésparles
Vanderbilt,delavaisselled'argentofferteparlesGouldetdescouvertsdevermeildonnéspar
Rockefellerenpersonne.
LeshabitantsdeChandleravaientmisunpointd'honneuràtoutenvoyerendoublepourlesjumelles.
Aryanequittalepetitsalonornédepalmiersenpotetdontlacheminéecroulaitsouslesrosesrouges
etlespenséesviolettes,pourpénétrerdanslegrandsalon.C'estlàqueseréuniraientlesprochesavant
etaprèslacérémonie.
Desguirlandesdefeuillesdevigneentrelacéesd'œilletsrosesfestonnaientleshautslambrisdelaque
blancheetencadraientfenêtresetcheminée.Devantchaquebaievitrée,d'énormesfougèresposéessur
dessellettesd'acajoufiltraientlesrayonsdusoleiletdessinaientdesentrelacsarachnéenssurle
parquetàchevrons.
Aryaneterminaaussivitequepossiblesoninspection,puisgagnal'étage,oùlesautresétaientdéjà
montés.Ilrestaitencorecinqheuresavantledébutdelacérémoniemaislajeunefillesavaitqueles
détailsdedernièreminutesemultiplieraient.
Silerez-de-chausséeétaitl'œuvred'Aryaneetn'avaitplusaucunsecretpourelle,ellen'étaitpas
encorebienfamiliariséeavecl'étage.
Aprèsavoirvérifiéqueriennemanquaitdanslesappartementsréservésauxinvités,lajeunefillese
renditàsachambre,oùl'attendaitTia.
—Jecroisquejenem'habitueraijamaisàcettemaison,ditsajeuneamie.As-tuvucejardinsuspendu
?
—Queljardin?ditAryane,rejoignantTiadevantlaporte-fenêtre.
Cequin'avaitétéjusque-làqu'uneimmenseterrassedésertes'étaitcommeparmagietransforméen
jardintropical.
Palmiers,
fougères,
jasmins
et
bougainvillées
s'entremêlaient,protégésdesardeursdusoleilpardefinesclaiesdeboisblanc.Aryaneramassaune
cartedevisitesurlatabled'osier.
«J'espèrequececivousplaira,lut-elle.Recevezmesvœuxdebonheur.Edan.»
Lajeunefillefuttrèstouchéemaisn'eutguèreletempsdeselaisseralleràsonémotion:déjàMme
Murchinsonfaisaitirruptiondanslachambre.
—Ilyatropdemondedansmacuisine!Faitesquelquechose:jenepeuxpastravaillerdansces
conditions!
—C'estbon,jeviensLajeunefilleneputremonteràsachambrequedeuxheuresplustardtantilyavaitdeproblèmesà
régleràl'office.
—Ilestgrandtempsquetut'habilles,luiditOpal.
Aryanesedévêtitetcommençaàenfilerunefinechemisededentelle.
—Tiens,quiestcettefemme?ditSarah,depuislaporte-fenêtre.
—Jenesaispas,fitTia,venuelarejoindre.Maisilmesemblel'avoirdéjàvuequelquepart.C'est
probablementuneamiedeLeander.Quelledrôled'idéedeveniràunmariagehabilléetoutennoir!
—Nousn'avonspasletempsdenousintéresseràcequisepassedehors,intervintOpal,quifinissait
delacerlecorsetdesafille.
Ignorantlesproposdesamère,Aryaneallarejoindresesamies.Sitôtqu'elleaperçutl'inconnue,elle
sutquielleétait.
—PamelaFenton,murmura-t-elle.
Unsilencegênésefit,puisSarahlerompit:
—Aryane,queljuponveux-tu?
Aryanecontinuaàs'habiller,maissespenséesdésormaisallaientversPamela.Elleétaitsûrequela
jeunefemmeendeuilattendaitKaneaujardin.
OnfrappaàlaporteetSarahallaouvrir.
—Aryane,c'estcethommequitravailleavecKane.Ilveutabsolumentteparler.Ilditquec'esturgent.
—Dites-luiquec'estimpossible,protestaOpal,maisdéjàsafilleenfilaitunpeignoiretallait
retrouverEdan.
Kanefumaituncigareàl'extrémitédujardinquidominaitlaville.
—Bonjour,Kane,murmuraPameladanssondos.
Kanemitunmomentàseretourneret,quandillefit,sonvisageétaitimpassible.
—Tun'aspaschangé,dit-il.
—C'estvrai,jen'aipaschangé.Jet'aimetoujours,Kane.
Jen'aijamaiscessédet'aimeret,situveuxbienpartiravecmoimaintenant,jetesuivraijusqu'aubout
dumonde.
Kanefitunpasverselle,puisreculaaussitôt.
—Non,jenepeuxpasfaireça.
—Maissi,tupeux!Ettulesais.Pourquoitesoucierais-tudesgensdecetteville?Pourquoite
soucierais-tu...d'elle?
—Non,répéta-t-il.
—Kane,insistaPamelaenserapprochantdelui,jet'enprie,necommetspascetteerreur.N'épouse
pasquelqu'und'autre.C'estmoiquetuaimesettusaisquejet'...
—Quetum'aimestellement,coupa-t-il,quetun'aspashésitéàm'abandonnerpourépousercetype!
Non,jenepartiraipasavectoiaujourd'hui.Celalaferaittropsouffriretelleneleméritepas.
Pamelaselaissatombersurunbanc.
—TuvasmerejeteruniquementparcequetuneveuxpasfairesouffrirAryaneChandler?Elleest
jeune.Elletrouveraquelqu'und'autre.Est-elleseulementamoureusedetoi?
—Jesuissûrquetuconnaisl'histoire.ElleaimeWestfield.
Elleaseulementconsentiàm'épouserpourmonargent.
—Danscecas,tuneluidoisrien.
—Tusemblesavoiroubliéquijesuis,Pamela.Moi,jetiensparole.
—Jepensaisquetusavaiscequis'étaitpassé...
—Ils'estpasséquetum'aslaissétomberenmedonnantcinqcentsdollarsdepourboireIC'esttoutce
quejesais.
—Quandj'aiditàmonpèrequ'ilfallaitqu'ilnousmarieparcequej'attendaistonenfant,ilm'a
expédiéedeforcedansl'Ohio.NelsonYoungerdevaiténormémentd'argentàmonpèreetilapayé
sesdettesenm'épousant.
—Maisonm'aditque...
—Quej'aipréférém'enfuirplutôtquedet'épouser?Ettul'ascru,évidemment!Tonorgueilte
perdra.
—Etl'enfant?demandaKaneaprèsunsilence.
—Zacharieatreizeans.Ilestgrand,ilestbeau,etilesttoutaussiorgueilleuxquesonpère.Parsavec
moi,Kane.Situnelefaispaspourmoi,fais-lepourtonfils.
—Monfils,murmuraKane.Commentétaittonmariaveclui?
—Nelsonétaitbienplusâgéquemoietilétaitcontentd'avoirunenfant,qu'ilsoitdeluioupas.Il
aimaitZach.Ils'enoccupaitbeaucoup...Ilsallaientjouerensembleaubase-balltouslessamedis...
—EtZachariecroitquecethommeétaitsonpère?
—Zacht'aimeraitautantquemoisinousluidisionslavérité.
—Lavérité,c'estquetonNelsonétaitlevéritablepèredecetenfant.Moi,jen'aifaitquel'engendrer.
—Alors,turejettestonfils?
—Non.Situl'abandonnais,jeprendraissoindelui.C'esttoiquejerejette,Pamela.
—Kane,jeneveuxpastesupplier.Maissitunem'aimesplusaujourd'hui,turecommenceraspeutêtreàm'aimerdemain.
Kanes'assitprèsd'elleetluipritlesmains.
—Ecoute-moi,Pamela.Cequis'estpasséentrenousremonteàbienlongtempsetjem'aperçois
aujourd'huiquej'aichangé.Situétaisvenuemetrouverilyaencorequelquesmois,jeseraisparti
avectoisanshésiter.MaisilyaAryane...
—Tum'asditqu'ellenet'aimaitpas.L'aimes-tu?
—Jelaconnaisàpeine.
—Alors?Pourquoitournerledosàunefemmequit'aime
?Renonceràtonproprefils?
—Jen'ensaisrien,bonsang!Pourquoifallait-ilqueturevienneslejourdemonmariage?Pourquoi
veux-tuquej'humilieunefemmequiatoujoursété...sibonnepourmoi?Jen'aipasledroitdela
laisserplantéetouteseuleaupieddel'autel!
—Nelsonaussiaétébonavecmoi,soupiraPamela,deslarmescoulantlelongdesesjoues.Au
début,j'aiessayédetejoindrepourt'expliquercequis'étaitpassé,maistuétaisintrouvable.Quandon
acommencéàparlerdetoidanslesjournaux,quelquesannéesplustard,jen'aipluseulecouragede
t'écrire.JenevoulaispasfairedemalàNelson.Quandilestmort,j'aiencoreattendupourvenirici.
J'avaishontedemoi.
PuisZachesttombémaladeetquandilaétéguéri,quej'aipufairelevoyagejusqu'àChandler,tu
étaisdéjàfiancé.Jemesuisrépétéquetoutétaitfinipournous,maisauderniermoment,ilafalluque
jetevoie,quejeteparle.
—Pamela,ditKane,laprenantdoucementparlesépaules,tuastoujoursététropromantique.Avecle
temps,tuidéalises.Souviens-toi,nousnecessionsdenousdisputer.Iln'yaquedanslagrangeque
l'ons'entendaitbien,maisçanesuffitpaspourêtreheureuxensemble.
—Etc'estmieuxavecAryane?
—Quandellen'estpasd'accordavecmoi,ellemefrappeaveccequiluitombesouslamain.Toi,tu
t'enfuyaisettupleuraisentedemandantsijet'aimaistoujours.
—J'aichangé,Kane.
—Jenelecroispas.Tuasvécuavecunhommeâgéquiacontinuéàtegâterautantquel'avaitfaitton
père.Aryane,elle,n'ajamaisétégâtée.
—Etaulit?fit-elleensedégageant.Est-ellemieuxquemoi?
—Jen'enaiaucuneidée.Jenel'épousepaspourça.
—Kane,sijetesuppliaisàgenoux?
—Çaneserviraitàrien.J'épouseAryane.
—Embrasse-moi,murmura-t-elle.Embrasse-moiencoreunefois.
Pamelafermalesyeuxetluioffritseslèvres.Kanehésita,puisposasagrandemainsurlanuquedela
jeunefemmeetl'attiraàlui.
Quandleurbaiserpritfin,ilssesourirent.
—Toutestfini,n'est-cepas?murmuraPamela.
—Oui.
—ToutescesannéesauprèsdeNelson,j'aicruquejet'aimais,maisj'étaisamoureused'unrêve.Mon
pèreavaitpeut-êtreraison.
—Arrêtedeparlerdetonpèreounousallonsnousbattre.
—Tuluienveuxtoujoursautant,n'est-cepas?
—Ecoute,c'estlejourdemonmariageetjeneveuxquedelajoieautourdemoi.Parle-moiplutôtde
monfils.
—Avecplaisir,commença-t-elle.
Uneheureplustard,Pamelaquittalejardin,laissantKanefinirsoncigare.Ilenjetalemégotàterre,
tirasamontredesongousset,constataqu'ilétaitgrandtempsderentrers'habilleretregagnala
maison.
Cheminfaisant,Kanesetrouvanezànezavecsonsosie—
maisunsosiequiauraiteudixansdeplusquelui.Lesdeuxhommess'immobilisèrent,sejaugeantdu
regardcommedeuxchienslorsd'unepremièrerencontre.Ilssurenttoutdesuitequiilsétaient.
—Tuneressemblespasàtonpère,ditRafe,vaguementaccusateur.
—Commentlesaurais-je?Jenel'aijamaisvu!Niluiniaucunmembredesafamille,d'ailleurs.
—Jemesuislaissédirequetonargentnesentaitpastoujourstrèsbon.
—Moi,onm'aditquevousn'aviezpasd'argentdutout.
—TuneressemblespasàFranknonplus.Jem'envais:jen'airienàfaireici.
Déjà,Rafes'éloignaitàgrandspas.
—Vouspouvezêtregrossieravecmoi,criaKrane,maisvousn'avezpasledroitdel'êtrevis-à-visde
cellequej'épouse!
Rafeneseretournapas,maisilhochalatête.
—Ilfautvraimentquejevousparle,ditEdan,leregardsombre.
LesfemmesquientouraientAryaneprotestèrent,maislajeunefillelesfittaired'ungesteetsuivit
Edanjusqu'àsachambre.
—Jesaisquecen'estpastrèsconvenable,s'excusalejeunehomme,maisc'estlaseulepiècedecette
maisonoùnouspuissionsêtretranquilles.Voilà,poursuivit-il,embarrassé.
Vousn'êtespassanssavoirqueKaneestimmensémentricheetqueducoupceuxquiletouchentde
prèssontsusceptiblesd'êtreenlevésenéchanged'unerançon.C'estpourçaqueKanem'ademandéde
voussurveiller.Jevousaisuiviecesderniersjours.
Aryanesentitlesangabandonnersonvisage.
—Jen'aimepascequej'aidécouvert.Passeencorequevousvousrendiezsousundéguisementàla
mine,maisvoscomplots...
—Mescomplots,répétaAryane,sentantsesjambessedérobersouselle.
—Jenevoulaispasvousespionner,poursuivitEdanenlafaisantasseoirsurunechaise,maisKane
m'yaforcé.J'étaiscachédanslecagibil'autresoirpendantvotrethé.
—Qu'avez-vousditàKane?
—Rienencore,etpourtantilvabienfalloirquejeluiparle.Maiscommentvoulez-vousquejelui
disedebutenblancquevousl'épousezparcequ'iladesliensavecFentonetqu'àtraversluivous
espérezpoursuivrevotrecombat!Vousmedécevez,maisj'auraisdûm'yattendre,avecunesœur
commelavôtre,quin'hésitepasàvolerlefiancédesapropre...
—Edan!Jevousinterdis!Riennevousautoriseàparlerainsidemasœur.Quantàcesliensqui
uniraientKaneetJacobFenton,j'ignoredequoivousvoulezparler.Sivouscroyezvraimentqueje
poursuisquelquemachinationcontreKane,allonsletrouversur-le-champettoutluidire!
—Calmez-vous.Dites-moiplutôtdepuiscombiendetempsvousfaitesvospetitesexpéditionsàla
mine?
—Cequenousfaisons,lesfemmesdecettevillelefontdepuisplusieursgénérations.Notreclubaété
fondéparmagrand-mère.Lebutestdes'entraideretdevenirenaideàceuxquienontvraiment
besoin.Ilsetrouvequ'encemomentcesontlesmineursetleursfamilles.J'estimequenotrebutn'a
riend'immoral.Ilestaucontrairehautementlouable!
—Pourquoiuntelsecretalors?
—Parcequesinospères,nosfrèresetnosmarisapprenaientcequenousfaisons,ilsnousen
empêcheraientsousprétextequec'estdangereux.
—Auquelcasilsn'auraientpastort...Et...lesthés?
—C'estaussiuneinstitutiondemagrand-mère.Lapauvres'estmariéeenétanttotalementignorante
deschosesdelavieetelleaététerrorisée.Elleadécidédecréercespetitesréunions.Disonsqu'elles
ontunpeuévoluéavecletemps,achevaAryane,écarlate.
—CombiendefemmesdeChandlerfontpartiedevotresociétésecrète?
—Ilyaunedouzainedemembresactifs.Beaucoupdefemmes,commemamère,sesontretirées
aprèsleurmariage.
—Etvous,avez-vousl'intentiondel'imiter?
—Non,répliquaAryaneenregardantlejeunehommedroitdanslesyeux.
—Jen'aipasl'impressionqueKaneserad'accord.
—C'estpourquoijeneluiairiendit.Edan,celademandedesmoisd'entraînementpourêtrecapable
desetransformerenvieillefemme.Sijemeretire,ilfaudralongtempsavantquequelqu'unpuisse
devenirSadie.Etpendanttoutcetemps,lesmineursserontprivésdupeuquejeleurapporte.
Promettez-moideneriendireàKane.
EdanfixaAryanepuisfinitparsoupirerlourdement.
—Jenedirairienàunecondition:jurez-moidenepasvousmêleràceshistoiresdesyndicatsetde
nepasprendrepartàcejournalsubversifdontilaétéquestionl'autresoir.
Aryanesemitsurlapointedespiedsetl'embrassasurlajoue.
—Merci,Edan.Vousêtesunvéritableami.Maintenant,ilfautquej'aillefinirdem'habiller.Aufait,
quevouliez-vousdireenparlantdecesliensentreKaneetFenton?
—Jecroyaisquevousétiezaucourant.Charity,lamèredeKane,étaitlaplusjeunesœurdeJacob
Fenton.
—Non,jel'ignorais,murmuraAryaneetellesortit.
Quelquesminutesplustard,SarahOakleyprésentaitàAryanesarobedemariée.
—J'aicrurêver,fit-elle;j'aiaperçuquelqu'undehorsetsurlemomentj'aipenséquec'étaitKane
danssesvieuxvêtementsmais,enfait,c'étaitungarçonbeaucoupplusjeunequiluiressemblait
commedeuxgouttesd'eau.
—C'estIan,souritAryane.Jesuiscontentequ'ilaitchoisidevenir.
—J'aibienpeurqu'iln'enrestebientôtplusgrand-chose,intervintNinadepuislabalustradedela
terrasse.LesdeuxfilsRandolphetlesfrèresMeredithsesontmoquésdeluietils'estjetésureux.
—Quatrecontreun!sursautaAryane.
—Çam'enatoutl'air,maisilsontdisparuderrièrelesarbresetjenelesvoisplus.
Aryaneécartasarobedemariéeetseprécipitadehors.
—Oùsont-ils?
—Là-bas.Tuvoiscesfeuillagesquis'agitent?J'ail'impressionqu'ilssebattentcommedes
chiffonniers.
—Jevaisdireàundomestiqued'allerlesséparer,proposaNina.
—VexerunTaggert?s'écriaAryane,renfilantsonpeignoir.Jamaisdelavie!J'yvais.D'ailleurs,il
n'yapersonnedececôtédelamaison.
—Personne,ricanaSarah.Justeunedouzainededomestiques,quelquesinvitéset...
—Siquelqu'unallaitdevantallumerquelques-unesdesfuséesdufeud'artifice,celaferaitdiversion?
suggéraOpal,quisavaitparexpériencequ'ilneserviraitàriendetenterderaisonnersafille.
—J'ycours,fitNina.
—Etmoi,jepasseparlerosier,commeçajenerencontreraipersonne,ditAryane,enjambantdéjàla
balustrade.
Tandisquelesdétonationsdesfuséesattiraientlafoulesurledevantdelamaison,Aryanetraversaà
petitefouléelejardinetdisparutsouslesarbres.EllenetardapasàdécouvrirIan,disparaissantsous
lesgaminsdéchaînés.
—Arrêtezimmédiatement!cingla-t-elle.
Lepugilatcontinuantdeplusbelle,lajeunefillesejetadanslamêlée,tiranttoutd'abordJeff
Randolphparuneoreille.
Ilsepétrifiaenlareconnaissant.
CefutensuiteletourdesdeuxfrèresMeredithetilnerestaplusqueSteveRandolphauxprisesavec
Ian.
QuandlajeunefilleattrapaSteveparuneoreille,legaminfitvolte-face,fouderage,etsansmême
réaliserluilançauncoupdepoing.Aryanel'esquivaetluienvoyaundirectd'unedesesmainsquele
maniementdeschevauxdeSadieavaitrenduesparticulièrementsolides.
Legarnementeffectuaunjolivolplanéetseretrouvalenezdanslapoussière.
—J'avaisencorejamaisvuunefemmeavoiruntelpunch!
commentaIanenseredressant.
—Vousn'avezpashontedevousconduireaussimallejourdemonmariage!Pasunmot!Vous
quatre,allezretrouvervosparentsettoi,Steve,tuferaisbiend'allerdemanderdelaglaceàlacuisine
etd'enmettresurtamâchoire.Toi,suis-moi,dit-elleàIanlorsqu'ilsfurentseuls.
—Sivouscroyezquejevaisvoussuivredanssamaison,iln'enestpasquestion.
—Evidemment.D'autantquepouryentrerilfautpasserparlerosiergrimpantetquejenevoispas
commentquelqu'unquiaperduuncombatseraitcapabledel'escalader.
—Perduuncombat!s'écriaIan,luijetantunregardféroce.Aucasoùvousnesauriezpascompter,
ilsétaientquatrecontremoi!Etsivousn'étiezpasarrivéepoursemerlapagaille,jelesauraistous
assommés.
—Çanechangerienaufaitquetuaspeurd'entrercheztoncousin!Aurevoir!
—Jen'aipaspeur!
—Maisnon.Tun'assimplementpasenviedelevoir.Jecomprendstrèsbien.Toutçaesttrèslogique.
—Bon,alors,oùilest,votremauditrosier?
Aryaneluijetaunregardglacial.
—Oùsetrouvelerosierparlequelvousgrimpez?reprit-ilpluspoliment.
Tapidanslesmassifs,Kaneavaitobservétoutelascène.Ilavaittoutd'abordcrurêverendécouvrant
safuturefemmedégringolantlerosierquicouraitsoussesfenêtres.Quandelles'étaitjetéedansla
mêlée,ilavaitfaitunbondpourveniràlarescousse,maisl'uppercutmagistralqu'elleavaitdécochéà
l'undespugilistesl'enavaitdissuadé.Unfourirel'avaitpris,fourirequimaintenantredoublaittandis
qu'Aryane,toujoursdansunetoilettepeuconvenablepourunelady,escaladaitlafaçadeàlasuitedu
derniergarnement.
Soudain,ilvitAryaneresteraccrochéeaurosierparlebasdesonpeignoir.Elletentaitenvaindese
détacherquandtroishommesetunefemmeapparurentaudétourdelamaison.
D'unesecondeàl'autre,ilsallaientlavoir.
Kanetraversalapelouseencourantetdéjàsamainbruneseposaitsurlachevilledéliéed'Aryane.
Lajeunefillebaissalesyeuxetcruts'évanouirendécouvrantKane.
Commentallait-ilréagir?Quellesituationgrotesque!
Témoind'unetellescène,M.GatesouLeandern'auraientpasdécolérépendantdessemaines!
—Bonjour,fit-elle,unsourireidiotcourantsurseslèvres.
Beautemps,n'est-cepas?
—Toutàfait,pouffa-t-il.Jecomprendsquevousayezeuenviedefaireunepromenade!Maintenant,
Aryane,sivousnevoulezpasêtrevue,vousferiezbienderentrerdansvotrechambre.
—Oui,vousavezraison,dit-elle,enjambantenfinlabalustrade.Kane!appela-t-elledepuisla
terrasse,votrecadeaudemariagevousattendsurvotrebureau.
—Merci!Atoutàl'heure!
Legroupeaperçuquelquesinstantsplustôtarrivait.Kanelescroisa,sifflotant,lesmainsdansles
poches,etleurfitunpetitsignedelatête.
—Aryane,grondaOpal,situnet'habillespastoutdesuite,tuvasratertonmariage!
—Plutôtmourir,rétorqualajeunefille.
Dixminutesplustard,Kaneouvraitlepaquetdéposésursatable.Ilydécouvritdeuxboîtesdecigares
etunmot:
«CescigaresfabriquésàLaHavanesontlesplusfinsdumonde.Nousnousengageonsàenfournir
désormaischaquemoisdeuxboîtesàM.KaneTaggert.»
Kaneallumaitl'und'euxlorsqueEdanparut.Illuitenditlaboîte.
—Cadeaud'Aryane,dit-il,déjàenveloppéd'unlégernuagesubtiletbleuté.Commentcrois-tuqu'elle
aitfaitpourqu'ilsarriventàtemps?
—Jel'ignore,maisunechoseestsûre:Aryanen'estpasquelqu'unqu'ilfautsous-estimer.
—Bon,jesupposequ'ilesttempsquej'aillemepréparer.
Tuviensmedonneruncoupdemain?
—Jetesuis.
CHAPITREXIV
Aryaneavaitdessinésarobedemariéeelle-même.Lasouplesoieivoireenveloppaitsoncorpsen
soulignantseslignesparfaitesetenallongeantencoresasilhouette.Lescrevésdedentelleblanchede
sesmanchesballonlaissaienttransparaîtrelafinessedesesbras,tandisqueletissuserétrécissaitvers
lespoignetsferméspartouteunerangéedeperlesdenacre.Lesmêmesperles,maispluspetites,
constellaientlebustier,ydessinantunsavantmotifpersan.
Quantàlajupefrôlantlesol,elleseterminaitparunetraînebruissantedeplusdecinqmètres.
Aryanedemeurasagementdroiteetimmobiletandisquesesamiesposaientsursescheveux,relevés
enunsavantchignon,lelongvoilededentelledeBrugesauxdélicatsmotifsfloraux.Puiselleenfila
sesgantsassortis.
—Aryane,murmuraOpal,sansparveniràendiredavantagetantl'émotionl'envahissait.
—Maman,nepleurepas.J'épouselemeilleurdeshommes.
—Jesais,machérie.Tiens,prendsceci,dit-elleenluitendantunpetitbouquetderosesjaunes.C'est
tasœurquilesachoisies:lessiennessontrouges.
—Ilfautyaller,intervintTia.J'entendslamusique.
Aryaneretrouvasasœurenhautduvastepalierd'oùpartaientlesescaliersjumeaux.Lesdeuxjeunes
filless'embrassèrenttendrement.
Ausondelamarchenuptiale,AryaneetDorianedescendirentlentementsouslesregardsadmiratifs
desinvitésmassésdanslehall.Seulsleursbouquetsderosesetlesmotifsdeleurvoileles
différenciaient.
Lafoules'ouvritpourleurlivrerpassageetellespénétrèrentcôteàcôtedansl'immensebibliothèque
transforméepourl'occasionenchapelle.Lesintimes,jusque-làassissurdeschaisesimpeccablement
rangées,selevèrentàleurapproche.
Enremontantl'allée,AryaneaperçutJaneTaggertentresonpèreetsononcle,puisellereportason
attentionsurl'estradedécoréedefeuillagesetdefleurs,dresséeàl'extrémitédelasalleoùlesmariés
attendaient.Lesdeuxhommesavaientintervertileursplaces!
AryaneavançaitdroitsurLeandertandisquebientôtDorianeseretrouveraitaucôtédeKane.
Aryane,prisedefourire,jetaunregardespiègleàsasœur,maiscelle-cirestaitdemarbre,lesyeux
fixéssurKane.
Lajeunefillesentitalorssagorgesenouer:cen'étaitpasunsimplealéa,leursbouquetsdifférents
arrangésparDorianeenétaientlaconfirmation.Etait-celàunstratagèmepournepasépouser
Leander?Dorianevoulait-elleKane?
Non,DorianesesacrifiaitpourquesasœurpuissequandmêmeépouserLeander!C'étaitcertes
touchant,maistotalementdéplacé...
Sourianttoujours,AryanefixaKane.Luiaussilaregardaitintensémentetellefutheureusede
constaterqu'unefoisencoreill'avaitreconnue.
Lebonheurdelajeunefillenedurapas,carimmédiatement,Kaneserembrunitetdétournalesyeux.
Pasdedoute:ilpensaitquec'étaitellequiavaitorganisélasubstitution.
Tandisqu'elleatteignaitl'estrade,Aryanesedemandait
commentsortiravecélégancedecequiproquo.Sesprofesseursluiavaientenseignél'artdesetirerde
touteslessituations,maiscelleoùunefemmesetrouvesurlepointd'épouserunautrequesonfiancé
n'avaitjamaisétéenvisagée.
—Chersenfants,commençaleRévérendquandilsfurenttoussurl'estrade.
—Excusez-moi,ditAryane,leplusbaspossiblepourn'êtreentenduequed'euxcinq,maisjesuis
Aryane.
LeandercomprittoutdesuiteetsetournaversKane,quiregardaittoujoursdevantlui.
—Onchangedeplace?dit-il.
—Çam'estégal.Pourmoi,çan'apasd'importance.
Aryanesefitsoudainl'effetd'êtrelacinquièmeroueducarrosse.Apparemment,lesdeuxhommes
allaientsedisputersasœuretlalaisserpourcompte.
—Pourmoi,repritLeander,çaenabeaucoup.
Lesdeuxhommeschangèrentenfindeplacetandisquel'assistance,quijusqu'alorsavaitréussiàse
contenir,éclataitderire.
AryanejetaunregardencoinàKaneetlutlafureurdanssesyeux.
LeRévérendThomasmenarondementlacérémonieetquandlesjeunesmariéss'embrassèrent,le
baiserdeKanefutglacial,contrastantviolemmentavecl'étreintepassionnéedeLeanderetde
Doriane.
—Jevoudraisvousparlerseulàseuldansvotrebureau,soufflaAryane.
Kaneconsentitd'unhochementdetêteetlarepoussa,dégoûté.
Sitôtsortisdelabibliothèque,lesdeuxcouplesfurentassaillisparlesinvitésquin'enfinissaientpas
deglosersurlascèneàl'autel.SéparéedeKane,AryaneseretrouvaprèsdeJaneTaggert.
—Ques'est-ilpassé?demandaJane.
—JecroisquemasœurpensaitmefaireplaisirenmedonnantLeander.Ellesesacrifiaitenépousant
l'hommequej'aime.
—As-tuditàDorianequetuaimaisKane?Quetuvoulaisvraimentl'épouser?
—Kanenelesaitp;lui-même.Jen'aipasoséleluidire:j'avaispeurqu'ilnemecroiepas.Je
comptaissurlescinquanteansquiviennentpourleluifairecomprendre.Al'autel,ajouta-t-elle,les
larmesauxyeux,iladitqu'ilsemoquaitd'épouserDorianeoumoi.
Janepritsonamieparlebrasetl'entraînaàl'écart.
—Tusais,reprit-elle,quandonépouseunTaggert,ilfautêtreforte.Ilaétéblessédanssonorgueilet
ilestcapablededireetdefairen'importequoi.Vaviteletrouveretexplique-luitout.Surtoutnele
laissepasruminerpluslongtemps.Ilvaenfaireunemontagneetaprèsilseratroptardpourlefaire
revenirenarrière.
—Jeluiaidemandédemeretrouverdanssonbureau.
—Alors,quefais-tuici?
Aryaneesquissaunpetitsouriretriste,enrouladeuxfoissatraînesursonbrasetpritladirectiondu
bureau.
Kaneregardaitparlafenêtre,uncigarenonalluméauxlèvres,etneseretournapasquandAryane
entra.
—Jesuisdésoléepourcetteinterversionàl'autel,dit-elle.J'aisansdoutecommisuneerreurdans
l'agencementdelacérémonie.
—VousnevouliezpasépouserWestfield?
—Non!C'étaituneerreur,jevousassure.
—Jen'airiendittoutàl'heure,rétorquaKaneenprenantunpapiersursatable,parcequejene
voulaispasvoushumilierdevanttoutlemonde.Maisjenesupportepaslesmenteurs!Surtoutquand
j'airenoncéàtoutpoureux!
Aryanepritlalettrequ'illuitendait.Tracésd'uneécriturehâtiveetsignésdesonproprenom,elleput
lirecesquelquesmots:«Jeserailamariéeauxrosesrouges,Aryane.»
—Gardezl'argent,gardezcettemaison!explosa-t-il.Vousaveztravaillésuffisammentdurpourça.
Vousn'aurezpasàmesupporterdavantage.Etavecunpeudechance,vouspourrezoffrirvotre
précieusevirginitéàWestfield!
—Kane!protestaAryane,maisilétaitdéjàsorti.
Dorianepénétraquelquesinstantsplustarddanslebureauettrouvasasœurprostréesurunechaise.
—Ilesttempsdedécouperlegâteau.IlfaudraitqueTaggertettoivenieznousrejoindre.
—Çat'écorcheraitlabouchedel'appelerparsonprénom?cinglaAryane,follederage.Atesyeux,il
n'estmêmepascapabledesentiments.Terends-tucomptedecequetuasfait?
—Mais,Aryane,toutcequej'aipufaire,jel'aifaitpourtoi.Jenecherchaisquetonbonheur:
—Monbonheur,vraiment?Commentpourrais-jeêtreheureusealorsquejenesaismêmepasoùse
trouvemonmari?Jeteremerciebeaucoup:grâceàtoijenesauraiprobablementjamaiscequele
bonheurveutdire!
—Moi?Maisqu'ai-jedoncfait,àparttenterdeteprouverquetun'étaispasobligéed'épousercet
hommepoursonargent?
—Tuesvraimentaveugle,mapauvreDoriane!Tuviensdeblesserauplusprofonddelui-mêmeun
hommebon,sensibleetgénéreux.Tul'ashumiliédevantdescentainesdepersonnesettunet'enrends
mêmepascompte.
—Tuveuxparlerdecequis'estpassédevantl'autel,n'est-cepas?Maisjel'aifaitpourtoi.Jesaisque
tuaimesLeanderetj'étaisprêteàépouserTaggertpourquetusoisheureuse.J'aitellementhontedu
malquejet'aifait!J'aibrisétavie,jelesais,maisjen'aicherchéqu'àréparermeserreurs.
—Toi,toi,toi!At'entendre,tusaistout!Tusaisquej'aimeLeander.TusaisqueKaneestunhomme
abominable.
Ecoute-moibien,Doriane.Leandertefaitpeut-êtreperdrelatête,maismoijesuistoujoursrestéede
glacedanssesbras.
Leander,jem'enmoque,etsituavaiseuunminimumdelucidité,tuteseraisrenducomptequejesuis
tombéeéperdumentamoureusedeKane.Ilestnobleetgénéreux.Jesaisquesesmanièreslaissent
parfoisàdésirer,maissoislogiqueavectoi-même:tum'astoujoursreprochélesmiennes,trop
parfaites.
Dorianeselaissatombersurunechaiseetl'expressiondesonvisagetraduisaitunetellesurprise
qu'end'autrescirconstancescelaeûtétécomique.
—TuaimesTaggert?murmura-t-elle.TuaimesKaneTaggert?Maisjenecomprendsplus!Tuas
toujoursaiméLeander!Tul'aimesdepuisl'enfance.
—C'estvrai,ditAryane,soudaincalmée.Dèsl'âgedesixans,j'aidécidéqu'ilétaitl'hommedema
vie.Jevoulaisl'épouser.C'étaitunpeuunbutpourmoi,commeatteindrelesommetd'unemontagne.
J'auraismieuxfaitdemefixercommebutl'Himalaya,poursuivit-elle,amère.Aumoins,unefois
arrivéeenhaut,celaauraitétéfini.Doriane,jen'aijamaiseulamoindreidéedecequejeferaisune
foisLeanderdevenumonmari.
—AlorsquetulesaisavecTaggert?
—Ohoui,jelesais.Jevaisfairedecettemaisonunparadisoùilseraheureuxetoùjeseraiheureuse
àsescôtés.
Unendroitoùjepourraifairetoutcequejevoudrai.
Augrandétonnementd'Aryane,sasœurfutprised'unevéritablefureur.
—Jesupposequetun'aspasjugénécessairedemedireçaplustôt!Ilnet'estpasvenuàl'idéeque
cesdernierstempsjetraversaisunvéritableenfer?Quejemerongeaisderemordsetquejepassais
mesnuitsàpleurer?Etpendantcetemps-là,mademoisellefilaitleparfaitamouravecsonCrésus!
—Jet'interdisdediredumaldelui.Jel'aime!
—Maispourquoinepasmel'avoirdit?
—Parjalousieetparrancœur,ditAryaneentoutehonnêteté.Jecroisquej'avaisenviedevous
chasserdemonesprit,Leanderettoi.Denepasvoiràquelpointvousétiezfaitsl'unpourl'autre.
—Faitsl'unpourl'autre?MapauvreAryane,tutetrompes.Jeneniepasque,physiquement,nous
avonsunegrandecomplicitémaisjecroisqueLeanderestmonHimalayaàmoi.Ilyatouteunepart
deluiquej'ignore,quejeneparvienspasàatteindre.Nousavonspassédesheurescôteàcôteensalle
d'opération,maisc'étaitcommesijen'étaispaslà.Dèsquej'abordeavecluiuncertainseuil,ilse
fermecommeunehuître.
—Entoutcas,jepeuxvoirlafaçondonttuleregardes.
Jamaisjen'aieupourluicesyeux-là.
—C'estparcequetunel'asjamaisvuopérer.Situl'avaisvu,tuaurais...
—Jemeseraisévanouie,coupaAryane.Doriane,jesuisdésoléedenet'avoirrienditplustôt,mais
jesupposequejet'envoulais.Tusais,cequis'estpassém'afaittrèsmal.Jecroyaisvraimentaimer
Leanderettoutemaviej'aiétépersuadéequ'unjourjel'épouserais.Etvoilàquetusurviensetenune
nuittumel'enlèves.Leanderm'appelaittoujourssaprincessedeglaceetjecommençaisàdésespérer
dedonnerunjouràcethommecequetuluiasdonné.
—Ettunedésespèresplus?
—Non,souffla-t-elle,rougissante.
—Tul'aimesdonc?Tun'aspaspeurdevoirlesassiettesvolerdanstouslescoins?Tuneredoutes
paslesautresfemmes?
—Quellesautresfemmes?
Dorianes'enfermadansunsilenceembarrassé.
—Çasuffitcommeça,Doriane.Jesuisadulteetsitusaisquelquechosesurmonmari,dis-le-moi!
—Ehbien,voilà...J'aivuKaneembrasserPamelaFentondanslejardin,justeavantlacérémonie.
Aryanepaniquaquelquessecondes,puisunephrasedeKaneluirevintettoutdevintclairdansson
esprit.Certes,ilavaitembrasséPamela,maisc'étaitellequ'ilétaitvenuaussitôtépouser.Ilavaitdit
avoirrenoncéàtoutpourelle:cebaiserétaitunbaiserd'adieu.
—Doriane,dit-elle,tuviensdefairedemoilaplusheureusedesfemmes.Ilfautquej'arriveàle
retrouveretquejeluidisequejel'aime,quejeluidemandepardon.
—Commentça,leretrouver?
—Kanem'aquittée.
—Quoi?Maisc'estimpossible?Pasenpleinmariage!
Pasdevanttouslesinvités!
—Pourquoiserait-ilrestéaumilieudegensquinepensentqu'àricanersurcequis'estpassétoutà
l'heure?Kanecroitquej'aimetoujoursLeander,quec'estmoiquiaiorganisécettesubstitution.
QuantàM.Gates,ilestpersuadéquej'épouseKanepoursonargent.Jecroisqu'iln'yaquemamanà
savoirquejesuisamoureusepourlapremièrefoisdemavie.
—MonDieu,quepuis-jefaire,Aryane?
—Rien.Ilestparti.Ilm'alaissédel'argent,cettemaisonetilatournélestalons.Jen'aiaucuneidée
del'endroitoùilsetrouve.Ilestpeut-êtredéjàdansletrainpourNewYork.
—Moi,jelecroiraisplutôtàsacabane.
LesdeuxsœursseretournèrentbrusquementpourdécouvrirEdan.
—Jenevoulaispasmemêlerdecequinemeregardepas,repritlejeunehomme,maisaprèscequi
s'estpassétoutàl'heure,jemedoutaisqueKaneseraithorsdelui.
—Jevaisallerlerejoindreettoutluiexpliquer,ditAryane,sautantsursespiedsetramassantsa
traîne.Doriane,sachequejenet'enveuxpas.
—Situsavaiscommejeregrette...Dèsquelaréceptionseraterminée,jet'aideraiàfairetesbagages.
—Pasquestion,machérie.Jeparssur-le-champ!Monmariestbienplusimportantquequelques
centainesd'invités.
Tun'aurasqu'àtrouveruneexcusepourexpliquercettedisparition.
—Mais,Aryane,jesuisincapabledefairefaceàunetelleréception!
—PauvreDoriane,souritsasœur.C'estcurieux,jecroyaisàt'entendrequej'avaisreçuuneéducation
complètementinutile.Allez,nefaispascettetête.Quisait,ilyaurapeut-êtrequelquescas
d'intoxicationalimentaireettupourrasmontrertestalents!Bonnechance...
Sitôtsortisdubureau,Edanlapritàpart.Luisouriait,maisAryane,elle,étaitloindepartagersa
bonnehumeur.
—Pasàdire,m'espionnerestdevenuchezvousunehabitude!
—Sil'onveut.Entoutcas,endeuxsemainesj'enaiapprispresqueplusquependantlerestedemon
existence.Dites-moi,vousétiezsérieusequandvousdisiezaimerKane?
—Parcequevousaussi,vousmeprenezpourunementeuse!Ecoutez,ilfautquej'aillemechanger.
Grimpercettemontagnenevapasêtreunepartiedeplaisir.
—Voussavezoùsetrouvelacabane?
—J'enaiunevagueidée.
—Aryane,vousn'allezpasainsicouriraprèslui.Laissez-moiyalleretjeluiexpliqueraitout.
—Pasquestion.Kaneestmonmarietj'irailetrouverseule.
—Ah,soupiralejeunehomme,jemedemandes'ilserendcomptedelachancequ'ila.Quepuis-je
fairepourvousaider?
—AlleztrouverSarahOakleyetdites-luidemerejoindredansmachambrepourm'aideràme
changer.Non,attendez,envoyez-moiplutôtJaneTaggert.C'estcettejeunefemmeravissantedansune
robemauve.
—Ravissante?Tiens,tiens.Bon,j'ycours.Bonnechance,Aryane!
CHAPITREXV
Janeapprouvatoutàfaitladémarchedesonamieetl'aidaàchangerdetoiletteenunclind'œil.
QuandAryanefutprête,lesdeuxjeunesfemmesquittèrentlamaisonparunescalierdérobéet
retrouvèrentEdandanslejardin.Ilattendaitdissimulédansunbosquet,tenantunchevalparlabride,
unedoublesacochedecuirpasséesurl'encolure.
—Dequoimangerpendantquelquesjours,expliqua-t-il.
Vousêtessûredevouloiryaller?Sivousvousperdiez...
—Jesuisnéeici,Edan,etjeconnaislarégioncommemapoche.Voussaveztrèsbienquejenesuis
pasunepauvrepetitecréaturesansdéfense,mêmesic'estcequelesgenscroient.
—Allez,va-t'en,intervintJane.Etnetefaispasdesoucipourici.Rejoinstonmarietnepenseàrien
d'autre.
AryanequittalarésidenceTaggertaussidiscrètementquepossible,maiscen'étaitpaschoseaiséeque
depasserinaperçueaumilieudeplusdecinqcentsinvités.
Commeelleatteignaitlesgrilles,ellefaillitrenverserRafeTaggertetPamelaFentonquise
promenaientbrasdessus,brasdessous.Sonchevalfitunécartenarrièreetsonchapeaumanqua
tomber.
Rafeluijetaunregardamusé.
—Vous,vousêteslajumellequiaépouséunTaggert,fit-il.Etmaintenant,vousvousenfuyez!
—AutantquejeconnaisKane,intervintPamelaavantqu'Aryaneaitpurépondre,iladûêtre
profondémentblesséparcequis'estpassédevantl'auteletilestdéjàparti.Est-cequevousseriezen
traindeluicouriraprès?
Aryanenesavaitquelleattitudeadopterfaceàl'anciennemaîtressedesonépoux.Elleredressa
fièrementlementonetchoisituntonneutreetfroid.
—Parfaitement,madame.
—Bravo!Cequ'illuifaut,c'estunefemmecourageuse.
Moi,j'attendaistoujoursqu'ilmerevienneetj'avaistort.
J'espèrequevousêtesprêteàaffrontersacolère.Ellefaitsouventpeuràvoir.Entoutcas,mes
meilleursvœuxvousaccompagnent.
—Merci,murmuraAryane,nesachantquepenserdudiscoursdePamela.
Semoquait-elleouétait-ellesincère?
Aryanenecroisapluspersonneetpoussaunsoupirdesoulagementlorsqu'elleseretrouvadansla
campagne.
Laplaineétaitlongueàtraverseretlajeunefemmeeuttoutleloisirderepenseràcequis'étaitpassé.
PauvreKane,s'ilavaitmieuxconnulesgensdeChandler,ilauraitsuqu'ilssemoqueraientbienplus
deLeanderetdeseshésitationsquedelui.Kaneauraitdûsimplementresteretrireaveclesautres.
Malheureusement,KaneTaggertnesavaitpasriredelui-même.Illuifaudraitapprendre.
Aryaneatteignitlepieddesmontagnesets'engageadansleraidillonsuividéjàunefois.Ellenetarda
pasàarriveràl'endroitoùilsavaientpique-niqué.
Kaneavaitditquesacabanesetrouvaitquelquepartau-dessus,maisoù?
Lajeunefemmesautadesamonture,ôtasavestequ'elleattachaàlaselleetentrepritd'explorerles
broussaillesenvironnantes.
Aprèsavoirexaminélesfalaisesquilasurplombaientsousdifférentsangles,ellefinitparydeviner
unvaguesentierquisinuaitàtraverslesroches,pourdisparaîtredéfinitivementsouslesconifères.
Quediablefaisait-elleenpleinenature,touteseule,lejourdesonmariage?Al'heurequ'ilétait,elle
auraitdûouvrirlebaldanslesbrasdesonmari.Sonmari!Justementtoutelaquestionétaitlà.Au
dired'Edan,ilsetrouvaitenhautdecettemontagne,maislejeunehommepouvaitsetromper.Rienne
prouvaitqueKanen'étaitpasenroutepourl'Afriqueoul'AmériqueduSud.Aveclui,ilfallait
s'attendreàtout!
Aryaneretournaàsoncheval,luidonnaàboireetremontaenselle.
Lesentierserévélaencoreplusétroitqu'ellenel'avaitcru.
Lesbranchesdesépineuxs'accrochaientparendroitsàsesjambes,déchirantsajupe.
Unefoisdanslaforêt,saprogressionfutencoreplusdifficile.Nonseulementelledevaitfaire
attentionauxépineuxmaislesbranchesbassesl'obligeaientsansarrêtàsecouchersurl'encolurede
soncheval.
Adeuxreprises,elleduts'arrêterpourtrouversoncheminet,ladeuxièmefois,ellefitfausserouteet
seretrouvadansuncul-de-sac.Elleeuttouteslespeinesdumondeàfairedemi-tourpourretournerà
sonpointdedépart.
Repartiedanslabonnedirection,elleeutlajoiededécouvrirunlambeauducostumedeKane
accrochéàunbuisson.Oui,plusdedoute,sonmariétaitbienpasséparici.
C'estalorsqu'ilsemitàpleuvoir.Toutd'abord,ellen'entenditquelebruitdesgouttesd'eaumartelant
lesarbres,puisenl'espacedequelquessecondes,ellefutcomplètementtrempée,lapluiecascadant
littéralementlelongdesrochers.
Aryanenepouvaitplusvoiràdeuxmètresdevantelleetcontinuadeprogresserlenezrivéausol,
angoisséeàl'idéedeperdreàtoutmomentlatracedumincesentier.
Letonnerrealorss'enmêlaetlechevalsemitàbroncheràchaqueéclair.Lajeunefemmefinitpar
descendreetletiraparlabride,trébuchantsurlesolboueux.Lesentierdevintuneétroitecorniche,
coincéeentrelafalaiseetleprécipice.Aryaneavançaitpasàpas,calmantsonchevalaufuretà
mesurequ'elleprogressait.
—Situnetransportaispaslesprovisions,luidit-elle,ilyabellelurettequejet'auraislaissépartir...
Arrivéeauboutdelacorniche,unnouveléclairzébralecieletAryaneaperçutenfinlacabane.Elle
s'arrêta,dégoulinantedepluie,etremercialeciel.Uninstantelleavaitcruqu'ellen'atteindraitjamais
sonbut.
Quefairemaintenant?Alleràlaporteetfrappercommesiriennes'étaitpassé?Commesicette
visiteétaitnaturelle?
Soudain,Aryanedutluttercontrel'enviederebrousserchemin.
Brusquement,l'orageredoubladeviolence,lesmontagnesrépercutantlesroulementsterrifiantsdu
tonnerre.Lechevald'Aryanehennitdeterreuretaussitôtunautreluirépondit.
Alors,lechevalseruaenavant,etseprécipitaverslacabane.
Lajeunefemmeperditl'équilibreetsemitàdévalerleflancdelamontagneenhurlant,soncri
aussitôtcouvertparladéflagrationd'unearmeàfeu.
—Fichez-moilecampenvitessesivousnevoulezpasquejevousfassesauterlacervelle,tonnala
voixdeKane.
Accrochéeàuneracine,Aryaneluttaitpourretrouversonéquilibreetnepastomberdansleprécipice
quis'ouvraitsouselle.Sepouvait-ilqueKaneluienvoulûtaupointdeluitirerdessus?
Lemomentn'étaitpasàcegenredequestion.Ellen'avaitpaslechoix:soitellesombraitdans
l'abîme,soitelleaffrontaitsoncourroux.
—Kane!cria-t-elle,sentantsesforcesl'abandonner.
Pratiquementàlamêmeseconde,levisagedeKaneseprofilaau-dessusd'elle.
—NomdeDieu!s'exclama-t-ilens'empressantd'allongerlebraspourlasaisir.
Ilparutlasoulevertelleuneplumeetlaremitdeboutsurlaterreferme.Puisilreculaetlaregarda
commes'ildoutaitdesaprésenceici.
—Jesuisvenuevousvoir,ditAryaneententantdesourire.
—Soyezlabienvenue.Cen'estpassouventquejereçoisdesvisitesparici.
—C'estpeut-êtredûàvotremanièred'accueillirlesvisiteurs,ditlajeunefemme,coulantunregard
significatifaurevolverqueKaneserraittoujoursdanssagrandemain.
—Voulez-vousentreruninstant?Ilyadufeuàl'intérieur.
Enuneexplosionterrifiante,lafoudretombaprèsd'euxet,sansmêmes'enrendrecompte,Aryanese
retrouvadanslesbrasdesonmari.Ellesutquec'étaitmaintenantoujamais.
Lentement,AryanelevasonvisagemouillédepluieversKane.
—Vousm'avezunjourditquevousseriezprésentànotremariagesienéchangej'étaislàpournotre
nuitdenoces.Voilà,jesuisvenuetenirmapromesse.
LevisagedeKanefutalorsbalayépardesémotionsmultiplesetcontradictoiresquipassèrentsurlui
aveclamêmevitessequelesnuagesnoirsdanslecielau-dessusd'eux.Puisilrejetasatêteenarrière
etpartitd'unriresisonorequ'ilsemblacouvriruninstantlebruitdesélémentsdéchaînés.
L'instantd'après,ilprenaitAryanedanssesbrasetl'emportaitverslacabane.Arrivéàlaporte,Kane
s'arrêtaetembrassadoucementlajeunefemme.Ellesutalorsquesonpéniblepéripleàtraversles
montagnesétaitentièrementjustifié.
Al'intérieurdel'uniquepièce,ungrandfeubrûlaitdansunecheminéedepierrequicouvrait
entièrementl'undesmurs.
—Jesuisdésolé,ditKane,maisjen'aipasdevêtementsderechange.Tenez,ôtezlesvôtreset
enveloppez-vousdanscettecouverturependantquejevaisattachervotrecheval.
—Ilyadesprovisionsdanslessacoches,criaAryanecommeilsortait.
Unefoisseule,Aryaneôtaunàunsesvêtementstrempés,sanspouvoirs'empêcherderegardersans
cesselaporteparlaquelleKanereviendraitbientôt.
—Trouillarde,sedit-elleàhautevoix.Tut'esofferteàlui.
Maintenant,ilfautassumer.
QuandKanerevint,Aryaneétaitblottiedevantl'âtre;seulsonvisageémergeaitdel'épaisse
couverturedelaine.
Illuisouritetdéposalesprovisionssurleplancher.
Pourtoutmobilier,lacabanecontenaitunvastelitdeboisblancoùdevieillescouverturesétaient
empilées.Desboîtesdeconserves,poséeslesunessurlesautres,couvraienttoutelasurfaced'unedes
quatreparoisdelacabane.
—Vousavezeuunebonneidéed'ameneràmanger.Edannemecroiraitpass'ilpouvaitm'entendre,
maisdevousàmoi,j'enaipar-dessuslatêtedesconserves.
—Jen'ensuispassisûre.C'estluietvotrecousineJanequiontremplilessacoches.Ilsontmême
misunmorceaudugâteaudemariage.
—C'estvrai,lemariage,soupiraKane.Jesupposequejevousaicomplètementgâchécettejournée.
Lesfemmesattachenttantd'importanceàcegenredecérémonie,ajouta-t-ilencommençantà
déboutonnersachemise.
—Beaucoupdefemmesontunmariagecommeceluiquej'avaisprévu,maisbienpeuenontun
commelemien.
Kaneluisouritenretirantsachemise.
—C'estvotresœurquiavaittoutmanigancé,n'est-cepas
?Vousn'aviezrienàvoirlà-dedans?Jel'aicomprisenvenantici.
—Oui,c'estça.MaisDorianenepensaitpasàmal.Ellem'aimeetcroyaitquejevoulaisépouser
Leander.Alors,elleavouluarrangerleschoses.
QuandKaneentrepritderetirersonpantalon,Aryanedétournalesyeux.
—Croyait?repritKaneet,commelajeunefemmenerépondaitpas,ilinsista:Vousavezditqu'elle
croyaitquevousvouliezLeander?Ellenelecroitdoncplus?
—Pasaprèscequejeluiaidit,murmuraAryane,fixantobstinémentlefeu.
Elleentendait,danssondos,Kanesefrictionneravecuneservietteetluttaitcontrel'enviedese
retourner.Etait-ilaussibienbâtiquel'athlètedontelleavaitlouélesservicespoursapetitefête
d'adieux?
Kanevints'agenouillerauprèsd'elle.Ilneportaitquesaserviette,qu'ilavaitceinteautourdeses
reins.Soncorpsn'étaitpasd'unathlète,putconstaterAryane,maisbiend'undieudel'Antiquité.Sous
lapeaulisseetdoréeroulaientdesmusclessuperbementdéliés.
—Vousm'avezdéjàunefoisregardécommeça,murmuraKane.C'étaitcematin,justeavantque
vouscherchiezàm'assommeraveccepichet.Avez-vousl'intentionderecommencer?
Aryaneleregardadroitdanslesyeuxetlaissalentementglissersacouverturesursagorge.
—Non,souffla-t-elle.
Lachaleurdufeuétaitintensesurlapeaunued'Aryane,maislamaindeKanequiseposaitsursa
joueétaitencoreplusbrûlante.Sesdoigtsseglissèrentdanslescheveuxhumides,caressèrentsa
nuquetandisquesonpoucefrôlaitdoucementseslèvres.
—Jevousaidéjàvuedanstoutessortesderobesravissantes,dit-il,maisjamaisencorevousn'aviez
étéaussijoliequ'encetinstant.Jesuisheureuxquevoussoyezvenue.
Cetendroitestfaitpourl'amour.
AryanenequittapaslesyeuxdeKanetandisquesamaindescendaitlelongdesoncou,suivait
lentementl'arrondidel'épaule,s'attardaitsurlagorge.Quandilrepoussadoucementlespansdela
couverture,lajeunefilleréalisaqu'ellepriaitintérieurementlecieldenepasledécevoir.
Kanelapritparlesépaulesetl'allongeasurlesol,puisécartacomplètementlacouverture,révélantle
corpsnuetparfaitd'Aryane.
—Quevousêtesbelle!
—Jevousplais?
—Meplaire?Maisregardezdoncmesmains:ellestremblentcommedesfeuilles.Sijeneme
retenaispas.jemejetteraissurvous.Maisunefemmequiaescaladédesmontagnespourme
rejoindreméritetousleségards.Quediriez-vousdeboirequelquechose?Aimez-vouslepunch?
—Peut-être,jenesaispas.
—Vousallezgoûter.
Kaneserelevaetallaouvriruneboîtedefruitsausirop.Ilenversalejusdansuneautreboîtevide,y
écrasaquelquesfruitsavecunefourchetteetyajoutaunebonnerasadederhum.
—Non,dit-ilcommeAryanefaisaitminederemettrelacouverturesursesépaules.Restezcommeça.
Sivousavezfroid,dites-le-moi,jevousréchaufferai.
Ilrevintprèsd'elleetluitenditsapréparation.
—Désolé,jen'aipasdeverre,maisvousverrez,cetteboîteremplittrèsbienlemêmeoffice.
Aryanecommençaàboire.Audébut,ellesedemandaitcequ'ellefaisaittoutenueassiseparterre
danscettecabaneperdueaumilieudelaforêt,maislorsqu'elleeutfini,celaluiparutlachoselaplus
naturelledumonde.
—Çavamieux?demandaKane.
—Beaucoupmieux.
ElleallaitboireencorequandKaneluiretiralaboîte.
—Jevousveuxdétendue,dit-il,passaoule.
Kanepritlajeunefilledanssesbrasetellenouad'ellemêmesesmainsderrièresanuque.Jamaisde
savie,Aryanenes'étaitsentieaussiàl'aiseetcefutellequiposaseslèvressurcellesdeKane.
—Qu'avez-vousditàDorianeausujetdevousetdeLeander?demanda-t-il.
—Qu'ill'enflammaitpeut-êtrecorpsetâmemaisquemoi,ilmelaissaitdéglace.
—Deglace,murmura-t-il,vraiment?
KanepritAryanecontreluietl'embrassaprofondément,sesmainscourantsurlecorpsdelajeune
fille.Seslèvresetsesdoigtséveillaientenelleunmondedesensationsinconnuesautantque
délicieusesetelles'yabandonnaittotalement.
—Doucement,souffla-t-ilàsonoreille.Nousavonstoutelanuitdevantnous.
MaisAryanenevoulutpasl'écouteretelletrouvasibienlesgestesqu'ilfinitparlasuivreplutôtque
laprécédersurlescheminsdel'extase.Cefutellequivintàsarencontreetlorsqu'illapénétra,ellene
putreteniruncridesouffrance.
Kanes'immobilisaaussitôtetcouvritsonvisagedebaisers.
Peuàpeuladouleurs'évanouit,cédantlaplaceauplaisir.
CefutalorsautourdeKanedeprendrel'initiative,imprimantàleurscorpslerythmedel'amour.Ilfit
graviràcellequidésormaisétaitvraimentsafemmeleséchelonséblouissantsduplaisircharnelet
Aryaneseperdit,criant,gémissantetsuppliant,sesmainss'accrochantauxlargesépaulesdel'homme
quilarévélaitàelle-même.
Ellechaviradéfinitivement,gémissantunedernièrefoissonnom.Alors,Kanesesoulevasurles
coudesetlaregarda,sonvisagerevêtantuneexpressionétrangequ'Aryaneneluiavaitencorejamais
vue.
—Jenet'aipasplu?demanda-t-elle,angoissée.Toiaussi,tucroisquejesuisfrigide?
—Non,monamour,sourit-ilenl'embrassanttendrement.
Tuestoutsauffrigide.Nonseulementtuesunevraielady,maistuesaussiunevraiefemme.La
femmelaplusmerveilleusequej'aiejamaisrencontrée.
Ildéposaunbaisersursonfront.
—Jevaisunpeudehors,annonça-t-il.Lapluiemeferadubien.Puisnousmangerons.Ilfautqueje
prennedesforcessijeveuxtefairel'amourtoutelanuit.
Aryaneleregardaseleveretsentitbienqu'iln'avaitpasenvied'êtreseulmêmepourquelques
minutes.
—Viensavecmoi,dit-ilenluitendantlamain.
—Jusqu'auboutdumonde,réponditAryane.
CHAPITREXVI
Aryaneetsonmarioffrirentleurscorpsnusàlapluienocturne.Lajeunefemmen'avaitpasfroid:
elleétaittouteàsamerveilleusedécouverte.Non,ellen'étaitpasdeglace.Soncorpsrecelaitdes
trésorsdepassionqueLeandern'avaitjamaissuluifaireconnaître,c'étaittout.Sansdoutese
connaissaient-ilstrop.Sansdouteleurrelationétait-ellepluscelled'unfrèreetd'unesœurquede
deuxamants.
—Tuasl'airbienrêveuse,ditKaneenlaprenantdanssesbras.Dis-moiàquoitupenses.Queressent
unedameaprèss'êtredonnéeàungarçond'écurie?
—Ellesesentmerveilleusementbien,ritAryane.Enfait,ellenesesentplusdamedutout,ellesesent
femme.
—Tuessûredenepasregretterquenotrenuitdenocesnesesoitpaspasséedansdesdrapsdesoie?
Tun'auraispaspréféréquecesoitunautrehommequi...
—Idiot,fitAryane,posantsamainsurleslèvresdeKane.
Cettenuitestlaplusmerveilleusedemavieetpourrienaumondejenevoudraisunautrequetoià
mescôtés.Unecabanedanslesbois,seuleavecl'hommequ'onaime.Quepeut-onrêverdeplusbeau
?
Kanelafixaitintensément,lesourcillégèrementfroncé.
—Rentrons,dit-il,nousallonsprendrefroid.
IlprécédaAryaneverslacabanemais,soudain,fitvolte-faceetlapritdanssesbras,unissantenun
baiserfougueuxleurscorpsfroidsettrempésdepluie.Lajeunefemmes'abandonnafollementàson
étreinte.
Enfin,illasoulevadanssesbrasetl'emportaàl'intérieurdelacabane,labouchonnantàl'aidedela
couverturecommeill'eûtfaitd'unpoulainnouveau-né.
—Tuesextraordinaire,disait-il.Jem'étaisfaitpleind'idéessurcequepouvaitêtrelemariageavec
unedesjumellesChandler,maistuviensdelesbalayeràjamais.
—Es-tudéçu?Jesaisquetuvoulaistemarieravecuneladyetj'aipeurdenepasmecomporter
commel'uned'elles.
Kanemarquauntempsd'arrêtpourpesersoigneusementsesmots.
—Disonsquejesuisentraind'apprendrebeaucoup,dit-il.JedoutequelafemmedeGouldaitjamais
escaladéunemontagnesousl'oragepourleretrouver.
Illaserradenouveaucontresonlargetorseetenfouitsonvisageaucreuxducoufragile,le
meurtrissantdebaisers.
—Sais-tufairelacuisine?murmura-t-il.Ouest-cetroptedemander?
—Jesuisplusdouéepourorganiserundînerquepourlepréparer.Pourquoi,tun'aimespasMme
Murchinson?
—Disonsquejesuistrèscontentqu'ellenesoitpaslàencemoment.Non,jevoulaissimplement
savoirsituétaiscapabledenousfaireàmangeraveclesprovisionsquetuasapportées.
—Jecroispouvoirsurmontercetteépreuve,rit-elleenéchappantauxgrandsbrasmusclés.Ah,
soupira-t-elle,jevoudraisquecettenuitneprennejamaisfin!J'avaispeurquetunemerenvoies.Et
puis,jesuissiheureused'êtreiciplutôtqu'àChandler.C'esttellementplusromantique!
—Romantiqueoupas,sijenemangepasrapidementquelquechose,jecroisquejevaism'écrouler.
—Danscecas,ilfautagirvite!
TandisqueKaneremettaitduboisdanslefeu,Aryanevidalessacoches.Unmots'enéchappa.
«Machèrefille,lut-elle,jesouhaitequetonmariaget'apportetoutlebonheurdumonde.Jepenseque
tuaseuparfaitementraisondesuivretonmarietnet'étonnepasenrevenantsilebruitcourtqu'enfait
c'estluiquit'aenlevée.Jet'embrasse,Opal.»
KanesedétournadelacheminéeetdécouvritAryanelesyeuxpleinsdelarmes,serrantentreses
doigtslafeuilledepapier.
—Quesepasse-t-il?
Aryaneluitenditlalettresansunmot.
—Jet'aienlevée?Qu'est-cequeçaveutdire?
—Celasignifiequelorsquenousretourneronsenvilletaréputationd'hommelepluschevaleresque
deChandlerseradéfinitivementancrée.
—Maquoi?
—Taréputationdepreuxchevalier!Toutacommencécejouroùtum'asemportéedanstesbrasàla
garden-party.
Ensuite,ilyaeucescow-boysquetuasrossésenpleinerue.
Enfin,ilyaeucedînerauxchandellesouplutôtcepique-nique,devrais-jedire.
—Maisc'estparcequ'iln'yavaitpasdechaises!Etpuis,àlagarden-party,j'avaisrenversémon
assiettesurtarobe!
Quantauxcow-boys,jenepouvaistoutdemêmepasresterlàsansrienfaire!
—Lerésultatestlemême.Enrentrant,jesuissûrequetouteslesgaminesteregarderontavecdes
yeuxmouillésd'admirationetnerêverontqued'épouserunhommequitoutcommetoilesenlèvera
aubeaumilieudelacérémoniepourlesemporterdansunecabaneperdueaufonddesbois.
Kanerestasilencieuxpendantunebonneminute.Puis,ilsourit,vints'asseoirprèsd'Aryaneet
l'embrassadanslecou.
—Romantique,rit-il.Alorsquesansmafemmepourmeguiderjepasseraismontempsàme
ridiculiserdevanttoutlemonde...Qu'est-cequec'estquecetrucrosâtre?
—Dufoiegras.Etlespetitestachesnoires,cesontdesparcellesdetruffe:unchampignontrèsrare.
Aryanefitgrilleruntoastsurlesbraisesdelacheminée,letartinadefoiegrasetletenditàKane.
—Qu'enpenses-tu?demanda-t-elle.
—Pasmauvais.Qu'ya-t-ild'autre?
Aryaneentrepritd'ouvrirunàunlesrécipientsdeporcelaine.
—Saumonfumé,avocatsaucrabe,cocktaildecrevettes,jambond'Yorketpouletrôti.
Cederniern'étaitpasprévuaumenumaisAryanecompritqueMmeMurchinsonl'avaitrajoutépour
faireplaisiràsoncherKane!Ellesedemandacombiendepersonnesavaientfinalementprispartaux
préparatifsdesafuite...
—Aufait,ditKane,as-tutrouvétoncadeaudemariagedanslepetitcoffrerecouvertdecuir?
—Celuiquiestdanslesalon?Non,jen'aipaseuletempsderegarder.Quecontient-il?
—Sijeteledis,iln'yauraplusdesurprise.
—Uncadeaudemariagedetoutefaçondoitêtrefaitlejourmême.Danslamesureoùnoussommes
icietlecoffrelàbas,jeréclameunautrecadeau.
—Maistun'asmêmepasvucequec'était!Etpuis,queveux-tuquejetedonne?Ici,iln'yarien.
—J'aimeraisquetupartagesavecmoiundetessecrets.
—Jet'aidéjàtoutditsurmoi?Queveux-tusavoir?Oùsecachedel'argentliquideaucasoùje
feraisbanqueroute?
—Jepensaisàquelquechosedepluspersonnel.Tupourraismeparlerdetesparents,detesliens
mystérieuxaveclesFenton,medirecequis'estpasséentrePamelaettoicematinaujardin.
Unmoment,Kanefuttropsidérépourpouvoirparler.
—Tuneveuxriend'autre?Matêtesurunplateau,parexemple?Pourquoiveux-tusavoirces
choses-là?
—Parcequenoussommesmariés.
—Nerecommencepasàprendretesairsdegrandedame.Destasdecouplessontcommetamèreet
tonbeau-père.Ellel'appelleM.Gates,parrespect,etjesuissûrqu'ellen'ajamaisoséluiposerde
questionscommetulefais.
—Alors,disonsquejesuiscurieuse.Aprèstout,c'estmacuriositéquim'afaitvenircheztoi.
—Bon,jevaistediretout.Detoutefaçon,Pamelam'aditqued'iciàquelquesjours,toutelaville
seraitaucourant.Tutesouviensque,quandj'étaisplusjeune,Fentonm'ajetédehorsparcequeje
fréquentaissafille?
—Oui,jesais.
—J'aitoujourscruquequelqu'unnousavaitespionnésetétaitalléleluiraconter.Aujourd'hui,
Pamelam'aditquec'étaitellequiluiavaittoutrévélé.
Kanemarquaunepauseembarrasséeetprituneprofondeinspirationavantdepoursuivre.
—Pamelaaexpliquéàsonpèrequ'elleétaitenceintedemoietqu'ellevoulaitm'épouser.Cesalaudde
Fentonl'aforcéeàépouseruntypequiluidevaitdel'argentet,àmoi,ilm'aditqu'ellenevoulaitplus
mevoir,puisilm'aflanquéàlaporte.
—Etc'estpourçaquetuledétestes?
—Non.Ça,jenel'aiapprisqu'aujourd'hui.Sijeteracontecettehistoire,c'estparcequePamelaest
revenuevivreàChandleretqu'elleaavecellesonfils.Iln'aquetreizeans,maismeressemble,
paraît-il.AcroirePamela,leslanguesvonttrèsviteallerbontrain.
—Alors,sitoutlemondevalesavoir,cen'estpasvraimentunsecret.
—C'étaitpourtantpourmoiunsecretilyaencorequelquesheures.J'ignoraiscomplètementque
j'avaisunfils.
SiKaneétaittêtu,Aryanen'avaitrienàluienvier.Aussirevint-elleàlacharge.
—Jet'aidemandéunvraisecret,pasunehistoirequiferalesbellesheuresdetouslesthésdansune
semaine.Jeveuxsavoirsurtoiunechosequetoiseulconnais.QuemêmeEdanignore.
—Maisquelleimportance?Enquoicelapeut-ilt'intéresser?s'exclamaKane.
—Parcequejet'aimeetquejeveuxteconnaître.
—Lesfemmespassentleurtempsàdire«jet'aime».Ilyaencorequinzejours,tuaimaisLeander.
Oh,etpuiszut!Jevaistedirequelquechosequid'ailleursvasûrementteplaire.
Cematin,Pamelaestvenuemetrouveretm'aditqu'ellem'aimaittoujoursetqu'ellevoulaitqueje
parteavecelle.J'airefusé.
—Acausedemoi?
—Pourquoi?Cen'estpastoiquej'aiépousée,peut-être
?Mêmesitasœurn'arienfaitpourm'aider!
—Ques'est-ilpasséentreDorianeettoipourquevoussoyezensemblecommechienetchat?
—Unsecretàlafois,rétorquaKane.Maintenant,quedirais-tudedébarrassercelitdetoutecette
nourritureetdevenirmerejoindre?
Aryanefronçalesourcilmaisfitcequ'ildemandait.
—J'aimelesfemmesobéissantes,commentaKane.
—Toutemonéducationm'aapprisàl'être.
—Obéissante,toi!Depuisquejeteconnaistun'ascessédefairelecontrairedecequejedisais.Sauf
peut-êtredepuisquenoussommesdanscettecabane...
Aryanevints'allongerprèsdeluietaussitôtKanel'enlaça,leurslèvress'unissantenunbaiser
fiévreux.
—Jamaisjen'auraisimaginéquetupouvaisêtreainsi,ditKane.Aufond,turessemblesplusàta
sœurqu'iln'yparaît.
—Toiaussitupensaisquej'étaisfaitedeglace?
Kanesouritetlaserraencoreplusfortcontrelui.
—Quecrois-tuqu'ilsepassequandlaglaceentreencontactaveclefeu?souffla-t-il,leslèvres
dessinantlesfinscontoursdesonoreille.
—Laglacefond?
—Non,çafaitdelavapeur!
Kanes'emparadenouveaudeseslèvresetluiimposalepoidsdesoncorps.
Aryanefermalesyeux,savourantsachaleurtoutcontreelle.Onluiavaitrépétéquelanuitdenoces
étaituneexpériencepénibleetdouloureuse,maislasienneserévélaitunelentepromenadedansun
jardindedélices.
Longtempsencoreilss'aimèrent,danslalumièrefauveetvacillantedufeu,lesilencedelapièce
n'étantbriséqueparleursplaintesetlecrépitementdesbraises.
CHAPITREXVII
QuandKaneseréveilla,ilfaisaitdéjàgrandjour.Iladmiralongtempslecorpsassoupid'Aryaneprès
dusien,puissemitàlacaresserlentement.
—Ilesttempsdeteleveretdepréparerlepetitdéjeuner,fit-il.
—Tun'asqu'àsonnerlabonneetluidiredetel'apporter,rétorquaAryaned'unevoixparesseuseen
seblottissantaucreuxdesalargeépaule.
Kanefronçalesourcil,puissonvisagesedétenditetunelueurespiègletraversasonregard.
—Tiens,bonjour,monsieurGates.Bonjour,Westfield!
Quellebonneidéed'êtrepassésnousvoir!
Laréactiond'Aryanefutimmédiate.Elleseredressad'unbond,remontaledrapsoussonmentonet
posaautourd'elleunregardhorrifiétandisqueKaneéclataitderire.
—Tudevraisavoirhontedefairedesplaisanteriespareilles!J'aicrumourirdepeur.
—Depeur?Maisj'étaislàpourtedéfendre.Bon,j'aifaim.
Kanequittalelitetallafourragerdanslesprovisions.
Aryaneseréinstallaconfortablementdanslelitetl'admiratandisqu'ilévoluaitdanslacabane.
Oui,ilétaitbienmieuxfaitquel'athlètedesasoiréed'adieux.Uncolossedebronzesoupleetchaud
quelalumièredusoleildorait,soulignantencoreledessinparfaitdesesmusclesquelemoindre
gestefaisaittressaillir.
Kanesetournaverselleetrencontrasonregard.Lepainqu'iltenaitaussitôtluiéchappaetilse
redressaenluitendantlamain.Aryanevintlerejoindreetselaissaallerentresesbras.
—Jenepensaispasresterlongtempsici,expliqua-t-il,maisquedirais-tudeprolongernotreséjour
dequelquesjours
?Ceseraitnotrevoyagedenoces.Biensûr,cen'estpasVeniseniParis.
—J'ysuisdéjàallée,murmura-t-ellecontreseslèvres,etjepeuxtedirequec'estbeaucoupmoins
bienqu'ici.
Aryanedéployatoutesasciencedenouvelleamantepourl'attirerversleurcouche,maisfinalementil
sutluirésister.
—Allons,gronda-t-ildoucement,habille-toi.J'ailà-basunechemiseetunpantalonderechangeque
tupeuxenfiler.Jeveuxquetouslesboutonssoientbienfermésetqueriennedépasse,compris?J'ai
enviedetemontrerlesruinesd'uneancienneminequinesontpasloin.
Vêtusetrestaurés,ilssortirent.Làoùilssetrouvaient,àquatrecentsmètresd'altitudeau-dessusde
Chandler,l'airétaitvifetfrais.Sansparaîtreserendrecomptequelajeunefemmen'étaitguère
entraînéeàl'escaladeetquesesbottesdechevalneseprêtaientpasàcegenred'exercice,Kaneallait
bontrain.
Ilfinitpars'arrêtersurunecorniche,sousd'énormesrochersensurplombquisemblaientsurlepoint
detomberàtoutinstant.
—C'estencoreloin?demanda-t-elle.
—Tuveuxqu'onsereposeunpeu?
—Oui,avecplaisir.
Kanedécrochadesonépaulelesacoùilavaitmisquelquesprovisionsetleposaàterre.Ilensortit
unegourdequ'iltenditàAryane.
—Kane,tuvienssouventici?
—Chaquefoisquemontravailmelepermet.Tiens,regardelesrochers,là-bas.Tuasdéjàvuça?
Aryanes'approchaetobservadansladirectionqu'ilindiquait.Delabrumemauvemontantdela
valléeémergeaientdehautsrochersd'uneviolentecouleurocre.
—Ondiraitqu'ungéantlesavaitdanssapocheetqu'illesaabandonnéslà,fitKane.
—Jecroisqu'ungéologuenousdonneraituneexplicationplusplausible.Tun'aimeraispaspouvoir
alleràl'écoleetapprendrepleindechoses?Savoirpourquoicesrocherssontlàetpourquoiilsont
uneformeaussiétrange?
—Jesuistrèscontentdemascolarité.Ellem'apermisderécolterquelquesmillionsdedollars.Çane
tesuffitpas?
—Cen'estpasça.Jepensaisàtousceuxquin'ontpastachance.
—Maisj'ypenseaussi.Jedonneauxœuvresautantqu'unautresicen'estplus.
—Jecroisqu'ilvautmieuxquejetedisetoutdesuitequej'aioffertàtoncousinIandevenirvivre
avecnous.
—MoncousinIan?Tuveuxparlerdecegaminquisembleprêtàdévorerlaterreentièreetquetuas
tiréd'unmauvaispashierdanslejardin?
—Jesupposequ'onpeutledécrireainsi.Moij'aitrouvéqu'ilavaitplutôtl'aird'avoirautantde
déterminationquetoi.
—Pourquoidiableveux-tutelemettresurlesbras?
—Parcequ'ilestintelligent.Ques'iln'avaitpaseuàsoutenirlessiens,ilseraitrestéàl'écoleaulieu
detravaillerdanslamine.J'espèrequetunem'enveuxpasdeluiavoirparlésansteconsulter
d'abord.Mais,aprèstout,c'esttoncousingermain.Lamaisonestassezgrandepourqu'ilpuissey
habiter.
Kanerangealesaffairesdanslesacetlepassaàsonépaule.Ilseremitenmarche.
—Jeveuxbienàconditionqu'ilnemedérangepas.Jen'aimepastroplesgamins.
—Mêmepasquandc'esttonproprefils?demandaAryane,hâtantlepaspourresteràsahauteur.
—Jenel'aijamaisvu.Commentveux-tuquejesachesijel'aimeoupas?
—Ettun'espascurieuxdefairesaconnaissance?
—Maseulecuriosité,actuellement,c'estdesavoirsilavieilleHettieGreenvamevendresespartsde
chemindeferounon.
—Aufait,as-turéussiàacheterl'appartementdeVanderbiltàNewYork?
—Oui,c'estterminé.Maisj'aidûenvoyerdestonnesdetélégrammes.Autarifoùilssont,j'aurais
mieuxfaitd'investirdanslespostes.Vivementqueletéléphonesoitinstallépartout,leschosesseront
plusfaciles.Pourl'instantonnepeuttéléphonerquedansChandler,etquiabesoind'yappelerquique
cesoit,jeteledemande.
—Tupourraispasseruncoupdefilàtonfils.
—Edanavaitraison,soupira-t-il.J'auraisdûépouserunefilledeferme.Aumoins,ellen'auraitpas
mislenezdansmesaffaires.
Aryaneneditplusrienetsecontentadelesuivretantbienquemal.Ilsétaientarrivéssurunplateauet
àpartlesbroussaillesquinecessaientdes'accrocheràsesvêtementstropgrandspourelle,
progresserétaitmoinsexténuant.
Ilsmarchèrentencoreunbonkilomètreetatteignirentenfinlamineabandonnée.Celle-ciétaitàciel
ouvertetsetrouvaitaubordd'unefalaised'oùl'ondominaittoutelavallée.
TandisqueKaneadmiraitlavue,Aryaneramassaunmorceaudecharbon.
Unefoisdeplus,elleconstatacombienlemineraibrutpouvaitêtrebeauquandonleregardaitdetrès
prèsNoir,luisant,avecdesrefletsargent,onpouvaitfacilementimaginerqu'aveclesmillénaires,
danscertainscas,ilsetransformaitendiamant.
Ellejetalemorceaudecharbonauloinets'envintretrouverKane.
—C'estbiencequejepensais,dit-elle,lecharbonicinevautrien.
—Pourmoi,touslescharbonsseressemblent.Enquoicelui-ciest-ilplusmauvaisqu'unautre?
—Iln'estpasmauvais,ilestmêmed'unetrèsbonnequalité.Leproblème,c'estqu'onnepeutpas
l'acheminerparchemindefer.Etsanstrain,lecharbonnevautrien.C'estcequemonpèredisait
toujours.
—Jecroyaisquetonpèreavaitfaitsafortunedanslecommerce.
—C'estexact,maisilestvenudansleColoradoàcauseducharbon.Ilpensaittrouverenarrivantdes
genstrèsrichesquis'empresseraientdeluiacheterlesdeuxcentscuisinièresqu'ilapportaitaveclui.
—Çanemeparaîtpasunemauvaiseidée.
—Saufqu'àl'époquelechemindefern'étaitpasencorearrivéjusque-làetquesionn'avaitqu'àse
baisserpourramasserducharbon,personnen'avaitpufairefortune,fautedepouvoirl'exporter.
—Comments'enest-ilsorti,danscecas?
Aryanesouritausouvenirdel'histoirequesamèreluiavaitracontéetantdefois.
—Monpèrevoyaitleschosesengrand,expliqua-t-elle.Ilyavaitàl'époque,aupiedmêmedela
montagneoùnousnoustrouvonsencemoment,unecommunautédefermiers.Ilsvivaientchacun
disséminéssurleursterresetmonpèreadécidéqu'ilseraitplusintéressantdefonderuneville—sa
ville.Ilssesonttousregroupésautourdeluietcefutchosefaite.Monpèreleurdonnaàchacunune
desescuisinièresenleurfaisantpromettreenéchangedesefournirexclusivementencharbonchez
Chandler's,àChandler,Colorado.
—Tuveuxdirequ'iladonnésonnomàcetteville?
—Absolument.J'auraisaimévoirlatêtedescolonsquandilleuraannoncéqu'ilsvivaientdansla
villedeM.WilliamChandler!
—Etpendanttoutescesannées,j'aicruqu'ilavaitsauvéàluitoutseultroismillebébésprisdansun
incendieouquelquechosecommeça.
—Sansallersiloin,ilabeaucoupfaitpourleshabitantsd'ici.
—Maisdis-moi,s'ilexploitaitlecharbon,commentsefait-ilqu'ilaitfaitfortunedanslecommerce?
—Auboutdedeuxans,ilaeudesproblèmesdevertèbresetiln'apluspuexploitersamine.Alors,il
l'avendueetavecl'argent,ilestrepartipourl'Est.Quelquesmoisplustard,ilrevenaitavecunconvoi
decinquantechariotsbourrésdemarchandisesentoutgenre.Entre-tempsilavaitépousémamèreet
décidévingtfamillesàvenirs'installeràChandler.
—Etl'arrivéeduchemindeferaenrichilesfilsdesfermiers.
—Exact.Maisentre-temps,monpèreétaitmortetlesparentsdemamanluiontfaitépouserletrès
respectableM.
Gates.
—Ilyadesgensquiontvraimentdedrôlesd'idées!Lavilleentièrevousregardecommesivous
étiezunefamilleroyalealorsqu'enfaittonpèreétaitunaventurierenproieàlafoliedesgrandeurs!
—Entoutcas,ilétaitvraimentunroipourmaman,Dorianeetmoi.Quandnousétionspetites,les
gensdelavilleontdécidédefairedel'anniversairedepapaunjourférié.
Mamanaessayédeleurdirelavérité,maisilsn'ontpasvoulul'écouter.Ilsavaienttropbesoind'un
héros.
—EtM.Gates,d'oùsort-ildanstoutecettehistoire?
—Ilétaitsanséducation,maisilavaitfaitfortuneenabreuvantlavilledebière.EnéchangedeSa
MajestéOpalChandler,ilatoutoffertetmesgrands-parentsontaccepté.
—Luiaussivoulaitépouserunevraielady,sijecomprendsbien.
—Etils'estsibiencoulédanslemoulequesafemmeetsesdeuxbelles-fillesn'ontjamaispluseule
droitderespirer,commentaAryane.
Kanedemeuralonguementsilencieux.
—Jesupposequ'onn'estjamaiscontentdecequ'ona,soupira-t-ilenfin.
—N'as-tujamaispenséquesituavaisétéélevécommeunfilsdefamilletuneseraisjamaisdevenu
cequetues?QuetuauraisétéunenfantgâtéetirresponsablecommeMarc?
—At'entendre,Fentonm'afaitunfaveur.
—Unefaveur.
—Quoi?
—Onditunefaveur,pasunfaveur.
—Tuesentraindechangerdesujet.Tusais,jedevraist'envoyerdiscuteraffairespourmoiàNew
York.Tulesauraisàl'épuisement!
—J'aimeraismieuxt'épuisertoi,sourit-elleenpassantsesbrasautourdesoncou.
CHAPITREXVIII
AryanelutdanslesyeuxdeKanequ'ilétaitenproieàunelutteintérieure.Puis,vaincu,ils'empara
avidementdeseslèvres,laserrantdetoutessesforcescontrelui.
—Quem'as-tufait?dit-il,leregardbrûlantdedésir.Moiquicalculesanscessedepuisdesannées,je
sensquejeperdslaraison.Jetueraisceluiquichercheraitàt'éloignerdemoi.
—Etsic'estunefemme?
—Jelatueraisaussi.Viens,nerestonspas,jeconnaisunendroit.
Kanelapritparlamainetl'entraînajusqu'àuneanciennecabanedemineurdissimuléeparla
végétation.Ilécartalesbroussaillesquienobscurcissaientl'entréeetlafitpasserdevantlui.
Ilvintseplacerderrièreelleet,tandisqu'ill'embrassaitdanslecou,sesmainsdéboutonnaient
nerveusementlachemisetropgrande,seglissantvitedansl'échancrureets'emparantdesseinsdéjà
tenduspourlui.
Illadéshabillatrèsvite,puisarrachalittéralementsespropresvêtementsdontilfitunlitdefortune
surleplancherdelacabane.Ils'allongeaalorsetlafitsecouchersurlui.
Commeelleavaitaimésadouceurlorsdeleurpremièrenuit,elleaimasaviolenceets'yabandonna
totalement,telleuneodalisquesesoumettantauxcapricesdesonsultan.
Apaisée,couchéesurletorsedel'homme,Aryanefermalesyeuxetécoutadécroîtrelesbattements
précipitésdesoncœur.
—Sais-tuqu'ils'estmisàpleuvoir?demandadoucementKane.
Lajeunefemmeneputqu'émettreunsoupirpourtouteréponse.
—Sais-tu,reprit-il,qu'ilnedoitpasfaireplusdequinzedegrés,quej'aidesmilliersdepetitsbouts
decharbonquimerentrentdansledosetquemajambegaucheestmortedepuisaumoinsuneheure?
—Jesuppose,revint-ilàlacharge,quetucomptesresterainsiencoreunesemaineetquetute
moquesdesavoirquemesorteilssontsiglacésquesijelescognaiscontrequelquechosejesuissûr
qu'ilstomberaient.J'aiunmarchéàteproposer.
—Jet'écoute.
—Onvas'habiller,onvas'asseoiràl'entréedelacabanepourregarderlapluieettuvasmeposer
desquestionspuisqueapparemmentc'estcequetuaimesleplusaumonde.
—Ettumerépondras?
—Probablementpas,sourit-ilensedépêchantderamassersesvêtements.
Aryanevintluifrotterledosoùeffectivementdepetitsboutsdecharbons'étaientincrustésetà
plusieursreprisessesseinslefrôlèrent.Kanefitaussitôtvolte-faceetluiimmobilisalepoignet.
—Arrête,fit-il.Nerecommencepas,oujevaisencoremeconduirecommeunidiot.
Aryanerenonçaàcomprendrecequ'ilvoulaitdireparlàetsecontentaderenfilersesvêtements.Elle
avaitàpeinefiniqueKanel'attiraitsursesgenoux,àl'entréedelacabane.
—Tumerendsheureuse,murmuraAryane.
—Jenepeuxpasdirequetumerendestriste.Maisexplique-moipourquoijeterendsheureuse.
—Jevaistedonnerunexemple.Peuaprèsnosfiançaillesofficielles,Leanderetmoiavonsétéinvités
àungrandbalàlamairie.J'avaisenvied'yalleretjem'étaisfaitfairepourl'occasionunerobe
rouge.Pasunrougesombre,non,unrougetrèsvif,trèslumineux.Cesoir-làquandjel'aimise,
j'avaisl'impressiond'êtrelaplusjoliefilledumonde.J'aiquittémachambreetjesuisdescendue
retrouverLeanderquim'attendaitaupieddel'escalieravecM.Gates.
Aryane
marqua
une
pause,
visiblement
encore
bouleverséeparlesouvenirdecettesoirée.
—Jem'attendaisàdescompliments,reprit-elle.Mais,sitôtarrivéedanslevestibule,M.Gatess'est
misàhurler.Ildisaitqu'iln'étaitpasquestionquejesortedansunerobeaussivoyante;quej'avais
l'aird'unetraînée;qu'ilfallaitquejeretourneimmédiatementmechanger.Alors,Leanders'est
interposéetaprismonparti.Jecroisquejenel'aijamaisautantaiméqu'àcemoment-là.
Encoreunefois,Aryanesetutquelquessecondes.
—Enarrivantaubal,Leanderm'asuggérédegardermonmanteauetdeprétexterunrhume.Du
coup,j'aipassétoutemasoiréeàfairetapisseriedansuncoinetpersonnen'ajamaisvumasuperbe
robe.
—Maispourquoinepastouslesavoirenvoyésaudiable?
Pourquoidoncn'as-tupasdanséalorsquetuenmouraisd'envie?
—Parcequetoutemaviej'aitoujoursfaitcequ'onattendaitdemoi.C'estpourçaquejesuis
heureuseavectoi.Tuasl'airdepenserquesijegrimpeàunrosierendéshabillé,touteslesdamesle
font.Etquandjemepermetsdetefairedesavances,tun'espaschoqué.
Kaneluidonnaunbaiseretsourit.
—J'appréciebeaucouptesavances,fit-il,maisjepourraismepasserdetesapparitionspubliquesen
déshabillé.Tutesouviensdeschiots?
—Jenesuispascertainedesavoirdequoituparles.
—C'étaitàlafêted'anniversairedeMarcFenton.Lejourdeseshuitans,jecrois.Jet'aiemmenéeà
l'écuriepourtemontreruneportéedechiotsblancstachetésdenoir.
—Ohoui,jemesouviens!Maisçanepouvaitpasêtretoi.
C'étaitunhomme.
—J'avaisdix-huitansettoitudevaisenavoir...
—Six.Raconte-moi.
—Tasœurettoiétiezvenuespourl'anniversaire.Vousportieztouteslesdeuxdesrobesdedentelle
blancheetvousaviezungrosnœuddesoierougedanslescheveux.Tasœuresttoutdesuiteallée
rejoindrelesautresenfantsdanslejardinpourjoueràlaballe,maistoi,tut'essagementassisesurun
bancettun'asplusbougé.Turestaislà,assise,lesmainscroiséessurtesgenoux.
—Ettuespassédevantmoienpoussantunebrouetteettut'esarrêté.Labrouetteavaitdûcontenirdu
fumiercarjemesouviensqueçasentaittrèsmauvais.
—C'estprobable,ritKane.Tuavaisl'airsitristesurtonbancquej'aieupitiéetjet'aiproposéde
venirvoirleschiots.
—Etjet'aisuivi.
—Pasavantdem'avoirinspectédespiedsàlatête.Enfin,jesupposequej'aipassél'examen.
—Puisj'aimisunedeteschemisesetunecatastrophes'estproduite.Jemerappellequej'aipleuré.
—Tun'osaispast'approcherdeschiotsdepeurdetesalir.Alors,jet'aidonnéunedemeschemises
pourmettrepar-dessustatobe.Tunevoulaispaslaprendre.Etlacatastrophedonttuparles,c'est
quandundeschiotsasautéaprèstonrubanetqu'ill'adéfait.Jecroisquejen'aijamaisvuunenfant
aussimalheureuxquetoicejour-là!TuasfonduenlarmesenrépétantqueM.Gatestedisputerait
trèsfort.Etquandjet'aioffertderenouertonruban,tum'asditqueseuletamamansavaitlefaire
correctement.Oui,c'estbienlemotquetuasemployé:correctement.
—Etfinalement,tul'asrenouécorrectement.Mamannes'estjamaisaperçuequ'ilavaitétédéfait.
—C'étaittoujoursmoiquitressaislesqueuesetlescrinièresdeschevaux.
—PourPamela?
—Tuesbiencurieuseàsonsujet.Serais-tujalouse?
—Pasdepuisquetum'asditavoirrefusédelasuivre.
—Voilàpourquoionnedevraitjamaisdiredesecretauxfemmes.
—Tuaimeraisquejesoisjalouse?
—Jen'auraisriencontre.Entoutcas,moij'ailaissétomberPamela.Enas-tufaitautantavecLeander
?
—Jecroyaisl'avoirfaitdevanttoiàl'autel.
—Remarque,jetecomprends.Ilabeaucoupmoinsd'argentquemoi.
—Toiettonmauditargent!Tunepeuxpaspenserunpeuàautrechose?Am'embrasser,par
exemple!
Unlongbaiserlesréunit.
—Sais-tuquejen'avaispratiquementpasparléd'autrechosequed'affairesdepuisdesannées?fit
Kane.
—Tuneparlaispasaveclesautres?
—Quellesautres?
—Lesautresfemmes.Poïkilia,parexemple.
—Jeneluiaijamaisditquoiquecesoit.Tun'aspasfroid
?demanda-t-il,commeelleseserraitunpeupluscontrelui.
—Non,jen'aijamaisétéaussibien.
CHAPITREXIX
AryaneregardaKanequitterleurlitets'habiller.Ellesutqueleurétrangelunedemieldansla
montagneétaitfinie.
—Jesupposequ'ilfautpartir,fit-elletristement.
—Deuxhommesviennentmevoircematinetjenepeuxpasmepermettredelesmanquer.J'aimerais
pouvoirresterpluslongtempsici,maisc'estimpossible.
LuiaussiétaittristeetAryanenecherchapasàdiscuter.
Elleselevaàsontouretremitsatenuedecavalière.Kanedutl'aideràlacersoncorset.
—Commentfais-tupourrespirerdansuntelcarcan?
—Respirern'estpaslebut,souritAryane.Onmetuncorsetpouravoirunesilhouetteélancée.Par
ailleurs,c'estexcellentpourledos:çamaintient.
Kanen'eutpasl'airtrèsconvaincu,maisilpensaitdéjààautrechose.
Ilsterminèrentdesepréparerensilence.AryaneignoraitcequepensaitKane,maispoursapart,elle
n'avaitjamaisétéaussiheureusedesavie.Sespeursd'êtrefrigideétaientàjamaisenfuiesetson
avenirs'annonçaitsereinauprèsdel'hommequ'elleaimait.
Commeilsquittaientlacabane,Kanes'arrêtasurlepasdelaporteetjetaundernierregardà
l'intérieur.
—Jamaisencorejen'avaisétéautantheureuxici,dit-il.
Aryanes'apprêtaitàmonterseuleàchevalmaisKanevintlaprendreparlatailleetladéposasursa
selle.Elleleregarda,surprise.Etait-cebienlàl'hommequil'avaitlaisséesedébrouillertouteseule
pourescaladerlesrochers?
—Turessemblesdenouveauàuneladydanscecostume,murmura-t-ilcommepours'excuser.
Ilssuivirentl'étroitsentierensilence.Kanes'arrêtantrégulièrementpourattendresafemme,etcene
futquelorsqu'ilsatteignirentChandlerqu'Aryanepritlaparole.
—Kane,sais-tuceàquoij'aipensécesderniersjours?
—Jecrois,oui,fit-ilenclignantdel'œil.Etj'appréciebeaucoupcegenredepensées.
—Tuesincorrigible,réponditlajeunefemme,rougissantmalgréelle.Non,j'aipenséqu'ilserait
biendeproposeràtacousineJanedevenirhabitercheznous.
AryanenelaissapasàKaneletempsdeprotester.Elleenchaînaaussitôt:
—Biensûr,vousautresTaggertêtestellementorgueilleuxqu'ellen'accepterajamaisuneinvitation
directe.Maisnousallonsavoirbesoind'unegouvernanteetelleferaittrèsbienl'affaire.Celalui
permettraitdesortirdelamine.Tunetrouvespasqu'Edanetelleformentunjolicouple?
—Quandj'aiannoncéàEdanquej'envisageaisdememarier,ilm'ademandésij'étaisprêtàlaisser
unefemmeinterférerdansmavie.Jeluiaiditquejenepensaispasquelemariagechangeraitquoi
quecesoitàmonexistenceetilaéclatéderire.Jecommenceàcomprendrepourquoi!Quias-tu
encorel'intentionderecueillir?Leclochardquimendietouslesdimanchesmatinàlaportede
l'église?...
Ils'arrêtacommeAryanes'éloignaitbrusquement,lecorpsbiendroitsursaselle.Uninstant,ilne
bougeapas,puisallalarejoindre.
—Tunevaspastemettreencolère,hein?Tupeuxinviterquituveux,tusais.Lamaisonestassez
grandepourça.
C'étaitlapremièrefoisdesaviequeKanecherchaitàapaiserunefemmeencolèreetilnesavaitpas
comments'yprendre.Ilfinitparsaisirlechevald'Aryaneparlabride.
—JeneconnaismêmepascetteJane.Jenevoispasquic'est.Siçatombe,elleestlaideàfairepeur...
—Elleportaitunerobevioletteaumariageet...
—Tuveuxdirecettepetitebruneàlataillebienfaite?
Cellequiadesuperbesyeuxverts?J'aivusesjambesquandelledescendaitdecalèche:ellessont
magnifiques.
—Parcequeturegardaislesautresfemmeslejourdetonmariage!
—Quandjen'étaispasentraindet'observerescaladanttonrosieràmoitiénue,souritKane.
Aryanelutledésirdanssonregardetnerefusapassamainquandillaluitenditpourl'aiderà
descendredecheval.
Adeuxpasdelaville,àl'abrid'unbuisson,ilss'aimèrent.
Deuxheuresplustard,lorsqu'ilsarrivèrentàlademeureTaggert,leursvêtementsétaientfroisséset
Aryaneavaitdesbrinsd'herbedanslescheveux.
Edanlesregardagravirleperronmaindanslamainetsourit.
—Jevois,Aryane,quevousl'avezretrouvé.Kane,ilyaquatrehommesquiattendentpourtevoiret
unedouzainedetélégrammes.
TandisqueKanegagnaitsonbureau,Aryanemontasechanger.Dixminutesplustard,ilvenaitla
rejoindredanslachambrepourluiannoncerqu'ildevaits'enallerpouraffaires.
Ilrestaabsenttroisjours.
CHAPITREXX
Iln'yavaitpasquatreheuresqueKaneétaitpartiqu'Aryaneserendaitcomptequ'elleétaitfaitepourle
métierd'épouseaufoyer.Dorianepouvaitavoirdel'ambition,vouloirchangerlemonde,elle,elle
étaitfaitepourdirigerunemaison.
Biensûr,s'occuperdelademeureTaggertetcommanderlanuéededomestiquesrelevaitdu
commandementd'arméemais,deparsonéducation,Aryaneavaitétépréparéeàcerôledegénéralen
chef.
LajeunefemmecommençaparécrireunelettreàJanepourluidemanderdevenirquelquesjours
l'aideràmettrelamaisonenordre.Parallèlement,elleécrivitàSherwynTaggert,lepèredeJane,
pourluidirequ'elleespéraitlagarderprèsd'ellecommegouvernante.Aryaneespéraitqu'ilne
s'opposeraitpasàcequeJanequittelamine.
Aryaneréunitensuitedanslagrandesalleàmangertouslesdomestiquesqu'elleavaitengagésavant
des'enfuiravecKane.Chacunsevitdéfinirsestâchesettousceuxquisepermirentuneréflexion
furentrenvoyéssur-le-champ.
Lematindusecondjour,lademeureTaggertressemblaitàuneruche.Septbonnesfaisaientle
ménage,quatrevaletsdechambredescendaientlesmeublesdugrenieretMmeMurchinsondanssa
cuisinesevoyaitflanquéedetroisassistantes.
Dehors,uncocheretdeuxpalefreniersrégnaientsurlesécuriesetquatresolidesgaillardsavaientété
chargésdedonneruncoupdemainaujardin,sousladirectiondeM.etMmeNakazona,lecouplede
jardiniersjaponais.
Quelquesheuresplustôt,toutenaidantsamaîtresseàs'habiller,Susanluiavaitracontélascène
terriblequiavaiteulieuentreRafeetIanTaggert.
L'adolescentavaitclamébienhautqu'ildétestaitsoncousinKaneetquepourrienaumondeil
n'habiteraitsoussontoit.CommeRafeluifaisaitremarquerquepersonneneleluiavaitdemandé,Ian
expliquaqu'ils'agissaitlàd'unepropositiond'Aryanemaisqu'ilpréféraitmourirplutôtque
d'accepter.
Rafeetlejeunehommeenétaientalorsvenusauxmainset,étantdonnésacarrure,Rafen'avaiteu
aucunmalàavoirledessus.Rafeavaitalorsinformélerebellequ'ilresteraitchezKanejusqu'à
nouvelordre,dût-illerouerdecoupstouslesjours.Et,pasquestiondes'enfuir,carRafele
retrouveraitetilverraitalorsdequelboisilsechauffait!
Dèslors,Ians'étaitcloîtrédanslachambrequ'onluiavaitattribuéeetseuleMmeMurchinsonavaitpu
levoirquandelleluimontaitunplateauoudeslivres.
—Deslivres?s'étonnaAryane.
—Çaal'aird'êtresapassion,réponditSusan.MmeMurchinsonditqu'illittoutelajournéeetquece
n'estpasbonpourlui.Qu'ilferaitmieuxd'allerjoueraubase-ballaveclesgarçonsdesonâge.
Maintenantquetouslesdomestiquess'étaientmisautravail,Aryanedécidaqu'ilétaittempsde
s'occuperdeIan.S'ildevaitvivreici,ilfallaitl'intégrerauplustôtàlaviedefamille.
Lajeunefemmemontaàsachambreetfrappa.Ilfallutplusd'uncouppourqueIansedécideàluidire
d'entrer.
Aurougedesonfront,Aryanecompritqu'ilcherchaitàdissimulerquelquechoseetelleaperçutun
livredépassantdesousl'oreilleroùill'avaitglisséprécipitamment.
—Ainsi,vousvoilàderetour,accusa-t-ilplutôtqu'ilnefitremarquer.
—Oui,noussommesrentréshiersoir.Commenttrouves-tutachambre?
Lapiècenecontenaitqu'unlitmaisellefaisaitfacilementledoubledelasurfacedelamaisondes
Taggertàlamine.
—Pastropmal,grognaIan,lesyeuxfixéssurlapointedeseslourdesbottines.
«ToujourscemauditorgueildesTaggert»,pensaAryane.
—Ian,fit-elle,pourrais-tum'aidercetaprès-midi?J'aiengagéquatrehommespourdéplacerles
meubles,maisj'auraisbesoindequelqu'unpourlessuperviser.Vérifierqu'ilsnelescognentpasen
passantdansl'embrasuredesportes,cegenredechoses.Tuveuxbienm'aider?
Ianhésitapuisfinitparaccepter.
Aryanes'attendaitàlevoirsetransformerenunvéritabletyran,maisiln'enfutrien.Trèsviteilassit
sonautoritésurlesquatrehommesplacéssoussesordresettoutsepassadanslecalmeetavecune
remarquableefficacité.
AryaneleregardaitfairedescendreunénormebureaudanslegrandescalierquandEdanvintla
rejoindre.
—IlestcommeKane,murmura-t-il.Cesgens-làn'ontjamaisétéenfants.Usonttoujoursfaitpreuve
desérieuxetd'autorité.Ceshommesl'ontsentietc'estpourçaqu'ilsluiobéissentaudoigtetàl'œil.
—Edan,savez-vousjoueraubase-ball?
—Oui,pourquoi?Vousavezl'intentiondemonteruneéquipe?
—Pourquoipas?Ilyaassezd'hommesicipourça.Jecroisquejevaistéléphoneraumagasinde
sportetfairelivrerleséquipementsnécessaires.Vouscroyezquej'arriveraisàfrapperlaballeavec
unebatte?
—MachèreAryane,jevouscroiscapabledetoutpourpeuquevouslevouliez,rétorquaEdanense
dirigeantverslebureau.
—Ledînerseraserviàseptheuresetonestpriédes'habiller!cria-t-elle.
LerepasétaitexcellentetlapatiencedontEdanfitpreuveàl'égarddeIandétenditnettement
l'atmosphère.
Lasoiréedulendemainnesedéroulapasaussibien.
Aryaneavaitpassépourdescendredînerunerobedefailleverteaudécolletésagequefermaitun
grandcaméeovale.
Kaneétaitrentrédansl'après-midietn'avaitmêmepasprisletempsdesechangeravantde
s'enfermerdanssonbureau.
Edan,superbedanssonhabit,attendaitlajeunefemmeenhautdel'escalier,nonloindeIan,auquelil
avaitprêtéundesesnouveauxcostumes.
Sansunmot,Aryanesaisitlebrasd'EdanensouhaitantqueIanluiprîtl'autre.Commelejeune
hommenebougeaitpas,Aryaneattenditrésolumentqu'ilsedécide.S'étantenfinexécuté,letrio
s'engageadanslevasteescalier.
—Ian,fitAryane,jenesaiscommentteremercierpourtoutel'aidequetum'asapportéedepuisdeux
jours.
—Oùdoncestpassétoutlemonde?tonnalavoixdeKanedanslehall.Voussortez?demanda-t-il,
lesayantaperçus.Edan,j'aibesoindetoi.
Enprononçantcesquelquesmots,Kanen'avaitpasquittédesyeuxAryane.
—Nouspassonsàtable,ditcalmementlajeunefemme,coinçantlebrasdeIansouslesienpour
l'empêcherdesedégager.Viens-tuavecnous?
—Pasletemps.Fautbienquequelqu'untravailledanscettemaison,grognaKaneentournantles
talons.
Unefoisàtable,AryaneamenalaconversationsurleslecturesdeIan,sujetquijusqu'alorsavaitété
passésoussilence.
Lejeunehommes'étrangla.Silireavaittoujoursétéencouragéparsonpèreetsesoncles,ill'avait
toujoursfaitencachettedepeurquesescopainsnesemoquentdelui.
—Quias-tulurécemment?demandaAryane.
—Marktwain,répondit-ilàcontrecœur.
—Demain,jevaistechercherunrépétiteur.Ceseramieuxqued'alleràl'écolecartuesmaintenant
tropgrand.
—Sijedoismettrelespiedsdansuneécole,jeretourneàlamine!
—Toutàfaitd'accordavectoi,coupaAryane.Demain,nousironségalementchezletailleurtefaire
fairedescostumes.Ah,voicilesorbet.Jesuissûrequetuvasl'aimer.
Edanritenvoyantl'expressionrenfrognéedeIan.
—Inutiledediscuter,fit-il.Personnen'arriveàfairechangerAryaned'avis.
—Sauflui.
—Lui,commetudis,moinsquequiconque.
IlsentamaientlesdessertsquandKaneparut.
—Cerepasn'enfinitpas,dit-il.
Kaneposaunpiedsurunechaiseetsepenchapourprendreunegrappederaisinaucentredela
grandetable.
Unregarddelajeunefemmelefits'asseoirsursachaise.
AryanefitsigneaudomestiqueetoninstallauncouvertdevantKane.
Aprèsunmomentdesurprise,Kaneattaquasacharlotteauchocolatetcelaluipluttellementqu'il
semblas'yabsorberentièrement.
Pendantcetemps,IanobservaitsoncousinàladérobéeetEdanfixaitattentivementsapropreassiette.
Afinderelancerlaconversation,AryaneexpliquacombienlesNakazonaétaientcontentsd'avoirde
l'aideaujardin.KaneracontaalorscommentilavaitfaitleurconnaissanceetEdansemêlaàla
conversationenparlantdesesplantesrares.
Finalement,lerepass'achevadansuneambianceagréableetchacunseséparalesourireauxlèvres.
KaneetEdanseretirèrentdanslebureautandisqu'AryaneetIanpassaientausalon.
LajeunefemmepritunouvrageetIanseplongeadansunlivre.Aforced'insistance,lajeunefemme
finitparobtenirdel'adolescentqu'illûtàvoixhaute.Ianlisaitbienetserévélaparticulièrementdoué
pourinterpréterlesdialogues.
Aumomentdesecoucher,Aryanemontaseuleàsachambre.Kaneétaittoujoursenferméàdouble
tourdanssonbureau,fumantcigaresurcigare,àencroirelafuméebleutéequifiltraitsouslaporte.
Ilvintsecouchertarddanslanuit,pritlajeunefemmecontreluiets'endormitaussitôt.
AryanefutréveilléeparlesmainsdeKanecourantsursoncorps.Sansmêmeouvrirlesyeux,ellese
tournaversluietleurslèvressereconnurent.Kaneluifitlentementl'amour,lamenantjusqu'au
paroxysmeduplaisir.
Enfin,Aryaneouvritlesyeux.
—Ehoui,sourit-il,c'estbientonmari.Tuauraispréféréquelqu'und'autre?
—Commentlesaurais-je?Veux-tuquej'essaie?repartit-elle,raviedelevoirfroncerlesourcil.
Rassure-toi,jeplaisante,jen'aiaucuneenviedefairel'expérience.
—Bon,ilfautquej'ailletravailler,ditKaneenselevant,sijeveuxpouvoirpayerl'arméequetuas
recrutée.
Aryaneleregardadisparaîtredanslasalledebainsetsecalaparesseusementdanssesoreillers.Peu
après,Susanfrappa.
—MadameAryane,ilyalàMlleJaneetsonpèreetunchariotpleindeleursaffaires.
—Dis-leurquejedescends.
QuandAryanefuthabilléeilyavaitdéjàlongtempsqueKaneétaitpartis'enfermerdanssonbureau.
—Jane,fit-elleenentrantdanslesalon,commejesuisheureusequetuaiesacceptémaproposition!
Nousavonsvraimentbesoind'unegouvernanteici.
—Arrêtetesmensonges,souritJane.Jenesuispasdupe.
Tusaistrèsbienquejen'aiaucunenotiondelafaçondontondirigeunetellemaisonnée.Sijesuis
ici,c'estparcequemonpèrem'yaobligée,toutcommeRafeaforcélamainàIan.Etjustement,ence
quiconcernemonpère,j'aimeraistedemanderdefairequelquechose.
—Jet'écoute.
—Voilà...hésita-t-elle,est-cequ'ilpourraitvenirvivreiciaussi?Situdisoui,jeferaitoutcequetu
voudras.
—Mais,Jane,iln'yaaucunproblème!Ettusais,tun'aspasbesoindetravailler.Tufaispartiedela
familleettupeuxrestericiautantquetulesouhaites.
—Pasquestion!Sijenefaisrien,jemeconnais,jemourraid'ennuidanslesquinzejours.
—Commetuvoudras.Bien,situmeprésentaistonpère,maintenant?
QuandAryanedécouvritSherwynTaggert,ellecompritpourquoiJanenevoulaitpasseséparerde
lui.Briséparsesannéesaufonddelamine,Sherwynsemourait.
Kanerestadanssonbureaupendantledéjeuner,maisEdanvintrejoindretoutlemondeautourdela
table.
Sherwynserévélaêtreunvieuxmonsieurcharmant,netarissantpasd'anecdotesdrôlessurlamineet
lesmineurs.
ToutlemonderiaitquandKanefitsonentrée.AussitôtAryanefitsigneaudomestiquedeluiinstaller
uncouvert.
Pendanttoutlerestedurepas,Kaneparlatrèspeumaisobservaattentivementchaqueconvivetourà
tour.
—J'aiunebonnenouvellepourtoi,Ian,annonçaAryane.
Hier,j'aienvoyéuntélégrammeàunvieilamidemonpèrequihabiteDenver.C'estunancien
explorateuranglaisquiaparcourulemonde.IlestalléenEgypte,auTibet,unpeupartout.Jeluiai
demandés'ilvoudraitbienveniricietteservirdeprofesseur.J'aireçusaréponsecematin:c'estoui.
Iandemeurauninstantsilencieux.
—Ilconnaîtl'Afrique?
—Notamment.Bon,quediriez-vousd'unepartiedebaseball?ditAryaneenselevantdetable.J'ai
faitdessinerunterrainsurlagrandepelouseetj'aitoutcequ'ilfautpourjouer.
J'aimêmeunmanuelavectouteslesrèglesmaisjedoisadmettrequejen'ycomprendsrien.
—JesuiscertainqueIansauravousexpliquerlesrudiments,intervintSherwyn.EtEdandoitaussiles
connaître.
—Vousvenezavecnous,Edan?demandaAryane.
—Avecjoie.
—Ettoi,Jane?
—Pourquoipas.
—Kane?
—Impossible,j'aitropdetravail.Et,Edan,j'aibesoindetoi.
—Adieu,base-ball!soupiralejeunehomme,suivantKanedanslebureau.
Tandisqu'Edans'asseyaitàlatable,Kanesemitàarpenterlapièce,revenantsanscessedevantla
grandefenêtred'oùonapercevaitleterraindejeu.EdansedemandasiAryaneavaitchoisi
délibérémentcetendroit.
—Elleestbelle,n'est-cepas?fitKane,aulieuderépondreàlaquestionqu'Edanvenaitpourtantde
luiposerpourladeuxièmefois.
—Quiça?fitlejeunehomme,fouillantdanssespapierscommesiderienn'était.
—Aryane,biensûr!Regarde-moiceIan.Iljoue!Asonâge,jetravaillaisquatorzeheuresparjour.
—Luiaussi,iln'yapassilongtemps.Etmoiaussi.
D'ailleurs,jenevoispascequejefaisici,ajouta-t-ilenrepoussantsachaise.Toutecettepaperasse
peutbienattendrequelquesheures.Jevaisallerprofiterunpeudusoleil.Tuviens
?
—Non,ilfautbienquequelqu'unreste,bougonnaKane.
Etpuis,si,jeviens!Etjetepariecentdollarsquejesuisceluiquienvoielaballeleplusloin.
—Paritenu.
Kanes'adonnaaujeuavecl'enthousiasmed'unenfant.Ilneparvintàfrapperlaballeavecsabattequ'à
latroisièmetentative,maispersonnen'osaluidirequ'iln'enavaitpasledroit.Laballeainsiexpédiée
allabriserunefenêtredusecondétageetKaneenparutravi.Ilnecessaensuitededonnerdesconseils
àtoutlemonde.
Aunmoment,KaneetIanfaillirentsebattreàcoupsdebatte,maisAryaneréussitàlessépareravant
lepremiersang.
Asagrandesurprise,lesdeuxlutteurss'unirentcontreellepourluidiredesemêlerdesesaffaires.
Aryane,penaude,repritsaplaceprèsdeSherwyn.
—Iancommenceàsesentirchezlui,luisouritlevieilhomme.Rafeetluin'arrêtaientpasde
s'injurieretjecroisqueçacommençaitàluimanquer.
—Vousn'avezpaspeurqu'ilssefassentdumal?
—Non,votreKaneatroplatêtesurlesépaulespourenarriverlà.C'estàvotretourdejouer,
Aryane.
AryaneprofitadecequeKaneetIansedisputaientcommedeschiffonnierssurunpointderèglement
pourexpédierd'uncoupdebattesaballedansl'autrecamp.
—Cours,Aryane,cours!hurlaJane.
Relevantsesjupesàhauteurdesgenoux,lajeunefemmepartitdetoutessesforces,prenantunebonne
longueurd'avance.Kaneréalisaalorscequisepassaitetselançaàsapoursuite.Aryanelevitse
rapprocherpar-dessussonépauleetseditques'illapercutait,elleylaisseraitaumoinstroisdents.
Elleredoubladevitesse.
Kanelaplaquaausolenl'attrapantparleschevilles.Maisilétaittroptard,ellevenaitderegagnerson
camp.
—Bravo!applauditSherwyn.
KaneetIan,quifaisaientéquipe,semirentalorsàl'abreuverd'injures,maislevieilhommedemeura
imperturbable,unsourireheureuxéclairantsonvisageridé.
JanevintaiderAryaneàserelever.
—Ondiraitqu'iln'aimepasperdre,sourit-elleenregardantsonmariàl'autreboutduterrain.
—Tun'asrienàluienviersurcechapitre!ritJane.
Lesmainsetlevisagecouvertsdepoussière,lajupeenlambeaux,AryaneallaprendreKaneparle
bras.
—Puisquenoust'avonsbattuàplatescoutures,fit-elle,quedirais-tud'arrêterpouraujourd'huiet
d'allerprendredesrafraîchissements?Oncontinuerademain.
Kaneluijetaunregardvexé,puiséclataderireenlaprenantdanssesbras.
—J'aigagnéfaceàtouslesbusinessmendeWallStreet,maistoi,jen'aipasencoreréussiàtebattre
uneseulefois!
—Çasuffit,lesamoureux,intervintEdan.Allonsboirequelquechose.
IlsetournaensuiteversJaneetluioffritsonbras.Lesdeuxcouplespartirentverslamaison,suivisde
IanetdeSherwyn.
CHAPITREXXI
Cettepartiedebase-ballbrisadéfinitivementlaglaceauseindelafamille.Decejour,Kanenefuit
pluslatableetIansortitdesonmutisme,rendantlesrepasnettementplusanimés.Unjour,Kanele
traitaderêveuretilluiditqu'ilignoraittoutdelavraievie.Piquéauvif,l'adolescentluirétorqua
(dansdestermesquiobligèrentAryaneàlemenacerdesortirdetable)qu'iln'appartenaitqu'àlui,
Kane,deluimontrercequ'étaitcettefameusevraievie!
Kanelepritaumotetl'initiaauxaffaires,luiexpliquantlefonctionnementdelaBourseetcomment
lireuncontrat.
Enquelquesjours,Iansemitàparlerenmilliersdedollarsetàévoquerdestransactions
immobilièresdansdesvillesqu'ilauraitétéincapabledesituersurunecarte.
Unaprès-midi,AryanesurpritSherwyn,installéàlatabledejardin,entraindegriffonnersurun
papier.Plustardelleconstataqu'ils'agissaitdudessintrèsréussid'unemésange.
Elleachetauneboîted'aquarelles,despinceauxetdesblocsdecroquisqu'elleoffritàSherwyn,
prétendantlesavoirparhasardtrouvésdansungrenier.
Nullementdupe,levieilhommelespritenriantetl'embrassasurlajoue.Decejourilpassaleplus
clairdesontempsàpeindredanslejardin.
Aryaneallarendrevisiteàsasœurquivenaitd'ouvriruneaileréservéeauxfemmesàl'hôpital
Westfield.ElleyrencontraLeander,qu'ellen'avaitpasrevudepuislejourdumariage,etdécidade
mettrefinaumalaisequirégnaitentreeux.
—Leander,fit-elle,jeveuxquetusachesquejesuistrèscontentedelatournurequ'ontprisenosvies
etquejesuistrèsheureuseavecKane.
—Jen'aijamaisvoulutefairedumal,Aryane.
—C'estmoiquiaiinsistépourquenouschangionsdeplaceavecDoriane.Peut-être
qu'inconsciemmentjetrouvaisqu'elleettoiformiezunvraicouple.Veux-tuquenousoubliionsle
passéetquenoussoyonsamis?
—C'estmonvœulepluscher.Tusais,Aryane,tuasépouséuntypetrèsbien.
—Oui,jesais,maispourquoimedis-tuça?
—Tum'excuses,ilfautquejem'enaille.Onseverrapeutêtredimancheàl'église.Aurevoir.
Aryanefronçalessourcilsetfinitparhausserlesépaules.
IlsétaientmariésdepuistroissemainesquandAryaneinformaKanequ'elleallaits'attaqueràla
décorationdesonbureau.Elles'étaitattendueàcequ'ilnesemontrepasenthousiaste,maisilentra
dansunecolèrenoire.Cejour-là,Aryaneenrichitsonvocabulairedetoutessortesdemotsàfairese
pâmerbiendesdames.
Souslesregardscurieuxd'EdanetdeIan,quisemblaientvouloircompterdespoints,Aryaneattendit
quel'oragefûtpassépuisannonçaposémentàsonmariqu'elleallaitnettoyerlapièceincriminéeetla
meublerdécemment.
—Soittumelaissesfairependantlajournéeettumedonnestonavis,conclut-elle,soitjem'en
occuperailanuitpendantquetudormiras.
Kanelaregardad'unairsimenaçantqu'ellecrutuninstantqu'ilallaitl'étrangler.Enfin,ilsortitdela
pièceenclaquantlaportesifortqu'ilfaillitl'arracherdesesgonds.
—Mauditesfemmes,l'entendit-onhurlerdanslehall.Ilfauttoujoursqu'elleschamboulenttoutsur
leurpassage!Ellesnesupportentpasdevoirunhommeheureuxaveccequ'ila!
Aryanes'étaitattendueàtrouverlebureausale;ilserévélaunevéritableporcherie.
Rienquefaireleménageàfondpritdeuxbonnesheuresetoccupacinqdomestiques.
Laplacenette,lajeunefemmefitôterlavieilletableetlesmauvaiseschaisespourlesremplacerpar
unbureauLouisXVI,deuxprofondsfauteuilsdecuirpourlesvisiteursetungrandfauteuilVoltaire
decuirrougepourKane.
Lesmeublesinstallés,Aryanerenvoyatouslesdomestiquesàl'exclusiondeSusanetentrepritde
mettredel'ordredanslesarmoires.
Pasquestionderangerlestonnesdepaperassefroisséequis'yentassaient,maisonpouvaitquand
mêmemettreunpeud'ordre.ElleenvoyaSusanchercherdesfersàrepasseràl'officeetentrepritde
repasserunàunlesdocumentsafindepouvoirlesempilercorrectement.
Dansleplacardàgauchedelacheminéedemarbre,Aryanedécouvritdescadavresdewhiskyetune
sériedeverresquimanifestementn'avaientjamaisétélavésdepuisl'installationdumaîtredemaison
enceslieux.
—Prends-lesetplonge-lesdansl'eaubouillante,dit-elleàSusan.Jeveuxquedésormais,desverres
propressoientapportésicichaquematin.
Enouvrantleplacardquifaisaitpendantauprécédentdel'autrecôtédelacheminée,Aryaneeutun
choc.Ilétaitbourréàcraquerdebilletsdebanquedetoutessortes!
Lajeunefemmeenvoyaimmédiatementquelqu'unenvilleacheteruncoffre-fortetenattendantsemit
àrepasserlesbilletsunparun,lesclassantparnationalité.
Lacheminéefutornéed'unesériedestatuettesantiquesreprésentantVénus,etleshautesfenêtresse
virentgarniesd'épaisrideauxdeveloursbleunuit.
QuandKanedécouvritsonbureau,ilobservatoutattentivementsansdireunmotpuisselaissatomber
danssonfauteuil.
—J'avaispeurqueturepeignestoutenrosebonbon,grinça-t-il.
—Jesavaisqueçateplairait,ditAryaneenvenantluiposerunpetitbaisersurlefront.Nedispasle
contraire,jesaisquetuaimeslesjolieschoses.
Lajeunefemmequittalapiècetrèsfièred'elle-mêmeetsourittoutletempsquedurèrentses
essayageschezsacouturière.
Deuxjoursplustard,ilsdonnèrentleurpremierdîner,quiserévélaunvéritablesuccès.
PournepasmettreKanemalàl'aise,Aryanen'avaitinvitéquedesamisprochesqu'ilconnaissaitdéjà
etilsemontraunhôtecharmant.Ilpritsoindeservirlui-mêmeleChampagneauxdamesets'offrità
fairevisiteràtouslamaison.
Cen'estqu'aprèslerepasqu'Aryaneeutenviededisparaîtresousterre.
Elleavaitlouépourdivertirsesconviveslesservicesd'unextralucide.
Pendantlesdixpremièresminutes,Kanenecessades'agitersursonsiège,puisfinitparparleravec
Edandecertainesterresqu'ilcomptaitbienacquérirrapidement.
Commelajeunefemmesetournaitversluipourluidemanderdesetaire,ilquittasaplaceetsortitdu
salon,clamantbienhautquelevoyantn'étaitqu'uncharlatan.
Lesinvitésenfinpartis,AryaneallaàlarecherchedeKaneetfinitparletrouveràl'autreboutdu
jardin.
IlneseretournapasquandAryanearrivaàsahauteur,maiscontinuadefumersoncigare,leregard
perdudanslanuit.
—Jen'aimepascethomme,Aryane.Jenecroispasàlamagieetjesuisincapabledefairesemblant.
Aryanel'enlaçaetlefittaired'unbaiser.
—Jen'arrivepasàcomprendrecommentunefemmecommetoipeutseretrouverauxcôtésd'un
palefrenierdemonespèce,murmura-t-il.
—Parcequ'elleabeaucoupdechance,répondit-elle,recommençantàl'embrasser.
Kanedégrafasarobeetlafitglisseràterre.Puisilsoulevalajeunefemmedanssesbrasetl'emporta
sousunetonnelleoùill'allongeadoucement.
Illacaressasilongtempsqu'ellecrutqu'elleallaitdevenirfolle.Enfin,illapritetellecriapresque
aussitôt;criantencorequelquesinstantsplustardquandàsontourilconnutl'extase.
—Tun'aspasfroid?Tuveuxrentrer?
—Non,jenemesuisjamaissentieaussibien.Dis-moi,pourquoicrois-tuqueFentoncontinuaitde
payerSherwynalorsquedetouteévidenceilnepouvaitplustravailler?
Kanes'éloignad'elleengrondantetrepritsesvêtements.
—Jen'aipasenviedesubirencoretesquestions.Tupeuxterhabillertouteseule.Moi,jerentre,j'ai
encoredutravailàfaire.
Aryaneseretrouvaseule,partagéeentrel'enviedepleureretcelledeseréjouird'avoirposécette
question.Detouteévidence,desliensobscursliaientlesTaggertetlesFenton,etrongeaientKane.Il
n'yavaitqu'enl'obligeantàenparlerqu'onpourraitl'enlibérer.
Lanuitsuivante,AryaneseréveillatremblanteetsutimmédiatementqueDorianeétaitendanger.Elle
sesouvintquesamèreracontaitsouventlafaçondontunjourelleavaitcasséunethéièreets'était
miseàpleurerenrépétantqueDorianeétaitblessée.Onavaitretrouvélafillette,alorsâgéedesept
ans,inaniméeaubordd'unruisseau.Entombantdel'arbreoùelleétaitgrimpée,elles'étaitcasséle
bras.Pourtant,cetétrangephénomènedetélépathienes'étaitplusreproduitdepuis.
Pendantdeuxheures,AryanetremblaentrelesbrasdeKane,puisfinitpars'endormirapaisée:le
dangerétaitpassé.
Lelendemain,Dorianevintluirendrevisiteetpassal'après-midiàracontercommenteffectivement
savieavaitétéenpéril.
Quatrejoursplustard,lejeuneZachariefitirruptiondansleurvie.Ilsallaienttouspasseràtable
quandlejeunegarçonentraencoupdeventdanslamaison,unlaquaisaffoléàsestrousses,hurlant
qu'ilvenaitd'apprendrequeKaneétaitsonpère,qu'ilenavaitdéjàunetqu'iln'envoulaitpasun
second.
L'instantd'après,ilétaitressorti.
Alorsquechacundemeuraitbouchebée,Kanes'assittranquillementàtableetdemandaaudomestique
quelleétaitlasoupedujour.
—Kane,ditAryane,jecroisqu'ilseraitbienquetulerattrapes.
—Pourquoifaire?
—Luiparler,toutsimplement.Celaadûluifairetrèsmaldedécouvrirqueceluiqu'ilcroyaitson
pèrenel'étaitpas.
—LemaridePamelaétaitsonpère.C'estluiquil'aélevé.
—Tupourraispeut-êtreessayerdeleluiexpliquer?
—Jenesaispasparlerauxenfants.
Aryanesecontentadelefoudroyerduregard.
—C'estbon,j'yvais!Maisdansquelquesannéesjeserairuinéàforcedefairetouteslesfoliesquetu
medemandes.
—Kane,surtoutneluiproposepasdeluiacheterquoiquecesoit.Dis-luisimplementlavéritéet
propose-luidefairelaconnaissancedesoncousinIan.
—Veux-tuaussiquejeluioffredeveniricipourqu'ilt'aideàmemettresurlapaille?
Kanesortitenmarmonnantdesphrasesdécousuesoùilétaitquestionde«mourirdefaim»...
IlretrouvaZachariequimarchaitlentementsurlaroute.
—Tuaimesjoueraubase-ball?demanda-t-il.
—Certainementpasavecvous.
—Jenevoispaspourquoitum'enveuxautant.Detoutcequej'aipuentendre,tonpèreétaituntype
trèsbienetjen'aijamaisditlecontraire.
—Lesgensdecettevilleminabledisentquec'estvousquiêtesmonpère.
—C'estunefaçondeparler:j'ignoraisjusqu'àtonexistenceilyaencorequelquesjours.Tuaimesle
whisky?
—Lewhisky?Je...jenesaispas,jen'enaijamaisbu.
—Viensavecmoiàlamaison.Onvaboireunverreetjet'expliqueraipasmaldechosessurles
pères,lesmèresetlesjoliesfilles.
Kaneetsonfilspassèrenttoutl'après-midienfermésdanslebureau,tandisquepourtromperson
énervementAryanedéambulaitd'unepièceàl'autre.EllecroisaZachariequis'enallaitenfinetle
jeunegarçon,toutrouge,luijetaunregardétrangeavantdedisparaître.
—Zachariem'aregardéed'unefaçontrèsbizarre,dit-elleàKanequandill'eutrejointe.
—Jeluiaiexpliquécommentonfaisaitlesenfantsetjecroisquejemesuislaisséunpeuemporter
parmonsujet.
Aryanedemeurabouchebée.
—Bon,ilfautquejetravailletardcesoircardemainZacharievientjoueraubase-ballavecIanet
moi.Tuessûrequetuvasbien?Tuestoutepâle.Tuferaisbiendetereposerunpeu.Tenircette
maisontefatiguetrop.
Kanel'embrassadistraitementetretournadanssonbureau.
Quelquesjoursplustard,Kaneserenditaumagasindesport,pourvoirquelgenredejeuxautresque
lebaseballilpourraitpratiquer.
FaceàIanetàZacharie,Edanetluinecessaientdesefairebattre.Ian,parrespectetparcraintepour
sonbienfaiteur,nesepermettaitaucuneremarquequandilenfreignaitlesrègles,maisZacharie,lui,
neluipassaitrien.EtKanesevoyaitrégulièrementremisàsaplace.Ilfallaitdonctrouveruneautre
activité.
KaneetEdanparcoururentattentivementlesrayons,dressantunelisteimpressionnantedematériel,et
nevirentpastoutdesuitequeJacobFentonétaitluiaussidanslemagasin.
JacobFentonnesortaitplusquerarementdechezlui,préférants'occuperdesamineetmaudirele
sortquiluiavaitdonnéunfilsincapabledes'intéresserauxaffaires.
Maisrécemment,unrayondesoleilétaitentrédanssavieavecleretourdesafillePamelaetsurtout
ladécouvertedesonpetit-fils,Zacharie.
Zacharieavaittoutpourréchaufferlecœurduvieilhomme.Ilétaitbeau,solide,vifetintelligentetde
surcroîtilavaitlesensdel'humour.Sonseuldéfautétaitl'affectiongrandissantequ'iléprouvaitpour
sonpère.Chaqueaprès-midi,aulieuderesteravecsongrand-pèreàapprendrecommentondirigeait
lamine,ilpréféraitallerfairedusportavecsonpère.Jacobavaitdoncdécidédecombattrelemal
parlemalenachetantàsonpetit-filstoutl'équipementsportifdontilpouvaitrêver.
KaneetJacobFentonseretrouvèrentfaceàface.AussitôtlevisagedeKanes'empourpradehaine.
Jacobnelereconnutpas.Ilseditsimplementquelevisagedel'inconnuluiétaitvaguementfamilier
etquesesvêtementsavaientdûcoûterunepetitefortune.
—Excusez-moi,fit-il,tentantdesefrayerunpassage.
—Horsdevosécuries,vousnemereconnaissezplus,Fenton.
Fentonréalisaquel'hommeluirappelaitZacharieet,comprenantenfinquiilétait,ilpoursuivitson
chemin.
—Uninstant,leretintKane.Venezdoncdînerchezmoidansquinzejours.
Jacobs'immobilisa,tournanttoujoursledosàKane,puisopinaduchefavantdequitterlemagasin.
—Livrezçachezmoi,ditKaneenposantlalistequ'ilvenaitdedresser.
Puisilsortitàgrandspas,flanquéd'Edan.Ilsprirentplacedansl'éternelchariotbrinquebalantetEdan
fitclaquersonfouet.
—Jecroisquejevaisacheteruneautrevoiturequecelle-ci,ditKane.
—Pourquoifaire?PourimpressionnerFenton?
—Qu'as-tuderrièrelatête,Edan?
—Tulesaistrèsbien,rétorqualejeunehomme,lamâchoiresoudaincrispée.Pourquoitiens-tu
absolumentàinviterlevieuxFentoncheztoi?Pourluimontrerquetuasmieuxréussiquelui?Lui
enmettrepleinlavueavectabellemaison,tasuperbeargenterieettonépouse?N'as-tujamaispensé
àlamanièredontAryaneréagiraquandelledécouvriraquetul'asprisepourfemmecommeon
achèteunevoitureneuve?
—Cen'estpaslavéritéettulesaistrèsbien.Aryanemecréeparfoisdesdifficultésmaisilyaaussi
descompensations.
—Tum'asditsouventqu'unefoisqu'Aryaneauraitremplisonrôle,qu'elleauraitprésidélerepasque
tuvoulaisoffriràFenton,tutedébarrasseraisd'elleetretourneraisàNewYork.
Quetuladédommageraisàgrandrenfortdebijoux.
—Ellen'apasl'airdes'intéresserbeaucoupàeux.Jeluienaioffertunpleincoffreetellenel'a
jamaisouvert.
—Ellet'aimeettulesaispertinemment.
—Elleenal'air.Maisquisait?Sijen'avaispastoutcetargent...
—Tonargent!Tuesunsalaud.Maisouvredonclesyeux
!N'invitepasFenton.NelaissepasAryanecomprendrepourquoitul'asépousée.Tuneterendspas
comptedecequecelareprésente,deperdreceuxqu'onaime.
—Maisjen'aipasl'intentiondeperdrequoiquecesoit!
Cequejeveux,c'estavoirFentonàdîner.J'aitravaillépourçatoutemavie,etjen'aipasenviede
renonceràceplaisir.
—Leplaisir!Tunesaismêmepascequec'est!Jet'enprie,Kane,negâchepastout.
—Tun'espasobligéd'êtrelàsitun'enaspasenvie.
—Jenerateraipasçacommejenerateraipastonenterrement!
CHAPITREXXII
Lesmainsd'Aryanetremblaientcommeellefixaituncaméliablancdanssescheveux.Lesdeux
semainesécouléesl'avaientmiseàboutdenerfs.
QuandKaneluiavaitannoncéqueJacobFentonviendraitdîner,elleavaittoutd'abordététrès
heureuse.Ellevoyaitdanscetteréunionlemoyendecomblerenfinlefosséquiséparaitlesdeux
hommes.Mais,trèsvite,elleavaitdéchanté.
Kanen'avaitcessédelabombarderdequestionssurchacundespréparatifs.Cedînern'étaitplusune
simpleréceptionparmid'autres:ildevenaitlaréceptiondusiècle.
KaneavaitexigédeMmeMurchinsonqu'ellepréparâtlerepasunepremièrefoisafindepouvoir
goûterchaquemetsetjugerdeleurenchaînement.Iln'avaitpasquittélevaletdechambred'une
semelletandisqu'ilastiquaitl'argenterie.
Ensuite,cefutunraidenbonneetdueformedanslesplacardsd'Aryane:Kanedécrétaqu'ellen'avait
plusrienàsemettre.D'ailleurs,pluspersonnedanscettemaisonn'avaitdetenuedécenteetilfallut
rhabillertoutlemondedepiedencap.Aryanedutpresquesebattreavecluipourquelesdomestiques
nesoientpasenlivréeXVIIeetperruquepoudrée.
Bref,Kanesemblaitenproieàlafoliedesgrandeursetmenaçaitdesombreràtoutinstantdansle
ridicule.
Aprèscesdeuxsemaines,chacunpriaitpourquecedînersoitterminéetquel'onpuisseenfinrespirer
unpeu.
SherwynetJanes'étaientprudemmentfaitporterpâles,maisIan,soutenuparZacharie,avaitdéclaré
quepourrienaumondeilnevoulaitmanqueruntelfeud'artifice.D'ailleurs,pourIan,JacobFenton,
entantquepropriétairedesminesdecharbon,représentaitSatanenpersonne:seretrouveràlamême
tablequeluilefascinait.
Aryaneauraitreçucesoir-làleprésidentdesEtats-Unis,lamaisonnéen'auraitpasétédavantagesur
lesdents.Lajeunefemmeredoutaitqu'undomestiquenerenverseuneassiettedepotagesurles
genouxdeJacobetqueKanel'étripedanslafoulée.
MaiscequirendaitAryaneencoreplusnerveuse,c'étaitqueKaneluiavaitpromisdeluirévélerce
qu'ilyavaitentreFentonetlui.
Laveille,uncoupdetéléphonedePamelaétaitvenudonnerlecoupdegrâce.Elleavaitsupplié
Aryaned'annulerlaréception,luiexpliquantqueparunétrangepressentimentelleredoutaitcequis'y
dirait.Lecœurdesonpèren'étaitplustrèssolideetelleavaitpeurqu'ilnesupportepasqueKanese
metteencolère.
AryaneavaitvouluraisonnerKane,maisilluiavaitditqu'ellenesavaitpasdequoielleparlait.C'est
alorsque,commeelleluisignifiaitclairementquesielleensavaitpluselle-pourraitpeut-êtreyvoir
clair,ilavaitjurédetoutluirévéleravantdepasseràtable.
Soudain,AryanesursautaenapercevantKanedanssonmiroir.
—Retourne-toi,dit-il.J'aiquelquechosepourtoi.
Aryaneobéitetilpassaunerivièredediamantsàsoncou.
Illuiremitaussidespendantsd'oreillesassortis.
—Parfait,dit-il,laprenantparlamainetl'emmenantdanssaproprechambre.
Aryanes'assitdansunfauteuiltandisqueKanegagnaitunmuretactionnaitunmécanismecachéqui
révélaituncoffre-fort.Ilensortitunportefeuilledecuird'oùiltiraunephoto.
—Voicimamère.
—CharityFenton,murmuraAryane,observantlecliché.
Nesoispassisurpris,Edanm'avaitditquielleétait.
—Décidément,ilnesaitpastenirsalangue,celui-là.
KaneluitenditunesecondephotooùAryanedécouvritquatrejeuneshommes.Deuxd'entreeux
ressemblaientàKaneettousparaissaientintimidésparl'objectif.
—CesontlesquatrefrèresTaggert,expliqua-t-il.Leplusjeune,c'estLyle,lepèredeIan.Acôtéde
luiilyaRafe,puisSherwyn,etenfinmonpère,Frank.
—Tuluiressembles.
Kaneneréponditpasmaisposasurlatableàcôtéd'Aryanelerestedespapierscontenusdansle
portefeuille.
—Cesonttouslesdocumentsquej'aipuréunirsurmesparentsetsurmanaissance.
Aryanejetaunrapidecoupd'œilsurlespapierspuisattenditpatiemmentlesexplicationsdesonmari.
—Jesupposequetun'asjamaisentenduparlerd'HoraceFenton.Ilestmortdepuistrèslongtemps.
C'étaitlepèredeJacob.Dumoins,c'estcequecroitJacob.Lavérité,c'estqu'Horacenepouvaitpas
avoird'enfant.Alors,ilaadoptélebébéd'uncoupledecolonsquiserendaientenCalifornieetquise
sontfaittuerenroute.Jacobn'avaitquequelquesannéesquandparmiraclelafemmed'Horacea
réussiàmettreaumondeunefille.Ilsl'ontappeléeCharity.D'aprèscequej'aipuapprendre,aucun
enfantn'aétéautantgâtéquecetteMlleCharityFenton.Rienn'étaittropbeaupourelle.
—EtJacob?Commentétait-iltraité?
—Pastropmal.LevieilHoracepassaittoutàsafillemaisilafaitensortequesonfilsadoptifsoit
capabledes'ensortirdansl'existence.Sansdoutecomptait-ilqu'ilseraitenmesuredesubveniraux
besoinsdeCharityquandilneseraitpluslà...
J'ignorecommentCharityetFranksesontrencontrés.Entoutcas,cefutuncoupdefoudreetellea
vouluàtoutprixsemarieraveclui.Jecroisquedanssapetitetêteellen'ajamaisimaginéqueson
pèreneseraitpasravidelavoirépouserunsimpleouvrier.
Kanemarquauntempsd'arrêtetlesilencedevintpratiquementpalpable.
—Ilafaitplusqueluirefusersonconsentement,reprit-il.
Ill'aenferméeàdoubletourdanssachambre.Elleacependantréussiàs'enéchapperetàpasserdeux
joursavecFrank.Quandsonpèrel'aretrouvée,elleétaitdanssonlitetelleluiaditque,dût-elle
mourir,c'étaitluiqu'elleépouserait.Horacen'arienvouluentendre.
—Jelaplains,murmuraAryane.
—Elleafinipargagner.Deuxmoisplustard,elleétaitenceinte.
—Detoi.
—Oui,demoi.Horacel'amiseàlaportedechezluienluidisantqu'elleavaitcesséd'êtresafille.
Quantàsafemme,elleesttombéemaladeet,quatremoisplustard,ellemouraitdechagrin.
—Ainsi,voilàpourquoituhaislesFenton.Tuneleurpardonnespasd'avoirgrandidanslesécuries
alorsquetuavaisautantdedroitsqueJacobd'hériterdeleurfortune.
—Autant!Qu'est-cequ'iltefaut!Maisattends,tun'aspasencoreentendulasuitedel'histoire.Frank
etCharitysesontretrouvésdansuntaudis.Lesgensrefusaientdeparleràmamèreparcequ'elleétait
uneFenton.D'aprèscequ'onm'adit,sescapricesn'arrangeaientpasleschoses.Enfin...Deuxmois
aprèsavoirépousémonpère—l'actedemariageestlà—
Frankestmortdansuncoupdegrisou.
—Etelleestretournéechezsesparents.
—Non.Sonpèreavaituncœurdepierre.Uneservantem'aracontéquequandelleestvenue
retrouverHorace,elleétaitdansunétatépouvantable.Bienqu'enceintedeplusieursmois,elleétait
d'unemaigreureffrayante.Ill'aaccuséed'avoirtuésamère.Toutcequ'ilabienvoulufairepourelle,
c'estl'engagercommebonnepourunsalairedemisère.
KanetremblaitderageetdechagrinetAryanevintleprendredanssesbras.
—Ill'afaittravaillercommeuneesclave,poursuivit-il.
Puisunsoir,sontravailfini,mamèreestmontéedanssasoupente.Là,ellem'amisaumonde,puis
elles'estpendue.
—Quellehorreur!Etqu'afaitFenton?
—C'estluiquil'atrouvée.Quisait?Peut-êtreavait-ilétéprisderemordsetétait-ilvenului
pardonner.Entoutcas,ilétaittroptard:quandilestentré,elleétaitdéjàmorte.J'aieubeaucoupde
malàreconstituerlasuite.Fentonm'atrouvéunenourrice,puisils'estenfermédanssonbureauavec
unearméed'avocats.Enfin,deuxjoursaprèslamortdemamère,ils'esttiréuneballedanslatête.
Aryaneselaissatombersurunsiège,anéantie.Ainsi,telétaitledramequiavaitpoursuiviKanetoute
savie.
—C'estpourçaquetuasétéélevéparlesFenton,murmura-t-elle.
—Elevé?Tuparles!Jen'aiétéélevéparpersonne!
hurla-t-il,avantdeseressaisir.Quandletestamentd'HoraceFentonaétéouvert,onaapprisqu'il
s'étaitarrangépourlaissertoussesbiensàl'enfantdesafille.
—Toi?
—Oui,moi.Jacobn'avaitpasunsou.IlétaitsimplementnommétuteurdeKaneFranklinTaggert,
alorsâgédetroisjours.
—Maisjenecomprendspas...Jecroyaisque...
—Tucroyaisquej'étaisnésanslesou?C'estpresqueça.
Aprèsl'ouverturedutestament,Jacobestrestéenferméplusieursheuresaveclesavocatsetquandils
sontenfinressortis,j'avaisétéspoliédetoutemafortune.Ilsavaientconcoctéunnouveautestament,
complètementfaux,quilaissaittoutàJacob.
—Qu'ont-ilsfaitdetoi?
—Ilsontfaitcourirlebruitquel'enfantdeCharityétaitmortàlanaissance.Pendantenvironsixans,
j'aiétéballottédefermeenferme.Jacobavaitpeurque,sijerestaistoujourschezlamêmefamille,
onréussisseàretrouvermatrace.
—Sansdouteavait-ilpeurdesTaggert.J'imaginemalRafeabandonnantsonneveu.
—C'estl'argentquidonnedupouvoir,orlesTaggertn'ontjamaiseuunsou,ditKane,amer.
—QuantàJacob,iln'apasvoulurenonceràcepourquoiilavaittravaillédepuistoujours,dit
Aryane,seremettantdebout.Ilavaittoujourscruqu'Horaceétaitsonpèreetsoudain,ildécouvrait
qu'iln'étaitrien,quetoutelafortuneallaitàunnouveau-né.
—Parcequetuledéfends!
—Absolumentpas.J'essaiesimplementdecomprendrepourquoiilaagisibassement.Queseseraitilpassés'ilavaitgérétesbiensetqu'unefoismajeurtul'avaisflanquédehors?
—Jamaisjen'auraisfaitça.
—Jelesaisbien,maiscommentpouvait-illesavoir?
Etmaintenant?Quecomptes-tufaire?Lepoursuivreenjustice?
—Non.Sijel'avaisvoulu,j'auraispulefairedepuisdesannées.
—Tuesvraimentcertaindenepasvouloirluireprendresonargent?Tuterendscompte
qu'actuellementtonfilsvitchezluietqu'ilseraitlapremièrevictime?
—ArrêtedeprendrelepartidesFenton!Toutcequej'aitoujoursvoulu,c'estpouvoirinviterJacob
Fentondansunemaisonplusgrandequelasienneetl'asseoiràunetableprésidéeparunevraielady.
Aryanelefixalonguement.
—J'aimeraisconnaîtrelefonddetapensée,fit-elle.Dis-moiquelrôleexactjejouedanstoutecette
histoire.
Sanspouvoirsel'expliquer,Aryanesentaitlapeurmonterenelle.
—QuandFentonm'ajetédehors,ilm'aditquejen'auraisjamais«toutça».Surlemoment,j'aicru
qu'ilparlaitdePamelaetdelaviequ'ellereprésentait.Plustard,quandj'aicommencéàgagnerde
l'argent,j'ailouélesservicesd'undétectiveprivé.C'estlàquej'aidécouverttoutelavéritésurma
naissanceetlereste.
—TuasalorsdécidédetevengerdeFenton;etmoi,jenesuisqu'unpionsurl'échiquier.
—Sil'onveut...JevoulaisconstruireuneénormefortuneetinviterFentonchezmoi.Lafemmequi
auraitjouélerôled'hôtesseauraitétéPamela.
—Seulement,tun'aspaspu.
—Non.J'aidécouvertqu'elleétaitmariéeetqu'elleavaitunenfant.Jenesavaispasencorequ'ilétait
demoi.J'aidoncdûchangermesplans.LamaisondevaitsetrouvericipourqueFentonpuissela
voirtouslesjoursetqu'envilletoutlemondesachequelegarçond'écurieavaitréussi.Restaitma
femme.Jesuisvitearrivéàlaconclusionquecenepouvaitêtrequ'unedesjumellesChandler.J'aifait
faireuneenquêteetDorianeaétééliminée.Jenepouvaispasmemarieravecunefemmedont
personnenevoulait.
—Evidemment,ironisaAryane.Iltefallaituneladycentpourcent.
—Biensûr,tuétaisfiancéeàWestfield.Maisjesavaisquejefiniraispart'avoirparcequej'avaisplus
d'argentquelui.
Bien,fit-ilenregardantsamontre,ilesttempsd'yaller.
J'attendscemomentdepuisdesannées.
KanepritAryaneparlebrasetl'entraînahorsdelapièce.
Elleselaissafaire,tropbouleverséepourprotester.
CHAPITREXXIII
Duranttoutlerepas,Aryanesesentitaussiglacéequelesdiamantsquiscintillaientàsoncou.Elle
avaitl'impressiondesedébattredansuncauchemaretseulesonéducationluipermitdesoutenirla
conversationetdedirigerlesdomestiques.
Apparemment,toutsepassaitbien.Pamelasemblaitserendrecomptedelatensionquirégnaitet
faisaitdesonmieuxpouraider.IanetZacharieparlaientsport,JacobFentonseconcentraitsurson
assietteetKaneobservaitletoutavecunsouriresatisfait.
AryanenecessaitdesedemandercequeKaneavaitprévudefaired'elleunefoisledînerachevé.
Pensait-ilquitterChandler?Ellesesouvenaitqu'ilpestaitrégulièrementsurladifficultédetraiterses
affairessiloindeNewYork.Commentavait-ellepuacceptersansseposerdequestionsqu'ilsesoit
faitconstruireunetelledemeuredanscettevilleperdue?Sansdoute,lamaisonachevée,s'était-il
empresséd'allertrouverFentonpourlenarguer...
AryaneprenaitpeuàpeuconsciencequetoutelaviedeKaneavaitétébaséesursavengeanceet
qu'elle-mêmen'enétaitqu'unélémentetriendeplus.Pourl'hommeauquelelleavaitdonnésoncœur,
ellen'étaitqu'unoutildedestruction.
Commentavait-ellepusetrompersurluiàcepoint?
Lerepasterminé,AryaneentraînaPamelaausalon,laissantleshommesfumerleurscigares.
Lesdeuxjeunesfemmesparlèrentdechosesetd'autres.Aaucunmomentl'étrangerepasqu'elles
venaientdefairenefutévoqué,maisàdeuxreprisesAryanesurpritPamelaentraindelaregarder
bizarrement.
KaneemmenaJacobdanssonbureauetluioffrituncognacmillésimé.
—Alors,pasmalpourunpalefrenier,vousnetrouvezpas
?
—C'estbon,vousm'avezmontrévotremaison.Quevoulez-vousmaintenant?
—Riend'autre.Vousvoiricimesuffit.
—Vousnepenseztoutdemêmepasquejevaisvouscroire?Unhommequis'estdonnéautantdemal
pourmemontrercommentilavaitréussidanslavienevapassecontenterd'unsimpledîner.Entout
cas,jevouspréviens,sivousessayezdemeprendrecequim'appartient,je...
—Voussoudoierezd'autresavocats?coupaKane.Troisdecessalaudssontencoreenvieetsijele
voulaisjepourraislespayersuffisammentcherpourqu'ilsdisentlavérité.
—VousêtesbienunTaggert.Toujoursàprendrecequin'estpasàeux.VotrepèreaprisCharityetlui
afaitmenerunevietellementatrocequ'elles'enestpendue.
—Simamèreestmorte,c'estàcaused'HoraceFenton,accusaKane,blancderage.Etvous,vous
m'avezvolétoutcequimerevenait.
—Vousn'aviezrien.Toutétaitàmoi.Jedirigeaiscesaffairesdepuisdesannées.Vousnecroyeztout
demêmepasquej'allaismelaisserdéposséderparunbébé!Etvous,ensuite,enbonTaggert,vous
avezvoulumevolermafille.
Vousnecroyezpasquej'allaisvouslaisserfairecequevotrepèreavaitfaitàmasœur!
—Regardezbienautourdevous,Fenton.Regardezbiencettemaison.Voilà,commevousdites,ce
quej'auraisfaitàPamela.
—Faux,ditFenton,écrasantsoncigareenquittantsonfauteuil.Vousnevousêtesjamaisditqueje
vousavaisrenduunservice?Sijevousavaislaissémafilleetvousavaisdonnécequevouscroyez
êtreàvous,vousn'auriezprobablementjamaistravailléuneseulejournéedevotrevie.Vousnedevez
votreréussitequ'àvotrehainestupide.
FentonouvritlaporteetseretournaunedernièrefoisversKane.
—Etn'essayezpasdemechercherdeshistoires,sinonjefaisarrêtervotrefemmepourentrées
illégalesdansmescampsettentativesdesoulèvement.
—Quoi!
—Jemedemandaissivousétiezaucourant...Elleestdansl'illégalitéjusqu'aucou.Etdites-luiqu'elle
feraitbiendeseméfier.Mapatienceadeslimites.Bonsoir,Taggert!
Kanerestalongtempsseuldanssonbureauetpersonnenevintledérangertandisqu'ilbuvaitsa
bouteilledewhisky.
—MadameAryane,fitSusan,entrantencoupdeventdanslesalonoulajeunefemmefaisaitlescent
pas.M.Taggertvousdemandeimmédiatementdanssonbureau.Ilesthorsdelui.
Kaneétaitassisenbrasdechemiseàsonbureauettenaitd'unemainunebouteilledescotchpresque
vide.
—Tuastoutfichuparterre,accusa-t-il.Toiettessalesmensonges.
—Maisenfin,dequoiveux-tuparler?
—Nonseulementtuvoulaismonargent,maistut'esserviedemoi.Tusavaisqu'endevenantune
Taggert,Fentonn'oseraitpastemettredesbâtonsdanslesroues.Tupourraiscontinuertes
manigancesàlamineentouteimpunité.Jemedemandesitasœurettoiaviezpréméditétoutça.Quel
rôlefaites-vousjoueràWestfield?
Aryanes'assitenfacedeluietleregardadroitdanslesyeux.
—Turacontesn'importequoi,dit-elle,trèscalme.Jen'aisulenomdetamèrequelejourdenotre
mariage.
—J'aiditunjouràEdanquetuétaisunebonnecomédiennemaisjenemerendaispascompteàquel
pointjedisaislavérité.Tuasbienfaillim'avoiravecteshistoiresdemariaged'amour.Enfait,tute
servaisdemonnompourpénétrerdanslesmines.Jemesuisbattudesannéespourarriveràcesoir
ettuastoutdétruit.Maintenant,Fentonmenacedetetraînerenjusticeetdefairedemoilariséede
toutelaville.
—Assez!Tun'asrienàvoirlà-dedans.Oui,c'estvrai,jevaisauxmines,maisjelefaisdepuis
longtempsetàcetteépoquej'ignoraisjusqu'àtonexistence.Tunepensesqu'àl'argent,maismoije
m'enmoque.Jeneveuxpasvivreavecunhommequiaconstruitunemaisoncommecelle-cietquia
épouséunefemmequ'iln'aimaitpasuniquementpoursevengerd'unvieillardquiilyaplusdetrente
ansadéfenducequ'ilestimaitêtresonbien!J'arriveàcomprendrelesmotivationsdeFenton,mais
paslestiennes.Tupeuxcroiretantquetuvoudrasquejet'aiépousépourtonargent,maismoijesais
quejet'aiépouséparcequejet'aimais!Seulement,j'aimaisunhommequin'existaitquedansmon
imagination,pastoi.Toi,tun'esqu'uninconnuetjen'aipasl'intentiondecontinueràvivreauprès
d'uninconnu.
Kanelafoudroyaduregard.
—Situcroisquejevaistesupplierderester,tutetrompes.Jemeseraibienamuséavectoi.Enfait,
plusquejenem'yattendais.Maisjen'aipasbesoindetoi.
—Erreur!Tuneterendsmêmepascompteàquelpointtuasbesoindemoi.Maisjenepeuxpas
aimerquelqu'unquejenerespectepas.Tun'espasl'hommequejecroyais.
Kanegagnalaporte,l'ouvritetluifitsignedesortir.
Aryanepassadevantluisansunregard,traversalehalletseretrouvadanslanuit.
Unattelageattendaitauboutdel'allée.
—Vouspartez,n'est-cepas?fitlavoixdePamela.
AryanelaregardasansunmotetPamelaretintsonsouffleendécouvrantsonvisagedéfait.
—Montez,dit-elle.Jemedoutaisbienqu'ilsepassaitundrame.Monpèreétaitdansuntelétatquand
ilestrentréquej'aidûappelerlemédecin.Ecoutez,Aryane,j'aiunemaisonàmoimaintenantetvous
pouvezvenirvousyinstaller.VousresterezavecZacharieetmoienattendantqueleschoses
s'éclaircissent.
CommeAryanenebougeaitpas,Pameladescenditetlapoussaàl'intérieurdelacalèche.Aryaneétait
incapabledepenser.Ellenesavaitqu'unechose:ellevenaitdeperdrecequ'elleaimaitleplusau
monde.
KanefitirruptiondanslesalondupremierquesepartageaientIanetEdan.Cedernierposa
calmementlelivrequ'ilétaitentraindelireetl'observa.
—Jeveuxquetudécouvrescequ'Aryanefaitdanslesmines,fitKane.
—Queveux-tusavoirexactement?
—Tout.Quandelleyva,pourquoietcomment.
—Touslesmercredisaprès-midi,ellesedéguiseenvieillefemmeetsefaitappelerSadie.Ellemène
jusqu'aucampunpleinchariotdelégumes.Dedansilyadesmédicaments,dusavon,duthé,enfin
toutcequipeutêtreutileauxfemmesdesmineurs.Elleslapaientavecdesreconnaissancesdedettes
queJaneTaggertleurrestitueaprès.
—Tusavaistoutçaettunem'enasjamaisparlé!
—Tum'asenvoyél'espionnermaistunem'asjamaisdemandécequej'avaisvu.
—Jesuistrahidetouslescôtés!D'abordelleetmaintenanttoi.EtcetteorduredeFentonquisaittout
!
—OùestAryane?Queluias-tudit?
—Ellevientdepartir.Ellen'apassupportédesesavoirdécouverte.Dèsquej'aicomprisqu'elle
m'avaitutilisé,moietmonargent,elles'estenfuie.Bondébarras.
—Espècedesalaud!grinçaEdanenl'attrapantparlereversdesonveston.Cettefilleestcequit'est
arrivédemieuxdetoutetavie.Tuestellementstupidequetunet'enrendsmêmepascompte.Vala
chercher!
—Pasquestion,rétorquaKaneensedégageant.Elleestexactementcommetouteslesautres.C'estune
putedeluxe,riendeplus.
Kanenevitpasvenirlecoupmaissentittrèsnettementlessolidesjointuresdelamaind'Edan
percutersamâchoire.Ilseretrouvaétaléparterre,sefrottantlementon.
—Tusaisquoi,criaEdanpenchésurlui,moiaussij'aieumadose!J'étouffe!Celafaitdixansque
jevisavectoidansdesendroitsminablesentravaillantcommeunebêtepouramasserdel'argent
uniquementpourassouvirtastupidevengeance.Cettemaisonestlaseulechosequetuaiesjamais
achetée.Unjour,Aryanem'aditquejenevalaispasmieuxquetoietjepensemaintenantqu'elleavait
raison.
Edans'éloignadequelquespas,sefrottantlepoing.
—Ilesttempsquejepenseàmaproprevie,reprit-il.
Heureusement,mesannéesd'esclavagem'aurontpermisdemettrequelquesmillionsdedollarsde
côté.Allez,aurevoir,Kane,etsansrancune.
Cesoir-là,nonseulementEdanpartit,maisIan,JaneetSherwynl'accompagnèrent.
CHAPITREXXIV
AryaneseretrouvadeboutaumilieudelachambredePamelasansvraimentcomprendrecequise
passait.
—Vousallezd'abordprendreunbonbainchaudpuisvousmeraconterezcequis'estpassé.
Pamelasortitfairecoulerlebainet,quandellerevint,Aryanen'avaittoujourspasbougé.
—Voilà,c'estprêt,dit-elle,poussantlajeunefemmedanslasalledebainsrose.Déshabillez-vous.
Pendantcetempsjevaistéléphonerpouravoirdesnouvellesdemonpère.Allez,nerestezpasplantée
là.Faitescequejevousdis!
Quelquesminutesplustard,PamelaretrouvaAryaneallongéedanslabaignoire.
—LeDrWestfieldaréussiàcalmermonpère,annonça-telle.Iln'aplusl'âgedesupporterdes
émotionsfortes.J'ignorecequeKaneabienpuluiraconter,maispourqu'ilréagissesiviolemment,
ilfallaitquecelaaittraitàZacharie.SiKaneespèremeprendremonfils,ilferaitbiendesepréparer
àunerudebataille.
—Non,celan'arienàvoiravecZacharie.C'estbienmoinsnoble.
—Jepensequevousdevriezmeledire.
Aryanefixalajeunefemme.Ellenesavaitriend'elle,sinonqu'elleavaitétélamaîtressedeKane.
—Pourquoivoulez-vousm'aider?Jesaisquevousêtestoujoursamoureusedelui.
—Kanevousaraconté,n'est-cepas?
—Ilm'aseulementditqu'ilavaitrefusé...votreinvitation.
—J'apprécievotretact,fitPamelaenriant.Ilaoubliédevousdirequedemoncôtéj'avaiscompris
quenousn'étionspasfaitsl'unpourl'autre.Noussommesarrivésensembleàlaconclusionquesi
nousnousmariions,nousfinirionsparnousentre-tuertrèsvite.Maintenant,dites-moicequis'est
passéavecKane.Toutcela,cesontdeshistoiresdefamilleetellesfinirontparremonteràlasurface
unjouroul'autre.
—Savez-vousquiétaitlamèredeKane?
—Jen'enaipaslamoindreidée.Jedoismêmereconnaîtrequejenemesuisjamaisposélaquestion.
Aryanes'assitdanslabaignoireetentrepritderaconterl'histoiredeCharityFenton.
—J'ignoraistoutça,ditPamelaquandelleeutfini.Vousvoulezdirequetoutcequemonpère
possèdeappartientenfaitàKane?Jecommenceàcomprendrepourquoiilenveuttantàmonpèreet
pourquoipapatrembledepeur.Mais,Aryane,vousn'avezpasquittéKanecesoirparcequ'iln'était
pasnédanslamisère?
ExpliqueràPamelaqu'ellen'étaitquesonsubstitutetquemaintenantqu'elleavaitremplisonrôleelle
avaitcesséd'êtreutileserévélanettementpluspénible.
—Quelgoujat!s'écriaPamela.Jamaisjen'aivupireenfantgâtéquelui.Carsurtout,necroyezpas
qu'ilaiteul'enfancemisérablequ'ilseplaîtàraconter!Ici,ilétaitleroi.Ilavaitbeauêtreun
domestique,ilmenaittoutlemondeàlabaguette,ycomprismonpère.Combiendefoispapaaraté
unrendez-vousparcequeKaneavaitrefusédepréparerlavoitureoudécidéqueleschevauxétaient
fatigués.Atable,onnemangeaitquecequ'ilaimaitparcequ'ilavaitobtenudelacuisinièrequ'ellene
préparequecequ'ilvoulait.Lesbonnesluinettoyaientsachambre,luifaisaientsalessiveetson
raccommodage.Ilétaitlemaîtreincontestédetouteladomesticité.Vousvousimaginezcequ'ilserait
devenus'ilavaitétél'héritierentitredesmines?Aprèstout,c'estunechancepourluid'avoirgrandià
l'écurie.Ilyauraunpeuapprisl'humilitécariln'enavaitsûrementpasuneonceàlanaissance
!
Pamelas'appuyacontrelabaignoireetsourit.
—Vouspouvezrestericiautantquevousvoudrez,reprit-elle.Etsivousavezbesoind'argent,lepeu
quej'aiestàvous.
Sivousvoulezmonavis,vousavezeuraisondelequitter.Onn'épousepasunefemmepourse
vengerdequelqu'un.
Maintenant,sortezdel'eau.Jevaisvouspréparerunlaitchaudquivousaideraàvousendormir.
QuandAryaneseréveillalelendemainmatin,elleavaitlamigraine,etlesoleil,déjàbienhaut,luifit
malauxyeux.
Unerobedechambrel'attendaitaupieddesonlitavecunmotdePamelal'informantqu'elleavaitdû
sortirmaisqu'ellen'avaitqu'àsepréparerunpetitdéjeuner.Elleétaitchezelle.
—Edan,ditJaneTaggert.Jenesaiscommentvousremercierpourtoutcequevousavezfaitcette
nuit.Cen'étaitpaslapeinedeveilleravecmoi.
IlssetrouvaientdansuncouloirdugrandhôteldeChandleroùilsétaientvenuss'installeraprèsleur
départdechezKane.Ianétaitallésecouchertoutdesuiteenarrivant,maisSherwyn,profondément
affectéparcequis'étaitpassé,s'étaittrouvémal.Ils'étaitmisàtousseretneparvenaitplusà
reprendresarespiration.
Appeléd'urgence,Leander,quirevenaittoutjustedechezJacobFenton,étaitarrivéaussitôtetavait
faitlenécessairepourcalmerlevieilhomme.Néanmoins,Janeavaittenuàleveillertoutelanuitet
Edannel'avaitpasquittée.
—Vraiment,jenesaiscommentvousremercier,répétaJanepourlamillièmefois.
—Alors,nelefaitespas.Quediriez-vousd'unpetitdéjeuner?
—Vouscroyezquelasalleàmangerestdéjàouverte?
Ilsdurentattendredeuxheuresl'arrivéeducuisinierpourêtreservis,maisletempspassatrèsvite.
Janeracontasonenfance,Edanévoqualasienne...
—Vousêtesprête?ditenfinEdanenreposantsaserviette.Lesbureauxdoiventêtreouverts
maintenant.
—Jevousdemandepardon,jenevoulaispasvousempêcherdetravailler.
—Cen'estpasça,souritEdan.Vousetmoiallonsdecepaschezlenotaireacheterunemaisonpour
noustous.
—Noustous?Maisvousn'ypensezpas!Ian,monpèreetmoinepouvonsvivresouslemêmetoit
quevous.Jevaischercherdutravail.Peut-êtrequ'Aryanepourram'aider.Ianaussipeuttravailler;
quantàmonpère...
—Votrepèrenesupporterapasd'êtreunfardeaupourvous.Iandoitcontinuersesétudesetvous
n'arriverezjamaisàgagnerassezd'argentpourfairevivretroispersonnes.Venezavecmoi.Jevais
acheterunegrandemaisonetvouspourrezmeservirdegouvernante.
—Maisc'estimpossible.Jenepeuxpasêtrelagouvernanted'uncélibataire!
—VotrepèreetIanvousservirontdechaperons.Allez,assezdiscuté,nousavonspleindecoursesà
faire.Enplusdelamaison,ilvafalloirdesmeublesetuntasdechoses.
Ilspassèrentd'abordannoncerlanouvelleàSherwynetfinalementIanlesaccompagnachezle
notaire.
Aryanetentaitvainementd'avaleruneassiettedecéréalesquandPamelaentradanslasalleàmanger.
—Machère,leslanguesvontbontrain!KaneetEdanseseraientbattushiersoiraprèsvotredépart.
Selonunedomestique,lecombatauraitdurédesheuresetfinalementEdanseraitpartisansse
retourner.
—Edanestpartiluiaussi?répétaAryane,ouvrantdegrandsyeux.
—Etpasseulementlui.TouslesTaggertontsuivi.Aprèsleurdépart,Kaneacongédiétousles
domestiques.
—Luiquiseplaignaittoutletempsqu'onl'empêchaitdetravailler,plusrienneledérange!Peut-être
va-t-ils'enretourneràNewYork...
—Attendez,jenevousaipastoutdit.Edan,Jane,IanetSherwynsesontinstallésàl'hôtelde
Chandleretontempêchétoutlemondededormirpendantlanuit.JecroisqueSherwynafailli
mourir.Etpuis,cematin,EdanetJanesontallésacheterunemaisonetilsvonttoushabiterensemble.
—EdanetJane?CommentvaSherwyn?
—Mieux.Ilesthorsd'affaire.PourenreveniràEdanetàJane,Edanaachetécashlagrandedemeure
enbriquerougequiestjusteenfacedel'hôpitaldeDoriane.Aprèslasignature,Janeestretournéeà
l'hôtel,maisluiilestalléfairelesmagasinsetaachetétouteunegarde-robeféminine.C'estLucie
Nathanquil'aservietelleafiniparluifaireavouerquec'étaitpourunedameàpeuprèsdelataille
deJaneTaggert.SiEdannel'épousepasaprèsça,saréputationestperdueàjamais!Ah,Aryane,il
fautaussiquejevousdisequedanslagazetteonlaisseentendrequ'ilyauraituneautrefemmeque
Janederrièretouscesbouleversements.
—Etoùavez-vousappristoutça?
—Oùvoulez-vous,machère?AusalondethédeMissEmily!
Aryanes'étrangla.MissEmily!Leurassociationsecrète!Ilfallaitqu'ellepréviennesesamiesleplus
vitepossible.
—Puis-jepasseruncoupdefil?demanda-t-elle.
CHAPITREXXV
Aryanecommençaparappelersamère,qu'elletrouvaenlarmes.Aprèsl'avoircalméedumieux
qu'elleput,sanspourautantluirévélertropdechoses,elleluidemandadeprévenirplusieurs
membresdelapetitesociétésecrèteetdeleurdonnerrendez-vousaupremierétagedusalondethé
deMissEmily.
—Qu'ellessoientlà-basàdeuxheures,conclutlajeunefemmeavantderaccrocher,pouraussitôt
prévenircellesquiavaientletéléphone.
Unegrandeexcitationrégnaitdanslesalondethé.Touteslesjeunesfillesprésentesmouraientd'envie
d'avoirdesdétailssurcequis'étaitpassélaveilleàlademeureTaggert.
—Hiersoir,annonçaAryane,j'aidécouvertqueJacobFentonétaitaucourantdenosintrusionsdans
sesmines.
J'ignoreexactementcequ'ilsait,maisilétaitnécessairedenousréunirpourendébattre.
—Maislesgardes,eux,nesaventrien,n'est-cepas?fitTia.IIn'yaqueFentonàêtreaucourant.
Commentl'a-t-ilappris?
—Jen'ensaisrien.Cedontjesuiscertaine,c'estqu'ilsaitquenousnousdéguisonsetquenous
entronsclandestinementdanslescamps.Ilamenacédemepoursuivreenjustice.
—Toi?s'étranglaDoriane.Pourquoiseulementtoietpaslesautres?
—C'estliéauxrelationsentremonmarietlui,réponditAryaneenbaissantlesyeux.Jenepensepas
qu'ilirajusqu'àmefairearrêter.
—Entoutcas,repritDoriane,nousnepouvonscourircerisque.Ilfautquetucessesd'yaller.
—Uninstant,intervintMissEmily.Fentondoitêtreaucourantdepuisunbonmoment.Sije
comprendsbien,iln'apasapprislanouvelleseulementhieretnes'estpasprécipitépourfaireun
scandalechezAryane.Jemetrompeounon?
Aryaneopinaduchef.
—CettemenacedeFentonn'estqu'unedesfacettesdecequis'estpasséhiersoirchezKaneTaggert.
C'estbiença?
Encoreunefois,Aryaneapprouva.
—Parconséquent,j'enconclusqueJacobaestiméquecequenousfaisionsétaitsansgranddanger.
TelquejeconnaisJacob,ilamêmedûbienrireensachantquenousnousdéguisionsetquenous
jouionsunpeuaugendarmeetauvoleuravecsesgardes.Jesuisd'avisquenouscontinuions.
D'unecertainefaçon,Fentonnousprotège.
—Çanemeplaîtpasdutout,ditMeredith.
—Commentveux-tuquenousfassionsautrement?
rétorquaSarah.Detoutemanière,Fentonatoujourssucequisepassaitdanssesminesmaisils'est
toujoursbiengardédesesalirlesmains.Jenelevoispasentrantenguerrecontrelesfillesdesplus
grandesfamillesdeChandler.Pourmapart,jesaisque,sij'étaisarrêtée,monpèreiraittoutdroit
voirFentonavecunfusil.
—Maisalors,siFentonestaucourantetfermelesyeux,àquoibonnouscacher?demandaNina.
Nousn'avonsqu'àyallerenrobededentelleetencalècheetdistribuertranquillementnosprovisions.
—Parcequetucroisalorsquelesmineursaccepterontdevoirleursfemmesrecevoirlacharité?dit
MissEmily.Non,ilfautcontinuercommeavant.Aryane,penses-tusincèrementqueFentonrisquede
nouspoursuivrepourdebon?
Aryaneréfléchituninstant.SiFentonmettaitsamenaceàexécution,ilrévéleraitaugrandjourqu'il
avaitdépouilléunnourrissondetroisjours...
—Non,dit-elleenfin.Ilnenousferapasarrêter.Jesuggèrequenouspoursuivionsnotreplancomme
parlepassé.
Ceuxquiconnaissentnotresecretontintérêtàlegarder.Bien,jeproposequenousmettionsfinàcette
réunion.
—Uneminute,ditDoriane.Ninaetmoiavonsencorequelquechoseàdire.
Atourderôlelesdeuxjeunesfemmesexposèrentleuridée.Ellesvoulaientmettreaupointun
magazinequiseraitdistribuégratuitementauxfemmesdesmineursetquileurtransmettraitencode
touteslesinformationsqu'ellesnerecevaientpasdel'extérieur.
EchaudéesparlanouvellequeFentonconnaissaitleurexistence,lesadhérentesdelapetitesociété
commencèrentparsemontrerréticentes,puisl'enthousiasmefinitparprendreledessus.
Ellesneseséparèrentqueplusieursheuresplustard.Aumomentdepartir,Dorianepritsasœurà
part.
—Tuveuxmedirecequis'estpassélanuitdernière?fit-elle.Lebruitcourtquetul'asquitté.Est-ce
vrai?
—C'estexact.J'habitemaintenantchezPamela,lafilledeJacobFenton.
—Situasbesoindemoi,n'hésitepasàvenirmetrouver,ditDoriane.Dansl'immédiat,jepenseque
tuasbesoindefairequelquechosepourtechangerlesidées.Quedirais-tudet'occuperdumagazine
?Ilfaudraitdesarticlesdugenre:commentnettoyerunvêtement,commentprendresoindeses
cheveuxoubiencomments'habillercommeunereineennedépensantpratiquementrien.Jecroisque
tuferaisçatrèsbien.
Viensavecmoi,nousallonsacheterunemachineàécrireet,cetaprès-midi,jetemontreraicomment
çamarche.
Aryaneréfléchituninstant.Ilétaitvraiqu'ellen'avaitpaspenséàcequeseraitsavieloindeKane.Si
ellenefaisaitrien,ellepasseraitsontempsàbroyerdunoir.
—Tuasraison,Doriane.D'ailleurs,j'aipleind'idéespouraiderlesfemmesdemineursàaméliorer
leurvie.
Lesdeuxjumellessemirentautravaillejourmême;sitôtqu'Aryaneavaitfiniderédigerunarticle,
Dorianeluisuggéraitunnouveausujet.
Pamelasepritaujeuetpassadesheuresdanssacuisineàconcocterdesrecettesdedétachants.Enfin
dejournée,lamaisonempestait,maisPamelafutenmesured'assurerquepournettoyerlevelours,un
mélangededeuxcuilleréesàsouped'ammoniacetdedeuxcuilleréesd'eauchaudeappliquéesavec
unebrossedurefaisaitdesmiracles.
CetravailderédactiondonnaitàAryaneunbonmotifderesterenferméeetdenepasavoirà
affronterlesquestionsdesautres.
Pamela,quisortaitrégulièrementsansjamaisdireoùelleallait,latenaitaucourantdespotins.Aux
dernièresnouvelles,Kanevivaitenreclusdanssamaison.
—Jesupposequ'ildoitêtresatisfaitdepouvoirtravaillerenpaix,commentaAryane.
—Nevousmontrezpassiamère,Aryane.Ruminerlepassénesertqu'àsefairedumaletjesaisde
quoijeparle.
Quediriez-vousd'inclurecetterecettedeteinture?
Deuxsemainesaprèsledépartd'Aryane,lewagonpromisparKaneàOpalarrivaàChandler,
soulevantunvéritablerazdemarée.
Opalvinttrouversafilleensanglotant.Commentavait-ellepuquitterunhommesibonetsigénéreux
lUnefemmesansenfantetsansmarin'étaitrien.Elle,Opal,finiraitparmourirdechagrin...
Aryanefinitpardireclairementquec'étaitKanequinevoulaitplusd'elleetnonl'inverse.Cen'était
pastoutàfaitlavérité,maisilfautparfoissavoirmentiràunemèrepouravoirlapaix.
SitôtOpalpartie,Aryaneretournaàsamachineàécrireettentadenepluspenseraupassé.
OpalChandler-GatesremontalentementHachetteStreetendirectiondelademeureTaggert.Ce
matin-là,elleétaitcenséefairedescoursesenville.Enlavoyantpartir,M.Gatesneluiavaitpas
demandépourquoielleportaitsontailleurneufbordéderenardetlatoquedefourrureassortie.Opal
tenaitàêtresursontrenteetuncarelleallaitfaireunedémarched'importance:demanderàson
gendredebienvouloirreprendresafillesoussontoit.
PourquoiAryanesemontrait-ellesiinflexible?Elleressemblaitbienàsonpère!CecherWilliam
étaitleplusfidèledesamis,maissionledécevaitneserait-cequ'unefois,ilnepardonnaitjamais...
Ilfallaitabsolumentqu'elleparvienneàraccommodercesdeux-là.Sûrement,Kaneavaitfaitoudit
quelquechosedestupide,demaladroit.Maisn'était-cepaslàsoncharme?Ilétaitaussibrusque
qu'Aryaneétaitpolie.Enfait,ilssecomplétaientparfaitement.
Opalfrappaàl'imposanteportedechêneet,commenulneluirépondait,ellel'ouvritetentra.Sespas
résonnèrentlugubrementdanslehall.
Opalfitdistraitementcourirsamaingantéesuruneconsoleets'étonnadevoircombienlapoussière
s'accumulaitvitesitôtqu'unemaisonn'étaitplusentretenue.
ElleappelaKanemaispersonneneluirépondit.Opaln'étaitvenuequ'unefoisdanslavastedemeure
etlaconnaissaitdoncmal.Celaluiprituncertaintempspourexplorerlerez-de-chausséepuisle
premierétage.ElleétaitdanslachambredeKanelorsqu'elleaperçutcelui-citraversantlapelousedu
jardin.
Opaldescenditencourantettraversalapelousequiauraitbienméritéd'êtretondue,etretrouva
finalementsongendretoutaufonddujardin.Leregarddanslevide,ilfumaituncigare.
Kaneseretournaenl'entendantapprocher.
—Quemevautcettevisite?fit-il,sursesgardes.
—J'aiapprisquevousvousétiezmisencolèreetquevousaviezmismafilleàlaporte.
—Maisc'estfaux!C'estellequiestpartie.Ellem'aditqu'ellenemerespectaitplus.
Opals'assitsurunbancdepierreàl'ombred'unarbre.
—Jeredoutaisquelquechosecommeça,soupira-t-elle.
Aryaneressembleàsonpère.Voulez-vousm'expliquercequis'estpassé?Aryanerefusedemedire
quoiquecesoit.Làencore,elleahéritédesonpère.
Kaneobservaunsilenceobstiné.
—Jereconnaisqu'ils'agitdevotrevieprivée,hésitaOpal.
Maiss'ils'agit...Enfin,decequisepassedansl'intimitéd'unmarietd'unefemme...Aryaneesttrès
timide.Peut-être,sivousvousmontriezpluspatient...
—Timide!Aryane?Aulit,rienneluifaitpeur!
Ecarlate,Opalfixasesmainsgantées.
—Alors,ildoits'agird'autrechose.Vouspouveztoutmedire,voussavez,jesaisgarderunsecret.
—Detoutefaçon,iln'yapasdesecretdanscetteville.
Ecoutez,vousallezpeut-êtrecomprendrecequil'amiseencolère.Moi,jenecomprendspas.Vous
savezquej'étaisgarçond'écuriechezlesFenton?Jamaisjen'aieuledroitd'entrerdanslamaisonet
jemesuistoujoursdemandél'effetqueçafaisaitd'êtrelemaître.Plustard,quandj'aivouluépouser
Pamela,Fentonm'aflanquédehorsendisantquejen'étaisbonàrien.Alors,jemesuismisàgagner
del'argentenmejurantqu'unjourj'auraisunemaisondeuxfoisplusgrandequelasienneetquema
femmeseraitunevraielady.
OpalmitunmomentàréaliserqueKaneavaitterminésonhistoireetqu'illuirestaitmaintenantà
mettreensemblelespiècesdupuzzle.
—Dieuduciel!fit-elle.Voulez-vousdirequevousavezfaitconstruirecetteimmensedemeureet
épousémafilleuniquementpourréaliservotrerêve?
Kanesetut.
—JecommenceàcomprendrepourquoiAryanevousaquitté,repritOpalensouriant.Elleadûse
sentircomplètementmanipulée.
—Manipulée!C'estellequim'amanipulé.Ellem'aépousépourmonargent!
Opalleregardaattentivement,toutsourireayantquittésonvisage.
—Vouscroyez?Avez-vousseulementuneidéedeseffortsqueM.Gatesadéployéspourla
persuaderderenonceràcemariage?D'ailleurs,iln'apasétéleseul.Pourcequiestdel'argent,ni
AryaneniDorianen'enontbesoin.Ellesnesontpasmultimillionnairesmaisellesontlargementde
quois'achetertoutcedontellesontenvie.
—Sij'enjugeparlagarde-robed'Aryane,c'estdéjàunefortune.
—Ellevousmanque,n'est-cepas?
Kaneselaissatombersurlebancauprèsd'Opal.
—Jenelaconnaisquedepuisquelquesmoismaisjesuppose...quejemesuishabituéàelle.Parfois
j'avaisenviedeluitordrelecouparcequ'ellemeforçaitàfairedeschosesquejenevoulaispas,mais
maintenant...Maintenant,jeregrettedeneplusmarchersursesépinglesàcheveuxquandjemelèvele
matin.Jeregrettequ'ellenevienneplusm'interrompreenpleinediscussionavecEdan.Edanaussime
manque.Etjeregrettelespartiesdebase-ballavecIanetmonfils.Jeregrette...Qu'ellesoitmaudite!
fit-ilensautantsursesjambes.
J'étaisheureuxavantdelarencontreretjeleseraiencore.
Vouspouvezallerluidirequesiellerevenaitàgenouxmesupplierdelareprendre,jeneleferais
pas.
Kanerepartitàgrandspasverslamaison,Opaltrottinantàsasuite.
—Kane,jevousenprie,jesuisunevieilledame!
MaisKanecontinuasoncheminsansseretourner.
IlétaitinstalléàsonbureauquandOpallerejoignit.
—Kane,ilfautquevousalliezlachercher.
—Pasquestion!Jen'enveuxpas!
Opals'assitdansunfauteuiletrepritpeuàpeusonsouffle.
—Sivousn'espériezpaslavoirrevenir,vousauriezdéjàprislepremiertrain,dit-elle.
—Jenesaispascommentlafairerevenir,réponditKaneaprèsunlongsilence.Etsicen'estpaspour
monargent,jenecomprendspaspourquoiellem'aépousé.Lesfemmes!Lavieseraittellementplus
simplesanselles!Vouscroyezqu'ilfautquejeluifasseuncadeau?
—Non,Aryaneestcommesonpère,jevousl'aidit.Nicadeau,niexcuses,nidéclarationd'amour.Il
faudraittrouverunmoyendelafairereveniriciquelquetemps.Vousfiniriezpeut-êtreparla
convaincrequevousnel'avezpasseulementépouséepourprendreunerevanchesurFenton.Fenton
qued'ailleursonnepeutpasvraimentblâmerd'avoirrefusédedonnersafilleàunpalefrenier.
Mettez-vousàsaplace.
Kaneouvritlabouchepourprotesterénergiquement,maisilseravisa.
—Ilyauraitpeut-êtreunmoyen,fit-il.Maisellenemepardonneraitjamaisdeluiavoirjouéuntel
tour...
—Expliquez-moiça.
Kaneluiexposasonidéeet,àsagrandesurprise,Opalapprouvapleinement.
—Bien,ilfautquejem'enaille,ditOpal.Ah,monDieu,j'oubliais!J'étaisvenuevousdirequele
wagonquevousm'aviezpromisétaitarrivé,maisjenepeuxpasl'accepter.Ilfautquevousle
repreniez.
—Quevoulez-vousquej'enfasse?Pourquoinevoyagez-vouspas?
—CherKane,souritOpal,nousavonstousnosrêves,maisquandilssefontréalité,ilsperdentde
leurcharme.Jemourraisdepeursijedevaisvoyager.
—Alors,mettez-ledansuncoinetdonnez-ydesthés.
VouscroyezquecettehistoireavecAryaneadeschancesdemarcher?Jenesuispascertainde
vouloirqu'ellepuissecroirequej'aiefaitunechosepareille.
—Toutsepasserabien.EtjecomptesurAryaneetvouspourvenirdîneràlamaisonlasemaine
prochaine.
OpalembrassaKaneetsortit,lelaissantégrenerdesproposdécousussurlesladiesetlesfemmesen
général.
CHAPITREXXVI
Aryaneétouffaunbâillementtoutenpressantlepaspourfinirsescoursesavantlapluie.Les
événementsdelaveilleausoirl'avaientfaits'endormirtrèstardetellesesentaitépuisée.
ZacharieétaitallévoirsoncousinIandanslanouvellemaisond'Edanetluiavaitproposéd'allerfaire
unepartiedebase-ballchezKane.AvantmêmequeIanaitfinidedirecequ'ilpensaitdeKane,
Zacharieavaitfoncétêtebaisséesurlui.Lepugilatavaitduréunebonnedemi-heureavantqu'Edan
arriveetymettefin.
EdanavaitramenéZacharieparlecolletchezsamère,justeaumomentoùJacobFentonfaisaitune
visite.Endécouvrantsonpetit-filscouvertdebleusetd'écorchures,Jacobétaitentrédansunecolère
noire,d'autantqu'ilvoyaitderrièrelamésaventuredugaminl'ombresataniquedeKane.
Attaqué,Edanavaitclairementsignifiéquetoutesceshistoiresneleconcernaientpasetavaitprisla
porte.
Jacobavaitalorsinterrogésonpetit-filset,découvrantqu'ils'étaitretrouvédansunsipiteuxétat
parcequ'ilavaitdéfendusonpère,sacolèreavaitredoublé.LesfoudresdeJacobavaientrapidement
obliquéversPamela:aufond,toutétaitsafaute.Elleétaitunemauvaisemèreetn'auraitjamaisdû
porterleregardsurcettecrapuledeTaggert.
Follederage,PamelaavaittraitésonpèredetouslesnomsetAryanecompritpourquoilajeune
femmen'auraitjamaispuvivrelongtempsavecKane.Tôtoutard,ilyauraiteuunmeurtre!
Finalement,Aryanedécidad'intervenir:
—Zacharie,tuvasveniravecmoitenettoyer.Vous,monsieurFenton,vousferiezmieuxderentrer
chezvousimmédiatement.Quantàvous,Pamela,montezdoncdansvotrechambrevousreposerun
peu!
Aryanes'étaitexpriméedefaçonsicatégoriquequepersonnen'osaprotester.Fentonpartit,Pamela
montaetZacharieselaissaemmeneràlacuisine.
Tandisqu'Aryaneledébarbouillaitcommeunenfantdequatreans,Zachariesemitàluifairelerécit
ducombat.
—Jetrouvequetuaseutoutàfaitraisondedéfendretonpère,dit-elle.
Legarçonlaregarda,sidéré.
—Maisjecroyaisquevousnel'aimiezplus.
—C'estdifférent.Maintenant,vapasserunechemisepropreetnousallonsvoirensembleIan.
—Ces...Jeneveuxplusjamaislevoir!
—Tuvasfairecequejetedis!
—Bien,madame.
AryanepassaplusieursheuresavecEdanetlatribuTaggert.
EdanetJaneluidonnaientl'impressiond'êtreenpleinelunedemiel.Chaquefoisqu'ilsnese
croyaientpasobservés,ilsselançaientdesregardssitendresqu'Aryanes'ensentaitpresquejalouse.
Sherwynemmenalesdeuxgarçonsbricolerdanslejardinet,quandfinalementAryaneetZacharie
rentrèrentchezeux,toutétaitarrangé.
QuandenfinAryaneseglissasouslescouvertures,elleavaitsubilesinterminablesexcusesde
PamelaetsursatabledechevettrônaitunegerbederosesenvoyéeparJacobFentonetadresséeà«
LadyAryane».
L'orageéclataquandAryaneatteignitlethéâtre.Ellesemitàcouriretsoudain,unemainlasaisitet
l'entraînadansuneruelle.
—Inutiledecrier,cen'estquemoi,fitKane.Jeveuxjusteteparleruneminute.Tutesouviens,c'est
iciquetoutacommencé?Unpèlerinage,enquelquesorte.
LevisagedeKanes'adoucitàmesurequ'ilparlait;ilôtasamaindelabouched'Aryane.Aussitôtla
jeunefemmepoussaunhurlementstrident.Pourtant,personnenel'entendit,chacunétantpartise
mettreàl'abridestrombesd'eau.
—Maistuescomplètementfolle,criaKane,labâillonnantdenouveau.Jetedisquejeveux
simplementteparler.
Maintenant,jevaisretirermamainetjetepréviensquesitucriesjesauraibientefairetaire.
Ilfitcommeill'avaitdit,maisimmédiatementAryanetournalestalonsetgagnalasortiedelaruelle.
Kaneseprécipitaetlaretintparsajupe.Lecraquementdutissucouvrituninstantlecrépitementdela
pluie.
—Tuneveuxvraimentpascomprendre,Kane!Jeneveuxpasteparler.Maintenant,jeveuxrentrer
chezmoi!Dis-toibienquejememoquedeneplusjamaisterevoir.
—Aryane,attends!Ilfautvraimentquejeteparle.
—Tun'asqu'àtéléphoner,lança-t-ellesansseretourner.
—Tuvasm'écouter,ouiounon!
DenouveauKanesaisitlepandesajupeetcettefoiselleluirestadanslamain.Déséquilibrée,Aryane
s'étaladetoutsonlongdanslaboueetKanelasuivitdanssachute.
—Lâche-moi!
—Aryane,machérie,jenevoulaispastefairedemal.Jevoulaisseulementteparler.
Assisedanslaboue,Aryanes'essuyaitlevisageaveccequirestaitdesajupe.
—Non,tuneveuxjamaisfairedemal,grinça-t-elle.Tutecontentesdefaireexactementcequetu
veuxentemoquantéperdumentdequipeutsetrouversurtonchemin.
—Tuestoujoursaussijolie,mêmecommeça,sourit-il.
—Qu'avais-tuàmedire?demanda-t-elle,lefoudroyantduregard.
—Aryane,je...Jevoudraisquetureviennesvivreavecmoi.
—Çanem'étonnepas,jem'yattendais.TuasperduaussiEdan,jecrois?
—Bonsang,Aryane,queveux-tuquejefasse?Tuveuxquejetesupplie?
—Jeneveuxriendutout.Sinonrentrerchezmoietprendreunbain.
Lajeunefemmes'arrachapéniblementàlaboue.
—Tunepardonnesjamaisrienàpersonne,n'est-cepas?
—Ehoui,toutcommetoiavecJacobFenton.Seulementmoi,jenemeserspasdesautrespourme
venger.
—Maintenant,çasuffit!Tuesmafemme.Auxyeuxdelaloi,tum'appartiens.Jemefichequetu
m'aimesouquetumerespectes.Tupeuxpensercequetuvoudras,maisunechoseestsûre:tuvas
reveniravecmoi,etsur-le-champ!
Aryanelefixaavectouteladignitéqueluipermettaitsasituation.
—Jetepréviens,Kane,jehurleraitoutlelongducheminetjem'enfuiraiàlapremièreoccasion.
Kanedécidaalorsdechangerdetactique.
—Tonbeau-pèrepossèdedesbrasseries,n'est-cepas?
Sais-tuqu'ilavendusonaffaireparcequ'elleétaitmenacéedefaillite?Sais-tuquil'arachetéesousun
prête-nom?
—Toi?murmuraAryane,s'adossantaumur.
—Oui,moi.Etlemoisdernier,j'airachetélabanquedeChandler.Jemedemandecequisepasserait
sijedécidaisdemettrelaclefsouslaporte.
—Tuneferaispasça!
—Tuviensdemedirequejefaisaistoujourscequimeplaisaitsansmesoucierdesconséquences.
Alors,turentresàlamaison?
—Maispourquoi?Jenereprésenterienàtesyeux.Tunem'asépouséequepourtevengerdeFenton.
Sûrementuneautrequemoiferaittrèsbienl'affaire.
—J'attendstaréponse.Es-tuprêteàtesacrifierpoursauvertachèreville?Siturefuses,desmilliers
degensseretrouverontsurlapaille.Alorsquechoisis-tu?Tesgrandsprincipesoulabanqueroute
généralisée?
—C'estbon,jeviens.Maisdis-toibienquelaprincessedeglaceteréservedessurprises.
Sansunmot,Kanelasoulevadanssesbrasetl'emportaverssonchariot.
Aryanen'eutaucunmalàresterdeglacefaceàsonmari.Illuisuffisaitpourceladeserappelerles
motifsquiavaientpousséKaneàl'épouser.
Ellelimitasonrôledemaîtressedemaisonaustrictminimum.Lesdomestiquesfurentréengagés
maisAryanenedonnaplusaucuneréception.ElleneparlaitàKanequelorsquec'étaitabsolument
nécessaireets'appliquaitàresterdemarbrequandillatouchait.Celaserévélad'ailleursleplus
difficile,surtoutlapremièrenuit.
Kaneétaitvenularejoindredanssachambreetl'avaitprisedanssesbras.Aryaneavaitdûse
concentrersurtoutesleschoseslesplustristesqu'elleavaitpuvoirdanssaviepournepasrépondre
àsescaresses.Elleavaittenubon,commeelleavaittenubonlorsqu'ilétaitpartienlaregardantavec
lesyeuxd'unanimalblessé.
Lelendemain,Kaneétaitrevenudanssachambreenportantuncoffre.Aryanereconnutaussitôtson
cadeaudemariage.Kanel'ouvritetdéversasurlelitlesinnombrablesbijouxqu'ilcontenait.Aryane
nelesregardamêmepas.
—Tucherchesàm'acheter?demanda-t-elle.
—Ecoute,Aryane,jen'allaistoutdemêmepasteparlerdeFentonavantnotremariage!J'avaisdéjà
assezdemalàtefaireoublierWestfield.Cartunevaspasmefairecroirequecen'étaitpasluiquetu
voulais:tuasencoreessayédel'avoirdevantl'autel.
—Cequejeveuxoupasn'arienàvoirlà-dedans,puisquedetoutemanièrecelat'estégal.Tuas
construitcettemaisonettut'esmariéuniquementpourimpressionnerFenton.Quecettemaisont'ait
coûtéunefortuneetquetafemmepuisseêtreunêtrehumainn'estjamaisentréenlignedecompte.Il
fautsavoircequ'onveut,moncherKane!
IlsortitsansunmotetAryaneseleva,rejetantsescouverturessurlesjoyaux.
Lajeunefemmepassaitsesjournéesàliredanssonboudoir.Sesseulesvisitesétaientcellesdes
domestiquesvenantauxordresetsonseulespoirétaitqueKaneserendecomptequ'ellenevoulait
vraimentplusvivreavecluietqu'illalaissepartir.
Elleétaitrevenuedepuisunesemainequandilarrivatelunouragan,agitantuneliassedepapiers.
—Qu'est-cequeçasignifie?cria-t-il.Jeviensderecevoirlesrelevésbancairesetjeconstatequetu
aspayéletéléphonesurtoncomptepersonnel!
—Danslamesureoùjesuislaseuleàm'enservir,ilestnormalquejerèglelafacture.
Kaneselaissatombersurunechaise.
—Aryane,t'ai-jejamaisfaitlamoindreréflexion?T'ai-jereprochédedépensertrop?
—Jeteferairemarquerquetum'asaccuséedet'avoirépousépourtonargent.Ehbien,puisqu'ilestsi
précieuxàtesyeux,tupeuxlegarder.
Kanefaillitparler,maischoisitdesetaire.Ilfeuilletaunmomentsespapierspuisrepritd'unevoix
douce:
—Aryane,jedoispartircesoirpourDenveretj'yresteraitroisjours.Jevoudraisqueturestesiciet
quetuneprofitespasdemonabsencepoursouleverlesmineurs.
—Etsijen'obéispas,queferas-tu?Tutevengerasenjetantàlarueunedouzained'innocents?
—Décidément,tumeconnaismal,soupira-t-il.Bien,jedonneraidesordrespourquelabanquepaie
désormaistoutestesdépenses.
—Tumeconnaismalaussi,KaneTaggert,murmuraAryanequandilfutparti.Pasquestionderester
cloîtréeici!
Troisheuresplustard,AryanetéléphonaitauRévérendThomasetluidisaitdepréparerun
chargement:Sadieiraitfaireuntouràlaminedèslelendemain.
CHAPITREXXVII
Sadiepartitendébutd'après-midi.Lesoleilbrillaitgaiementmaislesdernièrespluiesavaientrendu
laroutemalaisée.Soudain,illuisemblaentendreunbruitàl'arrièreduchariot.Sansdouteétait-ceun
chatquis'étaitglisséparmileslégumescommecelas'étaitdéjàproduitunefois.
Sadien'ypensaplusetpoursuivitsaroute.Elleatteignitlesgrillesducampetpriaintérieurementle
cielquelechat—
ouplutôtleschats,àenjugerparleurbruit—veuillentbienrestertranquillesetnepaséveillerles
soupçonsdesgardes.Lessentinellesdépassées,ellelaissaéchapperunsoupirdesoulagement.
Lematin,AryaneavaittéléphonéàJane.Celle-ci,aprèsavoirannoncé,toutémue,qu'Edanvenaitde
lademanderenmariage,l'avaitinformé?queRafeseraitsansdouteàlamaisonàsonarrivée.
RafeignoraitlavéritableidentitédeSadiemaisilsouhaitaitluifaireconnaîtrequelqu'unquil'aiderait
àdistribuerseslégumes.JanenesavaitpasnonplussicettepersonneconnaissaitAryane.
CommeAryanearrêtaitsonchariotdevantchezlesTaggert,Rafesortitdelamaison.
—Bonjour,Sadie,fit-ilenaidantlagrossedameàdescendredesonsiège.
Rafelaregardaavectantd'insistancequ'Aryanebaissalatête,seprotégeantdel'ombredesonvieux
chapeau.
—Onm'aditquevousm'avieztrouvéquelqu'unpourm'aideràmedébarrasserdemonstock?Tant
mieux,carmaintenantqueJanevadevenirunedame,jesupposequejenelaverraiplus.
Sadiefitletourdesonchariotetcommençaàendénouerlabâche.
—Jecroisqu'ilyaunchatderrièreetj'aimeraisbienqu'ils'enaille.
Sadies'emparad'unchouetlaissaretomberlabâche,maisdutimmédiatements'appuyerauchariot
carsesgenouxmenaçaientdesedérobersouselle.
Enôtantlechou,ellevenaitdedécouvrirlevisagedeKane,qui,dansungrandsourire,luiavait
décochéunclind'œil.
RaferetintSadied'unemainetsoulevalatoiledel'autre.
Danslechariot,Kaneseredressa,déclenchantuneavalanchedelégumes.
—Bonsang,Aryane,tunem'asdoncpasentenducrier?
J'aicrumourirétouffélà-dessous!Jet'avaispourtantbienditdenepasveniràlamine.
RafepritSadieparlementonetl'examinaattentivement.
—Jen'arrivepasàycroire,grommela-t-il.Vousferiezmieuxdeveniràl'intérieuretdem'expliquer
tout.
Letrios'engouffradanslamaisonetaussitôtKanepritlaparole:
—Jet'avaisditdenepasfaireça!VoussaviezcequefontlesjeunesfillesdeChandler?demanda-tilàsononcle.Ellessontcommeçatroisouquatreàsedéguiseretàpénétrerdanslescampspoury
faireentrerdesmarchandisesillicites.
—At'entendre,noussommesdescriminelles!s'insurgeaAryane.
—Etcequiestpire,poursuivitKane,c'estqueFen-tonestaucourant!Iln'aqu'àleverlepetitdoigt
pourlesfairejeterenprison.
—Quelgenredemarchandisesillicites?demandaRafe.
—Riendegrave,réponditAryane.Duthé,desmédicaments,dusavon,quelqueslivres.Bref,toutce
quipeutsecacherdansdeslégumes.LefaitqueFentonlesacheetnefasserienestplutôtbonsigne.Il
nousprotègeetnousnerisquonsrien.
—Rien!Maistuesfolle!Unjourjet'expliqueraicequesontdesactionnaires.Tuverrascequise
passeralejouroùlesactionnairesdeFentondécouvrirontquevousmarchezsurleursbrisées.Parce
quecequevousdonnezauxmineurs,c'esttoujoursçaqu'ilsneleurvendentpas.Etça,poureux,c'est
impardonnable.QuantàFenton,netefaispasd'illusions.S'ilvouslaissepoursuivrevosmanigances,
c'estpouravoirplustardunmoyendepressionsurtousleshabitantsunpeuinfluentsdeChandler.«
Vousnevoulezpasfairecequejeveux
?Ehbien,jevaisfairejetervosfemmesetvosfillesenprison.»
Voilàcequ'illeurdiraunjour,tonFenton!
—Cen'estpasparcequetunereculespasdevantlechantagequeJacobFentonestcommetoi!
—Vousferiezmieuxd'allervousoccuperdevotrechargement,intervintRafe.Lafemmequidoit
vousaiderhabiteàcôté.Vousn'avezqu'àfrapperchezelle,ellevousattend.
—Depuisquandceladure-t-il?demandaRafeàKanelorsqu'ilsfurentseuls.Etquefait-elleavec
l'argentqu'ellerécolteenvendantseslégumes?
Kaneneconnaissaitpastouslestenantsetlesaboutissantsdel'affaire,maisàeuxdeuxilsparvinrent
sansmalàlesreconstituer.Ilstombèrentd'accordpourpenserqueFentonn'avaitriend'un
philanthropeetques'illaissaitfairec'étaitpourmieuxsevengerplustard.
—Alors,quecomptes-tufaireavectafemme?demandaRafe.Lalaissercontinuerainsi?Jete
préviens,silesgardesdécouvrentqu'ellesejoued'euxdepuisplusdedeuxans,ilsagirontd'abordet
poserontdesquestionsensuite.
—Jeluiavaisinterditdeveniràlamineetvoyezlerésultat.Sitôtquej'aieuledostourné,elles'est
empresséedemedésobéir.
—Situmedisaisexactementcequisepasseentrevous?
Kanehésita,puiss'assitsurlachaisequeluioffraitRafe.Ilnes'étaitencorejamaisconfiéàquiquece
soitmais,depuisquelquetemps,leschoseschangeaient.Déjàils'étaitouvertàOpal,etmaintenantil
avaitenviedeparleràsononcle.L'avisd'unhommeluiétaitdevenunécessaire.
Kaneluiparladesonenfanceetdesesrêvesdegrandeurfinalementréalisés.Rafel'écoutait,opinant
duchef,semblanttrouvertoutnaturelcequesonneveuluiexpliquait.
—Leseulproblème,conclutKane,c'estqu'Aryanes'estmiseencolèrequandjeluiaiditpourquoije
l'avaisépouséeetqu'elleaprislaporte.Jel'aiforcéeàrevenirvivreavecmoimaisellem'enveut
toujours.
—Tum'asditquetuvoulaisqu'elleprésidelatablelejouroùFentonviendrait,maisquecomptais-tu
faireensuite?
—Jenevoulaispasdefemme.Etpuisjecroyaisqu'elleaimaitWestfield,cetypequil'alaissée
tomber.Jepensaisqu'elleseraitcontentedeneplusmevoiraprèscerepas.Jepensaisluioffrirdes
bijouxetrepartirpourNewYork.Leplusincroyable,c'estquejeluiaidonnélesbijouxetqu'ellene
lesamêmepasregardés.
—Alors,pourquoinelaplantes-tupaslàetneretournes-tupasàNewYork?
—Jenesaispas,ditKaneaprèsquelquessecondesdesilence.Jemeplaisbienici.Ilyales
montagnesetenétéilnefaitpasaussichaudquesurlacôteEst.Etpuis...
—TutiensàAryane,coupaRafe.Fautdirequ'elleestjolieetpourmapartjepréféreraisavoirune
femmecommeellequedeposséderlamoitiédeNewYork.
—Pourquoinevousêtes-vousjamaismarié?
—Lesfemmesquimeplaisaientnevoulaientpasdemoi.
—C'estlamêmechosepourmoi.Al'époqueoùçam'étaitégald'épouserAryaneouuneautre,elle
passaitsontempsàmedirequ'ellem'aimaitet,maintenantquejenepeuxplusvivresanselle,elleme
regardecommesij'étaisuntasdefumier!
Lesdeuxhommesseturent,rêvassantsurl'injusticedumonde.
—Tuveuxunwhisky?demandaRafe.
—Avecplaisir.
TandisqueRafeallaitchercherlescotch,Kaneregardapourlapremièrefoisautourdelui.Ilcalcula
rapidementquelamaisontiendraitdanssachambreetqu'ilresteraitencoredelaplacepourenfaire
letour.
Surlemanteaudelacheminée,ilyavaituneboîtedethé,quelquesconservesetcequ'ilsupposaêtre
unemichedepainenveloppéedansuntorchon.Kanesuttoutdesuitequec'étaientlàtoutesles
provisionsdelamaisonnée.
IlsesouvintdesajeunessechezlesFenton.Desdeuxpiècesclairesqu'ilavaitpourluiseulau-dessus
desécuries;desbonnesquis'occupaientdesonménageetdesonlinge;delanourriture,toujoursà
profusion.
Qu'avaitditAryanequ'elleapportait?Dusavon,desmédicamentsetduthé?Lui,Kane,avaittoujours
mangéàsafaimetn'avaitjamaisconnulamisèrequirégnaitici.
CommentCharityFenton,samère,avait-ellepus'habitueràvivredansdetellesconditions?
—Vousavezconnumamère,oncleRafe?
—Oui,ditRafeenposantdevantKaneungobeletdewhisky.
Ilobservacethomme.Alafoisuninconnu,etaussiunparentquiparcertainsgestesluirappelaitson
frèreFrank,maisquileregardaitaveclesyeuxdeCharity.
—Ellen'avécuavecnousquequelquesmois,repritRafe.
NouspensionstousqueFrankétaitleplusheureuxdeshommes.Lajournée,elletravaillaitdur,
s'occupantduménageetdelacuisine,maischaquesoir,uneheureavantleretourdeFrank,ellese
mettaitàsefairebellepourl'accueillir.Onauraitditqu'ellesepréparaitpourrecevoirleprésident!
—Onm'avaitditqu'ellen'étaitqu'uneenfantgâtéeetqu'elleregardaittoutlemondedehaut.
—Jenesaispasquit'aracontéça,fitRafe,leregardnoir,maisc'estunfoutumenteur!QuandFrank
estmort,elleaperdulegoûtdevivre.Ellenousaditqu'elleretournaitchezellepourlanaissancedu
bébé,parcequec'estcequeFrankauraitvoulupourlui.Ellevoulaitaussilepartageravecsonpère.
Cesalaud!Peuaprès,onaapprisquesonenfantetelleétaientmortsetquesonpères'étaitsuicidé.
Sherwynetmoiétionscontentsdesavoirqu'avantdemourirsonpèreluiavaitpardonné.Cen'est
qu'aprèsquenousavonsdécouvertqu'elles'étaitsuicidéeetquetuétaisvivant.
KanefaillitdemanderàRafepourquoiiln'avaitrienfait,maisilsesouvintdecequ'ilavaitditun
jouràAryane:c'estl'argentquidonnelepouvoir.QuepouvaientfairelesTaggertfaceauxFenton?
—J'ypense,ditKane,vousetmoinousavonsprisunmauvaisdépart,maisdites-mois'ilyaquelque
chosequejepourraisfairepouraider...
Kaneserenditcomptequ'ilfaisaitfausserouteetheurtaitdefrontl'orgueildesononcle.
—Cequejevoulaisdire,reprit-iltrèsvite,c'estqueparexempleIanetZacharieadorentlebase-ball.
Onpourraitformeruneéquipepourlesgaminsd'ici.Jefourniraistoutl'équipement.Qu'enpensezvous?
—Jecroisqueçaleurplairaitbien.Onpourraitfaireçaledimanchematin:ilsnedescendentpas
danslespuits.MaistucroisqueFentonseraitd'accord?
—J'enfaismonaffaire.Bien,ilseraittempsquej'aillevoircequefabriquemafemme.Vuses
sentimentsenversmoi,encemoment,elleseraitcapabledem'abandonnerici.
—Non,ilvautmieuxquej'aillemoi-mêmelachercher.
Quantàtoi,tuferaisbienderepartiràl'arrièreduchariotcommetuesvenu,situneveuxpastefaire
étriperparlesgardes.
Kaneapprouva,bienquel'idéenel'enchantâtguère.
—Kane,repritRafe,ouvrantlaporte,sijepeuxmepermettreunconseilausujetd'Aryane:sois
patientavecelle.
Lesfemmesnepensentpascommenous.Fais-luiunpeulacour.Tuasbienréussiàlaconquérirune
premièrefois,fais-leunedeuxième.
—Ellen'aimepasmescadeaux.
—Elleattendpeut-êtreautrechose.Unefois,j'aieuunefillequiestdevenuefolledemoiparceque
jeluiavaisdonnéunchiot.C'étaitunhorriblecorniaud,maisellem'enaététrèsreconnaissante,situ
voiscequejeveuxdire.
Rafelançaunclind'œilàsonneveuetsortit.
Toutlecheminduretour,AryaneattenditenvainqueKaneexplose.Ilvintprendreplaceàcôtéd'elle
surlesiègesitôtqu'ilsfurenthorsdevuedesgrilleset,commeAryanenedisaitrien,ilparlade
chosesetd'autres:dupaysage,desesaffaires...Aplusieursreprises,lajeunefemmefutsurlepoint
deluirépondre,maiselles'abstint.
Aryanebouillaitdecolèrecontenue.Tôtoutard,ilserendraitcomptequeplusjamaisellenepourrait
l'aimeretildevraitbienalorsluirendresaliberté.
Alamaison,illuisouhaitapolimentbonnenuitets'enfermadanssonbureau.
Lelendemainmidi,Kanevintlaretrouverdanssonboudoir.Sansunmot,illapritparlamainet
l'emmenaàlacuisineoùMmeMurchinsonavaitpréparéunpanierdepique-nique.Toujourssans
parler,ill'entraînaensuitedanslejardin,jusquesouslatonnelleoùunsoirilsavaientfaitl'amour.
Aryaneleregardadéployerlanappesurl'herbeetydisposerlesvictuailles.Enfin,Kanedutlatirer
parlamainpourqu'ellesedécideàs'asseoir.
Duranttoutlerepas,AryanemangeaàpeinetandisqueKaneseulentretenaitlaconversation.De
nouveau,illuiparladesesaffaires,évoquantlesdifficultésqu'ilrencontraitdepuisqu'Edann'était
pluslà.
Aryanenerépondaitpasmaiscesilenceneparaissaitpasletroubler.
Quandilseurentfinidemanger,Kanes'allongeasurl'herbe,posantsatêtesurlesgenouxdelajeune
femme.IlluiracontaavoirparlédesamèreavecRafeetluiexpliquacombienilavaitétéfrappédu
dénuementdanslequelonvivaitàlamine.Jamaisiln'avaitconnuunetellemisèrechezlesFenton.
—Crois-tuquejepourraisfairequelquechosepoursortirRafedelamine?Iln'estplustrèsjeuneet
j'aimeraisbienl'aider.
—Tunepeuxluioffrirunemploi,celalevexerait,répondit-elleaprèsunsilencesurpris.
—C'estbiencequejepense.Jenesaispasquoifaire.Sijamaistuasuneidée,tumelediras,n'est-ce
pas?
—Oui,murmuraAryaneet,sanspouvoirsel'expliquer,l'imagedePamelaaubrasdeRafelejourde
sonmariageluirevint:ilsformaientcejour-làuncouplesuperbe.
—Ilfautquej'ailletravailler,ditKaneenselevant.
Pourquoinerestes-tupasiciàprofiterdujardin?
Restéeseule,Aryanesepromenadanslesallées.Elleempruntaunsécateuretcueillitunebrasséede
rosesdanslaroseraie.C'étaitlapremièrefoisdepuissonretourqu'ellefaisaitquelquechosequi
n'étaitpasindispensable.
—Cen'estpasparcequelemaîtredemaisonestodieuxqu'ilfautquejedétestesademeure,
murmura-t-elletoutbas.
QuandKanesortitdesonbureau,lamaisonembaumaitlesfleursfraîchementcoupéeset,duranttout
ledîner,ilarboraunsourireravi.
Lelendemain,Dorianevintdéjeuner.ElleparlalonguementdesonamieledocteurLouiseBleeker,
venuedePennsylvaniel'aiderunpeu.Elles'inquiétadelasantédesasœuretbizarrementneparut
plusenvouloiràKane.
—Leschosesnes'arrangentguère,ditAryane.Ettoi?
—Leanderseremettra...Maisparlonsplutôtdetoi.
—J'aideuxnouveauxarticlespourlemagazine...
Ledimanchesuivant,KanevintréveillerAryanedanssachambre.Ilgardasoigneusementses
distances,secontentantdeposeraupieddesonlitunemagnifiquerobedemousselinerose-thé,
festonnéededentellecrème.
—Habille-toiaussivitequepossible,dit-ilens'enallant.
Ilrevintquelquesminutesplustardenpantalondevelourscôteléetchemisebleue,etobservaAryane
quis'habillaitensilence.Denouveau,ilseretira.
Lajeunefemmepoussaunsoupir,maiselleneputdéterminers'iltraduisaitsasatisfactiondevoir
Kanepartiouleregretqu'ilnel'aitpasprisedanssesbras.
Quandillasoulevapourl'asseoirdanslelandau,Kaneneluiditpasoùilsallaientmaissecontenta
defaireclaquersonfouet.Aryaneneposapasdequestions.Elleneputcependantdissimulerson
étonnementquandsonmaris'engageasurlaroutemenantauxmines.
Lesgardesleslaissèrentpénétrerdanslecampsanssourcilleret,sitôtqu'ilsfurentàl'intérieur,les
mineurs,leursfamillesetsurtoutlesenfantsleurfirentescorte.
Aryanesaluaitlesquelquesfemmesqu'elleconnaissait.
—Ellesnesaventpasquituessanstondéguisement,luirappelaKane.
Augrandétonnementd'Aryane,lecortègenecessaitdegrossiretlesgaminsarboraientdesuperbes
sourires.
—Maisqu'as-tufait?s'enquit-elle.
—Regardelà-bas,répondit-il.
Aryaneaperçutalorsunvasteespacesoigneusementratisséoùs'entassaientdescaissesenbois.Kane
arrêtalelandauet,tandisquedeuxjeunesgarçonsretenaientleschevauxparlabride,ilaidaAryaneà
descendre.Ilssedirigèrentverslescaisses,lafoulefaisanttoujourscercleautourd'eux.
—Allez-y,lesenfants,intimaKane.
CommeAryaneregardaitlesgaminsfairesauterlescouverclesdebois,Rafevintlesrejoindre.
—Ellessontlàdepuisdeuxjours,dit-ilàKane.J'espèrequetunem'envoudraspasdeleuravoirdit
cequ'ilyavaitdedans.
Rafeavaitposéunemainamicalesurl'épauledesonneveuetAryaneluidécochaunregardsurpris
avantdereportersonattentionsurlesenfants.Lescaissesétaientmaintenantouvertesetilsse
répartissaientleséquipementsdebase-ball.
Kaneobservaitsafemmeattentivement.Avait-ilfaittoutcelauniquementdanslebutde
l'impressionner?
—Etqu'as-tuachetépourlesfilles?demanda-t-elle.
—Lesfilles?Maisellesvontjoueraubase-ball.
—Tunecroispasqu'ellesaimeraientmieuxletennis,labicycletteouletiràl'arc?
—IlfauttoujoursqueMadamecritique.Nuln'agrâceauxyeuxdelaprincessedeglace!
Kanelaplantalàpourallerrejoindrelesgamins.
Aryanes'éloignaàsontour.Peut-êtres'était-elleeffectivementmontréetropdure.Peut-êtreaurait-elle
dûdirequelquechosedegentil.Enpensantauxenfants,Kanevenaitdefairelegestequ'elleattendait
deluidepuislongtempsettoutcequ'elleavaittrouvéàfairedesoncôtéavaitétédelerabrouer.
Inutileentoutcasdegâchercettejournéeenboudantdanssoncoin!Aryanes'approchad'unefillette
etentrepritdeluiexpliquerlesprincipesdubase-ball.Bientôt,toutungroupedepetitesfilles
l'entoura.
QuandRafeetKaneeurentterminéderépartirlesgarçonsendeuxéquipes,Aryanedesoncôtéavait
formédeuxclansdesupporters.
Deuxheuresplustard,unlourdchariottiréparquatrechevauxarrivaàgrandfracasdanslecamp.
Toutlemondecrutqu'ilsonnaitleglasdesréjouissances,maissonconducteurn'étaitautrequeM.
Vaughn,lepatrondumagasindesport.
—Taggert!cria-t-il,cramoisi.C'estladernièrefoisquej'honoreunedevoscommandes.Jeme
moquequevousm'achetieztoutmonmagasin:jerefusedetravaillerledimanchepourquiquece
soit.
—Avez-vousapportétoutcequejevousavaisdemandé?
réponditKane,soulevantdéjàlabâcheàl'arrièreduchariot.Etcessezderâler!Avectoutl'argentque
jevousaidéjàversécesderniersmois,j'aibeletbiendéjàachetétoutvotremagasin!
Autourd'Aryanelesgensriaient,maisellen'avaitd'yeuxquepourlechargement.
—Regarde-moiça!ditKaneàunefillettequisetrouvaitprèsdelui.Jenecroispasquetupuisses
frapperuneballedebase-ballavecçamaistudoispouvoirquandmêmet'amuseravec.
Illuitendituneraquettedetennis.
—Qu'est-cequec'est?demandalagamine.
—Tuvoisladamelà-bas?réponditKaneendésignantAryane.Valavoir,ellevatemontrer
commentt'enservir.
Aryanetraversalafouleetvintembrassersonmari.LesgrandsbrasdeKaneserefermèrentautour
desataillefine.
—Jecroisquej'aienfintrouvéleboncadeau,fit-ilpar-dessussonépaule.
Aryanes'éloigna,suivieparleriredeRafe.
Duranttoutl'après-midi,Aryanen'eutguèreletempsdepensertantellefutoccupéeàenseignerles
rudimentsdutennisàsesjeunesélèves.
Lecrépusculearrivasansmêmequ'ellel'aitvuvenir.Kanes'approcha,laprenantparlesépaules.Elle
sutalorsqu'ellel'aimaittoujours.
Peut-êtren'était-ilpasl'hommequ'elleavaitcru.Peutêtreétait-ilcapabledenevivrequepourassouvirsahainedeJacobFenton...Maisencetinstant,elle
s'enmoquait.Elleavaitjuréd'êtreàluipourlemeilleuretpourlepire.Tantpissicepireincluaitsa
soifdevengeance.Quoiqu'ilfasse,quoiqu'ildise,ellel'aimeraitetresteraitjusqu'àlamortàses
côtés.
—Tuesprête?demanda-t-il.
—Oui,répondit-elleduplusprofonddesoncœur.
CHAPITREXXVIII
Kaneneluijetapasunseulregardtandisqu'ilsquittaientlecamp,passaientdevantlesgardeset
s'engageaientsurlaroute.
Aryane,enrevanche,nelequittaitpasdesyeux.Commentpouvait-elleavoirsipeud'orgueiletaimer
cethommequiseservaitd'elle?Lajeunefemmen'arrivaitpasàlecomprendre,maisunechoseétait
certaine:Kaneluiavaitravisoncœuràjamais.
Aupieddelacolline,justeavantl'embranchementdelagranderoutedeChandler,Kanearrêtale
landau.Lesoleilcouchantembrasaitl'horizonenunesymphoniederouges,derosesetd'orangés.La
chaleurdiurneavaitcédélaplaceàunefraîcheurtoutevespérale,richedesenteursdesaugeetde
menthepoivrée.
—Pourquois'arrête-t-on?demandaAryane,commeKanedescenduàterrevenaitlaprendreparla
taille.
—Parceque,machérie,jenepensepasquejepuisseattendredetefairel'amourpluslongtemps.
—Kane!protestalajeunefemme.Onnepeutpass'arrêterici!Quelqu'unpourraitnousvoir.
Aryanesetut.Kanel'avaitprisedanssesbras,serréecontresontorsepuissantetlacaressait.Elle
s'abandonna.Ill'écartaunpeuetfitdoucementcourirsesdoigtssursajoue.
—Tum'asmanqué,monamour,murmura-t-il.Tum'asbeaucoupmanqué.
Laminuted'après,toutedouceurettouteréserveavaientdisparu.LeslèvresdeKanes'étaient
emparéesdecellesd'Aryaneenun"baiserfiévreuxauquelelleréponditaveclamêmefougue.
Kanemitfinàsonétreinteetallachercherunecouverturedanslelandau.Ill'étalaàl'abrid'un
bosquetdepinsetdegenévriers,puis,tremblantdetoutsoncorps,ildéshabillaAryane.
—J'attendscemomentdepuissilongtemps!souffla-t-il.
Tum'asunjourinterrogésurlesautresfemmesquej'aiconnues.Jecroisquejamaisjen'airepenséà
ellesaprèsavoirquittéleurcouche.Jecroismêmequejen'aijamaispenséàellespendantquejeleur
faisaisl'amour.Jesuissûrquejamaisnonplusjen'aiconfiéàpersonnetoutcequej'aiputedire
jusqu'ici.Es-tuunelady,Aryane,ouunesorcière?
LesmainsdeKaneéveillaientdemultiplessoleilssurlapeausatinéedelajeunefemme.Ellenouases
brasautourdesanuqueetfrôlaseslèvres.
—Jesuisunesorcièreamoureusedetoi,murmura-t-elle.
Usneparlèrentplus.Lapassionlesfitsedénudercommes'ilss'étaientbattus,déchirantleurs
vêtementsquanduneattachesemontraitrebelle.Vite,ilsneformèrentplusqu'un,etviteilsgravirent
ensemblelesdegrésmagiquesduplaisir.
Leurscrisdéchirèrentlanuitpuislesilencelesenveloppaetilss'endormirent,apaisés.
Kaneseréveillapeuaprèsetjetasavestesurlecorpsnud'Aryane.Enfin,ils'accoudaetadmirason
finvisagenimbédelune.
—Quiauraitpudirequ'uneladytellequetoi...,murmura-t-il.
Puisillacaladoucementaucreuxdesonépauleetsesyeuxseperdirentdanslesétoiles.
Aryaneseréveillauneheureplustard,lesmainsdeKanetorturantdélicieusementsagorge.Ellelui
sourit,rêveuse.
—J'aitoutcequ'unhommepeutsouhaiteraumonde,dit-il.Unefemmebelleetnuedansmesbraset
quimesourit.
Dites-moi,belledame,voulez-vousbiend'ungarçond'écurie?
—Seulements'ilesttrèsgentiletneseconduitpascommeunebrute.
Cettefois,ilsfirentl'amouravecuneinfinietendresse,presqueavecparesse.Puis,denouveau,ilsse
retrouvèrentblottisl'uncontrel'autreets'endormirent.
Pendantlanuit,Kaneselevaetalladétacherleschevaux.
Quandilrevint,Aryaneluidemandaoùilétaitparti.
—Queveux-tu,rit-il,unpalefrenierresteunpalefrenier.
Etilserallongeaprèsd'elle.
Ilsseréveillèrentauxpremièreslueursdel'aube.Kane,allongésurledos,Aryanecouchéesurlui,
racontalajoiequ'ilavaiteuelaveilleenvoyantlesenfantssiheureux.
—Pourquoicertainsgarçonsont-ilslesyeuxcernésdenoir?demanda-t-il.Ondiraitdepetitsratons
laveurs.
—Ilstravaillentdanslesgaleriesetn'ontpasencoreapprisàsedébarbouillercorrectement,expliqua
lajeunefemme.
—Maiscertainsd'entreeuxsontpresqueencoredesbébés!Cen'estpaspossibleque...
—C'estlavérité.Tusaiscequej'aimeraisfairepourlesmines,touteslesmines?repritAryaneaprès
unsilence.
—Non,quoi?
—J'aimeraisavoiraumoinsquatrechariots,tousremplisdelivres.Ilsiraientdecampementen
campementetferaientofficedebibliothèquesgratuites.Ilfaudraitquelesconducteurss'yconnaissent
assezenlittératureetenpédagogiepourpouvoirconseillerlesmineursetleursfamillesdansleurs
choix.
—Pourquoinepaslefaire?
—L'idéeteplaît?
—Ellemeparaîtbonneetcesquelqueschariotscoûteraientbienmoinscherquelewagonquej'ai
offertàtamère.Aufait,qu'ena-t-ellefait?
—Ellel'afaitinstalleraufonddujardinets'yretirechaquefoisqu'elleenaenvie.M.Gatesest
furieux.Mamanm'aditquec'étaittoiquiluiavaisdonnécetteidée.
Lesoleilcommençaitàparaîtreau-dessusdesmontagnesetKanedécidaqu'ilétaittempsderentrer
s'ilsnevoulaientpasrencontrertropdemonde.
Toutlelongduchemin,Aryanerestablottiecontrel'épauledesonmariet,àplusieursreprises,Kane
arrêtaleschevauxpourl'embrasser.
Unefoisrentrés,ilsprirentunbainensembledanslesappartementsd'Aryane.Quandilsensortirent,
ilyavaitplusd'eausurlecarrelagequedanslabaignoire...
Kaneyétalaalorstouteslesserviettesqu'ilputtrouveret,surcelitmoelleux,ilfitl'amouràsa
femme.
Susanmanquafaireirruptiondanslapièce,maisKaneluiclaqualaporteaunezetladomestique
partitscandaliséetandisquedanssondoslecoupleéclataitderire.
Usdescendirentensuiteavalerlepetitdéjeunerlepluscopieuxdeleurvie.
MmeMurchinsonmitunpointd'honneuràlesservirellemême,manifestementauxangesdelesvoir
enfinréconciliés.
—Desbébés,grommela-t-elleenregagnantsacuisine.Cequimanquedanscettemaison,cesontdes
bébés.
Kanes'étranglaetjetaàAryaneunœilhorrifié,maislajeunefemmefuitsonregardets'empressade
portersatasseàseslèvrespourdissimulersonsourire.
MmeMurchinsonrevenaitapporterdenouveauxtoastsquandilsentendirentlegrondement.Laterre
semitàtremblersousleurspieds;lestassesvibrèrentdansleurssoucoupesetunbruitdeverrebrisé
leurparvintdel'étage.
Terrorisée,MmeMurchinsonlaissachoirsonplateau.
—Qu'est-cequec'étaitqueça?s'écriaKane.Untremblementdeterre?
Aryanesetut.Ellen'avaitentenducebruitqu'unefoisauparavantmaisn'avaitjamaispul'oublier.
Livide,leslèvrestremblantes,sansunregardpoursonmarietlesdomestiquesaccourusentre-temps,
lajeunefemmegagnaletéléphone.
—Lequelest-ce?fit-ellesitôtquel'opératriceeutrépondu.
—LittlePamela,ditlavoixàl'autreboutdufil.
—Aryane!criaKaneenlaprenantparlesépaules.Jet'ensupplie,net'évanouispas.C'étaitdansune
mine?
Lajeunefemmeneparvenaitpasàparler,tantl'angoisseluinouaitlagorge.Pourquoifallait-ilque
celasesoitproduitdanssamine?Detouslesenfantsquihierjouaientaubaseball,lesquelsétaient
mortsdésormais?
—LittlePamela.Lepuits.Rafedevaitydescendrecematin...
LesdoigtsdeKanesecrispèrentsurl'épauled'Aryane.
—C'estgrave?
CommeAryanen'arrivaitpasàrépondre,undesdomestiquespritlaparole:
—Monsieur,dit-il,quandl'explosionestassezfortepoursecouerlesvitresjusqu'ici,c'estquec'est
trèsgrave.
—Aryane,commandaaussitôtKane,jeveuxqueturéunissestouslesdrapsettouteslescouvertures
quetupourrastrouver.Charge-lesàbordd'unchariotetemmène-lesàlamine.Moi,jevaisme
changeretjeparstoutdesuite.
Rejoins-moilà-basleplusvitepossible.Tum'asbiencompris?
—Ilsvontavoirbesoindebras,repritledomestique.
—Alors,queceuxqueçaintéresseaillentôterleursdéguisementsetsautentsuruncheval!(Puis,se
tournantversAryane:)Vivantoumort,jetireraiRafedelà.
Letempsd'unrapidebaisersurlefrontdesafemme,etKaneétaitparti.
—Vousavezentenduvotremaître?ditlajeunefemme.
Jeveuxquevousréunissiezdrapsetcouvertures.Allez,exécution!
—Monfrèretravaillelà-bas,ditunedesbonnes.Puis-jeveniravecvous?
—Moiaussi,fitSusan.J'aidéjàeuàsoignerdesblessés.
—Entendu,jetaAryaneensedépêchantd'allersechangeràl'étage.Touteslesbonnesvolontésseront
lesbienvenues.
CHAPITREXXIX
Kaneavaitlivrébiendesbataillesdanssavie,maisiln'avaitencorejamaiseuàfairefaceàune
catastrophe.LespectacledelaminedeLittlePamelaleheurtadefront.Avantmêmed'atteindreles
grillesducamp,ilentenditlehurlementdéchirantdesfemmesetilsutquecelaresteraitpourtoujours
gravédanssamémoire.
Lesgardesavaientdésertél'entrée.Seuleunefemmesetenaitlà,leregardfou,serrantsonenfant
danssesbras.
Kaneetlesquatrehommesquil'accompagnaientralentirentlacoursedeleurschevauxet,commede
plusenplusdefemmesaffoléesleurbarraientlaroute,ilsfinirentpardescendredeleursmontures.
Soudain,unemainagrippaKaneparlamanche.
—Tuez-moi,supplial'inconnue.Maintenantquemonmariestmort,jen'aiplusrien,plusrien-La
femmeentraînaKaneàl'intérieurdesamasureauprèsdelaquellelamaisondeRaferessemblaitàun
palais.Cinqenfantsenguenillesseserraient,apeurés,lesunscontrelesautresdansuncoindela
pièce.Leursyeuxdémesurés,dévorantleurspetitsvisages,trahissaientlesaffresdelapeuretdela
faim.
Kanen'avaitpasvucesenfantslaveille,maisilserappelanepasêtrevenudececôté-ciducamp,là
oùlesmaisonsn'étaientqueconglomératsdebidonsetdetoilegoudronnée.
—Tuez-noustous,repritlamère,carmaintenantdetoutefaçonnousallonsmourirdefaim.
Kaneregardaautourdeluietn'aperçutpourtoutepitancequ'unvieuxquignondepainsurlaplanche
quiservaitdetable.
—Monsieur,ditlevaletdechambrederrièrelui,onabesoind'aidepourtransporterlescorps.
—Jeviens.
Kanesortitdutaudis,laissantderrièreluilamèreenlarmes.
—Quisontcesgens?demanda-t-il.
—Ilsnepeuventpassepayerles«maisons»àdeuxdollarsquelacompagnieloueàsesouvriers,
alorsilslouentunboutdeterrainpourundollaretseconstruisentunabriaveccequileurtombe
souslamain.
—Quevadevenircettefemmesisonmariesteffectivementmort?
—Avecunpeudechance,lacompagnieluiverserasixmoisdesalaire,maisçan'irapasplusloin.
Detoutefaçon,lespatronsdirontques'ilyaeuuncoupdegrisouc'estlafautedesmineurs.
—Entoutcas,onpeuttoutdesuitefairequelquechose.
Allonschercherdequoimangerpourcettefemmeetsesenfants.
—Où?Ilyaquatreans,unerévolteaéclatédanslecampetonafermélemagasingénéralpourque
lesmineursnelepillentpas.Depuis,iln'ajamaisétérouvert.Etlamunicipaliténenousaiderapas
nonplus.Ladernièrefoisqu'ilyaeuuneexplosion,ilsontditauxmineursderéglerleursproblèmes
avecleursemployeurs.
Kanepartitverslepuits.Prèsdesonentrée,troiscadavresgisaient,recouvertsd'undrap.Des
hommesenremontaientdéjàunautreet,nonloin,sousunhangar,ilaperçutDorianes'activant,
secondéepardeuxinfirmiers.Leanderétaitlàaussi.
Kaneallaletrouver.
—Quelssontlesdégâts?interrogea-t-il.
—Enormes.Ilyatellementdefuméedanslesgaleriesquelessecourss'évanouissentavantde
pouvoiratteindrelesblessés.Onn'apasencoreestimélenombredesvictimesetceseradifficile.Le
souffledel'explosion,s'estpropagéversl'intérieurdelamine.Deshommespeuventêtreencoreen
vie,murésdansdesgalerieseffondrées.Quequelqu'unlaretienne
!criaencoreLeanderavantdesauterdanslemonte-chargequil'emportaaufonddupuits.
Kanes'occupadelafemmeenquestion.Follededouleur,elletentaitdes'accrocheraucorps
carboniséquel'onvenaitderemonter.ElleétaitsifragilequeKanelasoulevasanspeinedansses
bras.
—Jevaisvousramenerchezvous.
Ellesedébattaittelleunedémente,etuneautrefemmeintervint.
—Laissez-la,dit-elle,jevaism'enoccuper.
—Donnez-luiunpeudecognac.
—Ducognac?Vousplaisantez!Nousn'avonsmêmepasd'eaupotable.
Lesdeuxfemmess'éloignèrent.
Deuxminutesplustard,KaneétaitremontésursonchevaletgalopaitversChandler.IlcroisaAryane
sursonchemin.Lajeunefemmel'appelamaisilnes'arrêtamêmepas.Ilpénétradanslavilleàtoute
vitesseetfaillitrenverserunedemi-douzainedepiétonssursonpassage.
Laplupartdelapopulationétaitdanslesruesàdiscuterdelacatastrophe.
Kanenes'arrêtaquedevantlanouvellemaisond'Edan,quijustementsortaitdechezlui,tirantun
chevalparlabride.
Enface,l'hôpitaldébordaitd'activité.
—Jesaisquetum'enveux,fitKane,maisiln'yaquetoiquipuissesm'aideràmeneràbienmon
projet.Jetedemanded'oublierunmomentnosdifférendsetdeveniravecmoi.
—Pourquoifaire?J'allaispartirdonneruncoupdemainàlamine.L'oncledeJaneestlà-baset...
—Ilsetrouvequ'ilestaussimononcle,bonDieu!Etlamine,j'enviens.Ilsontplusdebrasqu'ilne
leurenfaut.Parcontre,ilsn'ontnieauniravitaillement,etl'explosionafaits'écroulertoutunpâtéde
maisonssitoutefoisonpeutappelerçadesmaisons.Jeveuxquetum'aidespourquetouscesgens
aientunabrietdequoisurvivrependantquelessecourscontinuent.
—D'aprèscequeJaneapuapprendrepartéléphone,celavaprendrelongtempspoursortirtoutle
mondedesgaleries.Ilvafalloirréunirbonnombredechariotspourtouttransporterlà-basetilva
aussifalloiruntrainpourramenerlescorps.
Aujourd'hui,ilfautdelanourriturequipuissesemangercrue.
—Allez,viens!Auboulot!
Janeparutsurleperron,pâlecommelamort.
—Jane,ditEdan,appelleMissEmilyetdis-luideprévenirtouslesmembresdevotresociété.Jeles
attendsàl'épiceriecentraleleplusvitepossible.
Ill'embrassaetsautaenselle.
Deretouraucentreville,KaneetEdanseséparèrentetallèrentlouerdeschariotspartoutoùils
avaientunechanced'entrouver.Laplupartdespropriétairess'offrirentdelesprêteretilsedéveloppa
viteàChandlerunfortsentimentdesolidaritéfaceàlacatastrophe.
Sixjeunesfemmeslesattendaientdevantl'épiceriecentrale.Kanen'eutqu'àleurexpliquercequ'il
attendaitd'elleset,souslahouletteénergiquedeMissEmily,ellessemirentaussitôtàl'ouvrage.
Amesurequeleschariotsarrivaientdevantlemagasin,ilssevoyaientremplisdeconserves,delait
concentréetdecentainesdemichesdepain.MissEmilyn'hésitapasàrecruterlesbadaudsvenusvoir
cequisepassait.
Edans'occupadefaireprovisiond'eau.
Pamelaarrivaencourant,précédéedeZacharie.
—Quepouvons-nousfairedemanda-t-elle,toutessoufflée.
Kaneregardasonfilsetuneboufféedesoulagementlesubmergea:celui-làneconnaîtraitjamaisles
périlsdelamine.
Ilmitunemainsurl'épauledel'adolescentetsetournaversPamela.
—Rassemblelemaximumdegensetàvoustousréunisseztouteslestentesquevouspourreztrouver.
Allezchezmoiettâchezdemettrelamainsurcellesqu'Aryaneavaitachetéespournotremariage.
Quandvousaurezfini,apportezletoutàlamine.
—JenepensepasqueZachariesoitassezgrandpourvoiruntelspectacle,ditPamela.Parfoisces
coupsdegrisousont...
—Toutça,c'estvotrefaute!explosabrusquementKane.
C'estvous,lesFenton,quiêtesresponsablesdecedésastre.Sicesminesétaientmoinsdangereuses,si
tonpères'étaitséparéd'unpeudesonprécieuxargentpourenaméliorerlasécurité,toutçaneserait
jamaisarrivé.Zacharieestmonfils!Etsidesgaminssontassezgrandspourcreveraufonddes
puits,ilestassezgrandpoursortirlescorpsdeceuxquetonpèreatués.
Maintenant,fileetfaiscequejet'aiditsinonjetetordslecoucommej'aidéjàbienenvied'allerle
tordreàtonpère!
QuandKanesetut,ilserenditcomptequ'unsilencedeplombs'étaitfaitautourdeluietquechacunle
fixait,tétanisé.
—Alors,onvaresterplantéslàlongtemps?intervintEdan.Toi,fit-ilàungamin,chargecescaisses.
Ettoi,là-bas,bougedonccechariot,tuvoisbienqu'ilgêne!
Sortantdesatorpeur,lafoulerecommençaàs'activer,maistouslesespritsrevenaientsanscesseàce
queKaneavaitdit:Fentonettouslesmortsqu'ilavaitsurlaconscience.
Malgrétoutcequ'ilavaitpuraconteràPamela,KanerefusaqueZachariepartîtaveclespremiers
chariots.Ilattenditdepouvoirlui-mêmeconduirepourl'emmener.
LesoleildéclinaitdéjàquandKanepritplacesurlesiègeetsemitenroutepourLittlePamela.Ases
côtés,Zacharieattenditqu'ilsfussenthorsdelavillepourprendrelaparole:
—C'estvraiquegrand-pèreatuétouscesgens?C'estréellementsafaute?
Kanefutsurlepointdedireàsonfilscequ'ilpensaitvraimentduvieilhomme;deluiraconterla
façondontill'avaitspoliédesonhéritage...Finalement,ilseretint.
Qu'importaitcequ'étaitJacobFenton,iln'endemeuraitpasmoinslegrand-pèredel'adolescentetce
dernieravaitbienledroitdel'aimer.
—Jecrois,dit-il,queparfoisl'argentfaitperdrelatêteauxgens.Ilscroientqueleursdollarspeuvent
leurdonnertouslesdroitsetplusriennelesarrête.Tantpiss'ilsdoiventtricher,voleroumêmetuer,
avoirdel'argentpasseavanttoutpoureux.
—Mamèreditquevousêtesplusrichequegrand-père.
Çaveutdirequevousaussivousavezvolé?
—Non,fitdoucementKane.Jesupposequej'aieudelachance.
Ilsneparlèrentplusdurantleresteducheminet,enarrivantàlamine,Kaneressentitdenouveau
toutel'horreurdudésastre.
Enhautdupuits,huitcadavresattendaientd'êtretransportésàl'hôpitaldefortuneoùDorianeettrois
autresmédecinssedémenaient.
CommeKanedéchargeaitsonchariot,Aryane,lescheveuxdéfaits,lesmains,levisageetles
vêtementsmaculésdesuie,vintlerejoindre.
—Tuesformidable,dit-elleens'emparantd'uncartondelaitconcentré.Tun'avaisvraimentaucune
raisondefairetoutça.Tun'asrienàvoirlà-dedans...
—Moiaussij'habiteChandler,coupa-t-il.Etd'unecertainemanière,cesminessontàmoi.Peut-être
quesiFentonnemelesavaitpasvolées,toutcelaneseseraitpasproduit...Aryane,tuasl'airbien
lasse.Pourquoinepasrepartiraveccechariotetallertereposerunpeu?
—Non,onabesoindetouteslesbonnesvolontéspossibles.Ellessontvitales.Lessecouristes
succombentsousl'effetdesgaztoxiquesd'heureenheure.
—Hé!Donne-moiunpeuàboire,intervintunevoixfamilière.
KaneseretournaetdécouvritsononcleRafe.
Aryanen'avaitencorejamaisvulevisagedesonmaris'illuminerd'unsourireaussilarge,aussi
chaleureux.IlassenadansledosdeRafeuneclaquesigénéreusequesavictimefaillitenlâcherle
gobeletd'eauqu'elleportaitàseslèvres.Enéchange,l'oncleabreuvaleneveud'unebordéed'injures
danslagrandetraditionTaggert,maisKaneneréagitpas,secontentantdeleregarder,hilare.
QuandRafeeutterminé,Kanedécochaunclind'œilàsafemmeetpartitverslepuits.
Enarrivant,ilytrouvaLeander.Couvertdesuie,ilvenaitjustederemonterdufond.
—Ilyenaencorebeaucoup?demandaKaneentendantàboireaujeunemédecin.
Leanderbutavidement.
—Encoretrop.Beaucoupontétécarbonisésetquandonessaiedelesbouger,lescadavrestombent
enmiettes.
Kanenetrouvarienàrépondre.Ilnepouvaitquefulminerintérieurementcontreleresponsablede
tout:Fenton.
—Mercipourleravitaillement,repritLeander.Çaaétéplusutilequevousnelepensez.Demain,ily
auraencoreplusdemondeici.Lesparents,lapresse,lesinspecteursdesminesetlesenvoyésdu
gouvernement.Sansparlerdescurieux...
Parfois,onoubliequ'ilfautnourrirtoutcemonde.Bon,ilfautquejeredescende.
Kanesefrayauncheminàtraverslafoulequinecessaitdegrossir.IlretrouvaAryaneetZacharieet
lesfitmonterdansunchariot.
—Ilesttempsd'allerrechercherdesprovisions,futtoutcequ'illeurdit.
Quandsurlaroutelatêted'Aryanetombasoudaincontresonépaule,Kanesecontentadepasserun
brasautourd'elle.Illamaintintainsitoutleresteduchemin.
TandisqueKaneetEdanachetaientdenouveauàmangeretchargeaientleschariots,Aryaneet
Zachariedormirentunpeu.
LesjeunesdeChandlers'enmêlèrent.Ilsaidèrentauchargementetdemandèrentàleursmèresde
préparerdesrepas;defairecuiredesmilliersd'œufsdurs.Ilscollectèrentaussidesvêtements,des
ustensilesdecuisineetduboispourfairelefeu,apportantletoutauxdiverspointsderalliement.
Lelendemain,d'heureenheure,lebilandelacatastrophegrossissait.Onenétaitàvingt-deuxmorts
etlescadavresétaienttellementcalcinésqu'ilétaitdifficiledelesidentifier.
Lessecouristess'attendaientàenremonterencoreaumoinsvingt-cinqautresetl'und'euxavaitdéjà
péridanssamissionhumanitaire.
Amidi,Kaneemmenaunlourdchariotàlamine.Tandisqu'ildéchargeaitd'énormesballotsde
couvertures,ilvitl'équipedesecoursremonterdupuits.Laplupartdeceshommesétaientprisde
violentesnauséesaprèsavoirrespirélesvapeurspestilentiellesdesgaleries.
—C'estàcausedescadavres,luiexpliquaquelqu'un.Çadevientirrespirablelà-dessous.
Kanerestaunebonneminutesansbouger.Puisils'emparadupremierchevalquipassait,sautaen
selleetpartitàfonddetrainchezJacobFenton.
Iln'avaitpasremontél'alléemenantàcettemaisondepuislejouroùJacobl'avaitchassédechezlui.
Kanenefrappapas.Uncoupdebotteluisuffitpourouvrirlaporte.
—Fenton!tonna-t-iltandisquelesdomestiquesaccouraientdesquatrecoinsdelademeure.
DeuxvaletsdepiedlesaisirentauxépaulesmaisKanes'endébarrassacommeonchassedesinsectes.
IlconnaissaitsuffisammentleslieuxpourtrouversansdifficultélasalleàmangeroùJacobdéjeunait,
seulenboutdetable.
Ussefixèrentlonguement,Kanelesangauvisage,toutsongrandcorpstremblantderagecontenue.
Puis,d'ungestedelamain,Jacobcongédialesdomestiques.
—Jesupposequevousn'êtespasvenudéjeuner,ditFenton,sebeurranttranquillementuntoast.
—Commentpouvez-vousmangerquandlà-bas,souscettemontagne,desgensmeurentàcausede
vous!
—Désolé,maisjenesuispasd'accord.Avousentendre,oncroiraitquejelesaitués.J'aiau
contrairetoutfaitpourqu'ilspuissentvivre,maisilssemblentavoirunfâcheuxpenchantpourle
suicide.Voulez-vousunpeudevin?C'estunexcellentcru.
LesimagesatrocesdontKaneavaitétéletémoindepuispresquedeuxjourstourbillonnaientdanssa
tête.Ilcroyaitencoreentendrelehurlementdésespérédesfemmes.
Kanen'avaitpasmangédepuisl'explosion.Sentirsoudaincettenourritureluitournalatêteetil
vacillasursesjambes.
Jacobseleva,tiraunechaisepoursonvisiteuretluiservitunverredevin.Kaneneremarquapasque
lesmainsduvieillardtremblaient.
—C'estsigravequeça?demandaFenton,allantrempliruneassietteàladesserte.
Kaneneréponditpas.Ilselaissatombersursachaiseetfixaleverreposédevantlui.
—Pourquoi?murmura-t-ilenfin.Pourquoiavez-voustuétouscesgens?Qu'ya-t-ildeplus
importantqueleursvies?
L'argentquevousm'avezprisnevoussuffisaitdoncpas?
Pourquoienvouliez-vousencoreplus?Ilyad'autresmoyensquelesvôtrespourengagner.
Jacobdéposal'assiettepleinedevantKanemaiscederniern'ytouchapas.
—J'avaisvingt-quatreansquandvousêtesnéetj'avaistoujoursgrandienpensantquetoutceciétaità
moi.J'aimaisl'hommequejecroyaisêtremonpèreetjepensaisqueluim'aimaitaussi.Acetâge,on
atendanceàêtreidéaliste,soupira-t-il.LanuitoùHoraces'esttué,j'aidécouvertquejen'étaisrien
pourlui.Sontestamentstipulaitquejedemeureraisgarantdesafortunejusqu'àvotremajorité,mais
qu'ensuitejedevraistoutvouslaisser.Ilnemeresteraitplusqu'àm'enalleravecpourtoutbienles
vêtementsquej'auraissurledos.Jenecroispasquevouspuissiezimaginerlahainequim'a
submergécejour-làpourl'enfantquiruinaitmavie.Alors,jemesuisdébarrassédevousetj'ai
soudoyélesavocats.Je.necroispasquej'avaistoutemaraison.Cettehainem'aportépendantdes
années.Elleétaitsanscesseenmoi.Chaquefoisquejedevaissignerundocumentpourvendreou
acheterquelquechose,jesavaisqu'ilyavaitquelquepartunenfantquipossédaitvraimentceque
j'achetaisouvendais.Finalement,j'aipréférévousvoirici,pourvousteniràl'œil.
Jacobvints'asseoirenfacedeKane.
—Lemédecinm'aditquejen'enavaisplusquepourunoudeuxmoisàvivre,reprit-il.Jen'enai
parléàpersonnemaisjetenaisàvousdiretoutelavéritéavantdemourir.Lahainefaitplusdemalà
celuiquil'éprouvequ'àceluiquienestl'objet.Duranttouteslesannéesoùvousavezvécuici,j'étais
sûrquevousalliezessayerdetoutmereprendre.Jeluttaissanscessecontrel'angoisse,laterreur.
J'avaispeurquevousnedécouvriezlavérité.QuandvousavezvouluépouserPamela,j'aicruque
toutesmescraintesseréalisaient.Plustard,j'aipenséquecemariageétaitsansdoutelameilleure
solution.
Maisàl'époque...Jecroisquejen'étaispascapabledevoirleschosesobjectivement.
Jacobsetutetbutuneforterasadedevin.
—Voilà,Taggert,vousvenezd'entendrelaconfessiond'unhommequisaitqu'ilvamourir.Toutestà
vous.Vouspouveztoutprendresivouslesouhaitez.Cematin,j'aidittoutelavéritéàmonfilsMarc,
carjen'aipluslaforcedelutteravecvous.
Kanes'adossaàsachaiseetfixalevieilhommeauteintgris.Ils'aperçutsoudainqu'ilnelehaïssait
plus.Aryaneluiavaitditqueseulesahainel'avaitpousséàaccomplirtoutcequ'ilavaitpufairedans
savieetsansdouteavait-elleeuraison.Enfait,ellen'avaitfaitqueluimontrerl'injusticecommise
parHoraceendéshéritantJacob.
—Vousauriezpugardervotrefortuneautrementqu'enlaissantlesmineursmourirdefaim.
—Lesmineurs,toujourseux!Maiscesminesnemerapportentrien.CesontmesaciériesdeDenver
quicomptent.
Maispersonneneveutl'admettre.Ici,toutlemondemeregardecommesij'étaisl'incarnationde
Satanetnevapaschercherplusloin.
Jacobselevaetsemitàarpenterlapièce.
—Jesuisforcédebouclercesmauditesmines!Sinonlessyndicatsentrerontetpousserontles
mineursàréclamerdeshaussesdesalairesetdesréductionsd'horaires.Voussavezcequ'ilsveulent?
Ilsveulentunpeseurofficiel!Ecoutez,jenesuispasplusidiotqu'unautre.Jesaisbienquelespesées
sontfaussesetqu'ilsextraientplusquelequota.Maissij'étaisrégulieretsijelespayaisaujusteprix,
jenepourraisplusmaintenirmesmargesbénéficiaires.Jedevraisaugmentermesprixet.jecesserais
d'êtrecompétitif.Qu'est-cequisepasseraitalors?Jeperdraisdesmarchésetcescrétinsn'auraient
plusdetravail.
Kanefixaittoujourslevieillard.Ilcomprenaitsesdifficultés,maisellesnejustifiaientpastout.
—Etlasécurité?fit-il.Onm'aditquel'étayagedesgaleriesétaitcomplètementpourri.
—Evidemment!Maislesmineursn'ontqu'às'enprendreàeux-mêmes.Ilssontdévorésd'unorgueil
stupide.Demandezdoncàvotreonclesivousnemecroyezpas.Ilssontlespremiersàsevanterde
toutcequ'ilssontcapablesd'extrairesansétayage.J'aibeauenvoyerrégulièrementdeséquipes
d'inspection,çanesertàrien.Ilsrefusentdeconsoliderlesgaleries.
Kanepritsafourchetteetcommençaàmangerdistraitement.Maisilmouraittellementdefaimqu'en
quelquesminutesilavaitterminésonassiette.
—Vouslespayezautonnage,n'est-cepas?Ilsnetouchentrienquandilsconsolident?
JacobresservitKaneetrapprochasachaise.
—Ecoutez,reprit-il,j'aiengagédescontremaîtrespoursurveillerletravail...Nonseulementces
imbécilesrefusentd'étayercorrectement,maisilsnemettentpasnonplusleurcasqueparcequeçales
gênepourallumerleurscigarettes.Etqu'est-cequisepassequandilsallumentunecigarette?Neuf
foissurdix,çasaute!Lescontremaîtresdoiventlesfouillerunparunavantqu'ilsdescendent.
—Unmoment,fitKanelabouchepleine.Avousentendre,cesontdesenfants.Vouslesbouclezdans
descamps,vousleurmettezdesgardessurledos.Commentvoulez-vousdanscesconditionsqu'ils
aientlesensdesresponsabilités?Vousêtesentraindemedirequevouslesfaitestravaillerpour...
—Pourrien,terminaFenton.Jefaistoutcequejepeuxpourleurconserverleursemploismaisilsne
merapportentpasunsou.Sij'avaislechoix,j'achèteraismoncharbonailleursetjemecontenterais
defairedel'acier.Maisjen'arrivepasàmerésoudreàmettreautantdegensauchômage.Pourtant,
chaquefoisqu'ilsepassequelquechosecommeça,continuaFenton,jemedisquejevaisfermerles
puits.Maisvoussavezcequisepasseraitsijelefaisais:Chandlerdeviendraitunevillefantômedans
lesdeuxans.
—Donc,sijecomprendsbien,vousrendezserviceàtoutelacommunauté?
—D'unecertainefaçon,oui.
—Maisvousversezquandmêmedesdividendesàvosactionnaires?
—Pasautantqu'ilslevoudraient.Jefaisaumieux.
Kanenettoyaitmaintenantsadeuxièmeassiette.
—Vousferiezbiendevousressaisir,dit-il.Ilsetrouvequej'aipasmald'argentetjepourraisvous
mettrel'inspectiondutravailsurledos.Evidemment,toutletempsquedureraitlaprocédure,
l'exploitationdesminesdevraitêtreinterrompue.
—Maisçaruineraitcomplètementlaville!Vousnepouvezpas...
—Jecroisqueçavousruineraitsurtout,vousetvoschersactionnaires,quoiquevousendisiez.
JacobregardalonguementKane.
—C'estbon,dit-il,quevoulez-vous?
—Silesmineursdoiventeffectivementêtreprotégésd'eux-mêmes,jeveuxunpersonnelde
surveillanceefficace.Jeveuxaussiquelesenfantsnedescendentplusdanslamine.
—Maisilssontpetits!Uspeuventallerdansdesendroitsquelesadultesnepeuventpasatteindre.
Kanebalayal'argumentd'ungeste,seconcentrantsurcequ'ilvoulaitdire,tentantdeserappelerce
qu'Aryaneluiavaitexpliqué.
Achaquenouvelleidée,Jacobprotestait:
—Deslivres!Vousn'ypensezpas!Lirenepourraitquelesrendreplusinsatisfaits!...Desservices
religieux?Maisvousêtesfou!Nonseulementilfaudrapayerlesprêtres,maisenplusnousaurons
desguerresdereligionsinousvoulonslesfairetousalleraumêmeoffice.
QuandKaneévoquademeilleuresconditionsdelogement,Jacobeutlefrontdeprétendrequeles
murslézardésétaientplussainsparcequ'ilslaissaientpénétrerlegrandair...
Ilsdébattirentainsitoutl'après-midi,JacobremplissantrégulièrementdevinleverredeKane.Vers
quatreheures,lavoixdecelui-cicommençaàs'empâteretsatêtesemitàdodelinersurseslarges
épaules.Ilfinitpars'endormiraubeaumilieud'unephrase.
—Sij'avaiseuunfilscommetoi,murmuraJacob,j'auraisconquislaplanète...
Ilsortitdelasalleàmangeretenvoyaundomestiquechercherunecouverturepourenrecouvrir
Kane.
IlfaisaitnuitnoirequandKaneseréveillaenfin,endolorid'avoirdormisurunechaise.Lapièceétait
plongéedanslapénombremaisilpouvaitapercevoirunpaquetposésurlanappe:dessandwiches.
Unsourireauxlèvres,ilenfouitlesacdanssapocheetquittalamaison.
Bizarrement,Kanesesentaitlecœurlégeret,toutenchevauchantverslamine,ilseditquesavie
venaitdeprendreunnouveaudépart.
Enarrivantaupuits,KanevitReedWestfield,lepèredeLeander,s'installantàborddumonte-charge
pourdescendreaufond.Kanetiraalorsl'hommequil'accompagnaitparlamanche.
—Allezdoncvousreposerunpeu,jeprendsvotretour.
Toutendescendant,KaneexpliquarapidementàReed,quiétaitavocat,qu'enfaittoutcequi
appartenaitàFen-tonétaitàlui.
—Jeneveuxpasdesesminesetdesafortune,ditKane.
Jevoudraisquevousmedressiezundocumentquimepermettraitdetoutluirestituerlégalementet
qu'illelègueàquiilveut.Maisilfautfairevitecariln'enapluspourlongtemps.
—Jepaieunedemi-douzainedeclercsànerienfaire,rétorquaReedWestfield.Quediriez-vousde
demainmatin?Çavousparaîtsuffisammentrapide?
Kanehochalatêteetgrimaça,frappéparlapuanteurquirégnaitaufond.
CHAPITREXXX
Troisjoursaprèsl'explosion,ondénombraitquarante-huitvictimesetseptdisparus.Laplupart
étaientmortsaumomentdel'accident,maiscertainsn'avaientsuccombéquelongtempsaprès,
asphyxiésparlesgaztoxiques.
Enville,lesdrapeauxétaientenberneetonnepouvaitsortirfaireunecoursesansavoiràse
découvrirdevantuncorbillard.
LefiancédeSarahOakleyétaitmort.IlrevenaitdeLittlePamela,oùilavaitpassédeuxjoursd'affilée
àaiderlessauveteurs.Ilétaittellementépuiséqu'iln'avaitnivunientenduletrainaupassageàniveau
etquelalourdelocomotivel'avaitfauché,letuantsurlecoup.
LeanderetKane,aidésd'Edan,avaientobtenudeFentonlapromessedefaireconstruireuneunitéde
premierssecoursdansl'enceintemêmedelamine.Onmurmuraitquec'étaitKanequiavaitarrachésa
paroleauvieilhomme.
Aryanepassaitsesjournéesàallerauxenterrementsetàtenterdeconsolerlesveuvesetles
orphelins,s'assurantqu'ilsavaientsuffisammentàmanger.
ReedWestfieldretrouvaKaneàl'entréedelamineetluitenditunpapier.
—Voicicequevousm'avezdemandé,dit-il.Ilfaudrafaireunacteplusprécis,maiscelui-cisuffirasi
leschosesallaienttropvite.
Kaneparcourutrapidementledocument.
—Sivousvoulezbienlesignertoutdesuite,repritReed,jel'enregistreraiaussitôt.Jevousaiaussi
apportéundoublepourquevousleremettiezàFenton.
Kanesignaetsouritàl'avocat.
—Jecroisquejevaisallerluiapportersondoubletoutdesuite,dit-il.
Kanesautaàchevaletpartit.Ilnepouvaits'empêcherderessentirunpeudetristesseàl'idéeque
Fentonneseraitbientôtplus.Maisaprèstout,c'étaitnormal.Sonvieilennemifinissaitpardevenir
presqueuncompliceetpuis,jusqu'àl'âgededix-huitans,ilavaitgrandichezlui.Etpuis,aussi,Jacob
étaitlegrand-pèredeZacharie.Zacharie,quihériteraitdetoutelafortuneunjour...avecMarc.
Bizarrement,onsemblaittoujoursoublierMarc.
Commeilremontaitl'alléemenantàlamaison,Kaneconstataquelaported'entrée,réparéedepuis
sonpassage,étaitgrandeouverte.
Kanedescenditdechevaletpénétradanslamaisonenappelant.Silence...
IlgagnadirectementlebureaudeJacob,quisetrouvaitàl'arrièredelamaison,etydéposale
précieuxdocument.
Queseserait-ilpassés'ilavaitépouséPamela?Sansdouten'aurait-iljamaisfaitfortune.Entoutcas,
iln'auraitjamaisépouséAryaneetpeut-êtresansfortune,n'aurait-ellejamaisnonplusacceptéde
devenirsafemme.
Kaneappelaencore,maiscommepersonnenerépondait,ilsedirigeaverslacuisinepoursortirpar
l'office:uncheminqu'ilconnaissaitbien.
Enpassantdevantl'escalierdeservicequipermettaitauxvaletsetauxfemmesdechambredegagner
lequartierdesmaîtres,Kanefuttenté.Jamaisiln'étaitmontéàl'étageetilenavaittoujoursrêvé.
C'étaitaujourd'huioujamaispuisquelamaisonsemblaittotalementdéserte.
Kanegravitlesdegrésfurtivement,commeunvoleur.
Ilseretrouvadansunlongcouloirdontilouvritlesportesl'uneaprèsl'autre.Lespiècesn'avaient
riend'extraordinaire,avecleurslourdsmeublessombresetleurstenturestristes.
—Aryaneabienmeilleurgoût,murmura-t-il.
Kaneatteignitainsilepalieretdécidaderedescendreparl'escalierd'honneur.
Ilposaitlamainsurlabalustraded'acajoulorsqu'ilrestasoudainpétrifié.Aupieddesmarches,
recroquevillé,gisaitJacobFenton,visiblementmort.
Toutdesuite,Kanepensaqu'ilétaitarrivétroptard:jamaisJacobnesauraitqu'avantdemouriril
étaitenfindevenulepropriétairelégaldesafortune.Puislatristessel'enveloppad'unfroidmanteau.
Alorsquependantdesannées,àNewYork,JacobFentonn'évoquaitquedesheuresdetravailpénible
etdégradant,maintenantluirevenaientdetoutautressouvenirs.Ilserappelaitlesfoisoùill'avaitfait
enrager,refusantdeluipréparersonchevaloud'attelerunevoiture.Lesfoisaussioùilavaitpoussé
lacuisinièreàmettredesoignonsdanssesplats,sachanttrèsbienqueJacobnelesdigéraitpasetne
dormiraitpasdelanuit.
Kanesemitàdescendrelentementlesescaliers.IlenétaitàlamoitiéquandMarcetcinqdesesamis
firentirruptiondanslehall.Aleurallureetétantdonnél'étatdeleursvêtements,ilsrevenaientd'une
nuitdedébaucheenville.
—SiTaggertveutmeprendremonhéritage,disaitMarc,ilvafalloirqu'ilsebatte.Personneenville
n'oseralesoutenircontremoi.
Lesdeuxcréaturesfardéesetlestroishommesquil'accompagnaientserépandirentenapprobations.
—Marcchéri,fitl'unedesfemmes,oùestlewhisky?
Soudain,legroupeaperçutlecadavreetsefigea.MarcfutlepremieràreleverlatêteetilvitKane.
—J'étaisvenuvoirvotrepèrepour...
Kaneneputendireplus.
—Assassin!hurlaMarcensejetantdansl'escalier.
—Uninstant!Je...
MarcetsescompagnonssautèrentsurKaneettouslescinqdévalèrentl'escalier.Etantleseulà
n'avoirpasbu,Kanefutlepremieràseredresser.C'estalorsqu'unedesfemmesabattitsursoncrâne
unelourdestatuettedebronze.
Tousfixèrentquelquessecondescegrandcorpsd'hommeévanoui.
—Qu'est-cequ'onfait,maintenant?murmuraunedesfilles.
—Onvalependre!s'écriaMarc,tentantdesouleverKaneparlesépaulesmaisn'yparvenantpas.
Commepersonnenel'aidait,ilsefitpresquesuppliant.
—Maisenfin,dit-il,ilatuémonpère!
—Iln'yapasassezdewhiskysurcetteplanètepourmefairependreunhommeaussiricheet
puissantquelui,ditundeshommes.
Marctentadediscuter,maisilétaittropsaoulpouryparvenir.Finalement,sansunregardpourJacob
toujoursrecroquevilléàterre,lesquatrehommestransportèrentKanedansunevoitureetla
compagniequittalapropriété.
—Tiens,boisça,ditEdan,quisoutenaitlanuquedeKane.
Kanetentadeseredresser,maislemouvementluiarrachaungémissementdedouleuretilselaissa
denouveauallercontrelemurdepierre.
—Ques'est-ilpassé?grogna-t-ilenobservantEdan,Leanderetleshérifpenchéssurlui.
—Unmalentendu,expliquaLeander.J'airacontéaushérifl'histoiredudocumentetlaraisondevotre
présencechezFenton.
—Ilestmort,n'est-cepas?Ilenavaittoutl'aird'oùj'étais.Ladernièrechosequejemerappelle,c'est
MarcFentonetsescopains,complètementsaouls,sejetantsurmoi.
Edanvints'asseoirprèsdeKanesurlacouchettedelacellule.
—D'aprèscequenousavonspureconstituer,dit-il,JacobFentonesttombédansl'escalierquelques
minutesseulementavantquetuarrives.Touslesdomestiquessontpartisencourantchercherdu
secoursetontlaissélamaisongrandeouverte.QuandMarcetsesamissontrentrés,ilst'ontvuen
hautdel'escalieretFentonenbas.Ilsenontconcluquetul'avaispoussé.Tuasdelachance,Marc
voulaitcarrémenttependreàunarbredevantlamaison!
—Jenesaispassiçam'auraitfaitaussimalqueça,soupiraKane,portantunemainàsoncrâne.
—Vousêteslibre,monsieurTaggert,intervintleshérif.Etsij'étaisvous,jem'eniraisavantquemon
épousesacheoùjesuis.Lesfemmesn'aimentpasbeaucoupapprendrequeleursmarissontenprison.
—PasAryane,murmuraKane.Mêmesionm'avaitpenduelleauraitaccueillilanouvellesansbattre
d'unepaupière.
Ilsemitalorsàréfléchir.Quelleauraitétélaréactiond'Aryaneenapprenantqu'ilétaitunassassin?
D'autantque,s'ilnesetrompaitpas,lesmeurtrierssevoyaientconfisquertousleursbiens...
—Quiestaucourantdecettehistoire?demanda-t-il.LesdomestiquesdesFentonpeuventprouver
quejesuisinnocentmaislesait-onenville?
—J'aiappeléLeanderdèsquelejeuneFentonvousadéposéici,ditleshérif.
—Lamineretienttoutel'attention,expliquaLeander.
Personnenes'intéresseàcequipeutsepasseràlaprison.
—Oùveux-tuenvenir?interrogeaEdan,quicommençaitàconnaîtresonKane.
—Shérif,repritKane,verriez-vousuninconvénientàcequejepasselanuitici?J'aimeraisfaireune
petitefarceàmafemme.
—Unefarce?Méfiez-vous,lesfemmesn'aimentgénéralementpasça.
KaneregardaLeanderetEdantouràtour.
—Puis-jecomptersurvouspourgarderlesilencependantvingt-quatreheures?
EdanjetaàLeanderunregardencoin.
—J'aicommedansl'idée,dit-il,quenotreamiKaneestcurieuxdevoirlaréactiond'Aryanesielle
apprendqu'ilestaccusédemeurtre.Jemetrompe,Kane?
—Quelquechosecommeça.
—Jeneveuxpasmemêleràvoshistoiresd'amour,monsieurTaggert,fitleshérif.Sivousvoulez
resterici,libreàvous.Maisjedoisvousprévenirquelamunicipalitévousdemanderadepayeretque
çavouscoûteraaussicherquelemeilleurhôteldeSanFrancisco.
—Pasdeproblème.Leander?Edan?
Leanderhaussalesépaules:
—Vousfaitescequevousvoulez.JenesaispascommentAryaneréagira.Jelaconnaisdepuis
toujoursmaisenfaitj'ignoretoutd'elle.
Edanréfléchitlonguement.
—Kane,dit-ilenfin,quandAryaneauraréussicetexamen
—etjesaisqu'elleleréussira—tedécideras-tuenfinàluifaireconfiance?Ilseraittempsdenous
remettreauxaffairescaràl'heurequ'ilestVanderbiltadûs'achetertoutelacôteEst.
—Onlaluirachèterademain,dèsquejeseraisortid'ici.
Lesvisiteurspartis,Kanes'allongeasursacouchetteets'endormit.
Aryaneberçaitunbébédetroismoisdanssesbras,prèsdulitoùdormaientsasœurdetroisanset
sonfrèredequatre.
Ilsn'étaientquequelques-unsdesnombreuxorphelinsdeChandlerdepuislecoupdegrisou.
AryaneetDorianeavaientmontéunegarderiepourpermettreauxveuvesdechercherdutravailet,
quandleshérifadjointarriva,Aryanesedemandacequ'illuivoulait.
—VotremariaétéarrêtépourlemeurtredeJacobFenton,annonça-t-il.
Lanouvellemitunmomentàsefrayerunchemindansl'espritdelajeunefemme.Cettefois-ci,çay
était,lacolèreavaitfaitperdreKanetoutsoncontrôle.
—Quand?parvint-elleàmurmurer.
—Cematin.Toutlemondeenvillesaitqu'ilavaitmenacédeluitordrelecou.C'estvraiqueFenton
étaitaussinoirquelepéché,maisçanechangerien.Quevousayeztuéunhommebonoumauvais,
onvouspendaveclamêmecorde.
—Jevousprieraisdebienvouloirnepasjugeretencoremoinscondamnermonmaritantquecette
affairen'aurapasétééclaircie,fitAryane,glaciale.
Elleseleva,trèsdigne,etluicollalenourrissondanslesbras.
—Tenez,occupez-vous-en!Moi,jevaisvoirmonmari.
—Maisvousn'ypensezpas!Jesuisenservice!Jesuisshérifadjoint!
—Shérif,vraiment?Jevouscroyaisjuge!Vérifiezqu'iln'estpasmouillé.S'ill'est,changez-le.Les
langessontdansl'armoire.Silesautresseréveillent,vousn'aurezqu'àleurraconterunehistoire
pourlesrendormir.Leurmèreseraderetourdansdeuxheures.
—Deuxheures!Mais...
Lelandaud'Aryaneétaitdehorsetellefitlecheminjusqu'àlaprisonenuntempsrecord.C'étaitune
petitebâtissedepierreadosséeàunecollineausortirdelaville.Laplupartdesespensionnaires
n'étaientquedesivrognesinculpésdetapagenocturneoudebrisdivers.Lescasvraimentsérieux
étaientenvoyésàDenverpouryêtrejugés.
—Bonjour,mademoiselleDaryane,fitleshérifenselevantàsonentrée.
—MadameTaggert,corrigea-t-elle.Jeveuxvoirmonmariimmédiatement.
—Biensûr.
LeshérifdécrochaletrousseaudeclefsquipendaitàunclouetouvritunecelluleàAryane.Lajeune
femmes'approchadeKane,endormisursacouchetteetvitlesangcoagulédanssescheveux.
—Kane,monamour,quet'ont-ilsfait?
Tandisquelesverrousserefermaientsurelle,ellecouvritdebaiserslevisagedesonmari.
—Aryane,murmuraKaneensefrottantlatête.Ques'estilpassé?
—Tunet'ensouvienspas?OnditquetuastuéFenton.
C'estvraioufaux?
—Faux!s'écria-t-iltandisquelajeunefemmes'accroupissaitdevantluietposaitsatêtesurses
genoux.Dumoins,jelecrois.Jenesaisplus,jen'arrivepasàmerappeler.
—Raconte-moicedonttutesouviens.
—JesuisallévoirFentonetlamaisonétaitvide.Jesuismontéàl'étagepourtenterdeletrouver.Et
quandjesuisarrivéenhautdesgrandsescaliers,ilétaitlà,enbas,parterre.
Mort.Uneminuteaprès,MarcFentonestarrivéavecdesamisetilssesontjetéssurmoiendisantque
j'avaistuélevieux.J'aiétéassomméetjemesuisréveilléici.
Aryaneluijetaunregardangoissé,puisselevaetsemitàfairelescentpasdanslacellule.
—Tonhistoireestbienmince.
—Mince?Mais,Aryane,c'estlavérité!Jetejure.
—Tuétaisseuldanslamaison?Personnen'avuFentonmortavantquetuyentres?
—Iln'yavaitpersonnequandjesuisarrivémaisjenesaispassiquelqu'unl'avaitvuavant.
—Detoutefaçon,çanechangerien.Cequ'ilfaudrait,c'estquelqu'unquil'aitvumourir.Yavait-ilun
témoin?
—Jenesaispas,mais,Aryane...
—Kane,coupa-t-elle,toutlemondeàChandlert'aentendudirequetuvoulaistordrelecoudeJacob
Fenton.S'iln'yapasdetémoinoculaire,jamaisnousnepourronsprouvertoninnocence.Oh,mon
Dieu,qu'allons-nousfaire?
—Jenesaispas,maisjecommenceàm'inquiéter.
Aryane,ilfautquejetedise,c'estausujetdel'argent.
—Pourquoies-tualléchezFenton?Tun'avaisquandmêmepasl'intentiondeletuer?
—Biensûrquenon.J'allaisjusteluiremettreundocumentluilaissantl'entièrepossessiondeses
biens.Maisilfautquejet'expliqueausujetdemonargent.Sijesuiscondamné,tuneseraspas
seulementveuve:tun'aurasplusunsounonplus.Taseulechancedesauverquelquechose,c'estdete
séparerdemoiavantquejepassedevantletribunal.
Commeça,turéussirasàsauvegarderquelquesmillions.
MaisAryanen'écoutaitpas.
—Qu'as-tuditquetuétaisalléfairechezFenton?
—Luiapporterunpapierstipulantquejerenonçaisàtousmesdroitssursespropriétés.Ilétaitdéjà
mortetilnel'aurajamaissu.Maisrevenons-enàtoi.Situveuxavoirdel'argent...
—Tuasrenoncéàtavengeance?murmuraAryane.
—T'esencoreentraindeparlerdeça?Jet'aidéjàditquejevoulaissimplementl'inviteràmatable
dansunemaisonplusgrandequelasienne.J'airéussiàlefaire.Quelmalya-t-ilàça?
—Tuvoulaisaussiavoiruneladypourfemme.Tum'asépouséeparceque...
—Ettoi,tum'asépousépourmonargent!coupaKane.Etmaintenant,tuvasperdrejusqu'audernier
sousionmependpouruncrimequejen'aipascommis.
Aryaneseleva.Kaneneluiavaitpasdituneseulefoisqu'ill'aimait,maiselleenétaitsûre.Chaque
fibredesoncorpsleluicriait.Ils'étaitmariéavecellepourassouvirunestupidevengeance,maisil
étaittombéamoureuxd'elledansleprocessus.Etc'étaitcetamourquiluiavaitpermisdepardonnerà
l'hommequiluiavaitfaittantdemal.
—Ilfautquejem'enaille,dit-elle.J'aiénormémentdechosesàfaire.
Lajeunefemmenevitpasl'éclairdedétressequitraversalesyeuxdesonmari.
—Jesupposequ'ilfautquetuvoieslevieuxWestfieldpourcettehistoired'argent,fit-il.
—Oui,peut-êtreconviendra-t-il,réponditAryane,plongéedanssespensées.Surtout,net'inquiète
pas,jesaisexactementcequej'aiàfaire.
Lajeunefemmedonnaunbrefbaiseràsonmaripuisappelaleshérifpourqu'illalaissesortir.
Kanerestauninstantfigéaumilieudesacellule,incapablederéagir.Manifestement,Aryaneavait
sautésurl'occasionqu'illuioffraitdesedébarrasserdelui!
Ilgrimpasursacouchettepouratteindrelalucarneetvoirlelandaud'Aryanedisparaîtresurlaroute.
Kanedutalorsluttercontreleslarmesquisoudainbrouillaientsavue.
«Unedeperdue,dixderetrouvées»,sedit-il,maisledictonneluiréchauffaenrienlecœur.
—Shérif!cria-t-il.Vouspouvezmelaissersortirmaintenant.Jesaistoutcequejevoulaissavoir.
—Pasquestion,monsieurTaggert,ditl'homme.LavilledeChandleratropbesoindel'argentde
votrepensionici!
Sansunmot,Kaneregagnasacouchette:dormirlàouailleurs,quelleimportance?
CHAPITREXXXI
—Tuessûrdesavoircequetuesentraindefaire?
demandaunefoisdeplusAryaneàIan.
Ianopinaduchefetjetaunbrefcoupd'œilàlapetitecaisseàl'arrièreduchariot.Asescôtés,
Zachariesetenaittrèsdroit,lesyeuxbrillantsd'excitation.Ilétaitencoretropjeunepourserendre
comptedudangerdeleurentreprise.
—Çanerisquepasdepartirtoutseul?repritAryane.
—Non,réponditIanenregardantdenouveaulapetitecaissequicontenaitladynamite.
Apparemmentsatisfaite,lajeunefemmeseconcentrasursonattelage.
Elleavaitpratiquementmisvingt-quatreheurespourorganiserl'opérationdecesoir.Elleavaittout
desuitesucequ'ellevoulaitfaireetcomprisqu'aucunadulteresponsablen'accepteraitdel'aider.
Elles'étaitd'abordouverteàIan,luiexpliquanttouslesrisquesqu'ilencourraitenprenantpartàson
projet,maislejeunehommeluiavaitréponduqu'illuidevaitdéjàtantdebienfaitsqu'iln'avaitrienà
luirefuser.C'étaitdetoutcœurqu'illuiapporteraitsonaide.
LajeunefemmeavaitprotestéquandIanluiavaitannoncéqu'ilallaitmettreZachariedansla
confidence,maisils'étaitmontréinflexible:ilnepourraitrienfaires'iln'avaitpersonnepourle
seconder.
Aminuit,AryaneetIans'étaientretrouvésàlaminedeLittlePamela.Ilyrégnaittoujoursunetelle
confusionqu'ilsavaientpufairesautersansêtrevuslecadenasquifermaitlaréserved'explosifset
volerdequoifairedisparaîtreenfuméedeuxbonspâtésdemaisons.
BienqueIanprotestâtquecelaleurfaisaitperdredutemps,Aryaneavaittenuàremettrelachaîneet
lecadenassurlaportedelaremise.
Ilsavaientensuiteregagnélechariotavecleurbutin,tentantdesefaireremarquerlemoinspossible.
PlusieurspersonnesavaientnéanmoinsaperçuAryaneetluiavaientditbonjourmaisnulnes'était
étonnédelavoirlà.
AryaneetIanétaientdéjààmi-chemindeChandlerquandilsavaienttrouvéZacharie,surlaroute,qui
venaitàleurrencontre.Ilétaitpasséparlafenêtredesachambresansquepersonnelevoie.
—Tun'aurasriend'autreàfairequeresterauprèsdeschevaux,l'avaitavertiAryane.Etsitôtqueton
pèreetmoiseronsenselle,jeveuxquevousrentrieztouslesdeuxchezvous.Ian,peux-turentrer
facilementchezEdansansêtreremarqué?
—Aucunproblème.
—Ettoi,Zacharie?
Legarçonavalasasaliveavecdifficulté.Lacordequiluiavaitpermisdes'échappers'étaitcassée
quandiln'étaitplusqu'àdeuxmètresdusoletiln'avaitplusaucunmoyenderemonteràsachambre.
—Moinonplus,mentit-il,pasdeproblème.
Ilsatteignirentlaprisonàtroisheuresdumatin.Quelquesheuresplustôt,Aryaneavaitdéjàdissimulé
deuxchevauxàproximité.Chacunétaitlestédesacscontenantvêtements,nourritureetassezd'argent
pourtenirpendantaumoinsdeuxmois.
AryanearrêtalechariotassezloindelaprisonetinspectaattentivementlesalentourstandisqueIan
descendaitlacaissededynamite.Ellesavaitqu'ilavaitacquisunecertaineexpériencedesexplosifs
quandilétaitàlamine,maisellen'étaitpassûrequ'ilsachefairesauterlemurd'uneprison...
—Jevaismettrequelquesbâtonsàlabasedecemurquiépouselapentedelacolline,expliqua-t-il.
Commeça,lemurglisseradoucementetunebrècheseformera.Kanen'auraqu'àsauterdepuisle
premierétagesurledosdesoncheval.Onnepeutrêverplussimple.
—Uncouptrèssimple,eneffet,murmurasombrementAryane,etquirisquedenousmeneren
prisonpourlerestantdenosjours.
Laveille,quandKaneluiavaitditqu'ilrisquaitd'êtrependupouruncrimequ'iln'avaitpascommis—
etpourêtrehonnêteavecelle-mêmeAryanedevaits'avouerqu'ellesemoquaitquecefûtvraiounon
—,elleavaittoutdesuitesuqu'ilfallaitfairequelquechosepourledélivrer.AprèscequeKaneavait
faitpourlesminesdepuislacatastrophe,toutelapopulationdeChandlerlesoutiendrait,maisle
procèsauraitsansdoutelieuàDenveretlesgensdelà-basn'auraientaucuneraisondesemontrer
clémentsàsonégard.Comme,desurcroît,Kanen'avaitaucuntémoinàdécharge,Aryaneétait
certainequ'ilseraitcondamné.
Ilfallaitdoncledélivrerauplusvite,ettantpiss'ilsdevaientpasserlerestedeleurviecommedeux
fugitifs.
L'essentielétaitderesterensemble.Ilsiraients'installerauMexiqueetDorianetrouveraitbienun
moyendeleurfaireparvenirdel'argentrégulièrement.
Nepaspouvoirdireaurevoiràsafamilleetàsesamisétaitbienleseulregretdelajeunefemme,
d'autantqu'ellenepourraitmêmepasleurécrire,carseslettresauraientrisquédemettrelapolicesur
latracedeKane.
AryaneditàZacharied'allerchercherleschevauxetdelesramenerleplusprèspossibledelaprison
enlestenantfermementparlabride.
Lesmainsdelajeunefemmetremblaienttandisqu'elleaidaitIanàinsérerlesbâtonsdedynamiteàla
basedumur.
Lorsqu'ilseurentterminé,AryanegrimpasurlesépaulesdeIanpourregarderparlalucarnedela
cellule.
—Dites-luidemettresonmatelassursatête,soufflalejeunehomme.
—Tuessûrdenepasavoirtropmisdedynamite?
demanda-t-elle.Ilnerisquerien?
—Arrêtezdeposertantdequestions.Vosbottesmefontmaletjenevaispaspouvoirtenircommeça
longtemps.
AryaneaperçutlagrandesilhouettedeKaneaffaléesursonmatelas.Ellejetauncaillouàl'intérieur
delacellule,maisilneseréveillapas.Ilenfallutfinalementsixpourqu'ilouvreenfinunœil.
—Kane!
—Aryane?C'esttoi?Maisquefais-tuicienpleinmilieudelanuit?
—Jen'aipasletempsdetedonnerdedétails,maisIanetmoiallonstefairesortirdelà.Onvafaire
sautercemuràladynamite.Alorsmets-toilà-basdanslecoinetrecouvre-toidetonmatelas.
—Quoi?Deladynamite!Ecoute,Aryane,ilfautquejetedisequelquechose...
—Aryane,ditIan,dépêchez-vous,jenevaispasrestercommeçalongtemps.
—Faiscequejet'aidit,repritAryane.Quandlavoieseralibre,saute,j'aiunchevalpourtoi.Je
t'aime.
Kanerestaunmomentaumilieudesacellule.Ainsi,aulieudes'enfuirenempochantsonargent,
Aryaneavaitmisaupointunplanpourlefaireévader!Ilsemitàsifflotergaiement,lesmainsdans
lespoches.Legrésillementd'unemècheleramenaàlaréalité.
—BonDieu,ladynamite!s'écria-t-il,seprécipitantàl'autreboutduréduit,serrantsonmatelas
contrelui.
Jamaisiln'avaitentendupareilleexplosion.Kanecrutquesatêteéclataitenmillemorceaux.
Aryane,ZacharieetIans'étaienttapisderrièreunrocheret,dansunbruitd'enfer,ilsvirentlatotalité
dumurdelaprisonglissersurlui-même,mettantànulebâtimentsurlahauteurdedeuxétages!
Kaneétaitrecroquevillédanssoncoinet,quandlapoussièreretombaenfin,ilnebougeapas.
—Onl'atué!criaAryaneenseprécipitant,Iansursestalons.
—Non,fitIan,maisildoitêtresourd.Kane!appela-t-il.
CommeKanenerépondaitpas,Ianescaladaletasdegravatsetsehissaàl'intérieurdelacellule
éventrée.
Ilarrachalematelasquirecouvraitleprisonnieret,commecelui-cinecomprenaitpasuntraîtremot
decequ'ilpouvaitluidire,Ianeutrecoursauxgestes.
Kaneparaissaitcomplètementidiot.L'explosionl'avaitsonné.Iandutlepousserpourluifaire
dégringolerletasdemoellons.
Aryaneétaitdéjàenselle.Kanesetenaitlatêteàdeuxmainsetsemblaitsouffrir.Ianlepoussaetil
finitparmontersursoncheval.
—Vousdeux,rentrezchezvousenvitesse,ordonnaAryane,tandisquelesgens,alertésparlebruit
del'explosion,commençaientàseprécipiterverslaprison.
Ellepiquadesdeux,suiviedeKane,etilsprirentaugrandgalopladirectiondudésert.
Fuyantàtouteallure,lajeunefemmeseretournaitrégulièrementpourvérifierquesoncompagnonla
suivaitbien.
Kaneétaittoujourslàmaisilavaittoujoursl'airaussiéberlué.
Versmidi,ilss'arrêtèrentàunrelaisdediligenceàmi-cheminentreleColoradoetleNouveauMexique.Là,pourunprixexorbitant,Aryaneachetadeschevauxfrais.
—Vousêtessûrequ'ilvabien?demandal'hommeendésignantKane,qui,lefrontappuyécontreun
mur,necessaitdesefrotterlecrâne.
—Vousnenousavezjamaisvus,réponditAryaneenluiglissantunbilletdevingtdollars.
—Jenememêlejamaisdeshistoiresdesautres,rétorqual'homme,enfouissantl'argentdanssa
poche.
AryanetentadeparleràKane,maisilsecontentadefixerseslèvresenouvrantdegrandsyeux.
Usmangèrentàchevalet,mêmelorsquelanuitfuttombée,ilsnes'arrêtèrentpas.Aunmoment,Kane
essayadeparlermais,commeiln'entendaitpassaproprevoix,ileutrecoursauxgestes.Aryanefinit
pardevinerqu'ilvoulaitsavoiroùilsallaient.
—AuMexique!Mexique!dut-ellerépéterquatrefoisavantqu'ilcomprenne.
Kaneparutvouloirprotester,maisAryaneneluienlaissapasletemps.Ellerepartitaugrandgalop.
Sansdoutenevoulait-ilpasmettresavieendanger,maiss'ildevaitpassersonexistencedansla
clandestinité,lajeunefemmeavaitlafermeintentiondedemeureràsescôtés.
—STOP!hurlaKane.ONS'ARRÊTEICIPOURLANUIT!
JamaisAryanen'avaitentenduquelqu'unparlersifort.
Kanesetut,descenditdechevaletallaattachersamontureàl'abrid'unbosquet.Lajeunefemme
voulaitcontinuer,mettreunmaximumdedistanceentreChandlereteux,maisellesesoumit.PeutêtreKanesouffrait-iltroppourpouvoirgaloperainsitoutelanuit...
Aryaneretiraitlaselledesonchevallorsqu'ellerencontraleregarddeKane.Jamaisencoreellene
l'avaitvusifarouche,presquemenaçant.
Ilvintàelle,luiarrachalaselleetlaserradetoutesesforcesdanssesbras,lacouvrantdebaisers,
ôtantunàunsesvêtements.
—Kane,monamour,monseulamour,murmura-t-elle.
Kanel'allongeasurl'herbeetlapritavecunepassionintense,uneviolencequ'Aryanenelui
connaissaitpas.
Plustard,ilallas'occuperdeschevauxetquandlajeunefemmeluifitremarquerquecen'étaitpeutêtrepasprudent,illuihurladeluifaireconfianceetelleobéit.
Kanepréparaàmanger,puisiléteignitlefeu,vints'allongerprèsd'Aryaneetlapritdanssesbras.
Quelquessecondesplustard,ilsdormaientàpoingsfermés.
CHAPITREXXXII
IlfaisaitgrandjourquandAryaneseréveilla.Kanelatenaitserréecontresoncœuretsouriaitaux
anges.
—Ilfautpartir,dit-elle,s'asseyantetcommençantàramassersesvêtements.Ilsnesesontsûrement
pasarrêtésaussilongtempsquenousetilsserontbientôtlà.
—Lesvilainsgendarmesetlegentilvoleur,souritKaneenl'attirantàlui.
—Cen'estpaslemomentdeplaisanter!
—Aryane,quelesttonplan?Pourquoiveux-tuàtoutprixatteindreleMexique?
—Jet'expliqueraiplustard.Viens,ilfautsellerleschevaux.AuMexique,onpourrasecacher,repritelle,s'occupantdesamonture.
—Combiendetemps?
—Pourtoujours,biensûr!Jenecroispasqu'ilyaitprescriptionquandils'agitd'unmeurtre.Là-bas,
onsedébrouilleraetonnenousposerapasdequestions.
—Uninstant,fitKane,laprenantparlebras.TuveuxdirequetuesprêteàallervivreauMexique?
Tuveuxbienmeneruneviedehors-la-loiavecmoi?
—Evidemment!Maintenant,jet'enprie,selletoncheval,iln'yapasdetempsàperdre.
Aryanen'enditpasdavantage:Kanevenaitdelaprendredanssesbras.
—Monamour,fit-il,jamaisquelqu'unnem'avaitencoreditquelquechosed'aussibeau.Tutemoques
demonargent,alors?
—Kane!s'énervalajeunefemme,jet'enprie,lâche-moi.
Ilsvontfinirparnousretrouverettu...
Kanelafittaired'unbaiser.
—Personnenenouscourtaprès,reprit-il.Saufpeut-êtreleshérifparcequetuluiasmissaprisonen
miettes.Oh,Aryane,j'aimeraisbienvoirsatête!
Lajeunefemmenevoyaitpasbienoùilvoulaitenvenirmaisunepeursoudaineluinoual'estomacet
ellereculad'unpas.
—Çat'ennuieraitdet'expliquer?
—Jevoulaissavoircommenttu...,commença-t-il,embarrassé,commentturéagiraissijen'avaisplus
d'argent.
Aryaneluilançaunregardàglacerdeterreurunbataillondetireursd'élite.
—J'aimeraissavoircequis'estréellementpasséavecJacobFenton.
—Aryane,jenet'aipasmenti.Disonsquejen'aipasdittoutelavérité.J'aieffectivementtrouvé
Jacobmortaupieddel'escalieretj'aibeletbienétéconduitenprison.Maislesdomestiquesl'avaient
déjàtrouvéetsavaientdoncqu'ilétaitmortavantquej'arrivelà-bas.
—Alors,pourquoiétais-tutoujoursenprison?Pourquoinet'a-t-onpasrelâchéimmédiatement?
—Jevoulaissavoirsitum'aimaisuniquementpourmoi.
Tusais,quandtuespartieaprèstavisitedansmacellule,j'aivraimentcruquetuallaistrouverReed
Westfieldpourvoircequetupouvaissauverdemafortuneavantquejesoispendu.
—Tuascruça?Tum'ascrueassezbassepourabandonnerl'hommequej'aimealorsqu'ilestaccusé
demeurtre?
Aryaneluitournaledos.
—Machérie,comprends-moi!Jevoulaisêtresûr.Jenem'attendaispasàcequetufassessauterla
prisonaurisquedemetuer!
—Tut'enestrèsbienremis!
—Aryane,jet'enprie,netemetspasdanscetétat.Cen'étaitqu'uneplaisanterie.Tun'asdoncplus
d'humour?Toutlemondeenvilleva....
—Oui,coupa-t-elle,continue.Toutlemondeenvillevafairequoi?
—Peut-êtrequ'ilsnesesontaperçusderien...
—Vraiment?Tucroisça?J'aifaitsauterunmurépaisd'unbonmètre,etsurdeuxétages,ettoutle
mondeacontinuéàdormirsursesdeuxoreilles!Etsansdoutelesdégâtssont-ilssiminimesque
tousceuxquisontpassésdepuisdevantlaprisonn'ontrienremarqué!Ettucroisaussiqueleshérif
vagarderpourluil'histoiredusiècle:unedesjumellesChandlerdynamitantlaprisonpoursauver
unmariblanccommeneige!
—Aryane,essaiedecomprendremonpointdevue.Jevoulaistellementêtresûrquetum'aimais!
J'enaieul'occasionetjel'aisaisie.Onnepeutpasenvouloiràunhommed'avoirtentésachance.
—Ehbien,si,jet'enveux.Etj'aimeraisquepourunefoistum'écoutes.Jet'aidéjàditquejet'aimais,
toi,etpastonmauditargent.C'estclair?
—Tum'asaussiditquetunepouvaispasvivreavecunhommequetunerespectaispasettues
revenue.Çanem'ad'ailleurspasdemandébeaucoupd'efforts.Ilfautcroirequetun'arrivespasàme
résister.
—Tu...,s'étouffaAryane.Tuesl'hommeleplusprétentieuxquelaterreaitjamaisporté!Jeregrette
biendet'avoirfaitévader.Ilsauraientdûtependre!
Lajeunefemmesautasursonchevaletpartitaugalop.
—Aryane,attends-moi!Cen'étaitqu'unefarce,jenevoulaispastefairedemal!
Ilschevauchèrenttoutelajournéeet,touteslescinqminutes,soitKaneprésentaitdesexcuses,soitil
tentaitdepersuaderlajeunefemmedelecomprendre.Ilessayaaussideluifairevoirlecôtécomique
delasituationmaislàencoreilseheurtaàunmur.
Aryanen'écoutaitmêmeplus.Ellenepensaitqu'auxhabitantsdeChandler.Aprèslacatastrophe
survenueàlamine,ilsseraientravisdepouvoirs'amuserunpeuetsonaventureseraitsurtoutesles
lèvres.Leshérifenrajouteraitsûrementetlagazetteenferaitsesdélices.
Quantàl'attitudedeKane,Aryaneenétaitulcérée.Elleluiavaitdonnétoutsonamouretiln'avait
trouvériendemieuxqued'endouteràlafacedetoutelaville!Quellehumiliation!
Aryaneeutunavant-goûtdecequil'attendaitlors-qu'ilsatteignirentlerelaisdediligence.L'homme
leurdemandas'ilsétaientcecoupledeChandlerdontilavaitentenduparler.Ilnepouvaitpenserà
leurhistoiresansêtreprisdefourireet,quandilspartirent,iltintàleurrendrelesvingtdollarsque
lajeunefemmeluiavaitdonnés.
—Cettehistoireenvautcent!rit-il,assenantuneforteclaquedansledosdeKane.Reprenezvotre
billet,jenevousendevraiplusquequatre-vingts!
Denouveausurlaroute,Kanetentaderaisonnersafemmemais,àchaquefoisqu'ilrepensaitaux
événementsdelaveille,ilavaitleplusgrandmalàgardersonsérieux.
—JetereverraitoujoursaccrochéeauxbarreauxdelafenêtreavecIanquiseplaignaitquetesbottes
luirentraientdanslesépaules!Touteslesfemmesàl'ouestduMississippivontêtrejalousesdetoi.
Ellesaimeraienttantavoirelles-mêmeslecouragedetirerleursmarisdesgriffesdelamort...
Ils'arrêtalàcarAryanevenaitdelancersonchevalàtouteallure.
QuandilsatteignirentChandler,laréalitédépassatoutcequ'Aryaneavaitpuredouter.Commepar
hasard,lesgensavaientjustementchoisidesepromenersurlaroutequimenaitàlademeure
Taggert,etdanslacour,touslesdomestiquesétaientlà.
Avectouteladignitédontelleétaitcapable,AryanegagnalaportedelacuisinetandisqueKane
descendaitdechevaldanslacourd'honneur.
LajeunefemmepassadevantlesfourneauxsansrépondreauxquestionsdeMmeMurchinsonet
montadirectementàsachambre,où,aprèsavoirrenvoyéSusan,ellesefitelle-mêmecoulerunbain.
Enfin,ellesecouchaets'endormit.
ElleentenditvaguementKanepénétrerdanslachambremaiscontinuaàfairesemblantdedormiretil
s'enalla.
Aprèsneufheuresdesommeiletunsolidepetitdéjeuner,Aryanenesesentitpasdemeilleure
humeur.
Ellesortitsursaterrassefleurieetconstataqu'ilyavaittoujoursautantdemondedanslarue.
Kanevintlavoiretluiannonçaqu'ilpartaitpourLittlePamelavoirsil'onavaitbesoindequelque
chose.
Aryanevoulait-ellesejoindreàlui?Lajeunefemmedéclinal'offred'unsignedetête.
—Tunepeuxpasrestercachéeéternellement.Pourquoin'es-tupasfièredecequetuasfait?Moi,je
lesuis!
Unefoisseule,Aryaneréfléchit.Kaneavaitraison:ilfallaitaffronterlesgensetleplustôtseraitle
mieux.Lajeunefemmes'habillaetdescenditdemanderqu'onluipréparesonlandau.
Cefutencorepluspéniblequ'ellesel'imaginait.Personnenevoyaitenelleunehéroïne,maisbien
unefemmestupidequis'étaitaffoléepourpasgrand-choseet,enagissantsansréfléchir,s'était
couvertederidicule.
Aryaneserenditàlamine,espérantquelà,lesgensauraientmoinsenviederired'elle.Hélas,ellese
trompait.Bienaucontraire,tousétaientravisdepouvoirsedivertiràboncompteaprèslesterribles
joursqu'ilsvenaientdetraverser.
Enfindejournée,PamelavinttrouverKaneetAryanesurpritsanslevouloirleurconversation.
—Lejourdumariage,criaitlajeunefemme,tuasditquepourrienaumondetunevoudrais
l'humilier!Alors,dis-moiunpeucequetuesentraindefairemaintenant?
Sentirqu'aumoinsquelqu'unprenaitsadéfenseremitunpeudebaumeaucœurd'Aryane.
Rentréeàlamaison,Kanefitencoreunetentativepourluiparlermaisellenevoulutrienentendre.Il
finitparsortirenclaquantlaporte,luilançantquedécidémentellen'avaitaucunsensdel'humour.
Cesoir-là,Aryanepleuralongtempsdanssonlitavantdetrouverlesommeil.
CHAPITREXXXIII
Lelendemain,AryaneenvoulaittoujoursterriblementàKaneetnesupportaitplusl'idéedesortirde
lamaison.
Ellearrangeaitdesfleursdanslehallquanduneconversationluiparvintdubureau,dontlaporteétait
restéeouverte.
Kane,Rafe,LeanderetEdandiscutaientdelasituationàlamine:ilfallaitfairequelquechosepour
lesveuvesetlesorphelins,sinonilsnetoucheraientaucundédommagement.
Lajeunefemmenepouvaitseretenird'êtrefièredel'attitudedesonmari,maissoudainunequestion
deLeanderlafitsursauter.
—Est-celàlafacturequevousaenvoyéelamunicipalité?
—Oui,ilsmeréclamentcinqcentsdollarspourréparerlemurdelaprison.Jecroisquejamais
encorejen'avaispayéunefactureavecautantdeplaisir.
—Onpourraitpeut-êtrefaireunecérémoniepourl'inaugurationdecenouveaumur,ditRafe.Aryane
couperaitleruban.
—SitoutefoisellereparleunjouràKane,fitsombrementEdan.
—CommentsavoircommentréagiraAryane?repritLeander.Elleneressembleenrienàlajeune
fillequej'aiconnue.Jemesouviensd'unsoiroùnousdevionsallerdanseretoùelleavaitmisune
trèsjolieroberouge.Gatesluiafaituneréflexioncommequoilacouleurétaittropvoyanteet,toutle
longduchemin,elleaserrésonmanteausurellepourtenterdedissimulersarobe.Quandnous
sommesarrivésaubal,elleavaitl'airtellementennuyéequejeluiaiditqu'ellepouvaitgarderson
manteausiellelesouhaitait.Ehbien,ellenel'apasenlevédelasoiréeetelleestrestéeassisedans
soncoin.Onauraitditqu'elleallaitsemettreàpleurer.
Aryanes'immobilisa,unefleuràlamain.Sepouvait-ilquel'onpuissevivrelamêmehistoirede
façonsidifférente?Peutêtreaprèstoutavait-elleétéstupidedesegâchercettesoirée.
IlluisemblaitsesouvenirmaintenantquelasœurdeLeanderportaitsouventcettenuancederouge.
Lajeunefemmecontinuasonbouquetensouriant.
—Entoutcas,ditKane,jel'aiéchappébelle.Vousnepouvezpasvousimaginerl'effetqueçafait
d'apprendrequel'onadeladynamitesouslespiedsetden'avoiraucunendroitoùcourir!
—Arrêtedeteplaindre!rétorquaEdan.Enfait,tuesravi.
—Dommagequevousn'ayezpuvoircequis'estpasséaprèsl'explosion,ritLeander.D'abord,toutle
mondeacruàunnouveaucoupdegrisouetlamoitiédeChandlers'estretrouvéeàdeminuedansles
rues.Ensuite,onadécouvertlaprisonetpersonnen'arrivaitàcomprendre.C'estEdanquis'est
souvenulepremierquevousétiezdedans.
Aryanelaissaéchapperunpetitrire,maissereprit.
—Quandj'aivul'étatdelaprison,enchaînaEdan,j'aitoutdesuitecomprisqu'Aryaneétaitdansle
coup.Vousêtestousàlaportersurunpiédestalmaismoi,jel'aisuivie.Etc'estfoucequ'ellecache
derrièresesairsdeprincesse.
Aryaneavaitdeplusenplusdemalàcontenirsonrire.Lavoixd'Edans'étaitfaiteàlafois
désapprobatriceetadmirativeetlajeunefemmesesouvintqu'ilavaitassistédepuissoncagibiàsa
petitefêted'unsoir.
Peuàpeu,illuirevintenmémoiretouteslesexcentricitésqu'elleavaitpucommettrecesderniers
mois.Lamanièredontelleescaladaitlerosierendéshabilléuneheureàpeineavantsonmariage;
touscesgensqu'elleavaitinvitésàvenirvivreici,sansmêmeenparleràKane;enfin,leplusénorme
:elleavaitréveillétoutelavilleàtroisheuresdumatinenfaisantsauterlaprisonàladynamite!
Cettefois,Aryaneneputplusseconteniretellefutprised'untelfourirequ'elledutseraccrocheràla
consolepournepasperdrel'équilibre.
Aussitôtleshommessortirentdubureauencourant.
—Aryane,machérie,tuvasbien?s'inquiétaKane.
Iltentadelaprendredanssesbrasmaisellesetordaitderire.
—Jecachaismaroberougeparcequej'avaispeurqu'onmedisequejen'étaispasunejeunefille
bien,hoqueta-t-elle,maisj'aidynamitélaprison!
Ellefutobligéedes'asseoirparterre.
—Etleculturiste!Vousvoussouvenezduculturiste,Edan
?
—Delui,etdesdanses,etdetoutcequis'estdit!
répondit-il,semettantàrireluiaussi.Voussavez,j'avaisprisunebouteilledewhiskyavecmoipour
passerletemps!
J'ignoraisqu'ons'amusaittantentrejeunesfillesdebonnefamille.Jenepeuxplusrestersérieux
quandjepassedevantlesalondethédeMissEmily!
—EtLeander!Toutescesannéessansqu'ilconnaisseSadie!
—Voussavezdequoielleparle?demandaLeanderàKane.
—Cetteravissantepetitedame,réponditRafeàsaplace,quial'airsifragileettoutjustebonneàfaire
delabroderie,mènerégulièrementdesattelagesdequatrechevaux.
—Jepeuxmêmeallerjusqu'àdouze,précisafièrementAryaneavantdeseremettreàriredeplus
belle.
—EtelleaundirectdudroitquimetK.O.ungarçondesataille,ajoutaKane,ravi.Elleestcapablede
laissersonmariageenplanpourrejoindreunmariquis'estridiculisédevanttoutlemonde,etde
dédommagersamaîtressepourqu'ellequittelaville.
—Quandjepensequejel'appelaislaprincessedeglace,murmuraLeander.
—Jel'aifaitfondre,ditKane,bombantletorse.
—Ehbien,situneveuxpasqu'ellefondecomplètementetqu'elledisparaisseentreleslattesdu
parquet,intervintRafe,tudevraisfairequelquechose.
Kanes'approchad'Aryane,toujoursmortederire,etlasoulevadanssesbras.
EdanetRafelesregardèrentmonterainsil'escalier
—Quandnousseronsdanslachambre,ditKane,tum'expliquerasunpeucettehistoiredeculturiste.
Etnerecommencepasàrire!Aryane!